CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Les sanctions scolaires sont des objets de réflexion familiers aux philosophes, pédagogues, moralistes et juristes. Elles suscitent aussi des débats politiques opposant souvent les partisans d’une « tolérance zéro » à ceux favorables à une approche plus compréhensive intégrant l’erreur dans tout processus éducatif. Ces débats ne sont pas spécifiquement français. Aux États–Unis, les poli– tiques de tolérance zéro, promues depuis les années 1990, ont été large– ment mises en cause par la recherche (Johnson et al., 2001 ; Stinchcomb et al., 2006). Depuis 2012, une initiative conjointe des départements de la justice et de l’éducation intitulée Supportive School Discipline Initiative a pour objet le développement de politiques et de pratiques disciplinaires priorisant le maintien des élèves à l’école et favorisant un environnement d’apprentissage valorisant.

2 En France, après un siècle durant lequel les questions de discipline ont été relativement délaissées, les textes réglementaires se sont multipliés depuis 2000, pour encadrer juridiquement les pratiques. Les recherches et débats relatifs aux sanctions scolaires, centrales dans le quotidien des élèves et des établissements (Grimault–Leprince, Merle, 2008 ; Debarbieux, Moignard, 2018), indiquent la nécessité d’une approche sociologique fondée sur une connaissance objectivée des pratiques professorales et de leur réception par les élèves.

3 L’intérêt d’une investigation sur les liens entre sanctions scolaires et sentiments d’injustice des élèves tient notamment au fait que ceux–ci « attaquent la relation pédagogique en son cœur » (Desvignes, Meuret, 2009) et réduisent le sentiment de bien–être (Meuret, Marivain, 1997). Pour ces raisons, il est essentiel de connaître la fréquence de ces sentiments d’injustice ainsi que leurs motifs et les situations qui les suscitent. Outre son intérêt scientifique, une telle analyse présente un intérêt pour la formation des enseignants. Savoir que certains types de sanctions sont susceptibles de favoriser les sentiments d’injustice des élèves autorise une réflexion sur les pratiques punitives des profes– seurs, la légitimité de celles–ci et les conceptions de l’autorité mises en œuvre souvent de façon implicite. Si le professeur ignore les moda– lités de réception des sanctions par les élèves, leur finalité éducative (Prairat, 2002) se perd et le risque de passage à la violence est accru (Caillet, 2006 ; Bègue, 2009).

4 Les sentiments d’injustice des élèves ont déjà fait l’objet d’analyses. Dès 1991, Dubet (1991) notait l’existence fréquente d’un sentiment d’in– justice lié à des attitudes et comportements interprétés par les élèves comme des « manques de respect ». Dubet (2009) a mentionné ultérieu– rement des sentiments d’injustice liés notamment au non–respect du principe d’égalité de traitement et à l’absence de réciprocité des droits.

5 Pour la question spécifique des sanctions, les sentiments d’injustice sont susceptibles d’être expliqués par deux catégories de variables. Les premières sont les variables individuelles, notamment l’origine sociale, le sexe et l’âge. Les deuxièmes mesurent des spécificités du contexte. Un des enjeux de la recherche est de connaître comment ces deux catégo– ries de variables contribuent à la formation des sentiments d’injustice des élèves.

6 Dans le domaine éducatif, la variable contextuelle la plus souvent étudiée est la composition sociale de l’établissement (school mix dans la littérature anglo–saxonne), probablement parce qu’elle présente moins de difficultés de mesure que les autres variables contextuelles telles que les pratiques des enseignants dans le quotidien des classes. Dès 1966, Coleman montrait que tous les élèves, spécifiquement les plus faibles, progressaient davantage lorsqu’ils étaient scolarisés dans des écoles publiques au recrutement social favorisé. Cet effet du contexte social a été largement montré. Cependant, dans les analyses quantita– tives, il semble globalement limité tant sur les progressions des élèves que sur leur expérience scolaire (Duru–Bellat et al., 2004). Un état récent de la littérature montre toutefois l’importance du contexte de scolarisa– tion, notamment des pratiques enseignantes et des interactions dans la classe, sur le bien–être des élèves (Baudoin, Galand, 2021). Cet état de la littérature conforte les recherches antérieures (Grisay, 1997 ; Dubet et al., 1989 ; Carra, 2009) et montre que l’effet établissement ne se limite pas à la seule composition sociale.

7 L’analyse des liens entre les sanctions scolaires et les sentiments d’in– justice des élèves est un objet de recherche relativement nouveau. Il résulte d’un long processus socio–historique qui, d’une part, a remis en cause la conception naturaliste de la sanction qui prévalait jusqu’au XVIe siècle et, d’autre part, est lié à l’émergence de l’élève comme sujet de droit. Cette double révolution conceptuelle, au fondement de cet objet de recherche, est analysée dans la première partie de l’article. Les parties suivantes sont consacrées à l’étude des déterminants sociaux des sentiments de justice à l’égard des sanctions scolaires. Les princi– paux résultats de l’analyse statistique autorisent in fine une réflexion plus large sur la construction de l’ordre scolaire.

Élèves et sanctions scolaires : une double révolution conceptuelle

De la correction corporelle à l’émergence du sujet de droit

8 De l’Antiquité jusqu’au XVIe siècle, au sein de la famille et dans le quotidien scolaire, l’éducation est ordi– nairement associée à l’idée du châtiment corporel, conformément à l’aphorisme latin Qui bene amat, bene castigat (« Qui aime bien châtie bien »). Sur veiller et punir l’élève jugé déviant est historiquement indis– sociable du projet éducatif de l’école et conforme au principe général d’organisation des institutions étatiques (Foucault, 1975). Pour carac– tériser cette longue période, Joël Le Savoureux (1911), dans son article publié dans le dictionnaire pédagogique de Buisson, écrit : « Le souf– flet paternel est le commencement de la pédagogie. Ce procédé primitif reçut de bonne heure un perfectionnement par l’emploi de la verge, qui demeura pendant des siècles l’attribut de l’éducation, comme le sceptre est l’attribut du pouvoir monarchique […]. L’idée d’améliorer apparaît généralement associée à l’idée de châtier. »

9 Au cours de cette longue période, la correction corporelle n’est pas seulement une sanction, elle est aussi un procédé didactique. L’apprentissage est censé être favorisé par la douleur physique de l’élève qui doit, conformément à une conception religieuse du monde, expier sa faute. Le double sens du mot correction–le châtiment et l’erreur corrigée – repose sur la conception d’un enfant–élève naturellement mauvais et nécessairement bonifié par la sanction corporelle. Dans ce paradigme éducatif, il ne peut exister de sentiments d’injustice tant le châtiment corporel est par construction rédempteur.

10 L’efficacité pédagogique de la punition corporelle est remise progressive – ment en cause, en particulier dans le cadre scolaire, dans le Programme et règlement des études de la Société de Jésus (Ratio studiorum, 1599), texte de référence de la pédagogie jésuitique. Dès la fin du XVIe siècle, le Ratio studiorum recommande un usage limité des châtiments corpo– rels. Dans son organisation, le collège jésuite a substitué le principe cardinal de l’émulation à la traditionnelle punition corporelle. Cet usage limité du châtiment corporel tient à l’émergence d’une nouvelle conception de l’enfant liée à l’influence des idées de la Renaissance. La correction corporelle perd son statut de procédé didactique. De façon complémentaire, le Ratio studiorum (1599) indique, de façon détaillée, les différentes modalités de correction des écrits des collégiens et la nécessité de les motiver, non plus par la crainte du châtiment, mais par une concurrence perpétuelle entre élèves (Durkheim, 1990).

11 Au début du XVIIIe siècle, Jean–Baptiste de la Salle, fondateur des Frères des Écoles Chrétiennes, précise dans le règlement sur La conduite de l’école des Frères que : « Les frères auront toute l’attention et la vigilance possible sur eux–mêmes pour ne point punir leurs écoliers que rare– ment, persuadés qu’ils doivent être, que c’est un des principaux moyens pour bien régler leur école, et pour y établir un très grand ordre » (La Salle, 1768, 32). Cette règle, relative à la « manière dont les frères doivent se comporter dans les corrections qu’ils pourront faire à leurs écoliers », prolonge la révolution jésuitique. Le châtiment corporel, conçu depuis l’Antiquité comme indispensable à l’éducation et l’instruction des élèves–enfants, est désormais considéré contraire au maintien de l’ordre scolaire. Toutefois, cette condamnation du châtiment corporel ne remet nullement en cause la nécessité de la punition, procédé éducatif jugé indispensable aux apprentissages scolaires. La Salle définit celle–ci comme « tout ce qui est capable de faire sentir aux enfants la faute qu’ils ont faite, tout ce qui est capable de les humilier, de leur donner de la confusion, […] un certain froid, une certaine indifférence, une priva – tion, une humiliation, une destitution de poste… » (La Salle, 1819, 187).

12 Les écrits de Jean–Jacques Rousseau et Pestalozzi, ainsi que la Révolution française, vont confirmer le changement paradigmatique initié dans les collèges jésuites. En 1795, le Comité d’instruction publique adopte un texte indiquant que « Toute punition corporelle est bannie des écoles primaires ». Cette proscription est reprise dans le Statut sur les écoles primaires élémentaires communales (25 avril 1834). Ce statut généra– lise les conceptions pédagogiques nouvelles des collèges jésuites et de l’École des frères. Le 24 avril 1838, l’arrêté relatif à la tenue des salles d’asile, première forme d’école maternelle, adopte le même principe [1]. Le châtiment corporel, antérieurement jugé bénéfique à l’élève, est devenu un délit. Le respect de l’intégrité physique de l’élève constitue une des dimensions d’un nouveau statut juridique qui va progressive– ment s’affirmer.

13 Au cours du XIXe siècle, si les châtiments corporels sont progressive– ment réduits, les sanctions demeurent l’ordinaire des classes (Krop, 2008). Elles sont aussi fréquentes que contestées. À titre d’exemple, dans son Histoire du lycée de Montpellier, Louis Secondy (1988) recense, pour le seul premier trimestre de l’année 1877, un nombre considérable de retenues, privations de promenade, privations de sortie, exclusions [2]. La plus célèbre des révoltes est celle, en 1883, des élèves du lycée Louis le Grand associée à une décision jugée injuste par les lycéens (Lec, Lelièvre, 2007). Cette révolte opposa 300 élèves « insurgés » à 60 agents de police. Les dégâts matériels ont été considérables. De 1870 à 1888, plus d’une centaine de révoltes sont comptabilisées dans la centaine de lycées de cette période. À partir du règlement du 29 décembre 1888, pour en réduire l’usage et l’arbitraire, un contrôle des exclusions temporaires supérieures à trois jours relève de l’autorité de l’inspecteur d’académie. L’agitation récurrente des collégiens et lycéens explique l’importance de l’article consacré aux punitions dans le dictionnaire Buisson (1911).

14 Au cours du XXe siècle, la poursuite de la réflexion sur les sanc – tions scolaires est également un long processus. Il est particulière – ment à l’œuvre dans la pédagogie nouvelle mise en œuvre et diffusée par Célestin Freinet dans les années 1920–1930 et synthétisée dans les années 1960 sous la forme des «invariants pédagogiques». Ceux–ci vulgarisent de nouvelles conceptions de la punition scolaire et de l’élève : « Personne, ni enfant ni adulte, n’aime le contrôle et la sanction qui sont toujours considérés comme une atteinte à sa dignité, surtout lorsqu’ils s’exercent en public » (invariant no 18), « Les punitions sont toujours une erreur. Elles sont humiliantes pour tous et n’aboutissent jamais au but recherché » (invariant no 23) (Freinet, 1964).

15 Il faut attendre la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 pour que le statut juridique de celui – ci soit sensiblement modifié. La convention stipule que les États membres « garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant » (art. 12). La loi d’orientation sur l’éduca– tion du 10 juillet 1989, dite loi Jospin, traduit par anticipation les conclu – sions de la Convention internationale des droits de l’enfant. L’article 10 de cette loi indique : « Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression». Pour Françoise Dekeuwer– Défossez (1998), la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant tend à délaisser une approche centrée sur la situation juridique de l’enfant et à favoriser l’émergence d’un enfant, sujet et non plus objet de droits, dont les avis seraient pris en compte dans les décisions le concernant.

16 Ce long processus socio–historique relatif aux conceptions de la sanc– tion, de l’enfant et de l’élève a permis l’émergence de sa parole en tant que sujet de droit dans la classe et dans diverses instances de l’insti– tution scolaire. La légitimité juridique de la parole de l’élève est au fondement de la genèse des recherches sur leur expérience subjective, notamment leurs sentiments d’injustice.

Nouvelles conceptions, nouvel objet de recherche

17 Malgré leur fréquence élevée dans le quotidien de la classe, les sanctions ont fait l’objet d’une quantifi– cation tardive et rudimentaire (Prum, 1991), tout autant que l’analyse pédagogique et sociologique de celles–ci. Prairat (2002) attribue cette faiblesse de la recherche à la relative « indignité intellectuelle » de l’acte de punir. Il existe aussi, probablement, une raison juridique à l’intérêt limité porté par l’institution scolaire et les chercheurs aux sanctions. Tout au long du XXe siècle, à l’exception de la sanction la plus grave, l’ex– clusion définitive susceptible de recours auprès du juge administratif, les sanctions scolaires, conformément à une disposition jurispruden– tielle du Conseil d’État, sont considérées comme des « mesures d’ordre intérieur »« ne faisant pas grief » [3]. Autant à l’école que dans l’armée ou dans l’institution pénitentiaire, les sanctions sont considérées comme des « mesures de détail touchant la vie intérieure d’un service » (Vedel, 1968, 159).

18 La circulaire 2000 – 105 du ministre de l’Éducation nationale distingue certes les punitions scolaires, décidées par les personnels des établis – sements scolaires, des sanctions disciplinaires, relevant de l’autorité du chef d’établissement et seules susceptibles d’un recours administratif. Cependant, la grande majorité des sanctions au sens large du terme sont des punitions. Si elles doivent être définies de façon exhaustive dans le règlement intérieur de chaque établissement, ces punitions relèvent de la seule autorité du professeur et ne peuvent faire l’objet que d’un recours hiérarchique auprès du chef d’établissement, procédure mise en œuvre marginalement par l’élève concerné ou ses parents, même si les punitions du professeur ne sont pas réglementaires. Il en est ainsi, par exemple, des lignes à copier interdites depuis un arrêté du 5 juillet 1890 (Condette, 2020, 212).

19 À la faible visibilité juridique des punitions s’ajoute, de façon complé– mentaire, leur quasi – invisibilité statistique dans les publications minis – térielles telles que les Notes d’information, les Repères et références statistiques ou L’état de l’école. Au même titre que les pratiques d’éva– luation des professeurs, les pratiques punitives relèvent d’une sorte de cuisine interne à la classe. Cette confidentialité et quasi–invisibilité de la punition est un obstacle à la construction de celle–ci comme objet de recherche. Les travaux plus récents ayant cherché à quantifier les sanc– tions ont invariablement montré leur forte fréquence, même si celle–ci est sensiblement différenciée selon le type d’établissement et le niveau de classe (Grimault–Leprince, Merle, 2008 ; Moignard, 2015 ; Debarbieux, Moignard, 2018).

20 Si, autant pour les historiens que les sociologues, les sanctions scolaires sont progressivement devenues un objet de recherche à part entière, la question de l’expérience subjective des élèves a été long– temps délaissée, bien qu’elle soit essentielle à la compréhension des situations scolaires. Les travaux empiriques portant sur le sentiment d’injustice lié à la régulation de l’ordre scolaire demeurent limités. Les recherches sur l’expérience scolaire des élèves, notamment leurs senti– ments d’injustice, émergent à partie des années 1990 (Dubet, 1991 ; Meuret, 1999 ; Cail let, 2001 ; Merle, 2005 ; Duru–Bellat, Meuret, 2009 ; Grimault – Leprince, 2012).

21 S’il existe plusieurs conceptions de la justice parmi les élèves, ceux–ci partagent toutefois un certain nombre de principes communs tels que le principe d’égalité de traitement, la réciprocité des droits, la reconnais– sance du mérite. Ces conceptions de la justice génèrent des sentiments d’injustice variables, notamment selon l’âge et les carrières scolaires (Dubet, 2009), variables prises en compte lors de la construction de l’enquête quantitative présentée ci–dessous. Ces travaux de recherche ont progressivement imposé l’expérience scolaire des élèves comme un objet d’étude légitime. Il faut cependant attendre les recherches de victimation menées notamment par le ministère pour que les senti– ments d’injustice des élèves à l’égard de la sanction soient étudiés sur de larges échantillons (Evrard, 2011 ; Hubert, 2017).

22 Plusieurs raisons sont susceptibles d’expliquer la prégnance du senti– ment d’injustice des élèves à l’égard des sanctions. D’abord, leur fréquence est élevée. Ensuite, le déclin du modèle de la domination traditionnelle au profit d’un modèle de domination rationnelle légale, tel qu’il est défini par Weber (1922), a débouché sur un mouvement de juridicisation des pratiques scolaires et rendu légitime la prise de parole des élèves et de leurs parents, notamment la contestation des sanctions scolaires décidées par le maître. Enfin, la réforme Berthoin de 1959, en prolongeant la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans, a favo– risé l’accès au collège de nouveaux élèves, davantage d’origine popu– laire, caractérisés par une espérance de réussite scolaire plus réduite (Merle, 2020). Les sentiments d’injustice à l’égard des sanctions sont susceptibles d’être plus fréquents parmi ces nouveaux collégiens, plus souvent punis (Moignard, Rubi, 2020), et moins susceptibles d’accepter les rigueurs des sanctions dans le cadre d’une scolarité peu valorisante, voire source de stigmatisations et d’humiliations (Choquet, Héran 1996 ; Merle, 2005 ; Galland, 2006 ; Evrard, 2011 ; OCDE, 2018) [4]. L’enquête sur laquelle repose cet article cherche à quantifier et comprendre les senti– ments d’injustice des élèves vis–à–vis des sanctions, compte tenu de leurs caractéristiques individuelles et du contexte scolaire.

L’enquête

Construction de l’échantillon et recueil des données

23 L’enquête par questionnaire a été menée dans neuf collèges au recrutement socialement différencié [5]. Le choix de ces collèges a été réalisé à partir de la base de données APAE (Aide au pilotage et à l’autoévaluation des établissements) [6]. Trois catégories de collèges ont été retenues : les collèges « favorisés » qui scolarisent plus de 50 % d’élèves issus de PCS (professions et catégories sociales) favorisées regroupant les catégories favorisées A et B présen– tées dans la base APAE ; des collèges au recrutement populaire (plus de 50 % d’élèves issus de ces PCS), et un troisième groupe de collèges au recrutement social moyen [7]. À l’exception des collèges favorisés, les catégories d’établissement retenues dans l’enquête comprennent des collèges publics et privés [8]. La composition sociale de ces collèges, sans être stricto sensu représentative de la population des collégiens en France, en est assez proche (Tableau I). Ces collèges présentent une diversité de contextes de scolarisation permettant de caractériser la diversité des sentiments d’injustice [9].

Tableau I

Caractéristiques sociales des collèges de l’échantillon

DésignationEffectifSecteurPCS du responsable 1(%)
Déf.Moy. Fav. B Fav. ANon-réponse
Gentilhomme326Public8,019,0 8,3 62,91,8
Le Parc745Public13,820,5 10,3 53,51,9
Le Calvaire388Privé23,519,3 30,9 24,71,6
Éolienne313Public37,132,3 11,2 17,32,2
La Gare531Public45,528,8 13,8 10,31,6
Angélus437Privé51,526,1 13,0 8,21,1
Choucas589Public56,221,7 7,1 12,12,9
Arc-en-ciel310Public64,224,8 3,9 1,65,5
Les Poulbots432Public63,721,1 8,3 4,22,8
Échantillon4 07120,3 % (de privé)39,523,4 11,8 23,12,3
France3,28 M.21,335,426,5 12,4 22,53,3
Caractéristiques sociales des collèges de l’échantillon

Caractéristiques sociales des collèges de l’échantillon

Source : APAE

24 L’enquête a porté sur 1 651 élèves scolarisés dans des classes de cinquième et troisième des neuf établissements retenus [10]. Le choix de ces deux niveaux scolaires résulte de deux types de contraintes. La première était la passation du questionnaire à l’ensemble des classes de chaque collège de l’échantillon. Ce choix de l’exhaustivité tient à l’existence d’un possible biais de sélection compte tenu de l’exis – tence fréquente de classes de niveau. Il fallait éviter que, pour certains collèges, une classe d’élèves faibles scolairement, et donc probablement plus souvent sanctionnés (Moignard, Rubi, 2020), soit absente de l’en – quête. Ensuite, les sentiments de justice des élèves évoluent au cours de leur carrière scolaire (Dubet, 2009). L’expérience scolaire du collège des élèves de sixième, limitée à quelques mois au moment de l’enquête, aurait été trop réduite pour répondre aux multiples situations présen – tées dans le questionnaire. Il en est autrement des élèves de cinquième. Le choix des élèves de troisième tient au fait que ceux – ci, en fin de collège, disposent d’une plus longue expérience des sanctions et d’une réflexivité a priori plus grande.

Les variables explicatives des sentiments d’injustice

25 La connaissance du sentiment d’injustice des élèves a été élaborée à partir de la question : « D’après toi, les punitions qui ont été données dans ta classe sont… ». La passa– tion du questionnaire a été réalisée au printemps et toutes les questions portaient sur les situations vécues dans leur classe, c’est–à–dire depuis le début de l’année scolaire. Le choix de poser la question sur les sanc– tions reçues par toute la classe tient à la recherche d’une meilleure com– parabilité des réponses des élèves. En effet, une question centrée sur la seule expérience personnelle de la sanction par l’élève (« D’après toi, les punitions que tu as reçues sont… ») aurait, par exemple, comparé des sentiments d’injustice d’élèves ayant reçu une sanction légère (un mot dans le carnet pour un oubli de matériel) avec ceux d’élèves souvent et fortement sanctionnés. La question posée fait ainsi l’hypothèse que les sentiments de justice d’un élève résultent d’une double expérience, celle des sanctions adressées à lui – même et celles adressées aux autres élèves de sa classe. Les élèves avaient à choisir entre quatre modalités de réponse (« injustes/plutôt injustes/plutôt justes/justes »). La pre– mière analyse statistique des données, réalisées à partir de tris croisés, a repris ces modalités de réponse qui permettent de saisir la diversité des sentiments de justice des élèves.

26 Les variables explicatives des sentiments d’injustice des élèves ont été regroupées en deux grandes catégories. La première est constituée des caractéristiques individuelles : l’origine sociale, le sexe, la classe (cinquième versus troisième) et les performances académiques de l’élève, partie prenante de son identité scolaire (Lannegrand–Willems, 2000). La seconde catégorie regroupe des variables contextuelles : la fréquence et le type de punitions, les comportements parentaux à l’égard des sanctions ainsi que la tonalité sociale de l’établissement.

Les modalités de construction des variables liées aux caractéristiques individuelles

27 La catégorie sociale de l’élève a été construite à partir de la connaissance de la situation socioprofession– nelle des deux parents, précisée par les enquêtés. La transformation des réponses des élèves en trois catégories sociales (favorisée, moyenne, populaire) a été réalisée à partir des modalités de construction des « PCS ménages » de la nomenclature 2020 de l’Insee (Amossé, Chardon, 2020). Les catégories « populaires » sont constituées des ménages « à dominante ouvrière », des ménages « monoactifs d’employé ou d’ouvrier » ainsi que des ménages « inactifs ». Les catégories favorisées sont les ménages « à dominante cadre » (cadre avec cadre ou cadre avec profession intermé– diaire). Les catégories moyennes sont constituées par les autres PCS ménages [11]. Dans le domaine éducatif, les PCS ménages sont de bons prédicteurs des différences sensibles de taux d’orientation des élèves en seconde générale et technologique (Cayouette–Remblière, 2020).

28 Le recours à une catégorisation ternaire de l’origine sociale des élèves tient au fait que la grande majorité d’entre eux ne donne pas une indi– cation suffisamment précise de la profession de leurs parents pour construire une nomenclature plus détaillée. À titre d’exemple, la réponse « ouvrier » recouvre à la fois les ouvriers non qualifiés et les ouvriers qualifiés qui font l’objet d’un classement différent dans les nomenclatures des PCS détaillées.

29 Le niveau scolaire de l’élève est appréhendé par auto – évaluation. Les élèves ont été interrogés à la fois sur leur niveau de compétences en mathématiques et en français. Ces deux disciplines ont été rete– nues car celles – ci ont les coefficients les plus importants aux épreuves écrites du DNB (Diplôme national du brevet). Trois catégories de niveau scolaire ont été construites. Une catégorie regroupe les élèves aux résultats considérés faibles. Ceux – ci ont déclaré des résultats « faibles » et/ou « moyens », ou des combinaisons de ces deux niveaux scolaires en mathématiques et en français. Les élèves classés comme « bons » regroupent ceux qui ont déclaré des résultats « très bons » et/ou « plutôt bons », ou des combinaisons de ces deux auto–évaluations en mathéma– tiques et en français. Enfin, les élèves considérés « moyens » regroupent toutes les autres combinaisons.

De nombreuses variables socio-scolaires corrélées au sentiment d’injustice

30 Une première ana lyse des déter– minants des sentiments de justice scolaire est réalisée à partir de tris croisés. Ceux – ci permettent de savoir dans quelle mesure les variables explicatives retenues dans l’enquête et présentées ci – dessus sont liées aux sentiments d’injustice des élèves. Il s’agit d’établir des ordres de grandeur des fréquences des sentiments de justice et d’injustice des élèves selon leurs caractéristiques socio–scolaires.

Sentiments d’injustice scolaire et caractéristique individuelles

31 Les sentiments d’injustice des élèves sont liés à la catégorie sociale de leurs parents. Dans les tableaux présentés ci – dessous, seules les proportions indiquées en gras sont significativement différentes d’une distribution au hasard et font l’objet d’un commentaire. Conformément aux attentes (voir ci–dessus), les sen– timents d’injustice sont moins fréquents parmi les élèves d’origine favo– risée (12 %). En revanche, résultat inattendu, les sentiments de justice sont plus fréquents parmi les élèves d’origine populaire (Tableau II). Si les travaux sur l’expérience subjective des élèves, qu’ils soient quantita– tifs ou qualitatifs, montrent une expérience scolaire des élèves de milieu populaire le plus souvent négative (Palheta, 2011), ce résultat n’est pas confirmé concernant le sentiment d’injustice à l’égard des sanctions.

32 Le sexe de l’élève est également corrélé au sentiment d’injustice à l’égard des sanctions scolaires : 22 % des garçons enquêtés déclarent que les sanctions sont injustes ; seules 15 % des filles sont dans cette situation (Tableau II). Ces différences sont également très significatives. Une des explications de cette différence genrée du sentiment d’injustice à l’égard des sanctions tient éventuellement au fait que les filles sont sensible – ment moins punies (Grimault–Leprince, Merle, 2008 ; Ayral, 2010). Dans l’enquête ministérielle de 2017, 44 % des filles déclarent ne jamais avoir été punies. Cette proportion n’est que de 23 % pour les garçons (Hubert, 2017). S’il existe des sentiments d’injustice plus fréquents chez les garçons que les filles, une telle différence n’existe pas pour les senti – ments de justice (Tableau II).

33 Concernant la classe de scolarisation de l’élève (cinquième versus troi– sième), les sentiments d’injustice déclarés par les élèves sont statis– tiquement équivalents (19 %) quelle que soit la classe. En revanche, conformément à l’hypothèse initiale, une proportion significativement moindre d’élèves de troisième déclare que les sanctions sont justes (9 %) par rapport aux élèves de cinquième (12 %) (Tableau II). Réalisée sur un échantillon beaucoup plus large, l’enquête ministérielle de 2017 (Hubert, 2017) indique une augmentation des sentiments d’injustice des élèves à l’égard des punitions au cours de leur scolarité.

34 Les sentiments d’injustice des élèves sont susceptibles d’être égale– ment différents selon leur niveau scolaire. De fait, dans l’analyse biva– riée réalisée, les élèves d’un niveau scolaire faible déclarent davantage de sentiments d’injustice (29 %). À l’inverse, les élèves d’un bon niveau scolaire sont 47 % à déclarer que les sanctions sont justes (Tableau II).

Tableau II

Sentiments d’injustice des élèves selon leurs caractéristiques individuelles(%)

VariablesModalitésJustesPlutôt justesPlutôt injustesInjustes
Milieu social p < 0,01 ;
Khi2 = 18,4 (TS)
Populaire13373119
Moyen8383519
Favorisé13463012
Total10393318
Sexe p < 0,01 ;
Khi2 = 19,7 (TS)
Filles9413515
Garçons12353022
Total10383319
Classe p = 0,1 ;
Khi2 = 4,5 (NS)
Cinquième12373219
Troisième9393319
Total10383319
Niveau scolaire p < 0,01 ;
Khi 2 = 45,8 (TS)
Faible8283429
Moyen10383418
Bon13472812
Total10383319
Sentiments d’injustice des élèves selon leurs caractéristiques individuelles(%)

Sentiments d’injustice des élèves selon leurs caractéristiques individuelles(%)

Légende : Quand les résultats sont significatifs, les pourcentages éloignés de la valeur théorique sont en gras (soulignés si supérieurs ; en italique si inférieurs).
Lecture : Parmi les élèves d’origine favorisée, 12 % déclarent des sentiments d’injustice à l’égard des sanctions scolaires. Cette proportion est significativement inférieure à la moyenne des réponses.

Sentiments d’injustice scolaire et variables contextuelles

35 Une variable contextuelle centrale des sentiments d’injustice des élèves à l’égard des sanctions scolaires est notamment liée à la fréquence de celles – ci. Selon leurs réponses, les élèves ont été répartis en trois catégories : jamais sanctionnés, peu sou – vent sanctionnés (punis une ou deux fois), souvent sanctionnés (punis plus de deux fois). Cet indicateur repose sur l’hypothèse d’un senti – ment d’injustice fortement corrélé au niveau d’exposition de l’enquêté à la sanction, conformément aux travaux antérieurs (Grimault–Leprince, 2011). De fait, les élèves souvent sanctionnés sont 29 % à déclarer un sentiment d’injustice à l’égard des sanctions. Parmi les élèves jamais sanctionnés, cette proportion est seulement de 11 %. Ces derniers sont 44 % à considérer que les sanctions sont « plutôt justes ». Ces différences sont très significatives (Tableau III).

36 Cette explication des sentiments d’injustice des élèves a été approfondie afin de savoir si ces sentiments tiennent seulement à la fréquence de la sanction ou, également, à sa gravité (mot sur le carnet, travail supplé– mentaire, heure de retenue, exclusion de cours, exclusion temporaire dans le collège, exclusion temporaire du collège [12]). Les élèves enquêtés avaient à répondre à la question : « Si tu as été puni cette année, quelle est la punition la plus grave que tu as reçue ? ». L’hypothèse au fonde – ment de cette variable est de considérer qu’un mot dans le carnet est moins susceptible de susciter des sentiments d’injustice qu’une heure de retenue ou une exclusion temporaire de la classe ou du collège.

37 Cette hypothèse est confirmée. Les élèves pour qui la sanction la plus élevée a été limitée à un mot dans le carnet ou à un travail supplémen– ta ire déclarent peu souvent des sentiments d’injustice (13 %). À l’in– verse, les sentiments d’injustice sont sensiblement plus fréquents parmi les élèves en retenue (25 %), renvoyés de cours (35 %), exclus temporai– rement des cours mais en restant au collège (50 %) ou exclus tempo– rairement du collège (44 %). Plus la sanction est grave, plus elle est susceptible de générer des sentiments d’injustice. Ces différences sont également très significatives (Tableau III).

38 Enfin, l’enquête a pris en compte la fréquence des punitions collectives. Les élèves enquêtés avaient à répondre à la question suivante : « Depuis le début de l’année, est–il arrivé que toute la classe soit punie ? ». Faute de connaître le ou les élèves coupables, le professeur punit parfois l’en– semble des élèves. Cette pratique punitive est interdite depuis long– temps par la réglementation et l’interdiction a été régulièrement confirmée (voir circulaire no 2014–059). Un des principes du droit disciplinaire est, en effet, l’individualisation des peines. Cependant, les professeurs ne connaissent pas toujours ce principe et/ou ne le respectent pas. La question permet de connaître l’effet de ces puni – tions collectives, par construction injuste pour une partie des élèves, sur leurs sentiments d’injustice. Les sentiments des élèves à l’égard des sanctions sont très significativement liés à la fréquence des punitions collectives. Ainsi, parmi les élèves enquêtés ne déclarant aucune puni – tion collective dans leur classe, seulement 11 % déclarent des senti – ments d’injustice à l’égard des sanctions. À l’inverse, parmi les élèves déclarant au moins deux punitions collectives, 34 % déclarent des senti – ments d’injustice (Tableau III).

Tableau III

Sentiments d’injustice des élèves à l’égard des sanctions selon leur fréquence et modalités

VariablesModalitésJustesPlutôt justesPlutôt injustesInjustes
Fréquence des sanctions p <0,01 (TS)Jamais sanctionné14443111
Peu sanctionné9403516
Souvent sanctionné8313229
Total10383319
Gravité des de sanctions p < 0,01 (TS)Jamais sanctionné14443111
Mot dans le carnet9443413
Punition légère (par ex. travail supplémentaire)9413813
Heure de retenue8343325
Renvoi de cours7243435
Exclusion temporaire (dans le collège)8231950
Exclusion temporaire du collège14172544
Autres sanctions disciplinaires0254233
Total10383319
Fréquence des punitions collectives p < 0,01 (TS)Jamais16442911
Une fois ou deux8403417
Plus de deux fois6233734
Total10383318
Sentiments d’injustice des élèves à l’égard des sanctions selon leur fréquence et modalités

Sentiments d’injustice des élèves à l’égard des sanctions selon leur fréquence et modalités

Légende : Quand les résultats sont significatifs, les pourcentages éloignés de la valeur théorique sont en gras (soulignés si supérieurs ; en italique si inférieurs).
Lecture : Parmi les élèves souvent sanctionnés, 29 % déclarent un sentiment d’injustice à l’égard des sanctions. Parmi les élèves jamais sanctionnés, cette proportion est seulement de 11 %. Ces différences sont statistiquement très significatives.

39 Deux autres variables extérieures à la classe – les comportements paren– taux en cas de sanction de leur enfant et la tonalité sociale du collège – ont également été étudiées [13]. Pour appréhender les comportements paren– taux, deux questions étaient posées : « Tes parents ont–ils déjà mis un mot dans ton carnet car ils n’étaient pas d’accord avec une note ou une punition que tu avais eue ? », « Tes parents ont–ils déjà pris rendez–vous au collège car ils n’étaient pas d’accord avec une note ou une punition que tu avais eue ? ». Les enquêtés disposaient de quatre modalités de réponse (de « jamais » à « plus de deux fois »). Ces deux questions ont été combi– nées pour obtenir une variable binaire de contestation parentale. Parmi les élèves dont les parents ne contestent jamais les décisions des ensei– gnants, seulement 16 % déclarent des sentiments d’injustice. À l’opposé, parmi les élèves dont les parents ont contesté une décision au moins une fois, 27 % déclarent des sentiments d’injustice (Tableau IV) [14].

40 La dernière dimension étudiée relative à la situation scolaire de l’élève est la tonalité sociale de son établissement. Aucune autre information quantitative n’était disponible pour apprécier « le climat » de l’établis – sement tel qu’il peut être appréhendé notamment par la fréquence des actes de violence. Cette information existe mais elle n’est pas commu– niquée pour ne pas favoriser des comparaisons susceptibles de stig– matiser certains établissements. Les caractéristiques des enseignants (titulaires versus contractuels, niveau de diplôme, origine sociale, sexe) ne sont également pas connues ou communiquées alors même qu’elles sont susceptibles d’influer sur le climat de l’établissement et les inter – actions construites avec les élèves [15]. Il aurait été possible de regrouper l’ensemble des neuf établissements enquêtés en trois catégories (établis – sements populaires, mixtes et favorisés). Ce type de regroupement est toutefois problématique compte tenu de l’existence possible d’un effet établissement (Dumay, Dupriez, 2004 ; Grimault – Leprince, 2011). Il a donc été fait le choix d’étudier la fréquence des sentiments d’injustice des élèves pour chacun des établissements enquêtés, tout en mention – nant leur tonalité sociale.

41 L’analyse montre une différenciation significative des sentiments d’injustice non liée de façon simple à la tonalité sociale des établis – sements (Tableau IV). Ainsi, parmi les quatre établissements au recru – tement populaire de l’échantillon, soit aucune différence significative des sentiments d’injustice n’est observée (collège Arc – en – ciel), soit la tonalité sociale de l’établissement est corrélée plus souvent à des senti – ments d’injustice (Les Poulbots, l’Angélus), soit, au contraire, elle est associée à des sentiments de justice plus fréquents (Les Choucas). La même remarque vaut pour les établissements favorisés, avec des sentiments de justice significativement plus fréquents (Le Parc) ou ne présentant pas de différence significative (Gentilhomme). Si la tonalité sociale de l’établissement peut influencer les sentiments d’injustice des élèves, il existe aussi un effet établissement indépendant de cette tona– lité sociale.

Tableau IV

Sentiments d’injustice selon le niveau scolaire de l’élève, la contestation parentale et la tonalité sociale de l’établissement

VariablesModalitésJustesPlutôt justesPlutôt injustesInjustes
Contestation parentale p < 0,01 (TS)Pas de contestation parentale11413216
Contestation parentale au moins une fois7293627
Total10383319
Tonalité sociale de l’établissement p < 0,01 (TS)Gentilhomme (favorisé)11413217
Le Parc (favorisé)7463017
Le Calvaire (moyen)11353915
La Gare (moyen)9432820
Les Éoliennes (moyen)15552010
L’Angélus (populaire)9254521
Les Choucas (populaire REP)15383215
Arc-en-ciel (populaire REP+)13352923
Les Poulbots (populaire REP+)8243632
Total10383319
Sentiments d’injustice selon le niveau scolaire de l’élève, la contestation parentale et la tonalité sociale de l’établissement

Sentiments d’injustice selon le niveau scolaire de l’élève, la contestation parentale et la tonalité sociale de l’établissement

Légende : Quand les résultats sont significatifs, les pourcentages éloignés de la valeur théorique sont en gras (soulignés si supérieurs, en italique si inférieurs).
Lecture : Parmi les élèves dont les parents ont contesté plus d’une fois les sanctions, 27 % considèrent que les sanctions sont injustes, proportion significativement supérieure à la moyenne.

42 Ces premières analyses indiquent que les sentiments d’injustice des élèves à l’égard des sanctions sont liés, de façon souvent très significa– tive, à la fois aux caractéristiques individuelles (origine sociale, sexe, classe de scolarisation, niveau scolaire) et aux variables contextuelles (fréquence et gravité des sanctions, contestation des parents, établis– sement de scolarisation). Ces corrélations sont indicatrices d’« effets bruts », tels qu’ils peuvent être perçus, éventuellement, par les élèves et les professeurs dans les classes. Des analyses multivariées permettent de connaître les contributions nettes de chaque variable explicative, en suivant un raisonnement « toutes variables incluses dans les modèles égales par ailleurs ».

L’analyse multivariée : la prépondérance des variables contextuelles

43 L’analyse multivariée réalisée, plus spécifiquement le choix de la modélisation, dépend des caracté– ristiques statistiques des variables de l’étude. Les sentiments d’injus– tice, variable dépendante, c’est–à–dire à expliquer, se présentent sous la forme d’une variable polytomique ordonnée à quatre modalités. Pour l’analyse multivariée de ce type de variables qualitatives, les modèles de régression sont couramment utilisés. Afin de faciliter l’interpréta– tion, les deux modalités intermédiaires de la variable dépendante ont été agrégées. L’analyse est construite à partir d’un modèle de base (Logit ordonné) dans lequel les variables individuelles (sexe, classe et PCS) sont intégrées comme variables indépendantes. De nouvelles variables indépendantes sont ensuite successivement intégrées au modèle de base (modèle 2 et suivants), dans le but d’évaluer les effets des carac– téristiques scolaires de l’élève (niveau scolaire, fréquence et gravité des punitions reçues), les effets du contexte scolaire, appréhendés par le collège fréquenté et la fréquence déclarée des punitions collectives dans la classe et, enfin, les effets des comportements des parents en cas de sanction au collège (contestation versus non contestation).

44 Dans le modèle de base, l’élève de référence (une fille, scolarisée en classe de cinquième, de milieu social intermédiaire et d’un niveau scolaire moyen) a une probabilité de 10 % de déclarer un sentiment de justice [P (y = 0) = 10 %) et de 18 % un sentiment d’injustice (P (y = 2) = 18 %] (Tableau V). Le modèle de base permet de calculer, par rapport à cette élève de référence, les effets marginaux pour chacune des variables explicatives.

45 Le modèle de base originel, non présenté ci – dessous, introduisait de façon séparée les variables sexe et classe de scolarisation. Dans ce modèle, contrairement aux résultats des tris croisés (Tableau II), la variable sexe n’était pas significative. Une variable d’interaction, croi– sant le sexe et la classe de scolarisation, a été construite, afin de mettre en évidence des effets combinés potentiels entre les variables sexe et classe (cinquième versus troisième). Cette variable d’interaction permet de mettre en évidence une probabilité significativement supérieure des garçons scolarisés en classe de troisième de ressentir des sentiments d’injustice (18 % + 6 % = 24 %) (Tableau V ). Ce résultat traduit une diffé– renciation des sentiments de justice et d’injustice selon le sexe au cours de la scolarité. Par ailleurs, l’effet de l’origine sociale des élèves sur leurs sentiments d’injustice n’est constaté dans ce modèle que pour les enfants de milieu favorisé. Par rapport à l’élève de référence d’origine moyenne, les élèves d’origine sociale favorisée ont une probabilité plus grande (15 %) de déclarer des sentiments de justice (10 % + 5 %) et une probabilité plus réduite (12 %) de déclarer des sentiments d’injustice (18 % – 6 % = 12 %). L’origine sociale populaire n’exerce pas d’effets sur les sentiments de justice ou d’injustice.

46 L’introduction du niveau scolaire des élèves modifie sensiblement les premiers résultats. Les élèves se déclarant faibles ont une probabi– lité de 24 % de déclarer des sentiments d’injustice (17 % + 7 %), soit le double des élèves forts (17 % – 5 % = 12 %). De façon complémentaire, les élèves forts ont une probabilité plus grande de ressentir des senti – ments de justice (10 % + 3 %). Ces différences sont significatives. Dans ce modèle 1, lorsque le niveau scolaire est pris en compte, les autres variables individuelles ne sont pas significatives à l’exception notable de l’origine sociale des élèves. L’effet paradoxal de l’origine sociale popu – laire, constaté lors des analyses univariées, est retrouvé (Tableau II). Par rapport à l’élève de référence de milieu social moyen, les élèves des catégories populaires et favorisées ont une probabilité plus limitée de ressentir des sentiments d’injustice, respectivement 13 % (17 % – 4 %) et 12 % (17 % – 5 %) (Tableau V, modèle 1).

Tableau V

Déterminants des sentiments de justice [P (y = 0)] et d’injustice [P (y = 2)] des élèves à l’égard des punitions

Modèle de baseModèle 1
Variables de référenceVariables activesP (y = 0)
10 %
P (y = 2) =18 %P (y = 0) =10 %P (y = 2) =17 %
Sexe et classe (réf. fille de 5e)Fille de 3eNsnsnsns
Garçons 5eNsnsnsns
Garçons 3e– 3**6**nsns
Catégories sociales (réf. intermédiaire)PCS populairesNsnsNs– 4**
PCS favorisés5**– 6***ns– 5**
Niveau scolaire (réf. élève moyen)Élèves faibles– 4***7***
Élèves forts3**– 5**
Nb d’observations13851369
Déterminants des sentiments de justice [P (y = 0)] et d’injustice [P (y = 2)] des élèves à l’égard des punitions

Déterminants des sentiments de justice [P (y = 0)] et d’injustice [P (y = 2)] des élèves à l’égard des punitions

Légende : ** significatif au seuil de 5 %, ***significatif au seuil de 1 %
Lecture : dans le modèle 1, les élèves faibles ayant les autres caractéristiques de la situation de référence ont une probabilité de 24 % (17 % + 7 %) d’avoir des sentiments d’injustice, soit 7 points de plus que l’élève de référence.

47 figure im6 Dans les analyses en tri croisés (Tableaux II à IV), les variables contex – tuelles centrales sont constituées par la fréquence des sanctions reçues par l’élève. Qu’en est – il dans l’analyse multivariée ? Dans les modèles 2 et suivants (Tableau VI), l’élève de référence possède les mêmes caractéristiques que dans le modèle 1 et a, par ailleurs, été sanctionné une fois ou deux. Le fait d’avoir été sanctionné plus de deux fois diminue la probabilité du sentiment de justice et augmente celle du sentiment d’injustice (modèles 2 à 6 du tableau VI).

figure im7

48 La gravité de la sanction influence aussi la probabilité des sentiments de justice et d’injustice des élèves. Si les sanctions mineures n’exercent pas d’effet sur la probabilité des sentiments d’injustice et si cet effet demeure modéré pour les retenues, il est en revanche particulièrement signifi– catif et important pour les exclusions de cours et les sanctions disci– plinaires. Pour ces dernières, les probabilités de sentiments de justice sont réduites à 3 % parmi les élèves enquêtés (9 % – 6 %) et la probabilité de sentiments d’injustice passe de 17 % à 33 % (17 % + 16 %) (modèle 3, tableau VI). Les pratiques professorales consistant à « serrer la vis » sont susceptibles de générer de forts sentiments d’injustice (Galland, 2009).

49 Le modèle 3 permet de connaître l’effet de l’expérience en classe des punitions collectives. L’élève de référence déclare avoir subi une fois une sanction collective depuis la rentrée. Les élèves se déclarant non concernés par ces punitions ont une probabilité significativement plus faible que l’élève de référence (16 %) de ressentir un sentiment d’injus– tice (16 % – 5 % = 11 %). Inversement, les élèves ayant subi plus d’une punition collective ont une probabilité plus forte (26 %) d’être exposés à des sentiments d’injustice (16 % + 10 % = 26 %) (Tableau VI, modèle 3).

50 Les comportements de contestation des parents ont également été introduits dans le modèle. L’analyse indique leur effet sur les senti– ments de justice et d’injustice des enfants. Lorsque les parents ont contesté au moins une fois une décision professorale de sanction, la probabilité de sentiments d’injustice est augmentée sensiblement par rapport à la probabilité caractérisant l’élève de référence (16 % + 5 % = 21 %) et la probabilité du sentiment de justice réduite (9 % – 3 % = 6 %) (Tableau VI, modèle 4).

51 Le dernier modèle teste l’effet de l’établissement de scolarisation des élèves enquêtés sur leurs sentiments de justice et d’injustice. Pour quatre des neuf établissements de l’échantillon, l’analyse multivariée met en évidence un effet propre de la tonalité sociale de l’établisse– ment sur les sentiments d’injustice des élèves par rapport au collège de référence (Les Éoliennes) au recrutement social moyen et pour lequel le taux de punition par élève est faible (1,01) [16]. Ces quatre établisse– ments (les deux établissements au recrutement social favorisé Le Parc et Gentilhomme, un établissement au recrutement mixte, Le Calvaire, et un établissement privé au recrutement populaire, l’Angélus) se carac – térisent par une moindre fréquence des sentiments d’injustice parmi leurs élèves. Les deux collèges au recrutement favorisé, en l’occurrence très favorisé (Tableau I), se caractérisent de surcroît par des sentiments de justice plus fréquents parmi leurs élèves (Tableau VI, modèle 5) [17]. Il faut conclure à l’existence probable d’un effet établissement bien que celui – ci ne concerne pas tous les établissements enquêtés. L’interprétation de celui – ci est délicate puisqu’une fréquence moindre des sentiments d’injustice est observée à la fois dans des établissements dont les recrutements sont populaires et favorisés.

Tableau VI

Effet des variables contextuelles sur les sentiments de justice et d’injustice des élèves

Modèle 2Modèle 3Modèle 4Modèle 5Modèle 6
Variables de référenceVariables activesP (y = 0)
9 %
P (y = 2)
17 %
P (y = 0)
9 %
P (y = 2)
17 %
P (y = 0)
9 %
P (y = 2)
16 %
P (y = 0)
9 %
P (y = 2)
16 %
P (y = 0)
9 %
P (y = 2)
16 %
Sexe et classe (Réf. fille de 5e)Fille de 3ensnsnsnsNsnsnsnsnsns
Garçons 5ensnsnsnsNsnsnsnsnsns
Garçons 3ensnsnsnsNsnsnsnsnsns
PCS (réf. moyen)PCS populaires3**– 4**3**– 5***3**– 4**3**– 5***3**– 5***
PCS favorisés4**– 5***ns– 5**Nsns4**– 5**ns– 5**
Niveau scolaire (réf. moyen)Élèves faibles- 3**5**nsnsNsnsnsns- 2**ns
Élèves fortsnsnsnsnsNsnsnsnsnsns
Fréquence de sanction (réf. sanctionné une fois ou deux)Jamais sanctionné4***– 6***nsnsNsnsnsnsnsns
Sanctionné plus de deux fois– 5***9***– 3***6**– 3**5**– 3***6**– 3***6***
Sanctions reçues (réf : aucune ou mot sur le carnet)Sanctions mineuresnsnsnsnsnsnsnsns
Retenue– 3**6**nsns– 3**ns– 3**7**
Exclusion de cours– 5***14***– 4***10**– 5***13***– 5***14***
Sanction disciplinaire– 6***16**– 5***15**– 5***14**– 5***17**
Punitions collectives (réf. une fois)Pas de punition collective5***– 7***
Plus d’une punition collective– 5***10***
Aucune contestationAu moins une contestation parentale– 3**5***
Collège (réf. Les Éoliennes, mixte)Arc-en-ciel (REP+)nsns
Les Poulbots (REP+)nsns
Les Choucas (REP)nsns
L’Angélus (privé pop)ns– 6**
La gare (mixte)nsns
Le Calvaire (privé mixte)– 6***
Le Parc (favorisé)5**– 6***
Gentilhomme (favorisé)8**– 8***
Nb d’observations13691369135313531369136913691369
Effet des variables contextuelles sur les sentiments de justice et d’injustice des élèves
Effet des variables contextuelles sur les sentiments de justice et d’injustice des élèves

Effet des variables contextuelles sur les sentiments de justice et d’injustice des élèves

Légende : ** significatif au seuil de 5 %, ***significatif au seuil de 1 %
Lecture : dans le modèle 2, les élèves sanctionnés plus de 2 fois ont une probabilité de 26 % (17 % + 9 %) de ressentir des sentiments d’injustice.

52 Il est toutefois possible de considérer que la fréquence moindre des sentiments d’injustice caractérise les établissements au recrutement favorisé, Le Parc et Gentilhomme, qui scolarisent plus souvent des bons élèves. La valorisation sociale et scolaire dont ces élèves font l’objet les amènerait à reconnaître plus fréquemment la légitimité des sanctions scolaires et à moins ressentir des sentiments d’injustice. Cette plus forte légitimité de la sanction serait également présente pour les élèves scolarisés dans le collège privé au recrutement populaire. L’inscription dans un tel établissement indique une volonté parentale affirmée d’un fort investissement dans la scolarité de leurs enfants et une valorisa – tion du « cadre que l’école privée est supposée apporter à leurs enfants » (Cayouette – Remblière, 2020). Le même effet serait présent da ns le collège privé au recrutement social mixte.

53 Pour essayer d’expliquer davantage cet effet établissement il a été calculé les taux de punition moyens par élève selon l’établissement. Ces taux de punition sont sensiblement différenciés selon les établissements et pourraient expliquer les écarts de sentiment d’injustice constatés. Le taux de punitions moyen est faible (0,72) à l’Angélus, collège privé popu – laire, et maximum à La Gare (2,29), collège mixte. Pourtant, si les senti – ments d’injustice sont logiquement moins fréquents dans le premier, les sentiments d’injustice ne sont pas plus importants dans le second. Il n’existe donc pas des liens simples entre le taux de punition moyen et la fréquence des sentiments d’injustice. Faute d’une caractérisation suffi – sante des établissements enquêtés, l’explication de l’effet établissement demeure hypothétique et limitée.

54 Dans l’analyse multivariée, les variables individuelles exercent un effet non significatif sur les sentiments d’injustice des élèves, à l’exception notable des élèves de milieu populaire (modèle de base, modèles 2, 3, 4 et 5). Pour ceux – ci, de façon paradoxale, la probabilité de sentiments de justice est plus élevée et celle des sentiments d’injustice plus faible. Les effets marginaux sont limités, de l’ordre de trois à cinq points, mais significatifs, voire très significatifs (seuil de 1 %). Ce résultat indique que les élèves d’origine populaire accepteraient plus facilement les verdicts professoraux et le discours de la responsabilité individuelle. Dans une institution affichant comme principe l’égalité des chances, les sanc – tions affectant les élèves des catégories populaires pourraient, de façon moyenne, davantage leur paraître méritées, de la même façon qu’ils tendent à se sentir responsables de leurs résultats scolaires souvent plus faibles (Dubet, 2009).

Sentiments d’injustice et pratiques professorales

Les sanctions scolaires : la pertinence d’une explication interactionniste

55 Dans les années 1960, les pre– mières statistiques scolaires, spécifiquement celles de l’Ined (Girard, Bastide, 1970) et de Bourdieu et Passeron (1964), ont montré la force de l’origine sociale et du sexe pour expliquer la diversité des carrières sco– laires des élèves et des étudiants. Dans le domaine de l’école, la posté– rité de cette sociologie quantitative est incontestable à la fois au niveau national (Duru – Bellat et al., 2018) et international, comme le montrent les enquêtes PIRLS (Progress in International Reading Literacy Stud), TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study) et PISA (Programme international du suivi des acquis) dans lesquelles les variables sexe et origine sociale sont fortement explicatives des niveaux de réussite scolaire. Cette postérité de la sociologie quantitative est éga– lement présente dans l’analyse de l’expérience subjective des élèves. Ainsi, Choquet et Héran (1996) ont montré que les perceptions négatives de l’école (« parcours d’obstacles », « galère ») sont plus présentes parmi les élèves d’un niveau scolaire faible et sont influencées par le niveau de scolarisation et l’origine sociale. De façon complémentaire, les élèves d’origine favorisée émettent des jugements en moyenne plus positifs sur leur établissement et leur scolarisation (Duru–Bellat et al., 2004). L’analyse statistique des liens entre sanctions et sentiments d’injustice rompt en partie avec cette prépondérance des variables individuelles. S’il existe des corrélations statistiques entre les déterminants sociaux classiques tels que l’appartenance sociale et le sexe et les sentiments d’injustice des élèves, l’analyse multivariée montre que ceux–ci sont, pour une grande part, liés à des variables contextuelles. Les sentiments d’injustice des élèves sont d’abord liés à la fréquence et à la gravité des sanctions qu’ils reçoivent, aux éventuelles contestations parentales et, de façon variable, à l’établissement de scolarisation. Dans l’analyse des sentiments d’injustice des élèves à l’égard des sanctions scolaires, les analyses multivariées indiquent la centralité des interactions maîtres – élèves et des pratiques professorales dans le quotidien de la classe.

56 Cette conclusion rejoint des analyses antérieures (par exemple Merle, 2005 ; Carra, 2009 ; Desvignes, Meuret, 2009). Desvignes et Meuret (2009) considèrent que les sentiments d’injustice sont notamment liés à la façon dont l’élève « est traité dans un établissement scolaire ». Si les sentiments d’injustice des élèves ne relèvent pas principalement d’un modèle déterministe mais se construisent hic et nunc selon une concep– tion interactionniste de l’action sociale, ils sont aussi, plus globalement, dépendants de l’acceptabilité de la sanction et de ses modalités de mise en œuvre.

La question de l’acceptabilité des sanctions

57 Pour mener l’analyse de l’accep– tabilité des sanctions scolaires, il est heuristique d’analyser les dif– férences de sentiments d’injustice provoqués fréquemment par les sanctions et modérément par les évaluations scolaires (Hubert, 2017). Ces dernières sont une source récurrente de biais selon les caractéris– tiques socio–scolaires de l’élève (origine sociale, sexe, niveau scolaire, établissement de scolarisation, âge, etc.) (Merle, 2018). Ces évaluations scolaires sont objectivement injustes. Pourtant, elles ne sont pas per– çues comme telles par une large majorité d’élèves en raison notamment de la légitimité des savoirs scolaires du professeur et de sa légitimité à évaluer les compétences des élèves. En matière d’éva luation, l’auto– rité du professeur est intrinsèque à sa personne, liée aux diplômes et concours obtenus.

58 Il en est autrement des punitions scolaires, domaine dans lequel l’autorité de l’enseignant est davantage dépendante de l’institution qu’il représente. L’institution scolaire (Dubet, 2002, 2010), « dispo– sitif symbolique et pratique chargé d’instituer des sujets » se carac– térise par une forme de déclin : le maître ne dispose plus, ou moins, « d’une autorité qui est celle de l’institution elle – même ». Par ailleurs, l’institution scolaire ne possède plus, ou moins, « la capacité d’externa– liser ses problèmes en considérant que la cause de ses difficultés vient de son environnement : inégalités sociales, démissions des familles, politiques gouvernementales, capitalisme, etc. ». Ce déclin de l’institu– tion, lié notamment à la moindre rentabilité de la scolarité obligatoire et à une massification débouchant davantage sur une « démocratisa– tion ségrégative » que sur une égalité des chances (Merle, 2017, 2020), a progressivement délité les principes cardinaux de l’ordre scolaire (l’as– siduité, l’obligation du travail scolaire, etc.) et, tout autant, la légitimité de la punition.

59 Le déclin de l’institution scolaire résulte aussi d’une désacralisation de l’idéal de l’égalité des chances scolaires et des acteurs de l’institu– tion, notamment des professeurs. Les contestations parentales, qui concernent un quart des parents quelle que soit leur origine sociale, sont une des manifestations de la perte du prestige symbolique de l’ins– titution scolaire et du métier d’enseignant. Cette perte de légitimité favorise l’émergence de sentiments d’injustice plus fréquents à l’égard des prescriptions du règlement intérieur et des consignes du professeur (oubli de ses affaires, devoirs non faits, insolence, etc.). Si la thèse du déclin de l’institution scolaire a une pertinence certaine, elle doit aussi être relativisée. Ainsi, le taux moyen de confiance dans l’école (« tout à fait confiance », « plutôt confiance ») est de l’ordre de 90 % quelle que soit la PCS ménage (Cayouette–Remblière, Ichou, 2019). Toutefois, ce taux de confiance élevé n’est pas un obstacle à la contestation, par les parents et par les élèves, de certaines pratiques professorales telles que les sanctions.

Des principes de justice difficiles à respecter

60 Dubet (1999) a retenu trois grands principes de justice scolaire généralement partagés par les élèves : le mérite, l’égalité, le respect. Ces principes de justice sont plus facile– ment objets de contestation dans le domaine des punitions que dans celui des évaluations scolaires, qui fait l’objet d’une plus grande légi– timité. Pour l’élève, même s’il conteste parfois sa mauvaise note, elle est le plus souvent considérée comme méritée tant que l’élève adhère à l’idée qu’il est responsable de sa faiblesse scolaire. En termes de nota– tion, les élèves croient au principe du mérite, « fiction nécessaire » sans laquelle l’expérience scolaire est vidée de sens (Dubet, 2009). Dans le domaine des sanctions, les différentes façons de punir des professeurs, selon les cours et les situations, amènent plus facilement les élèves à considérer que leur punition n’est pas méritée lorsque, pour les même faits, certains élèves plus repérés sont plus sanctionnés que d’autres, ou quand la punition collective est un pis–aller à l’impossibilité de repérer les auteurs (Cousin, Felouzis, 2002).

61 En matière de sanctions, la mise en œuvre du principe de l’égalité est tout aussi problématique que celui du mérite. Dans les évaluations scolaires, le principe de l’égalité de traitement n’est nullement respecté. Outre les biais sociaux d’évaluation déjà indiqués, les notes sont, par exemple, sensiblement dépendantes de l’ordre des copies. À titre d’exemple, une copie moyenne est toujours plus sévèrement notée après la lecture d’une excellente copie (Bonniol, 1965). Toutefois, ce non–res– pect du principe de l’égalité de traitement n’est pas perçu par les élèves. Il en est autrement des punitions scolaires. Dans de nombreuses situa– tions scolaires telles qu’un bavardage larvé plus ou moins collectif, l’égalité de traitement est délicate à mettre en œuvre. L’élève puni est trop souvent celui qui « se fait prendre ». L’inégalité de traitement est patente, perçue par les élèves. Les professeurs peuvent également avoir conscience de cette inégalité de traitement, admise au nom du main– tien de l’ordre scolaire (Grimault–Leprince, 2012).

62 Enfin, la mise en œuvre du principe du respect est tout aussi problé– matique. L’élève qui est pris en faute « perd la face » aux yeux de ses camarades (Goffman, 1972). De même, l’exclusion temporaire du cours correspond à une mise à l’écart du groupe, une disqualifica– tion à la fois scolaire et sociale, une forme de dégradation publique. L’élève ainsi puni a le sentiment d’un « manque de respect », antienne classique des discours des élèves (Dubet, 1991). Ces situations, souvent sources d’humiliation, génèrent de forts sentiments d’injus– tice. Ceux – ci sont d’autant plus favorisés que les sanctions ne sont pas réglementaires. Il en est ainsi des punitions collectives, logiquement sources d’injustice lorsque certains élèves sont punis sans être fautifs (Tableaux II et VI).

Des transformations institutionnelles inachevées

63 Les sentiments d’injustice pro– voqués par les sanctions scolaires tiennent en partie à des transfor– mations institutionnelles inachevées. D’abord, la réglementation prévoit, dans chaque établissement, la tenue d’un registre des sanc– tions stricto sensu, c’est–à–dire des avertissements officiels, blâmes, mesures de responsabilisation et des exclusions temporaires et défi– nitives. Pour autant que ce registre des sanctions soit tenu, un seul des neuf établissements de l’échantillon a accepté de communiquer celui–ci. Si ces données sont collectées et agrégées au niveau aca– démique ou national, ce qui ne semble pas être le cas (IGEN, 2012), elles ne font pas l’objet de publications. Les sanctions, même graves, demeurent une question taboue dans l’institution scolaire. Sans une connaissance objective de celles–ci et la possibilité de comparer les différentes pratiques des établissements et enseignants, la réflexion sur les pratiques de sanctions scolaires demeure limitée à des consi– dérations pédagogiques, morales, idéologiques et philosophiques sans prise directe avec le quotidien de la classe, les conditions de travail des élèves et des professeurs, et d’éventuels phénomènes de violence. En s’interdisant une connaissance objective des sanctions scolaires, l’institution sous–estime le rôle central de celles–ci dans la constitu– tion de l’ordre scolaire et délègue aux professeurs, sans possibilité de feed-back, les difficultés inhérentes à leur mise en œuvre. Ce raison– nement vaut pour les sanctions et tout autant pour les punitions. Da ns les établissements scolaires, il n’existe pas d’indicateurs relatifs au nombre de retenues et renvois de cours, également sources de senti– ments d’injustice des élèves. Une telle méconnaissance réduit les pos– sibilités d’une régulation efficace du nombre de sanctions pourtant prescrite par la réglementation [18].

64 Ensuite, la circulaire no 2000–105 du 11 juillet 2000 a précisé les grands principes juridiques qui s’appliquent aux punitions scolaires et aux sanctions disciplinaires à l’intérieur de l’établissement scolaire. La réécriture des règlements intérieurs imposée par cette circulaire est souvent restée limitée à des modifications mineures (Merle, 2003). Depuis cette date, la réglementation relative aux sanctions a connu des modifications, notamment la création de la commission éducative [19]. La création de cette commission ainsi que la nouvelle échelle de sanc– tions imposaient une modification des règlements intérieurs des établis– sements. En 2012, un rapport de l’inspection générale indique que si la nouvelle rédaction des règlements intérieurs a pu, dans certains cas, permettre « une authentique relance d’un dialogue approfondi incluant parents, élèves, partenaire », les établissements se sont majoritairement « bornés à re–rédiger un paragraphe ou deux […], sans saisir l’occasion d’une réf lexion approfondie » (IGEN, 2012, 31).

65 Le même rapport précise que le contrôle de légalité des règlements inté– rieurs réalisé par les rectorats montre l’existence d’erreurs et « oublis ». Le plus fréquent est l’absence d’indication des voies de recours. Les règlements intérieurs se caractérisent aussi par d’autres omissions. L’interdiction de certaines sanctions, telles que les punitions collectives ou les lignes à copier, n’est généralement pas mentionnée. Par ailleurs, le rapport de l’inspection générale mentionne une certaine « défiance » des chefs d’établissement et enseignants à l’égard du principe du contradictoire [20]. Pour ces raisons, les sanctions ne respectant pas les principes du droit disciplinaire sont l’objet d’une abondante jurispru– dence (Buttner, Maurin, 2020) [21]. Finalement, la méconnaissance par une partie des professeurs eux – mêmes des dispositions réglementaires expose davantage ceux – ci aux contestations des élèves et contribue aux sentiments d’injustice de ces derniers.

Conclusion

66 L’analyse statistique montre d’une part, à partir des tris croisés réalisés, que la fréquence des sentiments d’injustice des élèves est liée à des variables individuelles telles que l’ori– gine sociale, le sexe, la classe (cinquième versus troisième) et le niveau scolaire de l’élève. D’autre part, l’analyse multivariée montre, de façon paradoxale, que « toutes variables incluses dans les modèles égales par ailleurs », les enfants d’origine populaire ont une probabilité moindre de ressentir des sentiments d’injustice. Cette spécificité pourrait s’ex– pliquer par une soumission plus forte des élèves populaires à l’ordre scolaire (Pinto, 2011).

67 Dans l’analyse multivariée, à l’exception de l’origine sociale, les variables individuelles déterminent modérément, voire pas du tout, les sentiments d’injustice lorsque sont prises en compte les variables contextuelles telles que la fréquence et la gravité des sanctions, l’exis– tence ou non de punitions collectives, le niveau des contestations parentales, la tonalité sociale des établissements. Autrement dit, pour estimer le sentiment d’injustice d’un élève à l’égard des sanc– tions, l’effet des variables contextuelles est plus pertinent que celui des variables individuelles. Ce résultat, montrant la centralité des effets de contexte et des interactions dans les classes et hors de celles–ci, néces– siterait d’être conforté par des recherches similaires. Si l’enquête n’au– torise pas la généralisation, elle concerne toutefois plus de 1 600 élèves et neuf établissements, échantillon relativement important pour ce type d’investigation quantitative.

68 Le fait que les sentiments d’injustice à l’égard des sanctions scolaires soient significativement dépendants du contexte remet en cause une interprétation des situations scolaires courante parmi les enseignants, dans laquelle les sociabilités juvéniles favorisent, « en amont et en dehors de la scolarisation », une « culture anti–école » parmi les enfants d’ori– gine populaire (Millet, Thin, 2007). Plutôt que de chercher à expliquer les sentiments d’injustice des élèves, notamment ceux d’origine popu– laire, par des variables externes à l’institution scolaire, il est nécessaire d’étudier les différents types d’interactions entre élèves et enseignants, au sein d’une même classe ou d’un même établissement. Ce type d’in– vestigation est d’autant plus nécessaire que les élèves de milieu défavo– risé ou en difficulté scolaire sont plus sensibles aux effets de contexte (par exemple Monso et al., 2019).

69 La centralité des variables contextuelles montrée par l’analyse multi– variée autorise une réflexion conclusive sur les modalités de construc– tion de l’ordre scolaire. En raison de la difficulté pour les professeurs à s’accorder sur la définition des faits fautifs et à définir les respon– sabilités individuelles en cas de désordres avérés (Grimault–Leprince, 2012), il serait pertinent de limiter, autant que possible, le recours aux sanctions dans l’ordinaire des classes et de définir des modalités de régulation collective des pratiques, au niveau des équipes pédago– giques et des établissements. L’enjeu de la régulation est d’éviter que les professeurs sanctionnent les élèves de façon parfois arbitraire, et délitent ainsi collectivement leur légitimité personnelle et leur autorité pédagogique sans nécessairement en prendre conscience à titre indi– viduel. Une telle régulation collective est toutefois difficile à mettre en œuvre tant la liberté de sanctionner a un statut équivalent à la liberté pédagogique.

70 L’opposition entre la régulation collective et la liberté individuelle de sanctionner est éclairée par l’analyse wébérienne des modèles de domi– nation (Weber, 1922). La régulation collective de la sanction impose une référence au règlement intérieur et la mise en œuvre de prescriptions infra–réglementaires, propres à l’établissement, que les professeurs construiraient collectivement et s’engageraient à respecter. Il s’agit d’un mode de domination rationnelle – légale défini par la croyance en la légitimité des lois et des règlements. À l’inverse, la liberté de sanc– tionner renvoie au mode de domination traditionnelle et/ou charisma– tique caractérisée par un arbitraire inévitable du détenteur de l’autorité. L’analyse des sentiments d’injustice des élèves à l’égard des sanctions scolaires pose, in fine, non seulement le statut de la sanction (modalités, fréquence, légitimité), mais aussi celui du professeur et, tout autant, la question des modalités de construction de l’ordre scolaire dans la classe et hors de celle – ci.

Notes

  • [1]
    Le règlement des salles d’asile du 22 mai 1855 ajoute à l’interdiction des châtiments corporels une forme de bienveillance : « Les enfants ne doivent jamais être frappés. Ils sont toujours repris avec douceur » (article 7).
  • [2]
    Louis Secondy comptabilise 3,5 punitions par élève de division supérieure, 7,3 dans la division élémentaire.
  • [3]
    Ainsi, le refus d’accepter dans l’établissement des jeunes filles en pantalon de ski fut considéré comme une mesure d’ordre intérieur (CE, 20 octobre 1954) et à ce titre ne relevait pas de la compétence du juge (Delon-Desmoulin, 1996).
  • [4]
    En 2011, 18,5 % des élèves de sixième déclarent avoir été humiliés (Evrard, 2011). Dans les pays de l’OCDE, 10 % des élèves âgés de 15 ans pensent que leurs enseignants les ridiculisent devant d’autres personnes. Ils sont 9 %, à dire qu’un enseignant les a injuriés devant d’autres personnes (OCDE, 2018).
  • [5]
    Le recueil des données a été réalisé dans le cadre d’un travail de thèse mené par un des auteurs.
  • [6]
    APAE est une base de données ministérielle qui regroupe une centaine d’indicateurs permettant de caractériser les établissements scolaires, spécifiquement les performances scolaires et les caractéristiques sociales des élèves.
  • [7]
    Pour définir l’origine sociale des élèves, le ministère définit quatre catégories sociales : les « favorisées A » (catégorie comprenant essentiellement les enfants des cadres), les « favorisés B » (rassemblant les professions intermédiaires), la catégorie moyenne (principalement les employés) et les catégories défavorisées (essentiellement les enfants d’ouvriers et d’inactifs).
  • [8]
    Aucun chef d’établissement de collège privé favorisé contacté n’a accepté le principe de l’enquête dans son établissement.
  • [9]
    Outre les informations présentes dans le Tableau I, les établissements enquêtés sont situés dans quatre départements (Loire-Atlantique, Maine-et-Loire, Vendée, Val-d’Oise). Si une partie des établissements sont situés à Nantes et Angers, les autres sont situés dans des communes moyennes. Citer celles-ci permettrait d’identifier les établissements compte tenu des informations présentées dans le Tableau I.
  • [10]
    La classe de cinquième correspond à la deuxième année du premier cycle de l’enseignement secondaire, équivalant à la deuxième année des études post-primaire. La classe de troisième correspond à la dernière année du premier cycle de l’enseignement secondaire.
  • [11]
    Quand les parents sont séparés et que l’élève habite en alternance une semaine chez chacun, c’est la PCS la plus haute entre le père et la mère qui est prise en compte ainsi, éventuellement, que la PCS de son ou sa conjointe.
  • [12]
    Depuis le décret no 2011-728 du 24 juin 2011 relatif à la discipline dans les établissements d’enseignement du second degré, « l’exclusion temporaire de la classe d’une durée de huit jours au plus » constitue une nouvelle sanction. Avec cette sanction, l’élève exclu continue d’être accueilli dans l’établissement contrairement à l’exclusion temporaire du collège.
  • [13]
    Seuls deux établissements privés sollicités dans le cadre de l’enquête ont autorisé la passation du questionnaire. Pour cette raison, dans le cadre de cet article, il n’est pas possible d’analyser l’effet du secteur de scolarisation sur les sentiments d’injustice des élèves.
  • [14]
    Un tri croisé complémentaire montre que la fréquence des contestations des parents n’est pas liée à leur position sociale. Ce résultat est cohérent avec un résultat antérieur montrant que la confiance des parents dans l’institution scolaire est indépendante de leur position sociale (Cayouette-Remblière, Ichou, 2019).
  • [15]
    Pour caractériser les établissements, outre leur composition sociale, la fréquence des punitions par établissement a été calculée.
  • [16]
    Le taux de punitions est calculé à partir d’une échelle allant de 0 « jamais » à 3 « plus de deux fois ».
  • [17]
    Ce résultat s’explique notamment par le fait qu’invités à juger leur établissement selon diverses facettes (climat général, relations avec les adultes, plaisir à venir y travailler ou retrouver des camarades, etc.), les élèves d’origine sociale favorisée émettent un jugement plus positif. De surcroît, à origine sociale donnée, le fait de fréquenter un lycée au public favorisé (et aussi un lycée de bon niveau scolaire) est associé à un jugement significativement plus positif (Duru-Bellat et al., 2004).
  • [18]
    « Chaque établissement tient un registre des sanctions prononcées comportant l’énoncé des faits et des mesures prises à l’égard d’un élève, sans mention de son identité. Ce registre est destiné à donner la cohérence nécessaire aux sanctions prononcées, dans le respect du principe d’individualisation » (circulaire no 2014-059).
  • [19]
    Cette commission a pour « mission d’examiner la situation d’un élève dont le comportement est inadapté aux règles de vie dans l’établissement et de favoriser la recherche d’une réponse éducative personnalisée ». Voir le décret no 2011-728 du 24 juin 2011 relatif à la discipline dans les établissements d’enseignement du second degré.
  • [20]
    Le droit disciplinaire est régi par cinq principes généraux : principes de légalité (notamment la définition du fait fautif), du contradictoire (respect des droits de la défense), d’individualisation et de proportionnalité de la sanction et non bis in idem (« nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits »).
  • [21]
    À titre d’exemple, dans son arrêt du 31 octobre 2008, la cour d’appel de Paris est venue rappeler que la sanction disciplinaire contestée prise par un établissement scolaire (exclusion définitive de l’élève) est disproportionnée. D’une part, l’établissement n’a pas respecté la procédure disciplinaire, puisque l’élève n’a pas reçu d’avertissement avant le passage devant le conseil de discipline. Les faits antérieurs ayant donné lieu à avertissements sont sans incidence sur ce point. D’autre part, les faits qui ont motivé l’exclusion se limitent à cinq retards de moins de 5 minutes, ce qui n’est pas particulièrement grave.
Français

L’objet de cet article est d’étudier les liens entre les sanctions scolaires et les sentiments d’injustice des élèves. Ces liens ont été examinés à partir d’une enquête par questionnaire menée auprès de 1 651 collégiens scolarisés dans des classes de cinquième et troisième de neuf établissements au profil social diversifié. Les analyses statistiques réalisées montrent que des variables contextuelles (fréquence et gravité des sanctions scolaires, contestations parentales et composition sociale des établissements) expliquent de façon centrale les sentiments d’injustice des élèves, alors que les caractéristiques individuelles de ces derniers sont en revanche peu explicatives ou ont des effets inattendus compte tenu des recherches sur l’expérience scolaire. Ce constat autorise in fine des considérations de type réglementaire et pédagogique relatives à la construction de l’ordre scolaire.

  • Sanctions scolaires
  • Sentiments d’injustice
  • Ordre scolaire
  • School mix
  • Règlement intérieur
  • Collégiens
Deutsch

Das Ziel des Artikels ist es, die Zusammenhänge zwischen schulischen Sanktionen und dem Ungerechtigkeitsempfinden der Schüler zu untersuchen. Diese Zusammenhänge wurden anhand einer Fragebogenerhebung an 1651 Mittelschülern der fünften und dritten Klasse in neun Einrichtungen mit unterschiedlichem sozialen Profil untersucht. Die durchgeführten statistischen Analysen zeigen, dass kontextuelle Variablen (Häufigkeit und Schwere schulischer Sanktionen, Einsprüche der Eltern und soziale Zusammensetzung der Schulen) in hauptsächlicher Weise das Ungerechtigkeitserleben der Schüler erklären, wogegen deren individuelle Merkmale nur wenig erklärend sind oder unerwartete Effekte im Hinblick auf Untersuchungen zur Schulerfahrung haben. Dieser Befund erlaubt letztlich reglementarische und pädagogische Erwägungen zum Aufbau der Schulordnung.

  • Schulische sanktionen
  • Ungerechtigkeitsempfinden
  • Schulordnung
  • School mix
  • Interne regelungen
  • Mittelschüler
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Agnès Grimault-Leprince
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Pierre Merle
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Bruno Voirnesson
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Mis en ligne sur Cairn.info le 27/06/2022
https://doi.org/10.3917/ds.462.0099
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