1Ce numéro se centre sur les pratiques du soin psychique à domicile qui concernent les sujets, les groupes en souffrance psychique à tous les âges de la vie. Ces pratiques cliniques ont connu, ces dernières décennies, un développement suffisamment notable pour qu’il soit important de réfléchir aux évolutions théoriques et cliniques qui les sous-tendent et de s’interroger sur les enjeux spécifiques qui les traversent.
2Si les pratiques à domicile ont toujours existé pour les professions médicales ou pour les assistantes sociales, les pratiques du soin psychique à domicile sont plus récentes ; elles se sont développées dans certains secteurs comme celui du handicap, de la grande dépendance, et se trouvent en revanche menacées dans le secteur de la psychiatrie adulte, comme le souligne l’article de Jean Furtos. Le développement des pratiques du soin psychique à domicile s’inscrit dans un large mouvement que l’on peut lier, en France, à la politique de secteur initiée, dans le champ de la psychiatrie, avec la loi de 1960 sur la sectorisation des soins psychiatriques et la remise en cause du modèle asilaire de la prise en charge des troubles psychopathologiques. Ce mouvement de désinstitutionnalisation, qui croise également les thèses du mouvement de l’antipsychiatrie (en Italie, en France, mais aussi en Amérique du nord et au Canada), va se déployer bien au-delà du champ des soins psychiatriques pour devenir le modèle à partir duquel l’ensemble des pratiques sanitaires et sociales vont trouver à se modéliser. Les pratiques à domicile se sont aussi développées considérablement dans le secteur de la petite enfance, du handicap et de la maladie grave. L’essor des services de soins et d’éducation à domicile pour enfants et adolescents, les services dits « de suite », les récents placements à domicile des enfants vivant dans des familles en grande difficulté conduisent de plus en plus souvent le psychologue, le psychiatre, plus généralement le professionnel du soin psychique à se rendre à domicile, seul ou dans la majorité des cas accompagné.
3Malgré cet état de fait, encore aujourd’hui le soin psychique proposé à domicile ne fait l’objet que de peu d’écrits. Or, tout travail à domicile suppose la prise en compte de l’intime de la famille, le travail avec l’espace de vie, de pensée d’un groupe ; c’est pourquoi Dialogue a souhaité proposer un numéro permettant à ses lecteurs et aux praticiens travaillant à domicile de trouver des repères théoriques, éthiques et pratiques pour construire leur pratique, l’objectif étant également d’ouvrir sur le déploiement d’une pensée réflexive sur ce thème.
4Le développement des pratiques de soin à domicile a un effet majeur sur l’organisation du secteur éducatif, sanitaire et social, introduisant un bouleversement dans le paysage institutionnel [1] : création de services extérieurs, de consultations ambulatoires, de dispositifs d’accompagnement de milieu ouvert, en bref, d’institutions hors les murs… Ces modifications de structure s’accompagnent d’un changement de paradigme dans la conception même du soin (ce terme étant à entendre ici dans le sens très large du « prendre soin ») : là où, depuis les origines, les institutions de prise en charge éducative, sanitaire et/ou sociale reposent sur le modèle de l’internat, qui peut être défini en référence à une continuité de l’accueil des personnes concernées par les soins, les nouvelles pratiques hors les murs reposent sur la discontinuité de l’accueil et de l’intervention des professionnels. Plus encore, on entend bien que c’est la notion même d’accueil qui se trouve transformée, « retournée », pourrait-on dire, au décours des pratiques à domicile qui découlent de ce changement de paradigme [2]. En effet, ce ne sont plus les personnes bénéficiaires de soins qui se trouvent accueillies par des professionnels dans des institutions qui leur assurent, outre les soins, le gîte et le couvert, ce sont ces mêmes bénéficiaires des soins qui vont accueillir, à domicile, les professionnels… sachant que par « domicile » on entend en général tout lieu de vie ordinaire du sujet : lieux d’éducation scolaires et préscolaires pour les enfants ou les adolescents, lieu de travail pour les adultes, lieux de loisirs pour tous…
5À partir de là, il devient indispensable de s’interroger sur l’effet de ce changement de paradigme sur les pratiques cliniques et de tenter de situer les enjeux des évolutions, tant au regard des professionnels qu’au regard des institutions auxquelles ils se réfèrent. Deux éléments apparaissent d’emblée comme cruciaux au travers de ce changement de paradigme : d’une part, du point de vue des professionnels, la nécessité de se déloger des repères liés à des pratiques que l’on pourrait nommer « classiques », référées à l’institution et à ses murs, et d’autre part, du point de vue des personnes accueillies, la nécessité de composer avec la rencontre de l’intimité (des intimités) à laquelle convoque la pratique à domicile (ou dans tout lieu de vie ordinaire des sujets). On le verra, les pratiques à domicile mobilisent en effet une double renégociation des liens, avec l’institution et avec les personnes accueillies.
6Par ailleurs, si dans le cabinet de consultation, dans l’institution n’est présent qu’un cercle restreint de personnes, réduit le plus souvent au seul patient face au professionnel, à domicile le professionnel rencontre des sujets dont la présence est fortuite ; il peut juger ces présences indésirables ou nuisibles, mais il se doit de les prendre en compte et de travailler avec et sur leur réalité. Le travail à domicile pose de manière particulièrement stimulante la question de l’environnement matériel de la rencontre et de ses effets sur la façon dont le psy parviendra à prendre soin du ou des sujets sans être ni se sentir intrusif ou intrusé.
7Compte tenu de la diversité des situations dans lesquelles le psy peut être amené à travailler à domicile ou sur un lieu de vie ordinaire du sujet ou du groupe, la revue ne pouvait que solliciter des auteurs intervenant dans des cas de figure fort différents, avec aussi des missions diverses. Toutefois, il ne s’agissait pas de faire un inventaire à la Prévert des interventions, mais de trouver le fil rouge traversant toutes ces pratiques. Ce fil rouge est de l’ordre de la théorie, de la réflexion sur les fonctions et la construction du cadre, sur l’éthique de la relation ou encore sur le contretransfert et la manière de travailler avec et sur ses effets. Évidemment, chacun dans son champ d’intervention, tous les auteurs posent les limites et les intérêts du soin psychique à domicile et soulignent la dimension groupale de cette intervention, qui implique la mise au travail de théories relatives aux liens dans ses rapports avec la vie psychique du sujet et des soignants.
8Ce numéro s’ouvre sur trois articles développant des considérations générales sur les spécificités de ce travail psychique. E. Djaoui, sociologue, évoque la nature du domicile et son statut paradoxal dans le contexte social actuel. Ensuite, J.-J. Rossello propose une modélisation des pratiques à domicile, du point de vue du travail de l’équipe, et P. Roman, lui, se centre sur le point de vue de l’institution.
9Ensuite, à partir de différentes expériences cliniques, des auteurs interrogent les enjeux des pratiques à domicile. Tous les âges de la vie sont concernés dans des contextes de problèmes sociaux, de handicap, de maladie ou encore de troubles psychiques. M. Barraco-de Pinto et M.-A. Amado évoquent l’intérêt et les indications du travail à domicile dans le cadre du soin au lien mère-bébé. É. Buisson et C. Collier-Bordet ainsi que C. Foulquier travaillent, elles, avec des enfants et des adolescents avec une mission qui conjugue de manière complexe interventions de soin psychique et éducation. C. Caleca et É. Jonchères-Weinmann exposent et mènent une réflexion critique sur les interventions à domicile auprès des personnes âgées. Enfin, en s’appuyant sur l’évocation du travail en binôme psychiatre/infirmier, J. Furtos montre que tout travail à domicile suppose la mise en œuvre d’une grande finesse clinique et impose une souplesse dans le contenu et la temporalité des interventions. Comme quasiment tous les auteurs de ce numéro, il termine son article en affirmant que, si le travail à domicile prend du temps, il est de toute évidence indispensable pour certains patients. Cette constatation faite, il regrette que ces pratiques dans la période actuelle ne puissent se déployer comme il le faudrait faute de moyens financiers et de personnel suffisant.
10Hors dossier, à partir de cas cliniques, M. Dupré la Tour traite de la thématique du narcissique et de l’objectal en thérapie de couple. Elle y montre que la crise dans le couple peut être un moment de désétayage. Ensuite, à partir d’un travail de recherche, I.-L. Hertzog, sociologue, parle de la manière dont les femmes parviennent avec plus ou moins de difficultés à gérer leur vie professionnelle et le fait d’être impliquées dans un protocole de fécondation in vitro. Enfin, C. Pascal, M. Spiess et A. Thevenot évoquent l’expérience de passivité et les affects d’angoisse dans le temps de la grossesse.
Notes
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[1]
On ne peut méconnaître, bien sûr, la place des motifs économiques dans le choix de privilégier aux dispositifs du modèle asilaire des dispositifs de secteur : les démarches de redéploiement d’établissement de type internat sous la forme de services hors les murs sont réalisées, au mieux, à moyens constants, tout en se proposant d’élargir l’offre d’accueil, c’est-à-dire de répondre à des besoins jusque-là peu servis…
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[2]
On peut se référer, sur ce point, à l’ouvrage de P. Fustier : Le lien d’accompagnement : entre don et contrat salarial (Dunod, 1999) qui met en évidence la spécificité des postures cliniques selon les dispositifs institutionnels dans lesquels s’inscrivent les pratiques cliniques.