1La vie aux côtés d’une personne atteinte de maladie grave ou d’un handicap impacte tous les membres de la famille. Ce numéro a été préparé alors que la société n’avait pas encore vécu le confinement. Or ce confinement, dans les situations évoquées dans ce numéro, n’a pas forcément eu les effets attendus. Une famille suivie par un service de soins et d’éducation spéciale à domicile dit à une intervenante que finalement, le confinement, sa famille le vit tous les jours… Avec humour, la mère ajoute : « On est maintenant comme tout le monde. » Elle précise qu’elle avait une longueur d’avance sur la mise en œuvre des mesures pour faire les courses, assurer le quotidien en sortant le moins possible. En effet, le manque d’accessibilité, la fragilité des personnes atteintes de maladie ou de handicap peuvent conduire leur famille à planifier soigneusement les sorties, à anticiper la manière de les organiser et de les mener à bien. Par ailleurs, les pères, souvent moins impliqués dans les soins au quotidien, ont été présents à domicile, ce qui a entraîné des effets contrastés allant d’un resserrement des liens avec l’enfant à une prise de conscience du poids du quotidien pour la mère mais aussi, parfois, à la mise en œuvre de stratégies de fuite. Les frères et sœurs n’ont pas non plus été indifférents au temps passé auprès de la personne gravement malade ou en situation de handicap. Des patients ont douloureusement souffert de la diminution des interventions à domicile ou des soins que leur état nécessite. Les praticiens, en particulier les psychologues, ont dû aussi s’adapter, certains ont expérimenté la consultation en visio, d’autres sont allés à domicile en prenant des précautions telles que cela ne pouvait qu’impacter la rencontre. Dans tous les cas, il a fallu faire face et nul doute que cette expérience apportera des enseignements intéressants sur le plan des théories et des pratiques, mais il est trop tôt pour les analyser aujourd’hui dans ce numéro.
2Depuis quelques années, la diminution du temps d’hospitalisation, le développement des hôpitaux de jour pour les soins ont obligé les praticiens, médecins, paramédicaux, psychologues, psychiatres à prendre en compte la famille au complet. Certes il y a encore davantage de travaux sur les conjoints ou les parents que sur les frères et sœurs et la famille élargie, mais les choses évoluent doucement sur ce point. Cette situation a conduit les psychanalystes, les psychologues à faire évoluer leurs pratiques et aussi les théories. En effet, après avoir ignoré longtemps la problématique de l’accompagnement des patients et de leur famille en cas de maladie grave et de handicap, ils ont, ces dernières années, avancé des propositions théoriques et imaginé des dispositifs de soutien psychologique qui ont de plus en plus de place dans les dispositifs hospitaliers et extra-hospitaliers. Ceci même si des progrès restent à faire. En effet, par exemple, depuis les travaux de Ginette Raimbaud (1975) notamment, on comprend mieux les raisons qui font que les adultes, parents et professionnels, ne parlent pas à l’enfant de sa maladie, de ses déficiences, raisons qui sont multiples : difficulté à formuler ce qu’ils veulent, souhaitent dire ; crainte de ne pas être compris ; imaginer, sans y croire, que l’enfant ne sait pas et qu’il ne faut pas l’inquiéter ; réticence à lui avouer qu’on n’a pas de réponse à ses questions… Or, nous savons maintenant que pour que le travail de pensée soit possible pour l’enfant atteint et ses pairs, il faut que les parents en aient donné, auparavant, l’autorisation. Nous savons aussi la complexité du sentiment de culpabilité des adultes comme des enfants dans ces situations-là et les fonctions du déni – partagé ou pas – qui peut être temporairement protecteur et devenir traumatisant s’il ne peut, à un moment, se transformer en une réalité subjectivable individuellement et groupalement. Les théoriciens, les praticiens du couple et de la famille s’intéressent de plus en plus à ces situations et proposent des dispositifs allant du soutien psychologique à la thérapie faite au lit du malade et parfois aussi à son domicile.
3Ces pratiques sont tellement diverses et créatives qu’il n’était pas possible de toutes les évoquer dans ce numéro, aussi notre idée était de donner au lecteur des outils pour penser ces situations et les dispositifs de soutien psychologique à proposer. Un article sur cette thématique paraîtra en rebond dans le numéro suivant (un autre, « Il était une fois la mort », est paru dans Dialogue 228).
4L’objectif de la revue est de donner au lecteur des éléments pour qu’il comprenne mieux ce qui se passe pour un groupe familial, un couple quand l’un de ses membres, enfant, adolescent ou adulte, est atteint d’une maladie, d’une déficience grave pouvant entraîner la mort dans certains cas ou des déficiences plus ou moins temporaires. Les scènes dans lesquelles ces situations existent, se déploient, sont celles de l’hôpital, des établissements spécialisés mais aussi celle du domicile.
5Dans la famille, chacun réagit, comprend et vit de manière différente la situation selon son âge, sa position dans la famille, la manière dont le milieu soutient ou, au contraire, aggrave encore les difficultés. La personne malade ou en situation de handicap n’est évidemment pas indifférente à ce qu’elle fait vivre à ses proches, qu’il s’agisse d’apprendre à faire avec les déficiences ou d’appréhender la mort, la vivre et continuer à vivre individuellement et groupalement après le décès. L’irruption de la maladie, du handicap, ainsi que le pronostic s’inscrivent dès lors dans l’histoire, la culture du couple, de la fratrie, de la famille restreinte et de la famille élargie. Les effets de cette situation sur chacun dépendent évidemment de l’histoire, de la personnalité, des caractéristiques de l’individu et de ses groupes d’appartenance. Toutefois, la manière dont le milieu environnant, médical ou pas, entoure, soutient, rejette, accueille le groupe familial et chacun de ses membres a un impact majeur sur ce qu’ils vivent. Ainsi, la boulangère qui demande des nouvelles peut avoir un effet thérapeutique, celle qui détourne le regard car elle est gênée et ne sait que dire peut aggraver encore la souffrance de la personne atteinte et de ses proches.
6Ce numéro met le focus sur la vie en famille dans ces situations particulières et évoque aussi ce qui se passe dans les milieux de soins confrontés à ces patients qui ne vont pas guérir, qui vont pour certains mourir et parfois souffrent beaucoup physiquement. À partir de l’expérience d’acteurs de terrain du secteur médical, médico-social et de travaux de recherche, ce numéro permettra d’évoquer les processus en jeu et les aides en matière d’accompagnement et d’interventions psychothérapeutiques individuelles et groupales. Le lecteur aura ainsi un aperçu de ce qui se fait en matière de pratiques et aussi de recherches dans ce domaine.
7Jérémie Mallet étudie, à partir de sa clinique en oncologie pédiatrique, la manière dont l’enfant atteint de cancer parle de sa maladie, et notamment de ce qu’il en comprend dans le regard de ses parents. Delphine Bonnichon évoque quant à elle le suivi psychothérapeutique d’un adolescent cérébrolésé et analyse la manière dont l’angoisse de mort envahit les relations parents-enfant.
8Du côté du couple, Hélène Riazuelo évoque le vécu des conjoints de personnes atteintes de maladie rénale chronique et amène à considérer tout l’intérêt de leur suivi psychothérapeutique au sein des services hospitaliers. Justine Reny analyse la prise en charge du couple lorsque l’un des conjoints est en fin de vie et montre comment la prise en considération de l’intimité du couple peut et doit s’envisager au sein de l’équipe soignante d’un service de soins palliatifs. Toujours dans la réflexion sur le couple, Sophie Boursange et Marcela Gargiulo rendent compte d’une recherche exploratoire qualitative portant sur les répercussions de la maladie neuromusculaire d’un des partenaires sur le couple ; à partir de l’étude de trois situations cliniques, les auteures montrent à quel point le couple peut être ébranlé par l’irruption de la maladie et insistent sur la nécessité que les soignants puissent offrir au couple un espace d’écoute et de parole dès l’annonce de la maladie.
9Sandrine Guilleux-Keller et Karin Aubry étudient les enjeux théoriques et cliniques de la prise en charge groupale d’une famille ayant vécu le deuil d’un enfant et mettent en valeur l’évolution positive de la dynamique individuelle de chacun des membres de la famille et de la dynamique familiale en elle-même. Enfin, Magalie Bonnet-Llompart et Alexandra Laurent étudient, à partir d’une situation clinique, la manière dont l’histoire et les liens familiaux sont bouleversés par la maladie grave : les auteurs analysent la complexité des liens d’une fratrie confrontée à la maladie d’Alzheimer d’un parent.
10Hors dossier, Christina Alexopoulos-de Girard présente un article au joli titre : « L’homme qui traversa deux fois le désert : penser l’exil dans son articulation à la parentalité interne ». Cette auteure évoque la thérapie d’un homme rencontré dans un centre d’hébergement, maltraité durant son enfance. La thérapeute analyse les mécanismes qu’il met en place pour ne pas reproduire sur ses enfants les violences qu’il a lui-même subies. Le travail thérapeutique se focalise sur la restauration de ses capacités de contenance et de transformation dans une clinique du lien intersubjectif et intrapsychique. Ensuite, Elena Blacioti évoque le processus de « déparentification » et la manière dont il peut advenir dans le cadre d’une thérapie individuelle. Dans ce contexte de thérapie, la déparentification met en évidence une parentalité précoce construite sur du vide ou à partir du négatif de la parentalité, faisant penser à une parentalité défensive d’emprunt, réparatrice, compulsive et agissante. Enfin, ce numéro se termine par un article d’Adama Ouedraogo qui, à partir d’un travail de recherche par entretiens auprès de jumeaux, de parents de jumeaux et d’acteurs associatifs, médicaux et religieux (94), s’intéresse à la représentation des jumeaux au Burkina Faso et au Sénégal. Les principaux résultats indiquent que le jumeau subsaharien demeure un être « extraordinaire », au carrefour de plusieurs mondes culturels ; ils indiquent aussi qu’il est moins craint et moins menacé de nos jours mais peut-être plus exposé qu’autrefois par une mendicité chronique de la mère.