Introduction
1La période du post-partum immédiat cristallise la complexité des enjeux de la naissance, intriquant l’expérience de la maternité pour la femme et les tout premiers temps de l’organisation psychique du nouveau-né. Si l’on exclut les décompensations psychopathologiques, les manifestations cliniques maternelles propres à cette période sont communément rassemblées sous le terme de blues du post-partum bien que cet état échappe à toute unicité nosographique consensuelle.
2Le blues du post-partum recouvre ainsi différentes réalités symptomatiques, d’une légère dysphorie de l’humeur à d’intenses émotions dépressives et de dépersonnalisation (Yalom, 1968 ; Pitt, 1973 ; Kennerley, 1989). Il s’apparente davantage à un état d’intense sensibilité émotionnelle qu’à une authentique dépression clinique. Seuls certains cas de blues sévères et durables sont à risque de décompensation d’une dépression postnatale (Henshaw, 2004), voire d’une psychose puerpérale. Dans une perspective finaliste, le blues pourrait favoriser une certaine ouverture à l’échange émotionnel entre la mère et son bébé (Guédeney, 1993).
3A notre connaissance, aucune recherche ne s’était jusqu’à lors centrée sur les liens entre l’organisation neuropsychomotrice néonatale précoce et le blues postnatal maternel, étudiés longitudinalement à partir du post-partum immédiat. L’objectif de la partie initiale de notre étude était, à partir des données nosographiques de la littérature internationale, de construire des groupes cliniques de mères en fonction de l’expression émotionnelle évaluée durant les premiers temps de la naissance, et d’observer les relations possibles entre ces différents groupes cliniques et les caractéristiques d’organisation des nouveau-nés.
4Ce travail a fait l’objet d’une précédente publication (Bydlowski, 2013) mettant en évidence que certaines compétences précoces du nouveau-né, repérées par l’examen de Brazelton, étaient le fait exclusif des bébés dont la mère expérimente un blues ordinaire dans le post-partum immédiat (tel que défini ci-après) : capacités d’auto-apaisement, meilleurs régulation et organisation des états d’éveil, moindre besoin du soutien de l’adulte, meilleure organisation tonico-posturale et meilleures compétences attentionnelles, faible irritabilité, plus grande robustesse et d’endurance tout au long de l’examen clinique. Ces nouveau-nés sont moins facilement débordés par les stress internes comme par ceux de l’environnement, et peuvent pour une part y faire face par eux-mêmes, témoignant d’une moindre dépendance à l’adulte.
5Les acquisitions mises en évidence chez les nouveau-nés des femmes au blues ordinaire constituent ainsi un ensemble de compétences particulières d’organisation, de coordination, et de maturité neuropsychomotrice et tonico-posturale. Celles-ci permettent au bébé l’expression d’une plus grande liberté motrice et témoignent d’une capacité précoce d’autonomie. L’expérience psychique maternelle dont témoigne ce type particulier de blues du post-partum pourrait donc favoriser l’ajustement de la mère à son bébé et permettre à ce dernier un meilleur développement de ses capacités d’autorégulation, mettant en valeur l’importance de l’échange émotionnel précoce entre mère et enfant. Ces observations contribuent à invalider l’idée que le blues dans sa forme modérée et transitoire est une figure de la psychopathologie. Au contraire, il contribuerait à une meilleure régulation du bébé et à de meilleurs ajustements relationnels ultérieurs entre mère et enfant.
6Dans la seconde partie de l’étude aux deux mois de l’enfant, l’analyse des interactions mère-bébé a montré que les femmes ayant présenté un blues triste, intense et durable présentent un désajustement relationnel particulièrement franc dans l’interaction avec leur bébé. Les interactions entre les mères ayant traversé un blues ordinaire et leur bébé montrent un ajustement maternel de qualité à leur bébé. D’autre part, les compétences neuropsychomotrices des bébés facilitent la qualité générale de leurs interactions avec leurs mères. Enfin, les difficultés de régulation des enfants observées à deux mois sont présentes dès le post-partum immédiat. Les bébés les plus en difficulté dans l’interaction avec leur mère à huit semaines, telle qu’observée à l’Echelle de notations globales des interactions mère-bébé (Fiori-Cowley, 1999), avaient de moindres capacités propres d’organisation à la naissance, selon l’examen de Brazelton (Bydlowski, 2015).
7L’objectif visé dans la troisième partie de la recherche, ici présentée, consiste à interroger le devenir de ces bébés, en évaluant leurs compétences cognitives, langagières, neuropsychomotrices et psychoaffectives lors de leur entrée à l’école maternelle. Ces éléments nous permettent d’interroger les liens entres les types de blues maternel à la naissance et les modalités de fonctionnement psychiques et développementaux des enfants dans leur quatrième année. Nous analyserons si les différences de compétences observées à la naissance et à deux mois entre les bébés dont les mères ont eu différents types d’expériences émotionnelles dans le post-partum immédiat sont encore présentes et analyserons les profils développementaux de ces enfants à la lumière de ces types de blues.
Méthode
Population
8L’ensemble du recrutement initial des dyades mère-bébé de l’étude s’est déroulé à la maternité entre le premier et le cinquième jour du post-partum (voir Bydlowski, 2013 pour les détails des modalités de recrutement). La population a été sélectionnée afin d’être homogène et comparable sur le plan de l’âge, du statut marital, de la catégorie socioprofessionnelle, de la situation gynéco-obstétricale de la mère et de l’état de santé du bébé. Les femmes auxquelles la recherche était proposée étaient toutes primipares, majeures, francophones, non précaires socialement, vivant en couple, ayant eu une grossesse non compliquée sur le plan somatique et psychologique, et ayant accouché à terme par voie basse sans difficultés particulières. Les femmes présentant une dépression cliniquement repérable, au cours de l’entretien et/ou à l’Echelle de dépression de Montgomery et Asberg (1979) ont été exclues du groupe d’étude. Les nouveau-nés étaient tous en bonne santé à la naissance (poids de naissance, périmètre crânien et taille dans la norme, score d’Apgar supérieur ou égal à 8, examen pédiatrique général et neurologique sans particularité), et présentaient un développement neuropsychomoteur normal à l’échelle d’évaluation du développement moteur du jeune enfant (Vaivre-Douret, 2003).
9Suite à ce premier temps de l’étude à la maternité, une nouvelle rencontre de la dyade mère-bébé était fixée deux mois plus tard au laboratoire de recherche. Le pédopsychiatre ayant rencontré la dyade à la Maternité recevait la mère et l’enfant afin d’observer leurs interactions, la qualité de l’ajustement maternel en situation interactive et les capacités de régulation propres du bébé.
10Pour le dernier volet de la recherche, ici présenté, les enfants et leurs mères ont été reçus au laboratoire de recherche par un pédopsychiatre, une psychologue et une psychomotricienne, au cours de leur quatrième année.
Outils d’évaluation
11Entre le premier et le cinquième jour à la maternité, des informations sociodémographiques et médicales concernant les dyades mère-bébé étaient collectées dans une grille type, renseignée grâce au dossier médical et aux entretiens cliniques.
12Un entretien semi-structuré construit sur la base de l’entretien et du jugement clinique, réalisé par un pédopsychiatre spécifiquement formé à la clinique périnatale, permettait de repérer les symptômes de blues les plus fréquemment recensés dans la littérature internationale (pleurs, tristesse, anxiété, irritabilité, confusion, ralentissement, joie, bonheur, ruminations, sentiment d’impuissance, idées noires, fatigue, fluctuations de l’état émotionnel, hypersensibilité) et de suivre les définitions nosographiques les plus consensuelles (Yalom, 1968 ; Kennerley, 1989 ; Pitt, 1973). Le caractère transitoire ou durable du blues du post-partum était évalué par un entretien téléphonique avec les mères dans les dix jours suivant la sortie de maternité.
13Les données ainsi collectées ont permis la construction d’une première classification clinique. Celle-ci a ensuite été validée par un deuxième expert en aveugle, en utilisant une grille de décision pour l’accord interjuges. Cette méthodologie a conduit à la construction d’une classification clinique en trois groupes, traduisant différents types d’expériences émotionnelles maternelles dans le post-partum immédiat : un groupe de femmes présentant un blues du post-partum ordinaire (affects déclarés et perçus, hypersensibilité et alternance des états émotionnels, labilité de l’humeur, état rapidement réversible avant dix jours) ; un groupe de femmes présentant un blues du post-partum triste, intense et durable (émotions exclusivement négatives, tristesse, anticipation anxieuse sans alternance émotionnelle, symptomatologie plus durable) ; un groupe de femmes ne présentant pas de blues du post-partum (tonalité affective pauvre de l’entretien, difficulté à ressentir et à percevoir les émotions). Les définitions cliniques de chacun de ces groupes sont détaillées dans l’article présentant la partie initiale de la recherche (Bydlowski, 2013).
14Les nouveau-nés étaient examinés selon l’examen de Brazelton par un pédopsychiatre habilité et formé à cette passation afin de compléter l’Echelle d’évaluation du comportement néonatal (Neonatal Behavioral Assessment Scale, NBAS, 3rd edition) évaluant leurs compétences neuropsychomotrices (fonctionnement psychomoteur, interactions sociales, organisation et régulation des états, etc.) (Brazelton, 1995).
15Huit semaines plus tard, un film vidéo était réalisé dans une situation standardisée, afin de compléter l’Echelle de notations globales des interactions mère-bébé à deux mois (Global Ratings for Mothers-Infant Interactions at two months) (Fiori-Cowley, 1999). Pour notre étude, les films ont été visionnés, codés et analysés par un chercheur entraîné à l’analyse des interactions mère-bébé (Dr G. Apter). Ce dernier ignorait le groupe clinique maternel, de même que l’histoire des femmes et des bébés observés sur le film. L’outil n’étant pas traduit ni validé en français, nous avons utilisé le manuel dans sa forme originale, en anglais, après accord de Lynn Murray. Cet outil d’évaluation des interactions mère-bébé comporte trois échelles : une échelle maternelle décrivant l’ajustement du comportement maternel à l’enfant, une du bébé décrivant l’engagement de l’enfant dans l’interaction et une troisième des interactions évaluant la qualité générale de l’interaction entre la mère et l’enfant.
16Une dépression maternelle était recherchée à deux mois grâce à l’Echelle de dépression de Montgomery et Asberg (1979). Les détails de la méthodologie sont disponibles dans l’article présentant la deuxième partie de la recherche (Bydlowski, 2015).
17Durant leur quatrième année, le développement des enfants a été évalué selon deux modalités, permettant d’obtenir une quantité et une qualité de données importantes pour chaque enfant.
Lors d’une observation clinique directe des enfants
18Une psychologue (F. Hooge-Lespagnol) spécifiquement formée à la passation de ces tests a réalisé un bilan des compétences cognitives et psychoaffectives de ces enfants.
19Les quatre items de la WPPSI III (Wechsler Prescool and Primary Scale of Intelligence, 2004) étalonnés pour les enfants de moins de quarante-huit mois ont été administrés : information et compréhension de mots afin d’évaluer les compétences verbales ; cube et assemblage d’objet s afin d’évaluer les compétences et performances non verbales.
20Pour le test du CAT (Child Aperception Test) (Bellak, 1961), l’analyse a été réalisée à partir de la grille de Monika Boekholt sur les mécanismes de défense utilisés par les enfants au travers de l’analyse de leurs productions verbales (Azoulay, 2002) et de l’échelle définissant les types d’axe de problématiques : les fondements de l’identité, l’élaboration de la position dépressive, la mise en place de l’axe œdipien (Boekholt, 1993).
21Le Scénotest filmé a été analysé à partir de la Grille des procédés du jeu (Boekholt, 1993).
22Une psychomotricienne (M. Sahli) spécifiquement formée à la passation de ces bilans a évalué le développement neuro et psychomoteur en réalisant un Bilan sensorimoteur de Bullinger (2004), le Test de Brunet Lézine révisé (Josse, 1997) et le Test de développement fonctionnel et moteur de L. Vaivre-Douret (2003).
Un entretien semi-directif a été réalisé par le Dr A. Garrau, pédopsychiatre, auprès de la mère de l’enfant
23Cet entretien était basé sur les items du questionnaire de la Symptom Check-list (Robert-Tissot, 1989) visant à évaluer les troubles psycho-fonctionnels de la petite enfance. Il permet d’évaluer si des tensions ou dysfonctionnements importants existent dans différents domaines (sommeil, alimentation, digestion, respiration, peau, allergies, recours à des services médicaux, comportement, peur/timidité, séparation, changements, toilette/hygiène/habillage, propreté, langage, jeux, relations aux pairs, motricité).
24L’entretien reprenait également l’anamnèse de l’enfant et évaluait les représentations maternelles à l’égard de l’enfant, du conjoint et de la parentalité.
25Enfin, la passation du CBCL 1.5 (Child Behavior Checklist : inventaire de comportement pour les enfants âgés d’un an et demi à cinq ans) (Achenbach, 2001) était ensuite complété par la mère se fondant sur le comportement de son enfant au cours des deux mois précédents. Il permet d’évaluer l’enfant dans les différents domaines répertoriés dans le DSM-IV (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) : problèmes affectifs, anxiété, problèmes envahissant du développement, troubles de l’attention/hyperactivité et troubles oppositionnels, afin d’objectiver s’il se trouve au-delà d’un seuil pathologique.
Aspects éthiques
26Notre étude a reçu l’avis favorable du Comité de protection des personnes (CPP) Ile de France III, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et du Comité de qualification institutionnel de l’Inserm, promoteur de ce projet.
27Les chercheurs étaient tous cliniciens, spécifiquement formés à la prise en charge et à l’étude des jeunes mères, des bébés, des interactions mère-enfant et du développement de l’enfant. Ceci leur a permis, lors du repérage d’une souffrance maternelle, néonatale, infantile et/ou interactive et développementale, d’organiser une orientation vers une prise en charge adéquate et spécialisée.
Résultats : analyse de l’évolution du fonctionnement psychique maternel et des enfants à quatre ans en fonction du type de blues maternel en post-partum immédiat
28Notre population initiale compte vingt et une dyades mère-bébé, dont treize ont pu être revues huit semaines plus tard. Grâce aux critères d’inclusion retenus, la population d’étude est d’une bonne homogénéité tant sur le plan sociodémographique que clinique (Bydlowski, 2013). La recherche inclut neuf femmes avec un blues du post-partum ordinaire, quatre femmes présentant un blues du post-partum triste, intense et durable et huit sans blues. Parmi les treize dyades revues à deux mois, six femmes avaient présenté un blues ordinaire, cinq n’avaient pas eu de blues en post-partum immédiat et deux avaient présenté un blues triste, intense et durable. Aucune des femmes revues à deux mois ne présentait de dépression clinique à l’Echelle de dépression de Montgomery et Asberg.
29A l’âge de quatre ans, sept de ces enfants ont été évalués. Le groupe reste homogène du point de vue du type de blues, puisque parmi eux, deux mères avaient présenté un blues du post-partum ordinaire, trois n’avaient pas eu de blues et deux avaient présenté un blues triste, intense et durable. Lors des entretiens maternels, une mère qui avait traversé un blues triste est aujourd’hui cliniquement déprimée. Les sept enfants ont été rencontrés lorsqu’ils avaient entre quarante et cinquante mois (âge moyen : 45 mois).
30Les résultats détaillés à la naissance et à deux mois sont démontrés dans les articles présentant les deux premières parties de la recherche (Bydlowski, 2013 ; Bydlowski, 2015). Ils ne sont repris que partiellement ici afin de montrer l’évolution des cas.
Blues « ordinaire »
Analyse du fonctionnement psychique maternel
31A la naissance de leur enfant, les mères ayant traversé un blues ordinaire (BO) disposaient d’une représentation de l’enfant comme objet différencié et témoignaient d’une rencontre authentique avec le bébé. Leur fonctionnement psychique témoignait d’un accès à la triangulation œdipienne, pouvant s’étayer sur une représentation maternelle intériorisée (imago) bienveillante et le tiers, et disposaient de capacités d’identification à leur enfant.
32Ces femmes ont aujourd’hui une évaluation positive de leurs compétences maternelles et les caractéristiques de leur fonctionnement psychique sont dans la continuité de celles observées après la naissance.
33La mère de BO2, questionnée sur sa relation avec ses parents répond, dans une rivalité névrotique bien tempérée : « je fais comme Maman… elle me dit ce que je devrais faire… mais moi aussi je trouve à redire ! » ou encore « [BO2] a marché vers 14-15 mois, dans une grande surface, il a marché vers ma mère, c’était magique ! ».
34La mère de BO1, sur sa relation avec son enfant et celle du père avec l’enfant : « je suis plus là pour les bobos… son père et son beau-père, ils jouent ! [BO1] n’est jamais malade chez son père, [elle] a toujours une gastro ou une conjonctivite chez moi, même bébé ! », « son père est plus détendu, moi je suis plus angoissée ».
Analyse du fonctionnement psychique des enfants
35Une homogénéité des résultats est présente pour les deux enfants dont les mères avaient traversé un blues ordinaire à leur naissance.
36Les résultats de la CBCL et de la Symptom Check List indiquent que ces deux enfants présentent un niveau de développement global homogène et favorable.
37Ces deux enfants disposent de capacités cognitives et langagières homogènes les situant dans la moyenne haute (QI total : 129 et 118 (moyenne 100, écart-type 15), rang percentile : 97 et 88). Un investissement important du langage est à noter avec une bonne intériorisation de ce dernier.
38Leur développement neuropsychomoteur correspond à celui des enfants de leur âge avec cependant un relatif désintérêt pour cette sphère, au profit de la sphère cognitive. La motricité fine est peu investie, mais se révèle fonctionnelle. Une enveloppe sonore est souvent apparue au cours de notre rencontre.
39Sur le plan psychoaffectif, ces deux enfants ont accès aux questionnements œdipiens attendus à leur âge. Au Scénotest, ils investissent la relation à l’examinateur de façon adaptée, dans un ajustement alternant des possibilités de demande d’aide et de réflexion personnelle. Au CAT, les mécanismes de défense à l’œuvre sont souples et de la lignée névrotique (procédés tant rigides (contrôle) que labiles, avec une utilisation importante de l’intellectualisation). Par exemple, à la planche 7 qui renvoie à l’agressivité, l’enfant BO2 répond : « Un tigre et un singe… et un tigre. Il va le manger, mais il pourra pas parce que les singes, ils se balancent. Il va monter dans les arbres. » Une certaine inhibition sur le plan du déploiement de l’imaginaire est présente du fait de questionnements œdipiens potentiellement excitants, une recherche d’évitement du conflit est alors présente. Par exemple, à la planche 5 qui renvoie à la curiosité sexuelle, l’enfant BO1 répond : « Une maison, on regarde de l’autre côté, on voit rien ! On a fini l’histoire, on n’a pas lu… je rigole ! Une maison avec des fenêtres et un lit et un autre lit et un tiroir. » Les émergences en processus primaires signant un débordement des défenses sont très limitées en fréquence.
Analyse de l’évolution des enfants du post-partum immédiat à leurs quatre ans
40L’enfant BO1 suit une évolution positive au cours de son développement. Il disposait de bonnes capacités évaluées à la naissance à l’examen de Brazelton, en particulier du système moteur, des compétences d’auto-apaisement, et de régulation et d’organisation de ses états d’éveil. L’ajustement maternel ainsi que les interactions mère-bébé à deux mois étaient de bonne qualité, chaleureux, vivants et peu coûteux pour les deux protagonistes. Nous constatons que le développement global de cet enfant est harmonieux à ses quatre ans.
41BO2 a présenté peu de ressources à l’examen de Brazelton à la naissance. Il était à deux mois très peu compétent, passif, présentant des difficultés de régulation. Cependant, sa mère avait des qualités d’ajustement d’une qualité remarquable à deux mois, lui ayant probablement permis de s’ajuster au plus près des besoins de son enfant tout au long de son développement. Cet enfant dispose aujourd’hui de bonnes capacités tant cognitives, langagières, motrices que psychoaffectives.
Blues triste, intense et durable
Analyse du fonctionnement psychique maternel
42Les mères ayant traversé un blues triste, intense et durable (BT) à la naissance de leur enfant ont aujourd’hui une représentation négative de leurs compétences maternelles. La mère de BT1 dit : « C’est moins catastrophique que ce que j’imaginais ; j’ai peur de mal faire ».
43Leur fonctionnement psychique témoigne de représentations parentales intériorisées (imagos) défaillantes, voire hostiles. Elles entravent une identification structurante à une représentation maternelle et empêchent le déploiement d’une sollicitude maternelle de qualité à la naissance et les mouvements d’identification à leur enfant. La mère de BT2 revient longuement sur sa relation avec sa propre mère : « Moi, j’ai été éteinte par le « non », petite » ; « J’essaie de lui donner de la rigueur, celle que j’ai eu avec mes parents. Mais je n’ai pas eu de témoignage d’affection… je ne leur reproche pas. Le laxisme câlin, j’ai pas eu tout ça. » L’autonomisation, la séparation d’avec l’enfant est vécue comme inquiétante. En évoquant les difficultés d’endormissement de son enfant, la mère de BT2 se questionne : « Je me demande si elle a eu assez de moi dans la journée ». La mère de BT1 se sent étrangère aux mouvements d’autonomisation de son enfant : « C’est lui qui a décidé de dormir dans un lit de grand », voire laisse sa place à d’autres : « La propreté, ce sont les dames de la crèche qui s’en sont occupées ».
Analyse du fonctionnement psychique des enfants
44A la Symptom Check List, ces deux enfants présentent des difficultés importantes, en particulier des troubles du sommeil et de l’alimentation persistants pour un enfant, et des difficultés de langage (registre expressif) pour l’autre. Ces deux enfants obtiennent des seuils pathologiques au CBCL pour les catégories « problèmes affectifs » et « problèmes envahissants de développement ».
45Les compétences cognitives et langagières des enfants BT1 et BT2 sont en-deçà de celles de leur âge (QI total : 79 et 58 (moyenne 100, écart-type 15), rang percentile : 8 et 0,3). Les compétences langagières sont celles qui sont les plus préservées (QI verbal : 85 et 78, rang percentile : 16 et 7). Ces enfants disposent d’un certain lexique. Ils sont cependant plus entravés lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre des processus cognitifs plus complexes, en particulier dans le domaine non verbal, faisant appel à des représentations mentales et du raisonnement logique attendu à leur âge (QI performance : 80 et 4, rang percentile 9 et 0,1).
46Sur le plan neuropsychomoteur, des difficultés de coordination sont présentes pour l’enfant BT2 avec un retard marqué tant sur le plan du développement de la motricité fine que globale. On note un trouble sur le plan de l’image du corps et une hypersensibilité tactile. Cet enfant se montre plus apaisé dans des activités corporelles plus régressées avec l’adulte au sol. L’enfant BT1 présente une inhibition massive avec opposition. Il ne répond pas aux consignes. L’observation clinique met en évidence des compétences motrices fines de bonne qualité et un investissement de la trace. Sa motricité globale est plus entravée et mal investie, il ne porte pas attention aux objets au sol et trébuche. On note une hypersensibilité tactile et visuelle.
47Le développement psychoaffectif de ces enfants est homogène, mais ne correspond pas à ce qui est attendu à leur âge. Ils n’accèdent pas aux questionnements œdipiens. Leurs interrogations touchent aux fondements de l’identité. Par exemple, au CAT, l’enfant BT2 répond à la planche 3 renvoyant à la relation à une image de puissance phallique : « Le loup va manger les lunettes, il est où le loup ? Le loup te mange, on va le cacher dehors ». L’enfant se lève et jette les planches hors de la pièce. Les angoisses de séparation sont importantes. Par exemple : à la planche 9 renvoyant à la capacité d’être seul du CAT, l’enfant BT1, « Un lapin, il veut dormir la nuit… y a un lion, ça fait peur… ». Les mécanismes défensifs sont empreints d’une grande inhibition avec évitement des conflits et émergences en processus primaire fréquents. Au Scénotest, ces deux enfants présentent un défaut d’ajustement dans leur relation au clinicien : l’enfant BT1 est dans un retrait relationnel important avec manipulation sensorimotrice du matériel et procédés hors du jeu. Il ne sollicite et n’adhère que très peu aux propositions qui lui sont faites. L’enfant BT2 est dans une grande dépendance à l’adulte avec une insécurité affective majeure, des sollicitations et des recherches de rapprochés corporels incessants.
Analyse de l’évolution des enfants du post-partum immédiat à leurs quatre ans
48Les enfants BT1 et BT2 ont présenté des compétences neuropsychomotrices limitées à la naissance. Si des compétences en matière d’interaction sociale sont observables pendant la passation de l’examen de Brazelton, on constate pourtant que leur système autonome est trop sollicité, et que l’organisation et la régulation de leurs états sont faibles.
49A deux mois, leurs mères ont toutes deux tenté de s’ajuster aux besoins de leur bébé, mais n’ont pu y parvenir. Les bébés étaient également en difficulté pour maintenir une qualité de régulation, les interactions s’en trouvaient très pauvres et peu satisfaisantes.
50Dans leur quatrième année, ces deux enfants présentent des compétences cognitives limitées ; des questionnements identitaires sont au-devant de la scène. La relation à l’adulte n’est pas ajustée, soit dans un retrait relationnel de l’enfant BT1, soit dans des mouvements adhésifs à l’adulte pour l’enfant BT2.
Absence de blues
Analyse du fonctionnement psychique maternel
51Les mères n’ayant pas présenté de blues (PB) à la naissance de leur enfant ont aujourd’hui une représentation positive de leurs compétences maternelles.
52La mère de PB1 présente un fonctionnement psychique témoignant d’un accès à la triangulation œdipienne. Elle peut s’étayer en particulier sur une imago maternelle bienveillante et s’appuie sur le tiers. Elle dispose de bonnes capacités d’identification à son enfant, malgré une certaine mise à distance des affects. « A 9 mois, je suis tombée enceinte de sa petite sœur, elle a commencé à se réveiller la nuit pour un biberon, j’ai compris que c’était la grossesse, je lui ai expliqué et c’est rentré dans l’ordre » ; « Le bégaiement ça m’a remué, on était content de déménager, qu’est-ce qu’on a raté ? Je suis émue quand j’en parle ». Concernant son conjoint, elle dit : « C’est un super papa, il aime bien s’occuper seul d’elle, elle a une relation intéressante avec son père. On est obligé de beaucoup se parler, autour du bégaiement, notre relation s’est enrichie ». Sur sa relation avec ses propres parents : « Je comprends mieux mes parents depuis que je suis maman, je passe l’éponge maintenant alors que jeune adulte je critiquais ».
53Les mères de PB2 et PB3 ont une vision plutôt positive de leurs compétences maternelles, mais sont plus en difficulté pour s’identifier à leur enfant.
54La mère de PB2 présente un mouvement de rivalité narcissique avec son enfant et une imago maternelle idéalisée. L’enfant est assimilé à son père dans son discours : sur l’enfant : « Il a beaucoup de caractère, veut commander. Il pourrait prendre le dessus » ; sur le père : « Il n’est jamais revenu dans la chambre depuis la naissance, ça nous éloignait encore plus, mais je trouve maintenant que c’est confortable ». Concernant son enfant, elle voudrait qu’il soit plus autonome, qu’il puisse se passer d’elle. Elle est irritée de ses demandes régressives, car elle « n’a plus le temps ».
55La mère de PB3 est dans un lien quasi anaclitique avec son conjoint. Elle a peu de mots ou de gestes affectueux envers son enfant, étant dans un mouvement de répression des affects. Il semblerait que ce soit le père qui manifeste la tendresse : « C’est son papa qui lui apprend beaucoup de choses, il lui parle beaucoup, moi je suis peut-être un peu trop rangement, ménage », « C’est le papa dont je rêvais pour mes enfants ». Elle trouve que le père fait mieux qu’elle avec leur enfant. « On voulait construire une famille, c’est l’essentiel ».
Analyse du fonctionnement psychique des enfants
56Les résultats aux questionnaires de la CBCL et de la Symptom Check List sont hétérogènes pour les trois enfants de ce groupe. PB1 ne présente pas de difficulté à la CBCL et à la Symptom Check List. Seule une légère opposition et quelques troubles du langage (bégaiement) sont notés. L’enfant PB2 ne présente pas de problème important, mais quelques difficultés sont notées concernant le sommeil, la concentration, l’opposition et la sensibilité à la séparation. L’enfant PB3 présente d’importants problèmes dermatologiques, ainsi que des difficultés dans différents domaines : sommeil, alimentation, peur, timidité, colère, opposition et agressivité.
57Sur le plan cognitif et langagier, l’enfant PB1 présente des compétences légèrement en-deçà de celles attendues à son âge sur le plan non verbal (QI performance : 88 (moyenne 100, écart-type 15), rang percentile 21). Une excitabilité majeure est présente, l’étayage de l’adulte est nécessaire afin de lui permettre de poursuivre l’investissement en cas d’échec, car l’anxiété est majorée. Ses compétences verbales sont un point d’appui développemental (QI verbal : 127, rang percentile 96), avec en particulier des connaissances (17 à information), témoignant d’un bon niveau socioculturel.
58L’enfant PB2 présente un profil cognitif similaire avec des compétences limites sur le plan non verbal (QI performance : 85 (moyenne 100, écart-type 15), rang percentile 16) et des compétences attendues sur le plan verbal (QI verbal : 99, rang percentile 47). Une certaine intellectualisation est à noter. Cependant, l’excitabilité est présente et entrave une mise en œuvre favorable des fonctions cognitives. L’étayage de l’adulte est là encore nécessaire pour poursuivre la tâche.
59L’enfant PB3 dispose de bonnes capacités cognitives (QI total : 118 (moyenne 100, écart-type 15), rang percentile 88), en particulier sur le plan du raisonnement non verbal (QI performance : 128, rang percentile 97). La verbalisation et l’étayage le soutiennent, mais des angoisses d’échec menacent régulièrement la poursuite de son investissement. Une certaine excitabilité et une agitation psychomotrice conduisent régulièrement à une interruption de la passation. L’enfant quitte la pièce pour ensuite y revenir.
60Sur le plan du développement neuropsychomoteur, l’enfant PB1 présente un léger décalage dans les acquisitions en motricité globale. Du fait d’une grande précipitation, lors des déplacements en particulier, cet enfant bute, chute fréquemment. Une instabilité, une excitabilité est observable. Cet enfant dispose cependant de capacités d’attention nécessaires pour réussir les épreuves de motricité fine, proches des activités scolaires très investies. Une hypersensibilité tactile est présente et la recherche d’une enveloppe sonore est à noter.
61Les compétences de l’enfant PB2 sont telles qu’attendues à son âge sur le plan moteur. Elles ne sont cependant pas toujours exploitables et conduisent à un défaut d’ajustement, du fait d’une excitabilité importante et d’une dispersion. Son image du corps ne semble pas suffisamment construite. Il s’enveloppe fréquemment de façon logorrhéique sur le plan sonore, semblant ainsi chercher une contenance.
62L’enfant PB3 a de bonnes compétences sur le plan psychomoteur. Le passage par un engagement corporel lui est nécessaire pour ensuite s’apaiser et accepter les propositions plus cognitives. Cependant, sa difficulté à faire face à son excitation rend parfois ses mouvements brusques avec une coordination approximative. Une hypersensibilité tactile est présente.
63Sur le plan psychoaffectif, ces enfants accèdent à la différence des sexes et des générations, des questionnements œdipiens émergent, mais sont sources d’angoisses mal contenues par les mécanismes défensifs tels que l’intellectualisation. Une excitabilité importante est à souligner.
64Pour l’enfant BP1, au Scénotest, le surinvestissement intellectuel avec recherche de maîtrise lui permet de se défendre des angoisses de castration provoquées par le matériel. L’imaginaire est peu développé, ce qui permet de contenir l’angoisse. Le lien avec l’adulte est cependant de bonne qualité malgré la recherche de maîtrise. Des mécanismes de défense plus souples apparaissent avec le CAT dans un contexte plus structuré. Par exemple, à la planche 7, traitant de l’agressivité, il répond : « Un tigre et un singe partirent dans la jungle et puis le tigre voulait manger le singe, et puis un jour, des feuilles poussa… A la fin, il a pas mangé le singe, il a disparaît dans sa maison ».
65Chez l’enfant BP2, l’inhibition et le recours à l’agir cherchent à endiguer la menace d’émergences en processus primaires. A la planche 9 du CAT renvoyant à la capacité d’être seul, il répond : « Un petit lapinou, il dort. Il a oublié de fermer la porte », puis il jette la planche à travers la pièce. Des angoisses de morcellement apparaissent, témoignant de la fragilité de son pare-excitation. Des mécanismes de défense de la lignée névrotique sont également apparents (objectivité contrôle, intellectualisation). Au Scénotest, un lien de dépendance important à l’adulte et une tentative de maîtrise sont au premier plan.
66L’enfant BP3 dispose d’une plus grande diversité dans ses possibilités relationnelles avec l’adulte, mais elles sont empreintes de décharges agressives fréquentes. Cet enfant est dans un premier temps dans l’agir avec des tentatives de maîtrise du lien à l’adulte. Des processus secondaires apparaissent cependant dans un second temps. Il a la possibilité d’accéder à des questionnements œdipiens, mais ils sont source d’angoisse, menaçant le système défensif. Des émergences en processus primaires apparaissent. L’enfant a alors recours à l’agir. Il lui est également difficile de traiter les angoisses de séparation.
Analyse de l’évolution des enfants du post-partum immédiat à leurs quatre ans
67L’enfant PB1 était peu compétent à la naissance, avec de faibles capacités d’autorégulation et d’organisation de ses états à l’examen de Brazelton. Sa mère était en difficulté pour s’ajuster à son bébé dans les premiers temps de la naissance. Aux deux mois de l’enfant, si le bébé reste en difficulté, la mère s’ajuste à lui de façon adaptée. Des spirales positives transactionnelles apparaissent au cours de l’interaction, soutenues par la mère. A l’entrée à l’école maternelle, cet enfant dispose de très bonnes compétences cognitives avec un surinvestissement de la sphère langagière. Il accède à des questionnements œdipiens et traite les angoisses de séparation. Il tente d’éviter les conflits à travers des mécanismes tels que l’inhibition, le contrôle et l’humour. Une excitabilité est présente durant toute la passation avec une maladresse sur le plan moteur.
68L’enfant PB2 était, à la naissance, en difficulté pour investir ses propres ressources et maintenir l’organisation de ses états. Son système autonome était trop sollicité. Il était préoccupant à deux mois car ne recherchant pas la communication. Il détournait activement le regard et ne présentait que peu d’ébauches d’expressions émotionnelles en fonction des sollicitations maternelles. L’ajustement de sa mère était alors de bonne qualité. Au moment de l’entrée à l’école, cet enfant dispose de compétences cognitives langagières et motrices telles qu’attendues à son âge. Cependant, une importante excitabilité est présente. Il existe une dépendance importante à l’adulte et une certaine insécurité affective. Si des questionnements œdipiens apparaissent, des émergences en processus primaires et la présence d’angoisses de morcellement sont également observables. Des mécanismes de défense tels que maîtrise et intellectualisation sont présents.
69L’enfant PB3 présentait des compétences importantes dès la naissance, en particulier dans les items d’interactions sociales et de régulation émotionnelle à l’examen de Brazelton. Cela se confirme à deux mois. Il dispose de capacités de régulation particulièrement développées, mais qui figent son accès à des ressources variées, ce qui occasionne un coût psychique important. Il présente à deux mois une variation d’expressions émotionnelles et de vocalises particulièrement importante, de grandes capacités d’autorégulation et de coordination des membres. Sa mère manifeste des capacités d’interaction pauvres à deux mois : ses vocalises sont peu variées et ses propositions d’interactions sont peu ajustées à l’âge de son bébé. Cet enfant, au début de sa scolarisation, présente des capacités cognitives très développées sur le plan non verbal, en lien probable avec ses ressources antérieures. Des questionnements identitaires sont présents avec la possibilité d’accéder à la différence des sexes et des générations. La relation qu’il développe avec l’examinateur est empreinte d’une certaine insécurité affective. Une excitabilité est, là encore, observable.
Discussion
Le blues « ordinaire » maternel à la naissance : un marqueur prédictif d’une évolution psychique et cognitive favorable aux quatre ans de l’enfant ?
70Nos premiers résultats ont mis en évidence que le blues ordinaire est une manifestation clinique signifiante sur les plans clinique et pronostique pour la qualité du lien mère-enfant. En effet, les caractéristiques psychiques de ces mères leur permettent un ajustement de qualité à leur bébé et soutiennent par-là le développement de sa vie psychique. Celui-ci présente une meilleure régulation tonico-posturale dès la naissance (Bydlowski, 2013). A deux mois, ces mères offrent une contenance de qualité à un bébé qui les gratifie et soutient l’ajustement maternel en puisant dans ses ressources propres d’organisation (Bydlowski, 2015).
71Lorsque nous les rencontrons lors de la quatrième année de leur enfant, une certaine continuité du fonctionnement psychique maternel est retrouvée. Les deux mères qui ont traversé un blues ordinaire sont des femmes qui ont des capacités d’insight, dont le psychisme est organisé selon la triangulation œdipienne, structuré par l’interdit de l’inceste. Le tiers est étayant, les imagos parentales (notamment maternelles) sont bienveillantes. Ces femmes ont un sentiment subjectif de bonne compétence dans leur rôle de mère et font part de leur joie dans leur rôle maternel. Leur disponibilité psychique leur permet de s’identifier aux besoins de leur enfant, sans en être ébranlées sur le plan identitaire. Elles ont la possibilité d’assurer une fonction pare-excitante efficace et d’offrir des soins maternels suffisamment bons et continus, qui soutiennent le développement psychique de leur enfant (Winnicott, 1971).
72L’évolution favorable de ces enfants s’est poursuivie au cours des années. Ils présentent des ressources psychiques de bonne qualité et ce, quelles que soient leurs potentialités à la naissance. Ils se montrent sécurisés dans leurs liens avec les adultes qu’ils rencontrent pour la première fois, disposant de capacités à les solliciter lorsque cela est nécessaire sans adhésivité excessive, dans une réelle souplesse relationnelle. Ils accèdent à des questionnements œdipiens et leurs capacités imaginatives témoignent d’un accès et d’un intérêt pour leur monde interne malgré quelques mouvements d’inhibition face aux enjeux œdipiens. Sur le plan cognitif, leurs compétences se situent dans la moyenne haute de leur classe d’âge, avec des ressources particulièrement développées sur le plan verbal, témoignant d’une possibilité de mise en mots constructive à cet âge.
73Ces observations permettent de penser que la disponibilité psychique de leur mère a favorisé chez ces enfants la constitution d’une assise narcissique primaire solide. Si les ressources de ces deux enfants à leur naissance étaient très différentes, ils ont tous deux développé de bonnes compétences tant cognitives que psychoaffectives à quatre ans. Cela permet de poser l’hypothèse selon laquelle les qualités d’ajustement de la mère peuvent permettre à l’enfant de se construire et de se développer harmonieusement quel que soit leur fonctionnement à la naissance (Bydlowski, 2014).
Le blues maternel triste intense et durable à la naissance : un contexte à risque pour le développement de l’enfant à quatre ans ?
74Le blues triste, intense et durable associe des affects exclusivement négatifs déclarés et ressentis, associant tristesse et anxiété, sans alternance émotionnelle. Ces femmes ne sont pas cliniquement déprimées, mais certaines ont présenté une symptomatologie émotionnelle non complètement résolutive au décours de leur séjour à la maternité. Le risque d’évolution vers une dépression postnatale d’un blues sévère est désormais connu (Henshaw, 2004).
75D’autre part, le bébé a une part active dans la rencontre. Aussi, l’irritabilité et la dysrégulation motrice (l’hypo ou hyper-éveil) du bébé sont également à prendre en compte car ils sont fortement prédictifs de façon indépendante de la dépression maternelle pour les mères présentant un risque dépressif (Murray, 1996). Certains fonctionnements néonataux évalués par l’examen de Brazelton (notamment l’irritabilité et une passivité) sont susceptibles de créer un sentiment d’impuissance chez les parents, de favoriser une dépression et de contribuer à des difficultés ultérieures dans la relation mère-bébé (Whiffen, 1989).
76Plusieurs études longitudinales ont mis en évidence les conséquences néfastes de la dépression du post-partum sur la qualité des interactions mère-bébé et sur le développement ultérieur de l’enfant (Murray, 1999 ; Hay, 2001 ; Luoma, 2001). Murray décrit notamment qu’à l’âge de dix-huit mois, les enfants de mères déprimées dans le post-partum sont moins performants sur le plan cognitif. Ces enfants présentent plus de troubles du comportement, de troubles sévères du sommeil, une irritabilité avec crises de colère et de difficultés alimentaires. Leur attachement à leur mère est plus souvent de type insecure (Murray, 1999). Lorsqu’un certain nombre de signes tant maternels qu’infantiles font défaut dès la naissance, les interactions risquent d’en être affectées : le bébé se trouve mis en difficulté par absence de holding maternel et entraîné dans une auto-excitation non maîtrisée ni par lui ni par sa mère, débordée par son enfant. Mère et enfant semblent alors prisonniers d’un cercle vicieux dont ils ne peuvent se dégager.
77Parmi les deux mères ayant présenté un blues triste, intense et durable que nous rencontrons quatre ans après la naissance de leur premier enfant, l’une d’elles est cliniquement déprimée et a entrepris une démarche thérapeutique. Ces deux femmes s’estiment pour l’une débordée par son rôle de mère, pour l’autre peu compétente. Elles ne semblent pas pouvoir s’appuyer sur des représentations parentales intériorisées structurantes. L’ambivalence liée à l’autonomisation de leur enfant est peu élaborée et la séparation apparaît menaçante sur le plan narcissique.
78Dans notre étude, les profils psychologiques des enfants dont les mères ont traversé ce type de blues se rapprochent de ceux dont les mères ont été déprimées dans le post-partum. Ces deux enfants présentent des troubles du sommeil et du comportement. Ils présentent un défaut d’ajustement dans le lien avec l’adulte qui les sollicite dans une adhésivité ou un retrait qui témoignent d’une certaine fragilité narcissique. De plus, les compétences cognitives se situent en-deçà de celles attendues à cet âge avec en particulier un défaut de construction de représentations stables. Une consultation spécialisée avait débuté quelques mois auparavant pour BT1 et nous l’avons préconisée pour l’enfant BT2.
L’absence de blues maternel à la naissance : des enfants potentiellement plus excitables à quatre ans ?
79Les femmes qui ne présentent pas de blues du post-partum rapportent peu d’émotions et leur interlocuteur est confronté à un « blanc d’affects ». Ce silence émotionnel renvoie à une difficulté psychique qui se manifeste par une impossibilité du travail de l’émotion, l’angoisse ne faisant pas signal au Moi et débordant les capacités du système de pare-excitation (Carel, 1988). Pour Green (1983), la « mère morte », représentation intériorisée d’une mère endeuillée, quasi inanimée, fait obstacle à la possibilité d’accéder au vécu de ses émotions et de ses sentiments les plus intenses. Toute l’énergie psychique est alors au service de la rétention de la « folie maternelle » du post-partum (préoccupation maternelle primaire) (Winnicott 1956), au maintien du refoulement empêchant la transparence psychique et conduit à des difficultés d’adaptation à l’arrivée du bébé et à la réorganisation imposée par cette situation.
80Field (1991) relie le score nul aux échelles de dépression postnatale de certaines mères à un déni de la dépression. Le style interactif de ces mères est proche de celles présentant un blues sévère : aux cinq mois des enfants, ceux-ci ont un développement plus entravé que ceux dont les mères sont en bonne santé psychique. Pour Rochette et Mellier (2004), ces femmes sont en proie à un contre-investissement massif du sentiment dépressif, empêchant d’ailleurs toute possibilité d’accès à une demande de soins.
81Dans notre étude, les trois mères n’ayant pas présenté de blues dans le post-partum immédiat sont des femmes qui, rencontrées aux quatre ans de leurs enfants, expriment peu d’affects, mais se sentent compétentes dans leur rôle de mère qu’elles assurent avec efficacité et organisation. Pourtant, deux de ces femmes sont en difficulté pour s’identifier à leur enfant, l’une en rivalité narcissique et l’autre dans un lien de dépendance quasi anaclitique avec son conjoint.
82Si les trois enfants de ce groupe accèdent à la triangulation œdipienne avec différences des sexes et des générations, ils présentent des compétences cognitives et des ressources relationnelles hétérogènes à l’adulte. L’homogénéité des fonctionnements retrouvés pour le groupe des enfants dont les mères ont traversé un blues ordinaire ou pour ceux dont la mère a eu un blues triste, intense et durable n’est pas observable ici. Cependant, il est à noter qu’une certaine excitabilité est présente chez ces trois enfants, témoignant d’un défaut de construction d’un pare-excitation autonome efficace.
83Nous pouvons formuler l’hypothèse que le fonctionnement psychique proche d’un fonctionnement maternel avec répression des affects et déni de la dépression a favorisé une insuffisance première de leur capacité de rêverie (Bion, 1962). Le bébé se trouverait alors démuni face aux événements extérieurs et aux mouvements de son monde interne (éléments Béta). Il ne pourrait alors intérioriser la fonction liante et contenante qui est entravée dans l’appareil à penser maternel. Il se trouverait de ce fait en difficulté pour se construire son propre pare-excitation lui permettant de contenir et métaboliser les angoisses sans avoir recours à un passage par la décharge motrice. L’assise narcissique primaire en serait fragilisée, favorisant par la suite une plus grande vulnérabilité aux événements de l’environnement. Du fait de cette surcharge d’angoisse, une tentative de maîtrise de l’objet, telle qu’observée chez ces trois enfants, serait alors mise en place de façon défensive afin de contenir les mouvements pulsionnels pouvant faire effraction dans le psychisme de l’enfant.
84Par ailleurs, l’évolution et les fonctionnements psychiques hétérogènes de ces trois enfants sur les plans cognitif et psychoaffectif permettent de poser l’hypothèse selon laquelle, lors de l’absence de blues maternel, possiblement du fait d’une assise primaire narcissique fragilisée, l’impact des autres facteurs environnementaux a des répercussions plus importantes sur le développement ultérieur de l’enfant. L’investissement paternel de la dyade mère-bébé ainsi que la façon dont cette relation est pensée et traversée par la mère est très probablement à considérer, de même que les différents changements et événements divers de la vie tels que les séparations, la naissance d’un puîné, un changement de mode de garde.
Limites de l’étude
85Bien qu’il s’agisse d’un test clinique, nous avons fait le choix d’utiliser le Scénotest, afin de compléter l’analyse du développement psychoaffectif de l’enfant, plutôt que la Batterie de complément d’histoires de MacArthur (MacArthur Story Stem Battery) (Bretherton, 1991), grille d’analyse structurée et validée. Ce premier outil est l’objet d’un intérêt croissant pour la recherche car, centré sur le jeu et nécessitant un certain engagement moteur, il permet à l’enfant de déployer son potentiel de symbolisation, quel que soit son âge et ses difficultés (Emmanuelli, 2010).
86L’échantillon très restreint de sujets dans chaque groupe nous invite bien évidemment à la plus grande prudence quant à la généralisation de ces résultats. Il serait important de pouvoir réévaluer ces questions à partir d’un nombre plus important de sujets.
87Il nous faut enfin insister sur le fait que notre raisonnement est corrélatif et ne permet aucune implication causale, ni aucune conclusion définitive, les différences observées entre les trois groupes pouvant être liées à d’autres facteurs que le type de blues du post-partum maternel.
Conclusion
88Notre recherche a été conduite selon une méthodologie clinique, s’appuyant à la fois sur une analyse sémiologique des entretiens maternels, des évaluations néonatales en post-partum immédiat, des interactions mères-bébés à deux mois et des compétences psychoaffectives, cognitives, langagières et neuropsychomotrices des enfants dans leur quatrième année. Dans la période particulière de l’après-naissance, du fait de l’intensité des affects mobilisés et de la rencontre avec l’immaturité du nouveau-né, le blues du post-partum maternel apparaît comme une manifestation pronostique pour le lien mère-enfant comme pour le développement de l’enfant. Notre travail nous a permis d’en préciser les conséquences sur la régulation neuropsychomotrice et tonico-posturale du bébé dès sa naissance, comme sur l’ajustement interactif mère-enfant quelques semaines plus tard et sur le développement ultérieur de l’enfant.
89Il est tout à fait remarquable que le type de blues du post-partum expérimenté à la naissance par la mère permette quatre ans plus tard de distinguer des profils de fonctionnement des enfants rencontrés lors de ce troisième temps de la recherche. Cependant, cette corrélation devrait être confirmée sur un groupe plus large, du fait des variations interindividuelles importantes dans le développement. Le blues du post-partum pourrait dès lors être considéré comme un marqueur du lien intersubjectif avec le nouveau-né, intervenant dans son évolution neuropsychomotrice et psychique ultérieure. Ces observations contribuent à invalider l’idée que le blues dans sa forme modérée et transitoire serait une figure de la psychopathologie. Au contraire, il contribuerait à une meilleure régulation du bébé et à de meilleurs ajustements relationnels ultérieurs entre mère et enfant. La mère serait ainsi plus proche de ses propres ressentis, permettant une identification aux vécus et besoins de son bébé. Le blues « ordinaire » favoriserait ainsi des développements psychoaffectif, cognitif, langagier et neuropsychomoteur ultérieur harmonieux pour l’enfant.
90Le blues triste, intense et durable témoigne d’une fragilité du pare-excitation et des capacités de contenance maternelle, et constitue par là-même l’expression d’un débordement et un indice de fragilité du fonctionnement psychique maternel. Ils se retrouvent dans les difficultés d’ajustement interactif mère-bébé deux mois plus tard. A quatre ans, le profil des enfants dont les mères ont traversé ce type de blues est homogène et proche du développement des enfants dont les mères ont été déprimées en postnatal. Pourtant, les femmes traversant ce type de blues ne sont pas souvent accompagnées à la naissance de leur enfant. Les résultats de notre recherche laissent penser que le lien d’attachement et le développement psychologique ultérieur des enfants sont cependant, dans les deux cas, fragilisés.
91Un certain fonctionnement de distanciation, voire de déni, vis-à-vis de leurs propres affects est observable chez les mères n’ayant pas traversé de blues à la naissance de leur enfant. Nous pouvons poser l’hypothèse que ce fonctionnement pourrait être mis en lien avec un défaut de pare-excitation chez ces enfants. Une plus grande excitabilité et des tentatives de maîtrise seraient alors au premier plan quel que soit leur fonctionnent cognitif et psychoaffectif.
92Cette perspective nouvelle permet d’ouvrir certaines pistes en matière de prévention et de traitement pour les soignants œuvrant dans le champ de la périnatalité. Même s’il faut rester prudent sur la généralisation possible de tels résultats, il nous semble utile de promouvoir l’idée qu’il est fondamental, dans cette période sensible pour la mère comme pour le bébé, d’être attentif à la fois à l’éventuelle dysthymie maternelle comme à l’état somato-psychique du bébé, mais aussi aux effets réciproques de la désorganisation maternelle et des difficultés développementales du nouveau-né. Partant de ces constats, de nouveaux facteurs de risque dans l’établissement des premiers liens mère-enfant pourraient peut-être être ainsi précocement repérés, favorisant ainsi une meilleure orientation vers les lieux de soins les plus adaptés.
Point à retenir
- Le développement psychoaffectif, cognitif et neuropsychomoteur d’enfant de quatre ans peut être relié au type de blues maternel (ordinaire ; triste, intense et durable ; ou absent) à sa naissance. Les éléments cliniques à prendre en considération sont alors très sensibles, il ne s’agit, en effet, pas de situations pathologiques sur un plan nosographique. Les enjeux déterminants de dépistage, prévention et d’orientation vers des lieux de soins dès la maternité s’en trouvent confortés.