1Entre mars et mai 2020, la crise sanitaire de la Covid-19 a entraîné sur le territoire français un confinement réglementé par décrets et réduisant pour chacun l’espace physiquement accessible. La réduction a été spatiale – dans un rayon d’un kilomètre du lieu de résidence –, temporelle – limitée à une heure – et qualitative – par la fermeture de la majorité des lieux ouverts au public. L’espace parcouru s’est recentré sur le logement et son voisinage proche lors de sorties de courte durée. Ce premier confinement a amorcé une série de mesures complémentaires de lutte contre la pandémie et a été le plus strict, en comparaison avec les confinements qui ont suivi fin 2020 et début 2021.
2Le séminaire de cartographie sensible (encadré) de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) [2] s’intéresse à l’expérience individuelle de l’espace et à sa représentation cartographique. Le premier confinement a été un contexte inédit pouvant être abordé comme un ensemble d’interdits et de contraintes traduisibles spatialement. Il a conduit à interroger les réactions des individus face à une limitation des parcours et des pratiques ainsi qu’à questionner les perceptions et émotions éprouvées dans une situation inconnue de pandémie. Aussi, le séminaire a proposé à ses participants un exercice visant à formaliser et représenter leur espace de vie tel que vécu et perçu, dans le cadre d’une méthode d’enquête s’appuyant sur la cartographie sensible. L’espace vécu englobe l’espace habité, occupé, traversé par un individu ou un groupe (Mazurek, 2013). L’espace perçu est celui qui est capté par les sens et via les capacités cognitives de chaque individu qui conditionnent son rapport au monde (Merleau-Ponty, 1945 ; Bailly, 1991 ; Casati, 2002). La manière dont l’espace est vécu et perçu dépend de l’expérience passée de chacun et est associée à des émotions, sentiments, opinions. L’exercice a par ailleurs permis une expression personnelle des participants, lors de ces circonstances mondiales.
Encadré. Qu’est-ce que la cartographie sensible ?
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Nous appelons « cartographie conventionnelle » ce qui relève de la cartographie euclidienne de style occidental, telle qu’elle a été formalisée dès la moitié du xviiie siècle par les travaux de Cassini en s’appuyant notamment sur la géodésie et la topométrie.
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[**]
http://cores.pro/ (consulté le 30 juin 2021).
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http://polau.org/ (consulté le 30 juin 2021).
3Dans cet article, nous proposons de documenter, à travers des cartes, le logement et l’espace qui lui est associé, tels que vécus et perçus pendant le confinement. Dans une première partie, l’expérimentation de cartographie sensible menée avec les participants du séminaire est décrite. Dans une deuxième partie, les analyses des cartes sont synthétisées. La dernière partie offre une discussion quant aux opportunités et limites d’une telle expérimentation à enquêter sur les effets induits par le confinement.
Description de l’expérimentation de cartographie sensible pendant le confinement
4Le programme pédagogique du séminaire s’organise autour d’une série d’expérimentations réalisées par les participants. Cette approche pratique a pour but de tester la méthode de cartographie sensible lors de contextes, de mises en œuvre et donc de protocoles définis différents. Les participants peuvent être enquêteurs, enquêtés ou rapporteurs graphiques selon les expérimentations. Ils sont ainsi amenés à identifier les possibilités et les limites de la méthode, en particulier au regard des enquêtes qu’ils conduiront lors de leurs futures recherches. Dans cette partie sont présentées la définition et la réalisation du protocole relatif au confinement, la description des participants et du corpus de cartes recueillies, puis la méthode d’interprétation des cartes.
Le protocole défini et réalisé
5Le protocole défini afin de cartographier l’espace de vie tel que vécu et perçu pendant le confinement constitue l’ensemble des caractéristiques du processus cartographique adapté à la représentation sensible de cet espace. Ces caractéristiques permettent également une analyse a posteriori comparative et synthétique des productions par les enquêteurs. Une première caractéristique fixe le rôle des participants, qui ont été à la fois enquêtés et cartographes. Une deuxième caractéristique concerne les informations ciblées par la cartographie, leur spatialisation et leur temporalité. Il s’agissait d’effectuer une sélection personnelle et libre d’éléments de l’environnement spatial observé ou remémoré, ainsi que d’informations sensibles. La spatialisation de ces informations pouvait être normalisée, par exemple dans un plan existant, ou sans métrique autre que la perception personnelle. Les cartes devaient être diachroniques afin de rendre compte des changements induits au cours du confinement. Enfin, la caractéristique du protocole relative aux supports et aux choix graphiques a été laissée ouverte à toutes propositions. Le dessin des cartes pouvait être effectué à main levée ou avec un logiciel et combiner plusieurs techniques et matériaux.
6L’expérimentation s’est réalisée entre fin mars et début mai 2020. Le protocole a d’abord été présenté aux participants oralement par les organisateurs-enquêteurs lors d’une première séance en ligne. Les organisateurs se sont tenus à disposition pendant les séances suivantes, bimensuelles et pareillement en ligne, afin de préciser les consignes et discuter des idées proposées par les participants, sans intervenir directement dans les options retenues de construction des cartes.
Les participants à l’expérimentation et le corpus de cartes
7Les participants, au nombre de quinze (treize femmes et deux hommes), étaient étudiants en master ou en doctorat, de sociologie (principalement), d’urbanisme et de géographie. La majorité n’avait pas suivi d’enseignement en cartographie et seuls quelques-uns avaient déjà utilisé un système d’information géographique qui permet de produire des cartes à partir de bases de données numériques. Pendant le confinement, un tiers d’entre eux résidait dans un environnement rural, deux tiers en région parisienne. Un cinquième logeait en maison, les autres dans un appartement. Un quart des participants était des étudiants étrangers parlant français et restés en France pendant le confinement.
8Chaque participant a produit une carte. Les cartes sont constituées d’un ou de plusieurs éléments graphiques, non nécessairement strictement cartographiques mais possédant un ancrage spatial. Les éléments graphiques produits sont des dessins cartographiques ou non, des photographies, des enregistrements sonores ou vidéo, des assemblages textiles. Les 15 cartes contiennent au total 70 éléments graphiques. Les cartes peuvent être réparties dans la typologie suivante déterminée en fonction des éléments contenus : un dessin cartographique unique (2 cartes), plusieurs dessins cartographiques diachroniques ou thématiques (5), un ou plusieurs dessins cartographiques associés à au moins un autre type d’élément graphique (5), des photographies uniquement (2), un dessin non cartographique (1). Les cartes sont donc en grande partie des juxtapositions et superpositions d’éléments. Par ailleurs, la majorité des dessins cartographiques ont été dessinés à main levée. Chaque carte est accompagnée d’un texte explicatif décrivant son contexte, son contenu et argumentant la sélection d’information et les choix graphiques. Cartes et textes ont été versés au carnet en ligne du séminaire [3].
La méthode d’interprétation des cartes
9Les cartes du corpus rendent compte du point de vue personnel des participants, enquêtés et cartographes, sur leur espace de vie pendant le confinement. Elles ne sont pas guidées par la transmission d’information ni par la lecture par un tiers. Cependant, les liens existent entre l’espace et sa représentation cartographique. De plus, le nombre important d’éléments graphiques et leur expressivité fournissent autant d’indices de compréhension des cartes. La méthode d’interprétation retenue a été d’annoter les productions à partir d’une grille d’analyse définie pour l’expérimentation et qui s’appuie sur les étapes du processus cartographique (Béguin et al., 1994) : l’emprise de la carte, les informations décrivant les éléments physiques, thématiques, sensibles ; leur spatialisation ; la symbolisation ; l’échelle et les niveaux de détail. La grille possède des critères cartographiques mais, appliquée au corpus, elle renvoie une caractérisation de l’espace de vie et de sa perception pendant le confinement. L’interprétation des cartes s’est également appuyée sur le matériel complémentaire fourni par les participants : légendes des cartes, titres, textes explicatifs. Des explications orales suscitées par les questions des autres participants ont aussi été fournies par les cartographes lors des séances du séminaire.
Caractérisation cartographique des espaces de vie et des usages associés
10L’analyse effectuée à partir de la grille peut être synthétisée selon trois thèmes particulièrement traités dans les cartes des espaces de vie pendant le confinement. Le premier thème concerne la représentation des règles d’accessibilité, dont la traduction spatiale est déclinée en fonction des situations. Le deuxième s’attache aux indices correspondant au vécu et à la perception pour analyser la représentation du logement (séparé et indépendant [4], composé d’un intérieur et, dans certains cas, d’un extérieur) et de son dehors (espace accessible par tous ou dans le cadre d’une copropriété). Enfin, le troisième étudie les usages, c’est-à-dire les manières d’utiliser et d’organiser l’espace (Hersemul, 2016), qui ont été réorganisés par le confinement.
Représentation des règles d’accessibilité
11Dans le corpus, trois types d’espace sont observés, correspondant à la traduction spatiale dans l’espace de vie des mesures de confinement : l’espace inaccessible, l’espace accessible sous condition et l’espace toujours accessible (image 1).
Trois types d’espaces représentés selon leur accessibilité pendant le confinement

Trois types d’espaces représentés selon leur accessibilité pendant le confinement
12L’espace inaccessible est évoqué dans la moitié des cartes, grâce à des éléments ponctuels, personnels (mention de villes connues, comme les lieux de résidence de personnes proches affectivement en image 1.a ; dessin ou photo des membres de la famille, d’amis) ou diffusés par des médias (photo d’un écran de télévision, vidéo récupérée sur Internet). Ces éléments sont positionnés par rapport aux deux autres types d’espaces sans rendre compte des localisations réelles ; ils y sont connectés par des liens affectifs et communicationnels, numériques notamment, qui sont symbolisés par des pointillés. L’espace accessible sous condition est spatialisé dans deux tiers des cartes (dessin des lieux dans le voisinage du logement en image 1.b). Les emprises cartographiées englobent ou approchent les limites d’accessibilité réglementaires à 1 km du logement, ces dernières étant ou non tracées. Le tiers restant des cartes se limite au seul espace toujours accessible, c’est-à-dire le logement (image 1.c) et les éléments perçus depuis le logement (un arbre de la rue, bruit de voisinage). L’espace, quelle que soit son accessibilité, est caractérisé par des informations ou des éléments recueillis in situ par le cartographe (observation présentielle mobilisant un ou plusieurs sens – vue, odorat, son –, constitution d’un herbier) ou grâce à des sources externes (photos aériennes, fonds de carte institutionnels).
13Les cartes ont privilégié des distances cognitives (perçues) plutôt que des distances euclidiennes. Par exemple, au-delà du kilomètre, les différences entre distances s’effacent puisque tous les lieux y sont, uniformément, physiquement inaccessibles. Alors que la limite réglementaire du kilomètre n’avait pas de concrétisation physique sur le terrain, sa cartographie, explicite ou non, permet de relever son importance. L’examen des cartes montre par ailleurs que cette limite est parfois renforcée par des restrictions personnelles, jusqu’à circonscrire l’espace parcouru au seul logement, par réaction à la situation (confirmé par les textes explicatifs des cartes). Ainsi, les cartes montrent que les règles d’accessibilité ont fortement influencé le rapport à l’espace des individus, en annulant des déplacements ainsi qu’en supprimant leur potentialité. Cette observation peut être reliée aux résultats de l’étude Coronavirus et confinement enquête longitudinale (Coconel) qui a montré que le sentiment d’isolement a plus que doublé dans la population française pendant le confinement (Lambert et al., 2020). Ce résultat est à nuancer en fonction de plusieurs paramètres (type d’habitat, composition du ménage) mais il est certainement alimenté par une perte d’accessibilité aux lieux.
Le logement et le dehors, vécus et perçus
14Dans les cartes, le logement constitue un invariant, quel que soit le niveau de détail. Sa représentation cartographique diffère selon que l’espace représenté se limite ou non au logement. Lorsque le logement est l’élément unique ou majoritaire de la carte, les précisions cartographiques témoignent d’une observation prolongée. Sa configuration intérieure est détaillée, donnant accès à l’intimité du cartographe. Des lieux en frontière du logement (fenêtre, balcon, jardin) sont représentés. Ils sont utilisés pour l’observation du dehors et permettent des perceptions diversifiées et amplifiées (odeurs depuis une fenêtre ouverte, en image 2.a, sons, luminosité), contribuant ainsi à un élargissement de l’espace vécu.
Représentation de l’espace vécu par la perception et par la sélection des lieux importants

Représentation de l’espace vécu par la perception et par la sélection des lieux importants
15Lorsque la représentation montre majoritairement le dehors, le logement est toujours représenté par un symbole de taille restreinte, figuratif ou non (carré plein noir dans l’image 2.b). Les symboles choisis montrent la catégorisation des lieux, outre le logement, effectuée par le cartographe : éléments physiques habituellement cartographiés (bâtiments, routes) ; éléments physiques accompagnés d’informations saillantes dans le contexte (commerces ouverts ou ceux fermés, image 2.b) ou importantes pour le cartographe dans le mode d’exploration induit par le confinement (espaces verts parcourus) ; zones dont la perception est modifiée ou amplifiée par la pandémie (zones de rencontre propices à la contagion, hôpitaux). Le logement constitue ainsi un repère partagé en tant que point d’ancrage du confinement, localisé ou non par rapport à son dehors. Il s’articule avec d’autres repères représentés qui, bien que temporaires, concrétisent l’expérience du confinement.
16Le confinement a contraint la possibilité d’expérimenter l’espace mais, paradoxalement, a enrichi cette expérimentation. La sélection des informations et la catégorisation nécessitées par la représentation cartographique permettent au cartographe de mettre en avant les repères significatifs pour lui et, ainsi, de rendre compte de sa perception de l’espace. Ces repères peuvent être spatiaux. Le logement est représenté avec son intérieur et son extérieur, ou bien par opposition au dehors. Entre ces espaces existent des lieux frontières, qui constituent des sas et sont associés à des pratiques spécifiques (observation). Le cas échéant, ils permettent de lutter contre le sentiment de surpeuplement, nettement plus fort chez ceux dont le logement est petit et ne dispose pas d’espace extérieur (Lambert et al., 2020). Les repères sont également thématiques (horaires d’ouverture, interactions sociales), temporels (croissance printanière de la végétation), perceptifs (odeurs, sons). Ces types de repères se retrouvent dans plusieurs cartes et constituent donc des points d’intérêt partagés.
Les usages réorganisés par le confinement
17Les usages des lieux, et les pratiques qui les définissent, ne sont pas des informations facilement spatialisables dans une carte. La cartographie sensible offre un cadre qui facilite leur restitution en autorisant des formes diverses de représentation. Dans le corpus, les usages cartographiés sont ceux de l’enquêté-cartographe (principalement), ou ceux qu’il observe chez des personnes familières ou inconnues. La majorité des pratiques représentées sont individuelles (lecture). Quelques pratiques collectives ressortent, à distance (applaudissements) ou non (initiatives citoyennes, entraide). Des pratiques sont, selon les cas, individuelles ou collectives (sport). Des déplacements et des flux sont largement cartographiés : parcours personnels symboliquement sinueux et répétitifs dans le logement, itinéraires extérieurs, mouvements de piétons affairés. Alors que le dehors correspond à des usages cochés dans l’attestation obligatoire de sortie (prendre l’air, courses), le logement concentre les usages d’avant le confinement, et qui se sont intensifiés (devoirs, repas), ainsi que ceux rapatriés du dehors (cours universitaires, certaines pratiques sportives). Un même lieu peut accueillir dans le temps plusieurs usages (balcon utilisé pour l’observation et la détente), aussi les productions restituent cette multiplicité en juxtaposant les éléments graphiques correspondant à des dates successives. De mêmes usages sont représentés dans plusieurs cartes, localisés dans des types de lieux différents. La pratique sportive peut être située dans le logement (image 3.a), dehors à l’emplacement d’équipements dédiés (image 3.b) ou encore dans les rues et espaces verts (image 3.c).
Multiplicité des cartographies d’un même usage

Multiplicité des cartographies d’un même usage
18Les cartes transmettent une sélection d’usages qui se sont adaptés au confinement en se déplaçant dans l’espace. Le confinement a augmenté la coprésence dans les logements (Lambert et al., 2020). En conséquence, et quelle que soit la taille des logements, les usages et leurs modalités y ont été modifiés. Ils ont pu être relocalisés afin que personne ne gêne ou ne soit gêné. Les usagers représentés et ceux correspondant aux usages cartographiés se différencient par la localisation de leur espace de vie mais ils partagent des pratiques qui s’avèrent similaires parce qu’elles répondent aux restrictions. En parallèle, des pratiques personnelles nouvelles ont pu émerger (observation prolongée à la fenêtre, attention à la faune et à la flore) qui préfigurent des processus d’appropriation (Fischer, 1978).
Opportunités et limites de la cartographie sensible comme méthode d’enquête
19L’expérimentation présentée donne un éclairage perceptif et sensible sur les effets du confinement. Les apports de la méthode de cartographie sensible ont pu être clairement identifiés, regroupés autour de l’accès à la connaissance de situations individuelles et de la restitution d’informations sensibles. Ils sont nuancés par des limites liées aux conditions du séminaire ou intrinsèques à la méthode.
La description de situations individuelles, un complément aux études statistiques
20La cartographie sensible comme méthode d’enquête relève d’une démarche commune en sciences humaines où un épisode complexe, comme le confinement, est approché par la description de situations individuelles. Elle s’intègre aux collectes des mémoires du confinement [5] et aux projets de recherche s’appuyant sur des témoignages (Didier, 2021). De telles démarches complètent les études de cohortes et les analyses statistiques qui visent la représentativité (Gaille et al., 2020 ; Lambert et al., 2020 ; Arsandaux et al., 2021).
21L’objectif de l’expérimentation était d’identifier les éléments saillants des espaces vécus et perçus, significatifs pendant le confinement. Même si les espaces de vie n’ont pas d’intersection spatiale, les expériences personnelles font écho entre elles, comme l’indiquent des éléments similaires présents dans plusieurs cartes, et dessinent le confinement comme un marqueur temporel partagé. Les caractéristiques socioprofessionnelles des participants n’ont pas été questionnées. Cependant, les situations décrites par les cartes sont variées : confinement en milieu rural ou en ville, seul ou à plusieurs (couple, famille, colocation), chez soi ou accueilli ailleurs, français ou étranger, cumulant ou non une activité professionnelle, en télétravail ou non.
22Une limite de la cartographie sensible est son coût en temps d’enquête, ce qui a pour conséquence un nombre restreint d’enquêtés, et donc de cartes. Par ailleurs, la diversité, en contenu et support, des cartes créées nécessite leur examen individuel et une formalisation ad hoc des critères d’analyse, ce qui complique leur réutilisation pour d’autres enquêtes.
L’expression cartographique d’informations sensibles
23Parmi les apports de la cartographie sensible, la spatialisation des informations requise par la carte est particulièrement adaptée à la représentation du phénomène d’abord spatial qu’est le confinement. Les cartes issues de l’expérimentation ont rendu visibles des adaptations temporaires du logement et du parcours dans le voisinage, fondées sur la pratique de chacun pendant le confinement et sur une observation attentive (Gangloff et al., 2020).
24Pendant cette période, la population a eu accès à une information continue et focalisée sur la pandémie. Monothématique, elle était verbalisée et accompagnée de schémas, de courbes, de cartes de la situation épidémique et elle a pu être subie (comme en ont témoigné les participants). A contrario, l’exercice proposé a permis un temps d’arrêt, choisi par les participants, afin qu’ils identifient les informations pertinentes pour eux, et donc sensibles, et les expriment par une carte, avec l’avantage d’une vision synoptique contrairement à un texte lu ou écouté.
25La méthode de cartographie sensible favorise une démarche créative à la fois construite, à cause des exigences de la formalisation nécessaire à la représentation, et spontanée, sans objectifs d’exhaustivité ni de compréhension partagée de l’information représentée. Chacun a pu créer une représentation cartographique s’appuyant sur une sémiologie personnelle. L’abandon du cadre rassurant et contraint de la théorie de la cartographie conventionnelle force toutefois les enquêtés à trouver des solutions cartographiques adaptées à leur intention. Le succès de l’expérimentation a été possible grâce à la créativité individuelle et à la disponibilité des participants à conceptualiser et produire des cartes.
Conclusion
26La perception constitue une clé de compréhension de l’utilisation et du parcours de l’espace, ainsi que des attentes des individus concernant l’aménagement du territoire et en particulier le logement. La méthode de cartographie sensible permet d’enquêter sur cette perception et peut accompagner des questionnaires et des entretiens. Son déploiement est un complément aux études statistiques, afin d’en préciser, qualifier et nuancer les tendances quantitatives. Même si, comme dans toute méthode d’enquête, la collecte d’information s’appuie sur la définition préalable d’un protocole approprié à l’étude, l’aspect sensible des informations visées peut amener les enquêtés à prendre des initiatives quant aux sujets abordés et aux formes cartographiques créées. La portée analytique des informations collectées peut en être limitée en représentativité, mais enrichie par leur contextualisation et leur détail.
Notes
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[1]
Le contenu de cet article n’engage que ses auteurs.
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[2]
Les ateliers de cartographie sensible sont tenus à l’EHESS depuis 2016. Ils proposent de réfléchir à la construction de méthodologies d’enquête intégrant un protocole de recueil de données sensibles et perceptives spatialisées : http://psig.huma-num.fr/cartes-sensibles/ (consulté le 22 septembre 2021).
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[3]
Le carnet en ligne du séminaire regroupant les cartes des participants : http://psig.huma-num.fr/cartes-sensibles/category/confinement/ (consulté le 30 juin 2021).
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[4]
Ces qualificatifs sont conformes à la définition de l’Institut national de statistique et des études économiques (Insee).
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[5]
https://francearchives.fr/fr/actualite/224765841 (consulté le 30 juin 2021).