1Les représentations relationnelles des jeunes enfants apportent une grande richesse d’informations sur la construction morale et émotionnelle précoce de la réalité. Traditionnellement, les cliniciens ont employé des techniques de jeu thérapeutique pour accéder à cette réalité interne. Hélas, cette approche ne comporte pas la rigueur nécessaire aux protocoles de recherche, limitant ainsi notre compréhension des représentations du jeune enfant à des échantillons cliniques de petite taille. Un nouveau moyen d’approche prometteur a été développé dans ce champ durant la dernière décennie, permettant de nouvelles incursions dans ce monde interne. Tout en étant porteur de promesse, particulièrement pour les cliniciens-chercheurs et les cliniciens, il reste beaucoup de travail de psychométrie à accomplir. Parce qu’il facilite beaucoup l’engagement des enfants, et du fait de sa validité consensuelle pour accéder aux représentations émotionnelles de base des enfants, cette technique a été énormément utilisée en Europe et aux Etats-Unis, comme dans une partie de l’Asie (Robinson et Corbitt-Price, 2000). En conséquence, ces divers efforts peuvent nous aider à comprendre les points forts de l’approche par le Complément d’Histoire, comme ses limites.
2Cette technique d’évaluation est connue sous le nom de « MacArthur Story Stem Battery » (« Batterie de Complément d’Histoires de MacArthur », MSSB ; Bretherton, Oppenheim, Buchsbaum, Emde et le Groupe de Travail sur la Narrativité de MacArthur, 1991). Les « compléments d’histoires » sont des débuts d’histoires que l’examinateur demande à l’enfant de compléter. L’ensemble des histoires du MSSB sont conçues pour exploiter la compréhension et les principales représentations relationnelles émotionnelles de l’enfant. Les compléments d’histoire sont accessibles intellectuellement et émotionnellement aux enfants d’âge préscolaire, comme aux enfants plus âgés, dans leur description de problèmes humains communs. La technique du complément d’histoire a été décrite comme une « mise en sens symbolique de l’expérience mise en jeu » (Buchsbaum Toth, Clyman, Cicchetti et Emde, 1992), qui peut « fournir des informations sur la façon dont l’enfant se considère et considère son monde » (Warren, Oppenheim et Emde, 1996).
3Dans la première partie de cet article, nous nous proposons de décrire brièvement la technique du complément d’histoires, dans ses aspects conceptuels et pratiques. Nous donnerons ensuite un bref historique du développement du MSSB. Pour ceux qui s’intéressent aux applications de cette technique dans le champ de la recherche, plus de détails seront donnés dans la deuxième partie, où nous expliquerons la cotation des récits, en nous centrant sur une stratégie de cotation intéressante qui a été récemment révisée. Les cliniciens pourront être plus particulièrement intéressés par la discussion relative à une vision théorique de ce système de cotation, qui met en lumière le champ des régulations émotionnelles. Nous terminerons par une discussion sur les aspects non encore explorés de cette technique, et sur les nouvelles directions qui émergent de ce champ d’exploration.
Les compléments d’histoires
4Les compléments d’histoires sont des débuts simples de récit, animés par l’utilisation de petites poupées, qui déclenchent une réponse narrative de l’enfant. Chaque début d’histoire met en scène le début d’un conflit moral ou relationnel, qui culmine à un point d’émotion intense. On demande à l’enfant de poursuivre ou de résoudre l’histoire, en apportant son expérience personnelle, les propres représentations de son monde relationnel et sa propre créativité. L’utilisation des poupées permet à l’enfant de se mettre à distance de sujets qui peuvent être trop traumatiques ou stressants pour lui, tout en autorisant le récit d’une histoire qui, potentiellement, est très proche de son expérience personnelle.
5Deux capacités particulières permettent aux jeunes enfants de répondre de manière cohérente au complément d’histoires (Dennie Palmer Wolf, communication personnelle). La première met en jeu le langage et concerne la possibilité d’inclure dans le récit, de manière expressive, au moins deux aspects personnels incluant un agent et une action. La seconde est la capacité d’utiliser le jeu, qui renvoie à la possibilité qu’a l’enfant de symboliser une séquence d’événements (par exemple mettre en scène la famille en train de dîner). Ces deux capacités sont fréquemment présentes chez des enfants de trois ans et demi, bien qu’il existe des variations importantes. La nécessité de la présence de ces deux aptitudes fait que la limite d’âge pour l’utilisation du complément d’histoires, permettant un recueil de réponse, une cotation et une interprétation fiable, est relativement basse, mais peut varier au sein de différentes populations. Par exemple, des études ont pu être menées avec des enfants de trois ans, appartenant à une classe moyenne de la population (Buchsbaum et Emde, 1990). En revanche, dans des échantillons de populations de classe socio-économique défavorisée, où l’acquisition du langage et la capacité pour mettre en séquence peuvent être retardées, il faut parfois attendre l’âge de quatre ans ou plus pour utiliser le MSSB.
Bref historique sur le développement du MSSB
6C’est au début des années 80 que Inge Bretherton et ses étudiants ont commencé à utiliser la technique du complément d’histoires avec des enfants d’âge préscolaire, pour étudier les représentations corrélées à leur système d’attachement. Ils ont conçu l’« Attachment Story Completion Task » (que l’on peut traduire par « Test de Complément d’Histoires sur l’Attachement ») comme un ensemble de cinq débuts d’histoires standardisées qui activaient les schémas d’attachement de base de l’enfant dans des situations de séparation (dans une histoire de séparation et de retrouvailles) et d’angoisse (dans des histoires de peur du coucher). Les premiers résultats des études utilisant l’ASCT montraient que la cohérence narrative et la souplesse émotionnelle prédisaient le type d’attachement de l’enfant évalué antérieurement (Bretherton, Ridgeway et Cassidy, 1990). A peu près à la même époque, Helen Buchsman et Robert Emde ont commencé à utiliser les compléments d’histoires pour accéder aux représentations des enfants concernant les conflits moraux et les conflits familiaux. Les résultats prometteurs de ces tests montraient que les récits fournis par des enfants dès 36 mois permettaient l’accès à leurs représentations, avec leurs étonnantes variations individuelles, dans des domaines comme l’empathie, les comportements pré-sociaux, le respect de la loi, la réciprocité et des aspects des relations familiales (Buchman et Emde, 1990).
7Après plusieurs années de collaboration entre Bretherton et Emde, Emde et Dennie Wolfe créèrent le Groupe de Travail sur la Narrativité de MacArthur, qui comprenait Bretherton, Buchman et un groupe important de collaborateurs intéressés par l’approche fournie par le complément d’histoires sur la compréhension du monde interne des enfants d’âge préscolaire. Ce groupe incluait aussi : Kurt Fischer, David Oppenheim, Doreen Ridgeway, Jo Ann Robinson, Betsy Rubin, Fred Wambolt, Malcom Watson et Carolyn Zahn-Waxler. Cette collaboration aboutit à la création du MacArthur Story Stem Battery (Batterie de Compléments d’Histoires de MacArthur, MSSB), qui conservait plusieurs récits du test précédent, où d’autres avaient été enlevés et où on en avait ajouté de nouveaux. L’ensemble final de 14 débuts d’histoires propose des thèmes qui activent potentiellement les représentations morales et affective de l’enfant, ainsi que, de manière générale, celles liées aux conflits relationnels (Bretherton, Oppenheim, Buchsman, Emde et le Groupe de Travail sur la Narrativité de MacArthur, 1991). Il faut noter que les investigateurs ont ajouté de nouvelles histoires en tenant compte de leurs études sur des échantillons d’enfants et de leurs questionnements (voir par exemple Warren, Emde, Sroufe, 2000 ; Zahn-Waxler, Cole, Richardson, Friedman, Michel et Belouad, 1994).
Un début d’évaluation de la régulation émotionnelle
8Un des principaux buts de l’utilisation du MSSB est d’évaluer, selon son niveau de développement, les probabilités qu’aura l’enfant de présenter des troubles du comportement et des difficultés émotionnelles. A la fin de l’âge préscolaire, beaucoup de troubles du comportement devraient plutôt être décrits en terme de sous- ou sur-régulation émotionnelle, ce qui correspond à peu près à ce qui a été décrit en terme de problèmes d’extériorisation ou d’intériorisation des comportements (Achenbach, 1990). Cette approche par la régulation des émotions est ainsi devenue un concept central pour décrire le développement des relations d’attachement (Cassidy, 1994 ; Sroufe, 1995).
9Une sous-régulation émotionnelle est généralement associée avec des comportements d’agressivité ou d’impulsivité, entravant les relations intra- et interindividuelles. La sur-régulation émotionnelle est en général corrélée avec une limitation de l’expression des émotions, associée à des ruminations anxieuses et un risque psychosomatique. Un autre marqueur de la régulation émotionnelle est le développement de l’empathie. Les enfants qui se montrent concernés par les difficultés d’autrui proposent des réponses sociales pour diminuer ces difficultés, et sont en général équilibrés ou bien régulés dans leur expression émotionnelle (Fabes, Leonard, Kupanoff et Martin, 2001). Au contraire, des enfants peuvent échouer dans leur socialisation, soit du fait de problèmes de sous-régulation des émotions (associée à des troubles des conduites et à de l’agressivité), soit à cause de problèmes de sur-régulation, associée à une attention excessive à leurs propres difficultés (Hastings, Zahn-Waxler, Robinson, Usher et Bridges, 2000 ; Zahn-Waxler, 2000 ; Zahn-Waxler, Klimes-Dougan et Slatterly, 2000), soit du fait d’une combinaison des deux problématiques, ou à cause d’autres types de troubles de leur régulation émotionnelle.
10La sous- ou sur-régulation de ces trois aspects de la régulation des émotions (Conflit/Agression, Evitement/Anxiété, Sociabilité/Engagement) reflète donc une dimension du contrôle des comportements. Ces trois aspects de la régulation émotionnelle sont présents dans le MacArthur Narrative Scoring System (Système de Cotation des Compléments d’Histoire de MacArthur) (Robinson, Mantz-Simmons, Macfie et le Groupe de Travail sur la Narrativité de MacArthur, 1992), développé pour l’utilisation du MSSB. Ce système permet la cotation à la fois des contenus thématiques et des niveaux de performance de chaque récit, tenant compte des processus de régulation dans les représentations touchant à l’expression des émotions et des comportements interpersonnels. Ces différents niveaux seront décrits ensuite dans deux parties différentes, destinés à ceux qu’intéresse la cotation des compléments d’histoires faits par les enfants. Chacun de ces aspects de la régulation des émotions amène à une conception continue de la régulation, qui place évidemment la sous- et la sur-régulation aux extrêmes de la dimension de contrôle, et le contrôle comportemental bien régulé ou équilibré au milieu.
Contenus thématiques
11Dans la révision la plus récente du MCNS (Robinson, Mantz-Simmons, Macfie et Kelsay, 2001), les niveaux thématiques sont spécifiquement organisés selon le système de régulation comportemental décrit au-dessus. Les thèmes évoquant la sous-régulation, premier aspect de la régulation émotionnelle, sont regroupés en deux domaines : Conflits Interpersonnels et Désorganisation Agressive. Les thèmes de jalousie/rivalité, compétition et conflit verbal sont inclus dans le domaine des Conflits Interpersonnels. Bien qu’ils puissent évoquer des difficultés relationnelles, ces types de représentation sont le plus souvent bien régulés. Une représentation excessive de ces thèmes, comme leur présence dans trop de récits, contribuent pourtant à une sous-régulation de ce type de représentation. Deux thèmes additionnels, l’exclusion des autres et le refus actif d’empathie représentent des positions relationnelles plus difficiles, exprimant le rejet des autres ou le rejet de l’expression des besoins dans la relation. En même temps, ces thèmes, lorsqu’ils sont présents avec une fréquence basse ou moyenne, reflètent une approche régulée du conflit, ce qui constitue les prémices des relations interpersonnelles (Emde, Biringen, Clyman et Oppenheim, 1991 ; Emde et Oppenheim, 1995).
12Les thèmes de Désorganisation Agressive reflètent en revanche une approche beaucoup plus sous-régulée du conflit et l’observateur peut ressentir plus d’inquiétudes sur ce type de sentiments. Les thèmes d’agression, d’escalade du conflit et de blessures de personnes évoquent tous une défense active contre les difficultés liées à ces sentiments. Les types d’agression permettent une évaluation de la graduation de la réponse, culminant dans l’observation d’un niveau de désorganisation de la régulation, de l’agression jouée ou verbale aux actes blessants à juste titre (les deux indiquant plutôt une régulation comportementale équilibrée) aux actes agressifs non motivés et violents, jusqu’à l’agression physique de l’adulte par le personnage de l’enfant. Ce dernier cas de figure est en général considéré comme en-dehors des limites acceptables dans l’interaction adulte-enfant, et suggère un enfant blessé par un sentiment d’impuissance. Les réponses négatives atypiques appartiennent également au thème de Désorganisation Agressive. Ces thèmes regroupent des actes très atypiques qui peuvent être violents, étranges ou pittoresques dans leur description par l’enfant. Enfin, un thème additionnel dans ce champ, celui des agressions sexuelles, provoque de grandes inquiétudes sur les expériences vécues par l’enfant, et suggère le risque d’une exposition à des activités sexuelles.
13Les thèmes évoquant une sur-régulation des affects et des comportements, le second volet de la régulation des émotions, sont regroupés dans le domaine des Stratégies d’Evitement. Deux thèmes centraux de ce domaine sont le déni du conflit central du complément d’histoire et les répétitions. Le déni dans un récit suggère un évitement du conflit, incluant l’incapacité à incorporer ce dernier dans la conscience via les représentations activées par le complément d’histoire. Les répétitions (par exemple celle d’un fragment de récit tiré d’une réponse antérieure, ou la répétition du récit correspondant à l’histoire) peuvent être un indice de persévération, évoquant un effort de maîtrise du conflit. Cela semble particulièrement vrai lorsque l’enfant répète un épisode difficile déjà raconté. Certaines répétitions, pourtant, semblent suggérer un évitement et une tentative d’auto-apaisement, comme lorsque l’enfant revient à un fragment de récit qui lui a plu ou qui lui était plus confortable que les représentations qu’il peut avoir sur le moment. La répétition apparaît comme le reflet de la fermeture ou de la sur-régulation d’une expérience, entravée par l’incapacité d’aller plus loin dans sa résolution.
14D’autres thèmes de ce domaine reflètent un mode d’approche évitant du conflit ou d’autres difficultés : exclusion du sujet, dislocation familiale, endormissement soudain, automatismes sensori-moteurs, refus passif d’empathie et contrôle de l’examinateur. Quitter la scène en laissant le « personnage principal » (dans le MSSB, on s’accorde sur le fait que le personnage principal est l’enfant le plus âgé de la fratrie évoquée dans les histoires) ou disloquer la famille (si un membre de la famille fait ses bagages ou se met à faire du ménage et quitte la scène en cours) suggèrent tous les deux une tentative de l’enfant pour sortir du conflit par un départ physique de la scène de la part des personnages. Le plus souvent, les personnages reviennent dans le récit, et ces stratégies, comme les endormissements soudains ou les actions sensori-motrices automatiques, donnent un répit à l’enfant pris dans le conflit, en lui permettant de rassembler ou focaliser ses ressources émotionnelles. On cote « endormissement soudain » lorsque l’épisode de sommeil est introduit dans le récit sans préalable cohérent, comme par exemple « maintenant, c’est l’heure de dormir », et dans un contexte d’expression émotionnelle intense ou de thèmes forts. Les automatismes sensori-moteurs ne constituent par un thème en soi, mais sont des actions qui suggèrent le repli vers un comportement protecteur ou un engluement et une incapacité à aller de l’avant.
15Le refus passif d’empathie est également inclus dans le domaine des Stratégies d’Evitement du fait qu’il s’agit de l’expression quasi unique de l’incapacité à répondre à une demande d’aide. Dans ce contexte, l’enfant décrit un personnage qui demande à un autre de l’aide ou un avis (par exemple « Que dois-je faire ? » ou « Je n’arrive pas à… »), et il n’y a pas de réponse agie. La demande, concrètement, demeure sans réponse. Cette incapacité d’engagement est particulière dans la mesure où c’est l’enfant lui-même qui crée la demande initiale d’aide par lui-même, comme son absence (peut-être inconsciente) de réponse.
16Finalement, la présence de comportements de contrôle de la part de l’enfant (comme par exemple insister pour que d’autres poupées soient utilisées, ou interrompre l’examinateur pendant qu’il propose le début d’une histoire) évoque aussi le besoin de contrôler les comportements de l’autre ou les contenus des histoires. Si cela survient à une seule reprise au cours du test, cela n’est pas inquiétant et n’évoque pas l’évitement. Ce serait plutôt un moyen d’explorer les limites du complément d’histoires et ce qui est et n’est pas autorisé. Au contraire, des essais répétés de contrôle, après que l’examinateur ait clairement rappelé les limites du test (par exemple que de nouvelles poupées ne peuvent pas être ajoutées à une situation, ou que l’enfant doit attendre son tour pour commencer sa part du récit) suggèrent plus une position de sur-régulation utilisée pour éviter les contraintes.
17Les approches équilibrées, bien régulées, des conflits interpersonnels, le troisième aspect de la régulation des émotions, se trouvent regroupées dans les deux thèmes d’empathie/comportement sociaux : Relations Empathiques et Thèmes Moraux. Il y a quatre thèmes dans le domaine des Relations Empathiques : le partage, l’implication, l’aide/empathie et l’expression d’affection. Chacun de ces thèmes reflète des motivations sociales d’engagement dans l’interaction avec l’autre. Les Thèmes Moraux reflètent également une motivation sociale en trouvant des solutions ou des réponses morales aux conflits présentés dans les histoires ou créés par l’enfant. Des expériences antérieures autour de ces thèmes ont montré que les thèmes de non respect des règles sont autant inspirés du sens moral que ceux de respect. Ainsi, par exemple, l’obéissance et la désobéissance, la malhonnêteté et les punitions/mesures de discipline concernent tous le groupe des Thèmes Moraux. Les thèmes de loyauté sont également inclus dans ce domaine, comme les taquineries/insultes, les reproches et les thèmes de réparation/culpabilité.
Niveaux de performance des récits des enfants
18Les niveaux de performance sont l’autre domaine coté dans les réponses des enfants. Deux aspects méritent ici une discussion particulière : les affects personnels et la cohérence narrative. L’évaluation de l’intensité des affects personnels des enfants inclut à la fois les expressions faciales et vocales, de même que les affects spontanés et ceux mis en scène pour l’histoire. Dans nos tentatives initiales de prises en compte de l’affect dans les récits, nous avons essayé de préserver la différence entre les affects exprimés par les personnages de l’histoire et ceux de l’enfant. Mais cette différentiation est apparue presque impossible à tenir réellement. Les récits des jeunes enfants sont si dynamiques et la frontière entre leurs propres représentations et celles du personnage si fluides que la distinction est apparue comme arbitraire. Le champ des affects évalués est limité à ceux qui surgissent communément dans le MSSB (joie, peur, angoisse, tristesse et inquiétude). Chacun est évalué sur une échelle qui comprend quatre point (de 0-absent à 3-très intense). La tonalité des expressions vocales ou faciales est décrite pour chaque affect. Des affects moins communs, comme le dégoût ou le mépris, ne sont pas inclus dans le système de cotation, mais peuvent être dignes d’attention dans des contextes cliniques spécifiques ou dans les réponses d’enfants plus âgés.
19Le deuxième aspect, la cohérence narrative, a été démontrée comme étant un indicateur important du fonctionnement de l’adulte comme de l’enfant (Fiese et Sameroff, 1999). La narration d’un récit exige que le narrateur maintienne une pression ou une intrigue dans l’histoire, au moyen de plusieurs actions, ce qui requiert une capacité d’anticipation comme une habileté verbale. En même temps que l’élaboration d’un récit s’enrichit d’éléments, ce dernier peut perdre de sa cohérence si le narrateur n’a pas un minimum d’habileté dans le séquençage des événements. Il n’est pas surprenant que la cohérence narrative du jeune enfant soit influencée par ses capacités verbales et cognitives, et un certain nombre d’études ont montré que cette cohérence était significativement corrélée avec des mesures d’intelligence verbale (voir par exemple Oppenheim, Nir et coll. 1997). L’évaluation de la cohérence narrative dans le MCNS se fonde sur plusieurs éléments. En premier lieu, le cotateur doit se demander dans quelle mesure la réponse de l’enfant correspond au conflit inhérent au complément d’histoire. Les scores les plus bas (0-5) définissent les récits qui ne correspondent pas au conflit, ou qui ne parviennent pas à le résoudre, ou qui le résolvent indirectement, par exemple en modifiant les consignes de l’histoire. Bien que certains de ces récits puissent être cohérents, ils ne sont pas adaptés à la particularité du complément d’histoire, ou ils évitent le conflit central de l’histoire. Les scores les plus élevés (6-10) sont appliqués aux réponses qui correspondent/résolvent le conflit central, avec des variations selon le degré d’élaboration et la présence d’incohérences. Les scores maximums sont donnés aux réponses élaborées, qui proposent une solution au conflit central et ne contiennent pas d’incohérences. Les dix points sur l’échelle n’impliquent pas nécessairement qu’une seule dimension, et un travail empirique avec cette échelle a donné des résultats hétérogènes. Alors que von Klitzing a identifié deux dimensions dans le MALTS, d’autres ont avancé qu’une échelle à une seule dimension était plus significative comparée à d’autres modèles.
20D’autres aspects de performance incluent :
- l’intensité de l’affect décrit dans son récit par l’enfant (à la fois l’affect spontané transmis par les expressions faciales et vocales et l’affect mis en scène dans le récit) ;
- la présence ou non des personnages parentaux dans la réponse ;
- l’ajustement et l’implication de l’enfant avec l’examinateur pendant le récit ;
- l’utilisation d’un style direct ou indirect ;
- le niveau de cohérence narrative de la réponse.
Système de sommation des scores
21La stratégie générale employée a été d’additionner les informations en fonction de la présence des thèmes ou des niveaux de performances à travers l’ensemble des récits. Des thèmes similaires ont ainsi été combinés afin de créer des systèmes plus robustes et fiables (par exemple, utiliser une moyenne de trois cotations concernant la présence de conflits interpersonnels : agression physique, conflit verbal et blessures de personnes). Des facteurs d’analyse incluant à la fois les contenus thématiques et les niveaux de performance ont donc été utilisés afin de créer des niveaux de construction supérieurs.
22Au-delà, des approches plus spécifiques délimitant le contexte dans lequel chacun des thèmes est abordé ont également leur intérêt. Par exemple, les compléments d’histoires peuvent être regroupés en histoires morales lorsqu’une transgression a lieu (comme Le vol du bonbon ou Le jus de fruit renversé) ou en histoires relationnelles (comme Barney est perdu, Deux, ça va, trois…, Les clés perdues, La séparation, Les retrouvailles). Les contenus thématiques et les niveaux de performance peuvent alors être regroupés, afin que ces regroupements mettent en évidence la spécificité des systèmes les plus significatifs dans un contexte narratif donné, par exemple, la fréquence des thèmes de séparation présents dans les histoires morales. Oppenheim, Emde, Hasson et Warren (1997) ont utilisé cette approche pour analyser les réponses d’enfants d’âge préscolaire (3, 4 et 5 ans) aux trois problèmes moraux du MSSB (Maman a mal à la tête, Deux, ça va, trois… et La boîte à pharmacie).
23Bien que la nouvelle réorganisation du MNCS se prête à une agrégation plus franche des thèmes des différents domaines (par exemple Conflits Interpersonnels et Relations Empathiques), les investigateurs doivent rester prudents à propos de ces agrégations. Nous partons de l’expérience collective de nos collègues dans ce domaine, mais nous ne l’avons pas encore testée dans nos échantillons de base.
Applications nouvelles et ouvertures
24Récemment, le premier auteur a utilisé la technique du complément d’histoires et le MNCS dans une étude de contrôle randomisée du modèle d’intervention d’infirmières à domicile de David Olds (Robinson, Herot, Haynes et Mantz-Simmons, 2000). Cette étude avait pour but de déterminer si une intervention centrée sur la mère, conduite de la période prénatale à deux ans du postpartum, avait une influence sur les représentations des conflits dans les compléments d’histoire de l’enfant. Il a été montré que, dans le sous-groupe des enfants de mères à risque – du fait de ressources psychologiques pauvres –, il y avait moins de thèmes d’agression mal régulés, et une augmentation de représentations de contrôle comportemental bien équilibré (par exemple punition et discipline) (Olds, Kitzman, Robinson et coll., 2001). Dans le même groupe de femmes et d’enfants à risque, des études antérieures avaient mis en évidence une diminution de la criminalité des mères et de la délinquance des enfants (Olds, Eckenrode, Henderson et coll., 1997 ; Olds, Henderson, Cole et coll., 1998). Les résultats de l’évaluation de la narrativité suggère qu’un des modes d’action par lequel ce programme peut aboutir à ces résultats se situe au niveau de changements dans les expériences relationnelles précoces de l’enfant.
25Une étude similaire est actuellement en cours sur un large échantillon d’enfants vivant dans la pauvreté aux Etats-Unis, et participant à l’étude nationale sur les « Early Head Start Interventions », débutée en 1996. Les enfants appartenant à six sites de ce programme (et leur groupe contrôle randomisé, soit environ 750 enfants) seront évalués avec un extrait du MSSB, avant leur entrée au jardin d’enfant. Ce programme national ne comprend pas qu’un seul type d’actions, mais inclut à la fois des interventions à domicile et des interventions en institution, pour des femmes ayant un très faible niveau de revenus et leurs enfants entre 0 et 3 ans. Pour chacun des participants à ce projet (à Denver, Seattle, New York City, Los Angeles et l’Arkansas rural), l’importance des relations socio-émotionnelles de l’enfant avec ses parents et ceux qui s’occupent de lui a été mise en lumière, et ils considèrent maintenant que le développement émotionnel est un enjeu d’importance.
26Dans le contexte des pressions actuelles demandant aux techniques psychothérapeutiques de démontrer leur efficacité, le MSSB et le système de codage comportemental décrit précédemment peuvent constituer des outils intéressants pour les cliniciens et les cliniciens-chercheurs. Dans cette optique, Kelsay (ce numéro) décrit plusieurs des avantages que les cliniciens peuvent trouver dans l’utilisation du MSSB par lui-même, en dehors du système de cotation. Développer cette méthode qui apporte un sens à nos interventions pourra permettre aux jeunes enfants de partager leurs difficultés et leur souffrance, afin que nous puissions mieux répondre à leur besoin de support et de guide.