Introduction
1L’importance de l’implication des parents, dans les services de néonatologie et particulièrement dans les services de prématurés, est maintenant un fait bien établi. Les effets bénéfiques sur le développement du bébé en sont démontrés. Les conditions d’une réelle intégration des parents dans les services de néonatologie restent cependant difficiles à mettre en pratique, aboutissant à rancœurs, déceptions ou colère tant du côté des parents que du côté des professionnels. En préambule à cet article, nous voudrions rappeler que la très grande prématurité et un séjour en néonatologie ont comme corollaire de faire vivre aux parents d’intenses émotions de peur, de menace et de détresse du fait de la situation de danger vital pour leur bébé. La peur et le stress ainsi que les modalités de leur régulation sont au cœur de nombreuses théories psychologiques récentes dont la théorie de l’attachement. Cette nouvelle focalisation amène à davantage considérer les notions de conflit et d’agressivité comme des réactions secondaires à la peur, ce qui amène une relecture de bon nombre de phénomènes psychologiques. Une nouvelle compréhension de ces phénomènes peut, en facilitant les identifications des professionnels au vécu des parents, les amener à trouver de nouvelles solutions qui rendent cette implication supportable, confortable et source de satisfaction pour les parents.
2Nous voudrions développer dans cet article, qui se centre sur la perspective des parents, l’apport des nouvelles connaissances sur les bases biologiques du processus de caregiving ; il s’agit d’une des dimensions des soins parentaux particulièrement étudiées par la théorie de l’attachement.
Les liens interpersonnels chez l’être humain
3Une des révolutions scientifiques actuelles est probablement le fait de réexaminer la psychologie des liens à la lumière des théories de l’évolution. On revient à l’étude des processus « biologiques » sous-jacents aux phénomènes psychologiques. Houdé et Leroux (2009) proposent la métaphore des «poupées russes » de la psychologie humaine. Examiner tout phénomène psychologique nécessite trois niveaux d’étude. Le premier niveau est celui de la phylogenèse ou évolution des espèces (chiffrée en millions d’années). Le principe fondamental des théories de l’évolution est celui de la survie des gènes sur deux générations. Nous naissons équipés d’un répertoire de systèmes motivationnels et de processus biocomportementaux qui ont été sélectionnés sous la pression de l’évolution pour favoriser cette survie des gènes. En d’autres termes, il s’agit d’avoir des petits, de favoriser leur élevage jusqu’à l’âge adulte et de leur donner le potentiel optimum pour qu’eux-mêmes aient des petits. Il s’agit d’un niveau qui nous dépasse en tant qu’individus mais nous caractérise en tant qu’espèce du vivant.
4Le niveau ontogénétique est celui de l’histoire de l’individu (sur des dizaines d’années) : nous ne le développerons pas car il est le mieux connu en psychologie humaine et en clinique. Enfin, il existe un troisième niveau, celui de la microgenèse (secondes à minutes) qui est celui du temps de réalisation des phénomènes psychologiques étudiés ; ce temps est bien connu des chercheurs en psychologie mais ne sera pas traité dans cet article.
5La pression de l’évolution a donc sélectionné tous les systèmes qui favorisent la survie physique du bébé, le développement de ses compétences propres et des systèmes interpersonnels qui favorisent les liens sociaux : l’humain est avant tout un être social (Simpson et Belski, 2008 ; Marvin et Britner, 1999 ; Keverne, 2005).
6Bowlby, fervent admirateur de l’œuvre de Darwin et séduit par l’éthologie, a probablement été le premier psychanalyste et psychiatre d’enfants à inscrire l’étude des liens mère-enfant dans une telle perspective ; « toutes les « pressions » à s’engager dans chaque forme de comportement ayant une valeur pour la survie de l’espèce doivent être vraisemblablement préprogrammées à un certain degré ; laisser leur développement uniquement aux caprices de l’apprentissage individuel « serait le comble de la folie biologique »», écrivait-il en 1988 (Bowlby, 1988). Polan et Hofer (2008) soulignent que le développement de la théorie de l’attachement est émaillé d’allers-retours entre un niveau qu’il appelle «biologique » et celui des « représentations ». Bowlby a développé la théorie de l’attachement en s’appuyant fortement sur le « biologique » puisqu’il tenait, comme nous l’avons dit plus haut, à inscrire cette théorie dans une perspective éthologique et évolutionniste. Ses successeurs, Mary Ainsworth, (1978) qui insistait sur le versant des interactions parent-enfant et Mary Main (1985) qui a travaillé au niveau des représentations, ont davantage porté intérêt au psychologique et aux variations individuelles. Actuellement, à la faveur du développement des neurosciences (imagerie, étude des neuro-hormones et des neurotransmetteurs) et de la génétique, on constate un regain d’intérêt pour la composante « biologique » normative de l’attachement qui s’intègre dans une interaction permanente avec l’environnement.
Quelques rappels sur la théorie de l’attachement
7Nous renvoyons le lecteur pour de plus amples informations à l’ouvrage collectif sur l’attachement (Guédeney et Guédeney, 2010a et b) mais, nous voudrions résumer les points particulièrement importants pour notre propos.
8Bowlby est inspiré par les travaux sur l’évolution de Darwin et ceux de l’éthologie de Lorenz. Pour lui, l’attachement est une source de protection pour le bébé immature qui l’aide à réguler la détresse et l’alarme ; cette source de protection est cherchée de manière innée auprès des adultes qui sont à proximité et qui en sont responsables. L’attachement et les soins parentaux qui répondent aux besoins d’attachement (le caregiving) sont une des dimensions des relations parents-enfant. Ces dimensions sont mobilisées dans tout contexte où le bébé est exposé à la détresse ou en proie à l’alarme.
Le système de l’attachement
9L’attachement est un système motivationnel parmi d’autres. Le bébé, totalement dépendant et immature, est biologiquement programmé pour rechercher la proximité physique d’une personne adulte soucieuse de suppléer à ses besoins de protection, lorsqu’il est en situation de détresse ou d’alarme. « Etre attaché à » signifie, dans la théorie de l’attachement, rechercher auprès de cette personne spécifique, un sentiment de protection et de sécurité. L’attachement va donc normalement du bébé vers l’adulte. Comme tout système motivationnel, le système de l’attachement contribue à la survie de l’espèce : il donne une protection physique au bébé, il contribue à sa régulation physiologique et à la régulation de ses émotions négatives comme la peur, la colère ou la tristesse. Les premiers heures, jours ou semaines sont probablement des facilitateurs pour la mise en place de l’attachement, selon des modalités comparables à un processus analogue à celui de l’empreinte imprinting like chez le nouveau-né (Polan et Hofer, 1999). Celui-ci naît équipé de capacités de discrimination du familier et d’orientation vers une figure spécifique grâce à ses systèmes sensoriels de l’ouïe, de la gustation, de l’odorat en particulier, qui facilitent la construction de l’attachement du bébé à sa mère et facilitent l’attention et la protection de la mère envers son petit. Par contre, la proximité initiale du bébé avec sa mère n’est absolument pas une condition obligatoire pour créer un attachement de qualité. Une séparation initiale de quelques semaines ne compromet pas la qualité de l’attachement du bébé par elle-même : il faut neuf mois à un bébé pour créer un lien d’attachement avéré avec ses figures d’attachement (en général ses parents et ceux qui l’élèvent). L’attachement est inéluctable pour le bébé humain : ce qui varie, c’est la qualité de son attachement qui se construit en fonction des réponses de l’environnement. Si celles-ci sont adéquates, le bébé va progressivement construire une stratégie sécure, c’est-à-dire développer sa capacité d’utiliser les figures d’attachement comme une base de sécurité. Il s’agit d’avoir confiance dans l’autre et dans le fait de demander de l’aide pour obtenir des solutions, construire un sentiment de compétence personnelle dans une connexion émotionnelle et interpersonnelle, et ceci, quel que soit le registre des expériences émotionnelles vécues. En cas de réponse inadéquate, le bébé va construire des stratégies insécures qui consistent à adapter l’expression de ses besoins d’attachement en fonction de ce que les autres peuvent donner. Deux grands types de stratégies sont possibles : soit se débrouiller seul, en ne demandant rien et en ne comptant que sur soi-même (on parle de minimisation des besoins d’attachement et d’évitement), soit solliciter en permanence une aide qui se révèle peu fiable et donc source de déception, de colère et d’un sentiment de non-compétence personnelle (on évoque des stratégies de maximisation des besoins d’attachement et d’ambivalence résistance). Enfin, certains bébés ne peuvent pas vraiment construire de stratégies adaptatives car leur environnement est tantôt source d’aide, tantôt source de menace, par l’effroi ou l’abandon qu’il fait vivre à l’enfant lorsque celui-ci est exposé à une détresse intense. Cet attachement désorganisé crée une vulnérabilité au stress.
10Tout au long de la vie, en fonction de ses expériences interactives, de ses compétences cognitives, l’enfant puis l’adolescent puis l’adulte, élabore des stratégies liées à ses besoins d’attachement qui seront sollicitées dès qu’il est exposé à une situation de stress, de menace ou de détresse. Plus le stress est intense, plus les stratégies les plus anciennes seront activées.
11On comprend, à la lumière de ces quelques rappels que c’est bien plus le système d’attachement des parents qui devrait être l’objet d’intérêt des professionnels de services de néonatologie. Celui du bébé est plus lié aux conditions que les professionnels vont créer autour du parent pour lui permettre d’exprimer librement ses soins parentaux.
Le système des soins parentaux
Le système motivationnel du caregiving
12En 1988, Bowlby fait l’hypothèse d’un système motivationnel réciproque de celui de l’attachement chez l’enfant qu’il appelle le caregiving. Il s’agit d’un système motivationnel réciproque qui complète le dispositif de couplage entre le bébé immature et l’adulte mature que réalise l’attachement. L’adulte donne proximité et réconfort en réponse aux besoins d’attachement du bébé. C’est donc une des dimensions des soins parentaux. Ce système alerte les individus sur les besoins des autres. Il est activé par tout stimulus venant d’un être animé qui signifie la vulnérabilité ; lorsque l’enfant, dont on a la charge et la responsabilité, est perçu comme en danger ou en détresse ; lorsque la proximité ne peut être établie ou maintenue et que l’on ne sait pas si notre enfant est totalement en sécurité. L’extinction de ce système motivationnel n’est possible que par le rétablissement de la proximité et de la possibilité de réconforter ou de protéger. La naissance et le développement des compétences réciproques maternelles aux besoins d’attachement du bébé se construisent selon une double temporalité : il se développe tout au long de la vie selon l’histoire interactive du parent mais présente une accélération considérable, voire sismique autour de la période périnatale du fait des modifications biologiques de la parturition (George et Solomon, 2008).
13On a une autre temporalité pour la mise en place des soins parentaux que pour celle de l’attachement, ce qui se comprend bien dans une logique évolutionniste. Il est vital pour la survie du bébé que l’adulte en charge de lui, se sente le plus vite possible investi de ce rôle de protection : un bébé n’existe pas tout seul et la réponse à ses besoins de survie psychophysiologiques est urgente ! Il s’agit donc des premières semaines après la naissance, ce qui signifie que les services de maternité et de néonatologie sont particulièrement concernés par ce phénomène de développement du « sentiment maternel ».
Grossesse et parturition : les processus biologiques sous-jacents à l’activation du caregiving
Le bonding
14Le phénomène de bonding, cet état psychologique maternel particulier à fort soubassement biologique d’installation quasi immédiate après la naissance est actuellement bien connu : il représente probablement ce catalyseur de l’expression du caregiving observé à la parturition. Les comportements de bonding incluent aussi de s’occuper de soi de telle sorte que cela ait une influence bénéfique sur le développement du fœtus (Levine, et al., 2007).
15Le bonding associe sentiments chaleureux du parent envers le bébé et sentiment d’avoir un lien très spécial avec ce bébé (Feldmann, 1999). C’est probablement la base biologique de ce que Winnicott avait repéré, dès 1956, comme l’état psychologique très particulier des femmes en fin de grossesse et après l’accouchement qu’il avait nommé la préoccupation maternelle primaire.
16Les comportements d’attachement maternel (cette expression issue des modèles animaux correspond au bonding/caregiving de la théorie de l’attachement) et les soins aux petits qui leur sont associés sont présents chez tous les mammifères de façon plus ou moins marquée. L’omniprésence de ces comportements souligne leur importance du point de vue de l’évolution. En effet, ils ont évolué au cours des millénaires pour être les plus adaptés à chaque espèce et maximiser au mieux leur survie. Les mères humaines s’engagent avec leur bébé sous des formes de contacts affectueux spécifiques à l’espèce : ces contacts maternels affectueux s’expriment en tenant l’enfant lové contre soi, et en prodiguant de petits gestes affectueux comme les caresses, les baisers tendres et doux, de légers tapotements, des câlins et des contacts physiques non utilitaires. Dans l’espèce humaine, il y a bien sûr, une forte émancipation du comportement maternel des déterminants hormonaux (Hrdy, 2005). Cette dimension « psychologique », si caractéristique de l’espèce humaine, permet l’extension du caregiving au-delà de la période de sevrage ; elle permet aux autres (père, etc.) de prendre soin des petits. C’est une chance car elle promeut l’extension de la protection du bébé dans le groupe ; c’est une source de vulnérabilité, puisque le rôle de l’environnement et de ses défaillances joue un rôle capital dans la qualité des soins maternels et la transmission des risques.
Du côté maternel : la facilitation biologique
17La mère est particulièrement bien équipée sur le plan biologique pour s’engager dans les soins parentaux et en particulier dans ceux du caregiving (Keverne, 2005). Il existe en effet une base biologique aux comportements maternels sur laquelle nous insisterons particulièrement dans cet article. La stratégie évolutive va encore plus loin par la présence d’une molécule unique, l’ocytocine (OT) qui a le même rôle de « facilitateur de vie » chez tous les mammifères (Lee, et al., 2009). Ce sont les modèles animaux des mammifères qui ont été particulièrement étudiés puis extrapolés à l’espèce humaine. Ce n’est que récemment qu’apparaissent les premières études sur le bébé humain et ses parents.
Ocytocine et comportements maternels « basiques »
18L’OT constitue en partie la base biologique de ces comportements maternels. Elle n’assure pas leur mise en place automatique, mais régule l’organisme de manière à favoriser au maximum leur émergence. L’OT semble jouer un rôle dans le développement du lien de la mère à son fœtus. L’OT facilite la mise en place du lien et le développement des interactions coordonnées avec le bébé ; elle soutient les processus cognitifs qui organisent le bonding chez les humains comme elle joue un rôle dans l’initiation de la proximité maternelle, l’engagement et facilite l’établissement de la préférence ; elle facilite l’expression des comportements maternels tels que vocalisation, regard, contact, degré de leur coordination avec l’état d’alerte du bébé ainsi que les processus mentaux comme l’exclusivité de la focalisation, les vérifications répétées, et l’état mental de plaisir (Feldman, et al., 1999).
19Ce sont en particulier les travaux de Feldman dans l’espèce humaine qui semblent confirmer les études sur les modèles animaux (Feldman, 2006 ; 2007).
20Feldman, et al., (2007) trouvent que le taux d’OT maternelle tout au long de la grossesse et de la période du post-partum est associé à la constellation maternelle (comportements et attitudes psychologiques) typique du bonding ; les taux initiaux prédisent les comportements maternels du post-partum. L’OT est associée avec les dimensions de plaisir du bonding et les représentations d’attachement maternel (au sens caregiving) ; elle joue sur les comportements de vocalisation, de regard et de toucher ainsi que sur les processus mentaux nécessaires aux liens affiliatifs incluant l’exclusivité de la focalisation, la vérification répétée et l’état mental de plaisir. Levine, et al., (2007) ont trouvé qu’une élévation de l’OT, entre le premier et le dernier trimestres de la grossesse, était associée à une augmentation de l’attachement maternel prénatal au fœtus.
21Les contacts tactiles parents-enfant sont associés avec le taux salivaire et plasmatique de l’OT, mais ces relations sont différentes pour les pères et les mères. Ceci est intéressant à noter alors que les pères n’ont pas « l’inondation » hormonale ocytoninergique de la parturition qui facilite l’établissement de la préférence et de l’engagement avec le petit. Le taux maternel d’OT est uniquement associé aux contacts affectueux et pas aux contacts de stimulation alors que chez le père, il est associé uniquement avec les contacts de stimulation. Mesuré après les contacts, le taux d’OT ne croît que chez les mères ayant montré un style très affectueux et chez les pères, que chez ceux qui montrent un profil très stimulant ; les pères humains voient leur taux d’OT augmenté en réponse aux formes spécifiques de soin parental ; en outre le contact apparaît avoir un plus grand impact sur le taux d’OT chez les pères ; l’expression de l’OT chez les pères semble étroitement liée au système récompense.
22Les taux plasmatiques d’OT sont individuellement stables et prédisent l’expression de ces comportements maternels suggérant un effet de priming de l’OT sur l’initiation des comportements parentaux. C’est un aspect différent de la sécrétion pulsatile de l’OT, autre composante du système de l’OT qui survient dans les processus physiologiques de la lactation (Feldman, et al., 2007).
Les autres actions de l’ocytocine dans la facilitation de la relation mère-enfant
23Les autres actions de l’OT qui jouent sur la qualité du lien mère-enfant sont de mieux en mieux connues chez l’animal mais aussi chez l’être humain (pour revue de la littérature, Saive et Guédeney, 2010 ; Lamas et Guédeney, 2006). L’OT est impliquée dans la modulation des circuits des émotions complexes et des comportements sociaux (Kirsch, 2005). Elle encouragerait les interactions liens sociales et l’immobilité ; elle favoriserait l’intégration des expériences émotionnelles, ce qui favorise la formation des liens sociaux. Elle améliore la lecture des émotions : elle inhiberait l’amygdale impliquée dans la détection des stimuli de menace avec diminution de l’anxiété et des réactions d’attaque colérique de défense (Debiec, 2005). Elle joue un rôle de modulation des réponses au stress via l’axe hypothalamo-hypophyso-cortico-surrénalien avec moins de réactivité au stress (Russel, 2001) ; elle va dans le sens de l’accalmie (ce qui pourrait servir chez les mammifères à réduire le stress de la naissance et du post-partum). Elle facilite l’approche plus que l’évitement (Insel, 2003). Elle est liée au système récompense plaisir (Leckman, et al., 2005) du fait de ses interactions avec le système dopamine et opiacés endogènes
Le rôle des facteurs liés au bébé
24Le rôle des contacts mère-enfant immédiats et soutenus après la naissance est essentiel. Les bébés répondent aux stimuli qui augmentent la probabilité de contacts continus avec d’autres humains. Ils sont particulièrement « réactifs et sensibles » aux autres humains et particulièrement équipés pour susciter affection, intérêt et caregiving des êtres humains. Certains signaux du bébé favorisent le caregiving : la Gestalt représentée par la forme immature du visage est un stimulus activateur puissant du caregiving (George et Solomon, 1999). Les contacts soutenus peau à peau immédiats favorisent le bonding (Matthiesen, et al., 2001). La capacité à se consoler, l’ajustement postural, sont des stimuli puissants du système de récompense- plaisir (Leckman, et al., 2005). La capacité de regard contribue au maintien de la proximité de l’adulte (Hrdy, 2005) : les bébés humains naissent avec une sclérotique blanche qui met en vedette la direction de leur regard, l’extraordinaire avidité des nouveau-nés humains à chercher les visages et à se connecter avec les yeux et, en retour, il est difficile à un adulte de résister à cette puissance attraction du regard d’un bébé (Swain, et al., 2007). Les papas décrivent souvent l’influence de ce premier échange de regard avec leur nouveau-né en salle de naissance comme le déclencheur instantané de la grande histoire d’amour avec leur bébé. Toutes ces conditions sont rarement réunies lorsque l’on est face à un très grand prématuré hospitalisé en néonatologie.
Les systèmes motivationnels et la gestion du stress dans la théorie de l’attachement
Un système complémentaire de régulation interpersonnelle du stress
25Pour les théoriciens de l’attachement, les deux systèmes que nous venons de décrire, attachement et caregiving, initialement développés au sein de la relation enfant-caregiver, se développent au sein des relations proches que tisse l’adulte tout au long de sa vie (que ce soit les relations de couple, les figures d’attachement du réseau amical, des professionnels). Ils fonctionnent de manière complémentaire (chez le bébé et sa figure d’attachement) ou réciproque (chez les adultes) et représentent un des systèmes de régulation interpersonnelle les plus efficaces du système de réponse au stress : on parle d’un système de protection sociale des effets du stress et de la peur (Gunnar, et al., 2005 ; Lyons Ruth, et al., 2004). Les travaux les plus récents montrent que cette recherche de proximité interpersonnelle auprès d’un adulte qui devient une figure d’attachement contribue, si la réponse est adéquate aux besoins, à réguler de manière optimale le fonctionnement du système de réponse au stress du sujet et cela, tout au long de la vie (Gunnar, 2003 ; Coan, 2006). Les liens d’attachement sont effectivement caractérisés par la fréquence élevée de comportements de recherche de proximité avec la figure d’attachement, particulièrement pendant les moments de stress émotionnel. Ces liens servent de régulation du sentiment de sécurité et d’allégement de la détresse liée au surgissement des émotions négatives et à leur éprouvé.
Lorsque la synergie disparaît : compétition entre les systèmes motivationnels
26Les recherches actuelles sur le fonctionnement des systèmes motivationnels de l’attachement et du caregiving montrent qu’il existe une compétition potentielle lorsque l’attachement est activé de manière trop intense ou que l’attachement du sujet adulte est de type non sécure (Liotti, 2004). L’activation du système d’attachement, si elle est trop intense, met en péril la survie psychologique du sujet : il est prioritaire, et cela tout au long de la vie, de désactiver ce système de l’attachement (Lyons Ruth, et al., 2004). Le sujet recourt à ses stratégies habituelles qui, si elles sont insécures ou désorganisées, se révèlent antinomiques des qualités nécessaires pour répondre aux besoins d’attachement du bébé.
27Une autre compétition peut exister également entre le système motivationnel d’alarme vigilance et le système motivationnel du caregiving. Le premier est un autre système motivationnel étudié dans la théorie de l’attachement : il regroupe toutes les réactions aux stimulations aversives. Il implique l’éloignement de la source de danger (par exemple : le service hospitalier avec tout ce que la néonatologie comporte comme vécu de menace) alors que le système de caregiving, comme nous l’avons vu, implique de rester à proximité du bébé en danger pour tenter de le protéger. On ne peut simultanément fuir et se rapprocher : ceci entraîne pour le parent, ce que l’on appelle dilemme motivationnel sans solution. Main et Hesse (1990) ont bien montré qu’un tel dilemme est une source potentielle de désorganisation psychologique et de régulation du stress.
Considérer les systèmes motivationnels qui sont sollicités chez tout parent séjournant en néonatologie
28Ces brefs rappels soulignent l’intérêt d’évaluer, pour chaque parent rencontré en néonatologie, comment est sollicité le fonctionnement de son système d’attachement. Ce dernier est destiné à réguler leur propre vécu d’alarme et de détresse alors qu’ils sont exposés à une situation de stress majeur qui les atteint, eux et leur bébé. Nous devons également évaluer ce qui est sollicité de leur caregiving lorsqu’ils sont confrontés à ce bébé prématuré en danger vital. Enfin, le niveau de stress subjectivement ressenti par chaque parent doit être examiné car il est une source potentielle d’une compétition entre ces deux systèmes motivationnels (caregiving et attachement) qui peut paralyser le fonctionnement du parent.
Les recherches actuelles sur les bases biologiques des réactions à la peur et au stress, à la lumière de l’évolution
29Pour Coan (2008), la neuroscience de l’attachement commence juste à se développer : comment le fonctionnement du cerveau soutient-il les comportements d’attachement ? Coan considère l’attachement en tant que système motivationnel comme un construit théorique d’ordre supérieur ; il est constitué de comportements sur lesquels on connaît beaucoup même au niveau neuronal. Ces sous-systèmes multiples incluent ceux dévolus à l’émotion, à la motivation, à la régulation de l’émotion et à l’affiliation sociale. Ceci nous amène à évoquer brièvement quelques-unes des bases biologiques des réactions à la peur et au stress, considérées à la lumière de l’évolution.
La place de la peur et de la menace dans le fonctionnement psychique humain
30Elle est actuellement considérée comme primordiale dans l’étude des phénomènes psychologiques tout au long de la vie. La peur est essentielle à la survie (Debiec, 2005). Si nous ne pouvions ressentir la peur, nous serions incapables de détecter le danger et d’y réagir. L’évolution a sélectionné des mécanismes cérébraux qui nous permettent de répondre aux peurs dites communes. Nous expérimentons donc la peur de manière automatique chaque fois que nous sommes confrontés à des menaces naturelles telles que des catastrophes ou la présence d’un prédateur. Mais la plupart des choses qui nous font peur ont été apprises tout au long de notre vie ; la capacité à apprendre au sujet du danger est donc aussi importante que les réponses à la peur qui sont génétiquement déterminées. Par contre, une peur excessive aussi bien que toute absence de peur entraîne des comportements non adaptés qui affectent négativement les dimensions individuelles et sociales de nos vies. Quels facteurs permettent de maintenir un équilibre adéquat entre peur excessive et absence de peur ?
Les systèmes de régulation des réactions à la peur ou à la menace
31Mac Donald et Mac Donald (2010) résument la perspective évolutionniste actuelle à propos des systèmes de survie. Les modèles évolutionnistes disent-ils (p. 14) « conceptualisent le comportement pro-social et les liens sociaux comme le résultat d’un équilibre dynamique entre deux systèmes dits de “ sécurité ” (safety) ». Un premier système, plus ancien, est considéré comme «défensif » : il est le système sensible à la menace qui motive la peur, l’aversion du risque, la méfiance et la distance sociale (l’évitement ou avoidance). Un deuxième système existe, apparu plus récemment, qui est un système inné de récompense. Il est constitué par les circuits d’attachement qui promeuvent un sentiment ressenti de sécurité via la proximité sociale, la confiance et le soin aux autres. Pour ces auteurs, un des noyaux du système de sécurité défensive le plus ancien est l’amygdale. Elle organise les réactions hormonales, comportementales et perceptuelles à la menace ; elle freine l’approche sociale et est particulièrement sensible à l’OT comme nous l’avons vu plus haut. L’amygdale est couplée avec d’autres régions du cerveau pour médiatiser la cognition sociale basée sur le contexte et l’exploration ainsi que l’apprentissage et la mémoire contingentes basées sur la récompense. En équilibre avec ces circuits neuronaux sensibles à la menace, on décrit donc d’autres circuits neuronaux « pro-sociaux » qui motivent les composantes d’aimer, de vouloir et de chercher des liens sociaux. Ces circuits intrinsèquement pro-sociaux incluent les circuits dopaminergiques (DA), ceux des opiacés endogènes, et les circuits de récompense dans des aires cérébrales qui sont aussi riches en récepteurs et en connexions ocytoninergiques. On comprend mieux pourquoi Uvnas et Moberg (2005) caractérisent l’OT comme une composante centrale d’un système trop négligé de « calme et de connexion ». Ce système fournit l’homéostasie pour les mouvements d’attaque ou de fuite ; il soutient aussi les connexions sociales bénéfiques en biaisant les systèmes sensoriels hormonaux autonomes émotionnels et moteurs vers une connexion sociale calme et réceptive. Ces deux systèmes évolutionnistes de sécurité, défensif et pro-social, combinent de manière avantageuse les « mouvements de tirer pousser » : ils associent les mécanismes qui ont plus tendance à dissoudre les liens sociaux ou à prendre une certaine distance avec eux (fuite, méfiance) avec une capacité renforcée de former et de soutenir des liens sociaux. Vue l’importance de l’OT dans ces systèmes, elle se voit accorder un statut de « peptide de l’attachement anxiolytique » (Taylor, et al., 2000) ! Le prototype du lien, où il est vital que des systèmes pro-sociaux viennent contrecarrer le système défensif fuite attaque, le plus « basique » est le lien entre un bébé et la mère qui s’occupe de lui (Mac Donald et Mac Donald, 2010).
Les bases biologiques des réactions possibles à la peur et à la menace de nature basique innée
32Les réponses biocomportementales au stress sont avant tout la réponse attaque fuite (fight or flight) qui dépendent de deux systèmes de stress interactifs, le système nerveux sympathique et l’axe hypothalamo-pituitaire-adrénocortical (HPA). Ces deux systèmes mobilisent l’organisme dans des efforts concertés pour combattre ou échapper à la menace (Taylor, 2006). Une troisième réponse biocomportementale a été décrite par Seligman, (1972) lorsque les deux premières se révèlent inefficaces : il s’agit du figement (Freeze qui correspond à l’impuissance apprise (learned helpnessness). Ces réponses sont observées dans le monde du vivant et en particulier chez les mammifères et donc chez l’homme.
33Chez ce dernier se rajoutent des possibilités interpersonnelles de réponse au stress.
34Le système Tend or Befriend (aller vers ou s’occuper de) a été particulièrement étudié par Taylor (2006). Celui-ci rappelle qu’une des réponses les plus étonnantes au stress dans l’espèce humaine est la tendance à s’affilier, c’est-à-dire à utiliser des modes de régulation interpersonnelles : se rassembler dans des groupes pour fournir et recevoir une protection.
35Le soin maternel, l’affiliation sociale aussi bien que l’agression et la peur agissent donc de concert et sont tous nécessaires pour la survie.
Un exemple d’application de ce niveau d’analyse : les réactions parentales à la menace sur le bébé
36La survie d’une espèce dépend de sa capacité à répondre aux menaces. Le mâle et la femelle répondent au stress en activant toute une cascade hormonale qui aboutit à la production de catécholamines, d’adrénaline et de noradrénaline. Le mâle et la femelle n’adoptent pourtant pas le même comportement en réponse à ces hormones. Le comportement du mâle est caractérisé comme étant de type fight or flight. En fonction de la nature de la menace et de ses chances de succès, le mâle va décider de se battre ou de fuir, toujours dans le but de promouvoir sa survie. La femelle, de son côté, est confrontée à des défis différents, impliquant sa survie et celle de ses petits. La stratégie de fight or flight n’est pas adaptée car elle rendrait ses petits trop vulnérables aux menaces extérieures en les laissant seuls. Par contre, une stratégie permettant de protéger ses petits, de les sortir des situations dangereuses et de les apaiser permettrait d’augmenter considérablement leurs chances de survie. C’est pourquoi, les femelles ont un comportement face au stress de type tend and befriend ce qui se traduit par « tendre la main, s’occuper de cet être ami ». Le comportement tend and befriend se caractérise, en conditions de stress, par des contacts plus fréquents entre la mère et les petits et par la vie en groupe des femelles. Il serait modulé par l’OT. Cette dernière, on l’a vu, favoriserait le contact entre la mère et l’enfant ce qui calmerait les petits et réduirait leur stress. Elle renforcerait le processus d’attachement mère-enfant et serait également impliquée dans les relations sociales proches. En effet, la formation de liens et la vie en groupe est souvent considérée comme une adaptation évolutive pour les mâles comme pour les femelles pour améliorer leurs chances de survie. Il a ainsi été montré que la foule stresserait les mâles et calmerait les femelles. Chez l’Homme, il a également été prouvé, que les femmes dans un environnement stressant et bruyant, préféraient se rapprocher d’autres personnes alors que les hommes s’isolent. Cette tendance qu’ont les femmes à se rapprocher, à former des groupes se fait préférentiellement entre elles. Les femelles animales ont besoin de moyens de défense contre les menaces et les dangers pouvant venir de l’extérieur, comme des membres de leur espèce.
37Alors que Taylor (2006) ne travaille pas vraiment sur les stratégies d’attachement chez les bébés humains, il postule cependant que les hormones, qui facilitent les comportements maternels de caregiving et les processus d’attachement maternel vis-à-vis du bébé et particulièrement l’OT, sont celles qui sont impliquées dans la tendance de la femelle à s’affilier quand il y a du stress. Les femelles n’ont que peu de comportements d’agression et seulement en situations de défense de leurs petits. La fuite n’est pas non plus une réponse fréquemment adoptée par les femelles face au stress car elles mettraient leurs petits en péril. Campbell (2007) développe cette hypothèse. Dans la nature, les menaces sont constantes. Un stress permanent serait néfaste pour la santé de l’espèce. Une molécule qui réduit le stress et l’anxiété serait donc un avantage évolutif pour les femelles. L’OT, plus efficace chez les femelles, réduit la pression sanguine, la libération de corticoïdes et donc la réponse au stress. La réponse de fuite serait donc inhibée chez la femelle par l’OT puisqu’il y aurait moins de sentiments de menace, ce qui favoriserait la survie de la femelle et de ses petits en conditions de stress.
Applications de ces nouvelles approches à la clinique en néonatologie : comprendre et aider les parents
38Ces découvertes récentes donnent des éclairages particulièrement heuristiques pour comprendre certaines des réactions des parents et en particulier des mères, observées en services de néonatologie. Elles valident ce que les pionniers des soins aux grands prématurés et en néonatologie avaient développé comme techniques de soin et en particulier le NIDCAP (Tribotti et Stein, 1992 ; voir autres articles du présent volume pour plus de détails).
39Il s’agit de considérer les trois niveaux d’influence du comportement parental et en particulier du caregiving, particulièrement sollicité pour un bébé hospitalisé en néonatologie, qui est donc en détresse et en danger. Les composantes psychologique et culturelle, spécifiques de l’espèce humaine sont bien connues et sont particulièrement au cœur de la clinique des interactions en santé mentale. Elles ne sont pas l’objet de cet article mais sont bien sûr cruciales. Ce sont elles qui permettront de comprendre les significations particulières de ce qui se joue pour cette famille unique. Les comportements parentaux sont aussi influencés par les indices actuels du bébé qui activent certains neurotransmetteurs et les comportements maternels basiques. Ce niveau est particulièrement compromis pour les prématurés et est un des objets du programme du NIDCAP qui sera largement détaillé dans ce numéro. La troisième composante est la composante biologique, automatique des comportements parentaux, particulièrement sollicitée lorsqu’un parent doit développer ses compétences parentales, protéger son bébé en danger alors qu’il peut se sentir lui aussi menacé ou en détresse dans l’environnement hospitalier. C’est cette composante que nous allons illustrer dans la suite de nos propos car elle est beaucoup moins connue.
Prématurité et caregiving
Faciliter le développement du bonding et du caregiving chez le parent
40Il est important d’évaluer la double composante des processus du caregiving : facilitation biologique et complexité psychologique. Quelle composante est éventuellement entravée ou au contraire particulièrement efficiente pour cette maman dont le bébé est hospitalisé en néonatologie ? La question de la facilitation biologique par l’ocytocine est capitale dès que se pose le problème de la très grande prématurité ou d’une séparation néonatale immédiate et durable. Feldmann, et al., (1999) évoquent la possibilité que, chez les mères de très grands prématurés (< 1000 g), l’OT n’atteigne jamais le niveau nécessaire pour activer le développement du comportement maternel et ne joue donc pas son rôle facilitateur du caregiving, laissant la mère avec ses seules ressources psychologiques et donc ses possibles vulnérabilités. Borghini, et al., (2006) évoquent par contre que la vulnérabilité du bébé et la situation de danger à laquelle il est exposé peuvent représenter un activateur puissant du caregiving des mères, leur permettant de s’investir dans les soins de protection.
41Les travaux sur la transmission transgénérationnelle de l’attachement sont actuellement bien connus : de nombreux facteurs dont l’état d’esprit quant à l’attachement du parent peuvent jouer sur la qualité des soins maternels. Il est important d’évaluer, pour chaque parent et chaque mère en particulier, les facteurs environnementaux et individuels qui contribuent à l’activation ou à la non-activation de son caregiving et de l’aider en conséquence. Cette évaluation approfondie concernant les parents qui seront particulièrement à risque et qu’il faudrait aider très vite est nécessaire au moment où personne dans l’équipe médicale n’est vraiment disponible, trop absorbé par les complications médicales ou l’état médical (Brisch, et al., 2003).
42Les hospitalisations néonatales, en particulier pour les très grands prématurés, ont un autre impact sur le caregiving maternel : un parent –et particulièrement la mère – peut éprouver le sentiment d’avoir échoué à protéger l’enfant, voire de lui être inutile. Le sentiment qu’a la mère de se sentir compétente à protéger son enfant, et donc d’être irremplaçable pour lui – une des composantes de l’état d’esprit psychologique du bonding –, est intimement mêlé à la constitution du lien avec cet enfant et au développement des compétences du caregiving : on protège un enfant dont on se sent responsable et pour lequel on sait qu’on a une place unique (Bekhechi, et al., 2010) ! L’hospitalisation néonatale du bébé contrecarre les soins parentaux, et donc la possibilité pour le parent d’exprimer sa fonction de protection : elle peut empêcher physiquement la mère d’y pourvoir mais aussi, lui faire ressentir qu’elle est peu utile au maintien en vie de l’enfant. Avant de se sentir apte à protéger son enfant, la mère doit trouver ou retrouver sa place spécifique auprès de lui.
43Favoriser les contacts corporels et, en particulier, les contacts affectueux, est une priorité. Le soin kangourou ou peau à peau a montré qu’il développait le bonding chez les mères de prématurés (Feldman, et al., 2002). L’allaitement qui favorise la sécrétion d’OT sera d’autant plus nécessaire qu’une maman a une histoire psychologique et/ou transgénérationelle qui la met à risque de trouver les ressources suffisantes : l’allaitement favorise la facilitation biologique du caregiving (Lamas et Guédeney, 2006). Fournir au père l’occasion de contacts quotidiens dans les premiers mois de la paternité pour stimuler et éveiller le processus biologique de la paternité est essentiel (Feldman et al, 2007). On voit que beaucoup d’éléments du NIDCAP remplissent ces conditions : ils reposent sur une base biologique dont on n’avait pas encore démontré l’influence chez l’humain, à l’époque de sa création.
Prématurité et « assaut » du caregiving pour les parents
44L’hospitalisation périnatale et la séparation mère-enfant qu’elle entraîne, alors que le bébé est dans un contexte de détresse, active intensément le caregiving maternel. Comme nous l’avons dit plus haut, pouvoir protéger son enfant quand il est en détresse en étant auprès de lui est le but assigné du système de caregiving. En être éloigné alors qu’on le sait en situation de détresse active intensément le caregiving ; pouvoir établir la proximité avec son enfant est un déterminant majeur dans la désactivation du caregiving (Feldman, et al., 1999). La situation de l’hospitalisation pour prématurité, quand elle n’est pas compatible avec le séjour de la mère auprès de son enfant, compromet gravement le fonctionnement du système de caregiving, réalisant ce que George et Solomon (2008) appellent des « assauts » du caregiving. Cette volonté de protection maternelle est contrariée en permanence par des facteurs qui ont trait à la particularité de la situation, particulièrement la séparation. La mère est obligée, trop souvent, d’être séparée de son bébé. Son bébé est en danger, elle a l’impression de n’y rien pouvoir, et le peu qu’elle pourrait faire (être avec lui) n’est pas toujours possible. Il y a des moments où la mère doit partir (la nuit par exemple) alors qu’elle sait que son bébé va mal, voire que son état s’aggrave. Ces mères décrivent le plus souvent comme terrible le fait de passer la nuit à domicile alors que l’enfant, lui, reste hospitalisé. Les mères de bébés hospitalisés ressentent un profond désir d’être proches de leur enfant, quelles que soient les circonstances. Il peut être important pour elles de pouvoir être hospitalisées dans la même unité que leur bébé. Dans l’étude menée par Flacking, et al. (2006), toutes les mères, à l’exception d’une seule, ont été séparées de leur enfant à la naissance. Cette séparation est considérée par les auteurs comme génératrice d’un sentiment d’insécurité chez la mère concernant son propre rôle. Les mères rapportent, lors de la séparation, le sentiment de ne servir à rien et de ne pas être importantes pour l’enfant. D’autre part, cette séparation forcée va à l’encontre du besoin émotionnel de toute mère d’être proche de son enfant. Elle constitue une charge de stress supplémentaire pour la mère, qui est déjà en proie à un chaos émotionnel. Flacking, et al., toujours (2006) décrivent ainsi une stratégie fréquemment observée chez les mères de grands prématurés : elles insistent pour être près de leur bébé et obtenir une place dans les chambres allouées aux mères d’enfants hospitalisés (ce qui parfois gène les soignants qui vivent la présence et l’insistance des mères à être présentes comme intrusives, hyperanxieuses, quand ce n’est pas contrôlantes). Il s’agit en fait d’une réaction automatique à l’activation de leur caregiving : rétablir la proximité avec leur bébé. Ne pas respecter cette nécessité ne fait qu’accentuer cette motivation à maintenir la proximité du bébé en détresse.
Menace sur la progéniture
45Un bébé très grand prématuré hospitalisé en néonatologie est un bébé en danger vital. Les soins pratiqués sont certes nécessaires à sa survie mais ils évoquent aussi souffrance, douleur et agression. Cette situation peut déclencher chez une maman, comme pour toute mère mammifère, des réactions agressives : on se rappelle que le sentiment de menace sur la progéniture entraîne chez les mères un comportement d’agression vis-à-vis de ceux supposés être source de danger pour le petit. Comprendre ces réactions comme des stratégies automatiques traduisant finalement l’engagement de la mère dans la protection de son enfant et non comme une disqualification des professionnels facilite pour ceux-ci leur tolérance et une réponse plus sensible tout en préservant leur estime d’eux- mêmes.
Etre dans un hôpital pour une mère (ou un père) : l’activation du système d’attachement du parent et de ses propres stratégies de « survie »
46Les conditions de stress (inconnu, non-familiarité, menace physique sur la vie de l’enfant) activent automatiquement le système d’attachement du parent et ses stratégies habituelles de survie. Etre dans un environnement inconnu, non familier face à des professionnels censés savoir et soigner, place la mère dans une situation paradigmatique d’activation intense de son système d’attachement, d’autant qu’elle est elle-même dans une grande détresse, une situation d’incertitude et en proie à un sentiment d’incompétence (Bowlby, 1988). Les émotions négatives d’impuissance, de perte de contrôle, d’alarme car le bébé est en situation de menace et de danger, sont intenses. Cette activation de son système d’attachement est automatique et va réveiller les stratégies habituelles – primaires ou conditionnelles – du parent qu’il utilise habituellement pour désactiver son système d’attachement. Lorsque le système d’attachement d’un sujet est trop intensément activé, il devient prioritaire pour lui et cela, tout au long de la vie, de le désactiver : il en va de sa survie psychologique (Lyons Ruth, et al., 2004). La question est de savoir quelles sont les stratégies habituelles auxquelles va recourir le sujet pour désactiver cette menace. La recherche d’aide interpersonnelle, qui est la plus efficace pour diminuer le niveau de stress, est typique de l’attachement sécure (Coan, 2006) : elle permet la libre expression du caregiving (on parle de stratégie primaire) car le parent reste au contact des émotions de vulnérabilité ; il sait demander de l’aide et en profite pour se sentir soutenu ; il peut se consacrer pleinement à la protection de son bébé. En cas d’attachement insécure, le parent a recours à des stratégies conditionnelles comme l’évitement et la minimisation des besoins personnels ou la maximisation et l’hyperactivation comme nous l’avons décrit plus haut.
47Les stratégies attentionnelles, cognitives, émotionnelles et comportementales des modèles de travail liés à l’attachement, sont activées sans que le parent en ait conscience : elles risquent de déformer la perception des signaux du bébé. Le parent ne perçoit plus sa détresse ; il a une interprétation distordue de ses signaux. Ces stratégies risquent d’entraver le caregiving car elles sont antinomiques d’une réponse sensible, rapide et cohérente aux signaux du bébé. Ces stratégies de survie pour le parent peuvent ainsi compromettre sa capacité à exprimer un caregiving sensible et ouvert pour le bébé.
Compétition et dilemme motivationnel : un dilemme sans solution pour le parent
48Le milieu hospitalier du service de néonatologie peut donc représenter pour le parent, une stimulation puissamment aversive car synonyme de menace, d’effroi et de détresse. Comme nous l’avons vu plus haut, nous sommes programmés pour fuir toute source de danger (qu’elle soit objective ou subjective) afin de nous protéger. Un parent peut donc être en proie à un nouveau conflit motivationnel dans ce contexte : fuir la situation anxiogène (ne pas venir dans le service de néonatologie) pour se protéger ou rester sur place pour protéger son enfant. Pour certains parents, il n’y a pas de solution : s’il reste pour protéger le petit, il sera lui en danger. S’il fuit le service hospitalier pour se protéger, il abandonne son enfant et devient un « mauvais » parent. Ce dilemme motivationnel peut expliquer les réactions observées par Flacking, et al., (2006) qui décrit une stratégie de retrait chez les mères qui viennent peu voir le bébé (ce qu’en général les soignants ne comprennent pas et supportent mal) : c’est peut-être la seule solution qu’ont trouvée certaines mères exposées à ce conflit motivationnel. Pour les parents qui ne peuvent choisir une solution, ce dilemme motivationnel devient sans solution, ce qui les expose à une désorganisation psychologique : le parent n’a plus de stratégies possibles. Des états de dissociation, des réactions de figement, des attaques agressives, peuvent être observés. Ces réactions traduisent le recours à ces mécanismes les plus basiques de réaction à la peur, qui sont les niveaux de fuite, attaque ou figement (Hesse et Main, 2006).
49Les sollicitations de l’équipe pour rappeler à un parent qui est en retrait, combien il est important de venir voir son bébé et de s’en occuper, risquent de l’affoler encore plus en intensifiant le conflit motivationnel. La priorité est de créer un climat émotionnel où le parent puisse librement exprimer ses inquiétudes, son sentiment d’écartèlement et d’être toujours perdant quelle que soit la solution choisie. Un vrai partenariat peut se créer avec le parent sur le modèle de l’alliance de travail (Bordin, 1979). Il s’agit d’une modélisation qui définit l’alliance entre un professionnel et l’usager de la manière suivante : comment coconstruire un lien positif et de confiance sur lequel professionnel et usager établissent un accord sur les objectifs à atteindre et sur les tâches pour y parvenir ? Que peut vraiment supporter le parent ? Que souhaiterait le professionnel dans l’intérêt du bébé ? Quel compromis peut-on trouver ? Comment le parent peut-il être rassuré sur le fait que, quel que soit le compromis trouvé, il représente pour le professionnel une réussite et est considéré comme un plus pour le bébé ? Une autre attitude est d’évaluer avec le parent les sources spécifiques de stress ou de menace représentées par le contexte de l’hospitalisation néonatale et de réfléchir sur les aménagements possibles pour en diminuer la valeur anxiogène. On diminue ainsi automatiquement l’intensité du conflit motivationnel pour le parent et on peut alors espérer que le parent retrouve tout aussi automatiquement une expression plus libre de son caregiving (Rusconi Serpa, et al., 2009).
Comment exprimer son caregiving dans un tel environnement : la valeur adaptative des comportements parentaux fréquemment observés en néonatologie
50Le parent, s’il ne peut exprimer « naturellement » son caregiving, peut chercher à mettre en œuvre des stratégies pour obtenir une certaine proximité avec l’enfant et lui fournir du réconfort et une certaine sécurité. Hurst, (2001) décrit diverses stratégies mises en place par les mères au fur et à mesure qu’elles se familiarisent avec la routine du service de réanimation. Il est important de noter qu’on parle de stratégies et non pas de comportements simples. Ces comportements ont une fonctionnalité adaptative même si le parent n’en a pas conscience en tant que telle par rapport à l’objectif du système de caregiving : assurer la protection et la proximité du bébé coûte que coûte en s’adaptant aux contraintes de l’environnement. Ces stratégies sont la preuve que les mères peuvent adapter leurs comportements de caregiving à la spécificité de la situation (système motivationnel corrigé quant au but). A défaut de pouvoir s’occuper directement de l’enfant, les mères vont faire en sorte que ceux dont c’est le rôle (les soignants) le feront correctement, en tentant d’établir avec eux un partenariat dans l’intérêt de l’enfant. Les mères ont une conscience aiguë de la différence de pouvoir existant entre elle et le personnel soignant, ce dernier disposant d’une « autorité institutionnelle ». La connaissance experte de la technologie et des procédures en cours dans le service place le personnel soignant en position d’autorité relative sur la mère et sur le bébé. La conscience chez la mère de cette différence de pouvoir peut inhiber le développement de son rôle maternel. Le défi fondamental qu’elle a à relever, c’est de gagner elle-même en autorité face à l’institution ou face à un soignant individuel, dans l’objectif ultime de protéger son bébé.
51Ainsi, la mère est très attentive aux circonstances pouvant nuire à son bébé, selon elle : manque de continuité dans les soins infirmiers, contradictions dans les soins, peur que le bébé ne reçoive pas une attention adéquate. De ce fait, certaines mères sont très demandeuses d’informations sur la prématurité, sur les problèmes spécifiques de leur bébé, sur ses traitements et sur son pronostic afin de pouvoir évaluer correctement les besoins du bébé et repérer les situations menaçant sa sécurité. Pour déceler les éventuelles variations, contradictions ou omissions dans les soins du bébé qui signaleraient un danger potentiel pour lui, les mères se basent également sur leur expérience et leur connaissance de la gestion des soins du bébé, acquises au fur et à mesure. Les mères d’enfants hospitalisés pensent souvent que le fait d’être bien vue du personnel, particulièrement les infirmières, constitue une garantie de sécurité pour le bébé. Elles savent que si la vie de leur bébé dépend beaucoup des compétences expertes du personnel soignant, son bien-être dépend aussi en partie de la qualité de l’attention et de la disponibilité que les soignants lui prodigueront ou lui laisseront prodiguer. Aussi, elles craignent de perdre cette disponibilité supplémentaire des soignants si elles sont étiquetées «difficiles » ou « exigeantes » par les infirmières. La plupart des mères ont peur que les infirmières interprètent de façon erronée leurs questions et leur requête d’implication dans les soins du bébé, qu’elles les perçoivent comme une remise en question de leurs compétences et de leur professionnalisme. Ceci risquerait de les placer, elle et le bébé, vis-à-vis du personnel, dans une position de vulnérabilité. De là découlent certaines stratégies très élaborées de caregiving telles que Hurst (2001) a pu les observer : choisir finement le moment et les circonstances opportunes pour formuler auprès du personnel leurs souhaits, leurs questions ou leurs inquiétudes ; utiliser ce qu’elles ont compris et retenu de leurs observations directes des soins pratiqués par les soignants, ainsi que des autres sources d’information, pour exprimer leurs questions et leurs désaccords ; établir des relations de soutien avec les autres mères ; obtenir du soutien de la part du conjoint, de la famille, ou d’amis.
52Ces quelques données empiriques ne sont pas généralisables, mais elles ont le mérite d’attirer l’attention sur ce besoin de proximité ressenti par certaines mères, véritable expression de leur système de caregiving. Cette compréhension permet aux professionnels de mieux supporter les attitudes parfois « surprenantes » des parents et d’y voir non pas une volonté de manipulation ou de maîtrise sous-jacente mais des stratégies pour exprimer, de manière indirecte, cette motivation irrépressible à protéger leur bébé.
Conclusion
53Une nouvelle étape de la recherche et des interventions cliniques en néonatologie est de revisiter cet accent sur la proximité entre parent et bébé hospitalisé, en prenant en compte ses stratégies habituelles d’attachement, l’éventuelle compétition entre ses besoins personnels d’attachement et son système de caregiving, et les éventuelles demandes incompatibles qui sollicitent son caregiving. Ces éclairages théoriques permettent une nouvelle compréhension du vécu des parents dans les unités de soins néonatales tout en validant l’importance de la place donnée aux parents dans les services de néonatologie. Ils permettent de revisiter certaines réactions parentales, difficilement supportables ou incompréhensibles, et sources de rejet de la part des soignants, ce qui aggrave le cercle vicieux de l’incompréhension et de l’agressivité. La formation des professionnels à la signification des comportements maternels de retrait, d’hyperprotection ou aux comportements agressifs comme stratégie de sauvegarde est essentielle pour éviter que les professionnels n’aggravent le désarroi et le vécu de crise de la mère de l’enfant prématuré hospitalisé. Construire avec les parents un partenariat entre ce qu’ils voudraient faire pour leur enfant, ce qu’ils peuvent effectivement faire et ce que nous pouvons vraiment leur proposer est la première étape de l’alliance. Il ne s’agit pas de mots mais de preuves matérielles assurant les parents de notre souhait sincère, en tant que professionnels, de les inclure comme partenaires de la prise en charge et de leur assurer un minimum de confort et de réconfort lors de leur séjour à l’hôpital.