CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Les troubles mentaux représentent l’une des cinq principales causes de mortalité et de morbidité chez l’enfant (Inserm, 2002). Le développement de la pédopsychiatrie du jeune enfant qui s’intéresse à la santé mentale des enfants entre 0 et 3 ans montre que des signes psychopathologiques peuvent être présents très tôt dans le développement de l’enfant. Ainsi, en population générale, la prévalence des troubles mentaux (DC : 0-3R) (2005) chez les enfants âgés de 12 à 18 mois a été estimée entre 16 et 18 % (Skovgaard, et al., 2000). Parmi les troubles les plus fréquents sont retrouvés : les troubles de la régulation émotionnelle (7,1 %), de la relation et de la communication (3,2 %), de l’affect (2,8 %), les difficultés alimentaires (1,4 %), et les troubles du sommeil (0,9 %). La même étude souligne que le facteur le plus fortement associé avec les troubles de la régulation émotionnelle est les troubles de la relation mère-enfant. Il est donc essentiel de pouvoir définir des indicateurs simples permettant d’alerter le clinicien. Le retrait relationnel précoce durable (RRPD) reste un élément clinique d’apparition très précoce, sensible et facile à explorer.

2Le RPPD a été décrit pour la première fois à la fin des années 1990 (Guedeney et Fermanian, 2001). Il est dérivé du concept de « dépression anaclitique » de Spitz (Spitz, et al., 1970). Le retrait relationnel se définit par un désengagement de la relation et une moindre réactivité aux stimulations environnementales, c’est-à-dire une diminution des manifestations comportementales qu’elles soient positives (sourires, contact visuel) ou négatives (pleurs). Il peut s’observer dans la plupart des catégories diagnostiques de la petite enfance de manière constante (troubles du spectre de l’autisme, dépression, troubles sensoriels, retards de croissance, attachement désorganisé, douleur aiguë durable) ou inconstante (troubles de la régulation émotionnelle, troubles anxieux, syndromes de stress posttraumatique) (Guedeney et Fermanian, 2001). Comme le précisent Keren, et al., (2001), le comportement de retrait relationnel bref est considéré comme un phénomène adaptatif normal au cours des interactions parent-enfant, notamment lorsque l’enfant est confronté à des stresseurs externes. C’est son intensité et son caractère durable (> 15 jours) qui devront alerter le clinicien.

3Pour le dépister, on dispose à ce jour d’un outil d’évaluation fiable et validé : l’échelle ADBB (alarme détresse bébé) (Guedeney et Fermanian, 2001). Les rares études existantes fournissent des prévalences du retrait relationnel précoce en population générale entre 3 et 14 % chez les enfants âgés de 12 à 18 mois (Guedeney, et al., 2008) (Guedeney, et al., 2012) (Püura, et al., 2010). En revanche une étude (Burtchen, et al., 2013) suggère que chez les nourrissons dont les mères remplissent les critères d’un épisode dépressif majeur à 6 mois post-partum, la prévalence peut monter jusqu’à 75 %. Des facteurs de risque périnataux (grossesse gémellaire, prématurité, petit poids de naissance, difficultés maternelles), sociodémographiques (sexe masculin, garde à domicile, enfant confié à l’adoption), parentaux (symptomatologie dépressive maternelle, perception d’un état de santé mentale altérée chez le père) ont pu être mis en évidence (Guedeney, et al., 2008) (Guedeney, et al., 2012) (Mäntymaa, et al., 2008).

4Les pathologies psychiatriques parentales ont un impact délétère sur le développement de l’enfant (Stein, et al., 2014) par le biais de facteurs prénataux (risque de transmission de la pathologie à l’enfant, rôle des facteurs intra-utérins) et postnataux (perturbation des interactions mère-enfant, environnement familial, risque accru de maltraitance). Dolberg, et al. (2010) soulignent que les interactions de mères souffrant de troubles psychiques se caractérisent de manière générale par une joie inférieure, une moindre expressivité, une panoplie d’expressions moins riche, et des colères plus fréquentes. Elles sont également moins sensibles et plus intrusives, apportant des réponses instrumentales et émotionnelles moins adaptées en situation de stress. A ce jour, aucune étude à propos du retrait relationnel précoce dans la population vulnérable des enfants de ces femmes n’a été réalisée à notre connaissance.

5Par ailleurs, très peu d’études ont évalué le retentissement ultérieur du RRP sur le développement socio-émotionnel et comportemental de l’enfant. Milne, et al., (2009) ont montré que les enfants présentant un retrait relationnel à 6 mois à l’ADBB avaient des scores plus faibles aux épreuves sociales et de communication de la Behaviour Assessment System for Children (BASC) et aux épreuves cognitives et langagières de l’échelle de Bayley à 30 mois. A 12 mois, ces mêmes enfants présenteraient déjà plus de retard en termes d’acquisition des compétences motrices et langagières (Gudeney, et al., 2016). Guedeney, et al., (2014) ont également montré que les enfants ayant présenté un RRP à 12 mois avaient plus de troubles du comportement à 3 et à 5 ans et plus de difficultés relationnelles avec leurs pairs à 5 ans que les enfants n’ayant pas présenté de RPP. Enfin, deux études (Wendland, et al., 2010) (Jagodowicz, 2012) se sont intéressées au dépistage du RRP comme prédicteur d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA) et ont trouvé que les enfants souffrant d’un TSA avaient eu entre 12 et 18 mois des scores plus importants à l’ADBB que les enfants présentant un développement normal.

6Les objectifs de notre étude étaient d’explorer : 1) les facteurs socio-démographiques, économiques, environnementaux, familiaux et de santé mentale maternels associés à la présence d’un RPP dans une population de nourrissons hospitalisés conjointement avec leur mère et 2) les modes de garde, de scolarité et de soins psychiques associés à un RRP lors de la prise en charge initiale lorsque les enfants avaient entre 2 et 5 ans.

Matériel et méthode

Population

7Nous avons étudié la population des femmes et de leurs enfants hospitalisés entre 2009 et 2012, au sein de l’Unité d’hospitalisation mère-enfant (UME) du Réseau de psychiatrie périnatale du Pôle universitaire de psychiatrie adulte du Centre hospitalier Charles-Perrens à Bordeaux (France). Cette unité dispose de 5 places destinées aux femmes enceintes et de 5 places d’hospitalisation conjointe mère-enfant. Les mères hospitalisées sont atteintes de pathologies psychiatriques liées à la périnatalité ou de troubles psychiques connus en anténatal susceptibles de compliquer l’établissement du lien mère-enfant. Sur la durée de l’étude, 41 dyades ont bénéficié au cours de leur hospitalisation d’un enregistrement vidéo de séquences d’interactions mère-enfant. Les critères d’inclusion étaient : enfants nés à terme (> 37 SA (semaines d’aménorrhée)) ; délais entre enregistrement vidéo et recueil des données > 2 ans. Les critères d’exclusions étaient : mère et/ou enfant présentant une anomalie génétique ou neurologique, mères ne s’exprimant pas en français et mères refusant l’utilisation de leur vidéo dans le cadre de la recherche. L’échantillon final comportait 34 dyades.

Outils d’évaluation

8Le RRP a été évalué avec l’échelle ADBB. Elle permet d’évaluer le RRP chez les enfants de 2 mois à 2 ans, et comprend 8 items, cotés de 0 à 4 (expression du visage, contact visuel, activité corporelle, gestes autocentrés, vocalisations, vivacité de la réponse à la stimulation, capacité à entrer en relation, à attirer l’attention de l’autre). Un score 5 signe la présence d’un RRP. Pour chaque enfant, le codage de l’ADBB a été réalisé à partir des séquences vidéo réalisées lors de l’hospitalisation de la dyade. Ces enregistrements de 5 minutes sont faist dans le cadre d’une situation standardisée d’évaluation des interactions (Global Rating Scale, Murray, et al.) (2010). L’enfant est placé dans un transat en face de sa mère afin de favoriser les interactions. Un miroir est positionné derrière le bébé, et la caméra placée devant la dyade de manière à obtenir une vue simultanée du bébé, de sa mère de profil et du reflet du visage entier de la mère. Pour obtenir une interaction optimale, le bébé doit être dans un état d’éveil calme et attentif, et de préférence à égale distance des repas. La consigne donnée à la mère est de parler et/ou de jouer comme à l’accoutumée avec son bébé, sans utiliser de jouet. L’examinateur sort de la pièce afin de ne pas interférer dans le déroulement des interactions.

Recueil de données

9Notre étude s’est déroulée en deux temps. Dans un premier temps, le recueil des données a été effectué rétrospectivement à partir des dossiers médicaux via un questionnaire élaboré pour les besoins de l’étude permettant de recueillir les informations sur les variables d’intérêt de notre étude sélectionnées a priori à partir des données de la littérature (âge maternel, statut socio-économique, situation familiale, antécédents psychiatriques personnels, type d’épisode psychiatrique en post-partum, grossesse désirée ou non, prise ou non d’un traitement psychotrope durant la grossesse, sexe de l’enfant, rang de naissance, âge lors de l’enregistrement et délai entre l’enregistrement vidéo et le début de la prise en charge).

10Dans la seconde partie, les informations sur le devenir des enfants âgés de 2 à 5 ans (mode de garde de l’enfant entre la sortie d’hospitalisation et l’évaluation – placement administratif ou justice versus parents, type de scolarité – milieu ordinaire versus adapté, soins psychiques – prise en charge en pédopsychiatrie et/ou en psychomotricité versus absence de prise en charge) ont été recueillies de manière prospective par téléphone entre novembre 2014 et février 2015. Sur les 12 enfants présentant un RRP, nous avons pu recueillir des informations pour 8 enfants. Devant la faible taille de cet échantillon, nous avons défini un groupe apparié selon le sexe et l’âge de 8 enfants issus de la population initiale ne présentant pas de RRP.

Analyses statistiques

11Les analyses statistiques ont été réalisées avec le logiciel STATA (2009). Dans un premier temps, une analyse descriptive a été effectuée pour chacune des variables (moyenne et écart type pour les variables continues ; fréquence pour les variables catégorielles). Des analyses univariées (test du chi-2) ont ensuite été réalisées afin de comparer les caractéristiques des mères et de leur bébé pour les variables d’intérêts.

Résultats

12Les caractéristiques des dyades étudiées dans la première partie de notre travail sont présentées dans le tableau 1. Parmi les 34 dyades de l’échantillon, la prévalence du RRP chez les nourrissons hospitalisés avec leurs mères est de 35,29 % (n = 12) avec un score moyen à l’ADBB de 8,3 (écart type, ET 2,6) (tableau 1). Pour les 22 enfants qui ne présentaient pas de RRP, le score moyen à l’ADBB est de 0,4 (ET 0,5).

Tableau 1

Descriptif de la population

ADBB + (n = 12)ADBB – (n = 22)Total (n = 34)
Caractéristiques sociodémographiques maternelles
• Age maternel < 30 ans2 (17 %)5 (23 %)7 (21 %)
• Niveau socio-économique faible6 (50 %)8 (36 %)14 (40 %)
• Absence de soutien du père3 (25 %)10 (45 %)13 (40 %)
• Nationalité française10 (83 %)19 (86 %)29 (85 %)
• Présence d’antécédents psychiatriques10 (83 %)2 (17 %)12 (35 %)
Caractéristiques de la grossesse et néonatales
• Grossesse désirée9 (75 %)17 (77 %)26 (76 %)
• Suivi obstétrical régulier9 (75 %)18 (82 %)27 (79 %)
• Prise d’un traitement psychotrope pendant la grossesse6 (50 %)14 (64 %)20 (59 %)
• Prise en charge pour épisode thymique9 (75 %)16 (73 %)25 (74 %)
Caractéristiques sociodémographiques infantiles
• Sexe masculin5 (42 %)8 (36 %)13 (38 %)
• Premier enfant du couple5 (42 %)12 (55 %)17 (50 %)
• Age < 3 mois lors de l’enregistrement8 (67 %)5 (23 %)13 (38 %)

Descriptif de la population

ADBB : alarme détresse bébé.

13Les résultats des analyses univariées montrent une tendance à l’association entre la présence d’antécédents psychiatriques maternels et la survenue d’un RRP chez l’enfant. Notre étude ne retrouve pas d’association entre le RRP et les autres facteurs testés (tableau 2).

Tableau 2

Analyses univariées*

ADBB – Effectif (n = 22)ADBB – Fréquence (%)ADBB + Effectif (n = 12)ADBB + Fréquence (%)chi-2p
Facteurs sociodémographiques maternels
• Mère jeune (< 30 ans)523 %215 %0,17440,676
• Niveau socio-économique faible836 %650 %0,59610,440
• Absence de soutien du père1045 %325 %1,37560,241
Facteurs obstétricaux
• Grossesse non désirée523 %325 %0,02230,881
Facteurs de santé mentale
• Antécédents psychiatriques217 %1083 %2,81770,093*
• Prise d’un traitement psychotrope durant la grossesse834 %650 %0,59610,440
• Episode thymique en post-partum1673 %975 %0,02060,886
Facteurs sociodémographiques infantiles
• Sexe masculin836 %542 %0,09250,761
• 1er enfant1255 %542 %0,51520,473
• Délais entre PEC et enregistrement < 3 mois1255 %975 %1,37560,241

Analyses univariées*

* 0,05 < p < 0,10 : tendance ; ADBB : alarme détresse bébé.

14Concernant la seconde partie de notre étude, la population finale se divise en deux groupes de huit dyades dont les caractéristiques sont présentées dans le tableau 3.

Tableau 3

Descriptif des deux groupes de dyades

ADBB + (n = 8)ADBB – (n = 8)Total (n = 16)
Caractéristiques sociodémographiques maternelles
• Age maternel < 30 ans2 (25 %)0 (0 %)2 (12,5 %)
• Niveau socio-économique faible3 (37,5 %)1 (12,5 %)4 (25 %)
• Absence de soutien du père2 (25 %)3 (37,5 %)5 (31,5 %)
• Nationalité française7 (87,5 %)7 (85,7 %)14 (87,5 %)
• Présence d’antécédents psychiatriques7 (87,5 %)6 (75 %)13 (81 %)
Caractéristiques de la grossesse et néonatales
• Grossesse désirée6 (75 %)7 (87,5%)13 (81 %)
• Suivi obstétrical désiré6 (75 %)7 (87,5%)13 (81 %)
• Prise d’un traitement psychotrope pendant la grossesse3 (37,5 %)5 (62,5%)8 (50 %)
• Prise en charge sur l’UMB pour épisode thymique6 (75 %)7 (87,5%)13 (81 %)
Caractéristiques sociodémographiques infantiles
• Sexe masculin3 (37,5 %)2 (25 %)5 (31,5 %)
• Premier enfant du couple5 (62,5 %)4 (50 %)9 (56 %)
• Age < 3 mois lors de l’enregistrement8 (100 %)7 (87,5 %)15 (94 %)

Descriptif des deux groupes de dyades

ADBB : alarme détresse bébé ; UMB : unité mère-bébé.

15Les analyses univariées trouvent une association significative entre la présence d’un RRP et la prise en charge en soins de développement entre 2 et 5 ans (tableau 4).

Tableau 4

Analyses univariées, partie 2*

ADBB – Effectif (n=8)ADBB – Fréquence (%)ADBB + Effectif (n=8)ADBB + Fréquence (%)chi-2p
Scolarité milieu adapté00%112,5%1,00670, 302
Soins psychologiques en cours112,50 %562,50%4,26670,039*
Placement00%225%2,285713 %

Analyses univariées, partie 2*

*p < 0,05 : association significative ; ADBB : alarme détresse bébé.

Discussion

Limites

16La limite principale de notre travail qui reste exploratoire est le faible effectif de notre échantillon qui n’a permis de réaliser que des analyses univariées. Le fait que le codage de l’ADBB n’a pu être réalisé une seconde fois à 15 jours après la première évaluation comme préconisé en cas de résultats positifs est un biais de classement potentiel. Il est cependant retrouvé dans la majorité des études portant sur le RRP. Enfin, dans la première partie de notre étude, il existe un biais potentiel de recueil des données lié à la dimension rétrospective de cette partie de l’étude. Pour la seconde partie, le recueil des informations ne s’est fait que sur les dires des parents.

Points forts

17Notre étude est la première à explorer le RRP dans une population d’enfants de mère présentant différents types de troubles psychiatriques graves. Les études précédentes ont en majorité été réalisées en population générale excepté une étude réalisée chez les nourrissons de mères souffrant de dépression post-partum. Elle est également l’une des premières à explorer les liens entre RRP et devenir de ces enfants. Alors qu’en population générale la prévalence du RRP est estimée entre 3 et 14 % chez les enfants de 12 à 18 mois, elle touche plus d’un tiers des enfants de mères présentant des troubles psychiatriques graves. Ces résultats soulignent bien la vulnérabilité précoce de cette population de nourrissons.

18Durant les soins de la maman, il existe une tendance à l’association entre antécédents psychiatriques maternels et RRP. L’existence d’antécédents psychiatriques peut être le reflet du caractère chronique et/ou récurrent de la pathologie et ainsi potentiellement de l’importance du retentissement du trouble sur la vie quotidienne des patients. Tous les types de pathologies maternelles impactent les capacités interactives des parents. Nos résultats sont en accord avec les données de la littérature qui soulignent que plus la pathologie est grave, plus l’impact sur les capacités interactives maternelles risque d’être important (Stein, et al., 2012).

19Aucune association n’était retrouvée avec les autres variables testées. Concernant l’âge maternel, le statut socio-économique et la situation familiale, ces résultats peuvent être rapprochés de ceux issus de l’étude de Guedeney, et al. (2012) qui suggéraient que chacun des facteurs n’a pas d’impact pris isolément mais qu’il existe un effet cumulatif. Les liens entre RRP entre le fait que la grossesse ait été désirée ou non et la prise d’un traitement psychotrope durant la grossesse n’avaient jamais été explorés auparavant. Du fait de la faible puissance statistique de notre étude, leur absence de participation à la survenue d’un RRP reste à confirmer. Notre étude ne retrouve en revanche pas de lien entre RRP et sexe masculin de l’enfant, à l’inverse de l’étude de Guedeney, et al. (2008). Ces résultats peuvent être liés à la forte proportion de filles (62 %) au sein de notre échantillon de faible taille, chiffre qui contraste avec celui de l’étude suscitée (41,5 %) dont l’effectif global était bien plus important. Enfin, l’absence d’association avec la durée de prise en charge avant l’enregistrement (< ou > 3 mois) pourrait s’expliquer par le fait que plus la mère est gravement atteinte, plus l’enregistrement est réalisé tard au cours de la prise en charge, le cadre de l’unité permettant alors de prévenir la survenue d’un RRP.

20La seconde partie de notre étude montre que les enfants ayant présenté un RRP durant l’hospitalisation conjointe ont plus souvent nécessité un suivi sur le plan développemental entre 2 et 5 ans que ceux n’en ayant pas présenté. En moyenne âgés de 4 ans, 62,5 % des enfants issus de ce groupe présentaient des difficultés nécessitant un suivi par un pédopsychiatre et/ou un psychomotricien. Selon Furniss, et al. (2006), en population générale, 12,4 % des enfants d’âge préscolaire présenteraient des symptômes comportementaux ou émotionnels, chiffre bien en deçà de celui mis en évidence dans notre groupe. Ce résultat souligne potentiellement la vulnérabilité de cette population d’enfants présentant des symptômes développementaux précoces. Enfin, nos résultats ne retrouvent pas d’association entre placement à l’issue de l’hospitalisation et RRP, mais on peut noter que les seuls deux enfants placés sont issus du groupe présentant un RRP.

Conclusion

21Le RRP apparaît comme un indicateur sensible de la santé mentale du « tout-petit » dont les mères présentent des troubles psychiatriques graves. S’il ne peut actuellement pas être rattaché à la survenue d’un diagnostic particulier, sa présence peut être considérée comme un marqueur de la nécessité de proposer des soins, ou au moins un suivi développemental régulier à ces enfants.

22Il faudrait par la suite essayer d’explorer si le RPP est lié à des spécificités interactives maternelles, ou si les enfants qui présentent ce type de difficultés ont des vulnérabilités développementales néonatales. Enfin, d’autres études doivent être menées afin de préciser les facteurs de risque et l’impact à court et plus long termes du RPP.

Points importants

  • La prévalence du retrait relationnel précoce durable (RRPD) chez les enfants de mères hospitalisées en UMB (unité mère-bébé) se situe aux alentours de 35 %.
  • L’existence d’antécédents psychiatriques maternels semble associée à la survenue d’un RRP chez l’enfant durant la première année de vie.
  • Les enfants souffrant d’un RRPD à 12 mois sont plus souvent suivis sur le plan psychologique ou psychomoteur entre 2 et 5 ans et demi.
Français

Introduction. La pathologie mentale maternelle peut potentiellement perturber les interactions précoces entre une mère et son bébé. Le « retrait relationnel précoce » (RRP) est considéré comme un signal d’alarme de la souffrance psychique du nourrisson. A ce jour, aucune étude n’a exploré le retrait relationnel précoce chez les nourrissons hospitalisés conjointement avec leur mère en unité mère-enfant (UME). Les objectifs de notre étude sont d’explorer dans une population d’enfants hospitalisés conjointement avec leur mère dans l’année suivant leur naissance : 1) les facteurs sociodémographiques, économiques, environnementaux, familiaux et de santé mentale maternels associés au RRP et 2) les liens entre RRP et mode de garde, scolarité et soins psychiques entre 2 et 5 ans.
Méthodes. Trente-quatre mères et leurs enfants, ayant bénéficié durant leur prise en charge d’un enregistrement vidéo standardisé des interactions mère-enfant, ont été inclus dans l’étude. Le RRP a été évalué à partir de cas enregistrements avec l’échelle ADBB (alarme détresse bébé). Les associations entre RRP et les facteurs sociodémographiques, économiques, environnementaux, familiaux et de santé mentale maternels puis entre le mode de garde, le suivi de soins psychiques et le type de scolarité de l’enfant entre 2 et 5 ans ont été explorées par des analyses univariées.
Résultats. Dans notre population, la prévalence du RRP était de 35 %. L’existence d’antécédents psychiatriques maternels tendait à être associée avec le RRP. Les enfants ayant présenté un RPP lors de la prise en charge initiale étaient significativement plus souvent suivis sur le plan psychologique entre 2 et 5 ans que les enfants qui ne présentaient pas de retrait.
Conclusion. Le RRP apparaît comme un indicateur potentiellement sensible de la santé mentale du « tout-petit ». Sa présence peut être considérée comme un marqueur de la nécessité de mettre en place un suivi développemental régulier.

Mots-clés

  • retrait relationnel précoce
  • unité mère-enfant
  • développement de l’enfant

Références

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Laurie Tonnadre
Pédopsychiatre, Pôle Universitaire de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent, Centre Hospitalier Charles-Perrens, Rue Léo Saignat 146 bis, 33076 Bordeaux, France
Antoine Guedeney
Professeur de Pédopsychiatrie, Hôpital Bichat-Claude-Bernard GHPVS Assistance Publique des Hôpitaux de Paris, Inserm U 1178 CESP, Université Paris 7, www.adbbtest.jimdo.com
Hélène Verdoux
Professeur de Psychiatrie, Université de Bordeaux, Inserm Bordeaux Population Health Research Centre, Team Pharmacoepidemiology, Unité Médicale de Recherche 1219, F-33000 Bordeaux
Anne-Laure Sutter
Psychiatre, CH Charles-Perrens, Université de Bordeaux, Inserm 1219 Bordeaux Population Health Research Centre, université de Bordeaux, Bordeaux, France
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Mis en ligne sur Cairn.info le 29/12/2017
https://doi.org/10.3917/dev.174.0255
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