1Alice Doumic-Girard vient de mourir. Elle était l’une des plus grandes pédopsychiatres en France, et une clinicienne d’exception, qui avait rencontré un nombre considérable d’enfants et de familles. Après la guerre, elle est une des rares cliniciennes françaises à se former aux Etats-Unis. Chef de clinique de Robert Debré, elle l’intéresse à la psychopathologie précoce, à propos des anorexies et des troubles du sommeil. Discrète, curieuse, intéressée par la recherche, éloignée de toute idéologie et relativement méconnue en France comme l’était aussi Myriam David, elle était la pionnière des thérapies conjointes parents-enfants, qu’elle a décrites merveilleusement dans un livre écrit avec Pierre Mâle, malheureusement introuvable et dont la réédition est indispensable. Devenir se devait de saluer sa mémoire et de faire connaître son œuvre, en commencant par la réédition de cet entretien qu’elle nous avait donné en 1990, aux débuts de la revue Devenir.
L’entretien
2– Vous avez été, Madame, la première psychanalyste à faire des thérapies mère-enfant ? [1]
3– Je crois bien, en effet, avoir été l’une des premières à pratiquer des thérapies de l’enfant en présence de sa mère, d’inspiration psychanalytique.
4– Et vous restez une des seules, sinon la seule psychanalyste, à ne voir que des enfants. Combien en avez-vous vu ?
5– Oh ! je ne sais plus. Entre le cabinet, l’hôpital et divers endroits… Ici, j’ai quinze mille dossiers…
6– Comment en êtes-vous arrivée à cette thérapie psychanalytique conjointe mère-bébé, dont vous avez été la pionnière ? Voulez-vous retracer pour nous votre carrière ?
7– Tout a commencé quand j’étais interne chez le Pr Robert Debré. C’est lui qui m’a proposée pour une bourse de recherche : une bourse Rockefeller. C’était en 1946. C’était un très grand privilège. Cette bourse de deux années universitaires m’a apporté beaucoup.
8– Peu de femmes, alors, étaient internes des Hôpitaux de Paris.
9– Nous n’étions que six, dans ma promotion, dont Odile Schweichguth, qui s’est consacrée ensuite à la cancérologie de l’enfant.
10– Vous partez donc pour les Etats-Unis avec une de ces rares bourses de recherche, et c’est pour travailler dans quelle direction ?
11– Il y avait deux orientations. La première était la médecine psychosomatique, avec en particulier le lien hormone-comportement, qui m’avait intéressée depuis mon stage en gynécologie chez Henri Mondor. C’est sur ce sujet que j’ai fait ma thèse. Wilkins et Allbright venaient de publier la description d’une maladie congénitale, l’agénésie ovarienne, et c’est ce que je suis allée observer. Aux Etats-Unis, j’ai examiné vingt-huit malades, alors qu’un seul cas avait été décrit en France. Je m’étais demandé d’abord si, du fait de leur carence hormonale, elles n’étaient pas moins « mûres » psychologiquement. Et puis je me suis aperçue que c’était plus compliqué que cela. Les effets de cette agénésie dépendaient surtout de l’idée qu’elles en avaient et de l’image qu’on leur donnait d’elles-mêmes. L’une m’a confié : « Quand on m’a dit que je n’avais pas d’ovaires, j’ai eu l’impression d’être un monstre ! » Certains médecins révélaient ce qu’ils croyaient être la « vérité » scientifique avec une extraordinaire brutalité, allant jusqu’à dire à ces femmes qu’elles n’étaient pas des femmes. Allbright, qui était très malade (atteint de Parkinson grave), était d’une grande humanité, il rassurait ses malades : « Vous avez des ovaires peu développés, nous allons vous soigner et vous développer. »
12– Sur ce sujet – rapports hormones et comportement –, vous rencontrez toute la dimension subjective, mais vous continuez aussi une exploration du sujet, qui semble aujourd’hui encore très moderne.
13– J’ai effectivement étudié alors les publications sur les études animales. L’éthologie était fort développée aux Etats-Unis. Le Pr Yerkes travaillait avec des chimpanzés, et Beach s’intéressait au comportement maternel des animaux. Tous deux rapportaient de multiples travaux sur les liens entre comportement et hormones.
14– L’autre volet de votre recherche, aux Etats-Unis, concerne le petit enfant.
15– J’avais été frappée, chez Louis Ribadeau-Dumas, dans son service de nourrissons, du nombre considérable d’anorexies. On donnait trop de farines et de sucre, et on ne respectait pas les rythmes du bébé. On s’occupait peu du lien maternel. Le Pr Debré s’intéressait à ces problèmes, qu’il rencontrait dans sa pratique privée. Il m’a donc demandé de préparer un exposé sur l’anorexie précoce : c’était la deuxième partie de mon travail aux Etats-Unis. Là-bas, j’ai été admise dans le service de Benjamin Spock, et j’ai participé à un travail amusant… Il s’agissait de bien observer les enfants au cinquième jour de vie, et de trouver des adjectifs pour les décrire : « agréable », « irritable », « joyeux » ou « emporté », etc. Puis ce travail devait être repris à six mois, neuf mois, douze mois, pour comprendre la part de l’inné et celle de l’acquis.
16– Une préfiguration du travail de Brazelton !
17– Oui, un peu ! Il fallait aussi deviner le sexe de l’enfant, et Spock trouvait que j’étais a good guesser ! J’ai aussi passé deux heures, trois fois par semaine, à observer des enfants autistes, traités par Eleanor Pavenstedt à Boston.
18– Et la psychanalyse ?
19– Du côté enfants, en 1946, Léo Kanner venait de publier son travail sur l’autisme, qu’il trouvait plus fréquent chez les enfants issus de milieu culturel élevé, chez les intellectuels. Il était très opposé à la psychanalyse. Par contre, à Boston, il y avait un groupe très actif, avec Helena Deutsch et Beata Rank. Nous assistions, Myriam David et moi, aux réunions de ce groupe de Boston. En principe, nous n’aurions pas dû y être admises, puisque nous n’étions pas analystes. Ça avait ainsi un parfum d’interdit très excitant, et nous avions une chance extraordinaire d’écouter des hommes et des femmes remarquables.
20– Au retour, vous êtes chef de clinique chez le Pr Robert Debré et vous présentez votre travail sur l’anorexie du nourrisson.
21– Oui, en insistant sur le non-respect des rythmes du bébé et sur le lien mère-enfant. Nous avions aussi montré, grâce aux observations de la surveillante, Mme Poton, que le bébé déshydraté était capable de choisir le type de solution adapté à son déséquilibre physiologique : s’il est en manque de bicarbonates, il choisit le biberon avec plus de bicarbonates ; s’il lui manque surtout du sel, il choisit la solution salée…
22– On s’occupait sans distinction de l’organique et du psychologique.
23– Oui, c’était une période assez extraordinaire, avec le début des antibiotiques. Dans la même semaine, j’avais vu mourir une jeune femme des suites d’un abcès dentaire tardivement traité, et j’avais pu dire à la mère d’une petite fille atteinte de méningite cérébrospinale « elle se guérira ».
24– C’est une belle expression !
25– D’un coup, avec les antibiotiques, la médecine a été autre chose. Mais chez le Pr Debré, j’examinais essentiellement les enfants ayant des difficultés psychologiques. C’est ainsi que j’ai vu nombre de troubles du sommeil, commençant précocement, et qui n’étaient pas liés à des problèmes alimentaires. On ne parlait pas alors de troubles du sommeil chez les bébés. On disait simplement qu’ils « criaient la nuit », et on ne trouvait pas cela anormal. J’en ai parlé au Pr Debré, qui m’a dit : « Présentez-moi quelques cas, nous en discuterons ». Je lui présentai donc une petite fille de dix-huit mois, qui avait un état d’excitation si bien décrit par Winnicott : quête affective qui survient en l’absence de liens harmonieux avec les parents, et d’expression imaginaire. Nous avons alors commencé l’étude sur le sommeil de l’enfant : elle portait sur soixante-quinze cas.
26– Vous arrive-t-il de prescrire des médicaments dans les troubles du sommeil des jeunes enfants ?
27– J’évite le plus souvent de le faire, dans la mesure aussi où les patients ne viennent pas me voir pour avoir des médicaments. Mais ça m’arrive, et je crois qu’il y a des situations où c’est utile, quand tout le monde est à bout. La médication doit être temporaire, et souvent n’agit pas. De toute façon, il faut chercher les difficultés affectives qui créent le trouble.
28– Faut-il être médecin pour faire des thérapies mère-enfant ?
29– Pour la première consultation en tout cas, oui. Il y a toujours la hantise d’un trouble neurologique méconnu, ou de passer à côté d’une malformation. Au moins pour la première consultation, l’expérience pédiatrique est nécessaire.
30– Et l’expérience de l’analyse ?
31– Pour la thérapie, bien sûr. A mon retour des Etats-Unis, j’ai donc fait mon tour des analystes titulaires en vue de commencer une analyse personnelle. J’ai vu Jacques Lacan, à qui j’ai raconté mon histoire de lien « comportement – hormones », et ce que j’avais vu chez Beach sur le comportement animal. En particulier, j’évoquai l’expérience faite avec un oiseau qui, laissé seul, ne chante plus, mais qui se remet à le faire si on le place en face d’un miroir. Je ne connaissais pas l’article sur « le stade du miroir », et Lacan était très intéressé. J’ai été analysée par Schlumberger. Et puis, il y a eu le livre écrit avec Robert Debré sur les troubles du sommeil, qui a eu du succès, et le début de la clientèle. C’est à cette époque que j’ai commencé à suivre les consultations de Pierre Mâle, et souvent je voyais des patients qui lui étaient adressés et qu’il n’avait pas pu voir. Il a été intéressé par les petits, et il m’a « appris » ce que je faisais.
32– Le livre Psychothérapie du premier âge a donc été écrit à deux, l’un mettant des mots, explicitant ce que l’autre fait, sans toujours s’en rendre compte.
33– Oui, c’est bien ainsi que nous l’avons travaillé. Pierre Mâle m’a parlé, par exemple, de mon langage avec l’enfant. C’est un langage régressif, répétitif, « à hauteur ». Il employait même l’adjectif « litanique », qui exprime bien les choses. Au début, je n’avais de vrai contact qu’avec les parents, travaillant sur le lien avec leur enfant. Puis j’ai développé une approche bien plus directe, et maintenant cela m’oblige à proposer des entretiens séparés aux parents, en dehors de la présence de l’enfant.
34– Quel âge ont les enfants que vous voyez ?
35– La plupart ont entre dix-huit mois et quatre ans, avec chaque année quelques-uns plus jeunes.
36– Comment entrez-vous en contact ?
37– On commence par rassurer l’enfant. Quand il arrive, il est anxieux du contact étrange avec cet adulte. Alors, il ne faut pas se précipiter. Il faut aller très lentement vers un petit enfant. Avec un enfant plus âgé, on rassure en parlant de la belle robe de la petite fille, de la force ou de l’adresse du petit garçon, on s’attache à ce qu’ils ont de mieux. Là encore, cela me rappelle Pierre Mâle, qui disait, à propos des adolescentes : « Elles sentent que j’ai l’œil du couturier : je vois ce qu’elles ont de mieux, et elles le sentent. » J’ai transposé ça, en commençant à parler à un enfant de sa personne. Les enfants, souvent, ne se sont pas découverts eux-mêmes. Ils ne savent pas qu’ils ont des pieds qui sautent, des mains qui saisissent. On voit d’ailleurs facilement la façon qu’ont les parents de se mouvoir à travers l’adresse motrice de leur enfant.
38– Qu’est-ce qui vous a donné ce sens de l’enfant ?
39– Une enfance heureuse, sans doute, dans une grande fratrie puisque nous étions huit enfants. Une enfance heureuse, mais marquée des deuils de la guerre, entre autres, comme celui de mon parrain mort de la grippe espagnole, au retour de la Grande Guerre. Mais mon père est revenu, ma mère était gaie, et c’était supportable. Je me souviens que j’entendais parler de la guerre, que telle position avait été « gagnée », puis perdue. C’était comme un jeu, mais j’étais terrifiée à l’idée que les adultes pourraient ne pas s’apercevoir que la guerre était tout à fait « gagnée », et qu’on risquerait de laisser passer la chance. Malgré mes multiples interrogations, je me suis ainsi rendu compte que les grandes personnes ne comprenaient pas les questions des enfants.
40Nous étions élevés dans l’amour des livres et du théâtre par mon grand-père, qui était écrivain. J’ai fait d’ailleurs un an de rhétorique supérieure – on dirait maintenant hypokhâgne – avec Jacqueline de Romilly et Aimé Césaire. Je voulais faire des études de médecine, mais j’avais peur de m’y lancer. Les garçons d’hypokhâgne me disaient : « Mais ça ne te dégoûte pas, le corps ? »
41– Ce n’était pas si simple, alors, d’être femme et médecin ?
42– Certains disaient : « Ou on est femme, ou on est médecin. » Ce n’était pas une chose évidente, comme maintenant.
43– Et l’idée de s’occuper plus précisément d’enfants ?
44– A six ans, j’avais déjà cette envie, liée sans doute au souvenir d’une tante handicapée. Il y avait aussi la mort fréquente des nourrissons placés en nourrice, en Sologne. Je vois encore le visage d’un bébé, probablement mourant, avec un biberon tenu par une ficelle, et des mouches sur la tétine. C’était un enfant en nourrice, comme cela se faisait beaucoup, surtout dans les milieux peu aisés : il fallait s’occuper des autres enfants, du mari, de la ferme ou du commerce, aussi on plaçait certains nourrissons.
45– Revenons à cette salle de consultation spécialement réservée aux thérapies. Quels sont les principes essentiels que vous appliquez dans les thérapies précoces mère-enfant ?
46– C’est surtout la régression, la réparation et le « faire semblant », avec très peu d’interprétations « profondes », contrairement à ce que faisait Melanie Klein. Le jeu de « faire semblant » est essentiel, et il échappe souvent aux parents. C’est un fantasme qui se partage bien avec les contemporains et mal avec l’adulte. Le meilleur père n’est pas forcément un bon cow-boy, alors qu’un frère est un Indien tout naturel. Actuellement, les enfants sont trop poussés vers le verbal et sont comme drogués de mots. Les parents sont étonnés de me voir jouer à ce jeu, et je les incite à y participer. Ce jeu révèle beaucoup de ce que sera l’enfant, de la façon dont il s’organise : c’est un jeu de rôle.
47Le monde actuel fournit trop d’images aux petits enfants, et ces images vont trop vite pour eux. Il faut être lent avec les enfants et rester un peu au-dessous de leur rythme si l’on veut qu’ils sentent quelque chose de leur personne : une certaine puissance. Sinon, comme l’a dit Balint, c’est une « intrusion », une intropression, une interprétation inopportune.
48Une chose aussi sur laquelle j’insiste avec les parents est ce précepte du philosophe Pierre Janet : « La narration est plus importante que la récitation ». Avec un petit enfant, il faut reprendre ce qu’il a vécu avec vous, en racontant l’expérience partagée : la promenade, le tour de manège, les rencontres, etc.
49– Daniel Stern a insisté récemment sur ce sens du soi narratif dans le développement précoce.
50– Cela m’a toujours semblé essentiel. Et c’est l’adulte qui le permet, en connotant ce qu’il fait avec l’enfant, en liant et en répétant. L’adulte organise un récit dont l’enfant peut se souvenir, et grâce auquel il pourra revivre une part de l’expérience, de l’expérience partagée et mise en mots. C’est ça qui organise le langage et la mémoire de l’enfant.
51– Comment organisez-vous pratiquement le cadre de la thérapie ?
52– Je prends mon temps, une heure par séance. Je vais lentement, je suis l’enfant. J’attends qu’il me sollicite pour me déplacer. J’essaie, dans cet espace, qu’il me trouve toujours au même endroit. Je commence toujours à l’heure et, comme avec un adulte, je le préviens à l’avance de la fin de la séance. J’évite que les petits patients se rencontrent, ou même qu’ils devinent trop vite – par certains signes – que d’autres enfants viennent me voir.
53Le début consiste, naturellement, à parler de ce qui s’est passé depuis la dernière fois. Puis vient le moment clé où, dans le jeu, les fantasmes deviennent évidents. C’est là qu’il faut les suivre, un peu en deçà, en favorisant par la régression, par la répétition lente, ce temps essentiel de la réparation, par laquelle une phase psychiquement importante peut être reprise. Puis vient la fin de la séance, qui est le moment délicat, qu’il faut préparer un quart d’heure à l’avance. On laisse le temps à l’enfant de sortir de la période quasi hypnotique du milieu de séance, en lui annonçant ce qui va se produire, le retour à la réalité quotidienne. Il arrive souvent qu’un enfant ait très faim à ce moment, parfois après avoir évoqué des fantasmes oraux, mais souvent pour compléter la nourriture imaginaire par une satisfaction plus simple.
54– Laissez-vous l’enfant emporter un jouet ?
55– Je refuse le plus souvent, ou je prête un livre. J’essaie de faire appel le plus possible au « faire semblant ». Par exemple, je ne me laisse jamais frapper, ou mordre, et je ne laisse pas l’enfant abîmer les jouets ou déchirer les livres. Au début du traitement, il est parfois nécessaire de laisser emporter un objet. L’enfant doit le rapporter, sans jamais l’oublier. Je dis à la fin de la séance que « personne ne touchera aux jouets », et ensemble nous cachons les jouets, que l’on retrouvera au début de la séance suivante. Ainsi, ce qui est spécifique à l’enfant, ses besoins particuliers et la continuité sont marqués.
56Cela permet aussi à l’enfant d’attendre la séance suivante, le plus souvent une semaine après. Des séances trop fréquentes, à cet âge, risqueraient de prendre trop d’importance dans la vie de l’enfant, entre lui et ses parents ; ce ne serait plus une thérapie conjointe. Il ne faut pas faire trop intrusion, et toujours veiller à protéger la relation entre la mère et l’enfant. On prend sur soi les aspects « négatifs », agressifs de la relation, et on valorise toujours la relation à la mère.
57– Vous indiquez bien aussi combien il faut protéger la mère.
58– Oui, c’est essentiel, parce que la présence du petit enfant l’expose énormément. Il est essentiel, autant que possible, de la valoriser et de ne pas la déposséder, et encore moins de la culpabiliser.
59– Et la demande d’analyse ou de psychothérapie de la part de la mère, après une thérapie mère-enfant ?
– C’est encore plus fréquent lorsqu’on soigne des enfants petits. Je les adresse donc à un collègue. Beaucoup, d’ailleurs, s’intéressent ensuite à la psychologie. Plusieurs sont devenues psychologues et thérapeutes.
– Voyez-vous des contre-indications aux thérapies précoces ?
– Non, je n’en vois pas. L’autisme typique appelle une autre technique, en fait en hôpital de jour. La personnalité de la mère peut être un obstacle, surtout si elle est très narcissique ou obsessionnelle, mais cela ne représente pas vraiment une contre-indication. Mais par contre, s’il existe une mésentente conjugale grave, la thérapie risque de ne pas aboutir et de s’interrompre prématurément.
– Pour finir, il y a cette histoire que vous racontez dans La psychothérapie du premier âge, au cours de laquelle un tout jeune enfant, dans une séance, découvre en le palpant le visage de sa mère, et qui illustre bien le genre de choses qui peuvent survenir dans une thérapie conjointe.
– Oui, c’était une petite fille qui avait été envoyée en « maison d’enfants », pendant deux mois, à l’âge de dix-huit mois. Et puis, comme elle était très sage, on a prolongé son séjour de deux mois encore, croyant lui faire du bien. C’étaient alors des cures courantes, qui n’étonnaient personne, ou presque. Au retour, elle ne reconnaissait plus sa mère, tellement son image intérieure s’était altérée. Ces situations étaient fréquentes, et la mère s’accrochait à un changement de son aspect extérieur pour expliquer la non-reconnaissance : « J’ai changé de coiffure, c’est pour ça qu’elle ne me reconnaît pas ». Lors d’une séance, cette petite fille s’est mise à caresser le visage de sa mère, après que je lui eus expliqué ce qui s’était passé. Elle a caressé le visage, et puis tout le corps, et c’était bouleversant. Elle reconnaissait et retrouvait sa mère qu’elle croyait perdue.
Paris, 26 avril 1990
Notes
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[1]
Les questions et commentaires de A. Guedeney sont en lettres italiques.