CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1J’ai du mal à me rappeler quand j’ai rencontré Salvador Celia. J’ai l’impression de l’avoir connu depuis toujours. Ce doit être dans un congrès de la WAIMH, avant Montréal, sans doute avec son épouse, Isabel. Je garderai toujours le souvenir de sa voix forte et chaleureuse, que je m’attends encore à entendre m’appeler dans les couloirs d’un congrès, avant d’être pris dans un abrazo vigoureux. Mais je me souviens bien quand je suis devenu son ami, ce dont je suis fier. C’était lors de ma première visite à Porto Alegre, lors de ces visites organisées conjointement par le Brésil et l’ambassade de France, par le système EGIDE, grâce auquel des pédopsychiatres comme Bernard Golse, Marie Rose Moro ou moi-même ont eu le privilège de parcourir le pays pour des conférences et des cours.

2Parce que Salvador, c’est chez lui qu’on le rencontre, à Porto Alegre. C’est là que l’on mesure son génie, et sa force. C’était un homme élégant, chaleureux aimable et drôle, A man for all Seasons. J’ai été impressionné par l’affection qu’il suscitait chez ses étudiants et chez les membres du personnel de ses équipes, et aussi chez les parents. Les attachements étaient le centre de sa vie. La théorie de l’attachement et la notion de résilience étaient des apports récents essentiels pour lui, car il avait constamment en tête ce qui peut aider à promouvoir la santé mentale des enfants et des parents.

3J’ai été très impressionné par le système d’enseignement qu’il a réussi à mettre en place à l’ULBRA auprès des étudiants en médecine : dès le premier jour, les volontaires sont invités à se rendre dans les favelas observer un bébé pendant leur première année. J’ai eu la chance de voir ce programme en action, et c’est une idée qu’il faut vraiment disséminer et mettre en œuvre dans nos facultés de psychologie, dans les écoles de travail social et de médecine. C’est une idée simple et révolutionnaire : pour faire de la médecine, dans n’importe quelle spécialité, il faut commencer par le début, le développement précoce, et par la relation. L’étudiant qui ne sait rien de la médecine et pas grand-chose de la vie observe, et apprend l’essentiel sans s’en rendre compte : la médecine est un métier de relation, et le développement précoce est puissant, complexe et fragile à la fois. Un bébé suivi par une étudiante était mort, de mort subite, peu auparavant, et la première personne que la jeune mère avait prévenue, en dehors de ses proches, était l’étudiante qui venait la voir. Salvador était bouleversé, mais heureux de voir l’efficacité de ce qu’il avait mis en place, si difficilement. Et satisfait de voir que les étudiants qui avaient suivi le programme étaient ceux qui étaient connus aux urgences et demandés pour leurs capacités à entrer en relation avec leurs patients, même en situation d’urgence.
Je regrette tellement de ne pas avoir vu Salvador pendant sa Semaine du bébé, qui est son emblème. Quelle merveilleuse idée et quelle réussite, en matière de promotion de la santé mentale ! Pour mettre en évidence qu’il faut vraiment un village pour élever un enfant, il a choisi Canela pour mettre en œuvre un programme d’éducation à la santé, de vaccination, de diminution de la malnutrition, et des grossesses adolescentes en mobilisant les ressources de la communauté. Passionné par la théorie de l’attachement, Salvador avait très tôt repéré combien il est nécessaire, dans ce climat de crise et de déstructuration, que se retrouvent des havres de sécurité pour les jeunes enfants et leurs familles, particulièrement du fait que la monoparentalité est élevée au Brésil. Il s’est donc appliqué à développer des lieux d’accueil pour les jeunes mères, comme le Projecto Vida ou la crèche de Rio Sao José. Pour Salvador, qui fut effectivement le sauveur de beaucoup et d’une idée de la psychiatrie sociale, investir dans le bébé c’était la dernière utopie, pour faire une société plus solidaire et moins violente. Il nous manque, mais sa disparition va être l’occasion de montrer son action, de mesurer son importance, et espérons-le, de la pérenniser.

Antoine Guedeney
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Mis en ligne sur Cairn.info le 30/03/2010
https://doi.org/10.3917/dev.101.0011
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