CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les cliniciens qui travaillent avec de jeunes enfants et leur famille savent que comprendre l’univers représentationnel du jeune enfant fait partie intégrante de leur travail thérapeutique. Ces cliniciens ont à leur disposition des outils variés pour y parvenir, comme le jeu, l’art, ou les compléments d’histoire (on commence une histoire et on demande à l’enfant de la terminer). Toutes ces méthodes peuvent être adaptées au développement du jeune enfant et un clinicien expérimenté pourra ainsi mettre au jour le matériel relevant du monde interne de l’enfant, comme les représentations qu’il a de ses parents, ainsi que la manière dont il régule ses émotions et les solutions qu’il trouve à ses conflits.

2La méthode du Jeu Narratif décrite ici peut s’ajouter à la liste des outils du clinicien, comme elle peut, en même temps, fournir un cadre d’évaluation systématisée qui peut être utilisé avec les enfants. La MacArthur Story Stem Battery (MSSB) (que l’on peut traduire par Batterie de Complément d’Histoires de MacArthur) est un ensemble de débuts d’histoires (voir tableau 1) que le clinicien découvre avec l’enfant, puis on demande à l’enfant de compléter l’histoire en lui disant : « Montre-moi et raconte-moi ce qui arrive ensuite ». Bien que la structure du MSSB ait initialement été destinée à des travaux de recherche, pour permettre le recueil et la comparaison d’histoires dans des populations d’enfants, j’ai estimé, au sein de mon travail dans le « Program for Early Developmental Studies » (« Programme pour des Etudes sur le Développement Précoce »), que la structure du MSSB complétait utilement d’autres méthodes moins structurées. Plus précisément, le MSSB peut aider le clinicien à obtenir des informations sur le monde représentationnel de l’enfant de manière relativement rapide, et il peut permettre la mise au point d’un recueil de données utile pour les comparaisons entre enfants. Le complément d’histoires peut également faciliter l’engagement de l’enfant avec le clinicien, dans la mesure où le principe de cet instrument peut alléger l’anxiété et le malaise initiaux du clinicien comme ceux de l’enfant. Finalement, le complément d’histoires peut potentiellement aider les parents à comprendre mieux leur enfant ainsi que le processus thérapeutique. Cet article se propose d’approfondir ces points, et d’en donner quelques exemples.

Tableau 1

(Adapté d’après Warren, Oppenheim et Emde, 1996)

Batterie 1
Le jus de fruit renversé : La famille est en train de boire un jus de fruit, l’enfant n’en veut plus et le renverse sur le sol en voulant l’attraper1 A
Barney est perdu : L’enfant a très envie de jouer avec son chien préféré, mais quand il sort de chez lui, le chien a disparu2 A
Le vol du bonbon : Après que la mère a dit à l’enfant qu’il/elle n’aura pas de bonbon, l’enfant en vole un devant l’employé du magasin1 B
Le vol du gâteau : Le plus jeune des enfants vole un gâteau devant l’enfant et les parents reviennent dans la pièce2 B
Exclusion : Le père et la mère veulent être seuls et demandent à l’enfant d’aller jouer dans sa chambre. Ils s’embrassent1 C
Le cadeau : L’enfant a un cadeau à offrir, et deux parents à qui le donner2 C
Les clés perdues : L’enfant entre dans une pièce et entend ses parents discuter à propos de la perte des clés1 D
Deux, ça va, trois… : L’enfant joue avec ses amis au ballon. Le plus jeune des enfants lui demande s’il peut jouer avec eux et son frère (sa sœur) accepte.
Mais ses amis ne veulent pas du petit
2 D
Le plat chaud : Alors qu’on lui a dit de ne pas s’approcher trop près de la cuisinière, l’enfant le fait, renverse le plat chaud et se brûle la main1 E
La boîte à pharmacie : La mère est partie faire des courses, après avoir demandé aux enfants de ne rien toucher dans la boîte à pharmacie. Le plus jeune des enfants tombe et a besoin d’un pansement, qui se trouve dans la boîte à pharmacie2 E
Maman a mal à la tête : La mère a mal à la tête et demande à l’enfant d’éteindre la télévision. Des amis de l’enfant arrivent et veulent regarder la télévision1 F
Le départ : Les parents partent en voyage et l’enfant reste chez sa grand-mère2 F
Les retrouvailles : Les parents rentrent de leur voyage2 G

(Adapté d’après Warren, Oppenheim et Emde, 1996)

3Une littérature notable s’est fait jour en anglais, qui démontre l’intérêt de l’utilisation du MSSB pour accéder au monde interne des jeunes enfants. Plutôt qu’une revue de cette littérature, cet article décrira l’utilité clinique potentielle du MSSB du point de vue d’un clinicien pédiatre et pédopsychiatre de formation. Quelques idées importantes pour les cliniciens seront présentées brièvement. Pour une revue de la question plus étendue, voir Warren (sous presse ou publié). La littérature sur le développement montre clairement que les enfants comprennent la tâche et peuvent la mener à bien. Dans un échantillon non clinique, environ la moitié des enfants âgés de 3 ans ont pu définir le problème posé par les histoires les plus simples, plus de 75% à 4 ans et plus de 90% à 5 ans (Oppenheim, Emde, Hasson et Warren, 1997). Il existe de nombreuses données qui montrent au clinicien que le MSSB est un moyen valide pour accéder à des aspects importants du monde interne de l’enfant. Par exemple, il y a tout un corpus de preuves suggérant que la manière dont l’enfant décrit des parents dans le complément d’histoire reflète la relation que cet enfant a avec ses propres parents. Les représentations parentales obtenues avec les compléments d’histoire du MSSB sont corrélées avec d’autres aspects de la relation parent-enfant, comme le type d’attachement (Bretherton, Ridgeway et Cassidy, 1990) ou les comportements en groupe à 6 ans (Solomon, George et De Jong, 1996). D’autres données montrent que les représentations internes de l’enfant reflètent son expérience. Par exemple, dans les études en population clinique, les compléments d’histoire d’enfants ayant subi des abus sont différentes des histoires des enfants n’ayant pas subi d’abus (Buchsbaum, Toth, Clyman, Cicchetti et Emde, 1992). D’autres études montrent une relation entre le comportement de l’enfant et les descriptions qu’il fait dans les compléments d’histoire. Par exemple dans des populations non cliniques, on a montré que les compléments d’histoire étaient corrélés aux comportements évalués par les parents ou les enseignants, qu’il s’agisse des comportements internalisés ou extériorisés (Warren, Oppenheim et Emde, 1996 ; Von Klitzing, Kelsay, Emde, Robinson et Schmitz, 2000).

4Le MSSB a été construit dans un processus de collaboration, et différentes histoires ont été considérées comme explorant des processus internes comme l’attachement (Barney, Le départ, Le retour), le développement de la moralité (La boîte à pharmacie, Le gâteau, La migraine), la régulation émotionnelle (Les clés perdues), etc. Nous avons vérifié, dans un large échantillon non clinique, que les histoires se regroupaient bien en différents thèmes. Il peut être tentant pour le clinicien de n’utiliser que les histoires dont les thèmes lui semblent intéressants pour un enfant donné. Il est important pour le clinicien de disposer d’une variété d’histoires, incluant des histoires qui provoquent plus ou moins d’émotion, des histoires proposant à l’enfant un problème qui permet de révéler à la fois ses points forts et ses zones de faiblesse. Le clinicien se doit de ne pas avoir d’idées préconçues sur les conflits de l’enfant avant d’administrer le MSSB, car les présupposés du clinicien sur les conflits internes de l’enfant peuvent s’avérer inexacts. C’est pour toutes ces raisons que nous conseillons d’administrer l’instrument dans sa totalité quand c’est possible (voir tableau 1), et au minimum 7 histoires lorsque la passation complète est impossible (le tableau 1 suggère 2 batteries 1A-F et 2A-G, ainsi qu’un ordre décroissant menant des histoires les plus complexes en terminant par les plus simples).

5Comme il a été dit plus haut, la structure même du MSSB peut être utile au clinicien. Cette structure lui permet, à travers des administrations répétées, de construire une « carte cognitive » ou une « base de données mentales » utiles pour son orientation et ses références. Ainsi, et malgré le fait qu’il n’existe pas de normes de références disponibles pour différentes populations, chaque clinicien peut se construire sa propre base pour faire des comparaisons en fonction de l’âge, du diagnostic et du niveau de développement. Une telle base de données interne peut aussi lui être utile pour adapter sa méthode de passation, afin de faciliter l’émergence de différences interindividuelles avec des enfants issus de milieu culturels ou environnementaux variés. Des groupes de recherche ont adapté le système de scores afin qu’il reflète des normes culturelles, mais peu de choses ont été publiées sur les adaptation de la technique de passation. Dans notre expérience, et en en ayant discuté avec des collègues du monde entier qui utilisent cette technique, les cliniciens et les chercheurs ont modifié la technique d’administration pour faciliter les réponses des enfants. Par exemple, Yee Shin, en Corée, a constaté que cette technique donnait très peu de matériel avec des enfants dont la mère avait subi un traumatisme. Les enfants étaient très peu enclins à prendre et manipuler les poupées, mais étaient très disposés à la laisser manipuler ces poupées pendant qu’ils lui indiquaient quoi lui faire faire (Shin, 1997). J’ai constaté que beaucoup d’enfants d’origine hispanique, dont les parents n’étaient pas bien intégrés, avaient non seulement besoin d’une passation en langue espagnole, mais aussi d’une plus longue période de mise en confiance, et qu’ils étaient souvent mieux engagés dans cette tâche dans un environnement familier comme leur maison.

6Nous suggérons que le MSSB trouve une place toute naturelle dans les processus d’évaluation. Les histoires racontées par les enfants peuvent mettre à jour les thèmes qui représentent des difficultés pour eux, les représentations internes de leurs parents, les leurs, leur capacité à réguler leurs émotions, leur engagement dans les processus imaginaires, l’organisation et la cohérence de leurs représentations internes, ou au contraire leur désorganisation et leur incohérence. Cette sorte d’information peut être révélée à travers d’autres mécanismes, comme la Thérapie par le Jeu, mais notre expérience nous a montré que les informations étaient obtenues plus rapidement à travers les histoires racontées via le MSSB. Le MSSB met l’enfant en présence d’une tâche à accomplir, et active en cela des informations qui mettent plus de temps à apparaître lorsque l’enfant est seul responsable du matériel amené dans une séance. Pour cette raison, nous attirons l’attention des cliniciens sur l’importance de considérer ce matériel comme les prémisses de ce qui est à venir, plutôt que comme un matériel utilisable immédiatement dans un but thérapeutique.

7La structure du MSSB peut dans certains cas protéger le clinicien d’une intervention trop active d’emblée, avant que le sens des représentations de l’enfant ait été exploré. Dans le MSSB, le clinicien propose le début de l’histoire, puis répond en écho à l’enfant, au fur et à mesure que l’enfant lui raconte les histoires. En dehors des situations qui nécessitent une réponse immédiate, le clinicien doit essayer de ne pas intervenir d’une manière qui modifierait l’histoire. C’est ce qui permet à l’enfant de révéler son monde interne avec le moins d’autocensure, censure dont le but serait d’apporter au clinicien des réponses que celui-ci approuve. Nous savons que ce sont les cliniciens qui ont le moins d’expérience avec les jeunes enfants qui tombent dans un mode d’intervention actif, à cause de leur propre anxiété à agir. Les enfants proposent souvent une réponse cohérente à la fois dans le jeu et dans la narration de l’histoire, et le fait que le clinicien réponde en écho à l’enfant renforce l’enfant dans l’idée que le clinicien l’écoute sans le juger.

8Il semble également que l’anxiété de nombre d’enfants soit diminuée grâce à la structure du type de travail à accomplir. Pour certains de ces enfants, cela semble être dû au passage d’une histoire à l’autre, selon qu’elle est facilitée par le clinicien. Un enfant désorganisé et perdant ses mécanismes de régulation lors d’un complément d’histoire donné n’aura pas à se défendre trop longtemps contre ces effets avant de passer à une autre histoire. Par exemple, lors de l’utilisation des compléments d’histoire dans le cadre d’une recherche, il existe des définitions claires de ce qui montre qu’une histoire est terminée. Savoir à l’avance comment et quand terminer une histoire est aussi quelque chose qui aide le clinicien. Si un enfant commence à dévier du complément d’histoire qui lui est proposé, nous suggérons au clinicien d’évaluer si l’histoire racontée semble mener quelque part. Si tel est le cas, nous encourageons le clinicien à laisser à l’enfant un temps supplémentaire pour compléter celle-ci. Si le récit commence à être désorganisé ou qu’il ne semble pas mener quelque part, nous proposons au clinicien d’essayer d’interrompre l’histoire en demandant à l’enfant : « Est-ce que c’est la fin de cette histoire ? ». Si l’enfant résiste, le clinicien peut lui laisser un peu plus de temps, puis interrompre le récit en disant : « Je vais maintenant te raconter le début d’une autre histoire ». Pour d’autres enfants, l’anxiété est réduite du fait qu’on leur présente du matériel, plutôt que de leur demander de le rapporter eux-mêmes. Cela est particulièrement vrai pour les enfants qui perçoivent les enjeux du jeu avec un clinicien.

9Le MSSB peut aider à l’engagement d’un enfant qui, autrement, aurait été difficile à aborder. Dans notre expérience, beaucoup d’enfants s’impliquent très vite avec le clinicien qui leur propose les compléments d’histoire. Après avoir fini, les enfants ont le sentiment d’avoir révélé quelque chose de très important sur eux-mêmes, et d’avoir été entendus.

10Le MSSB peut aussi aider à impliquer les parents. Certains parents peuvent avoir du mal à comprendre le ressenti de leur enfant, et peuvent ne pas comprendre combien jouer avec un enfant peut être utile. Nous encourageons les cliniciens à faire un enregistrement vidéo de la passation du MSSB (avec l’accord approprié du représentant légal) pour pouvoir le revoir avec les parents un peu plus tard. Cela peut être particulièrement utile si on a auparavant sélectionné les moments les plus importants, pour les montrer aux parents. Regarder ces moments particuliers peut être très utile pour montrer aux parents la richesse du monde interne de leur enfant, ou pour insister sur un conflit particulier de celui-ci, ou encore pour découvrir des manières d’être, comme la régulation des émotions au fil des histoires. De cette manière, les parents peuvent rapidement s’impliquer et faire alliance avec le processus thérapeutique et/ou modifier leur manière de considérer leur enfant et de se comporter avec lui.

11Les exemples qui suivent illustrent certains des points évoqués précédemment et peuvent aider le clinicien à comprendre mieux cette technique. Certains détails ont été modifiés pour protéger l’anonymat des enfants.

1. Sarah
Sarah est une enfant adressée en jardin d’enfants thérapeutique, après avoir manifesté un comportement agressif. Elle a été physiquement abusée par son père et a été retirée de son domicile. Sarah était l’enfant la plus agressive du jardin d’enfant, et refusait fréquemment de se rendre à sa thérapie, qui avait lieu 3 fois par semaine. Les réponses de Sarah au complément d’histoires furent particulières, en ce sens qu’elle eut beaucoup de plaisir à accomplir cette tâche et que, malgré le côté désordonné des personnages de ses histoires, son comportement durant le test fut bon et qu’elle semblait avoir le sentiment d’avoir été comprise à la fin du travail. La passation de ce test à Sarah le fut dans le cadre d’un travail de recherche et, bien que la personne effectuant la passation se fut rendu de nombreuses fois dans sa classe, Sarah n’avait jamais remarqué sa présence. Au départ Sarah était très réticente, et il a fallu plus d’une demi-heure de réassurance avant qu’elle n’indique être prête à commencer. Après que la réconfortante histoire de l’anniversaire ait été présentée à Sarah, celle-ci s’empara de poupées, les aligna et les frappa toutes contre la table, tout en regardant la personne qui assurait la passation, comme si elle attendait une punition. Cette personne regarda Sarah en retour, lui sourit et lui demanda si elle voulait en dire un peu plus sur cette histoire. Sarah lui rendit son sourire et répondit « Oui » avec enthousiasme. Nous ne rapportons que ce récit de Sarah, mais il est très similaire aux autres qu’elle a pu faire. L’histoire commence avec le père et la mère qui sont au lit. La mère dit : « Ton père et moi avons besoin d’être seuls. Veux-tu bien aller dans ta chambre et jouer tranquillement ? ». Sarah ne veut pas que l’enfant aille dans sa chambre, mais elle le lance en l’air en disant : « Elle est magique, elle peut voler ». Elle lance aussi les parents au ciel et dit : « Ils peuvent voler aussi, et ils lui courent après ». Sarah déplaça le personnage principal vers le côté opposé de la table, et fit de même avec les poupées qui représentent les parents, mais crie bruyamment : « Ah, ils ne peuvent pas s’arrêter », et elle les jette sur le sol. Elle les ramasse et dit : « Les voilà revenus ». A travers Sarah, les parents disent qu’ils « vont lui botter le derrière ». Sarah répète ensuite la scène de la poursuite et de la chute sur la table. L’histoire fut arrêtée là, et Sarah en raconta de nombreuses similaires, les parents poursuivant le personnage principal et avec de nombreuses agressions. Une semaine plus tard, la personne qui lui avait fait passer le test était à nouveau dans sa classe. Sarah la regarda, l’appela par son nom, courut à travers la classe pour lui faire un câlin et lui demanda s’ils pouvaient encore raconter des histoires. Il semble bien que le MSSB ait aidé Sarah à se sentir entendue d’une manière importante, alors qu’elle n’avait pas pu investir sa thérapie qui durait depuis des mois.
2. Sam
Sam est un garçon qui, lui aussi, fut adressé en jardin d’enfants thérapeutique pour agressivité. Il n’y avait pas d’abus dans ses antécédents. Les récits de Sam furent remarquables par les vivantes descriptions sensorielles, et ont aidé la clinicienne dans son élaboration du diagnostic. Le complément d’histoire raconté par Sam à propos du chien perdu est présenté ici, et est représentatif de ses autres récits. L’histoire commence avec David, le personnage principal, excité dès le matin. Il ne peut attendre pour jouer avec son chien préféré, Barney. Dès son réveil, il demande à sa mère s’il peut aller dehors. Sa mère l’y autorise et quand David sort, son chien n’est plus là. Sam raconte : « J’ai un chien, et ce chien aboie très fort, comme ça », et Sam aboie. Puis il raconte une histoire à propos d’un chien qui court après un insecte, et l’insecte bourdonne et bourdonne. Sam dit que « le nom de son chien, c’est Bleu, mais il n’est pas bleu comme la couleur bleue. Il est jaune et très doux. ». Sam ajoute qu’il aime ce qui est très jaune, et il désigne quelque chose dans la pièce qui est jaune. En regardant à nouveau l’enregistrement vidéo, la clinicienne a comparé les récits de Sam avec ceux qu’avaient faits d’autres enfants à qui elle avait fait passer le MSSB, et fut frappée par les descriptions de sensations qui se trouvaient dans ses récits. Elle proposa que Sam bénéficie, dans le cadre d’une Thérapie d’Occupation, d’une évaluation de ses capacités d’intégration sensorielle. On trouva chez Sam des difficultés d’intégration sensorielle, qui répondirent bien à une Thérapie d’Occupation en classe. Bien que le MSSB n’ait pas été évalué pour donner des profils diagnostiques, la clinicienne a pu comparer les récits de Sam à sa propre base de données interne et repérer une différence dans ces récits.
3. Evan
Evan est un garçon lui aussi en jardin d’enfants thérapeutique. Il a subi des abus de la part de ses parents et il est placé en famille nourricière. Cette famille nourricière n’avait pas d’expérience antérieure avec des enfants, mais avait initialement le projet d’adopter Evan. Le comportement d’Evan s’est détérioré, et bien que le thérapeute ait expliqué aux parents pourquoi cela avait pu arriver, et comment ils pouvaient agir là-dessus, ces parents ne purent manifester d’empathie envers Evan. Le placement était donc en péril, et en désespoir de cause, le thérapeute proposa le MSSB à l’enfant. Les récits d’Evan était remarquables par les efforts du personnage principal pour contrôler toutes les situations, particulièrement les situations conflictuelles. Cela fut montré aux parents nourriciers d’Evan grâce à l’enregistrement vidéo, et ils purent alors mieux comprendre Evan. Le récit d’Evan à propos du jus de fruit renversé illustre ce comportement et fut revu avec les parents. Au départ, David et sa famille sont à table. La mère sert du jus de fruit à la famille et chacun le boit. David en veut plus et tend la main vers le pichet : il renverse le jus de fruit sur le sol. Evan poursuit ainsi le récit : La mère de David lui demande de laver le sol. David refuse. Sa mère lui demande encore une fois : il crie que non et court dans sa chambre en claquant la porte. Plus tard, David revient et sa mère lui dit qu’il est temps d’aller se coucher. David refuse d’aller au lit. Sa mère lui répond que, s’il ne va pas se coucher immédiatement, il va avoir de gros ennuis. David hurle qu’il n’en a rien à faire, et se précipite contre sa mère. Tous les personnages se précipitent les uns sur les autres et David conclut en disant qu’ils sont tous morts et que l’histoire est finie. Pendant que les parents regardaient l’enregistrement vidéo, on leur fit remarquer que dans les récits de David, les petits conflits étaient amplifiés par le personnage principal en conflits majeurs qui se terminaient par le chaos ou une agression. On leur expliqua que, comme beaucoup d’enfants qui avaient subi des abus, Evan semblait avoir besoin de tout contrôler, et qu’il transformait des événements anodins en conflits majeurs dans le but d’en garder le contrôle. Pour la première fois, les parents nourriciers d’Evan parurent comprendre, et devinrent capables d’éviter de s’engager dans des conflits mineurs, tout en cherchant à donner à Evan le sentiment qu’il gardait un contrôle sur la situation. Cela eut de l’effet sur Evan et, lors d’une fête de l’école avec les parents, on remarqua qu’Evan semblait très investi par ses parents. Tout se passait comme s’ils étaient « tombés amoureux » de leur enfant, et la procédure d’adoption suivit son cours. Le complément d’histoires a aidé ces parents à comprendre leur enfant d’une manière dont ils n’avaient pas été capables auparavant.
En résumé, le MSSB est un instrument qui améliore les moyens d’accès du clinicien au monde interne de l’enfant, et qui aide l’enfant et ses parents à s’engager dans une alliance thérapeutique avec le clinicien. La structure du MSSB et sa facilité d’administration en font un outil particulièrement intéressant pour les cliniciens qui n’ont pas une grande expérience du travail avec les jeunes enfants, tout en aidant à diminuer l’anxiété de l’enfant. Les cliniciens peuvent l’utiliser pour se construire une base de données interne, dans laquelle les enfants pourront être comparés, processus qui peut être plus précis lorsqu’il est fait explicitement.

Français

Résumé

La batterie MacArthur d’histoires à compléter est une méthode structurée dont le but est d’engager l’enfant dans un jeu narratif. Le cadre procuré par l’ensemble d’histoires peut se révéler très utile dan le processus thérapeutique avec les jeunes enfants et leurs familles. Elle permet à certains enfants de révéler plus facilement les types de conflits qui les animent, et facilite l’engagement avec le thérapeute, tout en aidant les uns et les autres à diminuer leur anxiété vis-à-vis de la thérapie. Les séances peuvent être enregistrées en vidéo, et revues avec certains membres de la famille, de façon à permettre que celle-ci facilite la thérapie de l’enfant. Finalement, ce cadre permet l’établissement d’une base de données comparative propre au clinicien, utile tant à son activité diagnostique que thérapeutique.

Mots-clés

  • récits
  • jeu
  • thérapie

Références

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Kimberly Kelsay
Traduction française : 
Frédérique Le Houezec-Jacquemain
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Mis en ligne sur Cairn.info le 30/11/-0001
https://doi.org/10.3917/dev.024.0415
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