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Attachment Theory and Psychoanalysis, Peter Fonagy (Other Press, New York, 2001, 261 pages)

1Voici le premier livre consacré directement et exclusivement aux rapports entre la théorie de l’attachement et la psychanalyse. Il est écrit par un expert de ces deux domaines, qui ont l’un et l’autre révolutionné notre façon de concevoir le développement normal et la psychopathologie, tant de l’enfant que de l’adulte. Or ces deux conceptions sont parfois opposée, et parfois en accord. Ce livre est tiré d’un fort chapitre, « Psychoanalytic Theory from the Viewpoint of Attachment Theory and Research » (dans le Handbook of Attachment : Theory, Research and Clinical applications (pp. 595-624), édité par Jude Cassidy et Phillip Shaver, chez Guilford Press, à New York, en 1999. Le livre de Cassidy et Shaver représente une véritable bible des développements de la théorie de l’attachement et de ses applications cliniques, mais du fait de sa densité et de son volume (925 pages !), il a peu de chances d’être maintenant traduit en français. On remarquera que le titre du chapitre dont est tiré le présent livre est bien : « La théorie psychanalytique à la lumière de la théorie et de la recherche sur l’attachement », et non pas l’inverse, et c’est bien ce qui fait l’intérêt de ce livre. La théorie de l’attachement est bien en fait le paradigme actuel, sur le plan de la compréhension du développement et de la psychopathologie. En France, on la considère encore à la lumière de la théorie psychanalytique, considérée d’ailleurs comme un tout univoque. D’où l’idée d’une pulsion d’attachement (proposée initialement par Didier Anzieu, reprise par B. Golse,) et qui n’a guère de sens, dans la mesure où la théorie de l’attachement a été proposée pour s’abstraire du concept de pulsion, et dans la mesure où la notion de sexualité infantile est centrale dans la théorie freudienne classique ; la notion de pulsion d’attachement devient alors un contre-sens, des deux points de vue. Peter Fonagy commence par un exposé, très concis et précis de la théorie de l’attachement, suivi par un exposé des découvertes essentielles concernant la recherche sur l’attachement. Le troisième chapitre est consacré à la comparaison du modèle de Freud et de celui de l’attachement, avec en particulier un bon exposé des différentes conceptions de l’angoisse, tiré de Bowlby. Mais Bowlby lui-même est encore très peu lu dans le texte en France (sa trilogie est d’ailleurs épuisée), et son style est parfois lourd et difficile à suivre. Ce n’est pas le cas de Peter Fonagy, qui allie une connaissance de l’intérieur des deux théories. Le livre vaut surtout pour l’analyse des différents niveaux de compatibilités entre la théorie de l’attachement, qui est encore unique, et les différents courants psychanalytiques anglo-saxons, tant américains qu’anglais, ou européens, en dehors toutefois de la France. En particulier, Fonagy montre bien comment c’est paradoxalement le modèle kleinien qui se trouve être par certains points le plus proche de celui de Bowlby, du fait que la théorie de Klein, et celle de Bion, sont des théories de la relation d’objet, et ce bien que l’opposition des personnes ait pu être très vive. Mais c’est évidemment avec le groupe des Indépendants Britanniques que les liens sont les plus étroits, alors qu’ils sont assez opposés avec les tenants de la relation d’objet américains, et aussi avec Spitz, qui reste dans le modèle de l’étayage. Fonagy montre bien combien Daniel Stern est un post-bowlbien (ce que nous avions écrit ici, dès la parution de Motherhood Constellation, en 1995, (la Constellation Maternelle). Fonagy aurait pu montrer que Selma Fraiberg l’est encore plus, et il aurait pu rentrer plus en détail dans l’analyse de son œuvre théorique, plutôt que la mentionner comme une application. Les deux derniers chapitres sont remarquables, sur les points communs des deux théories et sur les apports de la psychanalyse à la théorie de l’attachement. On peut regretter le manque de prise en compte de la psychanalyse francophone dans ce livre, en particulier de l’apport pionnier et spécifique de Daniel Widlöcher, qui peut être vu comme un post-bowlbien français, qui remet en question la nécessité de la notion de pulsion, et qui récemment discute des rapports entre sexualité infantile et attachement. Manquent aussi la reconnaissance de l’apport de Myriam David et de Geneviève Appel, pourtant les seules auteurs français cités par Bowlby, et du colloque de René Zazzo, ou encore mention de la position, certes ambiguë, de Serge Lebovici, qui, parmi les premiers des psychanalystes de l’après-guerre prend en compte le point de vue du développement, attire l’attention sur l’intérêt de la théorie de l’attachement et sur les défis qu’elle pose à la théorie freudienne « classique ». Pas du tout non plus de discussion des rapports, effectivement plus que lointains, voire antinomiques, entre attachement et théorie lacanienne, ni de mention des proximités entre Lacan et Winnicott (du point de vue de Lacan). Mais cela, c’est une autre histoire, celle de la psychanalyse française, de son versant structuraliste anti-génétique et anti-développemental.

2Au total, un livre important pour les psychanalystes et les praticiens psychothérapeutes, du fait de l’intelligence de l’analyse entre les divers courants de pensée.

Ce qu’un enfant doit avoir. Ses sept besoins incontournables pour grandir, apprendre et s’épanouir, T. Berry Brazelton et Stanley I. Greespan (Stock Laurence Pernoud, 2001, traduit par Isabella Morel, 317 pages Perseus publishing, 2000)

3Le développement précoce est encore bien méconnu du grand public et même des professionnels, pour ne pas parler des « décideurs ». Ce livre est à cet égard important. Il met ce développement au centre des préoccupations, et parle de façon argumentée, basée sur la clinique, sur la recherche et sur une grande expérience des changements et des constantes en ce qui concerne les risques auxquels les jeunes enfants sont exposés. Remarqué et traduit grâce à Laurence Pernoud, le livre vaut par la qualité de ses contributeurs, Berry Brazelton, qu’on ne présente plus en France, et Stanley Greenspan, qui a fait de nombreux travaux sur l’autisme et les modes de traitement précoces et sur les difficultés tempéramentales et de régulation du traitement de l’information sensorielle et de la régulation de l’affect. J’ai appris en lisant ce livre, parce qu’il donne une vision assez large de l’avis de ces deux grands clinicien sur le développement et ses difficultés. Leur dialogue est toujours intéressant, loin d’un débat idéologique, alors même qu’ils ne sont pas toujours d’accord. Le livre donne un bon aperçu de la théorie des Points forts qui est sûrement l’un des modèles préventifs les plus importants. Il aborde des questions importantes avec les réponses des deux participants sur les effets de la vie en crèche, sur l’impact des changements de personnes ou de situations (divorces), sur les modes de garde conjoints, de façon toujours claire et avec des prises de position explicites. Il y a aussi des questions sans réponses, sur les impacts possibles de l’environnement sur le développement précoce, en particulier à propos de l’augmentation récente des syndromes autistiques.

4Donc un livre pour professionnels, mais aussi à conseiller aux acteurs de la santé en général.

Traité de la folie des femmes enceintes, des nouvelles accouchées et des nourrices et considérations médico-légales qui se rattachent à ce sujet, Louis-Victor Marcé, 1858, J.B. Baillière et Fils, Paris (réédité par l’Harmattan, 2002, 397 pages)

5Il faut saluer l’initiative de la Société Marcé francophone, initiative portée et menée à bien par Abram Cohen, chef du service de pédopsychiatrie de Saint Denis(93) d’avoir réalisé cette réédition du livre de Louis Victor Marcé, l’un des fondateurs, avec Baillarger, de ce que l’on appelle maintenant la psychiatrie périnatale. Ce livre très tôt reconnu comme essentiel fut le dernier écrit par ce pionnier, mort à la tâche à 35 ans, après avoir aussi écrit sur l’anorexie mentale. Les Anglais ont les premiers reconnu la place de Marcé, et son nom a servi d’emblème à la première société scientifique de psychiatrie périnatale, fondée par Ramesh Kumar, récemment disparu, et ensuite à la constitution d’une Société Marcé Francophone actuellement florissante, avec 140 membres. On retrouve dans le livre de Marçé la rigueur de l’école française de psychiatrie du XIXe, avec le souci de la précision de la concision et de l’établissement des faits, le tout dans une langue classique. Cette réédition est faite avec un avant-propos de Jean-Francois Allilaire, président de la Société Marcé Francophone et de Abram Cohen. Elle comporte le texte intégral en fac-similé de l’édition originale, auquel il ne manque que le titre intégral : les considérations médico-légales ne sont en effet pas négligeables dans ce contexte.

Parents psychotiques. Parcours cliniques d’enfant de parents psychiatrisés, Graziella Fava Vizziello, Guiseppe Disnan, Maria Rita Collucci (Médecine & Hygiène, 2001, 216 pages) (Genitori psicotici. Percorsi clinici di figli di pazienti psichiatrici, Bollati Boringhieri, Turin, 1991, 1995)

6Ce livre déjà ancien vient d’être heureusement traduit et publié par Médecine et Hygiène. Il n’a pas pris une ride, et c’est un ouvrage indispensable au pédopsychiatre et au psychologue « de secteur » travaillant dans ou au service du public. En effet, il décrit comment, à quelles conditions et dans quelles limites le service public et l’équipe peuvent au cours du temps faire barrage à l’effet sur le développement de l’enfant de la pathologie mental des parents. Le livre est toujours valide car basé sur une expérience singulière par son cadre et sa durée. Graziella Fava Vizziello a dirigé longtemps une équipe de secteur dans une partie reculée de l’Italie dans la province de Trente. Elle y a fait venir de chercheurs et cliniciens réputés, dont Michel Soulé, et conduit des recherches en utilisant le fait que la population étudiée est relativement stable, et connue, et que ce dispositif public était pratiquement le seul à intervenir dans cette région. L’expérience couvre plus de 14 années et montre l’absence de corrélation directe entre la pathologie parentale et les effets sur la relation. Ce sont les modalités de l’interaction familiale (famille barricadée, famille litigieuse, famille rigide désorganisée, famille dépressive) qui orientent le mieux le style et l’action thérapeutiques et permettent de prédire ses effets. La constance, la présence de l’équipe à travers les divers intervenants sont les meilleurs garants d’un effet protecteur sur l’enfant. Il faut lire en détail la description de la recherche des résultats et des diverses familles : c’est la clinique que nous connaissons. Le rôle de l’équipe de secteur, de sa stabilité, de sa cohérence (capacité à affronter le chaos, à élaborer une position et à s’y tenir, à garder trace et contact) sont essentiels dans la réussite de cette tâche majeure de la pédopsychiatrie. Evaluer le risque pour le développement et les stratégies thérapeutiques pour les enfants de parents malades mentaux (et non pas psychiatrisés comme la traduction, généralement assez malheureuse, l’indique). Au total, un livre référence indispensable à la bibliothèque d’une équipe de pédopsychiatrie et de psychiatrie d’adultes de secteur.

Antoine Guedeney
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Mis en ligne sur Cairn.info le 30/11/-0001
https://doi.org/10.3917/dev.023.0299
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