CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1 Depuis le 1er janvier 2018, la France est passée de 3 à 11 vaccins obligatoires pour la population générale. Le but de cette mesure était d’augmenter la proportion de la population protégée contre les maladies infantiles. Mais il s’agissait aussi de « restaurer la confiance dans les vaccins » en rappelant aux Français leur devoir de participer à la protection collective contre la circulation des virus (immunité dite « de troupeau »). Cette problématique est devenue saillante pour les autorités de santé françaises depuis 2009. Ainsi, un premier événement médiatique a émergé à la toute fin des années 1990 autour d’un supposé lien entre le vaccin contre l’hépatite B et la survenue de cas de sclérose en plaques. Mais les controverses vaccinales se sont multipliées et ont gagné en visibilité à partir de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) en 2009-2010. Cette campagne s’est soldée par un échec cuisant avec seulement 8 % de la population vaccinée pour un objectif de couverture de 70 % de la population. Depuis, des débats ont émergé dans les médias d’information générale sur l’usage d’aluminium comme adjuvant dans de nombreux vaccins (depuis 2010), sur la sécurité du vaccin contre les papillomavirus (depuis 2011), sur la pénurie de vaccins ne couvrant que les trois immunisations obligatoires (diphtérie-tétanos-poliomyélite) et sur les obligations vaccinales. La publication d’études d’opinion montre que près de 40 % de la population française doute de la sécurité de certains vaccins depuis la survenue de plusieurs épidémies de rougeole (Ward et al., 2018, Peretti-Watel et al., 2014, Bulletin d’Épidémiologie Hebdomadaire, 2017).

2 Pour comprendre cette multiplication récente des controverses vaccinales, il est utile d’adopter une perspective de sociologie politique des sciences, attentive au croisement des dynamiques collectives de mobilisation, de l’évolution des champs politique et médiatique, des transformations des mondes de la recherche scientifique et de la régulation des risques technologiques (Frickel, Moore, 2006). Ainsi, l’action des victimes putatives du vaccin contre l’hépatite B à partir de 1996 et des adjuvants aluminiques à partir du début des années 2000 s’inscrit dans un contexte de forte transformation des champs de la santé et des médias faisant suite aux mobilisations autour du Sida au tournant des années 1990. Ces mobilisations ont notamment fait émerger le scandale fondateur du « sang contaminé » à la suite duquel la place des malades dans le débat public s’est modifiée en profondeur (Marchetti, 2010 ; Barbot, 2002 ; Dodier, 2003). Les années 1990 et 2000 ont ainsi vu la multiplication des scandales sanitaires, une recomposition du paysage institutionnel de la santé publique et l’inscription dans le droit du principe d’autonomie des patients avec le vote de la loi Kouchner en 2003 (Bergeron, Castel, 2015). La multiplication des controverses vaccinales dans les pays du Nord depuis les années 1980 traduit aussi la transformation des modes de production et de régulation des vaccins, avec le transfert de la recherche et de la production des vaccins de l’État vers les entreprises privées (Blume, 2017). Ces mobilisations s’insèrent ainsi dans les débats contemporains entourant l’expertise (Delmas, 2011).

3 Le cas des vaccins donne à voir un aspect particulier des controverses sociotechniques contemporaines. Si les stratégies discursives qui s’y déploient se concentrent sur la construction d’une crédibilité par la mobilisation d’études et arguments scientifiques, les stratégies d’étiquetage de l’adversaire peuvent y avoir un poids important, notamment la dénonciation de l’adversaire comme anti-scientifique ou irrationnel.

4 Ainsi, la plupart des représentants des sciences sociales à s’être intéressés aux controverses vaccinales contemporaines, notamment anglaises et américaines, ont noté que celles-ci sont marquées par la prégnance de la catégorie « antivaccin » dans les débats. Ils constatent que ce terme est principalement utilisé pour dénoncer publiquement les critiques des vaccins (Blume, 2006 ; Colgrove, 2006 ; Leach, Fairhead, 2007) et insistent particulièrement sur le fait que, premièrement, l’usage de ce terme s’accompagne d’une occultation de la diversité des acteurs mobilisés et, deuxièmement que ces doutes et critiques se voient assimiler au refus radical du principe de la vaccination alors qu’ils sont souvent restreints à certains vaccins, campagnes ou substances contenues dans des vaccins (Hobson-West, 2007 ; Reich, 2016 ; Ward, 2016). Sans le dire explicitement ni l’étudier directement, ces auteurs soulignent les attributs qui font du terme « antivaccin » une étiquette délégitimante dans le contexte des controverses anglaises et américaines. La dimension stéréotypique de cette désignation est notamment cruciale. Ainsi, si certains acteurs sont effectivement focalisés sur la question vaccinale et se mobilisent contre tous les vaccins, ce n’est pas le cas de tous. Cette forme d’étiquetage des critiques permet de suggérer que toutes ces mobilisations constituent des attaques du principe de la vaccination lui-même. Or, les vaccins occupent une place particulière dans le champ médical. Non seulement le principe biologique de l’immunisation fait l’objet d’un consensus scientifique, mais les travaux de Louis Pasteur sur les vaccins sont aussi distingués comme une étape décisive dans l’avènement de la médecine moderne et les campagnes de vaccination considérées comme la démonstration de la capacité de cette médecine à améliorer le sort des populations. Assimiler toute critique d’un vaccin au combat de ceux qui refusent la vaccination en général constitue donc une puissante opération de délégitimation.

5 Si ces chercheurs dénoncent l’usage du terme « antivaccin », cette pratique d’étiquetage public n’a néanmoins pas été prise directement pour objet de recherche. Or, l’étude de ces stratégies d’étiquetage dans les controverses sociotechniques présente un double intérêt. Si elles constituent un élément structurant des luttes qui se polarisent autour de la question de la légitimité scientifique des acteurs en présence, elles nous disent aussi beaucoup sur la manière dont la Science (avec une majuscule) est mobilisée comme valeur dans ces luttes et sur les attributs qu’on lui prête. Comme la « Justice », le terme de « Science » n’est pas uniquement utilisé pour désigner un ensemble d’activités (c’est-à-dire ce que font les scientifiques). Il est aussi érigé en valeur lorsqu’il est utilisé pour hiérarchiser des énoncés (jugés comme plus ou moins scientifiques) ou pour évoquer le principe permettant de réaliser cette hiérarchisation et l’importance de ce principe pour la société (« la Science » permettant « le Progrès »). Ainsi, le développement des savoirs à partir du XVIIe siècle dans les pays du Nord a grandement participé à l’émergence de nouvelles formes sociales qui constituent la modernité. Mais ces transformations sont trop souvent présentées comme inéluctables, les savoirs et inventions semblant constituer une force autonome qui ne nécessite aucune médiation sociale pour agir dans le monde. Or, certains historiens ont montré que le travail de promotion de ces activités, savoirs et objets par une variété d’acteurs – notamment économiques et politiques – a joué un rôle crucial dans ce processus. Cela est passé notamment par la construction et la promotion de la notion de « Progrès » au tournant du XVIIIe siècle (Rouvillois, 1996), l’assimilation du Progrès au progrès technique (Jarrige, 2016) et, surtout, la redéfinition progressive de toute une variété d’activités, de pratiques, d’arts, de connaissances comme procédant d’une logique commune, incarnant la forme absolue de « la Raison » et exprimant cet idéal commun du Progrès : la science (au singulier) (Carnino, 2015 ; voir aussi Shapin, 2009 et Gieryn, 1999).

6 Mais la construction et la défense d’une valeur se font par une multitude de mécanismes, dont l’un des plus répandus repose sur la construction collective d’une figure incarnant la transgression des normes associées à cette valeur. Ce phénomène s’apparente aux paniques morales autour d’un Folk Devil (« épouvantail ») mises en évidence par Stanley Cohen (Cohen, 2011, voir aussi Goode, Ben-Yehuda, 1994). Celui-ci explique que dans des situations de crise ou de transformation d’une société donnée, désigner pour tous un ennemi commun stéréotypé, même imaginaire, permet aux groupes sociaux dominants de resserrer les rangs et de réaffirmer leurs valeurs communes. Sans adhérer au fonctionnalisme de l’analyse de Cohen, on peut dresser un parallèle entre les tensions existant autour des comportements de bandes de jeunes dans l’Angleterre des années 1960 qu’il étudie et le contexte actuel de multiplication des conflits portant sur les savoirs et techniques issus de la recherche scientifique et sur leur régulation. L’étude de la construction des figures publiques de l’anti-Science, comme celle de l’« antivaccin », permet alors de saisir certaines des modalités à travers lesquelles la pertinence de la valeur Science est maintenue dans un contexte où les conditions de sa mise en valeur semblent remises en cause. Si l’on en adopte une acception plus analytique, la construction publique d’un épouvantail désigne une forme particulière de stigmatisation dont les propriétés distinctives sont d’être liées à un contexte de transformation sociale forte dans le domaine en question, d’être le fait d’une très large variété d’acteurs, de se dérouler dans les arènes les plus publiques (les médias notamment), d’être principalement d’ordre symbolique (travail centré sur l’étiquetage public stéréotypique et peu associé à des dispositifs institutionnels de sanction) et que le travail d’identification et de circonscription du groupe délégitimé y occupe une place faible, laissant ainsi ouverte la question de son existence (Goode, Ben-Yehuda, 1994). Appliqué aux thématiques scientifiques, ce concept oriente l’attention dans trois directions : la manière dont les acteurs engagés dans ces controverses tentent de mobiliser un public le plus large possible en faisant de leur combat spécifique un combat pour la Science ; l’existence d’entrepreneurs de cause qui se posent en défenseurs de la Science et dont l’engagement traverse une large variété de controverses ; la façon dont leurs opposants mobilisent eux-mêmes la valeur Science en réponse à cette délégitimation publique dans les arènes les plus publiques.

7 Le présent article prend donc pour objet les discours publics sur les « antivaccins » et la façon dont ceux-ci problématisent le refus de vaccination et/ou la critique des vaccins au-delà de leurs potentielles implications pour la santé publique. Après avoir présenté nos données (presse écrite, contenus postés sur la plateforme Twitter et sites internet des critiques des vaccins), nous montrerons que le terme « antivaccin » constitue une étiquette délégitimante ancrée dans l’univers symbolique de la Science. Nous verrons ensuite que cet ancrage symbolique provient à la fois de l’usage de cette rhétorique par les professionnels de santé mais aussi de l’investissement dans cette thématique de la part d’une variété de groupes et militants engagés dans la promotion de la Science et sa défense contre ses ennemis contemporains. Enfin, nous verrons que les stratégies de réponse à cette délégitimation déployées par les critiques des vaccins contribuent à renforcer cet étiquetage délégitimant des « antivaccins ».

8 Pour faciliter la lecture, plutôt que d’utiliser systématiquement les guillemets pour marquer notre distance avec certains termes, nous mettrons simplement une majuscule aux valeurs auxquelles nous ferons référence (par exemple, la Science), et écrirons antivaccin en italiques.

Méthodologie

9 Nous mobiliserons trois jeux de données choisis pour leur complémentarité : des articles de presse d’information générale (pour saisir les discours publics sur les antivaccins), des contenus publiés sur le réseau social Twitter (pour saisir la palette la plus large possible de ces discours au-delà des points de vue autorisés) et des sites internet des critiques des vaccins eux-mêmes (pour mettre en évidence les luttes symboliques entourant cette étiquette).

Médias d’information générale (presse écrite)

10 À partir de la base de données Europresse, nous avons constitué un corpus d’articles dans lesquels apparaît l’expression antivaccins et ses variantes. Nous avons sélectionné les articles publiés entre le 1er janvier 1990 et le 14 avril 2017 dans la presse écrite d’information générale nationale française ou dans Le Parisien[1] (167 apparitions du terme antivaccin ou de ses variantes dans 140 articles après suppression des doublons et des erreurs). Notre échantillon est tiré des journaux suivants (la date de début de l’archive et le nombre d’articles sont indiqués entre parenthèses) :

11

Le Monde (19/12/1944 ; 33) ; Le Figaro (31/10/1996, 23) ;
Libération (02/01/1995, 14) ; L’Humanité (16/11/1999, 6) ;
La Croix (01/09/1995, 17) ; Le Point (01/01/1970, 5) ;
L’Express (07/01/1993, 7) ; Marianne (06/01/2007, 4) ;
Le Parisien (02/05/1998) ; Aujourd’hui en France (04/10/2005) ;
Le Parisien Magazine (19/02/2016, 22 pour les trois) ;
Les Échos (02/01/1991, 7) et La Tribune (05/01/1995, 2) [2].

12 Pour la majorité de ces titres, la période couverte comprenait toutes les controverses récentes évoquées dans l’introduction (à partir de l’hépatite B au milieu des années 1990).

13 Le tri qu’opèrent les journalistes parmi leurs sources et parmi les arguments de ces dernières est susceptible d’invisibiliser la mobilisation de nombre d’acteurs sur ces sujets ainsi que les discours perçus comme plus radicaux ou moins légitimes. Notamment, l’organisation des journaux en rubriques thématiques occulte la participation des acteurs extérieurs au champ médical à la délégitimation des antivaccins. Pour contourner ces limites, deux bases de données issues d’Internet ont été mobilisées, la première composée de tweets et la seconde composée d’un échantillon de sites d’acteurs critiques.

Twitter

14 Entre le 28 mars et le 20 décembre 2016, nous avons collecté tous les tweets contenant des termes associés aux vaccins publiés dans le monde au cours de cette période à l’aide du logiciel Gazouilloire (5 millions de tweets environ) [3]. Ce logiciel recueille aussi le texte de présentation de soi proposé par les « twittos ». Nous avons ensuite sélectionné les tweets contenant le terme « antivaccin » et ses variantes parmi les tweets francophones ou publiés par des personnes francophones. L’analyse portera donc sur l’ensemble restreint des 4131 tweets qui ont rempli ces deux conditions. Nous avons distingué les tweets originaux (1084) et les ret weets (3047) [4]. Si cette base ne couvre qu’une petite partie de la période récente, l’année 2016 a été particulièrement riche en actualités vaccinales avec notamment l’organisation de la concertation citoyenne entre janvier et octobre, la radiation du professeur Joyeux de l’ordre des médecins pour ses propos sur les vaccins ou encore le scandale de la projection d’un film critique des vaccins au festival de Tribeca présidé par Robert de Niro.

Sites internet critiques

15 Nous avons constitué un échantillon de 285 sites francophones contenant la remise en cause d’au moins une recommandation vaccinale. Cet échantillon comprend notamment les principaux acteurs ayant participé aux controverses évoquées dans l’introduction, dont les principales associations de victimes des vaccins, les groupes historiques rejetant la vaccination en général, des associations et partis écologistes, des sites et associations de promotion des médecines alternatives et des sites internet conspirationnistes (nous en présenterons les principaux dans la dernière section). Le terme antivaccin et ses variantes ont pu être identifiés sur 1009 pages de notre corpus (sur un total de 27292). Nous avons choisi d’exclure les usages du terme dans les sections commentaires, les liens, les références académiques, les pages identiques sur un même site et les reprises de texte d’un site à l’autre. Le nombre de pages restantes s’élève à 591 réparties dans 116 sites et sur lesquelles le terme antivaccin apparaît 728 fois.

Analyse

16 La méthode d’analyse de contenu appliquée à l’ensemble de ces textes s’est inspirée de la psychologie sociale des représentations sociales (Abric, 1994). Il s’agissait de saisir les descriptions des antivaccins produites par les différents acteurs s’exprimant publiquement et, à travers ces descriptions, les valeurs au nom desquelles ils se voient publiquement délégitimés. L’analyse a consisté à lire tous les articles de journaux, tweets et pages de site internet. Pour chacune des apparitions du terme antivaccin nous avons déterminé si la description était neutre, négative, positive, si elle consistait à s’en distinguer ou à dénoncer son caractère polémique ou délégitimant. Nous avons surtout relevé les termes et expressions directement utilisés pour décrire ces acteurs (par exemple : « ils sont fous », « ils sont malins ») ainsi que les termes et autres acteurs auxquels ils sont associés ou comparés (par exemple : « ils sont comme les fanatiques religieu x », « les antivaccins, les réactionnaires et les créationnistes, il faut tous les combattre »). Lorsqu’un terme est revenu plusieurs fois dans un corpus (Twitter, média ou sites internet), nous l’indiquerons sous la forme suivante : « n occurrences », une même description pouvant comprendre plusieurs termes. Une attention particulière a été portée à la coexistence dans ces données de descriptions contradictoires (les antivaccins présentés en héros de la Science ou au contraire comme l’exemple idéal de l’anti-Science) ainsi qu’à la position des acteurs qui publicisent ces discours [5].

17 Ces trois jeux de données seront mobilisés à différents moments de la démonstration. Ainsi, dans la prochaine section, nous exposerons la représentation des antivaccins qui prédomine dans les discours publics. Pour cela, nous nous concentrerons sur les résultats tirés de l’analyse des articles de presse et des tweets. Dans la section suivante, nous utiliserons à nouveau les articles de presse et les tweets pour identifier les acteurs qui véhiculent cette représentation. Les sites internet des critiques ne seront mobilisés que dans la dernière section dédiée à l’analyse des stratégies déployées par les critiques des vaccins en réponse à ces présentations publiques désobligeantes.

Résultats

L’étiquette antivaccin

18 Que ce soit dans les médias ou sur Twitter, les descriptions des antivaccins sont étonnamment cohérentes. Certains tentent d’utiliser ce terme de manière neutre simplement pour désigner les critiques et leurs propos (soit 68 des fois où le terme antivaccin est utilisé dans les médias, 36 % des tweets). Seulement, le fait que l’immense majorité des jugements exprimés soient négatifs confère à ce terme une étiquette délégitimante. Ainsi, aucune description positive ne figure dans notre corpus de médias (2 % des tweets). Les descriptions explicitement négatives couvrent 49 des 167 usages de ce terme dans les médias (56 % des tweets), auxquelles il faut ajouter les moments où le locuteur l’utilise pour s’en démarquer ou pour dénoncer son usage, nous y reviendrons plus loin (50 fois dans les médias, 7 % des tweets).

19 Nous allons nous concentrer sur les représentations négatives. Les rares descriptions positives et les mises à distance du terme seront évoquées dans la dernière section consacrée aux réponses à cette délégitimation. Dans cette première partie, nous donnerons la primeur aux résultats tirés de l’analyse des articles de presse du fait de leur plus grande publicité. Les résultats de l’analyse des tweets seront reportés en note de bas de page sauf lorsqu’ils donneront à voir des aspects peu présents dans les articles de presse.

Le portrait moral de l’antivaccin : une délégitimation cognitive

20 Comme la majorité des controverses sociotechniques, celles portant sur les vaccins se concentrent au moins en partie sur des enjeux de savoir. Tel vaccin protège-t-il réellement contre telle maladie et génère-t-il réellement tel effet indésirable ? Il n’est alors pas étonnant que les antivaccins ne soient pas uniquement présentés comme mettant en danger la santé de la population mais soient surtout décrits selon des termes visant à attaquer leur respect de la Raison dont la Science est l’incarnation la plus aboutie. En effet, cette délégitimation publique ne s’ancre pas uniquement dans l’univers normatif et symbolique de la médecine et de la santé. Les antivaccins sont répréhensibles avant tout du point de vue de leur relation à la vérité.

21 Ainsi, le problème des antivaccins est présenté dans les articles de presse comme provenant avant tout de leur incapacité à raisonner correctement à partir de faits. Leur « méconnaissance » les conduit à tenir des positions « hasardeuses », des « propos contestables », à dire des « aberrations » (2 occurrences dans les médias), à proférer des « arguments erronés » fondés sur « des raisonnements à l’emporte-pièce » et des « arguments battus en brèche » malgré l’existence de « dizaines d’études ». Ils colportent des « rumeurs » (7) et des théories du « complot » (8) [6]. On retrouve surtout dans ces articles l’opposition classique entre la passion et la raison. Les arguments des antivaccins sont « irrationnels » (3). Eux-mêmes ont « un aspect passionnel, peu rationnel », « s’attaquent à la médecine rationnelle » et ils brandissent leurs arguments « contre raison » ou « contre l’évidence » [7].

22 Leur capacité à raisonner et à prendre en compte les faits est aussi déficiente en ce qu’ils sont incapables de remettre en question leurs croyances. Celles-ci peuvent être de nature politique ou religieuse. Ainsi, leur critique est fondée sur une « opposition de principe », des « idéologies » (3) et ils jettent « a priori » la suspicion « sans la moindre preuve ». À travers leurs vidéos, ils « prêchent » auprès des internautes leur parole de « croyants » dans le cadre d’une « croisade » (2) [8]. Le fait qu’ils soient directement qualifiés de sectaires (2), présentés comme des « sectes » (2), ou proches d’elles (5) participe de cette représentation sociale.

23 Certains vont même plus loin et les accusent de propager sciemment ces contre-vérités. Ce n’est donc pas tant qu’ils sont incapables d’argumenter sur la base de faits, mais plutôt qu’ils choisissent de ne pas le faire parce que cela sert leur intérêt propre. Les antivaccins s’adonneraient ainsi à la « désinformation », à la « manipulation grossière », colporteraient des « mensonges » (2) et des « sornettes », feraient « passer les faits pour des opinions », leur discours n’étant que « rhétorique ». Ils font preuve de « démagogie cognitive » (2), de « cynisme », de « populisme », « surfent sur des idées reçues » et « savent utiliser des thèmes porteurs » dans leur travail de recrutement. Ils « cherchent à séduire ». Leur activité est qualifiée de « propagande » à deux reprises. Le choix opéré par nombre de journalistes et le sources leur permettant de traiter cette question des critiques des vaccins sous l’angle du jeu politique ou militant, avec de nombreuses références à la « montée en puissance » et à l’« influence » (et autres formulations ») du mouvement antivaccin, contribue à renforcer cette représentation. Ainsi, au-delà des références nombreuses à ces « militants » (8) ou « activistes », ces critiques sont présentés comme menant une « campagne » (3), voire une « offensive » ou une « bataille ». Le contexte actuel est une « occasion historique » pour eux. Cette campagne est orchestrée par des groupes « structurés et organisés » et « motivés » qui « profitent » de ces débats ou cherchent à les « récupérer ». Ils sont aussi présentés comme des « lobbies » à sept reprises avec notamment l’usage de l’expression « lobby antivaccin ». Certains vont même plus loin et insistent sur le caractère « radical » de leur engagement (3). Leur communication est ainsi « très extrémiste » ou certaines franges le sont. Ils font preuve d’une « incroyable violence » sur internet et certains se révèlent « jusqu’au-boutistes » ou « forcenés » [9].

24 Ce portrait moral s’oppose avant tout à celui du scientifique tel que les promoteurs de la Science se sont efforcés de le construire. Ainsi, Steven Shapin et Guillaume Carnino montrent bien qu’entre le XVIIIe siècle et la fin du XIXe siècle, le processus d’institutionnalisation du champ scientifique a pu s’appuyer sur la capacité des entrepreneurs de cause scientifique à imposer l’idée que le travail scientifique constituait l’incarnation la plus aboutie de « la Raison » et à imposer une confusion entre ces deux termes-valeurs, que le raisonnement scientifique se démarquait en tout point du raisonnement religieux (la religion constituant l’ennemi principal de la Science), et que le caractère désintéressé de cette pratique permettait aux scientifiques de transcender les clivages partisans pour apporter des réponses objectives aux problèmes sociaux, faisant ainsi de la politique entendue comme lutte d’intérêts une autre figure opposée à la Science (Shapin, 1994, 2009 ; Carnino, 2015). La délégitimation des antivaccins s’inscrit donc avant tout dans le prolongement de cette entreprise qui a conduit à une transformation des conceptions de la crédibilité ainsi que des acteurs auxquels elle est accordée. Cette valeur est utilisée pour évaluer ces acteurs critiques implicitement comparés aux défenseurs des vaccins, les premiers étant inférieurs du point de vue de la qualité scientifique et rationnelle de leur pensée, discours et actes.

Les antivaccins engagés dans une lutte politique contre la Science

25 Mais la valeur Science permet aussi d’aller au-delà de la formulation d’actes d’évaluation. Elle constitue un support pour les acteurs des controverses dans leur travail de problématisation-politisation (Barthe, 2010). Sous cet angle, le combat des défenseurs des vaccins dépasse le cadre des controverses et participe à la défense d’une valeur générale qu’il faut respecter pour le bien de la société dans son ensemble, ainsi qu’à la stigmatisation des antivaccins comme un groupe n’ayant pas seulement tort à propos des vaccins mais participant aussi d’un phénomène plus général contre lequel la société dans son ensemble doit se mobiliser. Or, la promotion de l’activité scientifique au cours des deux derniers siècles ne s’est pas uniquement basée sur une présentation idéalisée de l’individu scientifique. Elle s’est aussi appuyée sur l’association de cette activité avec une autre valeur, « le Progrès ». L’activité scientifique est une entreprise importante en tant que source d’amélioration continue de la condition humaine. Cette amélioration est à la fois spirituelle (les « lumières » du savoir) et matérielle (les inventions qui permettent l’amélioration des conditions de vie). Guillaume Carnino a bien montré à quel point cette rhétorique du progrès s’articulait à la construction d’un ennemi : les forces réactionnaires et leurs ténèbres dont la religion serait l’archétype (Carnino, 2015 ; voir aussi Gieryn, 1999). Dans nos sources médiatiques, l’ajout de cette dimension plus politique trouve son meilleur exemple dans deux tribunes signées par le sociologue Gérald Bronner dans Le Point le 30 avril et le 30 juillet 2015, intitulées respectivement « En France, le récit de la crainte l’emporte » et « Les nouveaux obscurantistes ». Le texte suivant est extrait de la première :

26

Les arguments de la peur ont toujours existé, seulement ils demeuraient confinés dans des espaces de radicalité militants. Ainsi, les antivaccins n’ont pas attendu le changement de millénaire pour tenter de se faire entendre, mais ils ont profité, comme beaucoup d’autres idéologues de la peur, de la dérégulation du marché de l’information que constitue Internet pour diffuser les éléments de leur rhétorique dans l’espace public. Car cette dérégulation, favorable à la démagogie cognitive, fait de l’idéologie de la peur un très bon produit dans une économie de l’attention de plus en plus concurrentielle […]. C’est alors une force profondément réactionnaire. C’est donc une bataille narrative, ancienne dans l’histoire de l’humanité, qui s’engage entre la réaction et le progrès.

27 À l’exception des interventions de cet acteur, cette forme de délégitimation demeure très rare dans nos sources médiatiques.

28 Elle est néanmoins courante sur Twitter, plateforme où peuvent s’exprimer une plus large palette d’acteurs et de positionnements. Ainsi, l’anti-vaccinalisme est présenté par divers twittos comme un positionnement « anti-science » ou « anti-scientifique » (10 occurrences sur Twitter), « pro-pseudoscience » (19 auxquels s’ajoutent 9 retweets d’un article de pseudo-sciences.fr). Ses représentants font « appel à l’ignorance » (10), sont « contre la science et les faits », « obscurantistes » (32) et « pas modernes ». Ils sont « anti-tout » et vivent dans leur « caverne ». Ils représentent « la technophobie » et veulent un « retour au XIXe siècle », « un bond 100 ans en arrière », voire plus loin, et il faut leur rappeler qu’« on est au XXIe siècle ». Un article du site satirique québécois Lenavet intitulé « L’Union des maladies moyenâgeuses félicite le mouvement antivaccin pour son bon travail » est partagé 23 fois. Ils sont surtout présentés comme similaires ou comparables à d’autres figures contemporaines censées incarner ce mouvement contemporain « anti-science » comme les climatosceptiques (25) et les critiques des organismes génétiquement modifiés (24). Mais la liste inclut aussi ceux qui luttent contre l’expérimentation animale, ceux qui pensent que la terre est plate (8), les religieux ou la religion en général (6), les astrologues (3), ceux qui croient à la magie, aux superstitions, les scientologues, etc. Le tweet suivant publié en octobre 2016 illustre une manière commune de faire ce rapprochement : « Ces campagnes anti libre-échange sont à peu près aussi obscurantistes que celles antivaccins anti-OGM ou anti-réchauffement. Triste ! ».

29 Ce dernier tweet montre un autre aspect essentiel de la construction du terme antivaccin en étiquette délégitimante. Les antivaccins sont utilisés comme l’exemple-type de ce contre quoi il faut lutter lorsque l’on parle de l’« obscurantisme » contemporain ou des risques que fait peser Internet sur le caractère éclairé de l’opinion publique. Ils deviennent ainsi une figure mobilisable dans n’importe quel débat. Par exemple, de nombreux tweets et éditoriaux de journaux évoquant de manière critique Donald Trump ou le mouvement 5 étoiles en Italie soulignent qu’ils sont antivaccins. Cet extrait d’une conversation lancée sur le thème de l’ostéopathie par un twitto médecin (twitto 1) illustre comment cette étiquette peut être mobilisée dans ces échanges typiques de la plateforme Twitter et en lien avec le répertoire rhétorique associé à la Science :

30

[Twitto 1] – On voit tellement de trucs foireux tu peux pas imaginer.
[Twitto 2] – Et avec Crohn, tu n’imagines pas le nombre de conseils foireux et de thérapies bidon que mon entourage me propose.
[Twitto 1] – Je sais bien tout ça dans mon bled le fond d’obscurantisme est important.
[Twitto 2] – Suffit de voir les antivaccins, les adeptes de la détox, des régimes Paléo à la con…
[Twitto 1] – On est dans la pensée magique, la croyance…, ça a toujours existé.

31 Prises ensemble, ces descriptions publiées dans la presse et sur Twitter composent un portrait idéal-typique de l’antivaccin comme figure à opposer à celle du scientifique et comme opposant politique à la Science. Bien sûr, elles ne recouvrent qu’une partie de nos données. Notamment, le danger que poseraient les antivaccins pour la santé publique revient aussi régulièrement [10]. Les descriptions et attaques désobligeantes sont ancrées dans une grande variété de cadres culturels et politiques épars sans que n’émergent pour autant d’autres référentiels normatifs significatifs.

32 Avant d’analyser de manière plus approfondie les acteurs qui tiennent ces discours publics, il est important de noter que, sur Twitter et dans la presse écrite, les antivaccins restent un ensemble flou aux frontières mal définies se pliant d’autant plus facilement aux descriptions délégitimantes que l’objet décrit reste relativement indéterminé. Nous avons vu dans l’introduction qu’il existait une diversité de positionnements critiques sur les questions vaccinales et que certains acteurs ne rejettaient pas le principe de la vaccination. Au vu des qualificatifs associés à ce terme, son sens et le périmètre qu’il recouvre constituent un enjeu crucial pour nombre d’acteurs. Or, dans les médias et sur Twitter, ce terme semble aller de soi. Dans la presse écrite, par exemple, seuls deux articles présentent une définition des antivaccins. Les seules exceptions significatives à cette tendance sont les cas où certains acteurs critiques déclarent explicitement ne pas être antivaccins et que les journalistes reprennent ces affirmations à leur compte (38 des 167 apparitions du terme antivaccin dans les médias). Nous verrons ainsi dans la dernière section que nombre d’acteurs critiques s’emploient à se démarquer des antivaccins.

Qui se mobilise contre les antivaccins ?

33 Pour comprendre pourquoi cette représentation sociale des antivaccins peut s’imposer publiquement, il nous faut nous intéresser aux acteurs qui produisent ces discours. Qui s’engage publiquement dans la dénonciation des critiques des vaccins ? Comme dans la section précédente, nous nous concentrerons sur les articles de presse d’information générale et sur les tweets.

Une rhétorique des professions médicales

34 La vaccination est une intervention médicale réalisée par des praticiens (pédiatres, médecins généralistes, infirmières/infirmiers, etc.) sur évaluation et recommandation d’institutions publiques spécialisées dans la santé (ministère de la Santé, Santé publique France, Agence nationale de sécurité du médicament, etc.), après avoir sollicité l’expertise de chercheurs spécialistes des domaines composant la vaccinologie (infectiologues, virologistes, pharmacologues, etc.). À cette chaîne d’acteurs professionnellement intéressés à la vaccination, inhérente à leur place dans le système de santé, il faut ajouter les laboratoires pharmaceutiques qui produisent les vaccins.

35 Une grande partie des acteurs qui s’engagent dans cette délégitimation publique des antivaccins font partie de ce système de santé. On constate ainsi que, du côté des sources des journalistes, la dénonciation publique provient dans l’immense majorité des cas de personnalités du monde médical (30 des 49 descriptions explicitement négatives des antivaccins dans les médias) et ce particulièrement pour les qualificatifs les plus délégitimants. Les chercheurs et professeurs des universités praticiens hospitaliers dans les domaines relevant de la vaccinologie sont notamment très représentés dans nos articles de presse et constituent la source par défaut des journalistes de santé. Des représentants des institutions impliquées dans la politique vaccinale ainsi que des laboratoires pharmaceutiques se sont aussi publiquement exprimés pour dénoncer les antivaccins. Cette mobilisation importante du monde médical se constate également dans les tweets que nous avons récoltés. Ces derniers montrent surtout que cette mobilisation n’est pas restreinte aux acteurs dominants du champ de la santé visibles dans les médias. Elle concerne aussi des médecins, infirmiers, pharmaciens et étudiants de ces filières [11].

36 Mais les personnes en charge de recommander les vaccins et de les utiliser ne sont pas les seules à être professionnellement intéressées par leur défense. Un grand nombre de journalistes participent eux-mêmes à cette délégitimation, reprenant à leur compte les discours de leurs sources dominantes [12]. La profession de journaliste de santé entretient des rapports différenciés vis-à-vis de ces dernières, conduisant certains journalistes à endosser une position critique tandis que d’autres se posent davantage en auxiliaires de santé publique en charge de la diffusion des recommandations de bonne pratique (journalisme de service) (Marchetti, 2010). Du fait de leur proximité plus grande avec ces sources, certains journalistes s’engagent ainsi dans le même combat.

37 Ces différents acteurs ont donc un intérêt direct à défendre les normes contemporaines de vaccination et notamment en direction du public. Le répertoire rhétorique associé à la valeur Science leur permet à la fois de déqualifier publiquement leurs adversaires et leurs arguments ainsi que de décloisonner symboliquement leur propre combat qui dépasse alors la thématique de la santé. En en appelant à la Science, ils peuvent à la fois multiplier les points d’accroche normatifs auprès du public pour le convaincre de se faire vacciner mais aussi mobiliser au-delà du milieu médical pour défendre les vaccins. La cause des médecins en faveur de la santé est transformée en cause en faveur de la Science.

Les mouvements pro-Science

38 Néanmoins, la délégitimation publique des antivaccins n’est pas limitée aux acteurs qui ont un intérêt professionnel pour la vaccination. Les données Twitter permettent de voir la forte implication sur ce sujet d’un type d’acteurs n’ayant pas de liens professionnels directs avec la vaccination ou la santé et dont l’engagement sur la thématique vaccinale procède d’un engagement plus général en faveur de la Science.

39 Ainsi, 93 [13] twittos ont en commun d’inclure dans leur « bio » des termes associés à la Science ou des termes associés à la lutte en faveur de cette valeur. Pour près de la moitié, cela fait référence à une activité professionnelle ou amateur [14]. Mais, pour le reste d’entre eux (46), la Science constitue un objet de mobilisation au sein de courants intellectuels comparables sous certains aspects aux positivistes du XIXe siècle. Certains ont des auto-descriptions centrées sur les variantes du terme « science » ainsi que sur les ennemis censés l’incarner aujourd’hui : « je sers la science », « un humain heureux sans dieu ni paradis. « #Evolution is a fact. #FlatEarth is the biggest bullshit of all time », « scientiste », « Sciences #Darwin », « Pro-science », ou en anglais : « Stalking pseudoscience in the internet jungle », « Vaccines work, GMOs are safe and everything is a chemical. Science Doesn’t Care What You Believe ! », « atheist fighter for the greater glory of science », « if you want to find the Answers to life’s questions, it is far better to look to Reason, not Genesis », etc. On trouve notamment parmi eux le compte Twitter d’un des principaux représentants des mouvements rationalistes qui ont émergé durant la seconde moitié du XXe siècle : l’Association française pour l’information scientifique. Fondée en 1968, l’Afis « promeut la science contre ceux qui nient ses valeurs culturelles, la détournent ou encore usent de son nom pour couvrir des entreprises charlatanesques ». Aux côtés de l’Afis, nous avons identifié un bloc de 34 twittos particulièrement actifs au cours de cette période et se revendiquant du « rationalisme » mais surtout du « scepticisme », de « l’esprit critique », ou de la « zététique ». Ces différents termes renvoient à un positionnement public en faveur de la Raison généralement considérée comme l’alliance de « la méthode scientifique » et de « l’esprit critique ». Par exemple, « les zététiciens » englobent des groupes très actifs sur les réseaux sociaux (en particulier sur Facebook) et des structures locales (associations, groupes de recherche) organisant entre autres des conférences-débats (vulgarisation, lutte contre les pseudo-sciences, etc.). Les militants de ces différentes tendances se mobilisent notamment beaucoup autour de sujets tels que les OGM, le créationnisme et les vaccins.

40 La mobilisation de ces mouvements sur la thématique vaccinale n’est pas anodine et celle-ci est loin de se restreindre à Twitter, puisque de nombreux intellectuels proches de ces mouvements interviennent dans les « grands » médias. Dans notre sélection restreinte d’articles de presse, Gérald Bronner en est par exemple l’un des représentants. En plus de leurs actions à destination du public, ils actualisent les registres rhétoriques associés à cette valeur, notamment par la labellisation publique de différents groupes comme ennemis contemporains de la Science.

Tout le monde se lève pour la Science

41 À côté de ces deux grands groupes, un examen des auteurs des tweets collectés révèle la grande diversité des profils de twittos intéressés par ce sujet. Parmi les présentations de soi que dessinent les « bio », on trouve ainsi des ingénieurs, des professionnels de la communication, des professeurs du secondaire, des informaticiens, un « barista », des étudiants en science politique, des avocats, des personnes s’avançant avant tout comme des mères ou des pères et, surtout, beaucoup de personnes dont on ne sait rien ou quasiment rien. Comme dans l’échange de tweets cité dans la section précédente, la figure des antivaccins émerge sous les doigts de personnes qui ne semblent pas avoir d’intérêt professionnel particulier en relation avec la santé, mais davantage un intérêt personnel, soit en tant qu’individu susceptible de contracter une maladie, citoyen intéressé par l’actualité politique, par les sciences, par le droit, par les réseaux sociaux, personne de gauche ou de droite, etc. Or, force est de constater que le champ rhétorique employé par les autorités de santé, les experts en vaccinologie, les journalistes, est repris par ces twittos qui participent à la réaffirmation de l’importance de cette norme de santé publique et utilisent le registre symbolique de la Science pour ce faire. Notamment, le volet politique de ce registre n’est pas uniquement l’apanage des médecins. Dans la section précédente, nous avons donné l’exemple d’une traductrice audiovisuelle faisant référence à « la pensée magique, la croyance, etc. » pour rendre compte des comportements des antivaccins et d’autres formes d’« obscurantisme ». Mais ce type de termes est aussi utilisé par une romancière (« charabia pseudo-scientifique »), par un parent autiste (« dogme, manipulation, charlatanisme », « mythe », « astrologie »), un rédacteur web (« anti-science »), un mathématicien (« obscurantiste »), un bureaucrate (« obscurantiste »), un conservateur spécialisé dans les estampes japonaises (« climato-sceptiques ») ou encore par un développeur freelance qui poste le tweet suivant en avril 2016 [15] : « Entre les antivaccins, les électrosensibles et les religieux ? Qui a la perle de la stupidité crasse ? ».

42 Il est aussi important de noter que les descriptions dépréciatives des antivaccins ne sont pas uniquement le fait de ceux qui se posent en défenseurs des vaccins. En effet, certains critiques participent activement à cette délégitimation. Ainsi, 30 descriptions des antivaccins dans les médias sont le fait de critiques dont 20 consistent à se distancier de cette catégorie ou ce groupe. Si les choix rhétoriques des professionnels de santé, la mobilisation des pro-Science et la mobilisation d’une partie du public en faveur des vaccins au nom de la Science sont des éléments essentiels pour la constitution des antivaccins en figure de l’anti-Science, les stratégies de réponse à cette délégitimation par les critiques eux-mêmes en constituent un autre aspect essentiel.

« Antivaccin, non. Vaccin-critique, oui » : les critiques et la Science

43 Tournons à présent notre regard vers les associations, collectifs, réseaux, militants, etc., touchés par cette délégitimation. Comment réagissent-ils à ces discours publics ? Nous nous concentrerons sur notre échantillon des sites internet des critiques des vaccins qui contiennent un matériau riche permettant de saisir les stratégies de réponse à cette délégitimation publique.

Dénoncer le procès en anti-Science au nom de la Science

44 La dénonciation de cette délégitimation compte pour une portion très importante des usages du terme antivaccin dans les sites de ces acteurs [16]. Ils rapportent ainsi souvent des propos précis tenus par des « pro-vaccins » (extraits d’articles de presse, de conférences, etc.) qu’ils commentent, ou résument les anathèmes dont ils font l’objet. Dans cet extrait de son site, Michèle Rivasi, députée européenne Les Verts, se plaint des réactions à sa programmation d’un documentaire sur le lien entre autisme et vaccination :

45

Je subis – depuis que cette invitation est partie – une crucifixion en règle et suis assimilée aux antivaccins et à une vulgaire obscurantiste malgré ma formation scientifique (je suis normalienne) et les preuves du sérieux de mon travail en tant que co-fondatrice du laboratoire indépendant d’analyse de la radioactivité la Criirad ou que parlementaire travaillant sur les sujets de santé publique et de santé environnementale.

46 La violence des attaques dont les critiques feraient l’objet et surtout leur ancrage dans la rhétorique de la Science sont exacerbés dans ces sélections et résumés des attaques. On y retrouve ainsi la répétition des termes les plus forts évoqués dans la première section, comme « secte » (54 occurrences sur les sites internet), « obscurantisme/tiste » (10), « fanatiques » (8), rejet du « progrès » (4), « anti-science » (4), « croisade » (4), « dogmatique » (4), « primaire » (14), « idéologie » (13), « lobby » (41), « propagande » (14), « désinformation » (17), les « complots » et « conspirations » (16 et 38), etc. Cette focalisation sur les attaques les plus violentes et les plus ancrées dans le registre rhétorique de la Science permet de présenter les critiques publiques dont ils sont l’objet suivant une tournure paradoxale : des attitudes qui s’opposent à la Science. Dans ces résumés, les anathèmes sont présentés comme trop caricaturaux et trop violents pour être raisonnables et ne peuvent donc que traduire un engagement passionné ne relevant pas uniquement de la froide Raison et du calme des faits. Ces critiques dénoncent ainsi les « amalgames », l’« acharnement », les « fatwas », les « bulles papales » et la « croisade » contre les pensées dissidentes, utilisant à peu près les mêmes termes que ceux qui leur sont adressés pour retourner l’accusation d’aveuglement « doctrinaire » ou « religieux » [17]. Ils se présentent alors comme les réels défenseurs de la Science, incarnation de la Raison, de l’« esprit critique », et luttant contre tous les « obscurantismes ». Notamment, ils défendent à travers ces auto-descriptions une conception de la science qui met l’accent sur sa nécessaire indépendance des intérêts financiers et politiques. Cette tendance trouve son exemple le plus parlant dans un texte de juillet 2016 du site réseauinternational.net intitulé « Le Pr Henri Joyeux : le Galilée du XXIe siècle » qui dénonce la radiation de l’ordre des médecins d’un cancérologue critique vis-à-vis de la vaccination contre le papillomavirus, des obligations vaccinales et de l’usage des adjuvants.

Peu de retournement du stigmate

47 Pourtant, ce retournement de l’accusation ne se traduit pas dans un travail d’inversion du stigmate associé aux antivaccins, c’est-à-dire de transformation de l’étiquette en catégorie positive (Kitsuse, 1980). Ainsi, les acteurs critiques n’utilisent quasiment jamais cette catégorie de manière positive, pour se qualifier eux-mêmes ou encore pour désigner une personne à laquelle ils attribuent du crédit [18].

48 La plupart des sites internet de notre échantillon regorgent de descriptions positives des différents acteurs de la critique vaccinale, de la nécessité de leurs combats et de la scientificité de leurs arguments. Seulement, ces auto-descriptions se font pratiquement sans référence à la catégorie antivaccin. De plus, les quelques utilisations positives de ce terme font très rarement plus de quelques mots. Nous n’avons pu trouver que quatre contre-exemples dont le texte suivant est le plus développé :

49

Savez-vous qui sont les personnes animant ces ligues « antivaccin » ?
Vous n’êtes pas sans savoir que vous avez affaire à des bénévoles qui donnent de leur temps et même de leur argent, pour lutter contre les mensonges et informer honnêtement. Ce sont des gens de valeur et de cœur qui aspirent à l’amélioration de la santé de nos enfants et celle d’une population qui croule sous le poids des dépenses de santé. Vous n’avez pas affaire à des sectes obscurantistes et rétrogrades refusant le progrès, mais très souvent à des parents meurtris par les conséquences des vaccinations sur leurs propres enfants. En fait, ces bénévoles que vous semblez mépriser, font le travail que vous devriez faire. Vous êtes grassement payée pour défendre la santé de vos concitoyens. Au lieu de cela, vous êtes manifestement bien plus préoccupée de défendre la santé financière des laboratoires pharmaceutiques et pas seulement dans le domaine des vaccins, et tout ceci au détriment de la santé de vos concitoyens.
Lettre ouverte à la ministre Marisol Touraine écrite par le Dr Jacques Lacaze à l’occasion de la concertation citoyenne de 2016

50 Le rejet de cette catégorie par les critiques ne va pourtant pas de soi. Les premières mobilisations contre les campagnes de vaccination qui sont apparues dans de nombreux pays au cours du XIXe siècle et du début du XXe siècle ont revendiqué ce terme (Bertrand, Torny, 2004 ; Colgrove, 2006 ; Durbach, 2004). La Ligue universelle des antivaccinateurs se crée ainsi en Belgique et en France en 1880. En 1954, les nouveaux militants investis sur ce sujet n’hésitent toujours pas à revendiquer ce terme et à prendre le nom de Ligue nationale contre les vaccinations. Un tournant du point de vue de l’acceptabilité publique du combat antivaccin semble avoir lieu dans la décennie suivante puisque la ligue fait le choix de se renommer Ligue nationale pour la liberté des vaccinations en novembre 1964. En effet, dans les années 1950 s’affirme une volonté politique d’appliquer les obligations de vacciner contre la diphtérie et le tétanos implémentées respectivement en 1938 et 1940, volonté qui débouchera même sur l’extension des obligations au vaccin contre la poliomyélite en 1964 (Bertrand, Torny, 2004). Il semblerait que ce surcroît d’investissement par les politiques et l’État dans la thématique de la vaccination se soit accompagné d’une dénonciation publique des antivaccins au point que certains parlementaires proposeront d’interdire la « propagande antivaccinale ». Le positionnement récent de la Ligue est d’ailleurs resté dans cette ligne. Elle demeure aujourd’hui l’acteur de référence dans le domaine de la critique de tous les vaccins, même si ses militants ne sont plus les plus actifs. Cependant, on ne trouve aucune de ces références positives aux antivaccins sur leur site et le terme y est très peu utilisé. Même la Ligue se distancie à plusieurs reprises explicitement de cette étiquette, comme dans cet extrait d’un texte publié en décembre 2000 :

51

La Ligue n’est pas antivaccinaliste, que ceux qui le disent et l’écrivent nous le démontrent. Ils emploient une expression éculée, sans fondement, nos statuts et notre comportement sont clairs, mais il n’y a pas plus sourd ou aveugle que celui qui ne veut pas entendre ou voir. À moins d’être manipulé, ou malveillant.

52 Le poids de la délégitimation de l’antivaccinalisme semble donc être perçu comme trop lourd pour engager une bataille culturelle autour de ce terme. La ligue est d’ailleurs loin d’être le seul acteur à faire ce choix de la mise à distance de cette étiquette.

Éviter l’étiquette, participer à la délégitimation

53 Ainsi, la majorité des groupes critiques tendent à utiliser eux-mêmes le terme antivaccin d’une manière péjorative et à adopter une stratégie de distanciation (Snow, Anderson, 1987). Ils sont nombreux à prendre soin, sur leur site internet ou dans les médias, de se présenter eux-mêmes ou leurs sources comme « pas antivaccin », voire à reprendre à leur compte les descriptions présentées dans la première section [19].

54 À l’image de la Ligue, cette stratégie est même endossée par des acteurs qui rejettent effectivement tous les vaccins, ce qui témoigne de l’illégitimité associée au terme. En particulier, cette stratégie rhétorique est adoptée par un autre des principaux groupes de ce type, l’association belge Initiative citoyenne, fondée en 2009 à l’occasion de la campagne de vaccination contre la grippe A et qui est très active sur Internet [20]. Si ces acteurs critiques plus radicaux appliquent peu cette stratégie dans leurs auto-descriptions, ils démarquent fréquemment leurs sources des antivaccins[21]. C’est le cas notamment dans cet extrait d’un article américain republié en français sur le site d’Initiative citoyenne en juin 2014 :

55

Le Dr Poland n’est pas contre les vaccins. Non seulement il figure parmi les critiques les plus virulents de « l’irrationalité des antivaccinalistes », mais il est aussi l’un des plus ardents défenseurs des vaccins et du bien que ceux-ci peuvent apporter.

56 Du côté de ceux qui ne critiquent que certains vaccins, la démarcation personnelle est quasiment systématique. On trouve dans ce groupe la plupart des acteurs ayant un minimum de poids dans les controverses vaccinales contemporaines (notamment du point de vue de la visibilité médiatique) [22]. Michèle Rivasi, par exemple, publie le 15 juillet 2015 un billet dont le titre est particulièrement significatif : « Anti-vaccin, non. Vaccin-critique, oui ».

57 Certains d’entre eux vont même beaucoup plus loin puisqu’ils participent activement à la délégitimation publique des antivaccins, notamment en se présentant en défenseurs de la Science contre ces derniers mais aussi contre les excès des « pro-vaccins ». Par exemple, le Formindep, une association qui promeut une information médicale indépendante des laboratoires pharmaceutiques, tient des propos très virulents dans un billet consacré à la concertation citoyenne qui vient de s’achever :

58

Les mouvements anti-vaccinaux se placent sur un terrain para-scientifique, voire anti-scientifique. Il est regrettable de voir cette concertation s’affranchir à son tour des preuves scientifiques, pour reposer sur des injonctions morales ou des arguments d’autorité.

59 C’est aussi le cas de Martin Winckler, un médecin blogueur qui a notamment sévèrement critiqué la campagne de vaccination contre le papillomavirus. Celui-ci renvoie dos à dos « pro-vaccinalistes » et « anti-vaccinalistes » qui opposent chacun leurs « croyances » et leurs « religions » propres. Marc Girard et Pharmacritique sont aussi particulièrement virulents et usent de termes tels que « secte », « croisade », « dogmatique », « obscurantisme », « irrationnel », « idéologique », etc.

60 Pour ces acteurs, cette démarcation s’articule à des choix stricts dans les répertoires critiques qu’ils emploient et les campagnes de vaccination contre lesquelles ils se mobilisent. Ils ne critiquent que certains vaccins et ne mobilisent que des arguments qui permettent de cibler ces vaccins en particulier. Ils refusent ainsi d’utiliser des arguments mettant en cause l’efficacité de la vaccination en général. Parmi ces acteurs, on trouve des associations de patients comme E3M et le Revahb. Pour celles-ci, cette démarche découle de leur focalisation sur la recherche de compensations et d’aides en vue de soigner les maladies qu’ils attribuent à ces vaccins. Pour avoir la moindre chance d’obtenir réparation dans leurs procédures judiciaires et auprès de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, leurs argumentaires doivent se focaliser sur des relations entre un produit pharmaceutique donné et une maladie précise. S’engager dans un combat plus généraliste contre les vaccins représenterait donc pour eux un risque considérable. Pour les acteurs qui en viennent à s’intéresser aux vaccins par le biais d’un engagement politique plus général (notamment dans le domaine de la santé environnementale, les conflits d’intérêts, etc.), ce travail de démarcation constitue une stratégie pour limiter les risques de perte de leur capital scientifique et politique que représente l’investissement dans cette thématique porteuse (visibilité médiatique, potentiel d’intéressement d’une large partie du public, etc.). Au moment de rapporter le discours de ces acteurs, cette démarcation est d’ailleurs reprise à leur compte par certains journalistes plus proches du pôle critique au sein du champ médiatique [23].

61 Dans leur réponse à la délégitimation publique des antivaccins, tous les acteurs critiques semblent avoir fait le choix de ce qu’Anne Bertrand et Didier Torny qualifient de « modèle de dissidence à l’intérieur de la Science » (Bertrand, Torny, 2004, 81). Leur rejet des recommandations vaccinales et des savoirs sur lesquels elles s’appuient se fonde sur la valeur de la Science et ils participent à réaffirmer cette valeur à travers leur combat. Cela se traduit notamment par le fait que plutôt que d’engager un combat contre l’image publique des antivaccins, une grande partie des acteurs critiques (et certains journalistes qui leur sont proches) utilisent cette figure repoussoir comme un marchepied pour construire leur crédibilité par contraste. Ce faisant, ils participent aussi à cette délégitimation ou a minima à la perpétuation de l’existence de cette étiquette délégitimante. Une des conséquences de cette stratégie est que la question de la pluralité des formes de critique des vaccins se voit posée en termes binaire d’usage ou non de cette catégorie (notamment dans les médias d’information générale). Le débat public ne se situe alors pas au niveau du contenu à donner à cette catégorie mais au niveau de son application à tel ou tel acteur, voire à sa pertinence en tant que telle. De ce fait, la représentation sociale de l’antivaccin peut rester relativement homogène et en faire le parangon de l’anti-Science.

Discussion et conclusion

62 On peut s’étonner de la prégnance de cette pratique d’étiquetage dans les débats publics sur les vaccins. En effet, les controverses sociotechniques ne devraient-elles pas consister en des échanges d’idées et d’arguments dont la valeur pourrait être jugée en soi et indépendamment des personnes qui les formulent ? Un des acquis de la sociologie des sciences et techniques est précisément de rompre avec cette vision irénique pour mettre en évidence les diverses ressources et répertoires d’action mobilisés par les acteurs qui participent à ces débats (Frickel, Moore, 2006). Certes, ces travaux mettent en évidence tout le soin que certains acteurs mettent à construire la crédibilité de leur discours. Mais ils montrent aussi que le travail de problématisation au cœur de la construction de leur cause dépasse l’enjeu de la véridicité des propos énoncés. Les discours des parties prenantes incluent systématiquement une forme de politisation visant à mobiliser au-delà du cercle restreint des acteurs déjà impliqués sur le sujet discuté (Barthe, 2010). Or, la désignation et la mise en cause des adversaires eux-mêmes (attaques ad hominem) constituent l’une des modalités les plus communes de ce travail. Les adversaires n’ont pas seulement tort, leur cause et leurs motifs sont répréhensibles. C’est parce qu’ils existent et sont dangereux qu’il est nécessaire de se battre pour défendre ses valeurs. L’irruption du terme antivaccin dans les débats publics correspond donc précisément à ces moments où certains acteurs tentent de faire basculer la discussion, des vaccins discutés vers les acteurs qui les discutent.

63 À partir de données issues des médias d’information générale, du réseau social Twitter et d’un échantillon de sites internet créés par des critiques des vaccins, nous avons montré que le terme antivaccin constitue une étiquette délégitimante et que cette délégitimation est ancrée dans l’univers symbolique de la Science. Prises ensemble, les descriptions publiques de l’antivaccin dessinent le portrait idéal de l’ennemi de la Science. Plusieurs logiques concourent à produire ce phénomène : la mobilisation de la rhétorique de la Science par les professionnels de santé et journalistes dans leur combat pour augmenter les taux de vaccination, le choix fait par des militants pro-science d’investir la thématique vaccinale pour défendre leur cause et l’adoption par la majorité des critiques des vaccins d’une stratégie de dissidence à l’intérieur de la Science qui implique de ne pas s’engager dans une lutte symbolique autour de ce terme, voire de contribuer à cette délégitimation. Ce phénomène n’est pas propre aux controverses vaccinales. Certains travaux portant sur les critiques des centrales nucléaires évoquent une délégitimation très similaire de ces critiques (Topçu, 2013). Plus généralement, de nombreuses études de cas évoquent en passant le fait que ces accusations d’être anti-Science et anti-Progrès constituent des répertoires habituels de disqualification des acteurs hétérodoxes de ces débats (pour une courte revue de littérature, voir Pestre, 2006).

64 Ce phénomène est du même type que les paniques morales autour d’un Folk Devil (« épouvantail ») étudiées par Stanley Cohen (Cohen, 2011, voir aussi, Goode, Ben-Yehuda, 1994). Il serait néanmoins abusif de considérer ces mobilisations contre les antivaccins comme une pure panique morale autour d’un ennemi imaginaire. En effet, les groupes et individus rejetant le principe de la vaccination et refusant tous les vaccins existent bel et bien et peuvent représenter un réel danger pour la santé publique malgré la faiblesse de leur nombre, comme les récentes épidémies de rougeole en France et en Californie en témoignent (Guimier, 2016 ; Mello et al., 2015). De plus, l’enjeu principal de cette labellisation est la confusion entre ce que la littérature sur les comportements de vaccination désigne comme, respectivement, l’antivaccinalisme que l’on vient d’évoquer et l’hésitation vaccinale, c’est-à-dire les doutes et choix de vaccination sélectifs qui peuvent concerner près de 40 % de la population en France (Bocquier et al., 2018). Cependant, envisager ces discours sur les antivaccins comme la construction d’un épouvantail permet de souligner l’une des manières dont la Science est construite en valeur au-delà de son usage comme principe d’évaluation des énoncés factuels dans les controverses spécialisées et confinées. L’étude de la construction de figures publiques de l’anti-Science, comme celle de l’antivaccin, permet de saisir cette modalité à travers laquelle la pertinence de la valeur Science est maintenue dans un contexte où les conditions de sa mise en valeur semblent remises en cause (multiplication des controverses autour des sciences et techniques depuis les années 1970). Dans les travaux classiques de Steven Shapin et Thomas Gieryn, la rhétorique de la Science est envisagée comme une idéologie professionnelle que mobilisent les chercheurs pour défendre leurs intérêts dans les champs académique et administratif (Gieryn, 1999 ; Shapin, 2009). Seulement, les universitaires ne sont pas les seuls à mobiliser la rhétorique de la Science et son usage n’est pas restreint aux discussions portant sur la recherche académique. Un des acquis principaux de la nouvelle sociologie des sciences est de montrer que le champ académique et les champs politique et économique sont interpénétrés, que le traitement des questions scientifiques et techniques circule entre les champs académique, médiatique et administratif, que les universitaires ne sont pas les seuls acteurs de ces controverses ni les seuls producteurs de connaissance scientifique et que cette circulation implique le transfert et la traduction des critères de crédibilité scientifique en dehors du champ académique (voir notamment Callon et al., 2001 ; Dodier, 2003 ; Jasanoff, 1997).

65 Dans le cas présenté ici, la délégitimation publique des antivaccins porte à conséquence sur la structure des mobilisations sur ces sujets. Elle dissuade des acteurs bien dotés en capital politique de s’y engager. Elle dissuade aussi les acteurs déjà engagés sur certains vaccins en particulier d’en ajouter d’autres à leur répertoire et de former des alliances avec les acteurs qui combattent la vaccination en général. Ces contraintes impliquent que les discours critiques sur les vaccins qui se voient largement publicisés sont concentrés sur certains vaccins ; réaffirment la frontière symbolique faisant de l’antivaccinalisme une déviance ; ne se voient accorder qu’une légitimité faible dans les médias comparativement aux discours pro-vaccins portés par les acteurs dominants du champ de la santé. Cette structure du paysage de la critique vaccinale et de la publicisation de leurs arguments contribue donc à expliquer le fait que l’immense majorité des français hésitants sur les vaccins ne doutent que de certains vaccins et non de la vaccination en général (Peretti-Watel et al., 2014 ; Bocquier et al., 2018). De plus, cette délégitimation et les réponses trouvées par les critiques sont en soi importantes pour comprendre l’hésitation vaccinale contemporaine. En effet, autour de cette délégitimation se publicisent des conceptions concurrentes de la crédibilité scientifique et de qui peut s’en prévaloir. Ces conceptions sont susceptibles de guider les individus dans leurs réflexions sur les sujets vaccinaux.

Remerciements
Les auteurs remercient l’Agence nationale de la recherche pour son soutien financier et le Médialab pour la récolte des données nécessaires à cette recherche grâce aux logiciels Hyphe et Gazouilloire.

Notes

  • [1]
    Contenant les racines « antivac », « antivax » ou le mot « anti » et les racines « vaccin » ou « vax » à moins de deux mots d’écart.
  • [2]
    Ces articles se concentrent sur les périodes des procès consécutifs à la campagne de vaccination contre l’hépatite B (1998-2004, 27 articles), de la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1) (avril 2009-fevrier 2010, 21 articles) et surtout sur la période récente (depuis 2011, 85 articles).
  • [3]
    Contenant les racines « vaccin » et « immuni » ou des noms de vaccins.
  • [4]
    Malgré ces critères de sélection visant à nous centrer sur le contexte francophone, l’échantillon inclut des tweets publiés en anglais dont certains n’ont probablement aucun rapport avec le contexte français. Nous avons pris en compte cette limite autant que possible dans l’interprétation des résultats.
  • [5]
    Sur ce dernier point, nous avons pu nous appuyer, pour les articles de journaux, sur la présentation de leurs sources par les journalistes ; pour les tweets, sur les « bios » que les twittos écrivent dans leurs profils pour se présenter ; pour les sites critiques, sur les contenus de ces sites ainsi que sur notre connaissance des controverses vaccinales contemporaines.
  • [6]
    Ils sont même davantage associés aux théories du complot sur Twitter avec 28 occurrences de ce type dans notre base. Leur tendance à dire des choses fausses est décrite à l’aide notamment des termes suivants : « foutaise (26), non-arguments, incompréhensions, non-sens (12), fausses idées, analyse contestable, ont tort, bêtise(s), âneries (6), con/connerie(s) (86), ineptie, imbécillité, racontent n’importe quoi, la bêtise gigantesque, niveau (ironique), #biais, prennent leur cas pour une statistique, manque de vision globale, (pas) logique, sophismes, la petitesse d’esprit et d’argumentation, pseudo-arguments, pas sérieux, non fiable, pas une étude sérieuse ». On pourrait aussi ajouter certaines des nombreuses insultes qui leur sont adressées, notamment : « con(s) (9), ignares, idiot(s) (7), crétins, stupidité crasse, affligeant, débile/débilité ».
  • [7]
    Cette insistance sur l’irrationalité et les descriptions psychologisantes est d’ailleurs beaucoup plus marquée sur Twitter où les discours publiés ne passent pas par le filtre des journalistes, avec les termes : « fou, dingue, en délire, hystérie, psycho/se (8), tarés, frénésie, grands malades, paranoïa, folie, cinglés, trépanés, folie, hystérie ».
  • [8]
    Cette thématique se retrouve sur Twitter avec les termes suivants : « dogme/dogmatique (23), déni de la réalité, pas très objectif, idéologie/idéologue ».
  • [9]
    On retrouve à peu près les mêmes accusations sur Twitter.
  • [10]
    Ils sont souvent décrits dans les médias comme mettant en danger la santé de la population. On trouve dans notre corpus d’articles de presse 17 affirmations explicites se rapprochant de cette formulation, auxquelles on peut ajouter deux références à leur « (ir) responsabilité » et aux « conséquences » de leurs actions. Ce relativement faible nombre de références explicites à cette responsabilité médicale ne veut évidemment pas dire que cette thématique soit mineure pour les journalistes et leurs sources. Ce point est le plus souvent abordé dans d’autres sections de l’article, voire dans les autres articles des dossiers consacrés à ce sujet. Ce type d’accusation est aussi important dans notre corpus de tweets.
  • [11]
    Du côté des 1625 twittos ayant publié des tweets négatifs sur les antivaccins, les professionnels de la santé représentent le groupe identifiable le plus large et 414 des twittos indiquent dans leur « bio » qu’ils travaillent ou étudient dans le domaine médical. On compte notamment 213 médecins ou étudiants en médecine, 38 pharmaciens ou étudiants en pharmacie et 22 infirmières/infirmiers ou étudiants infirmiers.
  • [12]
    Dans la majorité des descriptions des antivaccins dans les médias, c’est le/la journaliste lui/elle-même qui utilise cette catégorie (104 descriptions sur 167 dont seulement 25 neutres) ; 13 des cas de stigmatisation forte (références aux sectes, rumeurs, théories du complot, idéologies, etc.) sont de leur fait. À l’inverse, seuls deux d’entre eux dénoncent en leur nom propre l’usage de cette catégorie.
  • [13]
    Dont 35 ont rédigé leur bio en anglais.
  • [14]
    On trouve ainsi un « rédacteur-communicateur scientifique », 8 médias et émissions dédiées à la science, 6 blogueurs et/ ou youtubeurs « science », 8 journalistes scientifiques, 1 médiateur scientifique et 14 twittos listant tout simplement cette thématique dans leur biographie pour signaler leur intérêt.
  • [15]
    Entre autres et parmi les twitos dont la « bio » est interprétable en termes de profession.
  • [16]
    Soit 250 des 728 descriptions réparties sur 72 des 116 sites, 10 des 30 descriptions dans les médias attribuables aux critiques, 4 % des tweets.
  • [17]
    Chez les acteurs qui rejettent le principe même de la vaccination, ce retournement s’articule à des argumentaires dénonçant « la supercherie » ou « le dogme » de la vaccination.
  • [18]
    Ce terme n’est ainsi utilisé de la sorte qu’à 61 reprises dans notre base de données de sites internet et seulement sur 29 sites différents. Ces descriptions sont quasiment exclusivement sur les sites rejetant tous les vaccins (25 des 29 sites concernés). Au-delà de ces sites, on ne trouve aucune description positive dans les médias et très peu sur Twitter (2,1 % des tweets).
  • [19]
    Ainsi, 188 des 728 descriptions sur les sites internet correspondent à cet usage (64 des 116 sites). Lorsque les critiques utilisent ce terme dans les médias, c’est d’ailleurs le plus souvent pour mettre en avant cette démarcation (20 des 30 occurrences attribuées aux critiques) ; 2,9 % des tweets.
  • [20]
    Ainsi que sur deux blogs très marginaux.
  • [21]
    Soit 32 sites, 92 descriptions sur les sites internet.
  • [22]
    Associations de victimes et écologistes, partis et personnalités politiques, militants centraux, etc.
  • [23]
    Soit 18 des descriptions dans les médias.
Français

Cet article prend pour objet les discours publics sur les « antivaccins ». Nous montrerons que ce terme constitue une étiquette délégitimante ancrée dans l’univers symbolique de la Science. Cet ancrage de la thématique vaccinale résulte de l’usage par les professionnels de santé d’une rhétorique de la Science mais aussi de l’investissement de mouvements pro-Science sur le sujet. Les stratégies de réponse à cette stigmatisation déployées par les critiques des vaccins contribuent paradoxalement à renforcer l’image négative des « antivaccins ». Différents acteurs – y compris critiques – contribuent ainsi à la fois à réaffirmer l’importance de la Science comme valeur à défendre et à faire de l’« antivaccin » une figure de l’anti-Science.

  • Vaccination
  • Controverses
  • Frontières culturelles
  • Panique morale
  • Science
Deutsch

 Der Artikel untersucht öffentliche Diskurse der „Impfgegner“. Es wird gezeigt, dass es sich bei diesem Konzept um ein delegitimierendes Etikett im symbolischen Kontext der Wissenschaft handelt. Diese Verankerung der Thematik zeigt sich sowohl in der Verwendung einer wissenschaftlichen Rhetorik der Professionellen als auch in der Mobilisierung von Pro-Wissenschaftsbewegungen für die Impfungen. Die Strategien der Impfgegner, auf die Stigmatisierung zu reagieren, trägt paradoxerweise zum ihrem negativen Image bei. Verschiedene Akteure – einschließlich der Kritiker – tragen so zu einer Verteidigung von Wissenschaftlichkeit als Wert bei und konstruieren so die Figur des Anti-Wissenschaftlichen.

  • Impfen
  • Kulturelle grenzen
  • Moralische panik
  • Wissenschaft
  • ABRIC J.-C., 1994, Pratiques sociales et représentations, Puf, Paris.
  • BARBOT J., 2002, Les malades en mouvements. La médecine et la science à l’épreuve du sida, Balland, Paris.
  • En ligne BARTHE Y., 2010, Cause politique et « politique des causes », Politix, 91, 3, 77-77.
  • BERGERON H., CASTEL P., 2015. Sociologie politique de la santé, Puf, Paris.
  • BERTRAND A., TORNY D., 2004, Libertés individuelles et santé collective. Une étude socio-historique de l’obligation vaccinale, Paris, Cermes.
  • En ligne BLUME S., 2006, Anti-vaccination movements and their interpretations, Social Science & Medicine, 62, 3, 628- 642.
  • BLUME S., 2017, Immunization : how vaccines became controversial, London, Reaktion Books.
  • BULLETIN D’ÉPIDEMIOLOGIE HEBDOMADAIRE, 2017, Vaccination des jeunes enfants : des données pour mieux comprendre l’action publique, Bulletin d’épidémiologie hebdomadaire, Hors-série, [en ligne] http://invs.santepubliquefrance.fr/Publications-et-outils/BEH-Bulletin-epidemiologique-hebdomadaire/Archives/2017/BEH-hors-serie-Vaccination-des-jeunes-enfants-des-donnees-pour-mieux-comprendre-l-action-publique.
  • En ligne BOCQUIER A., FRESSARD L., CORTAREDONA S., ZAYTSEVA A., WARD J., GAUTIER A., PERETTI-WATEL P., VERGER P., BAROMÈTRE SANTÉ 2016 GROUP, 2018, Social differentiation of vaccine hesitancy among French parents and the mediating role of trust and commitment to health : A nationwide cross-sectional study, Vaccine, 36, 50, 7666-7673.
  • CALLON M., LASCOUMES P., BARTHE Y., 2001, Agir dans un monde incertain – Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil.
  • CARNINO G., 2015, L’Invention de la science : La nouvelle religion de l’âge industriel, Paris, Seuil.
  • COHEN S., 2011, Folk Devils and Moral Panics, New York, Routledge.
  • COLGROVE J., 2006, State of Immunity : The Politics of Vaccination in Twentieth-Century America, Berkeley, University of California Press.
  • DELMAS C., 2011, Sociologie politique de l’expertise, Paris, La Découverte.
  • DODIER N., 2003, Leçons politiques de l’épidémie de sida, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales.
  • DURBACH N., 2004, Bodily Matters : The Anti-Vaccination Movement in England, 1853-1907, Durham, Duke University Press Books.
  • FRICKEL S., MOORE K., 2006, The New Political Sociology of Science : Institutions, Networks, and Power, Madison, University of Wisconsin Press.
  • GOODE E., BEN-YEHUDA N., 1994, Moral Panics : The Social Construction of Deviance, New York, Wiley.
  • GUIMIER L., 2016, Approche géopolitique de la résistance aux vaccinations en France : le cas de l’épidémie de rougeole de 2008-2011, Paris, université Paris-VIII.
  • GIERYN T.F., 1999, Cultural Boundaries of Science : Credibility on the Line, Chicago, University of Chicago Press.
  • En ligne HOBSON-WEST P., 2007, “Trusting blindly can be the biggest risk of all” : organised resistance to childhood vaccination in the UK, Sociology of Health & Illness, 29, 2, 198-215.
  • JARRIGE F., 2016, Technocritiques : Du refus des machines à la contestation des technosciences, Paris, La Découverte.
  • JASANOFF S., 1997, Science at the Bar, Cambridge, Harvard University Press.
  • En ligne KITSUSE J.I., 1980, Coming Out All Over : Deviants and the Politics of Social Problems, Social Problems, 28, 1, 1-13.
  • LEACH M., FAIRHEAD J., 2007, Vaccine anxieties : global science, child health and society, London, Earthscan.
  • MARCHETTI D., 2010, Quand la santé devient médiatique, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
  • En ligne MELLO M.M, STUDDERT D.M, PARMET W.E., 2015, Shifting Vaccination Politics – The End of Personal-Belief Exemptions in California, New England Journal of Medicine, 373, 9, 785-787.
  • En ligne PERETTI-WATEL P., RAUDE J., SAGAON-TEYSSIER L., CONSTANT A., VERGER P., BECK F., 2014, Attitudes toward vaccination and the H1N1 vaccine : Poor people’s unfounded fears or legitimate concerns of the elite ?, Social Science & Medicine, 109, 10-18.
  • PESTRE D., 2006, Introduction aux Science Studies, Paris, La Découverte.
  • REICH J.A., 2016, Calling the Shots : Why Parents Reject Vaccines, New York, NYU Press.
  • ROUVILLOIS F., 1996, L’invention du progrès : aux origines de la pensée totalitaire, 1680-1730, Paris, Kimé.
  • SHAPIN S., 1994, A Social History of Truth : Civility and Science in Seventeenth-Century England, Chicago, University of Chicago Press.
  • SHAPIN S., 2009, The Scientific Life : A Moral History of a Late Modern Vocation, Chicago, University of Chicago Press.
  • En ligne SNOW D., ANDERSON L., 1987, Identity Work among the Homeless : The Verbal Construction and Avowal of Personal Identities, American Journal of Sociology, 92, 6, 1336-1371.
  • TOPÇU S., 2013, La France nucléaire, Paris, Seuil.
  • En ligne WARD J.K., 2016, Rethinking the antivaccine movement concept : A case study of public criticism of the swine flu vaccine’s safety in France, Social Science and Medicine, 159, 48-57.
  • En ligne WARD J.K., COLGROVE J., VERGER P., 2018, Why France is making eight new vaccines mandatory, Vaccine, 36, 14, 1801-1803.
Jeremy K. Ward
GEMASS (CNRS, Université Paris Sorbonne)
Aix Marseille Univ, IRD, AP-HM, SSA
VITROME, Institut hospitalo-universitaire
Méditerranée Infection
19-21, boulevard Jean-Moulin
13005, Marseille, France
GEMASS
59-61, rue Pouchet
75017 Paris, France
jeremy.ward.socio@gmail.com
Paul Guille-Escuret
GEMASS (CNRS, Université Paris Sorbonne)
Aix Marseille Univ, IRD, AP-HM, SSA,
VITROME, Institut hospitalo-universitaire
Méditerranée Infection
19-21, boulevard Jean-Moulin
13005, Marseille, France
GEMASS
59-61, rue Pouchet
75017 Paris, France
paulguilleescuret@gmail.com
Clément Alapetite
Aix Marseille Univ, IRD, AP-HM, SSA
VITROME, Institut hospitalo-universitaire
Méditerranée Infection
19-21, boulevard Jean-Moulin
13005, Marseille, France
clement.alapetite@ens-paris-saclay.fr
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/07/2019
https://doi.org/10.3917/ds.432.0221
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Médecine & Hygiène © Médecine & Hygiène. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...