CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Le lien entre la définition du régime de citoyenneté et les conflits politiques et sociaux entre les années 1930 et 1960 a fait l’objet de nombreux travaux. La citoyenneté sociale d’alors a été décrite comme étant définie par et pour une classe ouvrière à dominante masculine. La place et le rôle des femmes sont généralement négligés dans ces analyses, sauf en lien avec le foyer et les relations de parenté. Pour la période allant des années 1960 aux années 1980, les analyses insistent sur le changement et la modernisation : des mouvements se sont alors mobilisés pour contester la position assignée aux femmes et le renforcement des inégalités structurelles fondées sur le genre par les régimes de citoyenneté de l’après-guerre. Les revendications étaient fondées sur le principe d’égalité, et ont d’abord concerné « les femmes ». Puis les mobilisations ont pris appui sur des catégories plus nuancées de « race », d’ethnie et de classe, tout en étant toujours fondées sur le principe d’égalité. Toutes ces revendications adressées à l’État étaient formulées au nom d’une pleine citoyenneté. Comme le souligne Sandra Burt au sujet des mouvements de femmes au Canada dans les années 1990, « cette demande d’égalité des droits par les groupes féministes était d’abord et avant tout une demande d’intervention étatique, sous la forme soit de programmes gouvernementaux, soit de financements accordés aux groupes de femmes »  [1].

2Les dimensions sociales de ces régimes de citoyenneté sont actuellement en cours de redéfinition. Les communautés de politiques publiques préconisent un passage de dépenses de protection sociale dites passives à des « investissements » conçus comme favorisant une « société active » et une « citoyenneté active ». Parallèlement, on observe un changement dans la manière d’envisager le rôle de l’État, et conséquemment les frontières de la citoyenneté. De plus, tandis que dans les régimes de citoyenneté de l’après-guerre la représentation politique était le fait des partis, des syndicats et d’autres associations, on assiste actuellement à la mise en place de nouvelles pratiques de gouvernance. Les communautés de politiques publiques prônent un plus grand engagement du secteur communautaire et des citoyens, ainsi qu’un rôle plus important des principes du marché dans la protection sociale.

3Ces transformations ne se résument pas à un triomphe du néolibéralisme. Ni les réformes de la politique sociale ni la nouvelle gouvernance dans sa forme actuelle ne constituent simplement des dogmes néolibéraux. La réalité est plus complexe. Actuellement, un certain nombre de pays d’Europe et du monde anglophone se détournent des restrictions budgétaires et des contraintes du néolibéralisme pour adopter la « perspective de l’investissement social », qui vise à contrer les « nouveaux risques sociaux ».

4Or la perspective de l’investissement social telle qu’elle s’est développée au Canada ne prend pas en considération les inégalités de genre, sous leurs formes anciennes ou contemporaines  [2]. Dans ce contexte, les revendications d’égalité pour les adultes ont perdu pratiquement toute légitimité. Quand, après des années d’économies et de rationalisation, les gouvernements ont à nouveau envisagé la possibilité d’« investir » dans la protection sociale au milieu des années 1990, les politiques et les dépenses sociales telles qu’elles ont été redéfinies mettaient moins l’accent qu’auparavant sur les inégalités entre adultes, par exemple en termes de classe ou de genre.

5Cet article examine les conséquences de ces changements pour les rapports de genre au Canada.

6I. Le concept de régime de citoyenneté  [3]

7La notion de régime de citoyenneté trouve ses origines dans la tradition de l’institutionnalisme historique en science politique et en sociologie, sans pour autant reprendre certaines des idées de base qui ont fondé cette perspective analytique. Paradoxalement, beaucoup d’auteurs se revendiquant de l’institutionnalisme historique, tout en insistant sur la dimension temporelle, en arrivent à la conclusion qu’il ne se produit jamais que de petits changements au cours du temps, sauf à de rares moments lorsque l’équilibre est perturbé par de grands événements historiques. Plutôt que d’analyser le changement, leur perspective conduit à insister sur la continuité et les dynamiques auto-entretenues, à partir du concept de « dépendance de sentier ». Comme le font ressortir de récentes études de Paul Pierson et Theda Skocpol  [4] et de Kathleen Thelen  [5], une grande partie de l’institutionnalisme historique repose sur l’idée que plus la durée de vie des institutions est longue, plus les modes d’organisation de la vie politique qui leur sont associés, y compris l’intermédiation des intérêts, sont renforcés. Les intérêts et leurs défenseurs étant mieux établis, la réforme politique devient de plus en plus difficile. Il est en effet délicat de déloger des intérêts organisés, particulièrement lorsqu’ils bénéficient du soutien étendu et même institutionnalisé de la société civile et de l’État.

8Cette approche conceptuelle permet difficilement de comprendre un changement majeur dans les modèles d’intermédiation des intérêts au Canada : en quelques années, les principaux mouvements représentant les femmes ont été mis sur la touche et réduits au silence, tant au niveau pancanadien que québécois. À partir des années 1960, les mouvements de femmes canadiens se renforcent, avec le soutien de l’État et de la société civile, au point d’être volontiers décrits par certains auteurs comme faisant partie des plus puissants du monde  [6]. Or, depuis le milieu ou la fin des années 1990, ces mouvements ont perdu pratiquement toute influence dans le processus d’élaboration des politiques publiques. Les forces progressistes qui avaient été leurs principaux alliés dans la société civile, comme les syndicats, les mouvements de lutte contre la pauvreté, les groupes de défense des services de garde pour enfants, formulent désormais leurs revendications dans des termes qui excluent l’égalité de genre  [7].

9Le concept de régime de citoyenneté, tout en s’enracinant dans l’institutionnalisme historique, repose sur une autre notion du temps et sur l’idée qu’un changement important peut découler de divers processus. Il partage la prémisse de nouvelles analyses  [8] selon lesquelles le changement est possible, et se produit de fait. Dans cet article, nous décrirons comment le Canada s’est distancié par rapport à un régime de citoyenneté qui avait incorporé et institutionnalisé les principes d’égalité de genre dans les politiques sociales (comme l’équité salariale) et dans des institutions ouvrant la voie à la représentation des femmes, pour passer à un régime qui minimise l’égalité de genre en tant qu’objectif politique et principe de justice sociale et qui a démantelé de nombreuses institutions de représentation des femmes. Les inégalités de genre, dans leurs formes anciennes ou contemporaines, sont passées sous silence dans les politiques sociales et les vecteurs de représentation de ce nouveau régime de citoyenneté.

10Le concept de régime de citoyenneté, tel qu’on l’entend, comprend les arrangements institutionnels, règles et accommodements qui guident et déterminent les décisions politiques et les dépenses gouvernementales qui s’ensuivent, la définition des problèmes par les États et les citoyens, et le processus de revendication par ces derniers. Un régime de citoyenneté est formé de quatre éléments, chacun contribuant à fixer les limites du régime et à donner un contenu aux institutions qui le soutiennent :

11— La citoyenneté implique l’expression de valeurs fondamentales quant au partage des responsabilités entre l’État, le marché, la famille et le secteur communautaire au sein du « losange de la protection sociale »  [9]. Il en résulte une définition de « la manière dont on désire produire la protection sociale », que ce soit en l’achetant, ou grâce à la réciprocité familiale, ou par le soutien du secteur communautaire, ou encore grâce à la solidarité collective et publique, c’est-à-dire les services de l’État, selon le principe de l’égalité entre citoyens.

12— Par la reconnaissance formelle de droits et de devoirs particuliers (civiques, politiques, sociaux et culturels ; individuels et collectifs), un régime de citoyenneté définit les limites de l’intégration et de l’exclusion d’une communauté politique. Ce faisant, il distingue ceux qui ont droit à un statut de citoyen à part entière de ceux qui, dans les faits, ne détiennent qu’une citoyenneté de seconde zone. Ainsi, des identités telles que celles « d’éligible » ou d’« exclu » prennent toute leur signification par rapport à ces modèles.

13— Un régime de citoyenneté impose aussi les règles du jeu démocratique d’un système politique donné. Dans notre acception, ces règles comprennent les mécanismes institutionnels qui donnent accès à l’État, les modes de participation à la vie civique et aux débats publics, et la légitimité de certains types d’intermédiation des intérêts. En effet, les revendications issues de groupes de la société civile peuvent prendre la forme de demandes expresses en vue d’un meilleur accès et d’une meilleure intégration, grâce à des voies de représentation plus ouvertes.

14— Un régime de citoyenneté contribue à la définition des identités politiques, à la fois au sens étroit de la nationalité telle qu’elle apparaît sur le passeport, et dans leurs dimensions plus complexes d’identités nationales et régionales/locales, ou d’autres formes d’identités politiques. Il fixe ainsi les limites de l’appartenance.

15Chacune des dimensions du régime de citoyenneté a subi des modifications, que nous décrivons dans les parties suivantes. Alors que, sous le règne du néolibéralisme, l’objectif visé était clairement la mise à l’écart des revendications des femmes et (tout particulièrement) des mouvements qui en étaient porteurs, depuis maintenant une décennie, l’exclusion a cédé la place à un silence assourdissant sur l’égalité de genre. Ceci peut être relié à la popularité, tant au sein de la société civile que pour l’État, du concept d’investissement social, qui met l’accent sur l’avenir, l’innovation et l’investissement, plutôt que sur la consommation et la prudence fiscale.

16Dans les parties suivantes, nous expliquerons le changement important qui a touché toutes les dimensions du régime de citoyenneté, alors que se modifiaient les définitions des risques sociaux et de la bonne gouvernance et que de nouvelles images du « citoyen modèle » s’emparaient de l’imagination des responsables politiques. Depuis les années 1960, le changement s’est produit en trois temps : une période initiale de construction d’un régime combinant une logique politique universelle et une logique résidualiste pour protéger les adultes, et dans laquelle l’État soutient les associations qui représentent les groupes marginalisés ; une deuxième période, néolibérale, de réduction du rôle de l’État, et donc de l’espace réservé à la citoyenneté dans le partage des responsabilités dans le cadre du losange de la protection sociale, à la fois du point de vue des dépenses et de la garantie d’un accès complet ; et une troisième période de reconfiguration en vue de remédier aux « nouveaux risques sociaux » et promouvoir de nouvelles pratiques de gouvernance dans une perspective d’investissement social.

II. Des années 1940 aux années 1980 : protéger les adultes contre les risques de la vie

17Jusqu’aux années 1970, le gouvernement canadien définit la citoyenneté sociale à partir d’une conception de l’égalité relevant du libéralisme social  [10]. À l’origine, la conception des rapports de genre découle de visions traditionnelles de la famille, mais dans les années 1970 elle change, en intégrant l’égalité de genre. En ce qui concerne le partage des responsabilités dans le losange de la protection sociale, cette perspective suppose que le marché du travail octroie des salaires et des traitements suffisamment élevés pour permettre à presque toutes les familles de satisfaire elles-mêmes leurs besoins. L’autosuffisance est la norme et chaque individu a la responsabilité de contribuer au bien-être général en payant des impôts tout en subvenant à ses propres besoins et à ceux de sa famille. On présume qu’un seul salaire suffit dans la plupart des cas, mais les familles peuvent « choisir » le double salaire.

18Dans le losange de la protection sociale, il revient à l’État de mettre en place des droits sociaux et d’autres avantages pour la protection contre les inégalités et les iniquités associées aux risques auxquels les adultes font face au cours de leur vie. Dans les années 1940 sont lancés deux programmes de base, l’assurance-emploi et les allocations familiales. Dans les années 1960, ils sont suivis par le Régime d’assistance publique du Canada (RAPC), les caisses de retraite canadienne et québécoise, la couverture santé universelle, et d’autres programmes. L’État a de plus la responsabilité de s’assurer que tout le monde puisse faire entendre sa voix. Comme l’indique Bernard Ostry, un ancien sous-secrétaire d’État adjoint, l’objectif de la Direction de la citoyenneté dans les années 1970 était de « développer et de renforcer un sentiment de citoyenneté canadienne, grâce à des politiques qui favorisent la participation et répondent au sentiment d’injustice sociale »  [11].

19Les politiques sociales se définissent selon trois logiques. L’assurance-emploi et les caisses de retraite canadienne et québécoise sont fondées sur un modèle d’assurance. Le niveau des prestations reçues dépend de la contribution versée. Quant à la couverture santé, à la sécurité de la vieillesse, à la scolarisation (y compris la formation postsecondaire à faible coût) et aux allocations familiales, elles sont fondées sur une logique universaliste, à la disposition de tous les Canadiens en tant que droits liés à la citoyenneté. Elles sont destinées à atténuer les risques et les coûts de la maladie, de la vieillesse et de l’éducation des enfants, risques et coûts inégaux et largement répandus. Troisièmement, et ici le régime d’assistance publique du Canada est l’exemple classique, certains programmes sont conçus pour fournir un niveau de soutien minimum à ceux qui ne relèvent plus des autres structures censées maintenir l’autonomie et la sécurité du revenu  [12]. L’aide sociale est destinée aux parents élevant seuls leurs enfants et ayant perdu la protection du mariage, aux chômeurs à long terme qui n’ont plus droit à l’assurance-emploi, etc.  [13]. Ces programmes expriment une logique résiduelle, puisqu’ils sont conçus comme des prestations de dernier recours pour protéger contre les défaillances du marché et de la famille à fournir un revenu suffisant.

20Dans ces trois logiques, c’est l’adulte, et souvent le travailleur, qui constitue le citoyen idéal-typique du régime, les autres statuts étant définis en relation avec cette figure dominante. Les droits sociaux dépendent alors pour beaucoup du statut de travailleur, que l’on soit au chômage, à la retraite, à l’école, etc. Ainsi quand les responsables politiques se rendent enfin compte dans les années 1970 – sous la pression du mouvement des femmes – de l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail, de nouveaux droits sociaux sont définis. Le droit à l’égalité et les protections contre la discrimination sont renforcés. Un nouvel outil, l’équité salariale, est inventé pour venir à bout de la discrimination systémique dans la sphère professionnelle, et de nouvelles institutions et quotas de représentation divers sont mis en place pour promouvoir l’accès des femmes à la participation citoyenne.

21Cependant, aucune de ces politiques ne revient sur le principe de base selon lequel les parents ont la responsabilité presque exclusive du bien-être de leurs enfants  [14]. Dans ce régime de citoyenneté de l’après-guerre, les parents sont supposés libres de faire le choix d’une carrière ou d’avoir des enfants, de la garde parentale ou non parentale, et de la garde formelle ou informelle. L’État ne se prononce pas sur la décision des mères de participer ou non au marché du travail. En 1971, on greffe les congés de maternité (qui deviendront plus tard les congés parentaux) sur le système de l’assurance-emploi et on modifie le code des impôts, qui prévoit une déduction pour frais de garde d’enfants (DFGE). Mais en consentant des déductions d’impôts importantes pour une épouse (ou un époux) non rémunéré(e), on admet que certains couples puissent décider que l’un des deux parents exercera son rôle parental à plein temps. Les règles de l’aide sociale permettent aussi aux mères chefs de famille monoparentale de se conformer à la norme sociétale du rôle parental à plein temps ; on n’attend pas d’elles qu’elles recherchent un emploi, mais si elles « choisissent » de le faire, elles bénéficient, dans le cadre du RAPC, d’une aide financière pour payer les services de garde.

22Par ailleurs, il est de la responsabilité des parents de faire en sorte que leurs enfants d’âge préscolaire grandissent en bonne santé et soient prêts pour l’entrée à l’école. Les principaux risques associés à la petite enfance sont conçus comme relevant de la sécurité. L’État n’exerce donc une certaine responsabilité qu’en ce qui concerne les risques liés à la santé et à la sécurité pendant la petite enfance, dans le cas de la garde hors du milieu familial par exemple. Dans la plupart des provinces, le gouvernement édicte des règles de santé et de sécurité afférentes aux services de garde pour enfants, alors qu’il s’intéresse très peu à leur qualité éducative. Les parents sont libres de choisir un service informel de garde non parentale, et le taux de la déduction pour frais de garde d’enfants les y encourage. Ainsi, ils continuent d’assumer l’entière responsabilité de la gestion des risques pour la santé et la sécurité. Le principal intérêt de l’État, à travers les règles gouvernant la DFGE, est de s’assurer que les gardiennes d’enfants ne travaillent pas « au noir » et soient déclarées.

23La dimension « accès » du régime de citoyenneté est également marquée par une logique universaliste, selon laquelle l’État doit faire en sorte que le secteur communautaire ait les ressources suffisantes pour jouer son rôle et que les groupes aient voix au chapitre. L’enjeu du plein accès des femmes à la participation politique est considéré comme suffisamment important pour mériter un financement de l’État dès le début des années 1970, après que le rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation des femmes de 1971 ait recommandé le soutien à un ensemble d’organismes dont la fonction serait de défendre la cause des femmes – organismes dont il a en fait favorisé la création. Il en est ainsi du Comité canadien d’action sur le statut de la femme (CCASF), fondé en 1972, qui reçoit immédiatement du gouvernement fédéral un financement substantiel de ses activités de base, tout comme un certain nombre d’autres groupes de femmes  [15].

III. La période néolibérale : restriction de l’accès et des droits

24La légitimité du soutien offert aux groupes de femmes, qui était fondée sur leur contribution à l’obtention d’une pleine citoyenneté économique sociale et politique pour les femmes, ne survit pas au raz-de-marée néolibéral qui touche les cercles politiques canadiens dans les années 1980 et la première moitié des années 1990. En effet, la consolidation du discours populiste de droite sur les formes d’accès et de représentation constitue l’un des premiers signes des changements subis par le régime de citoyenneté sous l’action des forces néolibérales bien établies dans le système des partis avec la montée du Parti réformiste. Le recul en matière de droits sociaux s’est fait « discrètement », et est moins visible  [16]. Parmi ces manœuvres non transparentes, citons le recours accru au système fiscal en tant que mécanisme de politique sociale, ou encore le ciblage de plus en plus restrictif des programmes sociaux. Ces stratégies ont été préférées à l’élimination pure et simple des programmes, ou à la mise en place de grandes réformes, qui ont fait scandale lorsqu’elles ont été tentées.

25L’accent mis sur les institutions de représentation et le recours à des actions discrètes en tant qu’instrument politique peuvent s’expliquer par le désarroi dans lequel se trouve la politique canadienne pendant toute la seconde moitié des années 1980. Les programmes, politiques et directions stratégiques du gouvernement en matière de citoyenneté sociale rencontrent alors une vive opposition, directement liée aux débats déchirants alors en cours sur la réforme constitutionnelle et le libre-échange nord-américain. Ces luttes amènent le CCASF, représentant le plus visible des revendications des femmes en matière de citoyenneté, à former une coalition avec d’autres mouvements et groupes  [17].

26Cette coalition se mobilise contre les accords constitutionnels du lac Meech et de Charlottetown, ainsi que contre les accords de libre-échange, en invoquant l’identité canadienne. Au nom de leur définition du nationalisme canadien, les membres de ce mouvement s’engagent à protéger les programmes sociaux et l’autonomie du Canada contre les États-Unis. Leur intervention vise donc la dimension d’appartenance du régime de citoyenneté. Par exemple, dans les débats sur le libre-échange, le CCASF se présente comme le défenseur d’une identité nationale canadienne définie en termes de citoyenneté sociale, et agit au sein d’une large coalition. En 1988, l’accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis n’est obtenu qu’après des débats houleux dans diverses arènes politiques, y compris celle de la campagne électorale, au cours de laquelle le CCASF joue un rôle clé au sein de la coalition de l’opposition.

27La dimension d’appartenance du régime de citoyenneté est également au cœur de l’opposition du CCASF et d’autres féministes anglophones à l’accord du lac Meech entre 1987 et 1990 et à celui de Charlottetown en 1992. À ces deux occasions, la classe politique s’est efforcée de ramener le Québec dans le bercail constitutionnel en répondant à certaines de ses exigences historiques de reconnaissance constitutionnelle, mettant par là en jeu la définition même du « Canada ». Le CCASF est en première ligne de l’opposition à ces accords, qui finissent par échouer.

28Cependant, avant l’amorce de ces débats, une opposition à une vision progressiste du féminisme a déjà vu le jour au milieu des années 1980, avec des groupes comme REAL Women  [18]. En 1987, REAL Women conteste les règles utilisées pour l’octroi de fonds aux groupes de femmes par le Programme de promotion de la femme du Secrétariat d’État. Le Parti réformiste, parti populiste et de droite, prend alors pour cible le CCASF, l’accusant de défendre des « intérêts particuliers » et d’être élitiste. Combinée à la colère contre les élites qui ont encouragé et appuyé les compromis constitutionnels, cette attaque de la droite constitue un nouveau revers qui contribue à faire perdre à ces groupes le soutien des médias et celui de l’État. Le CCASF et d’autres organisations de femmes entrent alors dans une période d’invisibilité, se retrouvant en butte à l’hostilité dès qu’on leur accorde la moindre attention  [19]. Même lorsque les libéraux remplacent les conservateurs en 1993, le nouveau gouvernement ne rétablit pas les subventions ni ne rouvre les portes d’accès au processus politique. Le gouvernement libéral peut donc sans difficulté démanteler en 1995 « l’État des femmes » (Women’s State)  [20].

29Les droits sociaux se trouvent remis en question à la même époque, bien que de la manière la moins visible possible. Nous en avons un exemple instructif avec l’évolution du programme des allocations familiales, un des piliers des politiques universelles de l’après-1945, conjointement à d’autres initiatives dans des domaines comme les retraites. Dès 1972, le gouvernement fédéral cherche à remplacer le programme universel par un régime de revenu familial garanti, qui aurait permis d’octroyer des prestations plus élevées aux familles aux revenus les plus faibles. L’opposition se mobilise contre cette réforme au nom de l’universalité et la stoppe net  [21]. Mais pendant les quinze années qui suivent, on laisse s’étioler les allocations familiales en ne les indexant que partiellement sur l’inflation. Puis, en 1989, on les récupère par les impôts, si bien que de nombreuses familles n’y gagnent rien. En 1993, finalement, elles sont complètement éliminées. Au même moment, le gouvernement fédéral crée deux autres instruments, qui marquent une étape clé du nouveau discours de la citoyenneté, davantage tourné vers « l’enfance »  [22]. En 1993, les crédits d’impôts et les allocations familiales sont regroupés pour former la Prestation fiscale pour enfants (attribuée en fonction du revenu) et le Supplément au revenu gagné (attribué aux familles ayant à la fois des enfants et un revenu gagné)  [23].

30De 1972 à 1993, la direction imprimée au changement est claire et constante. Premièrement, les prestations pour enfants sont allouées aux familles à faibles revenus, qu’elles bénéficient de l’aide sociale ou vivent d’un salaire. Quand le revenu de la famille augmente, on réduit les prestations. Deuxièmement, la Prestation fiscale pour enfants lie fermement et irrévocablement le versement de l’aide au régime fiscal, puisqu’elle est fondée sur la déclaration de revenus (il faut donc remplir une déclaration). Cette caractéristique a deux effets : elle minimise la visibilité du programme en le reléguant dans le monde obscur des impôts et elle fait passer l’influence politique du côté du ministère des Finances. De telles réformes s’inscrivent dans une tendance lourde au ciblage et à l’utilisation d’instruments politiques comme l’« impôt négatif » ou le « revenu garanti » dans un large éventail de politiques sociales, y compris celles qui concernent les personnes âgées  [24]. Dans les deux décennies suivant l’année 1975, les prestations ciblées, qui constituaient auparavant le cinquième des prestations versées par le gouvernement, finissent par représenter plus de la moitié de celles-ci  [25].

31Par ailleurs, tout au long des années 1980, il est de plus en plus question de « l’enfant », et le discours politique a tendance à substituer les « enfants » aux « familles ». Le nom attribué à la Prestation fiscale pour enfants est indicatif de ce changement symbolique. Or, il ne s’agit là que de l’un des nombreux changements de représentation voulus par l’État pour indiquer son nouvel intérêt pour l’enfance  [26]. Plutôt que de s’attaquer à la pauvreté en général, la Chambre des communes vote à l’unanimité en 1989 pour qu’on « tente d’atteindre l’objectif de l’élimination de la pauvreté chez les enfants canadiens d’ici l’an 2000 ». Le Premier ministre Mulroney est coresponsable du Sommet mondial pour les enfants en 1990 aux Nations unies et le Canada ratifie la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies de 1991. En 1992, le gouvernement fédéral introduit deux nouveaux programmes de développement communautaire qui établissent un lien symbolique direct entre les interventions pour les jeunes enfants et le bien-être de la collectivité, et fait appel aux « partenaires » du secteur communautaire pour mettre en œuvre ces programmes  [27]. Ce projet fait partie du nouveau style de gouvernance en vogue dans le régime de citoyenneté naissant. Il met l’accent sur les partenariats et le partage des responsabilités entre l’État et le secteur communautaire dans le losange de la protection sociale, le secteur public étant responsable du financement et le secteur communautaire de la fourniture des services  [28].

32L’État n’est d’ailleurs pas le seul à aller dans cette direction. La stratégie des groupes de défense des services publics de garde, par exemple, passe d’une démarche centrée sur les besoins en services de garde des femmes ayant un emploi à « une vision plus large de politiques de l’enfance qui insistent sur le développement pendant la petite enfance et le soutien aux parents. Cette démarche préconise des services de garde de qualité comme soutien aux enfants et aux adultes »  [29]. Un large éventail d’associations agissant dans le domaine social s’engage dans des campagnes contre « la pauvreté des enfants », contribuant ainsi à réorienter le discours sur la pauvreté : alors que celui-ci utilisait auparavant des formules comme « les femmes et la pauvreté » et « la féminisation de la pauvreté », il fait maintenant référence à la « pauvreté des enfants »  [30]. Ainsi, l’organisme Campagne 2000, créé pour surveiller la résolution de 1989 de la Chambre des communes, tente d’abord de maintenir le discours du régime de citoyenneté de l’après-guerre, en affirmant que les prestations familiales universelles constituent le meilleur moyen de combattre la pauvreté. Il défend devant le Parlement et d’autres forums un retour aux principes de l’équité horizontale et du soutien à toutes les familles. Or ce message est difficile à faire passer pour un mouvement qui défend par ailleurs l’idée que la « pauvreté » est le cœur du problème  [31]. Petit à petit, la coalition est donc amenée à promouvoir un ciblage des prestations pour réduire la pauvreté des enfants.

IV. Après 1995, un « réinvestissement » dans le social

33De façon paradoxale, la période d’investissement social débute avec une des expériences les plus draconiennes de réduction budgétaire et d’unilatéralisme fédéral. En 1995, le ministre des Finances Paul Martin abolit unilatéralement le Régime d’assistance publique du Canada, programme à frais partagés qui modelait la sécurité du revenu depuis les années 1960. À sa place, le gouvernement fédéral propose le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS), qui devient le mécanisme de transfert de fonds aux provinces. Sans entrer dans les détails du financement, disons simplement que le compromis offre aux gouvernements provinciaux une plus grande marge de manœuvre en matière de dépenses, en contrepartie d’une réduction des transferts de plusieurs milliards de dollars.

34Cet échange ne plaît pas aux provinces et donne lieu à des années de conflits autour de la définition du modèle souhaitable de relations intergouvernementales  [32]. Les provinces sont obligées de respecter intégralement leurs engagements en matière de dépenses, alors que leurs revenus sont sensiblement réduits. Quand les Premiers ministres provinciaux se rencontrent à l’été 1995, puis 1996, pour définir des exigences communes vis-à-vis d’Ottawa sur le fédéralisme et la politique sociale, la réforme de l’aide sociale est à l’ordre du jour. De la concertation naît la Prestation nationale pour enfants (PNE), qui devient un modèle pour les relations intergouvernementales inscrites dans l’Entente-cadre pour l’union sociale (ECUS) signée en 1999 par le gouvernement fédéral et toutes les provinces sauf le Québec. La PNE est une stratégie visant une redéfinition des transferts de revenu aux familles (y compris celles qui bénéficient de l’aide sociale) et une promotion de la participation au marché du travail (activation)  [33]. Elle a pour conséquence de « faire sortir les enfants de l’aide sociale » en situant les prestations ailleurs dans le Système de sécurité du revenu. La voie est alors libre pour délégitimer davantage l’aide sociale et supprimer les prestations aux groupes qui les « méritent le moins », c’est-à-dire ceux qui n’ont pas la responsabilité d’élever des enfants.

35La PNE (en vigueur depuis juillet 1998) est composée de suppléments de revenus, fournis par les gouvernements fédéral et provincial aux familles dont le revenu est faible ou moyen. Ces suppléments correspondent au souhait du gouvernement fédéral de maintenir une présence visible dans la vie des familles canadiennes. Ce souhait reflète une attention à la dimension « appartenance » du régime de citoyenneté, particulièrement nécessaire après 1995, année où l’on ressent clairement que les raisons de maintenir l’unité du pays sont en train de s’étioler, les provinces devant s’en remettre à leurs propres ressources et le gouvernement fédéral voyant sa marge de manœuvre réduite, dans chacun de ses rôles pancanadiens, par l’objectif de réduction du déficit.

36La PNE a pour deuxième composante les « réinvestissements » provinciaux dans les services. Cette nouvelle dépense est censée apporter une plus grande stabilité aux familles à faible revenu dans lesquelles les changements d’emploi sont fréquents ou qui bénéficient de l’aide sociale par intermittence, en allégeant les conséquences de l’accession à un emploi à bas salaire. Les provinces fournissent toute une série de prestations pour les périodes de transition, ce qui permet aux bénéficiaires de l’aide sociale de conserver pendant un temps certaines des prestations pour les soins de santé, les soins dentaires et la garde d’enfants, ainsi que d’autres avantages sociaux auxquels ne permet pas d’accéder un emploi à bas salaire.

37Une deuxième évolution politique et sociale majeure a lieu parallèlement. En 1971, la Commission royale d’enquête sur la situation des femmes affirmait que des services de garde universellement accessibles constituaient une condition indispensable pour assurer aux femmes l’égalité des chances. Cette idée a été reprise par la Commission royale d’enquête sur l’égalité professionnelle (la commission Abella) en 1984 et par le Groupe d’étude sur la garde des enfants, dirigé par Katie Cook en 1986  [34]. Cependant, dans les années 1990, cet argument cesse d’être utilisé. À sa place, pour préconiser un programme de garderies pancanadien (« national »), on ne fait pratiquement état que des besoins des enfants, et les militants contre la pauvreté des enfants rejoignent tout un éventail de groupes soutenant que la réussite des enfants dépend de services de garde de qualité. Ainsi, les ententes finalement signées sur les garderies en 2005 entre le gouvernement fédéral et plusieurs provinces découlent d’un changement majeur dans l’interprétation des raisons pour lesquelles il est important d’engager des dépenses dans ce domaine. La déclaration suivante, tirée de l’accord de principe avec la Nouvelle-Écosse (signé le 16 mai 2005), est représentative de toutes ces ententes  [35]  :

38

Les premières années de vie sont déterminantes pour le développement et le bien-être futur des enfants. Les recherchent montrent qu’en favorisant l’apprentissage et en offrant des services de garde de qualité, on peut jouer un rôle important dans le développement social, affectif et cognitif des jeunes enfants. Promouvoir l’apprentissage et le développement pendant la petite enfance, c’est favoriser la participation des parents au marché de l’emploi et à l’éducation tout en soutenant les parents dans leur responsabilité première qui est d’élever leurs enfants et de leur prodiguer des soins, en améliorant la qualité de l’apprentissage et de garde des jeunes enfants offerts aux familles.

39Ces ententes se fondent sur les quatre principes « QUAD » : qualité, universalité, accessibilité et développement des enfants  [36]. Ici se trouvent résumées les raisons maintenant communément acceptées qui font la nécessité d’un système de services de garde pancanadien : il répond aux besoins des enfants, il est fondé sur des résultats de recherche et il permet aux parents de travailler ou de suivre une formation.

40Quelles sont les conséquences de cette restructuration majeure de la citoyenneté sociale, qui modifie les principes mêmes du choix de ceux qui « méritent » le soutien de l’État et les raisons qui font que ces personnes sont « méritantes » ? Ces réformes présentent toutes un nouvel équilibre dans le losange de la protection sociale. Le secteur marchand détermine la distribution de la protection sociale à presque tous les adultes, par l’intermédiaire du rapport salarial. Tout adulte est maintenant présumé « employable ». Les adultes n’ont plus le « choix » de faire partie ou non de la population active, à moins d’être suffisamment riches pour vivre avec un seul salaire. On incite les parents qui ont un faible revenu à trouver un emploi, à retourner faire des études ou à suivre une formation en leur octroyant des suppléments de revenu. À part une déduction d’impôts dans le cas où l’époux ou l’épouse est sans revenu, on n’offre aucun soutien financier aux personnes qui choisissent d’exercer leur rôle parental à plein temps. Cette situation explique l’indignation exprimée par certaines familles à revenu moyen concernant un supposé manque de soutien à leur « choix de vie » ; cette indignation conduit le gouvernement conservateur élu en 2006 à revenir sur les accords avec les provinces pour les remplacer par une allocation familiale imposable de 1 200 $, attribuée quel que soit le mode de garde choisi.

41Ce fondement de la protection sociale sur les résultats du marché induit une augmentation des écarts de revenus. Alors que tout au long des années 1980 les inégalités de revenus liées au marché diminuent de façon marquée sous l’impact de la redistribution opérée par les impôts et les allocations, cet effet est grandement atténué à la fin des années 1990. Ainsi, « en 1989, la part du revenu après imposition des familles du quintile supérieur est 4,9 fois plus élevée que celle des familles du quintile inférieur ; en 1998, ce ratio est passé à 5,5 fois »  [37]. De nos jours, quand le marché « échoue » et que, même avec un revenu du travail, un travailleur demeure pauvre, les gouvernements interviennent en fournissant des suppléments au revenu et d’autres prestations pour éviter la trappe à pauvreté. Parmi ces mesures, plusieurs ciblent officiellement les femmes chefs de famille monoparentale ; pour autant, l’objectif poursuivi est de réduire la pauvreté des enfants, et non de favoriser l’égalité ou l’équité salariale.

42La situation des adultes dépend donc essentiellement du marché. Parallèlement, la répartition des responsabilités entre l’État et la famille se trouve redéfinie, et ce dans plusieurs domaines politiques. De plus en plus, le gouvernement revendique un partage des responsabilités avec les parents vis-à-vis des enfants. Dans le régime de citoyenneté de l’après-guerre, l’État ne contestait pratiquement jamais la responsabilité des parents pour ce qui est des décisions au sujet des enfants et des choix intergénérationnels. Pendant la période néolibérale, les discours sur « l’enfance » ne sont que rarement accompagnés de nouvelles dépenses. En effet, dans les années 1980 et jusqu’en 1999, les niveaux de dépenses demeurent plus ou moins inchangés, seule leur répartition évolue. Actuellement, plusieurs gouvernements canadiens (excepté les gouvernements néolibéraux qui demeurent en place) mettent en avant leur volonté d’assumer une part du fardeau et d’intervenir de façon plus active dans la vie des enfants pour améliorer leurs chances de réussite  [38]. Depuis 1999, les fonds consacrés à cet objectif ont augmenté, et les prestations pour enfants sont devenues récemment l’un des principaux domaines d’augmentation des dépenses  [39]. Les dépenses consacrées aux services de garde ont également augmenté.

V. Comment expliquer le silence sur les inégalités de genre dans ce contexte de retour au « social » ?

43Comment comprendre que les enjeux ayant trait à l’égalité de genre et aux femmes soient absents de ce nouveau régime de citoyenneté qui émerge après la période néolibérale ? Quand le néolibéralisme régnait en maître, le discours condamnant les dépenses publiques impliquait un scepticisme sans ambiguïté quant à l’engagement de l’État en faveur d’institutions destinées à assurer l’accès des femmes à une citoyenneté pleine et entière. Il n’est pas surprenant que les années de prédominance néolibérale aient correspondu à des attaques contre la légitimité d’institutions intermédiaires telles que le CCASF et d’autres mouvements de lutte pour l’égalité. Mais pourquoi le silence sur les inégalités de genre se maintient-il après 1995, alors que plusieurs gouvernements canadiens se sont montrés prêts à réengager des dépenses et qu’un discours sur le « social » se concrétise dans des programmes comme la PNE et les Initiatives pour le développement de la petite enfance, qui engagent tous deux de nouvelles dépenses sociales ? Ce silence apparaît encore plus discordant au moment où le Canada s’apprête à mettre en place le système national de garderies que les féministes avaient décrit dès 1965 comme étant un pilier essentiel de l’égalité pour les femmes.

44Bien entendu, plusieurs explications sont possibles. Selon certains, le néolibéralisme ne fait que se perpétuer, et il s’agit d’un changement structurel majeur qui se sert de structures anciennes comme le patriarcat pour mieux s’éloigner de la citoyenneté et des pratiques de l’après-guerre  [40]. Il est évidemment impossible de réfuter l’idée selon laquelle la période actuelle est purement néolibérale si les nouveaux modèles de dépenses sont analysés comme preuves d’un tel changement structurel et attribués aux nécessités structurelles du capitalisme mondial. Ces descriptions structuralistes de grande envergure, trop générales, ne permettent pas de rendre compte de la coïncidence de modèles de dépenses sociales différents de ceux de la période néolibérale et d’une absence totale de préoccupation pour les inégalités de genre. Ces explications présentent les mêmes défauts que ceux qui ont pu être reprochés à d’autres analyses structuralistes par le passé. Leur absence d’attention vis-à-vis des différences dans le temps et dans l’espace est particulièrement problématique  [41].

45D’autres auteurs attribuent le silence sur les inégalités de genre à l’influence des idées, à la montée d’un discours sur la pauvreté des enfants, et au fait que les institutions représentant les femmes ont été réduites au silence  [42]. Bien que ces analyses soient exactes en termes descriptifs, elles sont trop limitées : il reste à expliquer cette puissance du discours sur la pauvreté des enfants, et la restructuration des politiques sociales qui en découle.

46Dans cet article, nous entendons démontrer que le discours sur la « pauvreté des enfants » n’existe pas isolément, mais qu’il est fondamentalement dû à une réinterprétation majeure des risques sociaux et des sources de la protection sociale. La politique sociale consiste à gérer les risques et à définir la citoyenneté sociale. Elle implique donc de déterminer quel secteur du losange de la protection sociale aura la responsabilité d’assurer la protection sociale, c’est-à-dire quels risques seront pris en charge par des mécanismes de choix collectifs (c’est-à-dire par l’État) et quels risques seront assumés par le marché, la famille et le secteur communautaire. L’interprétation des risques a profondément changé dans les dernières années. La pauvreté des enfants – et la pauvreté en général – n’est qu’un des aspects de cette nouvelle lecture, même s’il s’agit d’un risque important. L’insistance sur l’activation et l’emploi pour tous constitue un autre aspect de cette relecture, qui implique des dépenses consacrées à l’éducation préscolaire et aux compléments de salaires.

47Les dimensions sociales de nombreux régimes de citoyenneté connaissent une refonte complète, non seulement au Canada mais aussi en Europe et ailleurs, en réaction à la diffusion de l’idée de « nouveaux risques sociaux »  [43]. Les nouveaux risques sociaux sont conçus comme résultant des écarts de revenus et des défaillances dans la fourniture de services entraînés par la transition vers les sociétés et les marchés du travail postindustriels, dans lesquels les emplois industriels bien payés et traditionnellement masculins sont en déclin alors que les emplois dans les services peu payés et souvent précaires sont en augmentation, de même que le taux d’activité des femmes en général. Les défis engendrés par la participation des femmes au marché du travail (et son corollaire, leur manque de disponibilité pour leurs proches à plein temps), de même que les transformations des formes familiales (particulièrement l’augmentation du nombre de familles monoparentales), créent également de nouvelles disparités de revenus et de nouveaux manques de services. C’est pourquoi l’emploi des femmes en tant que nécessité sociale (et non plus en tant que « choix ») est au cœur de l’analyse, tout comme l’attention portée à la situation des familles monoparentales. Cependant, l’objectif visé est d’obtenir un taux d’emploi plus élevé, et non l’égalité entre les femmes et les hommes.

48En adhérant à cet objectif déterminant, on en vient à promouvoir de nouveaux types d’intervention  [44]. Ainsi, l’équité salariale fait place à des mécanismes de lutte contre l’insécurité du revenu engendrée par les emplois à bas salaire, comme les compléments de revenu octroyés pour éviter la trappe à pauvreté. Ces instruments ciblent généralement les travailleurs à faible revenu ayant de jeunes enfants, afin de réduire les risques à long terme liés à la pauvreté pendant l’enfance qu’ont révélés des études longitudinales  [45]. Outre la création d’instruments complémentaires aux faibles revenus pour assurer des taux de participation plus élevés au marché du travail – particulièrement chez les femmes –, de nouvelles dépenses sont engagées et une attention particulière est portée à l’acquisition de compétences et à d’autres formes d’investissement en capital humain pour les groupes considérés comme les plus vulnérables (femmes chefs de famille monoparentale, jeunes travailleurs et chômeurs de longue durée). Toutes ces mesures ne se résument pas à des discours. La prise en compte des nouveaux risques sociaux a entraîné une augmentation importante des dépenses publiques dans les services (particulièrement pour les enfants et les personnes âgées), de même que pour les compléments de salaire  [46].

49Cette attention portée aux nouveaux risques sociaux s’intègre dans un changement de paradigme, qui remplace les notions associées à la « protection sociale » par les idées et les pratiques de la « perspective de l’investissement social ». Actuellement, un certain nombre de pays d’Europe de même que du monde anglophone sont en train d’élaborer des réponses aux nouveaux risques sociaux conçues comme des investissements sociaux. Les idées de base de la perspective de l’investissement social – défendues par des acteurs internationaux comme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), des responsables politiques de la « troisième voie », comme Tony Blair, et certains experts reconnus  [47] – peuvent se résumer comme suit : une bonne politique sociale doit être tournée vers l’avenir ; l’efficacité économique dépend d’une politique sociale adaptée, car les iniquités sociales peuvent nuire à l’innovation économique ; une bonne politique sociale dépend moins du montant dépensé que de la répartition des dépenses ; la prudence fiscale est une valeur en soi ; il faut investir dans l’intégration sociale tout comme dans le capital humain, afin de maximiser la souplesse et l’innovation ; la gouvernance est un paramètre important, ce qui se traduit par des partenariats public-privé et la modernisation des administrations publiques  [48].

50Le développement de l’idée d’investissement social a eu un résultat non anticipé : « l’enfance » et les enfants fournissent maintenant une clé de lecture bien plus importante pour l’analyse de la politique sociale et économique que ce n’était le cas dans les régimes de citoyenneté de l’après-guerre  [49]. L’amélioration des chances de réussite des enfants dans la vie sert parfois de métaphore clé pour justifier et légitimer les nouvelles dépenses en services et en prestations. Cette conception donne aux dépenses gouvernementales un sens bien différent de celui de l’après-guerre. Les transferts de revenus pour « mettre fin à la pauvreté des enfants », « donner à chaque enfant le meilleur départ possible dans la vie » et faire « qu’il vaille la peine de travailler », voilà des manières de justifier les dépenses qui diffèrent beaucoup du discours de « l’égalité ici et maintenant ». Ce nouveau discours permet de réduire en toute légitimité les prestations d’assurance-emploi et les niveaux d’aide sociale, tout en justifiant parallèlement l’augmentation des dépenses en éducation préscolaire, de même que celle des prestations pour enfants et des compléments au revenu alloués aux familles avec enfants à charge. Si « l’enfant » est si important dans la perspective de l’investissement social, c’est que la formation du capital humain est au cœur de celle-ci  [50].

51La focalisation du discours sur la pauvreté des enfants, qui préoccupe les analystes désireux d’expliquer le peu d’attention accordée aux inégalités de genre, n’est donc qu’un aspect de l’analyse plus large des nouveaux risques sociaux et de la perspective de l’investissement social. Simultanément, dans ce changement de paradigme, il peut sembler étrange que, bien que la perspective des nouveaux risques sociaux induise une attention particulière à la situation des femmes (notamment en tant que chefs de famille monoparentale et candidates de choix pour des emplois à bas salaire), elle ne s’accompagne pas d’une préoccupation vis-à-vis de l’égalité pour les adultes.

52Cette contradiction apparente s’explique par l’analyse du risque qui fonde la perspective de l’investissement social. Premièrement, dans cette perspective, la non participation au marché du travail est un danger en soi. Ce n’est pas que les citoyens soient « irresponsables », comme l’affirment les néolibéraux. Les responsables politiques citent plutôt des résultats de recherches qui montrent que plus les enfants appartenant à des milieux à faible revenu passent de temps avec leur famille plus leurs chances de réussite sont compromises  [51]. Les taux d’aide sociale dans les régimes libéraux étant fixés à des niveaux qui minimisent le « risque moral » qu’il y a à rendre plus avantageux de rester tributaire de l’aide sociale que d’accepter un emploi à bas salaire, les familles bénéficiaires de l’aide sociale demeureront toujours pauvres. C’est pourquoi la seule manière de réduire la pauvreté de ces familles est d’intégrer les parents au marché du travail, puis, selon les besoins, de leur attribuer un complément de salaire. Mais même dans les régimes continentaux et socio-démocrates, les experts politiques mettent en garde contre un risque important de transmission intergénérationnelle de la pauvreté et contre le fait que les familles monoparentales sont bien plus susceptibles d’être pauvres, en partie à cause d’un manque d’accès aux services de garde, mais aussi à cause de la structure du marché du travail postindustriel qui comprend de nombreux emplois peu payés dans le secteur des services  [52]. Deuxièmement, l’égalité étant conçue par ce discours politique comme un objectif à long terme et non pour le présent, dans cette perspective il est déjà trop tard pour les adultes d’aujourd’hui  [53]. Le mieux que l’on puisse faire est de s’assurer que leur situation ne ruine pas l’avenir de leurs enfants.

53On peut très bien travailler tout en restant pauvre. Ici, les défis en matière politique deviennent clairs : le problème est de savoir comment réagir quand le marché ne remplit pas son rôle. Il est alors recommandé que l’État offre un complément aux résultats du marché (les revenus) et fasse franchir le seuil de la pauvreté à un plus grand nombre. Mais comme nous l’avons noté plus haut, un faible revenu constitue un risque en soi. C’est pourquoi la perspective de l’investissement social impose aussi un soutien à l’apprentissage dès la petite enfance et des services de garde de qualité. Ces mesures tablent sur les avantages de la stimulation dès la petite enfance et de l’éducation dans un milieu de garde de qualité pour contrer les insuffisances de la vie dans une famille à faible revenu ou dans une famille stressée par un marché de l’emploi qui ne facilite pas la conciliation famille-travail. Selon les partisans de la perspective de l’investissement social, on ne peut pas laisser les pratiques parentales individuelles décider de l’avenir. Le régime de citoyenneté sociale de l’après-guerre accordait davantage de valeur à la garde à plein temps par les parents seuls qu’à leurs revenus ; le régime de citoyenneté actuel, quant à lui, est sceptique quant à la capacité des parents de donner à leurs enfants le « départ dont ils ont besoin dans la vie », et conseille fortement à ceux-là de suivre des cours sur le rôle parental.

54Ce changement de vision politique affecte également la manière dont les autres formes de care (en particulier les soins aux personnes âgées dépendantes) sont traitées à l’intérieur du régime de citoyenneté. Ici aussi, on cesse de se préoccuper de l’inégalité de genre pour se tourner vers l’octroi de certains soins à ceux qui ne représentent plus « un bon investissement ». On fait appel aux familles et au secteur communautaire pour combler les lacunes laissées par l’absence de services de soins à domicile nécessaires à un nombre croissant de Canadiens âgés. Si les hommes et les femmes participent dans des proportions quasi identiques aux soins aux personnes âgées ayant des problèmes de santé, les conséquences pour les femmes sont beaucoup plus importantes, tant en termes d’effets sur leur propre santé que du point de vue de leurs perspectives de rémunération  [54]. Quand les politiques encouragent – quand elles n’obligent pas – les femmes à quitter leur emploi à un moment stratégique de leur carrière pour fournir des soins aux membres âgés de leur famille, les implications pour elles en termes de revenus et de droits à une pension de retraite sont rarement prises en compte. Pourquoi ? Encore une fois, c’est parce que, dans la perspective de l’investissement social, les adultes ne représentent pas une priorité aussi grande que les jeunes.

Conclusion

55Dans cet article, nous avons montré que le régime de citoyenneté canadien est en train de changer. Dans cette période nouvelle d’investissement social, l’augmentation des dépenses et de la responsabilité de l’État en matière de justice sociale n’a pas entraîné de regain d’attention envers les inégalités de genre. Les conséquences immédiates de ce silence sont multiples. Un régime de citoyenneté dans lequel des droits ne sont essentiellement reconnus que quand ce sont de « bons investissements » est un régime qui ne tient pas compte des besoins d’une immense partie des citoyens, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes, mais particulièrement de femmes puisque ce sont elles qui occupent davantage les emplois à bas salaire et précaires, et qui fournissent toujours la majeure partie des soins informels au sein des familles. Un régime de citoyenneté qui ne tient pas compte des blocages continuels qui barrent le plein accès à la participation, qu’ils résultent du manque de temps des femmes ou du manque de reconnaissance des inégalités structurelles fondées sur le genre, est un régime qui ne fournit pas une pleine citoyenneté. En effet, en axant la définition de l’égalité sur l’enfant, on rend moins visible la nécessité d’actions collectives de la part de citoyens mobilisés pour revendiquer et ainsi utiliser l’État contre toutes les formes de domination, particulièrement la domination exercée par les forces du marché.

56Mais si les inégalités sont moins visibles, elles ne sont pas inévitables. Un régime de citoyenneté est une construction politique, qui peut, dès lors, être construit différemment. La lecture en termes de « nouveaux risques sociaux » et la perspective de l’investissement social laissent ouvert un espace à la revendication. En effet, par bien des aspects l’invisibilité des inégalités de genres dans la période actuelle rappelle la situation de l’après-guerre. Pour les faire sortir de l’ombre maintenant, il va falloir, comme alors, une mobilisation importante de tous les défenseurs de l’égalité. Aujourd’hui, plus que jamais, il est nécessaire d’accéder à des emplois de qualité et à une juste distribution des ressources. Il faut repérer les blocages à leur obtention. Il faut révéler les limites de la perspective de l’investissement social axée sur l’enfant. Pour y arriver, les femmes et leurs alliés doivent réclamer de nouveau l’accès à une participation à la pleine citoyenneté ainsi qu’aux droits sociaux  [55].

Notes

  • [*]
    Département de science politique, Université de Montréal, CP 6128, Succursale Centre-Ville, Montréal QC H3C 3J7, Canada.
  • [1]
    Sandra Burt, « Gender and Public Policy : Making Some Difference in Ottawa », in François-Pierre Gingras (dir.), Gender and Politics in Contemporary Canada, Toronto, Oxford University Press, 1995, p. 86-105 (p. 92).
  • [2]
    L’une des différences marquantes qui ressort d’une comparaison entre l’Union européenne et le Canada, c’est que l’UE a repris – en fait, en innovant – beaucoup des principes de la perspective de l’investissement social sans mettre de côté le discours sur l’égalité de genre.
  • [3]
    Ce concept est élaboré dans Jane Jenson et Susan D. Phillips, « Regime Shift : New Citizenship Practices in Canada », International Journal of Canadian Studies, 14, 1996, p. 111-136. Il est aussi utilisé, entre autres, par Martin Papillon et Luc Turgeon, « Nationalism’s Third Way ? Comparing the Emergence of Citizenship Regimes in Quebec and Scotland », in Alain-G. Gagnon, Montserrat Guibernau et François Rocher (dir.), The Conditions of Diversity in Multinational Democracies, Montréal, IRPP, 2003, p. 315-341.
  • [4]
    Paul Pierson et Theda Skocpol, « Historical Institutionalism in Contemporary Political Science », in Ira Katznelson et Helen V. Milner (dir.), Political Science : State of the Discipline, New York, Norton, Washington (DC), American Political Science Association, 2002.
  • [5]
    Kathleen Thelen, « How Institutions Evolve », in James Mahoney et Dietrich Rueschemeyer (dir.), Comparative Historical Analysis in the Social Sciences, Cambridge (UK), New York, Cambridge University Press, 2003.
  • [6]
    Sylvia Bashevkin décrit en quoi, dans les années 1980, le mouvement des femmes pan-canadien n’est pas, à de nombreux égards, au diapason des mouvements d’autres démocraties anglo-américaines qui font face à des gouvernements néo-libéraux (Sylvia Bashevkin, « Confronting Neo-Conservatism : Anglo-American Women’s Movements under Thatcher, Reagan and Mulroney », International Political Science Review, 15, 1994, p. 275-296).En ligne
  • [7]
    Alexandra Dobrowolsky et Jane Jenson, « Shifting Representations of Citizenship : Canadian Politics of “Women” and “Children” », Social Politics : International Studies in Gender, State and Society, 11 (2), 2004, p. 154-180 (p. 168) ; Pascale Dufour et Isabelle Giraud, « Transnationalisation des mouvements féministes : quels impacts sur la lutte des femmes ? Le cas de la Marche mondiale des femmes », présenté au Colloque international Genre et militantisme, Lausanne, Université de Lausanne, 26-27 novembre 2004.
  • [8]
    Par exemple, dans Wolfgang Streeck et Kathleen Thelen (dir.), Beyond Continuity : Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press, 2005.
  • [9]
    Cette terminologie s’apparente à celle utilisée par Gøsta Esping-Andersen, Duncan Gallie, Anton Hemerijck et John Myles, Why we Need a New Welfare State, Oxford, Oxford University Press, 2002. Cependant, au lieu d’utiliser l’idée du « triangle de la protection sociale » qui comporte l’État, le marché et la famille, nous préférons utiliser l’image du « losange de la protection sociale », qui comporte l’État, le marché, la famille et le secteur communautaire.
  • [10]
    Rianne Mahon et Susan D. Phillips, « Dual-Earner Families Caught in a Liberal Welfare Regime ? The Politics of Child Care Policy in Canada », in Sonya Michel et Rianne Mahon (dir.), Child Care Policy at the Crossroads : Gender and Welfare State Restructuring, New York, Routledge, 2002, p. 191-218 (p. 195).
  • [11]
    Cité dans Leslie Pal, Interests of State, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1993, p. 109.
  • [12]
    Dennis Guest, The Emergence of Social Security in Canada, Vancouver, The University of British Columbia, 2e éd. révisée, 1985, p. 116.
  • [13]
    Héritage des « allocations aux mères », l’aide sociale dispense la mère célibataire de rechercher un emploi parce qu’on considère « sa fonction à la maison comme plus importante socialement que son revenu économique » (Gerald Boychuk, Patchworks of Purpose : The Development of Provincial Social Assistance Regimes in Canada, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1998, p. 37).
  • [14]
    Jane Jenson, « Family Responsibility or Investing in Children : Shifting the Paradigm », Canadian Journal of Sociology/Cahiers canadiens de sociologie, 29 (2), 2004, p. 169-192.
  • [15]
    Sandra Burt, « Gender and Public Policy. Making Some Difference in Ottawa », op. cit., p. 87 ; Jane Jenson et Susan D. Phillips, « Regime Shift : New Citizenship Practices in Canada », op. cit., p. 121.
  • [16]
    Ken Battle, « The Politics of Stealth : Child Benefits under the Tories », in Susan D. Phillips (dir.), How Ottawa Spends 1993-1994 : A More Democratic Canada… ?, Ottawa, Carleton University Press, 1993.
  • [17]
    Sylvia Bashevkin, Women on the Defensive : Living Through Conservative Times, Toronto, University of Toronto Press, 1998, p. 88 ; Laura Macdonald, « Gender and Canadian Trade Policy : Women’s Strategies for Access and Transformation », in Claire Turenne Sjolander, Heather A. Smight et Deborah Stienstra (dir.), Feminist Perspectives on Canadian Foreign Policy, Toronto, Oxford University Press, 2003, p. 40-54 (p. 50).
  • [18]
    En anglais, REAL est l’acronyme de Réel, Égal et Actif pour la Vie. Pour en savoir plus, consulter Jane Jenson et Susan D. Phillips, « Regime Shift : New Citizenship Practices in Canada », op. cit., p. 122.
  • [19]
    Judy Rebick et Kiké Roach, Politically Speaking, Vancouver, Douglas and McIntyre, 1996.
  • [20]
    Jane Jenson et Susan D. Phillips, « Regime Shift : New Citizenship Practices in Canada », op. cit., p. 122.
  • [21]
    Dennis Guest, The Emergence of Social Security in Canada, op. cit., p. 175-176.
  • [22]
    Jane Jenson, « Le nouveau régime de citoyenneté du Canada : investir dans l’enfance », Lien social et Politiques, 44, 2000, p. 11-23 ; Ruth Lister, « Investing in the Citizen-workers of the Future : Transformations in Citizenship and the State under New Labour », Social Policy and Administration, 37 (5), 2003, p. 427-443.
  • [23]
    Dennis Guest, The Emergence of Social Security in Canada, op. cit., p. 175-176.
  • [24]
    John Myles et Paul Pierson, « La réforme des États-providences “libéraux” au Canada et aux États-Unis, ou la revanche de Friedman », Lien social et Politiques, 42, 1999, p. 25-36.
  • [25]
    Keith Banting, « The Social Policy Divide : The Welfare State in Canada and the United States », in Keith Banting, George Hoberg et Richard Simeon (dir.), Degrees of Freedom : Canada and the United States in a Changing World, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1997, p. 267-309.
  • [26]
    Alexandra Dobrowolsky et Jane Jenson, « Shifting Representations of Citizenship : Canadian Politics of “Women” and “Children” », op. cit., p. 178.
  • [27]
    Le Programme d’action communautaire pour les enfants (PACE) fournit des fonds aux programmes communautaires qui ciblent les enfants « à risques » (retards de développement, pauvreté, parents adolescents, mauvais traitements, etc.). Le Programme d’aide préscolaire aux autochtones fournit une éducation centrée sur leur culture et fait appel à l’orthopédagogie. En 1992 également, le gouvernement a annoncé l’Initiative pour le développement de l’enfant, centrée sur les conditions de risque qui menacent la santé et le bien-être des enfants, particulièrement les plus jeunes, et a mis en place le Bureau des enfants.
  • [28]
    Annis May Timpson, Driven Apart : Women’s Employment Equality and Child Care in Canadian Public Policy, Vancouver, UBC Press, 2001, p. 170 ; Jane Jenson, « Family Responsibility or Investing in Children : Shifting the Paradigm », op. cit.
  • [29]
    Linda White, « From Ideal to Pragmatic Politics : National Child Care Advocacy Groups in the 1980s and 1990s », in Susan Prentice, Changing Child Care : Five Decades of Child Care Advocacy in Canada, Halifax, Fernwood, 2001.
  • [30]
    Wendy McKeen, « Writing Women Out : Poverty Discourse and Feminist Agency in the 1990’s National Social Welfare Policy Debate », Canadian Review of Social Policy, 48, 2001, p. 19-33 ; Wanda Wiegers, The Framing of Poverty as « Child Poverty » and its Implications for Women, Ottawa, Status of Women Canada, 2002 (Report in the research programme « Where have all the women gone ? Changing shifts in policy discourses »).
  • [31]
    Rianne Mahon et Susan D. Philips, « Dual-Earner Families Caught in a Liberal Welfare Regime ? The Politics of Child Care Policy in Canada », in Sonya Michel et Rianne Mahon (dir.), Child Care Policy at the Crossroads : Gender and Welfare State Restructuring, New York, Routledge, 2002, p. 191-218 (p. 202 et 214, note 37).
  • [32]
    Gérard Boismenu et Jane Jenson, « A Social Union or a Federal State ? Intergovernmental Relations in the New Liberal Era », in Leslie Pal (dir.), How Ottawa Spends 1998-99. Balancing Act : The Post-Deficit Mandate, Ottawa, Carleton University Press, 1998.
  • [33]
    En plus de la PNE décrite ici, il existe d’autres initiatives pour accroître le revenu des familles monoparentales et les services aux familles à bas revenu : les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants et le Plan d’action national pour les enfants (PANE), qui était la protection générale d’origine pour l’amélioration des services de garde et des services aux personnes atteintes d’un handicap de développement.
  • [34]
    Rianne Mahon, « Early Child Learning and Care in Canada : Who Rules ? Who Should Rule ? », Discussion paper prepared for Child Care for a Change, The National Conference on Child Care in Canada, Winnipeg, 12-14 novembre 2004, wwww. ccsd. ca,p. 4.
  • [35]
    Canada, Moving Forward on Early Learning and Child Care, Agreement-in-Principle between the Government of Canada and the Government of Nova Scotia, 2005, p.  1. www. sdc. gc. ca/ en/ cs/ comm/ sd/ news/ agreements_principle/ index. shtml
  • [36]
    Ibid., p. 304.
  • [37]
    Ken Battle, « Relentless Incrementalism : Deconstructing and Reconstructing Canadian Income Security Policy », in Keith Banting, France St-Hilaire et Andrew Sharpe (dir.), The Review of Economic Performance and Social Progress. The Longest Decade : Canada in the 1990s, Montréal, IRPP et CSLS, 2001, p. 183-229 (p. 190).
  • [38]
    Jane Jenson, « Family Responsibility or Investing in Children : Shifting the Paradigm », op. cit.
  • [39]
    Ken Battle, « Relentless Incrementalism : Deconstructing and Reconstructing Canadian Income Security Policy », op. cit., p. 187. Malgré cela, cependant, le Canada est à la traîne derrière d’autres régimes d’aide sociale libéraux, y compris les États-Unis, pour ce qui est du montant effectivement alloué aux familles avec enfants ; Michael Mendelson, Child Benefits Levels in 2003 and Beyond : Australia, Canada, the UK and the US, Ottawa, The Caledon Institute of Social Policy, 2003, www. caledoninst. org.
  • [40]
    Par exemple, Ramesh Mishra, Globalisation and the Welfare State, Cheltenham, Edward Elgar, 1999 ; Janine Brodie, « The Great Undoing : State Formation, Gender Politics, and Social Policy in Canada », in Catherine Kingfisher (dir.), Western Welfare in Decline : Globalization and Women’s Poverty, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2002.
  • [41]
    Jane Jenson, « Gender and Reproduction : Or, Babies and the State », Studies in Political Economy, 20, 1986, p. 9-46.
  • [42]
    Par exemple, Wendy McKeen, « Writing Women Out : Poverty Discourse and Feminist Agency in the 1990’s National Social Welfare Policy Debate », Canadian Review of Social Policy, 48, 2001, p. 19-33 ; Wanda Wiegers, The Framing of Poverty as « Child Poverty » and its Implications for Women, op. cit.
  • [43]
    Mark Pearson et Peter Scherer, « Balancing Security », OECD Observer, 205, 1997, p. 6-9 (p. 6) ; Giuliano Bonoli, « The Politics of the New Social Policies : Providing Coverage against New Social Risks in mature Welfare States », Policy & Politics, 33 (3), 2005, p. 431-449 ; Jane Jenson et Denis Saint-Martin, « Building Blocks for a New Social Architecture : The LEGO TM Paradigm of an Active Society », Policy & Politics, 34 (3), 2006 ; Peter Taylor-Gooby (dir.), New Risks, New Welfare, Oxford, Oxford University Press, 2004.
  • [44]
    Deena White, « Social Policy and Solidarity : Orphans of the New Model of Social Cohesion », Canadian Journal of Sociology, 28 (1), 2003, p. 51-76.
  • [45]
    Jane Jenson et Denis Saint-Martin, « Building Blocks for a New Social Architecture : The LEGO TM Paradigm of an Active Society », op. cit.
  • [46]
    Peter Taylor-Gooby et ses collègues ont regroupé sous trois catégories les dépenses consacrées aux nouveaux risques sociaux dans toute l’Europe : les services aux personnes âgées et handicapées, les services aux familles, le soutien à la participation au marché du travail. En comparant les niveaux des dépenses de 1980 et de 1999, ils ont trouvé que dans les quatre types de régimes (nordique, corporatiste, libéral et méditerranéen), il y a eu une augmentation des dépenses dans chacune des trois catégories. Même si les taux et les sommes diffèrent, il n’y a pas d’exception à cette tendance (Peter Taylor-Gooby (dir.), New Risks, New Welfare, op. cit., table 1.1, p. 16).
  • [47]
    Par exemple, Gøsta Esping-Andersen, Duncan Gallie, Anton Hemerijck et John Myles, Why we Need a New Welfare State, op. cit.
  • [48]
    Ce résumé est tiré de Alexandra Dobrowolsky et Jane Jenson, « Social Investment Perspectives and Practices : A Decade in British Politics », in Martin Powell, Linda Bauld et Karen Clarke (dir.), Social Policy Review 17, Bristol (UK), The Policy Press, 2005, p. 203-230.
  • [49]
    Jane Jenson, « Le nouveau régime de citoyenneté du Canada : investir dans l’enfance », Lien social et Politiques, 44, 2000, p. 11-23 ; Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), Les enfants pauvres en France, rapport n° 4, Paris, La Documentation française, 2004.
  • [50]
    Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), Les enfants pauvres en France, op. cit., p. 25.
  • [51]
    Alexandra Dobrowolsky et Jane Jenson, « Social Investment Perspectives and Practices : A Decade in British Politics », op. cit. ; Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC), Les enfants pauvres en France, op. cit.
  • [52]
    Gøsta Esping-Andersen, Duncan Gallie, Anton Hemerijck et John Myles, Why we Need a New Welfare State, op. cit., p. 36 ; Peter Taylor-Gooby (dir.), New Risks, New Welfare, op. cit., p. 3.
  • [53]
    Jane Jenson et Denis Saint-Martin, « New Routes to Social Cohesion ? Citizenship and the Social Investment State », Canadian Journal of Sociology, 28 (1), 2003, p. 77-99 (p. 83-84).
  • [54]
    Jane Jenson, Canada’s New Social Risks : Directions for a New Social Architecture, Report F|43, Ottawa, CPRN Inc., 2004, wwww. cprn. org,p. 14-16.
  • [55]
    Cette recherche, qui bénéficie d’une subvention stratégique du CRSH, s’inscrit dans le cadre de travaux sur la cohésion sociale.
Français

Résumé

Les dimensions sociales des régimes de citoyenneté sont actuellement en cours de redéfinition. Les communautés de politiques publiques préconisent un passage de dépenses de protection sociale dites passives à des politiques conçues comme favorisant une « société active » et une « citoyenneté active ». Ces transformations ne se résument pas à un triomphe du néolibéralisme et relèvent de logiques plus complexes. Plusieurs pays reviennent aujourd’hui sur les restrictions budgétaires et les contraintes du néolibéralisme pour adopter une « perspective d’investissement social » visant à contrer les « nouveaux risques sociaux ». Cet article analyse les conséquences de ces changements pour le régime de citoyenneté et les rapports de genre au Canada.

  • Canada
  • Citoyenneté sociale
  • Mouvements de femmes
  • Rapports de genre
  • Régime de citoyenneté
Jane Jenson  [*]
<jane.jenson@umontreal.ca>
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en citoyenneté et en gouvernance, professeure au Département de science politique de l’Université de Montréal. Entre juin 1999 et juin 2004 elle a été directrice du Réseau de la famille des Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques. Elle est aussi directrice de Lien social et Politiques – RIAC, une revue scientifique dans le domaine des politiques sociales. Ses travaux ont été axés ces dernières années sur les politiques sociales. Pour de plus amples informations, voir www.cccg.umontreal.ca.
  • [*]
    Département de science politique, Université de Montréal, CP 6128, Succursale Centre-Ville, Montréal QC H3C 3J7, Canada.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2006
https://doi.org/10.3917/drs.062.0021
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