CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Ce n? 202 de la revue Dialogue est le deuxième d’une suite de trois numéros consacrés aux questionnements sur le genre, les fonctions des hommes et des femmes dans diverses figures des familles contemporaines. Il se situe donc « entre » et témoigne, à ce titre, aussi bien des spécificités de chaque configuration familiale que des réalités communes et partagées de ces modèles. « Entre », c’est ce qui se tient dans l’espace (ou le temps) qui sépare, ou encore ce qui se tient au milieu. C’est aussi ce qui appartient à la sphère intime de l’entre-soi, à ce qui est partagé – entre père et mère, entre pères, entre mères.

2Ce numéro est aussi l’écho d’un colloque tenu en mars 2012 à l’université d’Angers, organisé par les cliniciens du département de psychologie, dont certaines communications se sont transformées en articles. Il est l’aboutissement d’une réflexion sur la filiation, sur les différentes formes de « faire famille » et sur les effets sur la parentalité et les liens familiaux. Les bouleversements actuels de notre société en crise influent sur l’organisation des liens familiaux et conduisent à nous interroger sur ce qui se joue aujourd’hui entre pères et mères, sur la façon dont les figures paternelles et maternelles viennent se dialectiser et permettre à l’enfant d’advenir. Autrement dit, il s’agit de comprendre ce qui relie, ce qui rassemble, ce qui unit au sein de la famille, comme ce qui différencie, ce qui oppose et sépare. Le dialogue que ces deux figures peuvent ou non entretenir questionne les modalités selon lesquelles se construisent et s’organisent la fonction parentale et les différents modèles parentaux qui cohabitent dans la société actuelle – pères et mères pluriels, singuliers ou absents – et viennent parfois rompre avec les formes traditionnelles de la parentalité.

3Dans ce numéro, à partir du fragment de l’analyse d’une jeune femme, Lissy Canellopoulos met en valeur la dimension signifiante de la phobie comme symptôme et sa place particulière dans l’économie subjective. Elle tente ainsi de relier la phobie à une défaillance du signifiant du père réel à laquelle vient suppléer l’objet phobique. Le symptôme phobique se présente alors, selon elle, comme un appel au père réel. Ensuite, Emmanuel Gratton montre que la paternité gay s’est tout d’abord émancipée du modèle bioconjugal de la famille, puis s’est affranchie d’un destin homosexuel. Écoutant individuellement ou en groupe, lors d’une recherche, des hommes ayant eu recours à la gestation pour autrui, il cherche à comprendre leurs motivations et les enjeux que ce mode d’accès à la parentalité représente pour eux. Ce faisant, il s’intéresse à la nature de l’alliance qui s’opère entre pères gays et mères porteuses. À partir d’un cas clinique retraçant l’histoire d’un petit garçon de 5 ans et de sa maman homosexuelle, Julie Sauvêtre montre qu’il peut être difficile pour le parent d’aborder une conjugalité complexe dans l’histoire de l’enfant. Ce cas montre que, lorsque la question des origines reste confuse, peuvent s’instaurer des difficultés de construction identitaire chez l’enfant. C’est à l’enfant adopté que Claudine Veuillet-Combier s’intéresse pour évoquer la manière dont se structure et s’organise sur le plan imaginaire le dialogue entre les figures parentales plurielles chez cet enfant-là. À partir de l’exemple clinique de Lisa, elle montre que lorsque l’histoire vécue devient racontable, elle permet la conciliation des figures parentales multiples et permet de renouer avec un principe de continuité fondateur de l’identité. Ce dossier se termine par un article de Jacques Dayan concernant la destinée psychique dans la filiation dont il fait l’hypothèse qu’elle s’origine pour une part dans les fantasmes maternels. Il argumente en évoquant la spécificité des états psychiques maternels autour de la naissance. Il discute de l’universalité des remaniements psychiques précoces, que la naissance se passe ordinairement ou qu’elle s’assortisse de toubles qui peuvent aller jusqu’aux manifestations délirantes.

4Dans les articles hors dossier, Élodie Regnoult évoque les parents non statutaires qui cherchent à se faire reconnaître auprès de leur entourage et de la société à travers diverses stratégies. Les espaces sociaux (espace de vie commune, espace scolaire, espace médical) peuvent alors servir d’appui à cette reconnaissance. Analysant un matériau constitué d’une dizaine d’entretiens compréhensifs, elle montre que les espaces privés et publics peuvent être le cadre de pratiques reconnues comme parentales et être mobilisés dans le discours comme lieux d’exercice légitime et légitimant d’une relation de parentalité. À propos du cas de Clémentine, jeune fille anorexique, Manon Rivière et Marion Haza proposent une réflexion sur la question de l’élaboration subjective du rapport à l’autre familial au sein d’un dispositif d’hospitalisation. Elles montrent que le cadre de soin vient faire émerger une élaboration des relations objectales de la patiente, favorisant un questionnement sur ses relations à ses parents, à sa sœur et au groupe. Enfin, Véronique Rouyer, Marie Huet-Gueye et Amandine Baude proposent une réflexion sur le vécu et les besoins des enfants confrontés à la séparation ou au divorce de leurs parents. Elles défendent l’idée que la relation coparentale apparaît comme un facteur prépondérant qui devrait faire l’objet d’une attention particulière de la part des professionnels dans leur travail d’accompagnement auprès des familles.

5Ainsi, dans ce numéro, le lecteur pourra constater à quel point la clinique et la psychopathologie de la famille contemporaine suscitent une réflexion sur la théorie et sur les pratiques riche et exigeante. En effet, le chercheur et le praticien doivent pouvoir s’appuyer sur un cadre théorique fondé en restant ouverts aux interrogations qui émergent d’une clinique qui se doit de repérer les normes et leurs évolutions. La tension entre les convictions, l’idéologie et le positionnement scientifique doit pouvoir faire émerger la créativité dans la recherche comme dans la pratique clinique.

Emmanuel Gratton [*]
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    Emmanuel Gratton, psychologue et sociologue clinicien, maître de conférences en psychologie sociale clinique, membre du laboratoire de recherche des Pays-de-la-Loire, université d’Angers ; emmanuel.gratton@univ-angers.fr
Régine Scelles [**]
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    Régine Scelles, psychologue clinicienne, professeur de psychopathologie à l’université de Rouen, Laboratoire Psy-nca ; scelles@free.fr
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
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Mis en ligne sur Cairn.info le 21/11/2013
https://doi.org/10.3917/dia.202.0007
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