CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Au printemps 2020, la première vague de Covid-19 a mis en évidence les profondes inégalités résidentielles qui traversent les sociétés européennes (Lambert et Cayouette-Remblière, 2021 ; Launay et Grossetti, 2021 ; Safi et al., 2020 ; Kuhn et al., 2020). En Suisse, où les niveaux de confort du logement sont parmi les plus élevés d’Europe (Eurostat, 2013), ces inégalités restent encore mal connues [2] mais ont ressurgi dans le débat public lors de l’instauration de mesures de « semi-confinement » (encadré 1) [3].

Encadré 1. Les spécificités de la réponse à la pandémie en Suisse

De mars à juin 2020, malgré la mise à l’arrêt de nombreuses activités économiques et culturelles, chaque résident suisse a pu sortir, faire du sport, prendre les transports en commun et rendre visite à des proches − une situation que les autorités et les médias ont décrite comme un « semi-confinement » [*]. La période de semi-confinement à proprement parler a débuté le 16 mars 2020, lorsque la situation a été déclarée « extraordinaire » par le Conseil fédéral. La perspective d’un confinement général a toutefois été définitivement écartée, de même que celle d’un couvre-feu. Le choix de ne pas mettre en place de confinement, qui fait de la Suisse l’un des pays les plus « souples » d’Europe [**] en matière de gestion de la pandémie, ne saurait être imputé entièrement à la performance du système médical ou au plus faible nombre de cas. Au contraire, les cantons de Genève et de Vaud ont été particulièrement affectés par la première vague de la pandémie. À la fin du mois d’avril 2020, le taux de mortalité par million de personnes y était deux fois plus élevé que dans le reste de l’Europe et près de cinq fois plus élevé que dans l’ensemble de la Suisse (Kuhn et al., 2020). Cette politique sanitaire est plutôt à resituer dans un modèle social helvète selon lequel la Confédération et les cantons s’engagent en faveur « de buts sociaux en complément de la responsabilité individuelle et de l’initiative privée » [***]. La gestion de la pandémie a dès lors en grande partie reposé sur l’adhésion des résidents suisses aux recommandations émises par les autorités fédérales [****].

2Alors que la taille du logement et l’accès à un espace extérieur sont apparus encore plus discriminants qu’à l’ordinaire, c’est toute l’organisation de la vie domestique qui a été touchée par la fermeture des écoles et l’adoption du télétravail dans de nombreux secteurs d’emploi. Le logement est devenu le lieu resserré du travail productif et reproductif, tout en constituant dans de nombreux pays le seul espace pouvant accueillir les activités récréatives. Alors que le maintien au domicile est apparu durant ces quelques mois comme « un mode de vie à part entière » (Safi et al., 2020, p. 95), pouvoir se livrer à ses activités de loisirs ordinaires est largement resté le privilège de catégories supérieures « hors d’atteinte », du fait de leurs ressources économiques, de leur cadre de vie et de leur facilité à s’arranger avec le droit (Lambert et Cayouette-Remblière, 2021). L’obligation de rester chez soi est par ailleurs venue travailler les rapports de pouvoir qui se jouent à l’intérieur du logement et exacerber les risques de violences faites aux femmes et aux enfants (Bessière et al., 2020 ; Boring et al., 2020).

3En conséquence de ces bouleversements, les débuts de la crise sanitaire ont été vécus très diversement sur le plan émotionnel. Le premier objectif de cet article est de mieux caractériser les sentiments contrastés que cette situation est venue activer en les rapportant aux positions sociales et aux conditions de logement des individus. Le deuxième objectif est de comprendre ce que ces expériences différenciées de la crise doivent à l’organisation de la sphère domestique. En effet, si les travaux récents montrent que la pandémie exacerbe des disparités sociales anciennes, les effets indissociablement sociaux, spatiaux et émotionnels de la crise sanitaire mettent en jeu une dimension moins connue des inégalités résidentielles : celle des plus ou moins bonnes conditions dans lesquelles les individus peuvent accueillir de nouvelles pratiques et de nouvelles formes d’interaction au sein de leur logement [4]. Cet article part de l’hypothèse que les différences de vécu de la crise s’expliquent en partie par la plus ou moins grande « plasticité » de la sphère domestique.

4Associée au logement, la notion de plasticité apparaît dans deux champs de recherche souvent mis en dialogue : celui de l’architecture, lorsqu’elle étudie les pratiques de construction « flexibles » ou « réversibles » (Eleb, 2013 ; Schneider et Till, 2007) ; celui de la sociologie du vieillissement, dans laquelle l’adaptation du logement favorise le maintien à domicile et offre ainsi une voie alternative à l’entrée dans un établissement spécialisé (Membrado et Rouyer, 2013). Pour M. Eleb, la transformation des modes d’occupation du logement au fil de l’avancement en âge et de la reconfiguration du ménage conduit « à rêver que l’habitat suive, s’adapte, que sa surface augmente ou se réduise selon les moments sans qu’on ait à quitter son espace de familiarisation, son quartier, l’école des enfants, ses voisins-amis, ses commerçants » (Eleb, 2013, p. 79). Une plus grande plasticité ouvrirait ainsi la possibilité d’une « mobilité chez soi », remplaçant la « mobilité externe » (ibid.) : ces termes résonnent particulièrement bien avec les restrictions imposées lors de la première vague de Covid-19. Chez J. Till et T. Schneider (2007), l’habitat flexible est paré de vertus à la fois sociales, économiques et environnementales.

5La notion de flexibilité s’inscrit pourtant dans une idéologie néolibérale intimant les individus à suivre les mouvements du capital dans un monde de plus en plus interconnecté (Boltanski et Chiapello, 2011) [5]. L’objectif de plasticité pourrait, de ce point de vue, renfermer une injonction à l’autonomie dans le contexte d’une transformation du rôle de l’État dans la production de logement, davantage orienté vers le soutien du marché et l’aide individualisée (Abdelnour et Lambert, 2014 ; Pollard, 2010). L’ancrage résidentiel, pourvoyeur de ressources (Collectif Rosa Bonheur, 2019), risque alors de se trouver en contradiction avec le redoublement d’exigences d’adaptation depuis l’intérieur. À rebours de cette perspective, nous retiendrons une définition de la plasticité distincte de celle du projet architectural « réversible », qui rende plutôt compte des arrangements concrets qui se déroulent au sein de la sphère domestique et à travers lesquels les cohabitants composent avec la matérialité contrainte de leur logement (Miller, 2001). Dans une perspective critique, nous définirons donc la plasticité de la sphère domestique comme l’ensemble des possibilités, inégalement distribuées, de transformer et d’ajuster les objets, leur configuration, les relations et les pratiques qui prennent place à l’intérieur du logement.

6Pour explorer cette inégale plasticité de la sphère domestique et la manière dont elle s’articule avec des expériences différenciées de la pandémie en Suisse, l’article s’appuiera sur les résultats d’une enquête quantitative menée en avril 2020 (encadré 2). La première partie présentera une classification des différents vécus de la crise. La deuxième partie analysera la relation entre ces vécus différenciés et les positions sociorésidentielles des individus. Enfin, une troisième partie montrera à quelles transformations des intérieurs et des pratiques récréatives ces différents vécus se rapportent, afin d’éclairer la relation entre expérience de la crise et plasticité de la sphère domestique.

Encadré 2. Méthodes d’enquête et d’analyse

Les données sont tirées d’un questionnaire en ligne diffusé entre le 8 avril et le 10 mai 2020 dans trois langues officielles de la Suisse (le français, l’italien et l’allemand), ainsi qu’en anglais (n = 6 919 [*]). Ce questionnaire est l’une des composantes d’une recherche participative plus large, appelée « Corona Citizen Science » et réunissant des chercheuses de disciplines variées (sociologie, anthropologie, ingénierie de l’environnement et psychologie). L’objectif principal de l’enquête était d’explorer les difficultés pratiques et émotionnelles engendrées par le semi-confinement. La distribution des réponses récoltées ne reflète pas la diversité de la population helvétique, dans la mesure où 91 % des répondants ont choisi la version française du questionnaire, alors que les germanophones comptent pour 62 % de la population du pays [**]. C’est pourquoi l’analyse se concentre sur un sous-échantillon (n = 2 735) de la population des trois cantons de Suisse francophone (Genève, Vaud et Valais). L’échantillon d’origine comprenait par ailleurs une forte surreprésentation des femmes (63 %) et une importante sous-représentation des personnes de plus de 65 ans (4 %). Pour faciliter la compréhension des ordres de grandeur indiqués dans le texte et permettre de mieux rendre compte de la diversité des vécus de la population, l’échantillon a été pondéré de manière à être représentatif en termes de sexe, d’âge et de répartition par canton. L’analyse comporte cependant un point aveugle important, celui des niveaux de revenus, qui n’ont pas pu être maintenus dans la version finale du questionnaire, comme d’autres indicateurs relatifs à la santé, en raison de leur caractère jugé trop sensible par les instances de validation éthique universitaire et cantonale.
Dans un premier temps, nous avons réalisé une analyse en composantes principales (ACP) [***] sur une sélection de 13 variables qui proposaient d’évaluer différentes difficultés nées de la crise sanitaire et du semi-confinement. Ces variables prennent toutes la forme d’une échelle de 1 (« Pas du tout d’accord ») à 5 (« Tout à fait d’accord ») et nous les avons traitées comme des variables continues [****]. Après une rotation varimax [*****], l’ACP a permis de réduire les 13 variables à 4 composantes expliquant 50 % de la variance. Une classification ascendante hiérarchique (CAH) [******] a ensuite été effectuée à partir des scores individuels pour chacune de ces composantes. Elle nous a permis de distinguer six classes qui ont été croisées avec un ensemble de caractéristiques sociodémographiques des individus, leurs conditions de logement et leurs pratiques domestiques. À chaque fois, nous avons testé la solidité de la relation entre les variables par un test du chi2 (avec un seuil de significativité retenu à p = 0,05). Dans le texte ne seront cités que les pourcentages qui s’écartent significativement de la moyenne.
  • [*]
    Nous remercions toutes les personnes impliquées dans ce projet : V. Kaufmann (LaSUR, EPFL), C. Binder (Herus, EPFL), A. Pagani (Herus, EPFL), D. Gatica (Idiap, EPFL) et M. Santiago (Institut de psychologie, Unil). Nous remercions également A. Gumy (LaSUR, EPFL) pour ses relectures et conseils avisés.
  • [**]
  • [***]
    L’ACP a été réalisée à l’aide de la fonction PCAmix du logiciel R.
  • [****]
    Les échelles de Likert constituent des variables qualitatives ordinales de 1 à 5. Bien qu’il ne soit pas possible de vérifier que les intervalles d’un score à l’autre aient la même signification pour les répondants, elles ont été construites ici pour évaluer l’intensité d’un ressenti. Les traiter comme des variables continues empêche de saisir toute la finesse des variations d’un score à l’autre mais facilite leur interprétation.
  • [*****]
    La rotation varimax permet de modifier les composantes afin que les axes se superposent à des ensembles de facteurs corrélés. Il s’agit d’une méthode qui facilite l’interprétation des composantes.
  • [******]
    La CAH a été réalisée à l’aide de la fonction hclust du logiciel R, en appliquant la méthode de Ward.

Les vécus contrastés du semi-confinement

7La pandémie et les mesures sanitaires qui l’ont accompagnée n’ont pas suscité les mêmes types d’émotions au sein de toute la population. La construction d’une classification des vécus du semi-confinement aide à appréhender de quelle manière différents sentiments nés de la crise s’associent et se cumulent. Elle éclaire à ce titre la relation entre les pressions ressenties au sein de la sphère domestiques et le reste des difficultés éprouvées durant le semi-confinement.

Des expériences davantage structurées par les effets sociaux de la crise que par la peur sanitaire

8L’analyse en composantes principales fait ressortir quatre dimensions qui structurent l’expérience du semi-confinement (tableaux 1 et 2). Malgré le contexte relativement souple du semi-confinement suisse (encadré 1), la première composante à ressortir de l’analyse est celle du « sentiment d’isolement ». Elle distingue les personnes qui ont le plus souffert de l’ennui ou du manque d’interactions sociales de celles qui ont moins fait face à ce problème. Elle révèle ainsi les effets différenciés des injonctions à rester chez soi et de la fermeture des lieux de sociabilité.

Tableau 1

Valeur propre et variance expliquée de chaque composante de l’ACP

ComposantesValeur proprePart de la variance totale expliquée (en %)Part de la variance totale expliquée (en % cumulé)
1 : « Sentiment d’isolement »2,41919
2 : « Sentiment de confiance »1,61231
3 : « Sentiment d’accumulation »1,41042
4 : « Sentiment de crainte sanitaire »1,1950

Valeur propre et variance expliquée de chaque composante de l’ACP

Champ : échantillon complet (n = 2 735).
Lecture : 19 % de la variance de l’échantillon est expliqué par la composante « Sentiment d’isolement ». Cumulées, les composantes « Sentiment d’isolement » et « Sentiment de confiance » expliquent 31 % de la variance totale.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 2

Contributions des variables aux quatre premières composantes de l’ACP (en %)

VariableIsolementConfianceAccumulationCrainte sanitaire
La vie collective me pèse2,950,5324,950,65
Je me sens en insécurité par rapport à d’autres membres du ménage*0,380,1111,600,02
J’ai peur de faire du mal à mes proches*3,490,084,898,08
J’ai peur pour ma santé1,522,110,3239,48
Je m’ennuie28,111,210,030,12
Je suis surchargé de travail0,410,0326,181,18
J’assume trop de tâches domestiques ou de travail de soin0,020,2431,030,79
Je manque d’interactions et de contacts physiques37,140,000,370,04
Mes proches me manquent25,190,390,013,09
Je me sens informé sur la maladie0,6522,330,220,00
Je me sens pris en considération par les décideurs politiques0,0234,810,360,76
Je me sens exposé au risque de contamination0,100,100,0245,18
Je me sens confiant dans le système de santé et la recherche médicale0,0138,060,010,60

Contributions des variables aux quatre premières composantes de l’ACP (en %)

* Ces deux variables, qui concernent les situations de violence physique ou psychique au sein du ménage, ne ressortent que dans la cinquième composante. Nous les avons écartées pour préserver une distribution plus homogène des classes obtenues à l’aide de la CAH.
Champ : échantillon complet (n = 2 735).
Lecture : la variable « mes proches me manquent » contribue à 25,19% à la définition de la première composante de l’ACP (« Isolement »).
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

9La deuxième composante montre que le fait d’avoir confiance dans le système de santé, de se sentir suffisamment informé et pris en considération par les pouvoirs publics sont des attitudes qui sont fortement associées entre elles. Cette composante distingue les individus qui partagent un fort « sentiment de confiance » face à la gestion politique et sanitaire de la crise de ceux qui se disent faiblement confiants.

10La troisième composante permet ensuite de saisir les différences individuelles vis-à-vis d’un « sentiment d’accumulation », lié à la combinaison d’une surcharge de travail rémunéré et de tâches domestiques. Le fait que les rapports au travail rémunéré et non rémunéré s’associent dans cette composante met en évidence la plus grande porosité des sphères productive et reproductive [6] durant le semi-confinement. Cette composante suggère également, en lien avec notre hypothèse principale, que les différences de vécu sont fortement liées à la plus ou moins grande concentration des activités au sein du logement et aux conditions plus ou moins favorables dans lesquelles l’espace domestique accueille cette recomposition du quotidien.

11La dernière composante saisit le « sentiment de crainte sanitaire ». Contrairement à la composante de « confiance », elle différencie les individus inquiets pour leur propre santé de ceux qui ne le sont pas ou peu. Le fait que cette composante n’arrive qu’en quatrième position montre que la dimension sanitaire de la crise structure moins fortement les vécus que ses dimensions pratiques et affectives.

12Ces quatre composantes soulignent la diversité des sentiments nés de la crise. Elles mettent en évidence la différence entre les peurs générées par la maladie elle-même et celles associées plus globalement aux conséquences économiques et sociales de la crise. Au travers de l’isolement et de l’accumulation, elles permettent enfin de mieux cerner ce qui a trait aux situations domestiques.

Six classes de vécu du semi-confinement

13La classification réalisée à partir de ces quatre composantes a ensuite permis de faire ressortir six classes de vécu du semi-confinement. Afin de mieux comprendre ce qui fait leur spécificité, ces classes sont projetées sur deux plans factoriels constitués à partir des quatre composantes retenues : le plan « isolement-accumulation » (graphique 1), qui renvoie aux effets du confinement et de distanciation sociale, et le plan « confiance-crainte sanitaire » (graphique 2), qui renvoie aux effets économiques et sanitaires de la crise.

Graphique 1

Projection des six classes de vécu sur le plan factoriel « isolement-accumulation »

Graphique 1

Projection des six classes de vécu sur le plan factoriel « isolement-accumulation »

Champ : échantillon complet (n = 2 735).
Lecture : la classe des « éprouvés », à la valeur la plus élevée sur l’axe vertical, se caractérise par un plus fort sentiment d’accumulation que les autres.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Graphique 2

Projection des six classes de vécu sur le plan factoriel « confiance-crainte sanitaire »

Graphique 2

Projection des six classes de vécu sur le plan factoriel « confiance-crainte sanitaire »

Champ : échantillon complet (n = 2 735).
Lecture : la classe des « méfiants », à la valeur la plus faible sur l’axe horizontal, se caractérise par un plus faible sentiment de confiance que les autres.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

14Dans le cadran supérieur droit du premier plan –(graphique 1) se trouve la classe qui éprouve à la fois un fort sentiment d’isolement et d’accumulation : les « éprouvés » (11 % de l’échantillon). Dans le cadran inférieur gauche se trouve celle qui exprime le moins ces sentiments : les « relâchés » (25 % de l’échantillon). En bas à droite du plan, trois classes partagent un fort sentiment d’isolement et un faible sentiment d’accumulation : les « esseulés » (26 %), les « exposés » (11 %) et les « méfiants » (14 %). La classe des « surchargés » (13 %) se situe à l’opposé du plan. Comme les « éprouvés », ces derniers déclarent de hauts niveaux d’accumulation mais, contrairement à eux, ils n’éprouvent qu’un faible sentiment d’isolement. De plus, ce ne sont pas les mêmes contraintes de travail qui les caractérisent. Alors que la classe des « éprouvés » est d’abord définie par les scores élevés de la variable « tâches domestiques », celle des « surchargés » l’est par la variable renvoyant à l’activité professionnelle.

15Alors qu’ils s’opposaient sur le premier plan factoriel, les « méfiants » et les « éprouvés » se trouvent dans le même cadran supérieur gauche (graphique 2). Ce sont les deux classes qui partagent un fort sentiment de crainte sanitaire et un faible sentiment de confiance dans la gestion de la crise. Les « esseulés » sont, cette fois, dans le cadran opposé et se caractérisent par leur plus forte confiance et leur plus faible crainte sanitaire. Les « exposés » et les « surchargés » sont les deux classes qui partagent une plus forte crainte sanitaire tout en se disant confiantes vis-à-vis de la gestion de la crise. Au contraire, les « relâchés » se disent moins inquiets par rapport à la maladie mais aussi moins confiants.

16Comme le montre le tableau 3, ces différents vécus de la crise sanitaire ne renvoient pas aux mêmes changements émotionnels. Les classes « éprouvés », « exposés », « méfiants » et « esseulés » sont associées aux plus fortes augmentations des sentiments de dépression et aux plus faibles augmentations des sentiments de joie et de sérénité.

Tableau 3

Changements émotionnels par classe de vécu (en %)

Plus souvent dépriméPlus souvent anxieuxPlus souvent joyeuxPlus souvent serein
Éprouvés486244
Exposés325257
Méfiants364755
Relâchés13251314
Esseulés2834710
Surchargés12241414
Ensemble2637910

Changements émotionnels par classe de vécu (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 62 % des « éprouvés » se disent plus anxieux qu’avant, 4 % d’entre eux se disent plus joyeux.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

17La classification montre ensuite que la population ne se différencie pas seulement par l’intensité des sentiments d’isolement, de confiance, d’accumulation et de crainte sanitaire mais également par leurs différentes articulations. La classe des « relâchés », la plus importante de la population, semble avoir vécu le semi-confinement à l’abri de ces différentes épreuves émotionnelles, ce qui va dans le sens des indicateurs de « bien-être » relativement bons établis par une autre enquête pour la même période (Ehrler et al., 2020). Au contraire, la classe des « éprouvés », bien que minoritaire, est celle qui se dit la plus affectée par le semi-confinement. Il s’agit à présent d’interroger les positions sociales et les configurations domestiques auxquelles se rapportent ces différents vécus.

Des expériences socialement situées

18Les enquêtes sociologiques lancées lors de la première vague de Covid-19 pointent les effets du genre, de l’âge et de la classe sociale [7] sur les sentiments d’isolement (Lambert et Cayouette-Remblière, 2021 ; Safi et al., 2020) et d’inquiétude nés de la crise, que ce soit par rapport à ses conséquences économiques (Brülhart et Lalive, 2020) ou sanitaires (Tillmann et al., 2021). L’examen des caractéristiques sociodémographiques (tableaux 4, 5, 6 et 7), des six classes de vécu du semi-confinement confirment ces résultats. Le croisement de ces vécus avec les conditions de travail (tableaux 8, 9 et 10) et les situations résidentielles (tableaux 11, 12, 13, 14) des individus révèle une inégale exposition à la « saturation » de leur logement.

Tableau 4

Répartition des sexes (en %)

HommesFemmesTotal
Éprouvés33,067,0100,0
Esseulés53,646,4100,0
Exposés47,152,9100,0
Méfiants43,856,2100,0
Relâchés54,545,5100,0
Surchargés50,050,0100,0
Total49,051,0100,0

Répartition des sexes (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 56,2 % des individus de la classe des « méfiants » sont des femmes.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 5

Répartition des classes d’âge (en %)

Tableau 5
18-24 25-34 35-44 45-54 55-64 65 et plus Total Éprouvés 16,2 21,5 29,2 15,3 7,6 10,2 100,0 Esseulés 12,8 17,5 15,3 17,2 14,6 22,7 100,0 Exposés 9,8 17,4 17,2 17,5 21,2 17,0 100,0 Méfiants 8,7 21,0 20,2 17,4 13,2 19,4 100,0 Relâchés 7,6 14,5 15,1 19,6 18,2 25,1 100,0 Surchargés 6,4 14,0 19,4 21,1 13,8 25,3 100,0 Total 10,1 17,2 18,2 18,2 15,2 21,2 100,0

Répartition des classes d’âge (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 25,1 % des « relâchés » ont 65 ans ou plus.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 6

Répartition des niveaux de diplômes (en %)*

Tableau 6
École obligatoire Maturité fédérale* Apprentissage Licence Master Doctorat Autre Total Éprouvés 5,6 16,6 20,7 20,4 26,1 6,4 4,2 100,0 Esseulés 2,8 21,7 15,2 19,2 30,1 6,9 4,1 100,0 Exposés 3,1 21,8 21,9 15,7 24,2 6,3 6,9 100,0 Méfiants 6,2 20,3 22,4 13,7 24,8 2,4 10,2 100,0 Relâchés 2,0 16,9 12,8 17,8 32,2 12,3 5,9 100,0 Surchargés 1,9 15,9 17,1 21,2 29,7 8,9 5,3 100,0 Total 3,3 19,0 17,2 18,1 28,7 7,8 5,9 100,0

Répartition des niveaux de diplômes (en %)*

*La maturité est l’équivalent suisse du baccalauréat.
Champ : échantillon complet (n = 2735), non réponses exclues, parts pondérées.
Lecture : 25 % des « méfiants » sont diplômés d’un master.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 7

Expression d’un manque de ressources économiques (en %)

Tout à fait d’accordTotal
Éprouvés15,8100,0
Esseulés2,8100,0
Exposés2,0100,0
Méfiants9,2100,0
Relâchés3,8100,0
Surchargés1,3100,0
Total5,0100,0

Expression d’un manque de ressources économiques (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 15,8 % des éprouvés se disent « tout à fait d’accord » avec le fait de manquer de ressources.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

Les caractéristiques sociales, professionnelles et résidentielles des six classes

Les « éprouvés »

19La classe des « éprouvés », qui dit ressentir à la fois de l’isolement, une accumulation de travail et une faible confiance dans la gestion de la crise, regroupe la population la plus féminine (67 % de femmes) et se compose plutôt de jeunes actifs (67 % ont moins de 44 ans). Elle se caractérise aussi par son plus faible niveau de diplômes (21 % a suivi un apprentissage contre 17 % au sein de l’échantillon) et ressent plus fortement que les autres un manque de capital économique (tableau 7). C’est par ailleurs dans cette classe que le télétravail partiel (11 % des individus de cette classe) ou complet (47 %) a été le plus largement adopté. Ce changement s’accompagne d’une plus forte impression de dégradation des conditions de travail (60 % contre 38 % de l’échantillon en moyenne). En outre, les « éprouvés », qui vivent principalement en couple avec enfants (44 %) ou sans (19 %) sont ceux qui partagent le plus souvent leur espace de vie avec un ou plusieurs télétravailleurs. Leurs tranches d’âge expliquent qu’ils aient plutôt de jeunes enfants et forment en conséquence la classe qui a le plus pris en charge l’école à la maison (43 % contre 26 % dans tout l’échantillon). Enfin cette classe se caractérise par une plus forte rareté des maisons (71 % vit en appartement) et la plus petite taille de leurs appartements (17 % vit dans un cinq pièces contre 27 % dans tout l’échantillon). Elle est la plus encline à exprimer un important manque de confort dans son logement (9,1 % l’affirment contre 2,8 % dans tout l’échantillon).

Les « esseulés »

20Les « esseulés », principalement marqués par un sentiment d’isolement, forment une classe plus masculine (54 % d’hommes) où les jeunes sont surreprésentés (13 % ont entre 18 et 24 ans contre 10 % dans la population). Les jeunes s’associent dans cette classe avec une population plus âgée puisque 23 % ont plus de 65 ans (contre 21 % dans l’échantillon). Les « esseulés » sont plus souvent diplômés du supérieur (56 % de cette classe ont une licence, un master ou un doctorat) et, contrairement à la classe précédente, ils n’expriment que rarement un manque de ressources économiques. En dehors du poids plus important des étudiants et des retraités, leur situation professionnelle ne présente pas de traits particuliers. Cette classe occupe à la fois de petits logements (6,7 % de studios) et de grands logements (31 % de cinq pièces et plus) et les personnes seules et vivant en colocation y sont surreprésentées.

Les « exposés »

21Chez les « exposés », principalement inquiétés par la dimension sanitaire de la crise, la population est plutôt féminine et la répartition des classes d’âge plus équilibrée que dans les autres. Leur situation se rapproche de celle des « éprouvés » en ce qui concerne les bas niveaux de diplômes mais s’en éloigne par la plus faible perception d’un manque de ressources économiques (tableau 7). C’est la classe qui a été la plus concernée par le maintien du travail en présentiel (12,8 %), ce qui coïncide avec l’expression d’une détérioration des conditions de travail (45 % indiquent qu’elles ont empiré). Ces spécificités professionnelles la distinguent davantage que ses conditions de logement qui, en dehors de la plus grande part d’appartements (66 %), ne présentent pas de caractéristiques particulières.

Les « méfiants »

22La classe des « méfiants », qui exprime les plus bas niveaux de confiance dans la gestion de la crise, est plutôt féminine et comprend plutôt de jeunes actifs (44 % ont entre 25 et 44 ans). Elle réunit les personnes les moins diplômées et qui expriment, comme les « éprouvés », un manque de ressources plus important que les autres classes. Bien que minoritaires, les indépendants y sont surreprésentés (6 %), de même que les personnes sans emploi (2 %). Il s’agit des individus qui ont le plus souvent perdu leur emploi du fait de la pandémie (5 % contre 2 % dans tout l’échantillon). Les « méfiants » vivent plus souvent en studio (8,8 %) et plus rarement dans de grands logements (19,5 % contre 27,4 % dans toute la population). Cette situation ne s’associe pas pour autant à un important sentiment de manque de confort.

Les « relâchés »

23Les « relâchés », qui ne déclarent pas ressentir de difficultés particulières, constituent la classe la plus âgée, avec une surreprésentation particulièrement forte des plus de 55 ans (43 % des individus) et une surreprésentation des hommes (55 %). Cette classe se caractérise par les situations sociales les plus favorables. Elle comprend plutôt des diplômés du supérieur (12 % de doctorats contre 8 % dans l’échantillon) qui disent rarement manquer de ressources. Cette classe regroupe une part importante de retraités (20 %) et peu d’étudiants (9 %). C’est par ailleurs celle qui déclare le plus souvent avoir connu une amélioration de ses conditions de travail (33 % contre 22 % dans tout l’échantillon). Les grands logements y sont surreprésentés, alors que cette classe vit globalement dans de plus petits ménages (17 % de personnes seules et 34 % de couples sans enfant). C’est aussi la moins privée d’espace extérieur (contrairement aux « esseulés » qui sont les plus défavorisés de ce point de vue) et celle qui possède le plus souvent un jardin.

Les « surchargés »

24Les « surchargés » représentent la classe la plus équilibrée en termes de genre, tout en se caractérisant par une sous-représentation des jeunes (20 % de cette classe ont moins de 34 ans contre 27 % dans l’ensemble de l’échantillon). Ils sont socialement proches des « relâchés » en termes de niveaux de diplômes et d’appréciation de la situation économique. Ils s’en distinguent par leur ressenti plus marqué d’une surcharge de travail mais leur activité, plutôt en télétravail (pour 44 % des individus de cette classe), se déroule dans des conditions inchangées (40 %) ou meilleures (26 %). Les « surchargés » habitent plus souvent que les autres une maison (47 % contre 40 % dans tout l’échantillon) et des logements de grande taille. Ils expriment très rarement un manque de confort.

Des contraintes pesant plus fortement sur les femmes et les jeunes

25La répartition des classes d’âge au sein de chaque classe (tableau 5) indique qu’une plus forte crainte sanitaire affecte davantage les individus en milieu de parcours de vie (chez les « exposés » en particulier) que les jeunes (les « esseulés ») et les plus vieux (les « relâchés »). Ensuite, comme le montrent d’autres enquêtes (Barhoumi et al., 2020 ; Lambert et Cayouette-Remblière, 2021), l’isolement dû à la pandémie est ressenti à la fois par les plus jeunes et les plus âgés, qui se regroupent au sein de la classe des « esseulés ». Le sentiment d’isolement est par ailleurs plus fortement associé au fait d’être un homme (chez les « esseulés »). La dimension genrée des vécus de la pandémie (tableau 4) apparaît plus encore dans le rapport au travail : alors que le sentiment d’accumulation lié au travail est partagé par les deux sexes (chez les « surchargés »), l’accumulation spécifiquement liée au travail domestique est davantage ressentie par les jeunes femmes (chez les « éprouvés »).

Le diplôme, les ressources financières et la place sur le marché du travail comme protections face à la crise

26Les classes peu diplômées (tableau 6), même si elles ne paraissent pas toutes faire face à un manque de ressource, sont soit les plus exposées à la maladie, soit les plus pénalisées par le transfert des activités professionnelles à la maison. Le diplôme apparaît ainsi comme une protection face à la dégradation des conditions de travail et semble favoriser l’adhésion au télétravail (chez les « surchargés ») lorsqu’il n’est pas conjugué à la prise en charge de jeunes enfants (au contraire de ce qui caractérise les « éprouvés »). Les sentiments plus négatifs des classes à majorité féminine s’associent à des positions économiques (tableau 7) et professionnelles (tableau 8) plus vulnérables, ainsi qu’à une expérience plus pénible du télétravail (chez les « éprouvés » et les « exposés », tableaux 9 et 10).

Tableau 8

Situation vis-à-vis de l’emploi (en %)

Tableau 8
Sans emploi Arrêt temporaire Chômage Étudiant Indépendant Salarié Retraité Total Éprouvés 6,8 1,7 1,1 17,1 7,7 58,6 7,0 100,0 Esseulés 3,2 1,9 1,8 13,1 5,0 54,6 20,4 100,0 Exposés 0,7 1,1 0,2 10,9 6,8 66,6 13,7 100,0 Méfiants 5,1 0,5 2,1 9,9 6,2 58,4 17,8 100,0 Relâchés 3,4 0,8 3,3 9,2 5,0 59,0 19,3 100,0 Surchargés 1,4 0,5 2,0 6,2 7,3 59,9 22,7 100,0 Total 3,4 1,1 2,0 11,0 5,9 58,7 17,9 100,0

Situation vis-à-vis de l’emploi (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), non réponses exclues, parts pondérées.
Lecture : 17,1 % des « éprouvés » sont des étudiants.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 9

Forme prise par le travail (en %)

Tableau 9
Sans emploi Perte d’emploi due à la Covid-19 Télétravail Télétravail partiel Travail en présentiel Autre situation Total Éprouvés 16,8 3,5 46,6 10,7 12,1 10,3 100,0 Esseulés 13,0 3,0 40,4 11,5 8,2 23,9 100,0 Exposés 9,7 1,8 39,8 16,8 12,8 19,1 100,0 Méfiants 16,3 4,6 36,0 7,5 11,6 24,0 100,0 Relâchés 12,8 2,0 41,8 12,6 8,7 22,1 100,0 Surchargés 13,1 0,1 44,4 11,6 11,4 19,4 100,0 Total 13,4 2,5 41,3 11,8 10,2 20,8 100,0

Forme prise par le travail (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), non réponses exclues, parts pondérées.
Lecture : 4,6 % des « méfiants » déclarent avoir perdu leur emploi du fait de la pandémie.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 10

Évolution des conditions de travail (en %)

MeilleuresInchangéesPiresTotal
Éprouvés9,630,360,1100,0
Esseulés17,642,140,3100,0
Exposés19,935,444,7100,0
Méfiants21,738,939,4100,0
Relâchés33,043,523,5100,0
Surchargés25,740,533,8100,0
Total22,239,538,3100,0

Évolution des conditions de travail (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), non réponses exclues, parts pondérées.
Lecture : 33,8 % des « surchargés » déclarent que leurs conditions de travail ont empiré durant le semi-confinement.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

Derrière le confort du logement, une inégale saturation de l’espace domestique

27L’ensemble de l’échantillon se caractérise par des conditions de logement satisfaisantes, ce qui est à l’image des niveaux élevés exprimés avant la pandémie pour la Suisse entière (Eurostat, 2013). Il existe cependant des différences de vécu et de perception du confort (tableau 11), objectivées par la relation entre les classes de vécu, le type de logement et les formes prises par la cohabitation (tableaux 12, 13 et 14). Les « esseulés » et les « méfiants » ressortent comme les classes les plus confrontées aux contraintes de logement en termes de taille et d’accès à un espace extérieur. Certains individus (chez les « éprouvés » et les « surchargés ») semblent faire plus que d’autres l’expérience d’une « saturation de sollicitation », forme d’épuisement ou de stress liée à la démultiplication des postes d’attention et donnant le sentiment de ne pas pouvoir « tenir le rythme » (Pattaroni, 2021). Les « éprouvés » et les « relâchés » apparaissent de ce point de vue comme les groupes les plus opposés : d’un côté, une population plutôt jeune, plutôt féminine et plus souvent étudiante ou sans emploi a subi un cumul de difficultés matérielles et relationnelles ; de l’autre, une population plutôt masculine, plus âgée, plus diplômée et plus souvent retraitée semble avoir été davantage épargnée par la crise durant cette première vague de Covid-19.

Tableau 11

Expression d’un manque de confort dans le logement (en %)

Tout à fait d’accordTotal
Éprouvés9,1100
Esseulés2,4100
Exposés2,2100
Méfiants2,2100
Relâchés1,7100
Surchargés1,7100
Total2,8100

Expression d’un manque de confort dans le logement (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 9,1 % des « éprouvés » qui se sont dits « tout à fait d’accord » avec le fait de manquer de confort appartiennent à la classe des « esseulés ».
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 12

Types de logement (en %)

AppartementMaisonTotal
Éprouvés7129100
Esseulés5941100
Exposés6634100
Méfiants6436100
Relâchés5743100
Surchargés5347100
Total6040100

Types de logement (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735) sans les « autres situations » de logement (0,4 %), parts pondérées.
Lecture : 47 % des « surchargés » vivent en maison.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 13

Type de ménage (en %)

Tableau 13
Colocation Couple avec enfants Couples sans enfant Famille monoparentale Personnes seule NA Total Éprouvés 6 44 19 7 9 15 100 Esseulés 7 35 24 4 19 11 100 Exposés 4 33 28 8 18 8 100 Méfiants 4 29 35 5 18 9 100 Relâchés 3 34 34 5 17 7 100 Surchargés 3 43 27 4 17 6 100 Total 4 36 28 5 17 10 100

Type de ménage (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 19 % des « esseulés » vivent seuls.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 14

Enseignement à domicile (en %)

Prise en charge de l’enseignement d’un ou de plusieurs enfant(s) au domicile
Oui*NonTotal
Éprouvés4357100
Esseulés2179100
Exposés2377100
Méfiants2080100
Relâchés2476100
Surchargés3268100
Total2674100

Enseignement à domicile (en %)

*Que l’enseignement ait été pris en charge directement par la personne, un autre membre du ménage ou une personne extérieure au ménage.
Lecture : 43 % des « éprouvés » ont pris en charge l’enseignement d’un ou de plusieurs enfants à la maison.
Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

28Même s’il a été possible de sortir et de se déplacer librement en Suisse durant la première période de la pandémie, l’enquête confirme bien l’existence d’une relation entre la manière dont a été vécu le semi-confinement et la configuration résidentielle, au sens des caractéristiques matérielles du logement et des relations au sein du ménage. Ces éléments nous invitent à nous pencher plus avant sur la relation entre vécu de la pandémie et transformations de la sphère domestique.

L’inégale plasticité de la sphère domestique

29Après avoir mis en évidence que les expériences du semi-confinement sont socialement situées et se rapportent à des configurations de logement inégales, cette partie analyse la manière dont les différentes classes ont ajusté leur espace et leurs pratiques domestiques durant le semi-confinement.

Les transformations discrètes des intérieurs

30À l’image de la situation observée en France (Ined, 2020), une très large majorité des enquêtés (91 %) ont continué à occuper leur logement principal durant le semi-confinement. Les différentes classes de vécu ne se différencient pas particulièrement de ce point de vue mais il faut noter chez les « relâchés » une tendance plus forte à circuler entre plusieurs logements (tableau 15), qui pourrait, au vu de leurs positions sociales favorisées et de leur âge plus avancé, être attribuée à la possession plus fréquente d’une résidence secondaire.

31La majorité des individus (64 %) n’a ensuite effectué aucun changement particulier au sein de son domicile (tableau 16). Lorsque c’est le cas, il s’agit surtout de changements ponctuels liés à une réorganisation de l’espace au fil de la journée (tableau 17). De même, seulement un tiers des individus ont réalisé des achats spécifiquement liés à la situation de semi-confinement (tableau 15). Après environ un mois de semi-confinement, la plupart des logements semblent donc avoir accueilli les bouleversements du quotidien amenés par la crise sans connaître d’importantes mutations.

Tableau 15

Changement de résidence durant le semi-confinement (en %)

Changement de résidencePas de changementCirculation entre plusieurs logementsTotal
Éprouvés6,691,71,7100
Esseulés5,790,93,4100
Exposés3,993,72,4100
Méfiants5,193,21,7100
Relâchés4,687,87,6100
Surchargés7,988,73,4100
Total5,690,53,9100

Changement de résidence durant le semi-confinement (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), non réponses exclues, parts pondérées.
Lecture : 3,4 % des « esseulés » ont circulé entre deux logements durant le semi-confinement.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 16

Transformations du logement et achats durant le semi-confinement (en %)

Tableau 16
Réaménagements du logement Achats Aucun Un ou plusieurs Total Aucun* Un ou plusieurs Total Éprouvés 51 49 100 64 36 100 Esseulés 66 34 100 72 28 100 Exposés 65 35 100 62 38 100 Méfiants 64 36 100 67 33 100 Relâchés 67 33 100 74 26 100 Surchargés 61 39 100 70 30 100 Total 64 36 100 70 30 100

Transformations du logement et achats durant le semi-confinement (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), non réponses exclues, parts pondérées.
Lecture : 66 % des « esseulés » n’ont effectué aucun réaménagement dans leur logement au moment de l’enquête.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 17

Types de transformations effectuées durant le semi-confinement* (en %)

Déplacement des meublesChangement d’usage des piècesRéorganisation des couchagesChangements au fil de la journée
Éprouvés1723527
Esseulés1412215
Exposés714418
Méfiants1512314
Relâchés1211312
Surchargés1315519
Total1314316

Types de transformations effectuées durant le semi-confinement* (en %)

*Question à choix multiple.
Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 18 % des « exposés » ont changé l’usage de certaines pièces ou meubles au fil de la journée et 4 % d’entre eux ont réorganisé les couchages.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

32La classification permet d’aller au-delà de ce constat et d’interpréter les transformations matérielles de la sphère domestique à la lumière des difficultés spécifiques auxquelles chaque classe a fait face. Les « relâchés » se distinguent par leur plus faible réalisation de transformations et d’achats (33 % contre 36 % dans tout l’échantillon). À l’inverse, les « éprouvés » et les « surchargés » sont ceux qui ont le plus systématiquement effectué des transformations (respectivement 49 % et 39 %). Comme le montre le tableau 18, les premiers, qui ont de plus petits logements, ont plus souvent acheté du matériel informatique (16 % d’entre eux) et des appareils électroménagers (11 % d’entre eux), qui peuvent venir en soutien à la multiplication des activités introduites dans le logement.

Tableau 18

Types d’achats réalisés pendant le semi-confinement (en %)

MobilierAppareils électroménagersMatériel informatiqueMatériel médical et de soin
Éprouvés5111612
Esseulés55115
Exposés471416
Méfiants57177
Relâchés3695
Surchargés75145
Total56137

Types d’achats réalisés pendant le semi-confinement (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 5 % des « méfiants » ont acheté du mobilier durant le semi-confinement et 17 % d’entre eux ont acheté du matériel informatique.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

33La classification vient ainsi souligner les ambiguïtés des transformations de la sphère domestique durant la période de semi-confinement. D’un côté, l’absence de réaménagement important et les faibles sentiments d’inconfort exprimés signalent que le logement détient le plus souvent des propriétés matérielles (une taille suffisante, une distribution des pièces adaptées à la taille du ménage, l’accès à un espace extérieur) qui lui confèrent une capacité de réponse aux nouveaux besoins en termes de cohabitation, de place de travail ou d’occupation des enfants. Plus nombreux sont, en tout cas, les individus qui s’en sont accommodés le temps du premier semi-confinement, probablement avec l’espoir qu’il ne s’agissait que d’une période transitoire et exceptionnelle. D’un autre côté, chez certains groupes, la plus forte instabilité des intérieurs éclaire les contraintes de surface, de cloison, de distribution des pièces ou d’ameublement, qui introduisent des conflits d’usage ou des gênes durables. Les classes les plus contraintes par la configuration de leur habitat et par les formes de la cohabitation (les « éprouvés » et les « surchargés ») sont alors celles qui doivent se livrer à un travail d’ajustement quotidien de leur espace de vie.

L’ajustement du temps libre

34Au-delà des aménagements matériels, le semi-confinement a exigé une adaptation des activités concrètes réalisée au sein du domicile. À l’échelle de tout l’échantillon, il existe une corrélation positive entre l’augmentation du temps consacré aux activités non professionnelles et celle du temps consacré au sommeil, ce qui suggère que l’adoption de pratiques récréatives coïncide avec un relâchement des contraintes sur les horaires (tableau 19). Le temps passé sur les réseaux sociaux fait toutefois exception puisque son augmentation va de pair avec une diminution du temps de sommeil.

Tableau 19

Augmentation du temps consacré aux activités non rémunérées (en %)

Tableau 19
Lecture Télévision et séries Réseaux sociaux Cuisine Activité physique Sommeil Éprouvés 30 57 63 64 24 31 Esseulés 46 64 66 66 25 38 Méfiants 43 61 71 54 20 30 Relâchés 46 44 35 53 25 40 Surchargés 40 44 44 58 18 32 Total 43 54 55 60 23 35

Augmentation du temps consacré aux activités non rémunérées (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 64 % des « esseulés » déclarent avoir augmenté le temps passé devant la télévision durant le semi- confinement et 25 % d’entre eux déclarent avoir augmenté le temps consacré à l’activité physique.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

35De manière générale, c’est le temps consacré à l’activité physique qui a le plus pâti de la période de semi-confinement, ce qui conduit à relativiser les spécificités du semi-confinement suisse. La possibilité de sortir et de se déplacer à travers le pays ne paraît pas avoir permis de compenser la perte d’accès aux équipements sportifs fermés. Le temps consacré à la cuisine est, à l’inverse, celui qui a le plus augmenté durant le semi-confinement, en lien avec la fermeture des cantines d’entreprise, des écoles et des services de restauration rapide. Cela vaut pour 60 % de l’échantillon, quand seulement 2 % déclarent y avoir consacré moins de temps (le reste ne déclarant pas de changement). Le fait de qualifier le temps passé à cuisiner de temps libre pose toutefois question dans la mesure où ce poste d’activité fait pleinement partie du travail domestique. Chez les « éprouvés » et les « surchargés », le temps passé à cuisiner semble davantage relever d’une contrainte car, contrairement au reste de l’échantillon, son augmentation n’est pas corrélée positivement à celle du temps de sommeil. Il pourrait ainsi s’agir d’un surplus d’activité et non d’un report, comme cela semble être le cas pour d’autres classes moins soumises à la surcharge de travail professionnel et domestique.

36Les données relatives aux activités privilégiées dans la période prépandémique (tableau 20), même si elles restent peu détaillées dans le questionnaire, permettent ensuite d’approcher les styles de vie qui ont précédé le semi-confinement et de les comparer aux pratiques adoptées durant le semi-confinement (tableau 21).

Tableau 20

Les dix activités les plus citées pour décrire les préférences avant le confinement (en %)

Tableau 20
Voir des amis Sport en plein air Lire Télé ou séries Spectacle ou concert Cocooning Écouter de la musique Jardiner ou bricoler Sport en intérieur Réseaux sociaux Éprouvés 77 46 36 40 40 36 30 28 22 25 Esseulés 85 58 47 47 43 38 33 30 23 23 Exposés 82 51 38 41 45 44 36 29 22 19 Méfiants 82 52 41 48 34 37 38 31 25 22 Relâchés 59 46 51 46 34 28 34 31 22 17 Surchargés 63 47 46 38 30 33 35 42 19 24 Total 74 50 45 44 38 35 34 32 22 21

Les dix activités les plus citées pour décrire les préférences avant le confinement (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 77 % des « éprouvés » ont cité « voir des amis » comme l’une de leurs activités préférées avant le semi-confinement.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.
Tableau 21

Les dix activités les plus citées pour décrire l’usage du temps libre pendant le confinement (en %)

Tableau 21
Télévision ou séries Réseaux sociaux Lire Écouter de la musique Jardiner ou bricoler Travailler ou étudier Sport en plein air Activité créative Jeux de société Jeux vidéo Éprouvés 62 50 33 35 26 43 18 21 24 20 Esseulés 71 53 49 39 27 30 32 25 24 20 Exposés 62 54 42 41 26 29 24 21 24 14 Méfiants 73 53 46 42 33 29 23 23 23 20 Relâchés 61 34 56 40 35 30 33 27 18 17 Surchargés 54 38 44 38 40 29 29 20 20 14 Total 65 46 47 39 31 31 28 23 22 18

Les dix activités les plus citées pour décrire l’usage du temps libre pendant le confinement (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : pour 20 % des « esseulés », la pratique des jeux vidéo a été l’une des activités les plus réalisées durant le semi-confinement.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

37Chez les « éprouvés », le travail et les études (cité par 43 % de cette classe) semblent déborder nettement plus qu’auparavant sur le temps libre, ce qui montre le caractère particulièrement perturbant de la pandémie pour les ménages en train d’entrer dans la vie adulte, devant gérer les études à distance, la recherche d’emploi ou l’arrivée de jeunes enfants. Ce résultat est également à mettre en relation avec le tableau 22, qui montre qu’il existe chez les « éprouvés », et dans une moindre mesure chez les « surchargés », une plus forte tendance à pointer une absence de temps libre.

Tableau 22

Part des répondants qui disent ne pas avoir de temps libre (en %)

Avant le semi-confinementPendant le semi-confinement
Éprouvés3,08,9
Esseulés0,40,9
Exposés1,62,5
Méfiants1,32,2
Relâchés2,01,8
Surchargés2,25,8
Total1,63,0

Part des répondants qui disent ne pas avoir de temps libre (en %)

Champ : échantillon complet (n = 2 735), parts pondérées.
Lecture : 8,9 % des « éprouvés » déclarent qu’ils ne disposent pas de temps libre au moment de l’enquête, alors que 3 % d’entre eux déclarent qu’ils n’en disposaient pas avant la pandémie.
Source : enquête « Corona Citizen Science », 2020.

38Les « relâchés » citent la lecture comme activité privilégiée dans la période préconfinement (tableau 20) et restent ceux qui déclarent le plus s’adonner à cette activité au moment de l’enquête (56 % d’entre eux contre 47 % dans tout l’échantillon, tableau 21). Ils déclarent aussi moins que les autres ne pas avoir de temps libre (tableau 22).

39Les « esseulés » se présentent comme la classe la plus extravertie avant le semi-confinement. La place des pratiques de sociabilité coïncide avec le profil jeune et retraité de ce groupe (85 % citent le fait de voir des amis). Pendant le semi-confinement, cette classe continue d’accorder une place importante au sport en plein air (32 %) et semble utiliser plus souvent les réseaux sociaux (53 % contre 46 % dans tout l’échantillon). Pour ce groupe caractérisé par un fort sentiment d’isolement, la place des contacts virtuels ne semble cependant pas compenser la perte de liens sociaux.

40En ce qui concerne la période préconfinement, les « méfiants » et les « exposés » déclarent davantage d’activités solitaires ou se déroulant au domicile (cocooning ou télévision). Durant le confinement, la télévision reste un loisir privilégié de même que l’usage des réseaux sociaux. Ils sont moins nombreux à se livrer à la pratique du sport en plein air.

41Les groupes sociaux les plus diplômés et habitant les logements les plus confortables ont davantage pu préserver leur temps libre et le dédier à des activités qu’ils affectionnaient déjà avant le semi-confinement, du fait de leur plus grande adéquation avec le repli sur la sphère domestique. À l’inverse, les plus jeunes (et une partie des retraités), dont l’extraversion est la plus dépendante des lieux de sociabilité fermés durant la première vague de la pandémie, sont ceux qui ont dû le plus transformer leurs occupations et rogner sur leur temps libre. Quant aux groupes de jeunes actifs les plus précaires et les moins diplômés, c’est davantage le manque de temps libre qui a caractérisé l’organisation de leur sphère domestique durant cette période.

Conclusion

42Le croisement des différents vécus de la crise avec les positions sociorésidentielles, les transformations apportées au logement et l’évolution des activités du temps libre montre l’importance, moins souvent pointée par les enquêtes récentes, de la plasticité de la sphère domestique, au sens des conditions inégalement distribuées d’ajustement à l’arrivée soudaine de contraintes sociales, matérielles et spatiales. Il ressort de l’analyse que les personnes ayant eu à faire face à un cumul des difficultés émotionnelles sont celles qui sont le plus intervenues sur leur intérieur et ont le plus modifié leurs pratiques domestiques. Au contraire, les plus faibles sentiments d’accumulation, de crainte et d’isolement sont allés de pair avec une préservation de l’état du logement et des routines domestiques.

43Derrière les inégalités résidentielles liées aux propriétés structurales des logements (surface, typologie, orientation, espace extérieur) se cacherait ainsi une inégalité plus difficile à cerner par la statistique : celle de la possibilité d’accueilir de nouvelles formes de liens sociaux et de nouveaux usages imposés dans l’urgence par la crise. En lien avec la taille du logement, la plasticité est davantage un acquis des ménages aux conditions sociorésidentielles plus favorisées tandis que les catégories les plus jeunes, les plus exposées à la précarité et les plus féminines doivent davantage s’engager dans un travail de mise en adéquation de leur logement pour faire face à la crise. Il nous semble que ce résultat est d’autant plus intéressant qu’il est produit dans un contexte suisse marqué par une plus grande liberté de sortir qui soulage potentiellement la sphère domestique. Ces éléments invitent à explorer plus avant, à l’aide de méthodes ethnographiques, ce que recèlent les ajustements des catégories les plus éprouvées par la crise et comment ces transformations ont été repensées au cours des mois qui ont suivis la première vague de Covid-19.

Notes

  • [1]
    Le contenu de cet article n’engage que ses autrices.
  • [2]
    Les enquêtes sur le logement portent sur des secteurs spécifiques du marché du logement ou certains groupes sociaux (par exemple les gentrifieurs ; voir Rérat et Lees, 2011) mais nous n’avons pas connaissance de travaux examinant finement les inégalités de logement au sein du pays.
  • [3]
    Dans les médias, voir par exemple : www.rts.ch/info/suisse/11235798-les-inegalites-sociales-se-trouvent-exacerbees-par-la-crise-du-covid19.html (consulté le 10 septembre 2021). L’association suisse des locataires a par ailleurs alerté sur la situation des locataires : www.asloca.ch/blog/la-crise-du-coronavirus-rend-les-locataires-suisses-anxieux-sur-la-perte-de-leur-logement/ (consulté le 10 septembre 2021).
  • [4]
    Cette réflexion s’inscrit dans le projet de recherche « Domotopie. Chez soi dans un monde en mouvement », dirigé par L. Pattaroni (Laboratoire de sociologie urbaine, École polytechnique fédérale de Lausanne) et financé par le Fonds national de la recherche suisse (n° 192831). Ce projet explore les recompositions de la sphère domestique sous l’effet de la transformation des rythmes de vie contemporains.
  • [5]
    Les réflexions sur les rapports entre transformations du marché du travail et habitat flexible sont abordées dans la thèse (en cours) de Fiona del Puppo (LaSUR, EPFL).
  • [6]
    La sphère reproductive renvoie au travail domestique incluant les tâches domestiques mais aussi l’ensemble des activités de soin assurant la reproduction de la famille. La division sexuelle du travail se traduit par l’assignation des femmes à cette sphère reproductive (Kergoat 2001).
  • [7]
    Bien que nous ne disposions pas de mesure objective des revenus (encadré 2), nous avons approché les différenciations sociales à partir du niveau de diplôme, de la place sur le marché du travail et d’une perception du manque de ressources sur une échelle de 1 à 5.
Français

Cet article examine le vécu de la crise sanitaire en Suisse lors de la première vague de Covid-19. Il analyse les résultats d’un questionnaire en ligne diffusé en avril 2020 dans le cadre d’une recherche pluridisciplinaire (« Corona Citizen Science »). L’originalité de l’approche adoptée ici est d’inclure dans la question des inégalités résidentielles au temps du Covid-19 celle de la « plasticité » de la sphère domestique, au sens des possibilités, inégalement distribuées, de transformer et d’ajuster les objets, les relations et les pratiques qui prennent place à l’intérieur du logement pour faire face à la crise. Il ressort de l’analyse que les personnes confrontées à un cumul des difficultés sont celles qui sont le plus intervenues sur leur intérieur et ont le plus modifié leurs pratiques domestiques. Au contraire, l’absence de fortes contraintes est allée de pair avec la préservation de l’état du logement et des routines domestiques. L’étude de cette situation inédite montre que la plasticité est davantage un acquis des ménages aux conditions sociorésidentielles plus favorisées tandis que les catégories les plus jeunes, les plus exposées à la précarité et les plus féminines doivent s’engager dans un travail de mise en adéquation de leur logement pour faire face aux imprévus.

  • Covid-19
  • logement
  • inégalités
  • plasticité
  • Suisse
  • enquête « Corona Citizen Science »

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Garance Clément
Post-doctorante, Laboratoire de sociologie urbaine (LaSUR), École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Laurie Daffe
Post-doctorante, LaSUR, EPFL.
Livia Fritz
Post-doctorante, Human-Environment Relations in Urban Systems (HERUS), EPFL [1].
  • [1]
    Le contenu de cet article n’engage que ses autrices.
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