1Léon Kreisler vient de disparaître, âgé de 89 ans. Il restera le fondateur de la psychosomatique de l’enfant, avec son livre princeps, L’enfant et son corps, en collaboration avec Michel Fain et Michel Soulé (PUF, 1974). Interne des hôpitaux de Paris en 1939, chef de clinique à l’hôpital parisien de Saint Vincent de Paul chez Marcel Lelong, à la mémoire duquel il dédie L’enfant et son corps, Léon Kreisler a été un pédiatre d’exception. D’abord un très bon pédiatre, qui a sa vie durant continué sa consultation privée de pédiatrie, comme Winnicott a continué la sienne, tout en devenant le pédiatre qui parle du corps des bébés, et de psychosomatique. Pour Léon Kreisler, la psychiatrie du nourrisson, c’est d’abord l’étude de ses troubles fonctionnels et de leurs rapports avec les modes de relation mère-enfant – on parlait encore peu du père alors. Ses observations ont marqué des générations de psychiatres, de psychologues et de pédiatres, frappés de son sens clinique et du tact qui s’en dégageait, et que j’ai eu le privilège d’observer pendant cinq années de consultations avec lui à l’Institut de Psychosomatique de Paris (IPSO), dont l’unité enfant porte son nom, après qu’il l’ait dirigée pendant plus de 30 ans, jusqu’en 1989.
2Léon Kreisler anime avec Michel Soulé la consultation de Saint Vincent de Paul de psychiatrie de l’enfant, dès 1956, avec Janine Noel, Françoise Bouchard, et le tandem Soulé-Kreisler devient vite l’un des plus coté de Paris, alors bien peu pourvu en cliniciens de l’enfance. En 1965, Serge Lebovici incite Michel Soulé et Michel Fain, psychosomaticien, à entreprendre ensemble une réflexion sur la désorganisation psychosomatique de l’enfance. Léon Kreisler était devenu proche de Pierre Marty, fondateur de l’IPSO adultes et de l’Ecole de Paris de psychosomatique. Léon Kreisler apporte à ce groupe la notion du développement précoce, l’expérience directe de la pathologie somatique de l’enfant, la clinique du bébé. Les travaux du trio furent publiés dans la Psychiatrie de l’Enfant, entre 1966 et 1974, puis regroupés et développés dans L’enfant et son corps. Ces chapitres demeurent célèbres, sur les troubles du sommeil précoces, l’anorexie du bébé dans ses différentes formes, le mérycisme, les spasmes du sanglot, le mégacôlon fonctionnel, l’asthme. Le dernier chapitre de la réédition de 1987 de L’enfant et son corps, intitulé « De la pédiatrie à la psychiatrie du premier âge », à la manière de Winnicott retrace la trajectoire théorique de Léon Kreisler. C’est un formidable résumé de la méthode clinique en psychosomatique précoce, servi par une langue parfaite de concision et de précision. Ce fut le début pour Léon Kreisler d’une grande notoriété, d’interventions multiples dans les congrès tant des psychanalystes et psychosomaticiens que des pédiatres. Léon Kreisler intervient en plénière au congrès de Cannes de psychiatrie du nourrisson, organisé en 1980 par le WAIPAD, que dirige alors pour la première fois un Français, Serge Lebovici. L’enfant et son corps connaît quatre rééditions, et c’est souvent le cas des livres ultérieurs de Léon Kreisler, en particulier Le nouvel enfant du désordre psychosomatique, en 1987. Léon Kreisler s’est intéressé tôt aux sujets majeurs de la psychiatrie du bébé. Il fut le premier en France à réfléchir à la dimension psychologique de l’intersexualité et à la genèse de l’identité de genre, à la suite des travaux de Money et Hampton. Il poursuit l’idée de Myriam David du « comportement vide », s’intéresse aux carences psychosociales, à l’adoption, et dès 1980, aux développements récents de l’étude des interactions précoces.
3Avec Léon Kreisler disparaît une grande figure de la psychopathologie précoce, un grand clinicien et un auteur remarquable.