1La télévision peut constituer un excellent divertissement, un extraordinaire outil de découverte du monde et un formidable support d’échanges familiaux, mais elle n’est rien de tout cela pour les bébés. Chez eux, la télévision ne s’appuie pas sur des repères déjà construits pour les faire évoluer comme chez l’adulte. Elle participe à la construction même de ces repères. La télé, en effet, c’est personne. Elle offre au bébé qui la regarde un défilement continu d’images et de sons qui sont non seulement énigmatiques pour lui – comme la plupart de ce qui l’entoure à cet âge –, mais qui ne s’adaptent jamais à ses attentes et à ses rythmes. Il ne faut donc pas s’étonner qu’elle ne favorise pas le développement du jeune enfant… voire qu’elle l’entrave.
2Depuis 1999, l’Académie Américaine de Pédiatrie a déconseillé de mettre les enfants de moins de deux ans devant la télévision et demandé que les enfants plus grands n’y soient pas exposés plus de deux heures par jour (American Academy of Pediatrics, 1999). Malheureusement, cette préconisation est très peu suivie. Aux Etats-Unis, 70% des enfants âgés de moins de 11 mois, 48% de ceux qui sont âgés de 12 à 23 mois et 41% de ceux qui sont âgés de 24 à 35 mois regardent la télévision au-delà de ce que l’A.A.P. recommande (Certain, et al., 2009). Les enfants dont les mères sont les moins diplômées sont les plus concernés par ces excès. La consommation excessive des écrans semble rapidement fixée : les enfants qui regardent la télévision plus de deux heures par jour à l’âge de deux ans sont ceux qui présentent la plus grande probabilité de la regarder plus de deux heures par jour à l’âge de six ans.
3Dans ce qui suit, après avoir rappelé les phases par lesquelles passe le bébé face aux écrans, nous présenterons une revue critique de la littérature encore peu importante dans ce domaine. Bien que les recherches soient encore peu nombreuses, leurs résultats sont, comme nous le verrons, particulièrement préoccupants. Dans une seconde partie, nous exposerons nos propres travaux sur l’impact de la télévision sur le jeune enfant, et nous verrons qu’il est important pour cette tranche d’âge, d’envisager ses conséquences en termes de rupture de l’espace de sécurité plutôt que d’imitation de modèles. Enfin, dans une troisième partie, nous exposerons une méthode de prévention possible, applicable dès que l’enfant accède à une maîtrise suffisante du langage, c’est-à-dire en pratique dès l’entrée en maternelle.
Un intérêt précoce pour les écrans
4Une étude menée au Canada par le Centre National d’Information sur la violence dans la famille (Josephson, 2004) distingue quatre moments successifs face aux écrans.
5Avant l’âge de six mois, les bébés ne peuvent fixer un écran que durant de très courtes périodes. Après quelques minutes, ils manifestent pratiquement toujours des signes de fatigue, notamment des pleurs, de l’irritabilité et des bâillements. En fait, ces manifestations traduisent la fatigue psychique causée par la tension du regard vers l’écran.
6A partir de 6 mois, les bébés acquièrent la capacité de regarder les images pendant à peu près un quart d’heure, pour autant qu’ils soient placés à proximité d’un téléviseur et qu’ils n’aient rien d’autre d’intéressant à faire. Un bébé de cet âge placé deux heures devant un écran ne sera présent à ce qu’il voit que 10% du temps, mais cela le rend capable d’imiter une partie de ce qu’il a vu. C’est ce que démontre une étude réalisée au Japon auprès d’un groupe de bébés téléspectateurs d’une émission éducative populaire. Ces bébés tapaient des mains « comme à la télévision » beaucoup plus tôt que les autres. Le problème est que cette imitation est dénuée de sens pour l’enfant. Dans la vie réelle, il imite ce qu’il voit faire par les adultes ou les enfants plus âgés, mais ces expériences sont en général nommées et commentées. Ce n’est pas le cas face à la télévision. Là ses actes ne sont pas nommés, et les émotions encore moins. Tout est décontextualisé. Il intériorise des séquences comportementales dont le sens lui échappe totalement, avec le risque de les enkyster en les répétant. Nous en reparlerons.
7Dès l’âge de 10 mois, les enfants réagissent à la présence des héros qu’ils reconnaissent sur l’écran, par exemple en pointant leur doigt vers eux. S’attachent-ils à eux et comment ? Ces héros vus sur l’écran prennent-ils pour eux la même place que les membres de leur famille en chair et en os ? Cette question représente un axe important pour des recherches futures. Si tel était le cas, cela rendrait compte de l’attachement que nous avons tous aux héros télévisés qui ont marqué notre petite enfance ! Et cela donnerait raison aux fabricants de produits dérivés qui rêvent de faire des héros de série de télévision des prescripteurs à part entière, à l’égal des parents, voire plus !
8A partir de 2 ans ½, les enfants entrent dans le monde des téléspectateurs proprement dit. C’est ainsi qu’à l’âge de 3 ans, ils déclarent pour la plupart avoir une émission favorite : ils sont passés d’une relation à l’écran à une relation à un programme. Ils continuent alors à reproduire ce qu’ils voient sur l’écran et aussi ce qu’ils y entendent comme le démontre la tendance de jeunes téléspectateurs à répéter des phrases publicitaires.
9Au-delà de 3 ans, l’enfant affine progressivement sa perception et sa compréhension et apprend à construire des liens logiques entre les différents moments du spectacle qui se déroule sous ses yeux, en continuant à privilégier la forme sur le contenu, et notamment sur le contenu narratif. Il s’attache aux mouvements rapides des personnages, aux changements de décors, à l’imprévisibilité des scènes, à l’intensité des effets sonores, aux voix étranges ou inhumaines, etc. D’où la préférence des enfants pour les dessins animés qui correspondent totalement à ces attentes. Puis, à partir de 7 ans, les programmes qui lui sont réservés commencent à l’ennuyer et il est tenté d’explorer les programmes adultes. Il y retrouve en effet les mêmes principes de constructions formelles (montages rapides, ruptures, musiques agressives, flashes colorés, etc.), mais pimentés de contenus explicitement plus violents et de scènes ouvertement sexuelles…
C’est seulement après cinq ans qu’il devient sensible au récit.
Une forme de non-relation
10La télé, c’est personne, et il ne faut donc pas s’étonner qu’une exposition aux écrans ne favorise pas le développement.
La télévision favorise le surpoids dès l’âge scolaire
11La relation existant entre la consommation télévisuelle et un risque de surpoids chez l’enfant scolarisé et l’adulte est connue depuis plusieurs années. Barbara A. Dennison et son équipe (Dennison, 2009) ont montré que ce lien était également valable pour les enfants âgés de moins de 5 ans. L’étude a été menée sur une cohorte de 2761 enfants américains. Pour chaque heure de plus passée devant la télévision, le risque de surpoids augmente sensiblement, et cela indépendamment de l’âge de l’enfant, de son sexe, du mode d’éducation parental et de l’appartenance ethnique. Ceux qui ont la télévision dans leur chambre sont plus menacés. Ils représentent 40% des enfants testés. Les auteurs terminent leur article en invitant à des efforts éducatifs pour éviter l’installation de récepteurs de télévision dans les chambres d’enfant et réduire leur consommation d’écran dès la toute petite enfance.
La télé retarde le langage
12Plusieurs petites études expérimentales menées dans les années 1970 et 1980 ont mis en évidence les conséquences négatives de la télévision sur le développement des possibilités cognitives et du langage (Nelson, 1973 ; Carew, 1980 ; Gottfried, 1984). Une étude longitudinale portant sur des données recueillies par le National Longitudinal Survey of Youth-Child (NLSY C) a précisé que chaque heure quotidienne de plus passée à regarder la télévision avant l’âge de trois ans est associée à une légère baisse des performances à l’âge de six ans (Zimmerman, 2005). Dans une autre étude (Christakis et Zimmerman, 2004), les chercheurs ont invité des parents à noter le temps passé devant des DVD et des vidéos par leur enfant âgé de 8 mois à 16 mois, et leur ont demandé par ailleurs de relever les mots utilisés habituellement par ceux-ci dans une liste de quatre-vingt-dix (liste incluant des mots comme « mamy » ou « nez »). Les parents d’enfants âgés de 17 à 24 mois furent sollicités de la même façon pour un nombre de mots plus importants (liste incluant des mots comme « ballon », « camion » ou « gâteau »). Les résultats sont impressionnants. Pour chaque heure de plus par jour pendant laquelle un bébé regarde des DVD ou des vidéos, ses apprentissages en vocabulaire diminuent de six à huit mots. Chez les enfants âgés de plus de 17 mois et jusqu’à 24 mois, ces mêmes DVD et vidéos n’ont d’effets ni positifs ni négatifs sur le vocabulaire. Bref, non seulement il n’y a pas d’avantages évidents à mettre un bébé devant la télé, mais il y aurait même plutôt un danger…
13Les mêmes chercheurs ont tenté de comprendre l’influence propre aux différents types de programmes. Ils ont pour cela créé quatre catégories : les DVD et les vidéos spécialement destinés aux bébés (comme les programmes des chaînes Baby TV et Baby First) ; les programmes à objectif éducatif explicite ; ceux qui n’ont pas d’objectif éducatif et dont la seule ambition est le divertissement (comme Bob l’éponge ou Toy story) ; et enfin les programmes de télévision pour adultes. Contrairement aux idées reçues, ces programmes très différents ne semblent pas avoir de conséquences différentes. En d’autres termes, pour un enfant de moins de 24 mois, il est impossible de parler de programmes « adaptés ». Seul compte le nombre d’heures passées devant l’écran.
14Le fait que les programmes dits « adaptés » n’aient pas plus d’effets positifs sur l’acquisition du langage que les autres, est lié au fait que ces programmes s’accompagnent d’une bande-son incapable d’adapter ses intonations à l’état psychologique du bébé. D’autres recherches ont en effet montré que c’est la capacité de l’adulte de moduler sa voix en fonction de ses propres états émotionnels en harmonie avec ceux du bébé qui compte. Les parents ajustent leurs intonations, leur regard et leur attitude corporelle de telle façon que les acquisitions linguistiques des enfants sont supportées non seulement par les mots qu’ils entendent, mais aussi par les regards échangés et les attitudes corporelles. En revanche, le fait de lire ou de raconter tous les jours une histoire est corrélé avec une habileté linguistique importante. Ce n’est pas surprenant dans la mesure où ces activités encouragent chez l’enfant non seulement la compréhension, mais aussi la répétition des mots du vocabulaire. Les parents qui lisent souvent des livres avec leurs enfants ou leur racontent régulièrement des histoires, potentialisent donc considérablement les possibilités linguistiques de ceux-ci.
Il est bien évident que d’autres recherches sont nécessaires pour examiner les effets à long terme des DVD et des vidéos destinés aux tout-petits sur leur développement cognitif. Mais la meilleure façon de se comporter semble bien être de préserver le plus possible les enfants très jeunes de la télévision. Et les spécialistes de la petite enfance ont un rôle majeur à jouer dans ce sens.
La télévision perturbe le bébé même quand il ne la regarde pas
15Cinquante enfants de 12, 24 et 36 mois ont été observés en train de jouer dans la même pièce que leurs parents pendant une heure (Pempeck, et al., 2008). Ceux-ci avaient pour consigne d’ignorer leur enfant sauf s’il réclamait leur attention. La qualité et la quantité des jeux spontanés ont été comparées pendant le temps où la télévision était éteinte et pendant le temps où elle était allumée. Il est apparu que les enfants ne passaient pas plus de 5% de leur temps à regarder l’écran lorsqu’il était allumé, mais que leurs jeux étaient très différents. Quand la télévision fonctionnait, leurs jeux étaient en moyenne plus courts de trente secondes. En outre, ils passaient moins de temps à être concentrés sur eux-mêmes. Leurs moments d’attention intense étaient plus courts de 25% – c’est-à-dire à peu près de cinq secondes. Or d’autres recherches ont montré que la capacité de se concentrer sur une activité est un facteur prédictif important du développement ultérieur. Les auteurs en concluent que la télévision est nocive au développement des bébés même en bruit de fond, et qu’il est préférable que les parents l’éteignent quand leur bébé est dans la pièce.
D’après mes propres constatations, la télévision n’est en effet jamais un « bruit de fond » pour un bébé, mais une source de perturbations visuelles et auditives intenses.
La télévision perturbe la construction de la représentation de soi
16Un jeune enfant interagit avec le monde par tous ses sens. Il suffit de le regarder jouer pour s’en apercevoir. Il se traîne par terre en même temps qu’il pousse ses jouets, et préfère ceux qui sont un peu lourds et lui offrent une résistance à ceux qui ne pèsent pratiquement rien – d’où le succès à cet âge de ceux qui sont en bois. En même temps, il les porte sans cesse à sa bouche et il recherche le bruit qu’ils font… et sait d’ailleurs les rendre tous bruyants en les traînant sur le sol ! Autrement dit, la relation du jeune enfant à ses jouets est multisensorielle, associant la vue, l’audition, le toucher et l’odorat. C’est dans cette intrication permanente que se tisse son image inconsciente du corps et que s’installe son sentiment d’être à la fois « dans son corps » et « au monde ».
17En utilisant le dessin d’enfant, le pédiatre allemand Peter Winterstein a montré que cette première fonction est perturbée chez les enfants gros consommateurs de télévision. Il a pour cela proposé la consigne « dessine-moi un bonhomme », dans les mêmes conditions à tous les enfants qu’il a reçus pendant trente-cinq ans, et a constaté que leurs productions comportent de plus en plus de corps déformés, voire amputés, et, pour les plus gros consommateurs de petit écran, complètement aberrants (Winterstein, 2005).
18Quant au sentiment de se sentir « au monde », – c’est-à-dire pour le jeune enfant, « dans sa famille » – il semble bien affecté lui aussi, comme l’indique une autre étude réalisée sur un échantillon de 55000 enfants regardant la télévision entre 71 minutes et 108 minutes par jour. Cette étude montre en effet que plus ils la regardent et moins ils se sentent faire partie de leur famille (Winstertein, 2005). Les auteurs ne nous disent pas si, en contrepartie, ces enfants se sentent faire partie de la famille virtuelle constituée par les personnages de leurs séries habituelles, mais je n’en serais guère étonné.
La télévision altère l’espace de sécurité du jeune enfant
La télé-jet-d’air et la précarisation des liens
19La majeure partie des études portant sur les effets de la télévision sur le jeune enfant sont centrées sur les contenus des programmes (Thakkar, et al., 2006). Nous proposons ici une autre grille de compréhension inspirée par la célèbre expérience de Harlow sur la « mère-jet-d’air » (Harlow, 1959).
20Harlow a imaginé un dispositif dans lequel un jeune singe privé de sa mère garde la possibilité de se blottir contre un mannequin de tissu muni d’un tuyau qui envoie un jet d’air pulsé aussitôt que l’animal tente de s’y agripper. Une sonnerie le prévient de l’apparition du jet d’air pulsé qui lui fait horreur. Or plus les jets sont stressants et plus le jeune singe s’accroche avec force au mannequin. Autrement dit, le fait que la source de stress vienne de la figure d’attachement ne change rien à la demande qui est adressée à celle-ci. Et c’est même le contraire, parce que le stress augmente le désir de réassurance et que le jeune singe n’a pas dans sa cage d’autre espace dont il puisse attendre un apaisement.
21Les écrans ne sont ils pas aujourd’hui pour les enfants laissés seuls devant eux – c’est-à-dire pour leur majorité – l’équivalent de la mère-jet-d’air de l’expérience de Harlow ? Plus ils les stressent, plus ils s’y cramponnent. Ces écrans leur proposent en effet à la fois des personnages dont l’apparence est rassurante, et des expériences émotionnelles qui excèdent leurs capacités d’élaboration psychique. En plus, l’enfant est sans cesse invité à attendre de la suite du programme l’apaisement qu’il ne trouve pas dans l’instant. C’est pourquoi un jeune enfant placé devant la télévision n’a souvent pas d’autres recours, comme les jeunes singes de l’expérience de Harlow, que de s’y cramponner toujours davantage, dans un cercle vicieux sans fin, alors qu’il n’y trouve qu’insécurité.
Pour une théorie du déséquilibre
22La violence que les écrans font aux bébés nous oblige à distinguer deux domaines souvent confondus : les images violentes et la violence des images. La définition des images violentes concerne leurs contenus. Elle varie selon les époques et les cultures, mais elle a une valeur statistique pour une population donnée à un moment donné.
23La violence des images a une définition différente : elle est ce qui perturbe un spectateur précis à un moment précis. Il peut s’agir d’images qui ont un contenu violent, mais aussi d’images qui réveillent un traumatisme personnel passé, ou encore d’images qui perturbent un spectateur par son montage et sa sonorisation. C’est cette dernière cause qui est à l’origine de la violence que les images font au bébé. Il ne comprend rien à ce qu’il regarde, chaque chose qu’il voit est pour lui une source de perturbations qu’il n’a pas le temps de « digérer » car d’autres apparaissent aussitôt. Et, s’il n’a pas alors d’adulte près duquel se blottir, il risque bien de toujours revenir devant l’écran qui le frustre de la même façon que le singe de Harlow sur sa « mère-jet-d’air ».
C’est pourquoi nous proposons de comprendre l’impact des images sur le jeune enfant en référence à une « une théorie du déséquilibre » complémentaire de la classique « théorie de l’imitation » valable pour des enfants plus grands.
Théorie du déséquilibre et théorie de l’imitation
24Dans la théorie de l’imitation, l’enfant intériorise un modèle interne opérant (Bowlby, 1978) en s’identifiant à celui des personnages qui lui semble retirer le plus de plaisir et de gratifications de son comportement. Le travail éducatif consiste alors à inciter l’enfant à maintenir ces modèles dans son monde imaginaire sans chercher à se caler sur eux dans la réalité. Mais la situation est différente lorsqu’un enfant est envahi d’émotions qui le submergent et qu’il ne comprend rien à ce qui se passe. Alors le processus en jeu n’est pas de l’ordre de l’identification, mais de l’ordre de la rupture de l’espace de sécurité. La télévision fonctionne comme une mère imprévisible, excessive, et incohérente, et qui plus est insensible aux manifestations d’effroi de l’enfant. Et ce fonctionnement ne peut évidemment que gravement insécuriser le jeune enfant.
25C’est bien sûr au moment où le parent arrête la télévision que la crise survient. L’enfant hurle, se roule par terre, grimpe aux rideaux… Il a été en effet tellement captivé par ce qu’il a vu et entendu qu’il a enfermé l’insécurité qui en résultait au fond de lui. La succession des microtraumatismes imposés par l’écran l’a sidéré sans que cela puisse faire sens pour lui, comme c’est le cas dans le processus de fascination quand une image suscite une association du spectateur avec un épisode de sa vie personnelle (Tisseron, 1996). On voit que ce modèle, qu’on peut rapprocher de ce que le psychanalyste Paul C. Racamier (1992) a désigné sous le nom de « séduction maternelle primaire », nous situe dans un registre bien antérieur à l’imitation.
26Mais si les crises d’angoisse de l’enfant écarté de l’écran sont la manifestation la plus visible de ce qui s’y passe, un autre processus s’y met en jeu bien plus important pour son devenir ultérieur. Le déséquilibre qu’il éprouve face à l’écran l’incite en effet aussi à tenter de reconstruire des repères ; et il le fait en renforçant son identification à celui des personnages de l’écran qui lui semble le plus proche de lui-même, c’est-à-dire, à cet âge, le plus proche de ce qu’il lui semble que son environnement familial attend de lui. Et cela d’autant plus que tout le temps passé par l’enfant devant un écran n’est pas disponible pour des activités ludiques spontanées. Or ce sont ces activités qui permettent normalement à l’enfant de nuancer ses premières identifications.
L’enfant qui regarde beaucoup la télévision se retrouve ainsi gêné dans son développement de deux façons : par une réduction de ses activités ludiques spontanées et par un accroissement de son niveau d’angoisse. Les deux ont pour conséquence de favoriser l’enkystement précoce des modèles internes opérants mis en place sous l’effet des premières interactions familiales.
Le jeu nuance les identifications précoces
27Les petits scénarios intérieurs que nous portons tous à l’intérieur de nous jouent un rôle essentiel dans nos vies. Ils expliquent par exemple que l’un d’entre nous ait tendance à réagir à une agression verbale par la fuite, alors qu’un autre réagit par une réponse agressive, un troisième par une réponse modératrice et un quatrième en déclenchant une bagarre. Ces modèles sont plus ou moins nuancés chez chacun, et il vaut mieux qu’ils le soient plus, car c’est ce qui permet de réagir d’une façon qui tienne compte de tous les paramètres d’une situation. Par exemple, si quelqu’un m’insulte, il vaut mieux apprécier, avant de répondre, si celui qui m’a insulté est dans son état normal ou sous l’emprise de la boisson.
28Les interactions précoces de l’enfant avec son environnement donnent une première forme à ces modèles. Certains enfants sont ainsi plus invités à l’initiative et d’autres à la passivité. Puis ils sont nuancés par l’éducation. L’enfant apprend normalement à éviter les réactions excessives et inadaptées. Mais l’enfant jeune a aussi un moyen spontané pour nuancer ces premières identifications proposées par son entourage familial : ce sont ses jeux.
29Il s’agit d’abord de ses jeux solitaires, où il mobilise des identifications sans cesse différentes. C’est lui qui invente les histoires qu’il se raconte, et, pour cela, il s’identifie alternativement à chacun des pôles des situations qu’il imagine. Par exemple, il est successivement celui qui commande et celui qui est commandé, celui qui embrasse et celui qui est embrassé, ou encore celui qui frappe et celui qui est frappé. Il apprend ainsi à explorer les possibles de son identité, cette sorte de « foyer virtuel » (Levi Strauss, 2000) auquel il est indispensable de pouvoir se référer. C’est cette exploration, par jeux interposés, qui lui permet de se percevoir lui-même « comme un autre » (Ricœur, 1990) et qui lui permettra, ultérieurement, de répondre à la question « Qui suis-je ? ». Tous les jeux spontanés des jeunes enfants jouent ce rôle, quel que soit leur degré de sophistication technologique : un simple caillou que l’enfant fait « rouler » sur une route imaginaire lui permet de s’identifier successivement au conducteur, au véhicule ou à l’obstacle, aussi bien qu’une voiture en plastique coûteuse.
Après la période du jeu solitaire, viennent tous les jeux de groupe. Et là, plus encore, l’enfant joue alternativement un rôle ou un autre, que ce soit à la crèche ou au jardin public, dans la cour de récréation ou d’immeuble, en interagissant de la voix et du geste. Il apprend à adopter des rôles différents : d’ailleurs, très souvent, dans leurs jeux, les enfants disent « on change » ! C’est ainsi que les enfants expérimentent différents types de réponses sociales possibles à une même situation. Ils s’orientent bien sûr vers celles qui leur conviennent le mieux, mais tout en gardant la possibilité de les expérimenter toutes et sans cesser d’éprouver de l’empathie et de la proximité avec leurs camarades qui choisissent d’incarner d’autres tendances.
Regarder n’est pas jouer : la TV gèle les identifications précoces
30La télévision, en écartant l’enfant jeune de ses jeux spontanés, crée malheureusement une situation bien différente. Lorsqu’un enfant de moins de trois ans regarde la télévision, tout lui paraît si incompréhensible qu’il cherche avant tout à retrouver des repères sur lesquels s’appuyer. Et pour cela, il choisit bien souvent d’attacher son attention à celui des personnages qui lui paraît le plus proche de lui-même par ses réactions. Mais comme les héros de ces séries sont assez stéréotypés, l’enfant s’identifie finalement toujours au même modèle : celui qui commande ou bien celui qui est commandé, celui qui cherche ou bien celui qui est cherché ou encore celui qui frappe ou bien celui qui est frappé. En s’identifiant toujours au même profil de héros, les enfants courent alors le risque de renforcer un registre relationnel exclusif.
31C’est ainsi qu’un enfant qui a tendance à se percevoir plutôt comme meneur ou agressif sous l’effet de son milieu familial sera incité à renforcer ce rôle de manière à se rassurer face à un monde audiovisuel qui l’angoisse. Tandis que celui qui se sent plutôt suiveur ou victime sous l’influence de son milieu familial aura tendance à se sentir de plus en plus menacé avec le risque d’accepter d’éventuelles agressions comme une fatalité. Et le rôle joué par les émotions semble encore plus important dans les situations où s’organise une tendance masochique que dans celle où c’est la tendance agressive qui domine (Jeammet, 2000). Le danger est alors que l’enfant adopte systématiquement la même attitude dans la réalité.
32C’est pourquoi le danger de la télévision, pour les bébés et les très jeunes enfants, n’est pas l’adoption des modèles présentés comme les plus gratifiants, comme c’est le cas pour les enfants plus grands. Cela supposerait qu’ils comprennent les enjeux relationnels et narratifs de ce qu’ils voient et qu’ils perçoivent clairement les gratifications associées aux comportements des différents protagonistes de l’histoire. Mais cela leur est le plus souvent impossible. Le danger, pour l’enfant jeune, est que la fréquentation des écrans fige précocement son développement identitaire : il prend peu à peu l’habitude de se voir toujours dans un seul rôle. La boîte à outils des identifications précoces se réduit et les possibilités du bricolage identitaire s’appauvrissent. La télévision a enfermé l’enfant dans la prison de comportements qui s’autorenforcent.
Les conséquences en sont visibles. Aujourd’hui, dès l’âge de trois ans, beaucoup d’enfants ont déjà des profils psychologiques marqués : certains se perçoivent comme des dominants et des agresseurs potentiels, d’autres comme des victimes craintives et d’autres encore comme des redresseurs de torts. Du coup, on assiste aujourd’hui de la part d’enfants jeunes à des attitudes d’intolérance à la frustration, d’impulsivité, voire de violence, qui étaient pratiquement inconnues il y a encore dix ans. Le rapport d’expertise de l’INSERM (Inserm, 2006) préconisant le dépistage des « troubles des conduites » chez les jeunes enfants a eu l’intérêt d’attirer l’attention sur ces questions. Il a malheureusement souvent été réduit à la forme de prévention préconisée, en grande partie organisée autour du dépistage précoce et de la prise en charge ciblée. Mais quel que soit ce que l’on pense de ces mesures, le problème de ces nouveaux comportements existe bel et bien. Comment y faire face ?
La prévention dès l’école maternelle
33Lorsque notre recherche sur l’impact des images violentes (Tisseron, et al., 2000) dans la banlieue parisienne a été reproduite en Italie, le film Titanic venait de sortir dans les salles italiennes. Les animateurs réunissaient les enfants, comme nous l’avions fait nous-mêmes, et leur demandaient de parler des images qu’ils avaient vues et qui les avaient impressionnés. Il s’ensuivait en général un long silence, aucun enfant ne semblant désireux de parler de ce qu’il avait vu au cinéma ou à la télévision. Mais aussitôt qu’il était proposé aux enfants de jouer, tous les garçons se précipitaient pour jouer la scène de Titanic dans laquelle un marin tue un passager qui veut s’embarquer sur les chaloupes réservées aux femmes et aux enfants, puis, affolé par son geste, se tire une balle dans la tête ! Quant aux filles, elles préféraient se mettre en scène, droites à la proue du navire… Ces enfants n’avaient rien à dire parce que leur émotion avait été si forte devant ces scènes qu’il fallait d’abord qu’elle puisse passer à travers le corps, là où elle s’était comme inscrite.
34C’est à la suite de cette expérience que nous avons commencé à réfléchir sur l’utilisation du jeu de rôle, et que nous avons monté une recherche sur son utilisation en maternelle comme moyen de lutter contre la tendance de certains enfants à s’enfermer précocément dans des attitudes qui impliquent la violence (Tisseron, 2008).
Objectifs
35Tous les chercheurs ayant travaillé sur le développement du jeune enfant ont noté l’apparition d’un moment essentiel aux alentours du treizième mois. Ce moment se retrouve avec des caractéristiques similaires dans toutes les cultures et chez tous les enfants. Il s’agit de l’apparition du « faire semblant » (en anglais, pretending). Quel que soit l’âge où on situe l’émergence de cette capacité – et elle semble plus précoce que l’âge auquel Piaget (1946) l’avait placée – l’apparition de cette capacité organise la possibilité pour l’enfant de jeux partagés dans lesquels tous pourront se mettre d’accord sur la mise en scène d’un monde où chacun « fait semblant ». Cette capacité de jeux sera évidemment considérablement bouleversée par l’apparition d’une deuxième capacité qui est la possibilité d’une construction narrative.
36En effet, de même que le tout-petit n’a pas accès au « faire semblant », il n’est pas capable de construire un récit. La capacité de le faire constitue, tout comme la capacité de représentations symboliques, un acquis essentiel du développement psychique. Ce sont ces deux capacités sur lesquelles vont s’appuyer les activités de jeux de rôle. Leur but est d’encourager chez les enfants agressifs la possibilité de vivre toutes les identifications possibles – et notamment celles qui correspondent aux positions de victime et d’agresseur. Là où la télévision a souvent éteint chez eux le sens du jeu, le jeu de rôle va tenter de les réconcilier avec les représentations d’eux-mêmes les plus difficilement acceptables, en les invitant à jouer des scénarios différents de ceux dans lesquels ils se sont précocement enfermés. Il ne s’agit évidemment pas de transformer en justiciers les enfants qui se perçoivent comme des combattants invulnérables, mais de les aider tous à sortir de situations figées dont ils ne sont souvent pas capables de sortir seuls. Autrement dit il s’agit de leur offrir un appui nouveau pour qu’ils puissent imaginer jouer un rôle ou un autre selon la situation sans se sentir contraints à adopter toujours la même façon de répondre répétitive et stéréotypée.
37En pratique, le jeu de rôle pratiqué avec les jeunes enfants va ainsi associer quatre avantages.
38Tout d’abord, il constitue un espace dans lequel les enfants s’engagent dans une meilleure maîtrise du langage et en développant des formes nouvelles de socialisation, ce qui correspond aux objectifs éducatifs des classes maternelles.
39En second lieu, il invite les élèves à assimiler et digérer l’environnement audiovisuel auquel ils sont confrontés.
40En troisième lieu, il permet de réintroduire la distinction entre le « pour de vrai » et le « pour de faux », qui a disparu du paysage audiovisuel, mais qui est essentielle à l’être humain. Plus les enfants sont invités à « imiter pour de faux » – dans un cadre qui soit garant de leur jeu – et moins ils sont menacés par la tentation d’imiter « pour de vrai », en se comportant comme agresseurs ou victimes désignées (Tisseron, 2000).
Enfin – et c’est ce que nous avons démontré – ce jeu organisé selon une séquence très précise va permettre de lutter contre la tendance des enfants à se figer précocement dans une identification privilégiée.
Méthode : le Jeu des trois figures
41Une ou deux fois par semaine, pendant une heure, les enfants des maternelles sont invités par leur enseignant à parler des situations d’images qui les ont bouleversés. Puis ils construisent ensemble un scénario dans lequel les actes et les paroles de chaque protagoniste sont fixées à l’avance. Fixer à la fois les attitudes et les propos est en effet extrêmement important. C’est ce qui permet à un enfant qui craint d’adopter un rôle de le faire avec un minimum d’inquiétude : l’obliger à improviser risquerait au contraire de le terroriser. Enfin, les enfants volontaires jouent la saynète, d’abord dans le rôle qu’ils se sont choisi, puis dans chacun des rôles, de façon que chacun joue successivement la victime, l’agresseur et l’éventuel redresseur de torts. Bien entendu, aucun enfant n’est jamais obligé de jouer, mais s’il est volontaire pour un seul rôle, il sait qu’il devra forcément les jouer tous successivement. Les enseignants doivent également s’abstenir de toute forme d’interprétation. Il s’agit seulement de permettre à l’enfant de découvrir que ses possibilités sont bien plus nombreuses que celles dans lesquelles il a eu tendance précocement à s’enfermer. Utilisée par un thérapeute, la même méthode de jeu (qu’on appellerait alors « psychodrame ») s’accompagnerait de deux questions : « Qu’est-ce que vous avez ressenti en jouant ce rôle ? » et « Qu’est-ce que vous cherchez à fuir en évitant de le jouer ? ». Les enseignants ont évidemment pour consigne de ne jamais les poser.
Expérimentation
42Dans les écoles choisies, une classe bénéficie de jeu de rôle pendant une année tandis qu’une autre classe est constituée en « témoin ». Tous les élèves de six classes (soit 142 enfants) ont été testés par des psychologues extérieurs aux établissements en début et en fin d’année scolaire 2007-2008 et comparés à une population témoin. Le test utilisé est un « Patte Noire » simplifié en passation individuelle. Six planches sont montrées à l’enfant. Elles mettent en scène un petit mouton aux prises avec des camarades et des adultes, dans des situations de désobéissance, de souffrance ou d’affrontement. L’enfant dit celle qu’il aime le mieux et celle qu’il aime le moins et répond à chaque fois à la question « Raconte-moi ce qui se passe sur cette image ». En général, il focalise sa réponse sur l’attitude de l’un des protagonistes, et le psychologue note cette posture privilégiée dans l’une des cinq catégories suivantes : « craintif-fuite », « victime », « observateur », « agressif combatif », « redresseur de tort ».
Résultats
43Des résultats qualitatifs ont été observés par les enseignants des maternelles, tels qu’une meilleure ambiance de récréation et la réapparition de jeux collectifs qui avaient disparu comme celui de la marchande.
44Du point de vue quantitatif, le dépouillement statistique des données n’a pas fait apparaître de différence significative du point de vue du sexe de l’enfant, de l’école fréquentée et de l’origine sociale des parents.
45En revanche, de nombreuses différences apparaissent autour de la planche la moins aimée, entre septembre et juin, selon que les enfants appartiennent aux classes avec jeu de rôle ou bien aux classes témoin. Cette particularité est probablement liée au fait que la consigne qui invite l’enfant à évoquer la planche « la moins aimée » a le pouvoir d’évoquer des situations pénibles auxquelles l’enfant a été confronté – que ce soit sur les images qui l’entourent ou en réalité – ou auxquelles il craint d’être confronté un jour. Il n’est donc pas étonnant que ce soit une planche sur laquelle la proportion d’enfants s’identifiant à une posture agressive ou passive est élevée par rapport aux autres planches.
Trois résultats significatifs apparaissent à partir de l’étude des réactions des enfants à cette planche.
- Le jeu de rôle favorise le changement de posture identificatoire [Figure 1].
- Ce changement de posture concerne essentiellement les enfants identifiés en septembre aux postures « d’agresseurs » ou de « victimes » [Figure 2]. Le jeu de rôle n’a en revanche pas d’effet sur les enfants qui s’identifiaient en septembre aux postures d’« observateur », « redresseur de tort » ou « craintif-fuite ».
- Le jeu de rôle augmente la proportion d’enfants adoptant une posture d’évitement de l’affrontement [Figure 3]. Ce résultat est corroboré par le fait que le jeu de rôle diminue parallèlement l’adoption d’une posture agressive [Figure 4 : tendance non significative probablement du fait de la petitesse de l’échantillon].
Le jeu de rôle favorise le changement de posture identificatoire (par rapport à la planche « la moins aimée » (p = 0,033)

Le jeu de rôle favorise le changement de posture identificatoire (par rapport à la planche « la moins aimée » (p = 0,033)
46D’autres expérimentations sur une population plus grande sont nécessaires pour étudier d’éventuelles différences entre garçons et filles, ainsi qu’une étude longitudinale pour voir le devenir de ces enfants qui ont bénéficié de jeu de rôle. Il serait également utile de vérifier l’hypothèse suivante : les enfants qui bénéficient le moins de cette activité sont-ils les plus carencés qui ont tendance à réagir à toutes les situations d’insécurité par la violence ? Quant à ceux qui en bénéficient le plus, sont-ils ceux qui ont une bonne base sécuritaire, mais qui ont développé une identification précoce à un modèle d’agresseur du fait de modèles familiaux qui privilégient la violence, voire l’agression ?
Le jeu de rôle favorise tout particulièrement l’évolution des enfants identifiés à des postures « agresseurs » ou « victimes »

Le jeu de rôle favorise tout particulièrement l’évolution des enfants identifiés à des postures « agresseurs » ou « victimes »
Il n’a pas d’effets sur les enfants qui s’identifient aux « observateur », « redresseur de tort » ou « craintif-fuite » (en %) (p = 0,0282)Le jeu de rôle favorise l’adoption d’une posture d’évitement de l’affrontement (en %) (p = 0,0181)

Le jeu de rôle favorise l’adoption d’une posture d’évitement de l’affrontement (en %) (p = 0,0181)
Le jeu de rôle diminue l’adoption d’une posture agressive (en %) (tendance non significative probablement du fait de la petitesse de l’échantillon)

Le jeu de rôle diminue l’adoption d’une posture agressive (en %) (tendance non significative probablement du fait de la petitesse de l’échantillon)
Conclusion
47Les études actuelles sur la dangerosité de la télévision pour les jeunes enfants doivent être complétées par des expérimentations plus larges, et surtout sur des périodes plus longues. Mais nous pensons que les résultats actuels sont suffisamment concordants pour justifier la mise en place de programmes de prévention, d’autant plus que beaucoup de parents pensent que la télévision peut favoriser les apprentissages de leur jeune enfant.
48En août 2007, une pétition lancée à notre initiative a été relayée par les Associations de professionnels de la petite enfance et par le Collectif Inter-Associatif Enfance et Médias (CIEM). Elle a incité le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et le Ministère de la Santé à considérer l’exposition des jeunes enfants à la télévision comme un problème de santé publique et, depuis novembre 2008, les chaînes de télévision à destination des enfants de moins de trois ans doivent accompagner leurs programmes de l’avertissement suivant : « Ceci est un message du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et du Ministère de la Santé : regarder la télévision peut freiner le développement des enfants de moins de trois ans, même lorsqu’il s’agit de chaînes qui s’adressent spécifiquement à eux ». De la même manière, tous les supports de communication hors écran (tels que journaux des abonnés, Internet, etc.) doivent comporter cette mention : « Regarder la télévision, y compris les chaînes présentées comme spécifiquement conçues pour les enfants de moins de trois ans, peut entraîner chez ces derniers des troubles du développement tels que passivité, retard de langage, agitation, troubles du sommeil, troubles de la concentration et dépendance aux écrans. »
49C’est un premier pas, il doit être suivi par d’autres. Cet avertissement ne concerne en effet que les chaînes explicitement destinées aux bébés alors qu’il devrait les concerner toutes. Une vaste campagne d’information à destination des parents et des pédagogues devrait être lancée, dont l’Institut National de la Prévention et de l’Education à la Santé (INPES) pourrait être l’instigateur.
50Mais nous pensons aussi que la prévention doit passer par la mise en place, dans les classes maternelles, d’activités telles que « Le jeu des trois figures ». Non seulement il réduit les identifications aux rôles d’agresseurs et de victimes et favorise l’appel à l’adulte pour résoudre les conflits, mais il remplit par ailleurs trois conditions : il correspond aux objectifs prioritaires pour les classes maternelles (tels qu’appropriation du langage oral, socialisation et expression du corps), il ne stigmatise aucun jeune et enfin sa mise en place coûte peu et présente peu de difficultés puisque trois journées de formation y suffisent.
C’est pourquoi nous proposons que les enseignants qui souhaitent s’y engager puissent le faire, avec la mise en place d’une formation optionnelle spécifique à leur intention. Car la consommation télévisuelle du jeune enfant continue à produire des effets bien au-delà de trois ans !