CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Dans l’un des premiers essais historiographiques sur la doctrine des races, l’économiste Alfred Sudre s’étonne :
« Étrange contradiction ! cette doctrine est, en général, professée par des hommes dévoués aux principes de la liberté […] et d’égalité, si sympathiques à la cause des vaincus et des opprimés […], défenseurs du progrès [qui] ne pouvaient prévoir à quel excès certains de leurs imitateurs porteraient l’idée de la distinction des races et quelles doctrines d’inégalité, d’oppression et de servitude ils déduiraient de principes inspirés par une pensée de l’émancipation ».
Aux lecteurs habitués à voir dans Gobineau le père de la doctrine des races et dans celle-ci une doctrine justifiant l’exclusion et l’asservissement au nom d’inégalités naturelles, ces assertions semblent étranges. Elles inscrivent cette doctrine, selon laquelle l’histoire, l’ordre actuel et le destin des sociétés trouvent leur principe dans les rapports (de domination, de lutte, de mélange) entre les races qui les composent, dans une autre généalogie et pointent les affinités entre la définition de la race comme objet/sujet du politique et les courants libéraux et réformateurs qui, sous la Restauration et la monarchie de Juillet, ont défendu la liberté, le progrès et l’émancipation.
Ces affinités ne se situent pas simplement au niveau des principes : elles sont passibles d’une histoire sociale. On peut confirmer les assertions de Sudre par une étude des réseaux qui promeuvent la science des races en France dans le premie…

Français

Cet article examine comment la doctrine des races, qui place la race au cœur de l’histoire et du destin des sociétés politiques, fut élaborée et promue, en France, entre 1815 et 1848, non par des courants réactionnaires ou défenseurs de l’esclavage, mais par des groupes libéraux, républicains et réformateurs sociaux, engagés pour l’émancipation, le progrès et la liberté. Après être revenu sur la manière dont ce lien entre la race et ces courants est manifeste dans les années 1830-1840, notamment via la composition de la Société ethnologique de Paris et l’examen des réseaux promouvant cette doctrine, l’article se concentre sur le groupe du Censeur Européen (Charles Dunoyer, Charles Comte et Augustin Thierry) qu’il identifie comme ayant joué un rôle clé dans la définition de la race comme objet et sujet fondamental du politique. Il décrit la manière dont ces auteurs sont inscrits au cœur des réseaux libéraux sous la Restauration, avant de revenir sur les raisons, complexes, pour lesquelles ils mobilisent la race dans leurs réflexions politiques. L’article montre comment cette mobilisation, loin d’être contradictoire avec leurs principes, est cohérente avec leurs manières d’envisager la liberté et le progrès. La race sert à la fois à penser les obstacles et les conditions de réalisation effective de la liberté. Elle sert de moyen pour penser les luttes qui traversent les sociétés entre races parasites et productives. Elle sert, enfin, de moyen pour donner un corps, une généalogie et une mémoire à des groupes dominés ou effacés de l’histoire et des institutions.

Mots-clés

  • doctrine de race
  • libéralisme
  • colonisation
  • lutte des races
  • inégalités naturelles
Claude-Olivier Doron
Université de Paris
5 Rue Thomas Mann
75013 Paris
colivierdoron@gmail.com
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Mis en ligne sur Cairn.info le 13/10/2021
https://doi.org/10.3917/rhmc.683.0174
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