Introduction [2]
1Au-delà de ses enjeux sanitaires, la crise de la Covid-19 a creusé les inégalités de genre dans de nombreux domaines. Sur le marché du travail, les recherches récentes conduites aux États-Unis et en Europe montrent que les femmes ont plus fréquemment perdu leur emploi que les hommes ou qu’elles se sont plus souvent arrêtées pour prendre en charge le travail domestique et parental pendant la fermeture des écoles (Alon et al., 2020 ; Cortes et Forsythe, 2020 ; Heggeness, 2020 ; Collins et al., 2021). En France, où la première vague épidémique a été forte, les mesures de confinement, strictes et la récession, marquée relativement au reste de l’Europe [3] (OxCGRT, 2020), les femmes ont vu leur situation économique et professionnelle se dégrader davantage que celle des hommes, avec des pertes de revenus et des arrêts d’emploi plus fréquents. En outre, elles ont été confrontées à l’essor des doubles journées (Barhoumi et al., 2020 ; Albouy et Legleye, 2020 ; Lambert et al., 2020).
2Comme tout événement exceptionnel [4], l’épidémie de Covid-19 a également bousculé les organisations domestiques et renforcé le rôle de la sphère privée. En imposant un repli sur le foyer et en réduisant les espaces de sociabilité extrafamiliale, les mesures de confinement ont fait du logement un pivot central de la vie quotidienne, à la fois support et condition du déroulement de nombreuses activités. Ainsi, en France, après la fermeture des écoles dès le 16 mars 2020, un confinement national a été décrété du 17 mars au 11 mai 2020 [5], encadrant strictement les mobilités quotidiennes, l’accès aux commerces, au travail, à l’espace public. Les familles ont également dû s’adapter à l’arrêt des services de garde et d’aide fournis habituellement par les grands-parents, le voisinage, les collectivités ou le secteur privé.
3Paradoxalement, en dépit de l’enjeu central que représente le logement face au fait épidémique et aux mesures d’endiguement du virus, les grandes enquêtes statistiques produites pendant la crise sanitaire abordent peu la question des conditions de vie pour se centrer sur l’emploi, les revenus, le chômage partiel ou encore le travail domestique [6]. L’objectif de cet article est de combler cet angle mort en revenant sur les disparités de conditions de logement en confinement en France métropolitaine en fonction du genre, de la structure familiale et de la classe sociale (encadré).
4Le logement constitue le premier cadre de vie des individus aux caractéristiques plus ou moins protectrices (surface, équipement, coût, localisation), reflétant en grande partie la position sociale du ménage (Bourdieu, 2000 ; Authier et al., 2010). Il est aussi un espace qui fait l’objet de représentations et de luttes d’appropriation en son sein pour son usage et son contrôle, pouvant générer des tensions en fonction du sexe et de la position dans le groupe domestique (Schwartz, 1990 ; Lambert et al., 2018 ; Bessière et Gollac, 2019). Les logiques genrées d’assignation à l’espace domestique qui font du logement un espace de pouvoir féminin, en particulier dans les milieux populaires (Schwartz, 1990 ; Gilbert, 2016 ; Coquard, 2019), ont ainsi pu se recomposer pendant la crise sanitaire avec le retour imposé au foyer des hommes, l’allongement du temps de coprésence en son sein et la suspension des visites de tiers qui fonctionnent habituellement comme un rouage du contrôle social. Les modalités d’usage et de contrôle du logement ont dès lors pu se recomposer autour d’enjeux spécifiques créés par la situation de confinement (appropriation de certaines pièces, fréquence et motifs de sorties du domicile, conditions de télétravail notamment), modifiant les termes de la relation de pouvoir entre les sexes.
5Si la notion de conditions de logement désigne, dans la statistique publique, l’ensemble des dimensions techniques et physiques associées à l’occupation d’un logement, qu’elles soient liées au ménage (adéquation entre les revenus et le coût, la taille du logement et celle du ménage, etc.), à la qualité du bâti (isolation phonique et thermique, par exemple) et à son environnement extérieur (accessibilité, bruit, pollution, etc.) [7], nous privilégions ici une acception large qui prend en compte à la fois les aspects matériels de l’habitat et le rapport subjectif au logement (comme le fait de s’y sentir bien, de pouvoir en sortir, de disposer d’un espace à soi). C’est la combinaison de ces deux dimensions qui permet en effet de saisir la manière dont l’assignation domestique créée par la politique de confinement pèse différentiellement sur les femmes et les hommes, au croisement de logiques internes au ménage et de mécanismes de ségrégation sexuée propres à la sphère professionnelle.
6Pour appréhender les recompositions du rapport au logement en fonction du sexe et du milieu social, nous avons ainsi collecté deux types de données en avril et mai 2020, lors du premier confinement national, le plus long et le plus contraignant jusqu’à ce jour : une enquête statistique en population générale et une série de 21 portraits sociologiques (encadré). La combinaison des méthodes d’enquête permet d’accéder à l’expérience et au vécu individuel derrière l’unité statistique du ménage qui sert généralement d’unité de mesure à l’étude des inégalités [8]. Elle a ainsi permis de mieux appréhender les rapports de genre qui se sont joués au sein des couples pendant cette période (Durif, 1998 ; Bessière et Gollac, 2019).
7L’article rend compte, dans un premier temps, des conditions matérielles d’existence dans lesquelles s’est déroulé le premier confinement en France métropolitaine en fonction des type de ménage et du milieu social. Il montre comment les pertes de revenus et l’arrêt du travail, plus fréquents chez les mères, ont davantage affecté le cadre de vie des familles modestes en augmentant les difficultés de paiement du logement et en renforçant les situations de suroccupation. Dans un second temps, l’article examine les stratégies mises en œuvre par les femmes et les hommes en couple pour desserrer, au sein du logement, les contraintes du confinement. Ces stratégies d’adaptation sont saisies au niveau individuel, à partir de quatre dimensions principales qui contribuent à caractériser des rapports plus ou moins contraints au logement : les sorties quotidiennes du domicile, les conditions de travail au sein du logement, la distance à l’entourage et le sentiment perçu d’isolement. Les données montrent que la présence d’enfants creuse les écarts de genre au sein des couples : les mères s’en sortent systématiquement moins bien que les pères et ce, quel que soit le milieu social.
Encadré méthodologique
Les couples, définis ici par le lieu de vie commun, représentent un total de 1 233 individus interrogés (dont 685 sans enfant et 548 avec enfants), auxquels s’ajoutent 734 personnes [*] vivant seules (« ménage isolé ») ou avec d’autres personnes dans leur logement [**]. Notons que les familles monoparentales n’ont pas pu faire l’objet d’une analyse spécifique, étant sous-représentées dans l’échantillon. Elles sont incluses dans la catégorie des personnes ne vivant pas en couple.
Parallèlement, une série de 21 portraits sociologiques a été réalisée sur l’ensemble du territoire métropolitain par le collectif Cocovi [***]. Si les entretiens se sont déroulés au mois d’avril 2020, les personnes avaient déjà été interrogées lors de précédentes enquêtes de terrain propres aux différents chercheurs. Les propos recueillis, portant pour l’essentiel sur les conditions de vie pendant le confinement à partir du rapport au travail, des relations à l’entourage et à l’ancrage local, de l’organisation et du partage du travail domestique, de l’aménagement des activités récréatives, etc., ont pu être mis en parallèle avec une connaissance fine et ancienne des trajectoires et des styles de vie des enquêtés. Ce dispositif de « revisite » a ainsi permis de situer la période de confinement dans la durée et la dynamique plus longue des parcours de vie. Sans prétendre à l’exhaustivité, ni constituer à proprement parler une post-enquête qualitative, ces portraits ont aussi permis de sonder la diversité des expériences du confinement et de préciser les mécanismes par lesquels la situation de certains groupes sociaux ou certaines populations a pu se dégrader. Les enquêtés, âgés de 18 à 95 ans, appartiennent à différentes fractions de l’espace social plus ou moins dotées en capital économique, en diplômes, en ressources sociales et familiales (agricultrice, professeur, webdesigner, ouvrier horticole, gendarme, employé caviste, caissière, etc.). La très grande majorité des entretiens en confinement a été réalisée par téléphone ou en ligne en raison des contraintes de distanciation sociale qui s’imposaient alors.
-
[*]
Les catégories définies par l’enquête ne permettent pas de savoir pour 36 enquêtés s’ils vivaient avec leur conjoint. Ils ont été exclus des traitements statistiques de cet article.
-
[**]
Parmi les personnes ne vivant pas en couple, 63 % vivent seules, 19 % avec d’autres membres de la famille, 17 % vivent seules avec leur(s) enfant(s) et 1 % avec des colocataires.
-
[***]
Le collectif de recherche Cocovi s’est constitué au printemps 2020 et regroupe 20 chercheuses et chercheurs : C. Bonvalet, G. Busquet, J. Cayouette-Remblière, A. Collet, L. Crepin, P. Dietrich-Ragon, R. Gallou, B. Geay, P. Gioia, V. Girard, É. Guéraut, H. Hoarau, A. Lambert, L. Launay, G. Le Roux, C. Lévy-Vroelant, A. Mercier, A. Mocquin, L. Nowik et M. Quennehen.
Les conditions matérielles du confinement : des familles plus exposées à la dégradation des conditions de vie
8Entre mars et mai 2020, 13 % de la population française a vu ses conditions de vie bouleversées, soit par l’accueil de nouvelles personnes au sein du foyer (enfant, petit-enfant, parent, etc.), soit par un changement de domicile (résidence secondaire, domicile d’un proche, etc.), soit par les deux phénomènes combinés. Si le changement de lieu d’habitation est en réalité resté un phénomène marginal en France, d’autres mécanismes ont pu contribuer à transformer les conditions d’existence de la population et modifier le rapport à son propre logement. En effet, 30 % des personnes en emploi début mars étaient à l’arrêt deux mois plus tard et près de la moitié de celles et ceux qui travaillaient ont dû continuer à le faire depuis leur domicile, sous forme de télétravail continu. Ces changements de situation professionnelle ont pu dégrader les revenus du ménage, augmenter la pression sur le logement ou encore imposer de nouveaux rythmes et réaménagements de l’espace, entraînant des conséquences variables selon les ménages.
De l’arrêt du travail à la projection dans le logement
9Le confinement a eu des conséquences économiques inégales. Au printemps 2020, l’accumulation d’épargne s’est concentrée sur les deux déciles de niveau de vie les plus aisés (Bounie et al., 2020), tandis qu’un tiers des ménages a connu une perte de revenus selon l’enquête Coconel « Logement et conditions de vie ». Ce manque à gagner a touché prioritairement les familles (42 % d’entre elles [9]) et certaines catégories d’actifs – les indépendants, les personnes en contrats précaires, les moins diplômés (Lambert et al., 2020). Au contraire, les couples sans enfant font moins souvent l’expérience de pertes de revenus, notamment parce qu’ils sont composés pour 56 % d’entre eux d’au moins un retraité.
10Dans ce contexte, les craintes de ne pas pouvoir payer son loyer ou son crédit immobilier ont augmenté de manière différenciée au sein de la population française. 31 % des personnes vivant en couple avec des enfants, contre 24 % des personnes seules et 18 % des couples sans enfant, ont redouté de ne pouvoir payer leur logement au cours de l’année à venir. Ces craintes ont en outre affecté des familles qui, pour la moitié d’entre elles, n’avaient jusqu’alors pas rencontré de telles difficultés. Pour les femmes, le fait d’être en couple apparaît protecteur tandis que, pour les hommes, c’est surtout la présence d’enfants qui augmente le sentiment d’inquiétude face au risque de défaut de paiement, traduisant la prégnance du modèle du « bon père de famille » dans la société française contemporaine (Bourdieu, 2000) : loger dignement sa famille et pourvoir aux besoins résidentiels de ses membres constituent encore un marqueur fort de l’identité masculine hégémonique. Enfin, si la présence d’enfants augmente la propension à exprimer de l’inquiétude vis-à-vis du logement dans tous les milieux sociaux, cet effet est plus marqué pour les couples modestes [10] : de 3 points parmi les couples à dominante cadre ou intermédiaire (de 4,5 à 7,5 %), les craintes augmentent de 11 points parmi les couples composés d’ouvriers, employés et/ou inactifs (de 10 à 21 %), davantage concernés par l’arrêt du travail du fait d’emplois non télétravaillables et par le travail précaire.
11Sans surprise, le confinement fragilise ainsi davantage le rapport au logement des ménages modestes avec enfants qui disposent déjà, en temps normal, de niveaux de revenus moins élevés et de statuts d’occupation moins protecteurs (étant plus souvent locataires), mais aussi d’un moindre patrimoine pour lisser la fluctuation des revenus (Bugeja-Bloch, 2013) [11]. Les répercussions des pertes de revenus sur le rapport au logement varient dès lors fortement en fonction des ressources des ménages, venant parfois heurter des trajectoires sociorésidentielles ascendantes. Pendant le confinement, Paul [12], pâtissier-chocolatier, a, par exemple, été contraint de diminuer ses propres revenus et ceux de sa conjointe, également salariée de l’entreprise, pour être en mesure de payer ses autres employés. Vivant dans un petit deux-pièces attenant à son atelier de production à Paris, avec deux enfants en bas âge, le couple a également renoncé à déménager, comme il se l’était promis avec la croissance économique de l’entreprise, ne pouvant par ailleurs pas compter sur le patrimoine familial. Le confinement s’est, pour eux, transformé en trappe à mal-logement :
« Se payer, ce n’est pas la question en ce moment. Nous, c’est sûr qu’on ne va pas se payer, même Magdalena, comptablement, on a fait la fiche de paie, on a fait le chèque mais on n’a pas fait sortir l’argent du compte. On n’a pas le choix. Là, c’est priorité aux employés. […] On est bien ici pour le business, mais je pense que si cela ne marche pas, si on n’arrive pas à faire ce que l’on veut, après on prendra cette décision à deux, mais moi, personnellement, j’aurais envie de partir. Le problème, c’est que Paris est vraiment trop chère, on n’arrive pas à se loger correctement, même en bossant comme des dingues. »
13Au contraire, Delphine, monteuse de films à Paris et mère de deux enfants, qui a arrêté de travailler pendant le confinement et touchait en chômage partiel 70 % de ses revenus [13], s’est montrée peu inquiète pour ses conditions de vie : « J’ai mis de l’argent de côté au cours des derniers mois, c’est mon rythme habituel, j’ai l’habitude, j’ai toujours des revenus d’avance, des revenus très inégaux, donc ça change pas grand-chose. » Christophe, son mari, principal pourvoyeur de ressources du ménage, a continué à travailler à plein temps. Les prêts des deux logements, leur appartement parisien et leur résidence secondaire à la campagne (où le couple a été confiné), étant remboursés, le ménage dispose désormais d’un important patrimoine immobilier (estimé à plus d’un million d’euros) qui les met hors de tout besoin. Confinée dans sa résidence secondaire, Delphine a ainsi pu tirer parti de la situation pour renforcer le suivi pédagogique de ses enfants et encadrer le déroulement de leurs journées, conformément aux pratiques de parentalité intensive et d’« acculturation concertée [14] » qui prévalent chez les classes moyennes supérieures (Lareau, 2003 ; Lahire, 2019 ; Henri-Panabière et al., 2019).
« Ici à la campagne on est plus proches d’un rythme de vacances. Alors, on parle de nos journées en anglais, on décrit le jardin. On sort l’encre de Chine. »
15Ces deux trajectoires contrastées montrent combien les conséquences économiques du confinement viennent bouleverser, par différents biais et de manière socialement polarisée, la façon de vivre, mais aussi de se projeter dans son logement durant le confinement. Dans le même temps, quel que soit le milieu social, des logiques de genre traversent l’expérience du confinement. En effet, au sein des couples, les mères ont nettement plus souvent arrêté de travailler que les pères pendant le premier confinement. Parmi les personnes en emploi au 1er mars 2020, les femmes en couple avec enfants ont 1,5 fois plus de chances d’être à l’arrêt début mai 2020 que les hommes dans la même situation, une fois contrôlés l’âge, la classe sociale et la zone de résidence (tableau 1). Ce résultat suggère que les mères ont plus souvent arrêté leur activité professionnelle pour prendre en charge le surcroît de travail domestique et parental pendant la crise sanitaire, mais aussi qu’elles ont davantage été confrontées aux logiques de repli domestique et au rétrécissement de l’espace de vie.
Probabilité d’avoir arrêté de travailler en mai 2020 parmi les actifs occupés au 1er mars 2020
Variables | Odds ratio |
---|---|
Hommes avec enfants | Réf.1 |
Hommes sans enfant | 0,723** |
Femmes avec enfants | 1,456** |
Femmes sans enfant | 1,131 |
Ménages à dominante cadre et intermédiaire | Réf. |
Ménages à dominante employée ou indépendante | 1,688 |
Ménages à dominante ouvrière ou inactive | 3,074*** |
18-25 ans | 4,850*** |
25-49 ans | Réf |
50-64 ans | 1,236** |
Espaces ruraux | Réf. |
Villes petites et moyennes | 1,122 |
Grandes villes | 1,147 |
Probabilité d’avoir arrêté de travailler en mai 2020 parmi les actifs occupés au 1er mars 2020
Significativité : *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001.1. Abréviation de référence.
Champ : actifs occupés au 1er mars 2020 vivant en couple de moins de 65 ans (n = 1 077).
Lecture : les coefficients présentés dans le tableau sont les odds ratio ou rapports de cotes. Ils représentent pour chaque modalité les chances d’avoir arrêté de travailler pour la modalité en question par rapport à la modalité de référence. Un coefficient de 1,5 pour la modalité « femmes avec enfants » signifie que ces dernières ont 1,5 fois plus de chances d’avoir arrêté de travailler que les hommes avec enfants (la référence), toutes choses égales par ailleurs (soit à PCS ménage, classe d’âge et type de lieu de résidence égaux).
La taille du logement : exiguïté vécue et perçue
16La taille du logement a pris une importance considérable pendant le confinement, non seulement parce que de nouvelles activités ont été susceptibles de s’y dérouler (travail, loisirs, etc.), mais aussi parce que la présence des membres du ménage, contraints par les restrictions de sorties, y a été plus soutenue tout au long de la journée. D’après les enquêtes nationales Logement de l’Insee, le taux d’occupation des logements a considérablement baissé depuis les années 1980 en France avec la diminution de la taille des ménages et l’augmentation de la surface habitable et du nombre de pièces. En 2013, 8,4 % des ménages en moyenne se trouvent ainsi en situation de surpeuplement [15], avec de fortes variations selon le niveau de revenus, la localisation et le type de ménage [16] : près d’un ménage sur quatre appartenant au premier quartile de revenus (les plus pauvres) et 21 % des ménages de l’unité urbaine de Paris sont en situation de surpeuplement, de même que 21 % des familles monoparentales et 15 % des couples avec enfants. Les couples sans enfant, plus âgés en moyenne, vivent au contraire dans des logements sous-peuplés (89,4 % d’entre eux).
17Les normes choisies par l’Insee pour définir les seuils de surpeuplement reposent toutefois principalement sur des normes nocturnes, faisant référence à la distribution des âges et des sexes dans les chambres à coucher et, secondairement, à des aspects fonctionnels (présence d’un séjour et superficie par personne). Or, l’appréhension des conditions de logement en journée apparaît centrale pour comprendre l’expérience du confinement. L’enquête Coconel « Logement et conditions de vie » montre que le fait de vivre en couple avec des enfants est associé à un nombre de mètres carrés par personne moindre en journée – un effet qui s’accentue en confinement. Au printemps 2020, la moitié des enquêtés en couple avec enfants vivent avec moins de 30 m2 par personne présente entre 8 h et 17 h contre, respectivement, 47 m2 et 49,5 m2 par personne pour les individus seuls et les personnes en couple sans enfant. En outre, en temps habituel, les sorties en journée peuvent venir soulager la suroccupation des logements, comme le rappelle le cas de Cléomède et Mona, originaires d’Afrique subsaharienne, logés depuis plusieurs années dans un hôtel social avec leurs trois jeunes enfants. Vivant dans deux chambres situées à deux étages différents du bâtiment, ils se retrouvent, au printemps 2020, privés des sorties quotidiennes qui atténuent l’expérience du mal-logement : le travail, l’école, le parc, ou encore la médiathèque du quartier, qu’ils fréquentent assidûment pour ne retourner que tardivement dans leurs deux chambres étroites et discontinues.
18Au vu du caractère exceptionnel de la situation, il nous a donc paru intéressant de mesurer la suroccupation des logements en journée en définissant un seuil propre de surpeuplement, qui ne repose pas sur des normes nocturnes mais sur une surface disponible par personne, dans un contexte de repli des activités au sein du logement [17]. L’analyse du surpeuplement des logements en journée met alors en évidence les inégalités liées à la position dans le cycle de vie, à la structure familiale, à l’emploi, à la position sociale et au lieu de résidence (tableau 2). Plus les personnes sont âgées, moins leurs logements sont surpeuplés en journée, un phénomène qui s’accentue en période de confinement. Au contraire, vivre en couple avec des enfants augmente significativement le risque d’habiter un logement surpeuplé en journée, encore plus pendant la crise sanitaire. Le fait de ne pas avoir d’activité professionnelle ou de travailler depuis le domicile en période de confinement est également un facteur aggravant le risque de surpeuplement, comme le fait d’appartenir aux catégories populaires, même si l’influence de la catégorie sociale s’estompe légèrement pendant le confinement. Enfin, en raison de la structure du parc de logements, le risque de surpeuplement est bien plus élevé dans les grandes villes.
Probabilité de vivre dans un logement surpeuplé1 en journée
Modèles simples | Modèles complets | |||
---|---|---|---|---|
Temps normal (Odds ratio) | Confinement (Odds ratio) | Temps normal (Odds ratio) | Confinement (Odds ratio) | |
Homme | Réf.2 | Réf. | Réf. | Réf. |
Femme | 1,024 | 1,084 | 0,979 | 0,997 |
Moins de 25 ans | Réf. | Réf. | Réf. | Réf. |
25-49 ans | 0,525 | 0,569* | 0.547 | 0.649 |
50-64 ans | 0,214*** | 0,190*** | 0.223*** | 0.204*** |
65 ans et plus | 0,135*** | 0,079*** | 0.165*** | 0.079*** |
Pas en couple | Réf. | Réf. | Réf. | Réf. |
En couple sans enfants | 1,730 | 1,206 | 2,532* | 1,751* |
En couple avec enfants | 2,435** | 2,895*** | 3,136*** | 4,146*** |
À l’extérieur à temps plein | Réf. | Réf. | ||
En télétravail ou à l’extérieur à temps partiel | 2,125*** | 2,477*** | ||
Arrêt de l’activité | 1,226 | 1,788 | ||
Ne travaillait pas | 2,713*** | 2,266* | ||
Ne travaillait pas avant confinement | Réf. | Réf. | ||
Actif occupé avant confinement | 1,096 | 0,706 | ||
Ménages à dominante cadre ou intermédiaire | Réf. | Réf. | ||
Ménages à dominante employée ou indépendante | 2,718*** | 2,335*** | ||
Ménages à dominante ouvrière ou inactive | 4,577*** | 3,804*** | ||
Campagnes | Réf. | Réf. | ||
Petites unités urbaines | 1,576 | 1,966** | ||
Grandes unités urbaines | 1,623 | 2,625*** | ||
Effectifs | 1 416 | 1 708 | 1 416 | 1 708 |
Probabilité de vivre dans un logement surpeuplé1 en journée
Significativité : *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001.1. Espace inférieur à 25 m2 par personne présente en moyenne entre 8 h et 17 h.
2. Abréviation de référence.
Champ : ensemble des individus enquêtés (n = 1 967).
Lecture : les individus en couple avec enfant(s) ont 2,4 fois plus de chances de vivre dans un logement surpeuplé en journée en temps normal que les individus qui ne vivent pas en couple, toutes choses égales par ailleurs.
19Si la surface mesurée par personne fournit une information sur les conditions de logement, d’autres indicateurs sont nécessaires pour appréhender l’usage et la perception du logement en confinement en fonction du sexe et de la place dans le ménage. En effet, en confinement, les femmes en couple avec enfants perçoivent plus négativement leurs conditions de logement que les hommes dans la même situation : tandis que 13 % des femmes déclarent disposer d’un espace insuffisant, contre 9 % des hommes, c’est le cas de 18 % des femmes en couple avec enfants, contre 12 % des hommes en couple avec enfants. Au contraire, parmi les femmes et les hommes en couple sans enfant, les écarts de genre sont quasi nuls. Cette différence de perception des conditions de logement en présence d’enfants peut s’interpréter par le fait que les femmes ont plus souvent arrêté ou diminué leur travail que les hommes au printemps 2020 (voir ci-dessus) et qu’elles ont davantage pris en charge les tâches d’entretien du logement comme l’ont montré d’autres enquêtes (Albouy et Legleye, 2020). Elles sont donc plus fortement confrontées à la matérialité des lieux et au sentiment de manque d’espace. Cette perception pourrait être renforcée par le fait qu’elles sont, dans le même temps, moins sorties de leur logement en journée.
Résister à l’enfermement domestique : des stratégies différenciées au sein des couples
20Dans cette seconde partie, nous comparons les stratégies mises en œuvre par les femmes et les hommes pour desserrer l’étau de la contrainte résidentielle : les sorties du domicile et l’appropriation des espaces du logement pour le télétravail notamment. Nous nous focalisons dorénavant sur les individus en couple, quelle que soit leur composition familiale. Nous explorons ainsi les inégalités de genre produites au sein des couples, avec une attention particulière, comme suggéré par nos précédents résultats, à l’effet de la présence d’enfants, susceptible d’avoir accru les inégalités au cours de ce premier confinement en réassignant plus fortement les femmes à la sphère domestique.
Les sorties du domicile, un privilège masculin
21L’écart de perception de l’exiguïté du logement révélé dans la première partie de l’article ne reflète pas seulement l’inégale division du travail domestique : il renvoie également à des pratiques différenciées de sorties. Pendant les huit semaines de confinement du printemps 2020, les sorties hors du domicile ont en effet été très réglementées en France [18], avec une liste de motifs dérogatoires, une durée maximale et un périmètre autorisé. Au sein de notre échantillon, 40 % des hommes déclarent ne pas être sortis de leur domicile au cours de la journée précédent l’enquête, contre 53 % des femmes. Mais c’est au sein des couples avec enfants que les écarts entre les sexes sont les plus élevés : seuls 37 % des hommes en couple avec enfants ne sont pas sortis la veille de l’enquête, contre 54 % des femmes dans la même situation (tableau 3).
Sorties selon le sexe et la composition familiale (en % ligne)
Pas de sortie | Une sortie | Deux sorties ou plus | |
---|---|---|---|
Hommes en couple sans enfant | 42 | 40 | 18 |
Hommes en couple avec enfants | 37 | 37 | 26 |
Ensemble des hommes en couple | 40 | 39 | 21 |
Femmes en couple sans enfant | 54 | 35 | 11 |
Femmes en couple avec enfants | 54 | 27 | 19 |
Ensemble des femmes en couple | 54 | 31 | 15 |
Couples sans enfant | 48 | 38 | 14 |
Couples avec enfants | 46 | 32 | 22 |
Sorties selon le sexe et la composition familiale (en % ligne)
Champ : individus en couple (n = 1 233).22La liste des motifs de sortie renseigne sur l’ampleur de ces inégalités. En effet, en l’absence d’enfants dans le ménage, hommes et femmes ont autant tendance à sortir pour aller travailler mais, en présence d’enfants, les hommes sortent davantage que les femmes pour ce motif (+7,5 points) [tableau 4]. Les écarts de genre sont toutefois beaucoup plus marqués pour les sorties récréatives et sportives : les hommes en couple avec enfants sortent trois fois plus souvent pour leurs loisirs sportifs que les femmes dans la même situation (13 % contre 4,7 %). Enfin, les pères sortent plus longtemps que les mères (231 minutes contre 184 minutes en moyenne dans la journée). Cette inégalité entre les sexes se maintient une fois contrôlées des caractéristiques d’emploi, d’âge, de milieu social et de logement (tableau 5) et ne s’explique donc pas seulement par les différences de continuité de l’activité professionnelle en confinement : toutes choses égales par ailleurs, les mères ont 1,6 fois plus de chances que les pères de ne pas être sorties du domicile la veille de l’enquête.
Motifs des sorties selon le sexe et la composition familiale (en %)
Sortie travail | Sortie sportive | Sortie pour un autre motif | |
---|---|---|---|
Hommes en couple sans enfant | 20 | 11 | 74 |
Hommes en couple avec enfants | 38 | 13 | 61 |
Ensemble des hommes en couple | 27 | 12 | 69 |
Femmes en couple sans enfant | 18 | 9 | 80 |
Femmes en couple avec enfants | 30 | 5 | 71 |
Ensemble des femmes en couple | 24 | 7 | 75 |
Couples sans enfant | 19 | 10 | 77 |
Couples avec enfants | 34 | 9 | 66 |
Ensemble des couples | 26 | 10 | 72 |
Motifs des sorties selon le sexe et la composition familiale (en %)
Champ : individus en couple sortis la veille (n = 640).Probabilité de ne pas être sorti du domicile au cours de la journée
Variables | Odds ratio (modèle 1) | Odds ratio (modèle 2) |
---|---|---|
Hommes en couple avec enfants | Réf.1 | Réf. |
Hommes en couple sans enfant | 0,836*** | 0,919** |
Femmes en couple sans enfant | 1,409 | 1,461* |
Femmes en couple avec enfants | 1,684** | 1,616** |
Ménages à dominante cadre et intermédiaire | Réf. | Réf. |
Ménages à dominante employée ou indépendante | 1,029 | 0,994 |
Ménages à dominante ouvrière ou inactive | 0,862 | 0,793 |
Pas de surpeuplement | Réf. | Réf. |
Surpeuplement | 0,826 | 0,865 |
Continuité du travail | Réf. | Réf. |
Télétravail | 2,395 | 2,346 |
Arrêt du travail | 3,124** | 3,184** |
Inactifs | 3,787*** | 4,694*** |
65 ans et plus | Réf. | |
18-24 ans | 1,452 | |
25-49 ans | 1,450 | |
50-64 ans | 1,672 | |
Espaces ruraux | Réf. | |
Villes petites et moyennes | 0,657** | |
Grandes villes | 0.719 |
Probabilité de ne pas être sorti du domicile au cours de la journée
Significativité : *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001.1. Abréviation de référence.
Champ : individus en couple ne vivant pas dans un logement atypique (chambres indépendantes, hôtel, etc.) [n = 1 227].
Lecture : les femmes en couple avec enfants ont 1,6 fois plus de chances de ne pas être sorties de leur domicile que les hommes en couple avec enfants, toutes choses égales par ailleurs.
23Les données qualitatives permettent d’enrichir cette analyse en fournissant des informations sur l’organisation des sorties au sein des couples et les registres de justification mobilisés. Les hommes ont ainsi largement continué à sortir pour leurs loisirs personnels (par exemple, pour la chasse pour un conjoint d’agricultrice vivant en zone rurale, ou pour faire du jogging pour un pilote de ligne vivant en ville), mais aussi parfois pour effectuer des tâches qu’ils n’avaient pas l’habitude de prendre en charge en temps normal (les courses alimentaires notamment). Les sorties masculines ont pu déroger aux nouvelles règles en dépassant le périmètre et/ou la durée autorisés et ont été vécues sur le mode de la légitimité, présentées le plus souvent comme une nécessité pour l’équilibre personnel. Enfin, ces sorties régulières apparaissaient routinisées, étant parfois explicitement inscrites dans un planning tandis que, pour les femmes, les loisirs personnels, plus rares, étaient renvoyés aux moments laissés en creux, après avoir accompli l’ensemble des tâches professionnelles, domestiques et parentales. « Tous les matins, je fais ma sortie de 8 h, avant le boulot. Une heure de marche, c’est vital. J’en profite pour acheter le pain, discuter un peu avec les gens que je croise. C’est ma sortie quotidienne et j’en ai besoin ! », affirme ainsi Stéphane, 42 ans, intermédiaire culturel dans une association culturelle dans une ville moyenne, qui a quitté après une semaine de confinement le domicile de sa compagne (où vivent également les deux enfants de cette dernière) pour retourner dans son petit appartement : il souhaitait pouvoir y télétravailler au calme.
24Les mères déplorent, quant à elles, le manque de temps libre dont elles disposent pour elles-mêmes. Pour autant, elles désapprouvent rarement le comportement de leur conjoint, comme si la situation exceptionnelle du confinement délégitimait l’expression d’une contestation féminine à l’égard du renforcement des pratiques inégalitaires. La crise sanitaire semble au contraire renforcer leur sentiment de devoir faire « cause commune » afin d’assurer la survie matérielle du groupe domestique et de garantir le bien-être de ses membres (Gollac, 2003). Dans le ménage formé par Delphine et Christophe et leurs deux enfants, caractéristique de la bourgeoisie culturelle parisienne, l’inégale distribution du travail domestique s’est ainsi accentuée en confinement et est vécue comme une fatalité.
« Christophe, il va trois ou quatre jours par semaine chez les voisins pour travailler. […] Moi, je fais surtout du jardin et je fais pas mal la cuisine et les trucs de la maison, le linge, tout ça. […] Comme je suis en vacances, j’en fais plus, c’est pas très… [elle hésite] mais c’est comme ça ! »
26Les femmes du corpus déclarent aussi sortir moins loin de leur domicile (cour de l’immeuble, jardin, lotissement) ou demeurer chez elles et ce, dans tous les milieux sociaux. Rosa, caissière en chômage partiel, est ainsi « restée enfermée » dans son pavillon avec ses trois adolescents tandis que son conjoint, manutentionnaire sur une plateforme logistique, travaillait la nuit. Elle effectuait de menues tâches ménagères, entre de longues heures au téléphone et sur internet, pour « passer le temps ». C’est aussi l’expérience rapportée par Stéphanie, employée administrative au chômage et mère d’une lycéenne, dont le conjoint, cadre dans l’armée, était mobilisé par la gestion de la crise sanitaire et sortait très régulièrement travailler. Le confinement a freiné les recherches d’emploi de Stéphanie et rompu les sociabilités féminines qui créaient à la fois un motif et un cadre régulier de sorties. Mieux dotée économiquement, Agnès, femme de cadre et mère de quatre enfants, sortait quant à elle juste en bas de son immeuble, dans la cour intérieure, et plus rarement dans le quartier pour aider une tante âgée. Toutes les sorties exceptionnelles plus lointaines, pour rendre visite à un ami ou participer à un apéritif de rue, ont été réalisées en présence du conjoint. L’espace des sorties apparaît ainsi, au travers des données statistiques et qualitatives, plus restreint pour les femmes et leur rythme moins fréquent, sans que cet écart de genre ne semble générer de conflictualité au sein des couples enquêtés. Son impact se mesure toutefois au niveau individuel, par la progression d’un sentiment d’isolement ou de mal-être.
Un sentiment d’isolement plus fort pour les mères, des difficultés nouvelles pour les pères
27En contrepoint des sorties du domicile, l’enquête Coconel « Logement et conditions de vie » a, en outre, permis d’étudier l’évolution du sentiment d’isolement. En moyenne, les femmes sont un peu plus nombreuses que les hommes à se sentir isolées dans leur logement ou leur quartier, en temps normal comme en période de confinement. Mais les pères sont proportionnellement plus nombreux à ressentir un sentiment nouveau d’isolement alors qu’ils n’en ressentaient pas avant (28 % des pères contre 21,5 % des mères) [tableau 6]. L’émergence de ce sentiment a pu être davantage contenu chez les mères parce qu’elles vivent plus souvent à côté de proches ou de membres de leur famille : 38 % des femmes en couple avec enfants déclarent avoir un proche situé dans un rayon d’un kilomètre autour de leur domicile (qui constituait alors le périmètre de sortie autorisé en France), contre 27 % des hommes en couple avec enfants. Cette proportion est encore plus élevée chez les femmes de milieux populaires, où elle atteint 48 %, contre 27 % pour les femmes de classes supérieures, rappelant le rôle protecteur de la « famille-entourage locale » dans les milieux modestes (Schwartz, 1990 ; Bonvalet, 2003).
Le sentiment d’isolement selon le sexe et la composition familiale (en % ligne)
Pas de sentiment de solitude | Sentiment de solitude ancien | Sentiment de solitude nouveau | |
---|---|---|---|
Hommes en couple sans enfant | 72 | 8 | 20 |
Hommes en couple avec enfants | 57 | 15 | 28 |
Ensemble des hommes en couple | 67 | 10 | 23 |
Femmes en couple sans enfant | 62 | 11 | 27 |
Femmes en couple avec enfants | 61 | 17 | 22 |
Ensemble des femmes en couple | 61 | 15 | 24 |
Couples sans enfant | 68 | 9 | 23 |
Couples avec enfants | 60 | 16 | 24 |
Ensemble des couples | 64 | 12 | 24 |
Le sentiment d’isolement selon le sexe et la composition familiale (en % ligne)
Champ : ensemble des individus en couple (n = 1 233).28En outre, les femmes sont davantage investies dans le travail d’entretien des relations de voisinage (Héran, 1987 ; Authier et Cayouette-Remblière, 2021), ce qui a pu rendre l’espace du quartier, auquel s’est réduit la vie sociale pendant le confinement, plus familier et rassurant. Pour les hommes, tout se passe comme si le confinement avait induit une rupture plus grande dans le mode de vie (davantage tourné vers l’extérieur, les collègues de travail) et que le temps plus long passé auprès des enfants ne compensait pas le manque de sociabilité extrafamiliale.
Travail et loisirs au sein du logement : l’inégale appropriation de l’espace domestique
29Le logement n’abrite pas uniquement la vie familiale. Le télétravail en continu s’est répandu rapidement pendant le confinement, concernant, en mai 2020, 29 % des enquêtés qui avaient un emploi avant le confinement. Les conditions de travail au sein du domicile sont peu connues parce que le télétravail régulier reste en temps normal une pratique rare en France relativement à d’autres pays européens et qu’il touche à un type d’espace considéré comme relevant du domaine privé : le domicile. En outre, au printemps 2020, le télétravail a été présenté dans le débat public comme un avantage réservé aux cadres et salariés qualifiés, dissimulant la diversité des situations que la notion recouvrait selon le sexe. Si les femmes ont plus souvent arrêté de travailler que les hommes pendant le premier confinement, comme nous l’avons vu, lorsqu’elles étaient en activité, elles ont autant été en télétravail que les hommes. Toutefois, elles n’ont pas exercé dans les mêmes conditions : seules 29 % des femmes en télétravail disposaient d’une pièce isolée et dédiée au travail contre 45 % des hommes, un écart encore plus marqué en présence d’enfants (tableau 7).
Posséder une pièce dédiée au travail selon le sexe et la configuration familiale (en %)
Pièce dédiée au travail | |
---|---|
Hommes en couple sans enfant | 44 |
Hommes en couple avec enfants | 46 |
Ensemble des hommes en couple | 45 |
Femmes en couple sans enfant | 33 |
Femmes en couple avec enfants | 27 |
Ensemble des femmes en couple | 29 |
Couples sans enfant | 39 |
Couples avec enfants | 35,6 |
Ensemble des couples | 36,8 |
Posséder une pièce dédiée au travail selon le sexe et la configuration familiale (en %)
Champ : ensemble des individus en couple et en télétravail, quelle que soit la situation professionnelle du conjoint (n = 211).30En haut de l’échelle sociale, les écarts de genre sont les plus marqués en matière de conditions de télétravail (53 % des pères cadres ont une pièce réservée à cet effet contre 28 % des mères cadres). Parce que les écarts de salaires entre les sexes à équivalent temps plein sont plus importants à mesure que l’on monte dans l’échelle des qualifications (Georges-Kot, 2020), l’activité professionnelle des hommes a ainsi pu apparaître, en période de crise sanitaire, prioritaire à celle de leurs conjointes, leur conférant des droits nouveaux sur l’espace familial.
31Les entretiens montrent que l’appropriation masculine de certaines pièces de la maison (par exemple, la chambre conjugale, le bureau ou, encore, un balcon) s’observe à la fois dans les couples hypogames, où les hommes télétravaillaient et où les femmes étaient à l’arrêt ou sans emploi (ce qui constituait un résultat attendu), mais aussi dans les couples homogames, où les femmes travaillaient et occupaient une position professionnelle proche, parfois identique à celle du conjoint. Cette réappropriation masculine de l’espace domestique, pour le travail et les loisirs, s’est alors souvent installée de manière informelle, sans donner lieu à des négociations préalables. Elle révèle l’intériorisation du primat masculin dans la hiérarchie des pratiques et son redéploiement dans la sphère privée en contexte de crise :
« L’entretien d’embauche, il a fallu que je le prépare mais j’ai eu cette opportunité, justement, que mon époux, il était au travail. Donc moi j’ai pu le faire dans le salon, tranquillement au bureau [mobilier]. »
« Mon mari, il est globalement dans sa chambre et, globalement, il n’en sort pas. Je le vois vers 13 h et vers 21 h. »
« Il s’est lancé dans des projets de sculpture. Il a du bois qu’il sculpte donc il est quasiment tout le temps sur la terrasse du matin au soir. Des fois, je lui dis : “Eh, j’ai besoin de toi, ça suffit là !” »
35Certaines femmes de la bourgeoisie culturelle, comme Julie, graphiste-dessinatrice à Montreuil, ont pu desserrer l’étreinte de la pression familiale en choisissant de ne pas cohabiter avec leur conjoint pendant le confinement. Tandis que son compagnon s’est confiné dans la maison familiale de Belle-Île-en-Mer avec un des enfants du couple, elle en a profité pour redéployer ses activités dans l’ensemble du loft et prendre du temps pour elle :
« Du coup, je l’ai appelé et je lui ai dit : “Ben écoute, moi je pense qu’il vaut mieux que tu restes là-bas et que, moi, je reste ici, et puis comme ça, ça va mieux passer.” Non mais c’est compliqué, tu vois ; même si la maison elle est grande, à un moment, c’est de toute façon trop petit, quoi. »
37Cette situation de décohabitation reste toutefois très minoritaire en confinement, étant conditionnée par la possession d’un patrimoine immobilier et par la socialisation à des normes de genre égalitaires.
38Au total, mis bout à bout, ces usages différenciés de l’espace privé en confinement témoignent d’un rapport spécifique des mères au logement, plus contraint et réduit, qui peut être qualifié d’enfermement domestique. En retour, cet enfermement domestique a des conséquences sur leur sentiment de bien-être.
Conséquences sur le moral des mères
39Les conditions de vie et les manières différenciées de résister à l’enfermement domestique ont des conséquences variables sur l’expérience intime du confinement. Si l’arrêt de l’activité professionnelle, d’une part, et le fait de vivre dans un logement surpeuplé, d’autre part, augmentent fortement les chances de connaître une période difficile au cours de la journée au printemps 2020 (tableau 8), le genre et la composition du ménage ont aussi un effet propre sur la survenue de sentiments négatifs : 55 % des pères déclarent connaître une période difficile à vivre au cours de la journée, contre 62 % des mères (tableau 9). Les femmes et les hommes en couple sans enfant ont, au contraire, moins ressenti de difficultés et les écarts de perception entre les sexes sont moindres. Là encore, une fois contrôlés les effets du milieu social, des conditions de logement, de l’âge et de la situation d’emploi, les mères ont des probabilités supérieures que les pères de connaître une période difficile en journée.
Probabilité de connaître une période difficile dans la journée pendant le confinement
Variables | Odds ratio (modèle 1) | Odds ratio (modèle 2) |
---|---|---|
Hommes en couple avec enfants | Réf.1 | Réf. |
Hommes en couple sans enfant | 0,672*** | 0,762* |
Femmes en couple sans enfant | 0,793 | 0,878 |
Femmes en couple avec enfants | 1,221** | 1,187* |
Ménages à dominante cadre et intermédiaire | Réf. | Réf. |
Ménages à dominante employée ou indépendante | 1,192 | 1,203 |
Ménages à dominante ouvrière ou inactive | 1,308 | 1,271 |
Pas de surpeuplement | Réf. | Réf. |
Surpeuplement | 1,898** | 1,278 |
Continuité du travail | Réf. | Réf. |
Télétravail | 1,721* | 1,700 |
Arrêt du travail | 1,722* | 1,870 |
Inactifs | 1,191 | 1,686 |
65 ans et plus | Réf. | |
18-24 ans | 2,853* | |
25-49 ans | 2,196* | |
50-64 ans | 1,220* | |
Espaces ruraux | Réf. | |
Villes petites et moyennes | 1,627 | |
Grandes villes | 2,357* |
Probabilité de connaître une période difficile dans la journée pendant le confinement
1. Abréviation de référenceSignificativité : *p < 0,05 ; **p < 0,01 ; ***p < 0,001.
Champ : individus en couple (n = 1 233).
Lecture : les femmes en couple avec enfants ont 1,2 fois plus de chances de connaître une période difficile en journée que les hommes en couple avec enfants (la référence), toutes choses égales par ailleurs.
Connaître au moins une période difficile dans la journée selon le sexe et la composition familiale (en %)
Connaître une période difficile dans la journée | |
---|---|
Hommes en couple sans enfant | 42 |
Hommes en couple avec enfants | 55 |
Ensemble des hommes en couple | 44 |
Femmes en couple sans enfant | 47 |
Femmes en couple avec enfants | 62 |
Ensemble des femmes en couple | 59 |
Couples sans enfant | 44 |
Couples avec enfants | 59 |
Ensemble des couples | 51 |
Connaître au moins une période difficile dans la journée selon le sexe et la composition familiale (en %)
Champ : ensemble des individus en couple (n = 1 233).40Les entretiens permettent de distinguer deux types de mécanismes qui ont contribué à détériorer le sentiment de bien-être des mères en confinement. D’une part, les femmes, en chômage partiel ou non, qui se sont occupées de leurs enfants en bas âge tandis que leur conjoint travaillait à temps plein et participait peu à l’entretien de la maison, ont souvent exprimé des difficultés personnelles, voire de la souffrance, comme en témoigne Agnès, déjà mentionnée ci-avant, qui a pris en charge l’intégralité du surcroît de travail domestique et parental au printemps 2020, alors que son mari s’enfermait toute la journée dans la chambre conjugale pour télétravailler. Jeanne, 42 ans, s’est aussi sentie débordée, proche de l’épuisement. Professeure de langue au collège, comme son conjoint, elle retravaillait tard le soir, après avoir dédié sa journée à ses deux jeunes enfants, contrairement à son conjoint, qui a pu consacrer une partie de ses journées à ses loisirs, en particulier au travail du bois, s’acquittant de sa charge professionnelle plus rapidement. « Rémi, il poste quelques fois par semaine [ses cours en ligne] et puis il ouvre plus [son espace informatique] de la semaine. Moi je… je… je ne suis pas de ceux qui sont en vacances en confinement. Lui et moi, on n’a pas le même quotidien », décrit Jeanne qui en temps normal affiche une répartition équilibrée des tâches familiales.
41Le deuxième ensemble de situations concerne les femmes au chômage partiel ou à l’arrêt, dont les enfants étaient plus âgés et autonomes. Ces femmes ont pu éprouver une certaine lassitude, malgré des conditions de logement parfois favorables, en se trouvant enfermées dans un espace de vie dont l’entretien n’apporte pas de gratifications suffisantes au quotidien. « Chaque jour, j’essaie une nouvelle chose… Mes enfants sont grands et se débrouillent tout seuls », explique par exemple Rosa, 53 ans, caissière, qui effectue, dans l’attente de retourner au travail, certaines activités ménagères inhabituelles (ranger un placard, trier des documents administratifs…). En comparaison, les entretiens avec les hommes font moins souvent état de difficultés personnelles, sans doute en raison des normes de genre qui contraignent l’expression d’émotions qui contreviennent à l’image de la virilité (Connell, 2014), mais aussi parce qu’ils ont moins absorbé le surcroît de travail domestique et parental en confinement et qu’ils ont pu sortir plus fréquemment de leur logement.
Conclusion
42En définitive, le confinement a dégradé les conditions de vie de manière différenciée selon la classe sociale et la structure du ménage. Si le fait de vivre en couple a pu atténuer certains effets négatifs du confinement, la présence d’enfants fragilise systématiquement la situation des familles vis-à-vis du logement, tant en termes matériels que subjectifs. La présence d’enfants s’accompagne plus fréquemment d’une réduction de l’activité professionnelle des parents, de la diminution des revenus du ménage (en particulier pour les familles modestes) et, par ricochet, de la crainte de ne pas pouvoir payer son logement. Les familles sont aussi plus souvent confrontées aux situations de surpeuplement en journée du fait de la cohabitation continue des membres du ménage.
43L’échelle du ménage n’est toutefois pas suffisante pour appréhender les transformations du rapport au logement en confinement. À situation égale, les mères perçoivent plus fréquemment que les pères la dégradation de leurs conditions de vie, appelant à dissocier la situation des femmes et des hommes au sein des couples. En nous appuyant sur différents indicateurs, nous avons alors défini l’enfermement domestique comme une situation privant les individus à la fois de la possibilité de disposer d’un espace à soi au sein du logement et de celle d’en sortir régulièrement. Les analyses montrent que, en présence d’enfants, les femmes sont davantage exposées aux situations d’enfermement domestique que les hommes, et ce, dans tous les milieux sociaux. Que ce soit en matière de sorties du domicile, d’usage de pièces à titre personnel, pour le travail, les loisirs ou encore le repos, leur rapport au logement est plus contraint, limité physiquement, impactant leur sentiment de bien-être.
44Ainsi, alors que les femmes disposent habituellement d’un certain pouvoir sur le domicile, fait notamment de prérogatives sur l’aménagement, l’usage et la gestion des lieux (Déchaux, 2009 ; Perrin-Heredia, 2010), le reflux des hommes au sein du foyer qui a été imposé par la situation de confinement semble avoir déplacé certaines frontières de la domination masculine. Privées de cette marge de manœuvre, les femmes de milieux populaires le sont en réalité également en période ordinaire, quand les hommes sont frappés par le chômage de longue durée ou encore quand les conjoints réinvestissent le salon familial avec la fermeture des cafés et lieux publics de sociabilité dans les campagnes en déclin (Coquard, 2019). Toutefois le confinement a eu pour effet d’étendre ce basculement du pouvoir domestique à d’autres milieux sociaux et de le rendre plus systématique. Il a aussi contribué à délégitimer l’expression de la contestation féminine face à des formes renouvelées d’oppression en réduisant les espaces de sociabilité entre femmes qui servent de support à l’émancipation (Achin et Naudier, 2010, Masclet et al., 2020). C’est donc tant sur le marché du travail que dans la sphère privée que les effets sexués de la crise sanitaire se manifestent et se recomposent, appelant à de nouvelles analyses.
Notes
-
[1]
Le contenu de cet article n’engage que ses auteurs.
-
[2]
Nous remercions Joanie Cayouette-Remblière, Anaïs Collet, Paul Gioia et Lydie Launay et d’avoir accepté que nous mobilisions certains portraits qu’ils ont réalisés dans le cadre du collectif Cocovi. Une version longue de ces portraits est disponible dans l’ouvrage : Lambert A. et Cayouette-Remblière J. (dir.), 2021, L’explosion des inégalités. Classe, genre et générations face à la crise sanitaire, La Tour d’Aigues, Ined, Éditions de l’Aube.
-
[3]
Au cours du premier semestre 2020, 715 000 emplois ont été supprimés en France et le produit intérieur brut a chuté de 13,8 % au deuxième trimestre (Barhoumi et al., 2020).
-
[4]
De nombreux travaux ont étudié les conséquences d’un événement exceptionnel sur la vie quotidienne des ménages, en particulier Charbonneau et al. (2000).
-
[5]
www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041728476 (consulté le 28 septembre 2021).
-
[6]
Pour les enquêtes françaises, voir par exemple Safi et al., 2020 ; Bajos et al., 2020.
-
[7]
Pour plus de détails : www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/les-conditions-de-logement-0 (consulté le 30 juin 2021).
-
[8]
Dans l’histoire de la statistique publique, les caractéristiques du ménage ont souvent été réduites à celle de son représentant, appelé « chef de ménage » dans une perspective androcentrée. Depuis 2004, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a adopté une nouvelle définition de la personne de référence d’un ménage qui ne tient plus compte du sexe et donne la priorité à l’actif le plus âgé (Saint-Pol et al., 2004).
-
[9]
La probabilité qu’un ménage voie ses revenus baisser croît mécaniquement avec le nombre d’actifs occupés dans le logement. Par exemple, si 30 % des personnes perdent des revenus quelles que soient leurs situations, il y a 49 % de chances qu’un ménage biactif perde des revenus contre 30 % pour un actif unique. Il convient donc d’être prudent sur les interprétations.
-
[10]
En utilisant la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (PCS) au niveau du ménage, nous avons défini les couples modestes comme les couples composés de deux ouvriers, d’un seul actif ouvrier ou employé avec un inactif, ou de deux inactifs (hors retraités). Nous utilisons ici la nomenclature « PCS ménage » de l’Insee pour appréhender la classe sociale du ménage. Les ménages à dominante cadre regroupent les cadres en couple avec des cadres ou professions intermédiaires. Les ménages à dominante intermédiaire regroupent les cadres avec un employé ou un ouvrier, les cadres avec un inactif ou sans conjoint, les professions intermédiaires ou cadres avec un petit indépendant, les professions intermédiaires avec une profession intermédiaire. Les ménages à dominante employée regroupent les employés en couple avec un employé, les professions intermédiaires en couple avec un employé ou un ouvrier. Les ménages à dominante indépendante regroupent les indépendants en couple avec un indépendant, un ouvrier, un employé ou un inactif. Les ménages à dominante ouvrière, les ouvriers en couple avec un employé ou un ouvrier. Les ménages d’un employé ou ouvrier rassemblent ces catégories en couple avec un inactif ou sans conjoint. Enfin, les ménages d’inactifs sont composés uniquement d’inactifs.
-
[11]
La concentration du patrimoine parmi les ménages est beaucoup plus accentuée que celle des revenus. Voir T. Piketti (2019).
-
[12]
Les prénoms des enquêtés ont été pseudonymisés en conservant des caractéristiques proches des prénoms originaux.
-
[13]
Sur le dispositif de chômage partiel : www.economie.gouv.fr/covid19-soutien-entreprises/dispositif-de-chomage-partiel (consulté le 28 septembre 2021).
-
[14]
Par comparaison, les familles de classes populaires se caractérisent par un modèle éducatif « de réalisation naturelle » où les activités des enfants sont moins encadrées par des adultes, moins structurées dans le temps et moins explicitement organisées autour de visées éducatives (Lareau, 2003).
-
[15]
Le surpeuplement est défini prioritairement par l’Insee en fonction du nombre de pièces et de la composition du ménage et, dans une moindre mesure, en fonction de la surface disponible par personne.
-
[16]
Voir également l’article de F. Bugeja et A. Lambert dans ce même numéro, p. 91.
-
[17]
Nous avons fixé ce seuil à 25 m2 par personne, correspondant au seuil considéré par l’Insee dans le cas d’une personne résidant dans un studio.
-
[18]
Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire : www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000041746694 (consulté le 21 juin 2021).