1 Comment mesurer la délinquance ? Parmi les problèmes posés aux sciences de la société, il en est peu qui aient été aussi anciennement et aussi continûment débattus. On s’est longtemps borné à mobiliser des sous-produits des institutions pénales, des comptages de leur activité, ce que l’on appelle les statistiques criminelles. Puis, la deuxième moitié du XXe siècle a été marquée par la mise en place d’instruments de mesure spécifiques. Les premiers, les enquêtes de délinquance autoreportée, ont été inventés aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale pour mieux cerner la délinquance juvénile ; elles consistent à demander aux membres d’un échantillon s’ils ont commis tel ou tel méfait. Une première phase de leur développement, notamment en Scandinavie, a été suivie d’un relatif délaissement à partir du milieu des années 1970 ; depuis le début de la décennie 1990, cette technique d’enquête connaît une nouvelle fortune avec son extension à l’usage de stupéfiants et à la violence scolaire [1]. Un deuxième type d’instrument, les enquêtes de victimation, a fait ensuite son apparition : mises sur pied dans les années 1960 par Al. Reiss Jr, Al. Biderman et Ph. Ennis pour le compte d’une Commission américaine d’enquête sur le crime afin de pallier les insuffisances des statistiques de police [2], elles consistent à demander aux membres d’un échantillon s’ils ont été victimes de telle ou telle infraction. Cette technique d’enquête est devenue le principal outil de mesure de la criminalité « à victime directe » et du sentiment d’insécurité [3].
2 Mais il arrive aussi qu’on découvre d’excellents instruments de mesure de la délinquance qui n’avaient pas du tout été conçus à cette fin, telle la statistique des causes de décès [4] aujourd’hui internationalement reconnue comme le meilleur compteur de l’homicide [5]. Nous voulons présenter ici un cas rarement exploré à notre connaissance dans la littérature internationale : l’utilisation d’enquêtes déclaratives en santé publique [6] pour mesurer l’implication des jeunes dans la violence.
3 Le propos de cet article consiste à montrer l’utilité d’une diversification des mesures de la délinquance au-delà des instruments spécifiques que sont les statistiques de justice ou de police et les enquêtes de victimation et de délinquance autoreportée. Certes, il s’agit d’indicateurs « de niche » : ils peuvent servir à mesurer certains types de délinquance, mais ne constituent en aucun cas des outils de mesure généralistes. Or justement, il n’existe pas de mesure vraiment généraliste [7] : les statistiques judiciaires ne comptent que les condamnés ou au moins les poursuivis ; les données policières n’enregistrent que les cas ayant fait l’objet d’un procès-verbal [8] ; les enquêtes de délinquance autoreportée sont pertinentes surtout en matière de délinquance juvénile ou dans quelques secteurs connexes ; les enquêtes de victimation ne concernent que les infractions dites ‘à victime directe’, le vol, la dégradation ou l’agression mais pas l’immigration irrégulière, l’usage de produits prohibés ou la fraude fiscale. Si les outils qui n’ont pas été conçus spécialement pour la mesure de la délinquance présentent un champ encore plus spécifique, ils peuvent néanmoins s’y avérer plus performants.
4 C’est que la mesure de la délinquance est une course sans fin au chiffre noir. Dans la thèse [9] qu’il soutint en 1907 à l’Université Friedrich-Alexander d’Erlangen, le chef de la police de Tokyo, Shigema Oba, utilisa l’expression Dunkelziffer, chiffre noir, pour indiquer la différence entre la délinquance connue et celle qui est commise. Cette expression était vouée à une fortune inattendue. Classiquement, la délinquance était mesurée par les condamnations. Cette solution était parfaitement logique : la délinquance est un fait social de nature normative ; elle constitue la déviance d’une norme particulière, la loi pénale. Or, cette norme est de nature abstraite : la loi dit « qui vole pourra être puni de telle peine ». Mais pour décider s’il y a bien vol dans une situation particulière, il faut un acteur social habilité à discerner de manière performative la règle abstraite dans l’événement concret. C’est l’office du juge : il a qualité pour dire s’il y a bien infraction. D’une certaine façon, on peut soutenir qu’il n’y a délinquance qu’à partir du moment où le juge l’a décidé.
5 Mais toutes les situations où il serait susceptible de reconnaître une infraction ne lui sont pas nécessairement soumises ; on peut même soupçonner qu’il n’en connaît qu’une minorité. C’est là que commence la course au chiffre noir.
6 Il existe en effet d’autres acteurs qui, pour décider de soumettre des cas à la décision du juge, posent des jugements provisoires de type « il me semble qu’il y a là un délit ». La mesure de la délinquance se déplace alors du comptage des condamnations à celui de l’activité des professionnels chargés d’approvisionner la justice, d’où le recours, d’abord dans le monde anglo-saxon [10] plus difficilement sur le continent [11], aux enregistrements policiers.
7 On n’en a pas pour autant fini avec le chiffre noir : la police n’enregistre pas toutes les situations potentiellement criminalisables, loin de là [12]. Elle dépend largement de la dénonciation de délits opérée par des tiers ; ces acteurs aussi procèdent à un jugement provisoire : « il me semble que la mésaventure subie pourrait être considérée comme un délit ». Ceux qui s’estiment victimes d’un délit sont les mieux placés pour opérer cet approvisionnement de la police. Mais ils peuvent aussi s’abstenir d’opérer ce « renvoi » [13]. Du coup, les interroger directement a semblé le bon moyen pour obtenir une mesure de la délinquance plus compréhensive que celle procurée par les enregistrements institutionnels.
8 En a-t-on cette fois fini avec le chiffre noir ? A-t-on ainsi trouvé ce que Jan van Dijk (2009) compare au Saint-Graal ? A-t-on atteint le fond du panier ? Pas nécessairement. L’enquête de victimation s’avère être un plancher à hauteur variable : la technique qu’elle déploie, celle du sondage de la population au moyen d’un questionnaire, a ses propres logiques qui ont un effet sur la mesure de la délinquance et il faut la plier à une double contrainte. Si le chercheur veut que la pêche aux victimations soit fructueuse, il doit s’assurer d’une bonne remémoration par les enquêtés des incidents survenus dans la période étudiée et pour cela proposer une batterie de questions suffisamment détaillées. Une enquête spécialisée qui cherche à explorer à fond un type particulier de victimation, comme l’Enquête nationale sur la violence envers les femmes en France menée en 2000 [14], en détaillant abondamment les questions, atteint de la sorte des scores qui dépassent de beaucoup ceux de n’importe quelle enquête « généraliste » de victimation. Ainsi la première enquête francilienne obtenait une proportion annuelle de victimes d’agressions sexuelles quatre fois moins importante que celle de l’ENVEFF [15].
9 Mais inversement, il faut savoir limiter l’interrogation à une durée raisonnable pour éviter de lasser l’enquêté dont les réponses perdraient de leur fiabilité. Typique de cet écueil est l’enquête de 1999 sur les conditions de vie des ménages [16] : en parsemant le questionnaire d’interrogations détaillées sur tous les faits subis et leurs circonstances dans la période observée, donc en allongeant inconsidérément l’administration du questionnaire, on a lassé l’enquêté ce qui a conduit à une chute des taux par rapport aux enquêtes des années antérieures et postérieures, pour presque tous les types d’incidents [17].
10 Autrement dit, il reste toujours un chiffre noir de l’enquête de victimation.
11 Le cas que nous voulons analyser ici apporte une autre sorte de résultat : en matière de violence chez les jeunes, on obtient des scores supérieurs à ceux des enquêtes de victimation généralistes en recourant à des enquêtes qui ne sont pas du tout des enquêtes de victimation ciblées sur une délinquance particulière, mais au contraire des enquêtes de santé publique qui n’abordent qu’incidemment le thème de la victimation. Il faudra s’interroger sur les raisons de cette productivité inattendue.
12 Commençons par situer le problème qui va faire l’objet de notre examen : le rapport des jeunes à la violence et sa mesure. Le débat sur la violence pointe particulièrement les jeunes. C’est assez compréhensible : s’ils n’ont pas encore eu le temps d’accéder (éventuellement) aux autres capitaux, les jeunes sont à l’acmé de leurs capacités corporelles et on les soupçonne de recourir facilement à la force. On regarde traditionnellement avec méfiance les débordements d’une classe d’âge en train d’accéder au statut adulte ; c’est ainsi que Muchembled (2008) a tenté d’écrire une histoire de la violence dans les sociétés d’Europe de l’Ouest à la seule aune du rapport qu’elles entretiennent avec leur jeunesse. Le problème est particulièrement crucial dans des sociétés vieillissantes rongées par le sous-emploi dans lesquelles une classe active adulte tente de rejeter au maximum sur les jeunes (et sur les seniors) les problèmes de chômage et de précarité [18]. Certains [19] voient d’ailleurs une crispation particulière sur la violence des jeunes naître à la suite des émeutes urbaines survenues dans les banlieues de Lyon puis de Paris à la fin 1990 et au début 1991. Depuis celles de la fin 2005 [20] en tout cas, le rapport des jeunes à la violence constitue un thème récurrent du débat public, soit qu’on l’invoque à l’appui d’un durcissement de la répression, soit qu’on l’évoque pour prouver l’échec d’une politique seulement répressive. Certains de ses aspects ont été particulièrement étudiés : outre les émeutes, on peut encore citer les bandes [21] – que Marwan Mohammed (2011) a heureusement replacées dans une triangulation famille-école-rue [22] – les lieux de rassemblements festifs [23] et surtout les rapports conflictuels entre jeunes et police [24]. La plupart des recherches se réfèrent plutôt à la figure du jeune comme auteur de violence. Mais le rapport des jeunes à la violence comprend une autre face que le débat contemporain occulte souvent : celle où il en sont victimes.
13 Pour notre part, nous n’avons pas la prétention de revenir sur tel ou tel aspect déjà étudié du rapport des jeunes à la violence. Nous allons nous concentrer sur des problèmes de mesure dans une perspective avant tout méthodologique : nous voulons démontrer que le recours à des enquêtes en santé publique enrichit la mesure du rapport des jeunes à la violence. Nous allons envisager successivement les jeunes comme auteurs (I) puis comme victimes (II) de violence. Dans une dernière partie (III), nous discuterons la portée des résultats obtenus.
Données [25]
• Enquêtes nationales
La première a été réalisée par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) au milieu des années 1980 en deux phases, l’une de 11156 enquêtés de 15 ans et plus, la suivante sur quelque 1140 victimes tirées de l’échantillon précédent.
Chaque année, à partir de 1996, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a mené à bien 11 Enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages (EPCVM) sur des échantillons d’environ 6000 ménages (doublés lors des deux dernières passations), en interrogeant un, puis trois, enfin jusqu’à cinq individus de 15 ans et plus par ménage. À partir de 2007, a été substituée à ces EPCVM une enquête Cadre de vie et sécurité (CVS) réalisée sur des échantillons d’environ 17 000 ménages, en interrogeant un individu de 14 ans et plus par ménage.
Toutes ces enquêtes ont été menées en face à face ; elles ont retenu une période d’observation de deux ans.
• Enquêtes régionales
L’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAU-IdF) réalise tous les deux ans depuis 2001, à partir d’un instrument et d’une méthodologie mis au point par le CESDIP, des enquêtes franciliennes. Elles sont menées par téléphone sur quelque 10 500 ménages (on interroge un seul individu dans chaque ménage). Leur période d’observation est de trois ans, réduite à deux ans pour la présente étude pour des raisons de comparaison.
Les enquêtes en santé publique
Le Baromètre Santé (Beck & al. 2007, 2011), est une enquête périodique conduite par téléphone (sondage aléatoire) par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES, antérieurement à 2002 Centre français d’éducation pour la santé). Il comprend des questions sur les violences agies et subies au cours de l’année précédant l’enquête :
Baromètre santé jeunes 1997-1998 : n = 4115 individus de 12 à 19 ans.
Baromètre santé 2000 : n = 13685 individus de 12 à 75 ans.
Baromètre santé 2005 : n = 30514 individus de 12 à 75 ans.
Baromètre santé 2010 : n = 27653 individus de 15 à 85 ans.
Depuis l’année 2000, une fois par an, l’enquête ESCAPAD interroge tous les adolescents qui passent leur Journée d’appel de préparation à la défense [JAPD, Journée Défense et Citoyenneté (JDC) depuis 2011], le mercredi et le samedi d’une semaine donnée en métropole et sur toutes les sessions d’avril à juin dans les DOM-COM (à fins de comparaisons, ces derniers n’ont pas été pris en compte dans le présent travail). Cette enquête a été mise en place par l’Observatoire français sur les drogues et les toxicomanies (OFDT), avec le soutien de la Direction centrale du service national (DCSN). ESCAPAD repose sur un questionnaire autoadministré et strictement anonyme portant sur la santé, les modes de vie, les consommations et les contextes d’usage de produits psychoactifs (Beck et al., 2000 ; Spilka et al., 2010). Quatre enquêtes comprennent des questions sur les violences agies et subies ainsi que sur le vol :
Escapad 2000:13957 individus nés en 1981 (n = 1807), 1982 (n = 3736) et 1983 (n = 8414).
Escapad 2002:16550 individus nés en 1983 (n = 989), 1984 (n = 7953) et 1985 (n = 7608).
Escapad 2003:15048 individus nés en 1984 (n = 1008), 1985 (n = 5271) et 1986 (n = 8769).
Escapad 2008:39542 individus nés en 1989 (n = 1035), 1990 (n = 18354) et 1991 (n = 20153).
La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique (DREES) a réalisé de novembre 2005 à février 2006 une enquête Événements de vie et santé (EVS). Elle a été menée en face à face, par les enquêteurs de l’INSEE, auprès de 10 000 personnes âgées de 18 à 75 ans. Le questionnaire comprend des questions relatives à la survenue de plusieurs types d’infractions (violences et vols) au cours des deux années précédant l’enquête (Cavalin, 2010).
Les enquêtes sont désignées dans les tableaux infra par la période observée et non par l’année de passation.
Les jeunes comme auteurs de violence
14 Paradoxalement, on dispose de très peu de données crédibles sur les ordres de grandeur et les évolutions de la violence commise par les jeunes, ou seulement des savoirs monographiques [26] dont on ignore s’ils sont généralisables.
15 Dès que l’on quitte ces données fragmentaires, on évoque le plus souvent l’évolution de la part des mineurs de 18 ans parmi les personnes mises en cause par la police ou la gendarmerie, c’est-à-dire celles qu’elle soupçonne d’avoir commis une infraction et qu’elle a entendues par procès-verbal. Elles sont ventilées notamment selon qu’elles étaient majeures ou mineures au temps de l’action [27]. On peut donc savoir combien de mineurs de 18 ans ont été mis en cause pour chaque index de la statistique policière [28]. C’est de cette information qu’on tire souvent argument pour discuter de l’évolution de la criminalité, et notamment de la violence, chez les jeunes. Or, cette donnée n’apprend pas grand-chose sur ce point précis. Elle laisse d’abord de côté une part importante de la jeunesse, les jeunes adultes, ceux de 18 à 24 ans révolus. Ensuite, sa portée est limitée dans la mesure où elle dépend de deux événements peu probables.
16 Pour déterminer si un mis en cause était majeur ou mineur, encore faut-il que la police ou la gendarmerie soit parvenue à identifier un suspect. Globalement, cette capacité d’élucidation est faible au moins pour les infractions que ces services connaissent non par leur initiative mais par l’information d’un tiers, généralement la victime. Certes, en matière d’atteintes aux personnes, le taux d’élucidation semble meilleur [29] que pour les vols… mais ce n’est pas vrai toutefois pour les vols de force qui constituent une part importante des faits de violence [30].
17 En outre, une seconde variable doit être prise en compte : avant l’élucidation, encore faut-il que les services de police aient eu connaissance de l’affaire et c’est ce qui fait le plus problème en matière d’agressions. On sait que la police reçoit sa matière première, soit grâce à sa propre initiative (proactivité), soit grâce à la démarche d’un tiers (réactivité), le plus souvent la victime (Reiss, 1971). En matière de délinquance à victime directe, comme c’est le cas de la violence, la proactivité tient globalement peu de place dans l’approvisionnement policier et c’est la réactivité qui joue le plus grand rôle [31]. Nous sommes donc – comme pour l’essentiel de la criminalité juvénile – dans une matière où la propension de la victime au renvoi joue un rôle déterminant. Or, en matière de violence, elle est particulièrement faible pour la grande masse des violences de basse intensité, plus marquée seulement pour la petite minorité d’agressions caractérisées [32].
18 Il est difficile de supposer que ces deux événements à probabilité incertaine – la propension au renvoi et les chances d’élucidation – fonctionnent de manière uniforme à travers les années. Les mécanismes de renvoi aux institutions pénales semblent s’être intensifiés depuis le début de la décennie 1990 de la part de milieux, comme l’école ou le travail social, qui s’en abstenaient largement naguère, et leur adossement au pénal a été vivement encouragé par les autorités. On a également relevé une tendance des services policiers à transmettre à la justice (ce qui suppose de les enregistrer par procès-verbal et donc de les faire figurer en statistique) des affaires impliquant des jeunes qu’ils auraient précédemment traitées sur le pied d’admonestations officieuses. Ce changement est le résultat de la volonté d’afficher un taux élevé de réponse pénale pour satisfaire aux exigences d’une politique de tolérance zéro : elle a incliné les parquets à exiger des services de police qu’ils leur transmettent beaucoup d’affaires de mineurs jusqu’alors traitées de manière informelle. Enfin, une activité législative soutenue est venue pendant la même période créer de nouvelles incriminations et en élargir d’autres, notamment en matière de délinquance juvénile. Tous ces mécanismes contribuent à l’augmentation de la part des mineurs parmi les mis en cause relevés dans les statistiques de police, quand bien même leur délinquance n’aurait pas crû [33].
19 Exploiter les statistiques de condamnations – qui sont plus détaillées que celles de police – ne résoudrait pas le problème puisque l’intervention de la justice se situe en aval de celle de la police : on peut dire que les tribunaux traitent la matière première (le stock de mis en cause) que la police leur envoie. Les problèmes que l’on rencontre avec la statistique policière ne disparaissent donc pas avec les comptages de condamnations. En outre, une bonne partie de ce stock n’arrive pas jusqu’au jugement : elle est traitée par les parquets sous une forme « déjudiciarisée » [34].
20 Si l’on s’intéresse si passionnément à la violence commise par les jeunes, il aurait évidemment paru raisonnable de promouvoir le développement d’enquêtes de délinquance autoreportée qui constituent l’instrument de mesure spécifiquement [35] dédié à cette question : même s’il présente l’inconvénient de ne pas permettre une analyse comparative de la prévalence des jeunes et des adultes, au moins sa répétition régulière renseigne-t-elle sur l’évolution de la délinquance parmi les classes d’âge juvéniles. Il est paradoxal d’observer qu’elles n’ont jamais pris racine en France malgré les efforts de Sebastian Roché (2001) : faute de relais, ils sont restés monographiques. Si la violence à l’école tend à se constituer en domaine autonome au sein du champ des interrogations sur le rapport des jeunes à la violence, on ne dispose cependant pas (ou pas encore) en France d’enquêtes pérennes permettant de suivre des évolutions. L’addition des monographies [36] a seulement permis de relativiser l’information fournie par les dispositifs officiels d’enregistrement du ministère de l’Éducation nationale [37] et de dégager quelques caractéristiques du phénomène [38] sans permettre toutefois encore de restituer des évolutions.
21 Dans cette situation de pénurie, le recours à des enquêtes déclaratives en santé publique jette quelque lumière.
22 Jusqu’à 2005, Les Baromètres Santé incluaient une question au cours des douze derniers mois, avez-vous frappé ou blessé physiquement quelqu’un, seul(e) ou en groupe, une fois, deux fois, trois fois et plus ? Elle n’a malheureusement pas été reprise lors de la plus récente campagne.
Violence physique autodéclarée ; prévalences par classe d’âge ( %) d’après les Baromètres Santé
Baromètre 1999 | Baromètre 2004 | |
15-19 ans | 9,2 | 8,1 |
20-25 ans | 4,6 | 6,6 |
26-34 ans | 1,9 | 1,7 |
35-44 ans | 1,2 | 1,3 |
45-54 ans | 0,8 | 0,9 |
55-64 ans | 0,5 | 0,4 |
65-75 ans | 0,1 | 0,4 |
Ensemble des 15-75 ans | 2,1 | 2,2 |

Violence physique autodéclarée ; prévalences par classe d’âge ( %) d’après les Baromètres Santé
champ : France métropolitaine23 Sur cette face-là du rapport à la violence, les moins de 25 ans se distinguent clairement de leurs aînés (Tableau 1) : ils sont clairement plus auteurs d’agressions.
24 Les différentes éditions de cette enquête permettent aussi d’amorcer une série, du moins pour les moins de vingt ans (Tableau 3). Mais de ce point de vue, on ne trouve pas de signe d’une évolution claire : sur toute la période observée, on reste dans les mêmes ordres de grandeur.
Violence physique autodéclarée ; prévalences par classe d’âge ( %) d’après les Baromètres Santé
Baromètre 1997 | Baromètre 1999 | Baromètre 2004 | |
12-14 ans | 6,4 | 8,7 | 6,5 |
15-19 ans* | 9,0 | 9,0 | 8,0 |

Violence physique autodéclarée ; prévalences par classe d’âge ( %) d’après les Baromètres Santé
* Pour les baromètres portant sur les années 1999 et 2004, on n’obtient pas les mêmes résultats de prévalence pour les 15-19 ans dans les deux tableaux car pour que les données soient comparables à celles du baromètre 1998, on n’utilise pas la même pondération dans les deux cas. Celle du premier tableau est calculée par rapport au recensement de 1999 et celle du deuxième par rapport au recensement de 1990.champ : France métropolitaine
25 Les mêmes enquêtes permettent encore de vérifier que les mêmes jeunes sont assez souvent impliqués dans des violences à la fois comme auteurs et comme victimes (Tableau 3), beaucoup plus en tout cas que les plus de 25 ans. Sebastian Roché trouvait un résultat analogue dans son enquête de délinquance auto-reportée (2001, 38). Lagrange (2004, 19) l’a également noté : à la différence des adultes, chez les jeunes, se battre et être victimes de violences sont… étroitement imbriqués.
Enquêtés à la fois auteurs et victimes par classe d’âge ( %) d’après les Baromètres Santé
Baromètre 1999 | Baromètre 2004 | |
12-14 ans | 2,3 | 2,2 |
15-19 ans | 4,0 | 2,8 |
20-25 ans | 2,9 | 2,5 |
26-44 ans | 0,5 | 0,5 |
45-75 ans | 0,1 | 0,1 |

Enquêtés à la fois auteurs et victimes par classe d’âge ( %) d’après les Baromètres Santé
champ : France métropolitaine26 Sans que l’on puisse, là encore, lire de changement net en étendant l’observation depuis 1997 (Tableau 4).
Jeunes à la fois auteurs et victimes par classe d’âge ( %) d’après les Baromètres Santé
Baromètre 1997 | Baromètre 1999 | Baromètre 2004 | |
12-14 ans | 2,1 | 2,4 | 2,2 |
15-19 ans | 3,9 | 3,8 | 2,7 |

Jeunes à la fois auteurs et victimes par classe d’âge ( %) d’après les Baromètres Santé
* Pour les baromètres portant sur les années 1999 et 2004, on n’obtient pas les mêmes résultats de prévalence pour les 15-19 ans dans les deux tableaux car pour que les données soient comparables à celles du baromètre 1998, on n’utilise pas la même pondération dans les deux cas. Celle du premier tableau est calculée par rapport au recensement de 1999 et celle du deuxième par rapport au recensement de 1990.champ : France métropolitaine
27 Sur ce thème des jeunes auteurs de violence où les convictions du débat public contrastent avec la vacuité de l’information, le Baromètre santé permet de souligner l’excès de prévalence des moins de 25 ans par rapport aux classes plus âgées et l’absence d’évolution nette de leur violence du moins entre le milieu des années 1990 et le milieu de la décennie suivante. Il est tout à fait souhaitable que la prochaine campagne du Baromètre Santé reprenne l’interrogation sur la violence commise.
28 L’autre face du rapport des jeunes à la violence, celle où ils apparaissent comme victimes, est beaucoup mieux documentée. Là encore, cependant, le recours aux enquêtes en santé publique enrichit la mesure.
Les jeunes comme victimes de violence
29 La situation est ici différente du cas précédent : les enquêtes de victimation permettent déjà de documenter une survictimation violente des jeunes. Celles en santé publique font découvrir une victimation encore plus étendue.
La survictimation violente des jeunes d’après les enquêtes de victimation
30 Toutes les enquêtes de victimation disponibles en France, qu’elles soient nationales ou régionales, s’accordent à pointer une survictimation violente des jeunes, entendus comme les personnes âgées de 15 [39] à 24 ans révolus.
31 C’est d’abord vrai des agressions physiques, c’est-à-dire de toutes celles qui s’accompagnent de blessures ou au moins de coups. Ce résultat est constant que l’on observe les taux de prévalence [40] dans les premières enquêtes de victimation réalisées par l’INSEE – dites EPCVM ou enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages – entre le milieu des années 1990 et le milieu de la décennie suivante, dans celles – dites CVS ou cadre de vie et sécurité – qui leur ont succédé, ou encore dans les enquêtes franciliennes menées depuis 2001 par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAU-IdF) (Tableau 5).
32 La même survictimation des jeunes se retrouve encore dans toutes les enquêtes, si l’on considère maintenant les agressions sans contact physique, celles qui ont consisté en injures, menaces, voire en attitudes menaçantes (Tableau 6).
33 En fin de compte, on peut dire que les 15 à 24 ans se disent dans les enquêtes, nettement plus exposés à la violence que les plus âgés et même que l’ensemble de la population.
34 On peut ajouter que leur propension à rapporter leur mésaventure à la police est généralement plus faible que celle de l’ensemble des agressés. Pour les agressions sans blessure ni coup (Tableau 7), cette plus faible propension au renvoi est, dans l’ensemble, avérée tant dans les enquêtes nationales que dans les franciliennes, avec cependant quelques exceptions dans une enquête ou l’autre. Si l’on se tourne maintenant vers les agressions physiques (Tableau 8), la faible tendance des moins de 25 ans à informer la police est constante et très nette dans les enquêtes nationales ; cependant, les campagnes franciliennes montrent un résultat différent : les jeunes informent la police ou la gendarmerie autant que l’ensemble des enquêtés et parfois même davantage. La décision de se tourner vers les autorités dépendant avant tout de la gravité (seriousness) de l’incident [41], faut-il lire dans ce résultat exceptionnel l’indice d’une violence francilienne contre les jeunes plus sérieuse que dans l’ensemble de la France métropolitaine ? Nous avons peu de données pour trancher ce point : les enquêtes franciliennes situent les prévalences des agressions physiques de faible gravité (celles qui n’entraînent pas d’incapacité de travail supérieure à huit jours) toujours en dessous des scores nationaux, mais à l’inverse, les violences franciliennes les plus graves (entraînant une incapacité de travail supérieure à huit jours) touchent toujours une proportion de victimes plus élevée que dans les enquêtes nationales [42]. On ignore toutefois si ces différences ne traduisent pas simplement la diversité des protocoles mis en œuvre dans ces enquêtes.
Agressions physiques subies, prévalence par classe d’âge ( %), EPCVM (1995-2005), CVS (2005- 2009), IAU-IdF (1999-2008)
15-24 ans | 25 ans et plus | Ensemble | |||
France | EPCVM |
1995-96 1996-97 1997-98 1998-99 1999-00 2000-01 2001-02 2002-03 2003-04 2004-05 |
4,3 5,4 5,5 6,8 7,0 5,9 5,1 6,2 6,9 5,8 |
1,6 2,4 1,4 2,0 1,9 2,4 2,2 1,9 1,9 2,0 |
2,0 2,9 2,1 2,7 2,7 3,0 2,7 2,6 2,7 2,6 |
CVS |
2005-06 2006-07 2007-08 2008-09 |
6,4 6,8 7,2 8,3 |
1,8 2,1 2,2 2,0 |
2,5 2,8 3,0 3,0 | |
Île-de-France |
1999-2000 2001-02 2003-04 2005-06 2007-08 |
6,0 4,0 4,4 5,8 4,6 |
1,5 1,6 1,5 1,6 1,6 |
2,2 2,0 2,0 2,3 2,0 |

Agressions physiques subies, prévalence par classe d’âge ( %), EPCVM (1995-2005), CVS (2005- 2009), IAU-IdF (1999-2008)
champs : selon les enquêtes, France métropolitaine ou Île-de-FranceAgressions non physiques subies, prévalence par classe d’âge ( %), EPCVM (1995-2005), CVS (2005- 2009), IAU-IdF (1999-2008)
15-24 ans | 25 ans et plus | Ensemble | |||
France | EPCVM |
1995-96 1996-97 1997-98 1998-99 1999-00 2000-01 2001-02 2002-03 2003-04 2004-05 |
6,0 6, 6 4,6 5,5 5,3 5,9 5,4 4,9 5,2 9,2 |
2,9 2,8 1,8 3,8 4,0 4,3 4,1 3,9 4,2 7,3 |
3,4 3,4 2,3 4,1 4,2 4,6 4,3 4,1 4,3 7,6 |
CVS |
2005-06 2006-07 2007-08 2008-09 |
24,4 26,0 25,2 22,9 |
14,2 14,4 13,6 13,2 |
15,8 16,2 15,4 14,7 | |
Île-de-France |
1999-2000 2001-02 2003-04 2005-06 2007-08 |
4,4 4,4 4,2 5,8 4,3 |
2,2 2,1 1,8 2,6 1,9 |
2,5 2,4 2,2 3,1 2,3 |

35 Mis à part ce cas particulier de l’Île-de-France, on peut retenir, dans l’ensemble, une plus faible propension des moins de 25 ans à porter les agressions dont ils s’estiment victimes à la connaissance des autorités. Si l’on fait l’hypothèse que les jeunes sont surtout victimes de la violence d’autres jeunes, il y a là tout un volet du phénomène qui n’apparaîtra que très partiellement dans les données officielles.
Une survictimation encore plus marquée dans des enquêtes en santé publique
36 Plusieurs enquêtes en santé publique [43] suggèrent que la violence subie par les jeunes serait plus étendue encore que les niveaux indiqués par les enquêtes de victimation.
37 Ainsi l’enquête Événements de vie et Santé (EVS) demande à ses enquêtés vous a-t-on giflé(e), frappé(e), a-t-on exercé d’autres brutalités physiques contre vous, ou a-t-on tenté de le faire ? La prévalence des violences physiques chez les18-24 ans est presque deux fois plus élevée que celle indiquée par l’EPCVM contemporaine, celle qui concerne les années 2004 et 2005 (Tableau 9).
Agressions non physiques subies, renvoi par classe d’âge ( %), EPCVM (1995-2005), CVS (2005- 2009), IAU-IdF (1999-2008)
15-24 ans | Ensemble | |||
France | EPCVM |
1995-96 1996-97 1997-98 1998-99 1999-00 2000-01 2001-02 2002-03 2003-04 2004-05 |
24,3 23,8 12,0 17,6 7,4 15,2 22,7 21,2 22,1 15,0 |
32,2 27,0 26,2 14,7 17,1 17,3 18,8 19,2 25,9 17,6 |
CVS |
2005-06 2006-07 2007-08 2008-09 |
7,8 11,2 5,9 8,3 |
12,5 13,9 12,2 23,2 | |
Île-de-France |
1999-2000 2001-02 2003-04 2005-06 2007-08 |
41,9 37,3 41,0 41,7 35,3 |
40,2 38,0 42,3 41,3 46,9 |

Agressions non physiques subies, renvoi par classe d’âge ( %), EPCVM (1995-2005), CVS (2005- 2009), IAU-IdF (1999-2008)
champs : selon les enquêtes, France métropolitaine ou Île-de-France38 Certes, la forme du questionnement varie selon les enquêtes. Les EPCVM commencent par une question de type : Avez-vous été victime d’agression ou d’acte de violence…? pour s’enquérir ensuite de la nature de l’incident le plus récent [44]. Au contraire, l’enquête EVS interroge à part d’emblée sur les différentes formes d’agressions. Dans les enquêtes nationales de victimation ultérieures (CVS), les prévalences de violence physique des moins de 25 ans sont à peine plus élevées que dans les EPCVM auxquelles elles se sont substituées (Tableau 9), sans atteindre jamais le niveau observé dans l’enquête EVS, alors qu’elles interrogent sur chaque type d’agression séparément comme le fait cette dernière. L’effet de la formulation des questions s’avère donc limité.
Agressions physiques subies, renvoi par classe d’âge ( %), EPCVM (1995-2005), CVS (2005-2009), IAU-ÎdF (1999-2008)
15-24 ans | Ensemble | |||
France | EPCVM |
1995-96 1996-97 1997-98 1998-99 1999-00 2000-01 2001-02 2002-03 2003-04 2004-05 |
27,0 26,8 34,9 39,4 38,8 37,4 44,9 40,7 45,2 50,5 |
30,7 26,5 39,9 46,5 45,3 42,3 49,8 44,6 54,5 53,7 |
CVS |
2005-06 2006-07 2007-08 2008-09 |
34,0 43,6 22,4 34,8 |
39,9 45,0 33,1 43,5 | |
Île-de-France |
1999-2000 2001-02 2003-04 2005-06 2007-08 |
58,1 62,7 59,0 58,3 64,5 |
50,1 53,3 60,1 58,1 58,9 |

39 Une partie de la différence vient-elle du fait que l’enquête EVS inclut les violences par un proche cohabitant, alors que l’enquête CVS les réserve à la partie auto-administrée sous casque que nous ne prenons pas ici en compte ? Mais les enquêtes EPCVM qui ne traitent pas à part les violences par un proche n’atteignent pas l’ordre de grandeur obtenu dans l’enquête EVS. On admet par ailleurs que les enquêtés ont tendance à passer sous silence les violences par un proche quand ils ne sont pas interrogés spécifiquement sur ce sujet (Lagrange et al., 2000).
40 Le Baromètre Santé demande à ses enquêtés au cours des douze derniers mois, avez-vous été frappé ou blessé physiquement par quelqu’un ou par un groupe de personnes (une fois, deux fois, trois fois et plus). Quand on le rapproche des EPCVM contemporaines (Tableau 9), on observe un résultat analogue à celui relevé avec EVS [45] : pour les moins de 25 ans, les prévalences du Baromètre sont plus élevées que celles des enquêtes nationales de victimation contemporaines, encore que cette différence s’atténue à mesure que l’on avance dans le temps. Une campagne plus ancienne (portant sur l’année 1997) n’inclut que des enquêtés de 12 à 19 ans ; elle permet toutefois de comparer pour les 15 à 19 ans avec l’EPCVM contemporaine : la différence est encore plus nette.
Agressions physiques subies, prévalences par classes d’âge ( %), différentes enquêtes
Enquêtes nationales de victimation | Baromètre santé | ESCAPAD | EVS | |||
1997 | 15-19 |
3,5 4,2 1,3 |
9,2 9,1 1,7 | |||
1999 | 15-24 | |||||
25-75 | ||||||
1999 | 17-18 |
5,7 4,4 3,7 |
8,5 8,5 8,1 | |||
2001 | 17-18 | VM | ||||
2002 | 17-18 | EPC | ||||
2004 | 15-24 |
4,6 1,3 |
5,9 1,7 | 14,5 | ||
25-75 | ||||||
2004-05 | 18-24 |
5,8 2,2 |
10,4 2,3 | |||
25-75 | ||||||
2007-08 | 17-18 | 5,4 | ||||
2010 | 15-24 | CVS |
5,0 1,1 |
6,4 2,1 | ||
25-75 |

Agressions physiques subies, prévalences par classes d’âge ( %), différentes enquêtes
Champ : France métropolitaine41 Enfin, les enquêtes Escapad ont demandé à des jeunes de 17 à 18 ans s’il leur était arrivé, au cours des douze derniers mois, d’être agressé physiquement. Les résultats obtenus peuvent être comparés avec ceux des EPCVM contemporaines (réduites aux 17 à 18 ans et à la dernière année précédent l’enquête) : on retrouve un écart de l’ordre de un à un et demi, voire de un à trois. Il est intéressant de relever que, si l’on sélectionne les mêmes tranches d’âge (17 à 18 ans) dans les Baromètre Santé, on obtient des prévalences [46] proches, au contraire, de celles d’Escapad.
42 De manière plus générale, on peut conclure à un degré important de consensus de ces enquêtes en santé publique sur la prévalence des agressions physiques subies par les jeunes. Elles s’accordent pour suggérer qu’ils sont environ deux fois plus nombreux à subir cette sorte de violences que ne l’indiquent les enquêtes de victimation.
43 Globalement, cette divergence ne concerne que les jeunes : si l’on considère les enquêtés plus âgés, les prévalences indiquées par les enquêtes en santé publique ne divergent pas significativement des résultats fournis par les enquêtes de victimation (Tableau 10).
44 Par ailleurs, l’écart semble se concentrer sur les prévalences, c’est-à-dire sur la proportion de victimes, pas sur l’intensité de l’exposition au risque : le nombre moyen de victimations de même sorte subies pendant la période observée ou multivictimation homogèneest comparable (2,02 et 2,01 en deux ans [47]) dans l’enquête EVS comme dans l’EPCVM portant sur la même période. On observe la même convergence entre le Baromètre santé pour 2004 (1,74) et l’enquête nationale de victimation contemporaine (1,74).
Violence sans blessures ni coups, prévalences par classes d’âge selon l’EVS et l’EPCVM
EVS 2004-2005 | EPCVM 2004-2005 | |
18-24 ans | 31,5 | 10,1 |
25-75 ans | 16,0 | 7,9 |
Ensemble 18-75 ans | 17,9 | 8,2 |

Violence sans blessures ni coups, prévalences par classes d’âge selon l’EVS et l’EPCVM
champ : France métropolitaine45 En ce qui concerne les agressions sans blessures ni coups, la confrontation entre enquêtes de victimation et enquêtes en santé publique se présente un peu différemment (Tableau 10). Certes, en réponse à la question Avez-vous été insulté(e), a-t-on proféré à votre encontre des cris, des menaces verbales, des injures ?, l’EVS affiche une prévalence plus de deux fois supérieure à celle avancée par l’EPCVM correspondante [48], mais cette fois pour toutes les classes d’âge. Nous ne sommes donc pas en présence d’une survictimation particulière des jeunes, mais d’un questionnement différent qui permet d’englober un champ d’incidents beaucoup plus large. D’ailleurs, les récentes enquêtes CVS produisent des résultats proches de ceux observés dans l’enquête EVS (Figure 1). On peut donc admettre que la forme du questionnaire, en particulier le caractère plus ou moins détaillé des questions posées, joue ici fortement sur les résultats obtenus : ces dernières enquêtes procèdent, comme l’enquête EVS, à une interrogation séparée sur ces agressions sans blessures ni coups [49]. Pour les agressions physiques, au contraire, l’effet de questionnaire ne joue, on l’a vu, que modérément.
46 Pour préciser l’apport spécifique des enquêtes en santé publique, on a profité de l’existence dans certaines d’entre elles de questions sur la victimation patrimoniale pour les comparer sur ce point également aux enquêtes de victimation : cette fois encore, on ne relève pas de différence significative.
47 L’enquête EVS comprend une question sur le cambriolage (Avez-vous subi un cambriolage ?). De prime abord, la prévalence semble nettement supérieure à celle de l’EPCVM portant sur la période comparable (Figure 2). Mais la divergence entre les résultats des deux enquêtes n’est probablement qu’apparente. Certes, les deux enquêtes précisent que la question ne concerne que les cambriolages du domicile, mais l’enquête EVS définit le cambriolage par le fait de s’introduire dans le logement ou le jardin, même sans rien voler, ce qui englobe le vol domiciliaire, celui où le délinquant s’est introduit sans effraction, escalade, fausse clef ou prise de fausse qualité [50], par exemple en poussant une porte ou une fenêtre restée ouverte. L’EPCVM au contraire interroge à part sur ce vol domiciliaire. En cumulant les réponses obtenues aux deux questions, on parvient à une prévalence totale fort proche du score obtenu dans l’enquête EVS [51]. Contrairement aux agressions, on n’observe donc pas de divergence pour les cambriolages.
Agressions sans blessures ni coups, évolution des prévalences selon les enquêtes de victimation et l’EVS (18-75 ans)

Agressions sans blessures ni coups, évolution des prévalences selon les enquêtes de victimation et l’EVS (18-75 ans)
champs : selon les enquêtes, France métropolitaine et Île-de-France48 L’enquête EVS contient aussi une question sur le vol. Mais la comparaison avec les enquêtes de victimation est plus délicate (Figure 3) : les enquêtes nationales de victimation distinguent les vols de et dans les véhicules, considérés comme des victimations du ménage, des vols personnels, qui concernent seulement l’individu. Or, cette distinction n’existe pas dans l’enquête EVS. En conséquence, la prévalence des vols est estimée à 12,1 % dans l’enquête EVS alors que celle de l’EPCVM 2004-2005 est de seulement 3,8 %. Mais si l’on tient compte aussi, dans celles-ci, des vols de et dans les véhicules (en postulant qu’ils atteignent tous les membres du ménage considéré) on obtient un score de 15,1 %, plus comparable, par conséquent, aux résultats de l’enquête EVS. Que l’EPCVM se situe alors un peu au-dessus d’EVS n’a rien d’étonnant : comme on l’a déjà montré en de nombreux domaines [52], en posant des questions distinctes, l’opportunité pour le répondant d’apporter une réponse positive est plus grande et l’on se trouve, de ce fait, en position d’en recueillir davantage qu’en se bornant à une question globale [53].
Cambriolages et vols domiciliaires, évolution des prévalences selon les enquêtes de victimation et l’EVS

Cambriolages et vols domiciliaires, évolution des prévalences selon les enquêtes de victimation et l’EVS
champs : selon les enquêtes, France métropolitaine et Île-de-FranceVols, évolution des prévalences selon les enquêtes de victimation et l’EVS

Vols, évolution des prévalences selon les enquêtes de victimation et l’EVS
champs : selon les enquêtes, France métropolitaine et Île-de-France49 Au total, les résultats de l’enquête EVS sont donc proches, à propos des vols, de ceux de l’EPCVM [54]. L’effet ‘questionnaire’ (le caractère plus ou moins détaillé des questions de victimation) n’intervient que modérément. Par ailleurs, une éventuelle survictimation des jeunes (analogue à celle constatée à propos des agressions) ne peut plus guère jouer en raison de l’importance prise dans l’ensemble des vols par ceux relatifs aux véhicules, qui atteignent tout le ménage plutôt que l’enquêté individuellement.
50 Si l’on s’intéresse pour finir, non plus aux vols et aux cambriolages pris isolément, mais à l’ensemble de ces victimations contre les biens, les résultats d’EVS paraissent très proches de ceux de l’EPCVM qui lui est contemporaine. Ils se situent sans peine dans l’ordre de grandeur des enquêtes nationales et l’on n’est pas étonné de les trouver loin de ceux des enquêtes franciliennes où le risque est plus élevé puisqu’il s’agit de zones urbanisées ou très urbanisées (Figure 4).
Discussion et conclusion
51 On doit maintenant tenter de déterminer si la différence observée entre les enquêtes de victimation et plusieurs enquêtes en santé publique à propos des violences physiques subies par les jeunes peut s’expliquer par la manière dont ces diverses enquêtes ont été menées ou si elle peut être tenue pour substantielle.
52 Rappelons-le d’abord : nous ne sommes pas en face d’un cas de plus grande productivité d’une enquête de victimation spécialisée par rapport à une enquête généraliste, comme ce peut être le cas (cité supra) pour l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF). Loin d’être focalisées sur la violence non plus que sur d’autres victimations, les enquêtes en santé publique incluent quelques questions, généralement succinctes, sur ces thèmes dans une interrogation dont le point d’orgue est la santé publique, pas la victimation.
53 Sommes-nous alors en présence d’un effet de questionnaire dans la mesure où les enquêtes ici mobilisées interrogent directement sur telle ou telle sorte de violence, alors que les EPCVM tout comme les enquêtes franciliennes demandent d’abord à l’enquêté s’il a été agressé pour s’enquérir ensuite seulement de la nature de l’agression subie ? Ce type d’effet joue à plein pour les agressions sans blessures ni coups, celles qui se bornent à des injures, menaces ou attitudes menaçantes : les prévalences de l’EVS sont beaucoup plus importantes que celles de l’EPCVM contemporaine, mais pour toutes les classes d’âge. Quand les CVS viennent remplacer les EPCVM et adoptent, comme l’EVS, un questionnement qui détaille d’emblée chaque sorte d’agression, alors les ordres de grandeur des deux sortes d’enquête deviennent très comparables. Au contraire, pour les violences physiques, ce mécanisme ne joue que très modérément : les CVS montrent alors des prévalences à peine plus fortes que celles de leurs prédécesseurs EPCVM mais restent dans des ordres de grandeur beaucoup plus modestes que l’EVS. L’effet questionnaire ne suffit donc pas à rendre compte de la différence entre enquêtes de victimation et enquêtes de santé publique.
Atteintes aux biens, évolution des prévalences selon les enquêtes de victimation et l’EVS

Atteintes aux biens, évolution des prévalences selon les enquêtes de victimation et l’EVS
champs : selon les enquêtes, France métropolitaine et Île-de-France54 L’écart tient-il alors au mode de passation ? Mais l’EVS est, tout comme les EPCVM et CVS, administrée en face à face et, qui plus est, par le même réseau d’enquêteurs, celui de l’INSEE. Le Baromètre Santé, lui, est administré par téléphone comme les enquêtes franciliennes. Quant à ESCAPAD, elle l’est par questionnaire papier auto-administré lors de la Journée Défense et Citoyenneté. On constate pourtant une convergence des prévalences des violences physiques indiquées par les différentes enquêtes en santé publique et leur forte différence avec les enquêtes de victimation.
55 Il est donc tout à fait vraisemblable que les jeunes reconnaissent plus volontiers avoir subi des violences physiques dans le cadre d’enquêtes de santé publique que dans celui d’enquêtes de victimation.
56 Dès lors, une première interrogation concerne la nature de la pêche : les agressions physiques relevées par les enquêtes en santé publique diffèrent-elles de celles prises en compte dans les enquêtes de victimation ? Il est malaisé de répondre à cette question. Toutefois, on est frappé par les taux de renvoi particulièrement faibles affichés par l’enquête EVS, 9,8 % pour les moins de 24 ans ; 35,9 % pour l’ensemble des répondants. Peut-être leur faiblesse s’explique-t-elle pour une petite partie par une formulation un peu restrictive (aller au commissariat ou à la gendarmerie) qui exclut le cas (il est vrai peu fréquent en France) du renvoi téléphonique. Mais l’explication la plus vraisemblable se réfère probablement à la gravité : c’est le principal déterminant de la propension au renvoi. Le trait est d’autant plus frappant que l’EVS ne pose la question du renvoi qu’aux enquêtés qui jugent les dommages importants, soit le tiers de ceux qui se disent victimes d’agressions physiques. La faiblesse de cette dernière dans l’enquête EVS suggère que celle-ci capture plus d’agressions physiques de faible gravité que les enquêtes de victimation. Un autre indice peut tirer dans le même sens : la proportion de simples tentatives (42,4 %). Certes, on ne peut pas trouver de points de comparaison dans les enquêtes de victimation qui ne comportent pas cette information pour les agressions physiques. Toutefois, le pourcentage important de tentatives dans l’EVS associé à la faiblesse des taux de renvoi tendrait à montrer que les prévalences élevées de cette enquête tiennent en particulier à la prise en considération d’incidents de relief relativement faible, notamment par les jeunes.
57 Une deuxième question concerne alors la raison de la pêche plus fructueuse des enquêtes en santé publique. On peut chercher une première explication du côté de la formulation des questions. Elle est généralement plus concrète : au lieu d’employer le terme agression, l’enquête EVS dit giflé, frappé, exercé d’autres brutalités physiques, le Baromètre Santé frappé ou blessé physiquement, ESCAPAD parle de bagarres, d’agressions physiques. Cette différence de formulation peut avoir facilité la remémoration chez les jeunes d’incidents même de plus faible ampleur. Mais c’est surtout la présentation générale d’enquêtes se référant à la santé qui peut avoir paru moins rébarbative aux jeunes enquêtés : peut-être leur semble-t-il plus facile d’évoquer des violences de faible intensité si on les leur présente comme des incidents de santé plutôt que si on leur parle de victimations, de sécurité ou d’agressions. Dans cet ordre d’idées, une étude américaine [55] a, par exemple, montré que le fait d’avoir pu exprimer des comportements positifs en début d’enquête légitimait l’expression ultérieure de pratiques difficiles à admettre ou douloureuses.
58 Par ailleurs, dans cette classe d’âge, la violence physique prend surtout la forme de « bagarres entre jeunes » [56], c’est d’ailleurs pourquoi ils sont souvent à la fois auteurs et victimes. On s’explique alors leur réticence à se reconnaître dans une enquête de victimation comme « victime d’une agression », alors qu’il est leur est plus facile, dans une enquête de santé publique, d’admettre qu’ils ont reçu (et souvent donné) des coups. Ainsi la différence de productivité entre les deux types d’enquêtes sur ce point particulier tiendrait aux caractéristiques mêmes de la violence physique chez les jeunes.
59 On observe un curieux contraste entre la vivacité des débats sur le rapport des jeunes à la violence et l’infirmité des données habituellement mobilisées dans ces controverses. La mobilisation des enquêtes en santé publique offre un enrichissement bienvenu. Son apport est triple : plus encore qu’on ne l’imaginait, la violence physique est avant tout une affaire de jeunes, comme auteurs et comme victimes ; ce premier résultat n’est pas inattendu : on ne supposait guère qu’elle soit une affaire de sexagénaires. Ensuite, plus que leurs aînés, les jeunes sont souvent à la fois auteurs et victimes de ces agressions qui apparaissent alors comme des bagarres réciproques. Enfin, ces données laissent surtout apparaître une stabilité du rapport des jeunes à la violence physique sur la période balayée par les enquêtes disponibles [57]. Face à la virulence du débat public sur la violence chez les jeunes, la littérature scientifique a surtout produit des monographies – quelquefois purement qualitatives, d’autres fois quantitatives, parfois mixtes – dont la montée en généralité est souvent fragile. L’exercice méthodologique que nous venons de mener présente l’intérêt de leur ajouter des données de cadrage extra-institutionnelles qui prennent place à côté des analyses de statistiques institutionnelles sur la délinquance des jeunes [58].
60 Cet exercice permet de montrer que le débat sur la délinquance ne gagne rien à s’enfermer dans la seule considération de ses indicateurs habituels, qu’il s’agisse des statistiques de police ou même des enquêtes de victimation. Elle s’enrichit, au contraire, souvent en mobilisant des données très éloignées. Dans un autre domaine, la fraude fiscale, une criminalité sans victime directe, fournit un exemple analogue : les calculs du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO, 2007) permettent des mesures que les statistiques de police tout comme les enquêtes de victimation seraient bien en peine d’apporter. De même, les enquêtes en santé publique apportent de précieuses informations sur le rapport des jeunes à la violence.
Notes
-
[1]
Synthèses internationales par exemple in Junger-Tas, Marshall, 1999 ; Aebi, Jacquier, 2008 ; Aebi, 2009.
-
[2]
Président’s Commission…, 1967
-
[3]
Synthèses internationales par exemple in Cantor, Lynch, 2000 ; Hough, Maxfield, 2007 ; Zauberman, 2008.
-
[4]
En France, cette statistique sanitaire a été tenue successivement par la Statistique générale de France (SGF), l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et finalement l’Institut national de la santé et des recherches médicales (INSERM). Elle identifie les homicides depuis 1930.
-
[5]
Par exemple Eisner, 2001.
-
[6]
À ne pas confondre avec l’exploitation des fichiers hospitaliers, notamment de ceux des services d’urgence, à fins de mesure des agressions ayant entraîné des violences sérieuses (voir par exemple Monnet et al., 1989 ; Shepherd, 1990 ; Sivarajasingam et al, 2003 ; Estrada, 2006).
-
[7]
Même si ceux qui les gèrent tentent toujours de faire passer « leurs » mesures pour généralistes, quitte à jeter le voile sur les criminalités qu’elles ne couvrent pas.
-
[8]
Et encore elles en omettent en France la majeure partie en excluant tout le contentieux de circulation routière, les homicides et blessures par imprudence et toutes les petites infractions nommées contraventions.
-
[9]
Oba, 1908.
-
[10]
Emblématique est le plaidoyer de Thorsten Sellin (1931), l’un des fondateurs de la sociologie du crime, pour une mesure le plus en amont possible du processus pénal afin de se trouver au plus près de l’événement et de minimiser les déperditions, d’où l’élection des statistiques de police.
-
[11]
Où le vrai point de passage obligé du processus pénal est le parquet ou ministère public, c’est-à-dire l’officier chargé de diligenter les poursuites. Dans un tel contexte, placer le compteur de la mesure de la délinquance au niveau de la police a pour contrepartie de rejeter dans l’ombre les contentieux traités par d’autres administrations comme le fisc, la douane ou l’inspection du travail… soit l’essentiel du droit pénal administratif et une bonne partie de la criminalité financière.
-
[12]
Formulé par deux grandes commissions d’enquête américaines, la National Commission on Law Observance and Enforcement (1931) et surtout la President’s Commission on Law Enforcement and Administration of Justice (1967), ce constat a été analysé par l’article princeps des ethnométhodologues Kitsuse & Cicourel (1963).
-
[13]
Renvoi ou reporting est le terme technique utilisé pour désigner la dénonciation d’une victimation par celui qui en pâtit à une institution comme la police, mais aussi à l’assurance, aux services de santé ou aux prestataires de sécurité.
-
[14]
L’ENVEFF constitue la première grande enquête de victimation française sur cette délinquance particulière (Jaspard et al., 2003). Elle a depuis été répétée dans un volet d’une enquête sur la sexualité en France piloté par Nathalie Bajos et Michel Bozon (2008). L’enquête Événements de vie et Santé (Cavalin, 2010) en a également repris des éléments.
-
[15]
Pottier et al., 2002. Ces enquêtes franciliennes sur la victimation et l’insécurité sont réalisées tous les deux ans depuis 2001 par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAU-IdF). On trouvera une mise en perspective des cinq enquêtes réalisées entre 2001 et 2009 dans le rapport sur la dernière d’entre elles (Bon et al., 2011).
-
[16]
Entre 1996 et 2006, l’INSEE avait introduit dans ces enquêtes dites EPCVM un petit module de victimation.
-
[17]
Voyez Robert et al., 2008, 439sq.
-
[18]
Chauvel, 2006.
-
[19]
Par exemple Mucchielli, 2010, 124.
-
[20]
Voyez par exemple Lagrange, Oberti, 2006 ; Muchielli, 2006 ; Lapeyronnie, 2006 ; Cicchelli et al., 2006 ; Kokoreff et al., 2006. Add. comparaisons internationales in Duprez, Kokoreff, 2006 ; Waddington et al., 2009.
-
[21]
Voyez par exemple Esterle-Hedibel, 1997 ; Sauvadet, 2006 ; Mauger, 2006 ; Mohammed, Mucchielli, 2007 ; Mohammed, 2011.
-
[22]
Lagrange (2001, 2010) s’est particulièrement attaché à la place de l’échec scolaire dans la trajectoire délinquante.
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[23]
Voyez par exemple Marlière, 2011 ; voyez aussi les comparaisons internationales in Recasens, 2007.
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[24]
Par exemple Mohammed, Mucchielli, 2006 ; Boucher 2010 ; Fassin, 2011.
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[25]
Pour la communication des données des différentes enquêtes, nous tenons à exprimer nos remerciements à Jérôme Accardo et Thomas Le Jeannic, puis à Michel Duée, Laurence Jaluzot et Sébastien Picard (INSEE), Stéphane Legleye, Olivier Le Nezet et Stanislas Spilka (OFDT), Sylvie Scherer et Hélène Heurtel (IAU-IdF), Catherine Cavalin (DREES). Les calculs réalisés au CESDIP à partir de ces différentes données l’ont été sous SAS.
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[26]
On peut citer, pour faire exemple, d’un côté l’analyse par Lagrange (2001) de données locales sur la délinquance juvénile, de l’autre le dépouillement par Le Goaziou et Mucchielli (2009, 65-141) de dossiers judiciaires dans le ressort du tribunal de grande instance de Versailles.
-
[27]
L’OND-RP a consacré une publication à présenter ce type de données : Guillaneuf (2011, 13-31).
-
[28]
Ainsi peut-on observer que l’augmentation de la part des mineurs mis en cause est surtout visible dans les matières d’ordre public (infractions sur les stupéfiants, altercations avec les forces de l’ordre) et secondairement dans les atteintes aux personnes (par exemple Mucchielli, 2010, 107sq.).
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[29]
Dans la mesure où l’agresseur a plus de chances que le voleur ou le cambrioleur d’être connu de sa victime. Ainsi le ministère de l’Intérieur avance pour les vols sans violence un pourcentage d’élucidation qui n’atteint même pas le sixième des constatations, tandis que pour les atteintes aux personnes il dépasse les trois quarts (Intérieur, données 2009). Quand on demande à des plaignants si, à leur connaissance, la police est parvenue à identifier l’auteur, les taux sont plus modestes : dans l’enquête CVS pour 2008-09, les taux d’élucidation sont de 12,4 % (des plaignants) pour les vols sans violence, 6,0 pour les cambriolages, 39,5 pour les menaces, 41,2 pour les injures, 43,7 pour les violences physiques. On y retrouve, néanmoins, la meilleure élucidation des atteintes aux personnes.
-
[30]
Le taux d’élucidation avancé par le ministère de l’Intérieur pour les vols violents est du même ordre que celui affichée pour les autres vols. L’enquête CVS pour 2008-2009 avance un taux d’élucidation, au su des victimes, de 13,5 % pour les vols avec violence… là encore, le taux est de l’ordre de ceux observés pour les atteintes aux biens et pas de celui retenu pour les atteintes aux personnes.
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[31]
Les analyses détaillées produites dans Robert et al. (1994, 41 à 51, notamment 45) sont encore d’actualité.
-
[32]
Pour les agressions comportant des blessures ou au moins des coups, la moyenne de renvoi est, d’après les enquêtes nationales de victimation, de 41 % pour l’ensemble de la France métropolitaine ; pour celles sans contact physique (injures, menaces, attitudes menaçantes), elle est seulement de 20 % (Robert, Zauberman, 2011).
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[33]
Sur tous ces points, l’analyse détaillée de Bruno Aubusson de Cavarlay (1998) garde toute sa validité. Voy. aussi Mucchielli, 2004, 2010.
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[34]
En 2009, 53,7 % des affaires poursuivables contre des mineurs ont fait l’objet de procédures alternatives aux poursuites, pour l’essentiel des rappels à la loi effectués par des délégués du procureur (Ministère de la Justice, 2010, 21).
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[35]
L’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (OND-RP) (Guillaneuf, 2011) a tenté d’utiliser les enquêtes de victimation pour connaître la violence juvénile. On a introduit dans les nouvelles enquêtes nationales (CVS) des questions sur l’appréciation par la victime du sexe et de l’âge de l’auteur. Sur ce dernier point, on demande si l’auteur était « mineur » – c’est-à-dire âgé de moins de 18 ans. On aurait pu légitimement demander si elle l’avait trouvé « jeune » ou pas, mais mettre l’enquêté en demeure d’estimer l’âge précis d’un protagoniste souvent aperçu fugacement, relève d’une obsession pour les catégories de la statistique policière qui a empêché de réfléchir aux conditions réalistes d’une enquête en population générale. L’auteur de la note de 2011 s’en avise lui-même (op. cit. 7). Du coup, on ne peut accorder beaucoup de crédit aux résultats ainsi obtenus.
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[36]
Voyez Carra, 2009 ; Debarbieux, 2006, 2009, 2011.
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[37]
De 2001 à 2005, Signa, le logiciel de signalement des violences scolaires alors en service à la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance au ministère de l’Éducation nationale, a répertorié les actes de violence « graves » relevés par les professionnels. À partir de 2007, son remplacement par Sivis, Système d’information et de vigilance sur la sécurité scolaire, a marqué un resserrement des relevés administratifs sur les actes véritablement délictueux et sur les atteintes au personnel.
-
[38]
La violence en milieu scolaire prend moins les couleurs d’une mince couche de faits « graves » que celles d’une micro-violence de basse intensité mais très répétée. La violence est très rarement causée par une intrusion extérieure, il s’agit essentiellement d’un phénomène interne à l’établissement. Elle s’est avérée cantonnée à certaines minorités d’élèves et d’établissements. À l’école primaire, la situation paraît dans l’ensemble sereine, même si une petite minorité (de l’ordre du dixième) des élèves semble victime de harcèlements à répétition qui peuvent prendre un tour sévère pour environ un vingtième d’entre eux. Au collège, la situation semble se dualiser de plus en plus au détriment des établissements implantés dans des zones de relégation. Ce niveau d’enseignement reproduit en matière de violence une fracture sociale de plus en plus visible. La violence en milieu scolaire paraît ainsi corrélée principalement avec le contexte social de la zone dans laquelle l’établissement est situé. Le climat éducatif de l’établissement intervient cependant soit pour aggraver la situation (notamment en cas d’instabilité de l’équipe éducative) soit pour l’améliorer.
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[39]
Les enquêtes de victimation utilisées dans cette étude ne descendent généralement pas à un âge plus tendre, encore que certaines débutent à 14 ans sans que cela change l’allure globale des résultats qui nous intéressent.
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[40]
La proportion dans l’échantillon de personnes déclarant avoir été au moins une fois au cours des deux années précédentes victimes de telle ou telle sorte de fait.
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[41]
Pour la France, voy. Robert et al., 2010 et réf. cit.
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[42]
Névanen et al. 2010, 54sq.
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[43]
Lagrange (par exemple 2004) a déjà mobilisé des enquêtes en santé publique pour étudier la violence chez les jeunes, quoique dans une optique de recherche des facteurs associés à la violence, différente de notre propos.
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[44]
Pour une discussion portant sur la légitimité de l’extension de la nature de l’agression la plus récente aux agressions subies antérieurement au cours des deux années observées, voy. Robert et al., 2008, 444-446.
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[45]
Tout comme l’EVS, le Baromètre Santé interroge les enquêtés directement sur les agressions physiques au lieu de passer par une question générale sur les agressions comme le font les EPCVM. Mais encore une fois, l’adoption par les CVS d’une interrogation directe sur chaque forme d’agression ne leur permet pas d’atteindre, pour les violences physiques subies par les jeunes, le niveau de prévalence révélé par les enquêtes en santé publique.
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[46]
9,6 pour 1997, 10,7 pour 1999, 7,3 pour 2004.
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[47]
Pour toutes les enquêtes, nous procédons – par motif d’homogénéité (et pour éviter de consentir un poids excessif à quelques rares cas de très fortes multivictimations, ce qui aurait retiré tout sens à l’utilisation d’une valeur centrale comme la moyenne) – à une troncature en remplaçant toutes les valeurs supérieures ou égales à 3 par 4 (pour une discussion de ces problèmes, voir Robert et al., 2008, 442-444 et références citées).
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[48]
Ce résultat a toutefois été obtenu de manière sensiblement différente : en ôtant, parmi ceux qui s’étaient déclarés victimes d’une agression, tous ceux pour lesquels la plus récente était de type physique.
-
[49]
ESCAPAD obtient des prévalences de 25,8 en 1999 avec une question sur les insultes et menaces, de 15,2 et 13,0 en 2001 et 2002 avec une question réduite aux seules menaces. Pour les mêmes classes d’âge (17-18 ans), les enquêtes nationales de victimation donnent pour les mêmes années des proportions de 9, 6,1, 7,9 pour les injures et menaces ; de 7,5, 4,9 et 6,0 pour les injures seules ; de 7,7, 4,9 et 6,5 pour les menaces physiques ou verbales. On observe donc une disproportion analogue à celle observée avec EVS. On ne peut pousser l’exercice plus loin puisque ESCAPAD n’interroge que des jeunes.
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[50]
Cette expression juridique couvre des cas assimilés au cambriolage tels que se faire ouvrir en se faisant passer pour le facteur ou le releveur des compteurs d’électricité.
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[51]
Quant à la multivictimation homogène, celle observée dans l’enquête EVS (1,2) se situe, à troncature équivalente, dans les mêmes eaux que celle de l’EPCVM (1,1). De même, les cambriolages sont accompagnés d’un vol effectif les trois quarts des cas dans les deux enquêtes.
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[52]
Brittingham et al., 1998.
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[53]
De même, la multivictimation homogène d’EVS est moins élevée, à troncature équivalente, que celle que l’on peut calculer pour l’ensemble des vols à partir des données de l’EPCVM (1,42 au lieu de 1,54). En revanche, la part des vols effectivement réalisés parmi l’ensemble [vols et tentatives de vols], est un peu plus élevée dans l’enquête EVS que dans l’EPCVM (72,9 % au lieu de 68,6 %) : cet écart est probablement dû au fait que la part des vols de voiture (où les tentatives sont toujours très nombreuses) a des chances d’être sous-estimée dans une enquête comme EVS qui ne distingue pas entre les sortes de vols. La différence n’est toutefois pas réellement importante.
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[54]
Pour la classe 17-18 ans, ESCAPAD avance des prévalences de vol (8,0 en 1999, 12,1 en 2001, 10,9 en 2002) dont les ordres de grandeur se rapprochent de plus en plus de ceux des enquêtes nationales de victimation (respectivement 5,8, 9,1 et 10,6).
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[55]
Fowler, Stringfellow, 2001.
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[56]
Sic notamment Roché, 2001, 36 et 40.
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[57]
Constatation analogue, du côté des jeunes victimes de 11 à 15 ans, chez Navarro et al. (2008, 187sq.) exploitant les enquêtes HBSC entre 1994 et 2006, et du côté des jeunes auteurs de 13 à 19 ans, chez Roché et al. (2004, 11) exploitant deux enquêtes de délinquance autodéclarée. On peut toutefois souligner qu’entre 2006 et 2010, l’enquête HBSC a constaté de légères hausses dans les violences subies (coups, racket, vols) mais une baisse dans les bagarres (Navarro et al., 2012).
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[58]
Par exemple Aubusson de Cavarlay, 1998 ; Mucchielli, 2004.