1 L’étude du niveau de vie des membres des groupes les plus pauvres revêt une importance considérable pour comprendre l’évolution globale d’une société [1]. Elle s’avère nécessaire pour analyser des processus sociaux dans leur globalité. Il en est ainsi par exemple de l’augmentation du nombre de journaliers agricoles, qui est généralement interprétée soit comme un « appauvrissement » de la société, soit comme un effet de la « proto-industrialisation » [2] ou encore de la « révolution industrieuse » [3]. Ces deux derniers concepts sont eux-mêmes habituellement associés à de nouvelles opportunités qui, apparues dans le monde rural, pourraient favoriser une croissance de la consommation de biens matériels dans les campagnes de la part des foyers populaires [4]. Nous défendrons ici l’idée qu’il ne s’agit pas de processus nécessairement contradictoires. Une hausse de la demande de certains produits par les classes les plus pauvres et les plus nombreuses est susceptible de faire nettement progresser le volume des produits commercialisés dans une région, offrant alors de nouvelles perspectives pour le monde artisanal et commercial [5].
2 Il n’est cependant pas toujours facile d’étudier le niveau et les conditions de vie des groupes les plus humbles de la société, dans la mesure où ils laissent généralement peu de traces dans les sources documentaires. Mais il est d’autres raisons qui rendent ce travail peu aisé. D’une part, les étiquettes utilisées dans ces sources pour définir et classer les individus d’une société ne s’avèrent pas toujours vraiment utiles, et elles peuvent même parfois constituer des obstacles pour la recherche. D’autre part, l’information sur les salaires dans le monde rural, qui représente pourtant un des indicateurs les plus utilisés dans les études portant sur les niveaux de vie, n’est pas vraiment significative si elle n’est pas accompagnée de données sur la tâche réalisée, sur les journées effectives de travail et sur l’ensemble des revenus perçus par les membres des familles de travailleurs. Parmi ces rétributions, il faudrait prendre en compte tant les possibles gains apportés par les femmes et les enfants que ceux qui pourraient être dérivés d’un accès à la terre – en régime de propriété, d’emphytéose ou de location – pour les familles salariées [6].
3 Il convient donc de chercher également des sources complémentaires pour approcher ces revenus, en sachant que cette documentation peut varier selon le type de société qui fait l’objet de l’analyse. Dans cette étude, les informations utilisées sont extraites des inventaires après décès, une source classique pour les travaux portant sur la consommation. Ces données seront complétées par d’autres informations issues des contrats de mariage et relatives aux dots qui peuvent être considérées, dans le contexte du système successoral de la Catalogne fondé sur la désignation d’un héritier unique, comme le reflet de la capacité d’épargne des familles [7]. Nos réflexions seront enfin enrichies par d’autres indications formulées par quelques témoins contemporains, comme Sebastià Casanovas, un treballador du XVIIIe siècle qui coucha ses mémoires par écrit [8].
Présentation d’une étude empirique : le cas des treballadors de la région de Gérone au XVIIIe siècle
4 Notre objectif est d’examiner l’évolution du niveau de vie et des conditions de travail du groupe social le plus humble qui, à la fin de la période étudiée, était majoritaire dans la région de Gérone, située au nord-est de la Catalogne. Afin de mener à bien ce travail, il est nécessaire de présenter quelques caractéristiques sociales de l’espace considéré, avant de mettre en avant certaines particularités du groupe social qu’il s’agit d’étudier.
5 Signalons d’emblée les principales différences qui existent dans ce domaine entre la Catalogne et le reste de l’Espagne. Les deux sources principalement utilisées, les contrats de mariage et les inventaires après décès, illustrent bien ces disparités. En premier lieu, c’est uniquement dans les régions où domine la pratique de l’héritier unique – et c’est le cas en Catalogne – que les données relatives aux dots reçues par les fiancées peuvent constituer un bon indicateur des inégalités sociales [9]. Cependant, en second lieu, le système d’héritage a des conséquences ambiguës sur l’autre source utilisée, les inventaires après décès. Les retombées de ce mode successoral sont en fait contradictoires. D’une part, dans les inventaires catalans, l’absence de toute évaluation monétaire des biens répertoriés diminue la valeur de l’information contenue dans l’acte ainsi passé devant notaire. D’autre part, cependant, le nombre d’inventaires contenus dans les études notariales catalanes est souvent très supérieur à celui observé dans d’autres régions et, ce qui est encore plus important, leur représentativité est également plus élevée, surtout en ce qui concerne les groupes sociaux les plus pauvres que nous cherchons précisément à mieux connaître [10].
6 Pour ce qui est de l’identification des membres de ces groupes sociaux considérés comme les plus humbles, la région de Gérone présente un avantage certain par rapport aux autres zones catalanes. La documentation distingue en effet clairement deux catégories sociales au sein du monde rural : celle des pagesos et celle des treballadors [11]. En revanche, dans les autres régions catalanes, même s’il est tout à fait possible que des changements semblables à ceux que nous allons repérer pour la région de Gérone se soient produits, le groupement sous une seule étiquette, celle de pagès, de toute la paysannerie ne permet pas de les observer et de les analyser de manière aussi détaillée [12].
7 Le mot treballador reflète sans aucun doute le caractère modeste des personnes qu’il désigne. Il n’en reste pas moins vrai que, selon les listes cadastrales de la fin du XVIIIe siècle, de nombreux membres de ce groupe social disposaient d’une maison ou d’une parcelle de terre [13]. L’analyse des inventaires après décès confirme en outre que l’étendue de terres que possédait chacun d’eux a eu tendance à croître durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Toutefois, ce n’est pas la seule piste qui peut nous donner à penser que certains treballadors ont dû connaître une amélioration sensible de leur condition pendant la période retenue. Il n’est guère possible d’ignorer le fait qu’une nouvelle étiquette a commencé à se répandre pour les désigner dans la documentation notariale au début du XIXe siècle : celle de menestral. Utilisée dans les listes fiscales de 1795 afin de distinguer, selon ses promoteurs, ceux qui « travaillent comme journaliers, mais ne se considèrent pas inférieurs aux artisans », elle finit par devenir plus fréquente que celle de treballador dans la rédaction des actes notariés au cours de la première moitié du siècle [14].
8 L’émergence d’une nouvelle catégorie est en elle-même un signe de changement social et nos résultats auraient sans doute été sensiblement différents en ne tenant pas compte des menestrals. Il a été décidé de les intégrer dans l’étude des treballadors, parce qu’il s’agit d’une dénomination qui est apparue ultérieurement [15]. En ignorant ce phénomène, on arriverait à des conclusions manifestement trompeuses sur l’évolution des effectifs de ces treballadors ou sur leur fréquentation notariale. On pourrait en déduire que le nombre des membres de ce groupe a diminué, ce qui, nous le savons, ne correspond pas à la réalité [16], ou admettre qu’ils ont cessé de se rendre chez le notaire, ce qui serait probablement interprété comme un signe d’appauvrissement indiscutable.
9 Cette dernière réflexion nous amène à formuler une question-clé, avant de nous plonger dans l’analyse des deux sources à caractère notarial qui forment la base de ce travail : les membres des groupes sociaux les plus humbles allaient-ils chez le notaire ? Dans quelle mesure cette fréquentation a-t-elle évolué ? Entre 1750 et 1806, le pourcentage de treballadors dans les contrats de mariage passe de 32 % à 47 %. Y avait-il donc réellement plus de travailleurs ? Ou bien se mariaient-ils plus que les autres ? Ou encore, se mariaient-ils dans la même proportion mais avaient-ils tendance à formaliser davantage leurs contrats ? Bien que contradictoires, ces hypothèses révèlent l’importance du rôle joué par ce groupe social. Dans un contexte de croissance démographique, l’augmentation du nombre de treballadors est indiscutable, comme l’est aussi un certain changement dans la composition sociale de la population. Dans un autre travail, nous avons en effet pu montrer que, lors de la période comprise entre 1726 et 1755, le nombre des treballadors avait clairement dépassé celui des pagesos, parmi lesquels, il faut le remarquer, les masovers étaient majoritaires [17]. Ce changement social aurait été rendu possible par les nouvelles opportunités apparues dans la région et, en particulier, par le morcellement de nombreuses terres qui auparavant avaient fait partie des mas et dont le nombre avait peu varié. Or, nous avons démontré précédemment que si certains fils d’artisans et de métayers avaient pu profiter de ce morcellement, la plupart de ceux qui en avaient bénéficié étaient en fait des fils de treballadors [18].
10 On peut parallèlement envisager que, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors que le nombre de treballadors augmentait en termes absolus et relatifs, une hausse similaire aurait pu affecter le pourcentage de treballadors qui décidaient de faire un contrat de mariage et celui des veuves de treballadors qui décidaient d’inventorier leurs biens. Cette double éventualité n’invaliderait pas, cependant, la thèse d’un changement social important dont les protagonistes seraient les membres de ce groupe. Il est donc possible d’affirmer qu’au début du XIXe siècle, dans la région de Gérone, ils se rendaient régulièrement chez le notaire, même si la plupart d’entre eux ne savaient ni lire ni écrire. Ce constat justifie le choix de la documentation notariale pour évaluer les niveaux de vie.
11 Nous avons donc croisé les informations fournies par les contrats de mariage avec celles que donnent les inventaires après décès. Ces derniers ont déjà été présentés dans de nombreuses études antérieures, en insistant sur le fait qu’ils étaient susceptibles de fournir des données complémentaires. Les inventaires énumèrent les biens accumulés dans une maison, sans permettre parfois d’en établir les origines, mais ils attestent clairement l’apparition de nouveaux produits. Les sommes apportées par les femmes, sous forme de dot, dans une région de transmission intégrale à un héritier unique, informent sur les flux d’argent lors du mariage, même si elles ne renseignent pas sur les sacrifices que le payement de cette dot a pu représenter pour la famille [19]. Le recoupement des données fournies par les deux sources lors d’une période déterminée permet d’examiner avec une certaine rigueur l’évolution des conditions matérielles que les individus d’une génération ont connues dès leur naissance et de la situation matérielle qu’ils ont laissée à leur mort.
12 L’association de ces deux documentations est censée permettre de détecter les possibles changements survenus durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. L’analyse a été circonscrite à un groupe singulier, celui qui apparaît de façon majoritaire sous le nom de treballador dans la documentation notariale de la moitié du XVIIIe siècle, et à partir duquel ont émergé à la fin du même siècle ceux qui ont été dénommés menestrals.
13 Dans ce but, on a retenu les contrats de mariage et les inventaires post-mortem issus de différentes études notariales de la région de Gérone pour deux périodes de six ans : 1750-1755 et 1800-1805 (voir document 1). D’un côté, l’analyse a porté sur une comparaison dans l’espace et dans le temps des données issues du dépouillement des inventaires après décès pour les deux périodes citées. D’un autre côté, les contrats de mariage des mêmes études de notaires ont été pris en compte pour la seule période 1750-1755, ainsi que ceux inscrits en 1806 dans les registres d’hypothèques. Bien que les données correspondent à des familles différentes, on considérera qu’elles font partie d’une même génération : celle des treballadors qui sont nés au milieu du XVIIIe siècle, qui ont marié leurs enfants ou bien qui sont décédés au début du XIXe siècle.
14 Le recoupement des données permet d’établir, avec une certaine confiance, un schéma susceptible de fournir une tendance pour l’évolution du niveau de vie atteint au cours de leur existence par les couples appartenant au même groupe social, durant cette seconde moitié du XVIIIe siècle. En termes théoriques, les résultats pourraient conforter différentes hypothèses. Si nous sommes confrontés à une augmentation significative du montant des dots, mais associée à une stagnation ou une diminution du nombre ou de la valeur des objets décrits dans les inventaires après décès, nous pourrions conclure à une véritable stagnation du niveau de vie ; les familles auraient été contraintes d’épargner et de se sacrifier pour arriver à mieux doter leurs enfants. Le système dotal semblerait alors agir négativement sur le groupe social qui subissait cette situation. Toutefois – et c’est bien ainsi que cela s’est passé – s’il y a en même temps une hausse du montant des dots et une augmentation du nombre ou de la valeur des objets révélés par les inventaires après décès, le doute ne sera guère permis. On se trouvera en présence d’une évolution positive du niveau de vie, puisqu’elle est reflétée de manière identique dans les deux sources. Autrement dit, si dans une région donnée les deux évolutions sont parallèles, la progression du niveau de vie des familles des groupes sociaux sous observation sera avérée.
Données utilisées pour l’étude de l’évolution du niveau de vie des treballadors nés au milieu du XVIIIe siècle
Période analysée | Informations fournies par les contrats de mariage | Informations fournies par les inventaires après décès | Aspects communs aux deux sources |
Milieu XVIIIe siècle (période analysée : 1750-1755) | Dots de la génération des parents : estimation de la capacité d’épargne des familles d’origine. | Biens possédés par des parents à leur naissance : estimation de la tendance du niveau de consommation des familles d’origine. | Estimation de la richesse familiale à la naissance des individus de la génération. |
Début XIXe siècle (période analysée : 1800-1805, inventaires ; 1806, contrats de mariage) | Dots de la génération des enfants : estimation de la capacité d’épargne à la fin de leur cycle de vie familial. | Biens possédés à leur mort : estimation de la tendance du niveau de consommation à la fin du cycle de vie familial. | Estimation de la richesse familiale à la mort des individus de la génération. |
Comparaison entre les deux périodes | Analyse comparative des dots : estimation de l’évolution de la capacité d’épargne des familles de treballadors nés au milieu du XVIIIe siècle. | Analyse comparative des biens décrits dans les inventaires : estimation de l’évolution de la tendance relative au niveau de consommation des familles de treballadors nés au milieu du XVIIIe siècle. | Recoupement des deux sources : estimation de l’évolution du niveau de vie des treballadors nés au milieu du XVIIIe siècle. |

Données utilisées pour l’étude de l’évolution du niveau de vie des treballadors nés au milieu du XVIIIe siècle
Le mouvement des dots
15 Un travail précédent a permis d’établir que le montant des dots payées ou reçues par les treballadors de l’ensemble de la région de Gérone s’était fortement accru entre 1770 et 1806 [20]. Le cadre chronologique retenu dépendait de l’existence de la source, les registres des hypothèques, puisque la formalité hypothécaire n’apparut qu’en 1768. Elle n’en permettait pas moins d’extraire les données des contrats de mariage, mais cette fois pour la totalité de l’espace considéré [21]. Dans la présente étude, le même point d’arrivée sera conservé. Elle s’appuiera, en effet, sur les données de 1806 auxquelles seront adjointes les informations de même nature provenant de la zone de Besalú. Cependant, dans le but de couvrir toute la seconde moitié du XVIIIe siècle, un échantillon notarial a été également constitué pour les années centrales de ce siècle.
16 Dans l’échantillon obtenu pour le milieu du XVIIIe siècle, les fiancés treballadors représentent un peu moins d’un tiers du total, mais atteignent pratiquement la moitié de l’effectif en 1806 (voir document 2). Ces données coïncident de façon presque exacte avec les pourcentages relatifs aux groupes des jornalers que l’on trouve dans une autre source, particulièrement riche pour l’analyse des groupes socioprofessionnels : les dispenses de mariage [22].
Contrats de mariage analysés
Zone de La Bisbal | Zone de Figueres | Zone de Besalú | Ensemble de la région | |||||||||
(1) | (2) | (3) | (1) | (2) | (3) | (1) | (2) | (3) | (1) | (2) | (3) | |
1750-1755 | 196 | 60 | 30,6 % | 371 | 137 | 36,9 % | 114 | 26 | 22,8 % | 681 | 223 | 32,7 % |
1806 | 199 | 98 | 49,3 % | 283 | 151 | 53,4 % | 152 | 54 | 35,5 % | 634 | 251 | 47,8 % |

Contrats de mariage analysés
(1) : nombre de contrats ; (2) : nombre de contrats avec fiancés treballadors ; (3) : % de (2) sur (1)17 L’augmentation du pourcentage des treballadors ayant signé un contrat de mariage devant notaire est censée refléter deux tendances : un accroissement considérable du nombre de conjoints concernés, mais aussi, très probablement, une proportion croissante de ceux qui décidaient de se rendre chez le notaire lorsqu’ils se mariaient. Sur ce dernier point, il faut cependant tenir compte d’un biais : les quartiles qui servent de base à cette analyse peuvent recouvrir des secteurs différents de la population. Des informations sont en effet lacunaires pour ce qui concerne une partie des treballadors dans les années 1750-1755. Or, il s’agit très probablement des plus pauvres. Dans ce cas, certes hypothétique, la thèse que nous sommes en train d’avancer, celle d’un accroissement des dots du groupe des treballadors, deviendrait toutefois encore plus crédible.
18 L’apparition d’une nouvelle étiquette, celle de menestrals, qui définissait en principe les plus riches parmi les travailleurs, constitue une autre piste intéressante. De fait, seuls 48 fiancés qui interviennent dans les contrats de mariage de 1806 adoptent cette nouvelle étiquette et il est vrai qu’ils se distribuent géographiquement de façon fort inégale : 27 dans la zone de Figueres, 14 dans celle de Besalú et seulement 5 dans celle de La Bisbal. Cependant, il n’est pas indifférent de remarquer que les dots des menestrals sont généralement plus élevées que celles des treballadors, quand bien même on peut trouver des fiancés treballadors avec des dots qui atteignent 1000 livres et des menestrals qui se contentent de dots inférieures à 50 livres.
19 Le document 3 présente la valeur nominale des dots des treballadors et des menestrals en 1806, globalement et séparément, pour l’ensemble de la région, et celle des treballadors seuls pour la période 1750-1755, en retenant le seuil des trois quartiles. Sur la dernière ligne du tableau figure l’évolution des dots en termes réels, pour l’ensemble du groupe, en utilisant le prix du blé, sachant qu’il a été multiplié par 1,87 (entre la période 1750-55 et la période 1801-1806).
Évolution des dots reçues par les fiancés treballadors (en lliures barc.)
1er quartile | 2e quartile | 3e quartile | Valeur max. | |
Treballadors 1750-1755 | 50 | 64 | 118 | 350 |
Treballadors 1806 | 75 | 125 | 250 | 1000 |
Menestrals 1806 | 109,5 | 269 | 437,5 | 1081,5 |
Treballadors plus menestrals 1806 | 90 | 150 | 275 | 1081,5 |
Treballadors plus menestrals de 1806 en termes réels équivalents de 1750-1755 | 48 | 80 | 147 | 578 |

Évolution des dots reçues par les fiancés treballadors (en lliures barc.)
20 Si l’on tient compte de l’augmentation du pourcentage de contrats de mariage signés par des treballadors et de la forte représentativité des données de 1806, il ne fait aucun doute que le montant global des dots des treballadors s’est probablement maintenu, et que ce maintien s’est accompagné d’une augmentation visible chez certains membres de ce groupe social [23]. Une telle hypothèse n’aurait pu être soutenue de façon aussi catégorique si les données des seuls treballadors avaient été prises en compte. Les dots des menestrals sont en règle générale plus élevées que celles des treballadors (voir document 3).
21 Or, la hausse des dots de certains treballadors (par ailleurs de plus en plus nombreux) reste en fait compatible avec l’hypothèse d’un appauvrissement global des membres de ce groupe social, quand bien même elle aurait suivi le rythme des prix du blé. Une hypothèse aussi pessimiste ne pourrait être démentie que par des données externes, celles relatives à la consommation des individus. Par une analyse plus détaillée des contrats, on relève que, dans la plupart des cas, outre la partie monétaire des dots stipulées en argent, un certain nombre d’objets sont mentionnés. Or, ils ont connu une progression considérable de leur valeur vénale, surtout pour ce qui concerne les vêtements [24]. Cependant, pour l’examiner plus profondément, il est un instrument plus efficace : les inventaires après décès.
Les apports des inventaires après décès
22 911 inventaires post-mortem, relatifs aux deux périodes de six années qui servent de référence, ont été dépouillés (1750-1755 et 1800-1805). Parmi eux, 188 correspondent à des inventaires de treballadors décédés [25]. Le document 4 en présente la distribution selon les périodes et les zones.
Inventaires après décès selon les lieux concernés
Zone de La Bisbal | Zone de Figueres | Zone de Besalú | Ensemble de la région | |||||||||
(1) | (2) | (3) | (1) | (2) | (3) | (1) | (2) | (3) | (1) | (2) | (3) | |
1750-1755 | 205 | 55 | 26,8 % | 119 | 20 | 16,8 % | 80 | 7 | 7,5 % | 404 | 82 | 20,1 % |
1800-1805 | 182 | 49 | 26,9 % | 224 | 47 | 21,0 % | 105 | 16 | 10,5 % | 511 | 112 | 20,9 % |

Inventaires après décès selon les lieux concernés
(1) : nombre de contrats ; (2) : nombre d’inventaires de treballadors (et menestrals) ; (3) : % de (2) sur (1)23 Les documents 5 et 6 reposent sur l’examen de six types de biens. Le premier de ces tableaux s’appuie sur le calcul de la médiane du nombre d’objets repérés dans les inventaires pour lesquels leur présence est attestée. Le second établit le pourcentage des occurrences de la mention de l’item en fonction du nombre d’inventaires. Deux de ces objets peuvent être considérés comme classiques : les draps et les chemises (étant donné qu’il est en effet difficile d’imaginer leur absence dans une maison), les quatre autres peuvent être vus comme plus novateurs, du moins en ce qui concerne leur diffusion dans le groupe des treballadors : les serviettes, les cuillères, les fourchettes et les chocolatières. Dans le cas des draps et des chemises, le taux de présence ne saurait être tenu comme représentatif, à la différence du nombre total de mentions qui a été relevé. En revanche, pour les quatre autres objets, cette proportion peut être considérée comme aussi importante, si ce n’est plus, que la valeur moyenne.
Analyse des inventaires après décès des treballadors de la région. Moyenne du nombre d’objets repérés parmi les inventaires qui comportent de tels objets
1750-1755 | Draps | Chemises | Serviettes | Cuillères | Fourchettes | Chocolatières |
Total région N=79 | 8,6 | 4,8 | 4,2 | 7,6 | 4 | 0 |
1800-1805 | ||||||
Total région N=103 | 9,5 | 8,6 | 9,9 | 9,1 | 7,5 | 1,1 |

Analyse des inventaires après décès des treballadors de la région. Moyenne du nombre d’objets repérés parmi les inventaires qui comportent de tels objets
Analyse des inventaires après décès des treballadors de la région. Pourcentage des occurrences de l’objet dans les inventaires
1750-1755 | Draps | Chemises | Serviettes | Cuillères | Fourchettes | Chocolatières |
Total région N=79 | 86,4 % | 40,7 % | 46,9 % | 50,8 % | 28,4 % | 0 % |
1800-1805 | ||||||
Total région N=103 | 94,4 % | 58,9 % | 66,3 % | 78,5 % | 75,7 % | 15 % |

Analyse des inventaires après décès des treballadors de la région. Pourcentage des occurrences de l’objet dans les inventaires
24 Dans l’ensemble, les données relatives aux treballadors reflètent une progression considérable du nombre d’objets possédés, ce qui peut être interprété comme un indice de l’amélioration de leur condition sociale. La diffusion d’un produit comme le chocolat, ou l’existence d’autant de fourchettes dans ces demeures, portent également à penser que des changements importants sont intervenus dans les habitudes d’alimentation et de consommation [26]. Y a-t-il eu, parallèlement, une augmentation de l’étendue des terres que chacun possède ? Le document 7 permet d’éclairer ce point en s’appuyant sur les seuls inventaires qui fournissent cette information.
Quantité de terres déclarée dans les inventaires des treballadors
N | <1 ha | 1-3 ha | 3-5 ha | > 5 ha | |
1750-1755 | 59 | 51 % | 35,5 % | 13,5 % | 0 % |
1800-1805 | 83 | 41 % | 34 % | 18 % | 7 % |

Quantité de terres déclarée dans les inventaires des treballadors
25 Afin de vérifier si l’augmentation du nombre d’objets détectés dans les inventaires s’applique à tous les treballadors de la région, même les plus pauvres, n’ont été retenus pour le document 8 que ceux d’entre eux qui n’ont aucun lopin de terre ou qui détiennent très peu de biens-fonds (moins d’1 ha) [27]. Les données concernent 28 d’entre eux pour la période 1750-1755 et 32 pour les années 1800-1805. Elles ne contredisent en rien les constats précédents : on peut vérifier que certains de ces travailleurs possèdent une chocolatière et qu’on trouve dans la plupart des maisons des cuillères et des fourchettes.
26 En comparaison, qu’en est-il des objets possédés par les onze menestrals qui figurent dans l’échantillon de 1800-1805 ? Seuls deux d’entre eux détiennent plus de 5 ha de terrain et, parmi eux, un seul possède une chocolatière. Ce qui distingue le mieux les membres de ce groupe, c’est que dans quatre cas, soit environ 40 % de l’effectif, ils détiennent des araires, alors que la présence de cet instrument rapporté à la totalité du groupe représente seulement 25,2 % des 107 inventaires analysés. Globalement, cela constitue pourtant l’un des changements les plus significatifs puisque seuls six travailleurs (7,4 % du total) possédaient ce type d’outil agricole dans l’échantillon de 1750-1755.
Analyse comparative des inventaires des treballadors qui ne possèdent pas 1 ha de terre et des menestrals
Draps | Chemises | Serviettes | Cuillères | Fourchettes | Chocolatières | |
1750-1755 Treballadors avec < 1ha. N=28 | 8,4/82,1 % | 6,1/32,14 % | 8,1/39,3 % | 5,7/64,3 % | 6,3/28,6 % | 0/0 % |
1800-1805 Treballadors avec < 1ha. N= 32 | 7,9/96,9 % | 8,6/53,1 % | 7,9/57,7 % | 9,1/76,9 % | 6,5/80,8 % | 1/21,9 % |
Menestrals 1800-1805 N=11 | 9,3/100 % | 10,8/40,3 % | 12,3/40 % | 10,2/90 % | 10/90 % | 1/10 % |

Analyse comparative des inventaires des treballadors qui ne possèdent pas 1 ha de terre et des menestrals
27 Toutes les données convergent donc pour démontrer l’augmentation considérable de la présence de certains objets dans les demeures des membres les plus humbles de la société : les treballadors. Le fait que cette tendance coïncide avec un maintien ou une augmentation de la valeur réelle des dots reçues et payées atteste une amélioration indiscutable du niveau de vie, dans la mesure où un tel progrès permettait d’augmenter la consommation sans hypothéquer le futur des descendants.
28 L’examen d’une centaine d’inventaires relatifs à des treballadors relevés dans une seule étude notariale (104 très précisément), celle de Castelló d’Empúries, mais sur une longue période qui court de 1694 à 1790, confirme la tendance observée pour la seconde moitié du XVIIIe siècle [28]. Ce sondage, effectué dans une localité située dans la zone qui s’est avérée être la plus riche de la région sur le plan agricole, permet de suivre avec une plus grande précision l’apparition de certains objets. À titre d’exemple, bien que notre série commence en 1694, ce n’est qu’en 1737 que l’on trouve le premier treballador possesseur de fourchettes. Il s’agit d’un treballador de Cadaqués, qui, selon l’inventaire de ses biens, en possédait au moins sept. Pour l’année 1738, dans l’inventaire d’un autre treballador de Castelló d’Empúries, on peut lire que cet homme en avait « quelques-unes ». À partir de 1744, il devient habituel que les treballadors disposent de ce type de couverts, dont le nombre ne cesse alors d’augmenter. Le premier qui parvient à avoir une douzaine de fourchettes est, selon un inventaire de 1756, un individu de Garriguella. On peut également constater que le premier objet en verre appartenant à une maison de treballador date de 1707. Il s’agit d’une « petite cruche ». Toutefois, aucun autre objet en verre n’apparaît jusqu’en 1732, année pour laquelle nous trouvons décrite, dans l’inventaire d’un treballador de Ventalló, « une carafe en verre, avec sa boîte en liège ». C’est en 1709 que la première chaise se trouve documentée, une « petite chaise peinte », pour être plus précis. Pour 1732, on trouve dans une autre maison de treballadors les premières assiettes en céramique peinte et, une année plus tard, le premier lit à baldaquin, un type de meuble qui finit par être majoritaire. En revanche, rien de tel n’apparaît en ce qui concerne la zone de Besalú. Aucun de ces deux derniers objets n’était présent dans les maisons de treballadors inventoriées au milieu du XVIIIe siècle.
29 Finalement, la même série d’inventaires permet de situer en 1768 le premier treballador qui dispose d’une chocolatière, un des objets sur lesquels nous souhaitons attirer l’attention, étant donné son rapport au commerce colonial. Il s’agit de Martí Ribera, un treballador de Castelló d’Empúries. Ce dernier n’était pas spécialement riche ; il possédait 0,66 ha de terre et, quant au bétail, un âne et un cochon. Le second treballador possédant le même objet (l’inventaire date de 1769) semble avoir joui d’une meilleure situation : Joan Vilanova, également treballador de Castelló, laisse en effet à sa mort un patrimoine de 3,5 ha, un araire et un cheval. Quant au premier araire retrouvé dans le corpus, bien qu’apparaissant comme « dégarni », il est décrit dans l’inventaire d’un treballador de Palausaverdera qui date de 1734.
30 L’examen de cette étude notariale de la zone de Castelló d’Empúries ne présente pas seulement un intérêt complémentaire par rapport aux tableaux présentés auparavant. C’est en effet dans cette zone que, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, le protagoniste de la dernière partie de notre étude, Sebastià Casanovas, a vécu.
Le témoignage de Sebastià Casanovas
31 Les données tirées des contrats de mariage et des inventaires après décès de la région de Gérone ont donc suggéré une nette amélioration de la position socioéconomique d’une part considérable des treballadors durant le XVIIIe siècle. C’est un bon point de départ pour avancer la thèse d’une révolution industrieuse dans la région. On admet qu’une telle révolution a pu avoir des effets positifs sur l’économie, durant l’époque moderne et dans certaines zones bien déterminées, avec la coïncidence, au sein des économies familiales paysannes, d’une intensification du travail et d’un plus grand contact avec le marché. Pour tout historien qui s’intéresse au monde rural catalan du XVIIIe siècle, cette hypothèse n’est pas véritablement une surprise. Cela fait déjà un demi-siècle que Pierre Vilar, dans son étude sur les transformations agraires à cette période, a démontré l’importance des petits paysans dans la culture de la vigne, tout en insistant sur le changement de mentalité qu’avait signifié le fait de ne plus produire pour consommer, mais bien pour vendre [29]. Il n’a pas non plus manqué de remarquer que, durant la décennie 1780, un document de la Junta de Comerç de Barcelone certifia la hausse des salaires agricoles pour toute la Catalogne [30]. Une telle progression permettrait de consolider également la thèse de la révolution industrieuse si, en s’appuyant sur une série de salaires, de Vries n’avait pas rejeté l’idée qu’un tel phénomène ait pu se produire dans l’Europe méridionale [31]. Nous proposons d’examiner cette thèse à partir de quelques témoignages contemporains.
32 Les informations consignées par le magistrat, voyageur et observateur Francisco de Zamora, durant la décennie 1790, sont extrêmement révélatrices [32]. Tant les références aux changements intervenus dans la sphère du travail que celles relatives aux modifications des pratiques de consommation apportent des arguments en faveur de la thèse d’une révolution industrieuse. Les très nombreux exemples qu’il fournit sur l’importance du travail féminin dans la région ne sauraient être négligés. En passant par Cadaqués, il remarque que les femmes de ce village et celles de Massanet de Cabrenys portent sur la tête les raisins de la récolte et les pierres pour soutenir les murs des vignes, et que, pour cette raison, elles perdent tôt leurs dents ou se retrouvent chauves [33]. Toutefois, leur situation n’est peut-être pas si désavantageuse, puisqu’il écrit que les veuves ne se remarient pas car elles gouvernent bien leur maison [34]. À Vilabertran, il est interpellé par la manière dont les femmes prennent soin des potagers [35]. Sur les marchés, elles vendent de la volaille et des légumes [36]. À Sant Llorenç de la Muga, il a compté – en le désapprouvant – que quarante femmes étaient installées sur la place en train de filer [37]. À Palafrugell, les filles fabriquent les filets qui s’appellent sardiniers, ceux-ci étant fournis au reste de l’Espagne, à Majorque et à une partie de la France [38]. Zamora écrit qu’elles touchent cinq sous, mais sans préciser si c’est par jour. À Sant Feliu de Guíxols, outre les filets, les femmes « étripent » et salent les anchois [39].
33 Ces références obligent à nuancer l’idée, répandue par certains historiens, selon laquelle le travail de la femme n’était que peu important dans les régions caractérisées par le régime dotal [40]. En ce qui concerne les salaires masculins, la seule référence que nous trouvons est indirecte, mais assez intéressante. Lorsqu’il arrive à La Jonquera, en un secteur où la fabrication de bouchons en liège est importante, Zamora explique que l’on paye entre sept et dix sous pour chaque millier de bouchons et qu’il y a des hommes qui en font 2000 en un seul jour [41]. Finalement, la lecture de ce carnet de voyage permet d’illustrer certains changements dans l’habillement qui touchent sans aucun doute les treballadors de la région de Gérone :
« Les coutumes des natifs sont simples et pacifiques, et leur habit à l’ancienne était confortable et champêtre avec l’emploi du gambeto de couleur bleue. Et dans les zones des rivages du Ter où l’on cultive avec application la cueillette des aulx, leur pourpoint était jaune et c’était par ce signe distinctif que les paysans de la région productrice des aulx étaient connus. Cette coutume a changé depuis le milieu du siècle, les gambetos de couleur bleue ayant été remplacés par d’autres plus foncés ou lie de vin, tandis que l’emploi des pourpoints ou des chemisettes de couleur paille a cessé presque entièrement, les anciens styles d’habillement ayant subi alors une altération. La propagation du luxe s’est répandue dans toutes les classes » [42].
35 Il ne s’agit pas du seul commentaire de ce voyageur sur les changements dans la consommation intervenus dans la région de Gérone [43]. Mais qu’est-ce qu’un vêtement signifiait pour un treballador ? Que représentait pour lui le fait de passer d’une moyenne de cinq chemises à une moyenne de neuf ? Les mémoires de Sebastià Casanovas nous serviront de guide pour répondre à cette question, mais aussi à d’autres qu’il est légitime de se poser sur les possibilités d’emploi offertes aux treballadors de la région [44]. Casanovas, né en 1710 et héritier de biens saisis pour dettes, a dû vivre durant une bonne partie de sa vie comme un treballador. Au cours de son récit, écrit vers 1760, il identifie la pauvreté avec le fait d’aller pieds nus et sans vêtements. En parlant du grand-père qui l’a accueilli chez lui lorsqu’il était enfant, il explique qu’il appréciait surtout d’avoir pu être « très bien chaussé et vêtu, et encore mieux servi en aliments et en boissons ». C’est pour pouvoir manger, être chaussé et vêtu qu’il décida de travailler, dans sa jeunesse, comme mosso, c’est-à-dire comme domestique, dans un mas.
36 Même s’il est possible que Casanovas exagère les misères de son passé afin de mettre davantage en valeur le mérite d’avoir pu améliorer sa position sociale en récupérant les biens de son père, les paragraphes suivants restent évocateurs :
« et comme je me trouvais également sans chaussures ni vêtements, je me décidai à fuir la maison pour aller servir dans les mas, en pensant que je pourrais au moins manger à ma faim et être chaussé et vêtu grâce à ce que j’allais gagner ; et pensant aussi que, par la suite, je verrais bien si j’arrivais à amasser quelques biens pour la vieillesse, puisque je voyais bien que de cette maison il n’allait rester que peu de choses » [45].
38 Casanovas continue son récit en expliquant qu’il n’était pas dans son intérêt d’acquérir des meubles ni d’autres biens domestiques, puisque ceux-ci pouvaient être saisis à n’importe quel moment à cause des dettes contractées, et que, pour cette raison, il procédait de la sorte :
« Quelques instants avant le début du jour, nous devions enlever tous les draps de la maison avec lesquels nous dormions, même s’il y en avait bien peu, et lorsqu’il faisait nuit noire nous devions aller les rechercher, sous peine de ne plus pouvoir dormir, et c’était pareil pour tous les autres meubles et les autres ustensiles de cuisine » [46].
40 Tout ce qui précède n’est rien d’autre qu’une justification, destinée aux possibles lecteurs de ses mémoires, de sa décision d’abandonner à l’âge de vingt ans, c’est-à-dire en 1730, la maison de ses parents dans le but de gagner sa vie comme domestique dans des mas de la région. La description des biens qu’il emporte est intéressante :
42 Parmi les maisons dans lesquelles il travailla, il demeura dans un moulin de Torroella de Montgrí ; il restitue de cette façon les plats qui y étaient servis : « les jours de viande, celle de mouton était surabondante et de même pour les jours de poisson, c’était le meilleur qui pouvait être pêché ». À 30 ans, il décida finalement de retourner à la maison de ses parents dans laquelle, selon lui, il ne trouva « ni un clou sur les murs, ni un seul fer pour fabriquer un coin, ni un seul morceau de toile pour m’envelopper le doigt où je m’étais coupé ». Il n’avait même pas de « crédit pour obtenir de l’argent » ni « d’outils pour gagner un salaire journalier ». La première chose qu’il fit alors fut d’acheter une houe, une serfouette, une serpe et un petit drap grossier. Durant des années, il va « aller dormir dans les meules de paille, tant en hiver qu’en été, m’enveloppant avec les vêtements que je portais lorsque je quittai les maîtres, sans draps ni rien d’autre » [49]. De fait, selon ses explications, les habits allaient continuer à ne pas être une priorité pour lui dans les années suivantes :
« Je passai au moins 7 à 8 ans dans la plus grande misère que l’on puisse imaginer, même si, par la miséricorde de Dieu notre Seigneur, j’ai toujours eu une bonne santé ; mais, d’un autre côté, je me suis souvent vu affamé, rempli de poux et presque tout nu, ayant déchiré les vêtements que j’avais lorsque j’étais venu de la maison des maîtres » [50].
44 Un peu plus loin, nous trouvons un récit plus minutieux sur la solution apportée à certains problèmes posés par le manque de vêtements :
« Comme j’avais déjà déchiré les vêtements que je portais au moment de quitter les maîtres, et comme ceux que j’avais étaient en très mauvais état, n’ayant pas pu m’en coudre d’autres vu que le travail effectué me permettait à peine de subvenir à mes besoins, comme cela a été dit et redit, et comme je devais toujours aller dormir dans les meules, j’étais tellement rempli de poux que personne ne voulait me voir dans mon entourage ; c’est ainsi que j’allais parfois chercher un fagot de bois et, durant la nuit, lorsque tout le monde était parti, je chauffais le four et me déshabillais alors entièrement, et je mettais tous les vêtements dans le four, et, de cette façon, je tuais les poux ; mais un jour cette pratique aurait pu me coûter bien cher, car j’avais trop chauffé le four, mais heureusement je me rendis compte à temps que les habits commençaient déjà à fumer ; si mes habits avaient brûlé jusqu’au bout, je n’aurais pas pu avoir d’autres vêtements, qu’ils soient bons ou mauvais ; on peut alors imaginer comment je me serais retrouvé » [51].
46 Il fait aussi référence au manque de biens disponibles lorsqu’il manifeste, un peu plus tard, ses craintes face au mariage :
« Me voyant avec tant de travail et de misères comme cela a été dit et redit, j’hésitais fort à me marier, pour des causes et des motifs divers ; d’abord, parce que je n’avais pas de quoi subvenir à mes besoins, ayant encore moins en ce qui concerne les vêtements pour me couvrir et ne possédant aucun meuble dans la maison » [52].
48 Mais en dehors de ces références aux problèmes que le manque de vêtements et de biens pouvait signifier pour un treballador de la première moitié du XVIIIe siècle, les réflexions de Casanovas, écrites durant la décennie 1760, nous offrent un précieux témoignage sur les conditions du travail salarié et sur les changements qu’elles ont subis durant les décennies centrales du XVIIIe siècle. De fait, il distingue dans sa vie deux façons de gagner des salaires journaliers. Dans une première phase, après avoir arrêté son travail comme domestique chez des maîtres, il s’était mis à gagner le plus possible de revenus à la journée, ce qui lui avait permis de payer ses dettes et de « subvenir à ses besoins » ; ensuite, dans un second temps, installé de nouveau dans le mas de ses parents, il avait continué à travailler pour gagner ce type de salaire, mais son but alors, selon lui, était bien de « gagner des juntes », c’est-à-dire de faire labourer son lopin de terre. C’est dans la description et le souvenir de la première étape, la plus dure, que Casanovas nous offre un témoignage saisissant sur les changements survenus en peu d’années dans les conditions de travail dans le secteur agricole de la région. La vie du pur journalier est celle qu’il nous décrit de cette façon :
« les matins, lorsque je devais aller au travail journalier, je devais me lever très tôt pour me préparer quelque chose à manger et les victuailles devaient servir pour toute la journée ; mais le pire, c’était le soir, lorsque j’arrivais chez moi très fatigué et épuisé à cause du travail et du chemin parcouru, et souvent en arrivant de nuit, je me retrouvais chez moi sans feu, ni lumière, ni assiette propre, ni marmite, ni eau pour me préparer une assiette de soupe ; et c’est ainsi que très souvent, en arrivant chez moi, je me mettais à pleurer, et j’allais me coucher sans rien dans le ventre ; et, le lendemain matin, je me retrouvais face au même conflit, devant retourner au travail journalier » [53].
50 Le souvenir de cette dure épreuve, à vingt ans de distance, révèle les importants changements intervenus sur le marché du travail vers 1760 [54]. Deux tendances se profilent. D’abord, l’augmentation des jours de travail à la campagne : « Comme à cette époque-là il n’y avait pas beaucoup de travail à réaliser durant l’hiver, bien au contraire de ce qui se passe maintenant, où nous devons garantir le travail des journaliers quinze jours avant, et même ainsi ils s’en ravisent souvent » [55]. En deuxième lieu, l’accroissement de la valeur des rémunérations. Vingt ans avant : « nous étions dans le mois de mai et nous n’arrivions pas à gagner plus de 5 sous, et encore nous devions nous nourrir par nous-mêmes » [56]. À l’époque où Casanovas écrit cela, on trouve dans la documentation notariale nombre de références à des salaires supérieurs à sept sous [57].
51 Le cas de Sebastià Casanovas est certainement atypique, car c’est en payant les dettes de ses parents qu’il peut avoir accès à des terres. Mais, d’une certaine façon, les deux étapes successives qui jalonnent son existence en tant que travailleur salarié, telles qu’il les a décrites, pourraient avoir été parcourues par des milliers de travailleurs de la région de Gérone, qui ont eu accès à de petites parcelles de terre grâce à l’achat de terrains ou par des contrats d’emphytéose [58]. De fait, le manque de travailleurs salariés dans le monde rural catalan, tel que Sebastià Casanovas le décrit, pouvait être dû principalement à la prolifération, durant toute cette période, des établissements par bail emphytéotique, qui permettaient à de nombreux treballadors de renégocier à la hausse leurs salaires. Comme pour Casanovas, le labeur de certains de ces treballadors avait peu à peu changé d’objectif : de « subvenir uniquement à leurs besoins », ils étaient passés à « profiter du labour d’un lopin de terre ». Dans ce nouveau contexte, ils pouvaient décider « d’amasser un peu de biens » et d’acheter quelques meubles, pour que « personne ne puisse se moquer d’eux, comme on le faisait avant ». C’est sans doute ce changement de position et de perception sociale pour un nombre croissant de treballadors qui expliquerait le succès de l’étiquette de menestrals.
52 L’objectif de ce travail était d’évaluer, à partir de diverses sources quantitatives et qualitatives, l’évolution du niveau de vie des treballadors de la région de Gérone. En mobilisant les contrats de mariage et les inventaires après décès, il est apparu que les treballadors maintiennent le niveau des dots octroyées ou reçues durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, tandis que leur niveau de consommation augmente avec l’irruption de nombreux objets dans leurs intérieurs, dont certains, comme les fourchettes et les chocolatières, sont relativement nouveaux. Même si ces données n’invalident pas la possibilité que certains d’entre eux aient été terriblement pauvres, tant en 1750 qu’en 1800, elles indiquent clairement qu’une partie significative des treballadors a pu connaître des changements importants dans son niveau de consommation et de vie. Un tel progrès s’accorde bien avec l’apparition au sein de ce groupe social d’une nouvelle catégorie, à la fin de la période étudiée, celle de menestral qui, comme nous l’avons montré par ailleurs, a fini quasiment par l’emporter numériquement sur celle de treballador au cours de la première moitié du XIXe siècle.
53 Ainsi, l’augmentation du nombre de journaliers ruraux dans une société donnée ne peut être analysée uniquement comme un processus de prolétarisation ; du moins, il convient de clarifier ce qui se cache derrière ce mot. Les résultats obtenus étayent en revanche l’hypothèse d’un phénomène très similaire à une « révolution industrieuse », dans le double sens où Jan de Vries emploie cette expression : celui d’une intensification du travail au sein des économies familiales et celui d’une intensification de la consommation des produits acquis sur le marché [59]. Ils n’en autorisent pas moins à remettre en question la méthode employée et à dénoncer la rapidité avec laquelle de Vries et d’autres auteurs nient la possibilité d’un phénomène de ce type dans la zone méditerranéenne – de Vries s’appuyant pour ce faire sur une série de salaires [60]. En attendant les résultats d’une recherche en cours sur les salaires agricoles dans la région, il n’est pas possible d’esquiver un désaccord nourri d’une double leçon méthodologique qui, bien que n’étant pas entièrement nouvelle, ne saurait être oubliée : l’insuffisance des salaires pour mesurer le niveau de vie des classes populaires dans le monde rural et, en même temps, l’importance de continuer à tenter de le mesurer [61].
Notes
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[1]
Ce travail fait partie des projets de recherche HAR 2011-25077 et HAR 2014-54891-P, financés par le ministère espagnol de l’Économie et de la Compétitivité, et inclut les résultats partiels des thèses d’Eulàlia ESTEVE, « Homes, terres, cases i masos del Baix Empordà. Estudi de les transformacions sociala sals segles XVIII i XIX », thèse de l’université de Gérone, 2011, et d’Albert SERRAMONTMANY, « Nivells de vida, dinàmiques socials i canvi històric. L’àrea de Besalú, 1750-1850 », thèse de l’université de Gérone, 2016, réalisées dans le cadre de ces projets et dirigées par Rosa Congost.
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[2]
Donald C. COLEMAN, « Proto-industrialization : A concept too many », Economic History Review, 36-3, 1983, p. 435-448 ; Peter KRIEDTE, Hans MEDICK, Jürgen SCHLUMBOHM, « Protoindustrialization revisited : Demography, social structure and modern domestic industry », Continuity and Change, 8-2, 1993, p. 217-252 ; Ulrich PFISTER, « Proto-industrialization and demographic change : The canton of Zürich revisited », Journal of European Economic History, 18-3, 1989, p. 629-662 ; J. SCHLUMBOHM, « “Proto-industrialization” as a research strategy and a historical period – a balance sheet », in Sheilagh C. OGILVIE, Markus CERMAN (éd.), European Proto-Industrialization, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, p. 12-22. En ligne
-
[3]
Sur la révolution industrieuse : Jan DE VRIES, The Industrious Revolution. Consumer Behavior and the Household Economy, 1650 to the Present, Cambridge, Cambridge University Press, 2008. Voir également les comptes rendus critiques de ce livre : Jean-Yves GRENIER, « Travailler plus pour consommer plus. Désir de consommer et essor du capitalisme, du XVIIe siècle à nos jours », Annales HSS, 65-3, 2010, p. 787-798 ; Jaume TORRAS ELIAS, Revista de Historia Industrial, 44, 2010, p. 181-183.
-
[4]
Anton J. SCHUURMAN, Lorena S. WALSH (éd.), Material Culture : Consumption, Life-Style, Standard of Living, 1500-1900, Milan, Universita Bocconi, 1994 ; Paolo MALANIMA, Il lusso dei contadini : Consumi e industrie nelle campagne toscane del sei e settecento, Bologne, Il Mulino, 1990 ; Claude CAILLY, « Structure sociale et consommation dans le monde proto-industriel rural textile : Le cas du Perche ornais au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 45-4, 1998, p. 746-774 ; Susan E. FLAVIN, « Consumption and material culture in sixteenth-century Ireland », Economic History Review, 64-4, 2011, p. 1144-1174. Pour la Catalogne : Julie MARFANY, Land, Proto-industry and Population in Catalonia, c. 1680-1829. An Alternative Transition to Capitalism ?, Farnham, Ashgate, 2012. Un état récent de la question portant sur la nécessité de tenir compte des différents débats en cours : A. SCHUURMAN, « Things by which one measures one’s life. Wealth and poverty in European rural societies », in John BROAD, ID. (éd.), Wealth and Poverty in European Rural Societies from the Sixteenth to Nineteenth Century, Turnhout, Brepols, 2014, p. 13-37. En ligne
-
[5]
Anne E.C. MCCANTS, « Poor consumers as global consumers: The diffusion of tea and coffee drinking in the eighteenth century », Economic History Review, 61-1, 2008, p. 172-200. En ligne
-
[6]
L’importance de la pluriactivité dans les économies familiales est connue depuis plusieurs années. Voir par exemple : Gilbert GARRIER, Ronald HUBSCHER (éd.), Entre faucilles et marteaux : pluriactivités et stratégies paysannes, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1988 ; pour la Catalogne : Rosa CONGOST, Llorenç FERRER (éd.), « Pluriactivitat en el camp català », numéro spécial de la revue Estudis d’Història Agrària, 19, 2006.
-
[7]
Rosa ROS MASSANA (éd.), Els capítols matrimonials. Una font per a la història social, Gérone, Documenta Universitaria, 2010.
-
[8]
Sebastià S. CASANOVAS I CANUT, El manuscrit de Palausaverdera. Memòries d’un pagès empordanès del segle XVIII, éd. Jordi Geli et M. Àngels Anglada, Figueres, Carles Vallès, 1986.
-
[9]
R. CONGOST, « Els dots com a indicadors de les desigualtats socials i de la seva evolució en el temps », in R. ROS MASSANA (éd.), Els capítols…, op. cit., p. 161-193.
-
[10]
Dans l’un des derniers travaux fondés sur des inventaires après décès en Castille, on peut observer que les familles avec un revenu inférieur à 500 réaux, bien que formant 45 % de la société analysée, ne représentaient que 5 % des inventaires repérés dans les études notariales : Fernando RAMOS PALENCIA, Pautas de consumo y mercado en Castilla, 1750-1850. Economía familiar in Palencia al final del Antiguo Régimen, Madrid, Sílex, 2010, p. 56. Dans notre échantillon, les treballadors constituent un quart des inventaires, alors que nous savons qu’ils représentaient 50 % de la population.
-
[11]
Dans la documentation notariale de tout le XVIIIe siècle, l’étiquette la plus utilisée est celle de « treballador » (travailleur). Dans la documentation ecclésiastique des mêmes années, les termes employés pour désigner le même groupe social sont ceux de « jornaler » (journalier) en 1755 et de « bracer » (brassier) en 1805. Dans les deux types de documentation, l’étiquette « pagès » est réservée aux individus associés aux mas, c’est-à-dire aux exploitations familiales autosuffisantes. Malheureusement, l’étiquette « pagès » peut cacher de grandes différences sociales car elle inclut des propriétaires agriculteurs, des propriétaires de plusieurs mas susceptibles d’être rentiers, et des « masovers » (métayers).
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[12]
Dans la plus grande partie du territoire catalan, la catégorie des pagès regroupait aussi les petits agriculteurs, soit locataires, soit propriétaires, qui souvent d’ailleurs étaient également des journaliers. La manière différente de catégoriser les groupes sociaux peut être également observée dans le recensement de Floridablanca : Josep IGLÉSIES (éd.), El cens del comte de Floridablanca 1787 (part de Catalunya), 2 vol., Barcelone, Fundació Salvador Vives i Casajuana, 1969-1970.
-
[13]
L’impôt du cadastre, qui était largement un impôt foncier, a été instauré en 1716. Les listes des contribuables du cadastre qui nous ont permis de réaliser cet exercice sont celles de 1795, recueillies dans les Llibres de l’Armament General [Livres de l’Armement général] des archives de la ville de Gérone (désormais AVG).
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[14]
Nous trouvons cette description de menestral dans la proposition de classement des individus de plus de 16 ans réalisée en 1795 en raison d’une contribution extraordinaire levée durant la « Grande Guerre » contre la France : AVG, Llibres de l’Armament General, Lligall 19.
-
[15]
Littéralement, le terme menestral peut être traduit par le mot artisan. Mais, dans la région de Gérone, durant une bonne partie du XIXe siècle, il est utilisé comme synonyme de « petit propriétaire ». Sur l’émergence de cette catégorie parmi les individus qui avaient été auparavant définis comme treballadors : R. CONGOST, « Més enllà de les etiquetes. Reflexions sobre l’anàlisi dels grups socials humils. La regió de Girona (1770-1850) », Recerques : Història, economia i cultura, 68, 2014, p. 165-191.
-
[16]
Les données du recensement de 1857 indiquent que les « jornaleros del campo » constituent près de 50 % de la population masculine de plus de 16 ans dans la province de Gérone : Pedro MARTÍNEZ QUINTANILLA, La provincia de Gerona. Datos estadísticos, Gérone, Imprenta de F. Dorca, 1865.
-
[17]
R. CONGOST, R. ROS, Enric SAGUER, « Beyond life cycle and inheritance strategies : The rise of a middling social group in an Ancien Régime society (Catalonia, eighteenth Century) », Journal of Social History, 49-3, 2016, p. 617-646. En ligne
-
[18]
R. CONGOST, L. FERRER, J. MARFANY, « The formation of new households and social change in a single heir system : The Catalan case, eighteenth century », in Anne-Lise HEAD-KÖNIG, Péter POZSGAI (éd.), Inheritance Practices, Marriage Strategies and Household Formation in European Rural Societies, Turnhout, Brepols, 2013, p. 49-73.
-
[19]
Nous nous différencions clairement à ce sujet de la position défendue par Tine DE MOOR, Jan Luiten VAN ZANDEN, « Girl power : The European marriage pattern and labour markets in the North Sea region in the late medieval and early modern period », Economic History Review, 63-1, 2010, p. 1-33.
-
[20]
R. CONGOST, R. ROS, « Change in society, continuity in marriage : An approach to social dynamics through marriage contracts (Catalonia, 1750-1850) », Continuity and Change, 28-2, 2013, p. 273-306.
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[21]
Sur la source : R. CONGOST, « Una font poc utilitzada : el registre d’hipoteques », Estudis d’Història Agrària, 8, 1990, p. 201-234 ; Sebastià VILLALÓN BARRAGÁN, « Els problemes de la informació en una societat d’Antic Règim. Els notaris catalans durant la creació del registre d’hipoteques », in R. CONGOST (éd.), Dels capbreus al registre de la propietat. Drets, títols i usos socials de la informació a Catalunya (segles XIV-XX), Gérone, Documenta Universitaria, 2008, p. 241-274. Dans ce dernier travail, on peut voir que les notaires catalans tiennent à ce que les registres d’hypothèques, de création récente, puissent renvoyer aux contrats de mariage.
-
[22]
R. CONGOST et alii, « Les dispenses de bans. Une source pour la démographie historique et l’histoire sociale », Population, 67-3, 2012, p. 549-563. En 1755, le nombre de dispenses demandées dans l’évêché de Gérone s’éleva à 884 et, dans 29,5 % des cas, les fiancés furent qualifiés de journaliers par les curés de leur village. En 1805, le nombre de dispenses était passé à 1987 et, dans 46 % des cas, c’était les treballadors qui en étaient les protagonistes, étant désormais dénommés bracers dans la documentation ecclésiastique. L’étiquette menestral, quant à elle, avait à peine commencé à se développer dans les sphères ecclésiastiques, puisqu’on ne la trouve que cinq fois dans cette même base de données.
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[23]
Pour les zones de Figueres et de La Bisbal, nous disposons également des données relatives à 1807, qui confirment la même tendance.
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[24]
Le décompte des robes apportées lors des mariages dans les régions de Besalú et de La Bisbal procure la même information : le nombre de celles qui ont été octroyées à la fiancée a augmenté significativement et, de plus, leur provenance et leurs couleurs se sont, semble-t-il, diversifiées. Sur ce point : H. MEDICK, « Une culture de la considération : Les vêtements et leurs couleurs à Laichingen entre 1750 et 1820 », Annales HSS, 50-4, 1995, p. 753-774 ; dans le cadre catalan : Jaume TORRAS, Montserrat DURAN, Lídia TORRA, « El ajuar de la novia : el consumo de tejidos en los contratos matrimoniales de una localidad catalana, 1600-1800 », in J. TORRAS, Bartolome YUN (éd.), Consumo, condiciones de vida y comercialización : Cataluña y Castilla, siglos XVII-XIX, Valladolid, Junta de Castilla y León, 1999, p. 61-69.
-
[25]
Peter KING, « Pauper inventories and the material lives of the poor in the eighteenth and early nineteenth centuries », in Tim HITCHCOCK, ID., Pamela SHARPE (éd.), Chronicling Poverty : The Voices and Strategies of the English Poor, 1640-1840, Basingstoke, Macmillan, 1997, p. 155-191.
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[26]
Ces indicateurs sont d’autant plus significatifs qu’en règle générale leur occurrence est plus forte, dès 1750-1755, que celles qui ont pu être établies pour d’autres zones catalanes, et cela même pour des périodes postérieures : Belén MORENO CLAVERÍAS, Consum i condicions de vida a la Catalunya moderna : el Penedés, 1670-1790, Vilafranca del Penedés, Edicions i Propostes Culturals Andana, 2007.
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[27]
Cet exercice facilite la comparaison avec les zones où aucune étiquette n’est utilisée pour distinguer les journaliers et les petits propriétaires du restant de la paysannerie. Par exemple : B. MORENO CLAVERÍAS, Consum…, op. cit.
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[28]
AVG, étude notariale de Castelló de Ramon Heras, livres d’inventaires et de ventes aux enchères, 1694-1790.
-
[29]
Pierre VILAR, La Catalogne dans l’Espagne moderne : recherches sur les fondements économiques des structures nationales, 3 vol., Paris, SEVPEN, 1962.
-
[30]
Junta de Comerç de Barcelona, Discurso sobre la agricultura, comercio e industria del Principado de Cataluña [1780], éd. Ernest Lluch, Barcelone, Alta Fulla, 1997.
-
[31]
J. DE VRIES, The Industrious Revolution…, op. cit., p. 83.
-
[32]
Francisco DE ZAMORA, Diario de los viajes hechos en Cataluña, Barcelone, Curial, 1973.
-
[33]
Ibidem, p. 348 et 375.
-
[34]
Ibidem, p. 350.
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[35]
Ibidem, p. 337.
-
[36]
Ibidem, p. 308, sur le fait que les femmes se rendent au marché de Gérone avec des produits de leur basse-cour. Quant aux femmes de Vilabertran qui vendent des légumes sur le marché de Figueres : ibidem, p. 355.
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[37]
Ibidem, p. 327.
-
[38]
Ibidem, p. 378.
-
[39]
Ibidem, p. 379.
-
[40]
T. DE MOOR, J. L. VAN ZANDEN, « Girl power… », art. cit. Lors de son passage dans la région, l’attention d’Arthur Young est également attirée par l’importance du travail des femmes : Arthur YOUNG, Viatge a Catalunya [1787], Barcelone, Ariel, 1970. Il remarque par exemple qu’à Medinyà, 20 ou 30 femmes sont en train d’aménager le terre-plein (ibidem, p. 93) ou que, sur le chemin de Barcelone à Gérone, les filles filent le chanvre pendant qu’elles gardent les cochons et les moutons (ibidem, p. 90). On peut lire ibidem, p. 99 : « les femmes et les jeunes gens tricotent ».
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[41]
F. DE ZAMORA, Diario…, op. cit., p. 328.
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[42]
Ibidem, p. 333. De fait, dans les deux cas où la couleur des gambetos se trouve détaillée dans notre échantillon d’inventaires du Haut Ampourdan de 1750-1755, on parle de la couleur lie de vin ou de la couleur œil de perdrix.
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[43]
Nous pouvons citer celui-ci, formulé lors de son passage à Lloret : « le vieux Sala, un homme de 80 ans, m’assura qu’il avait vu les héritiers manger seulement du maïs et porter des vêtements rapiécés lors des fêtes patronales, tout en s’étonnant que les gens puissent, toutefois, encore se plaindre ». De même, lorsqu’il se rend à Canet : « le vicaire a constaté que tous les riches actuels du village ont été eux-mêmes pauvres », ibidem, p. 383 et 389.
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[44]
S. CASANOVAS I CANUT, El manuscrit…, op. cit.
-
[45]
Ibidem, p. 95.
-
[46]
Ibidem, p. 95.
-
[47]
Tissu de laine de mauvaise qualité.
-
[48]
Ibidem, p. 96.
-
[49]
Ibidem, p. 108.
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[50]
Ibidem, p. 111.
-
[51]
Ibidem, p. 112.
-
[52]
Ibidem, p. 115.
-
[53]
Ibidem, p. 112.
-
[54]
Ibidem, p. 111.
-
[55]
Ibidem, p. 111.
-
[56]
Ibidem, p. 112.
-
[57]
De fait, les seules séries dont nous disposons sur les salaires dans la région de Gérone correspondent aux revenus d’un aide-maçon lors de la construction de la cathédrale de Gérone. Selon ces données, les salaires n’auraient pas évolué durant le XVIIIe siècle et se seraient stabilisés à 6 sous. Casanovas nous parle des variations des salaires journaliers au cours de l’année et indique comme une évidence que les salaires avaient augmenté pendant les deux décennies centrales du siècle. Voir aussi Ramon GARRABOU, Enric TELLO, « Salario come costo, salario come reddito : Il prezzo delle giornate agricole nella Catalogna contemporanea (1727-1930) », Meridiana, 24, 1995, p. 173-203.
-
[58]
R. CONGOST, « The social dynamics of agricultural growth : The example of Catalan emphyteusis in the eighteenth century », in Gérard BÉAUR et alii (éd.), Property Rights, Land Markets and Economic Growth in the European Countryside (13th-20th centuries), Turnhout, Brepols, 2013, p. 439-454.
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[59]
James LIVESEY, « Material culture, economic institutions and peasant revolution in lower Languedoc 1770-1840 », Past & Present, 182, 2004, p. 143-173 ; Craig MULDREW, « “Th’ancient distaff” and “whirling spindle” : Measuring the contribution of spinning to household earnings and the national economy in England, 1550-1770 », Economic History Review, 65-2, 2012, p. 498-526.
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[60]
J. DE VRIES, The Industrious Revolution…, op. cit., p. 83.
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[61]
Avec d’autres, nous nous inquiétons de la façon dont certains des prétendus grands débats de l’histoire économique se diluent, depuis quelques décennies, dans des séries de salaires très discutables : voir Enrique LLOPIS AGELÁN, Héctor GARCÍA MONTERO, « Precios y salarios en Madrid, 1680-1800 », Investigaciones de Historia Económica, 7-2, 2011, p. 295-309 ; dans cet article, on pressent que si, au lieu d’utiliser les données relatives aux salaires de Valence ou de Madrid comme données indicatives de la Péninsule, on avait pris celles de Barcelone, les résultats de la comparaison Nord-Sud auraient été très différents. La réflexion de Pierre Vilar sur les différences entre Barcelone et Madrid remonte déjà à bien des années : P. VILAR, « L’élan urbain et le mouvement des salaires dans le bâtiment à Barcelone au XVIIIe siècle », Revue d’Histoire Économique et Sociale, 28-4, 1950, p. 364-401. Le décalage serait encore plus spectaculaire si l’on prenait en considération le fait que les salaires agricoles dépassaient les salaires urbains de la ville de Barcelone : P. VILAR, La Catalogne…, op. cit., vol. 2, p. 613-624.