1 Divers arguments, d’inégale valeur à nos yeux, peuvent être avancés pour justifier la pertinence d’une étude des institutions, pratiques et personnes charitables du premier XXe siècle. Certains peuvent être empruntés à une discussion, déjà ancienne et toujours vivante, sur la portée des activités de bienfaisance dans les chemins du « social » et de ses politiques publiques du siècle dernier à aujourd’hui.
2 On peut situer l’origine de ce débat dans la critique de la charité entreprise par les historiens du catholicisme social [1] et par des auteurs qui s’efforçaient de bâtir la doctrine du travail social à distance des pratiques des œuvres traditionnelles [2] : la charité n’était pas seulement désuète, elle humiliait ses bénéficiaires et masquait les vrais problèmes de la société que, peu à peu, des réformateurs plus éclairés découvraient et décidaient d’affronter. On retrouve ce même point de vue chez des auteurs qui veulent théoriser la philanthropie, mais aussi l’État social, par opposition aux pratiques charitables du passé [3]. Une première forme de réhabilitation intervint cependant quand l’opposition ainsi instaurée entre charité et réforme commença à être mise en cause. Elle le fut d’abord par des chercheurs qui, se réclamant souvent de Foucault, soulignaient que la normalisation des conduites opérée par les politiques sociales contemporaines n’avait rien à envier aux disciplines imposées au peuple par la charité [4]. D’autres, qui ne mettaient pas en question l’État social du XXe siècle, ou de façon moins radicale, commencèrent à montrer la continuité entre charité et réforme, la première fournissant à la seconde nombre de ses diagnostics, technologies et personnels [5], référentiels et répertoires d’action [6]. Des auteures d’inspiration féministe mettaient en évidence la filiation jusque-là inaperçue entre les activités des dames d’œuvres, celles des pionnières du service social et les politiques sociales ultérieures [7]. De façon plus générale, les travaux sur les origines des politiques sociales du XXe siècle finirent par considérer que charité et philanthropie avaient construit le socle des innovations institutionnelles qui devaient, par la suite, les supplanter. Plus récemment, avec la mise en cause pratique de l’État social par les politiques néo-libérales et l’essor corrélatif de l’activité associative dans le champ social, les termes de la discussion ont nettement évolué : ce n’est plus parce qu’elles anticipaient sur des politiques publiques que les œuvres de bienfaisance mériteraient désormais attention, c’est parce qu’elles préfiguraient les organisations non gouvernementales d’aujourd’hui [8]. Le passé, décidément, a un bel avenir devant lui.
3 Il n’est toutefois pas nécessaire d’arguer de l’actualité d’un objet de recherche pour entreprendre de l’étudier – des raisons proprement scientifiques suffisent. Parmi celles qui sont au principe du présent travail, nous en évoquerons trois.
4 La première concerne l’histoire politique de la France de 1900, dont le trait dominant serait le conflit entre les deux camps définis par l’Affaire, l’enjeu de l’affrontement entre radicaux et catholiques étant l’instauration d’une république laïque. Or, l’étude du monde charitable fait apparaître qu’au moment même où le pays était ainsi déchiré, des femmes et des hommes des deux bords poursuivaient les mêmes causes et travaillaient côte à côte, parfois même ensemble [9]. Cette observation invite à réexaminer certains postulats de l’historiographie des débuts de la IIIe République, le présent article proposant quelques éléments en vue de cette révision. Du même coup, c’est la description usuelle de l’expansion de « l’intervention de l’État » en matière sociale qui peut être revisitée : la porosité des institutions officielles et de la charité privée, que nous allons observer, met en cause à la fois une représentation convenue de leur concurrence et une lecture téléologique de l’évolution de leurs rapports.
5 Un second propos de ce travail, en effet, est de contribuer à l’étude de la genèse des politiques publiques dans le champ social. Notre choix d’une approche locale des acteurs et des institutions s’inscrit dans un courant de recherche qui entend se garder des typologies macro-sociales et des discours globalisants et rétrospectifs sur l’expansion du rôle de l’État [10]. D’autres travaux portant sur le tournant du XXe siècle en France ont mis en évidence l’indétermination de la frontière entre institutions publiques et initiative privée et l’importance des espaces sociaux intermédiaires [11], mais aussi les origines municipales de l’État social [12]. Ainsi notre recherche veut-elle fournir des éléments empiriques à l’appui d’une interprétation configurationnelle et processuelle de l’action publique en matière sociale, interprétation qui s’interdit d’évoquer les institutions indépendamment des acteurs qui les font exister. Ceux-ci sont placés au centre de l’analyse, qui prend en compte le fait qu’ils anticipaient des futurs très divers et orientaient leur action dans des espaces cognitifs hétérogènes. Ce n’est donc que peu à peu, et au prix de multiples malentendus, que se construisirent malgré tout des référentiels communs d’action publique [13]. La description fine d’un monde charitable qui est généralement regardé comme une expression de la société civile contre l’État permet de mettre à l’épreuve l’approche que l’on vient de décrire.
6 Notre étude vise, enfin, un objectif d’ordre méthodologique. L’univers de la charité est difficile à saisir dans son ensemble : diversité des personnalités, des milieux, des formes d’activité, dispersion extrême ou disparition d’archives produites par une multitude d’institutions, obscurité de la plupart des acteurs, souvent féminins – à l’exception de quelques grands hommes ou femmes d’œuvre mieux connus. Il existe cependant, pour le second XIXe et le premier XXe siècle, deux familles de documents qui donnent des œuvres charitables une vision plus globale : d’une part, de gros ouvrages apologétiques décrivant les institutions charitables dans une ville particulière, en privilégiant les œuvres catholiques [14] ; d’autre part, des répertoires dont les compilateurs visaient à « représenter » – dans les divers sens de ce mot – les œuvres charitables d’une ville, recensaient celles-ci de façon aussi exhaustive que possible et donnaient sur chacune une brève notice [15]. Deux de ces répertoires sont les sources du présent travail : Paris charitable et prévoyant, publié en 1897 par l’Office central des œuvres de bienfaisance, société « neutre » créée six ans plus tôt avec l’ambition d’« organiser » la charité parisienne, et le Manuel des œuvres, publié en 1900 par un groupe de catholiques intransigeants qui se réclamaient d’une série commencée par le vicomte de Melun en 1842 [16].
7 Ces documents dressent un tableau succinct, mais complet, de la charité parisienne. Nous leur laisserons le soin d’en définir les contours, différents selon le répertoire et parfois surprenants pour nous aujourd’hui : ainsi, pour des raisons dans lesquelles nous n’entrerons pas ici, sont considérés comme des « œuvres de charité » les services de l’Assistance publique, les caisses d’épargne, les coopératives de consommation, les couvents d’ordres contemplatifs, ou encore les écoles maternelles, officielles ou libres. Nous adoptons cette conception extensive et conquérante de la charité, puisque ce sont les acteurs qui la promeuvent. Nous utiliserons principalement, pour traiter la masse importante d’information contenue dans les répertoires, les méthodes de l’analyse de réseaux : le présent article propose, à cet égard, une expérimentation [17].
8 Nous observerons d’abord, en utilisant une source indépendante des répertoires, qu’une partie du monde de la charité tenait, en 1900, le devant de la scène : ces œuvres et ces personnalités, mises en avant par les autorités gouvernementales, constituaient en quelque sorte une représentation « officielle » de la bienfaisance parisienne. Nous confronterons ensuite cette image à celle qui résulte des répertoires et met en évidence un noyau institutionnel central où de grandes œuvres présentes au congrès international d’assistance de 1900 jouent un rôle majeur auquel on pouvait s’attendre, mais où l’on trouve aussi des œuvres catholiques absentes du congrès et des congrégations féminines. Ce noyau organise partiellement un monde très divers et, surtout, très fragmenté et composé pour une part d’une série de micro-réseaux spécialisés. Nous examinerons enfin de plus près le réseau d’œuvres résultant de la présence des congrégations, que nous comparerons à celui que forment les affiliations plurielles d’un nombre limité d’individus appartenant à des milieux variés. Cette confrontation permettra d’observer à la fois l’existence de régions distinctes au sein du monde de la charité parisienne et de connexions, nombreuses et caractéristiques, entre celles-ci.
LA BIENFAISANCE À PARIS : UNE REPRÉSENTATION OFFICIELLE
9 Dans le très vaste ensemble des œuvres de bienfaisance parisiennes que recensent nos répertoires, une petite partie tenait le devant de la scène. C’étaient les œuvres qui, directement ou indirectement, avaient répondu à l’appel d’un gouvernement républicain soucieux d’établir un accord entre des institutions municipales dont le champ d’action ne cessait de s’étendre avec les lois d’assistance de la IIIe République, et des œuvres privées qui proliféraient dans le contexte d’une liberté d’association de fait, que la loi de 1901 allait bientôt consolider. Les œuvres les plus visibles étaient aussi celles dont les dirigeants étaient les plus engagés dans des institutions généralistes intervenant dans l’ensemble de l’espace parisien ou dans des causes réformatrices d’une certaine ampleur. C’est aussi ces œuvres que l’historiographie tend à privilégier.
10 Pour caractériser cette représentation officielle du monde de la charité parisienne, nous avons choisi un point d’observation : le congrès international d’assistance de 1900. Nous verrons ensuite à quel point cette image diverge de celle que dessinent les répertoires charitables. Le 30 juillet 1900, dans le cadre de l’Exposition universelle, se réunit à Paris pour une durée d’une semaine un « Congrès international d’assistance publique et de bienfaisance privée » [18]. Mille huit cents personnes avaient donné leur « adhésion » à l’appel du comité d’organisation. La signification de leur geste n’est pas aisément interprétable : affirmer publiquement son soutien à la bonne cause du soulagement des malheureux ? Voir son nom publié aux côtés de grands notables qui comptaient dans la bonne société parisienne ? Exprimer son accord avec le projet, affiché depuis une douzaine d’années par les gouvernements républicains, de rapprocher la bienfaisance privée de l’assistance publique ? Sans doute un peu de tout cela. L’adhésion, si elle donnait droit à recevoir le compte rendu imprimé du congrès, n’impliquait en tout cas nullement la présence aux séances, encore moins la participation active aux débats. Elle sera considérée ici comme le simple affichage par un individu d’un investissement dans le monde des œuvres et de son appui à l’idée que celles-ci pouvaient utilement coopérer avec l’administration.
11 Le congrès était en effet organisé sous l’impulsion et avec l’appui financier et logistique de la direction de l’Assistance et de l’hygiène publiques du ministère de l’Intérieur et des cultes. Depuis le congrès de 1889, c’était le troisième d’une série placée sous la protection d’Henri Monod, directeur de cette administration depuis 1887 et qui allait la quitter en 1905 – au plus fort de la bataille de la Séparation. Monod travaillait avec un objectif constant : obtenir la coopération des œuvres privées et des administrations de l’assistance, définir les modalités de leur division du travail, placer l’action des unes et des autres sous la bannière d’une charité scientifique dont le modèle était importé d’Angleterre. De congrès en congrès, les principes de « l’organisation de la charité » étaient régulièrement plébiscités, mais toutes les œuvres, loin de là, n’acceptaient pas de répondre à l’appel d’une administration républicaine [19].
12 Notre enquête permet d’observer avec précision ce qu’était leur réponse en 1900, au moment où Louis Rivière, un des rapporteurs généraux du congrès, se réjouissait du « concordat charitable » enfin réalisé [20]. Sur les 2 833 œuvres parisiennes répertoriées, c’est une toute petite minorité, soit 116, qui se trouvait représentée au congrès, par 132 personnes : 4 % du total des œuvres, 11 % si l’on ne prend en compte que celles pour lesquelles les répertoires citent des noms, ou encore 6 % du total des 2 060 personnes mentionnées dans les répertoires. Ces chiffres nous donnent l’ordre de grandeur du nombre de ceux qui, parmi les protecteurs ou dirigeants des œuvres de charité parisiennes, étaient désireux de se montrer sur un théâtre à la fois mondain, social et, dans une certaine mesure, politique. C’est un acte principalement masculin : si les femmes représentent 37 % des personnes mentionnées dans les répertoires, elles ne sont que 15 % des personnes charitables adhérentes au congrès.
13 Ces adhérents forment, au sein de la bienfaisance parisienne, un réseau très caractéristique : ils lient entre elles un ensemble d’œuvres que nous retrouverons souvent (voir document 1). Efforçons-nous de caractériser ce réseau. Il comprend d’abord des sociétés formées, pour la plupart depuis la fin des années 1870, dans le domaine de la réforme pénitentiaire (Société générale des prisons [SGP], 1876), de la protection des prisonniers libérés (Société générale [1888] et Bureau central [1893] de patronage des libérés) et des engagés volontaires à l’armée (1878). Il s’agit aussi de vénérables sociétés consacrées à la protection des orphelins apprentis (1822, réorganisée en 1885), des jeunes détenus (1833), des apprentis (1866). Le réseau des hommes de la SGP (Georges Picot, Charles Petit, Félix Voisin, René Bérenger, Léon Lefébure) est central dans cette zone de la composante. Par l’intermédiaire de Picot, il se connecte à des sociétés de bienfaisance plus anciennes, comme la Société philanthropique (1780, refondée en 1802) ou la Société des crèches (1846, refondée en 1876), mais aussi la Société française des habitations à bon marché (SFHBM, 1889). Lefébure connecte en outre la SGP à l’Office central des œuvres de bienfaisance (OCOB), qu’il a fondé en 1892 avec l’ambition d’« organiser » la charité parisienne. On trouve aussi plusieurs sociétés d’assistance par le travail, apparues à la même époque pour mettre en œuvre les mêmes doctrines que l’OCOB. Dans toute cette zone du réseau se mêlent d’anciens notables du Second Empire et de la République des ducs et quelques figures légitimistes (comte de Vogüé, prince d’Arenberg) ou orléanistes (comte d’Haussonville). Ces personnages se sont reconvertis dans la philanthropie et la réforme au lendemain de la victoire définitive des républicains et se sont vu offrir une porte d’entrée honorable vers cette nouvelle forme d’action publique en 1889, à l’occasion de l’exposition d’économie sociale et de plusieurs congrès internationaux. À la périphérie de cette partie du réseau, on trouve des personnalités de la bienfaisance protestante (baron de Schickler, pasteur Robin).
14 Deux figures majeures du monde réformateur républicain, Émile Cheysson et Théophile Roussel, connectent ce réseau de notables à « l’antichambre de la Chambre » – le Musée social (MS, 1894) – ainsi qu’à des sociétés généralistes créées sous l’égide des pouvoirs successifs et dont le statut reste quasi-officiel (Société d’encouragement au bien [1862], Société internationale pour l’étude des questions d’assistance [1889]) et à l’Assistance publique. Par l’intermédiaire du haut fonctionnaire philanthrope Loys Brueyre, le lien s’établit avec le monde de la protection maternelle et infantile (Société d’assistance maternelle [SAM], 1876, Union française pour le sauvetage de l’enfance [UFSE], 1888). Par l’intermédiaire de ces sociétés, quelques personnalités de la bienfaisance israélite se connectent au réseau (Alexandre Weil, Joseph Hirsch), bien que les principales œuvres qui affichent cette appartenance confessionnelle constituent une composante du réseau distincte, avec le Comité de bienfaisance israélite et plusieurs membres de la famille Rothschild.
UN NOYAU INSTITUTIONNEL CENTRAL
15 Le congrès international d’assistance, en offrant une tribune aux dirigeants des œuvres jugées importantes pour le succès du « concordat charitable », donnait de la bienfaisance parisienne une image officielle. Les répertoires charitables se plaçaient dans une tout autre perspective : ils visaient à décrire ce monde de façon aussi exhaustive que possible, l’étendue même de leur enquête légitimant les compilateurs dans le rôle qu’ils s’étaient attribué d’organisateurs de la charité parisienne. Ceux-ci s’efforçaient donc de décrire toutes les œuvres, quels qu’en soient l’objet, l’ampleur ou les allégeances confessionnelles. Nous avons considéré comme des personnes susceptibles de lier les œuvres entre elles tous les individus mentionnés dans les répertoires – remplissant donc des fonctions de direction ou de service au sein des œuvres, ou bien accordant à celles-ci dons importants ou protection. Par fidélité à nos sources, nous avons considéré de la même façon des congrégations catholiques décrites comme « dirigeant » ou « desservant » les œuvres et qui sont donc des personnes collectives. Il résulte de nos sources et de nos conventions un tableau de la charité parisienne fort différent de celui que nous venons de dresser à partir du lieu d’observation précédent.
Les « adhérents » du Congrès international d’assistance de 1900 et les œuvres de bienfaisance parisienne : la composante principale du réseau

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Les « adhérents » du Congrès international d’assistance de 1900 et les œuvres de bienfaisance parisienne : la composante principale du réseau
Note : Le graphe (2-mode) représente la composante principale du réseau formé au sein de la base de données Charity-Paris par les personnes mentionnées dans le compte-rendu du congrès (enregistrées de façon exhaustive dans la base de données Reform-Paris) ; les points clairs représentent les adhérents du congrès présents dans la base Charity et les points noirs les œuvres auxquelles ils sont affiliés selon la base Charity.16 Le monde charitable parisien était vaste : les deux répertoires pris ensemble recensent 2833 œuvres de toute catégorie et importance, dont la plupart étaient sans lien observable avec aucune autre [21]. Si ce monde fragmenté tenait néanmoins ensemble, c’était d’abord du fait d’un tout petit nombre d’institutions qui en constituaient le cœur ou le noyau. Celui-ci apparaît lorsqu’on cherche à constituer des ensembles de sommets (œuvres et membres) fortement interconnectés entre eux : si on place le seuil à deux liens – ce qui signifie que chaque sommet doit être lié à au moins deux autres – l’ensemble comprend 355 sommets, avec trois liens, il se réduit à 8, avec quatre liens, l’ensemble est vide.
17 Le noyau institutionnel central que révèle notre formalisation du contenu des répertoires est composé de quatre grandes « œuvres » charitables et de quatre congrégations féminines catholiques qui les lient entre elles (voir document 2). Ces œuvres étaient de vastes et anciennes institutions. Deux étaient « neutres » – pour employer le vocabulaire d’alors – du point de vue confessionnel : l’Assistance publique, institution dépendant de la préfecture de la Seine, et la Société philanthropique, à la tête de laquelle on trouvait des notables de diverses confessions et inclinations politiques. Les deux autres œuvres étaient strictement catholiques : la Société de Saint-Vincent-de-Paul comme l’Œuvre des apprentis et des jeunes ouvrières avaient pour infrastructure les paroisses et leur lien avec l’archevêché était très étroit. Chacune de ces institutions était à la tête d’un réseau étendu d’établissements locaux et elles étaient généralistes, au sens où elles développaient simultanément plusieurs modes d’action.
18 Que l’administration générale de l’Assistance publique de la Seine ait été une institution de poids dans le tableau des « œuvres » parisiennes n’est guère étonnant, ce qui l’est plus est qu’elle comptait parmi les institutions centrales du réseau charitable. Cela résulte de la porosité entre ce que nous appelons aujourd’hui « public » et « privé », qu’on appelait alors plus souvent « officiel » et « libre ». Héritière du Conseil général des hospices de Paris institué par le Consulat après la tourmente révolutionnaire, réorganisée en 1849, l’Assistance publique était chargée d’administrer les hospices et hôpitaux civils, le service des secours à domicile de la ville de Paris, le service des enfants assistés du département de la Seine. Les répertoires charitables donnent la liste de ses responsables, du directeur, Henri Napias, au caissier, en passant par les chefs de division. Ces fonctionnaires, à en croire nos sources, sont absents des autres œuvres, à l’exception de Loys Brueyre, directeur du service des enfants assistés, affilié à la Société de l’allaitement maternel et à l’Union française pour le sauvetage de l’enfance et, par là, au monde des œuvres féminines républicaines. À la manière de l’homme d’œuvres flamboyant qu’était Henri Monod, le directeur de l’Assistance publique au ministère de l’Intérieur, Brueyre menait sa carrière de fonctionnaire à la préfecture de Paris en multipliant les affiliations réformatrices et en créant des œuvres officielles avec le style d’un grand notable [22].
Le noyau institutionnel central du monde charitable parisien

StePhil
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Le noyau institutionnel central du monde charitable parisien
Note : Graphe 2-mode ; les points noirs représentent des œuvres, les points clairs des personnes actives au sein des œuvres. Par convention, les « personnes » peuvent être tantôt des individus, tantôt des personnes collectives (ce sont ici des congrégations catholiques). Le graphe représente les sommets qui sont liés entre eux par au moins trois liens au sein de la composante principale du réseau (all-core partition).19 Ce n’était toutefois pas principalement par ses dirigeants que l’Assistance publique s’insérait dans les réseaux du monde charitable, mais par la présence de congrégations catholiques dans une partie de ses établissements. L’Assistance publique administrait vingt hôpitaux et une clinique d’accouchement associée à une école de sages-femmes ; quarante-cinq « dispensaires » ou « maisons de secours » qui fournissaient des soins ambulatoires et des secours en nature aux indigents ; enfin, un petit nombre d’institutions diverses, la plupart hors de Paris : une maison municipale de santé, trois orphelinats, six hospices ou maisons de retraite, un « asile de convalescence » pour jeunes garçons associé à un petit orphelinat à La Roche-Guyon, la colonie de Cherrueix où des enfants indigents étaient placés dans des familles de marins. Certaines de ces œuvres, fondées par des particuliers, avaient été léguées à l’Assistance publique, d’autres avaient été créées par celle-ci à la suite d’un legs, les testateurs pouvant attacher à leur libéralité certaines conditions, notamment celle de confier l’administration de l’œuvre à une congrégation : c’était le cas de l’hôpital Boucicaut ou de l’asile de La Roche-Guyon. Mais la présence des congrégations pouvait aussi résulter de la politique de l’administration elle-même. Sans doute « les sœurs » étaient-elles devenues rares dans les hôpitaux parisiens, qui furent tous peu à peu laïcisés à partir de 1878 : en 1900, les augustines hospitalières ne desservaient plus que l’Hôtel-Dieu, qu’elles durent quitter en 1908 [23]. En revanche, près du tiers des dispensaires de l’Assistance publique étaient desservis par des congrégations féminines catholiques – précisément celles du noyau central du réseau charitable. Les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul dominaient nettement : elles desservaient huit dispensaires, les sœurs de Sainte-Marie trois, les sœurs de la Sagesse un et celles de la Charité un. Dans quatre cas, le dispensaire était localisé dans un immeuble appartenant à la congrégation. Cette façon de faire, commune à l’Assistance publique et à la Société philanthropique, contribuait à l’implantation des congrégations dans les institutions « neutres », et c’est aussi par l’intermédiaire des congrégations que l’Assistance publique se trouvait liée aux trois grandes œuvres libres du noyau institutionnel central. L’Assistance publique avait en outre dans ses attributions une fonction de surveillance des bureaux de bienfaisance chargés des secours à domicile dans chaque arrondissement : encadrés par un groupe de notables mêlant élus locaux et hommes d’œuvres, mobilisant les bonnes volontés charitables pour fonctionner, financés plus par des donations que par l’impôt, dotés de larges pouvoirs d’appréciation quant à l’attribution des secours, ils étaient dans un entre-deux qui rendait encore plus indécise la frontière entre public et privé. La tendance, en 1900, était toutefois à leur bureaucratisation administrative et à l’augmentation du poids de la municipalité dans leur financement.
20 La Société philanthropique était une œuvre « neutre » fort ancienne [24]. Son succès, lors de sa première fondation en 1780, résulta de la collaboration de titulaires d’offices et grands financiers maçons, d’un archevêque et d’un pair de France philanthrope. Lors de sa refondation de 1802, elle s’était embourgeoisée : 9 % de nobles parmi ses souscripteurs contre 53 % en 1789, mais toujours beaucoup de banquiers. Son programme aussi avait changé : elle entendait délaisser les secours directs aux indigents pour s’occuper méthodiquement de leur relèvement. Ses nouveaux dirigeants l’accompagnèrent tout au long du premier XIXe siècle, malgré la rude concurrence des œuvres de l’Église catholique à la Restauration, mais avec l’appui de la monarchie de Juillet, qui lui accorda la reconnaissance d’utilité publique en 1839. Elle restait en 1900 la plus importante des œuvres de bienfaisance privée parisienne par l’ampleur et la diversité de ses activités : un asile maternel et un ouvroir pour femmes enceintes, trois asiles de nuit, trente-neuf dispensaires, dont certains pour enfants, trente-huit fourneaux économiques, six ensembles d’habitations économiques, un service de placement, des primes d’encouragement pour les jeunes travailleurs et des pensions pour les vieux.
21 Toutes ces activités mettaient la Société à la tête d’un vaste réseau, qui recrutait dans tous les milieux de la bienfaisance parisienne. Son président de 1883 à 1916 fut le prince d’Arenberg, député légitimiste de vieille famille aristocratique, rallié au nouveau régime à la suite de l’appel du pape. Il était par ailleurs président de la Compagnie de Suez, vice-président du chemin de fer d’Orléans et fondateur du Comité de l’Afrique française. Deux de ses vice-présidents, de bourgeoisie modeste, connectaient aussi la société à d’autres œuvres. Eugène Marbeau, épuré du Conseil d’État en 1879 après avoir été maître des requêtes sous Napoléon III et membre sous la République des ducs, était l’homme de la Société des crèches ; Armand-Martin Péan de Saint-Gilles, ancien président de la chambre des notaires de Paris, avait été membre du conseil de surveillance de l’Assistance publique, puis de l’Asile national de Vincennes. Le trésorier, Jules Mançais, était depuis 1868 référendaire au sceau de France, un office auprès du ministre de la Justice.
22 Parmi les dirigeants ou donateurs de la Société philanthropique, on compte des personnalités aussi diverses que l’entrepreneur de travaux publics Jules Goüin, constructeur de chemins de fer en France et aux colonies, fondateur d’un hôpital à Clichy et intéressé aux habitations économiques, ou bien Georges Picot, avocat, puis magistrat, puis directeur au ministère de la Justice, écarté de ce poste par la victoire républicaine, revenu sur scène grâce à ses engagements réformateurs et désormais secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, ou encore la comtesse Greffulhe née La Rochefoucault-Estissac, descendante d’une famille de très vieille noblesse et belle-mère d’Arenberg, mais qui appartenait au camp orléaniste par son père et son époux, banquier issu d’une famille huguenote revenue en France après la Révolution et anoblie par Louis-Philippe.
23 Les deux autres œuvres du noyau institutionnel central étaient, de façon affichée, catholiques. La Société de Saint-Vincent-de-Paul était une œuvre masculine créée à Paris en 1833 par un groupe de jeunes gens, étudiants pour la plupart, souvent provinciaux d’origine, d’opinions politiques diverses si l’on en croit Emmanuel Bailly, l’un des fondateurs, mais où une atmosphère romantique et ultramontaine prévalait nettement [25]. La Société était constituée de petits groupes cooptés, les « conférences » au sein desquelles s’opéraient la collecte des fonds et la distribution des familles à visiter. Un Conseil général fédérait et contrôlait l’ensemble. À l’échelle nationale, la croissance des effectifs fut fulgurante de 1851 à 1861, date à laquelle le régime impérial commença à s’inquiéter du phénomène et s’employa à le contrecarrer. La croissance parisienne de la Société fut plus régulière : à Paris et sa banlieue, on comptait plus de cinquante conférences en 1848, plus de cent en 1869 et plus de deux cents en 1897 [26]. Les « conférences de quartier » reproduisaient le maillage fin des paroisses catholiques et des œuvres plus spécialisées étaient parfois associées aux conférences : des caisses de loyers (30), des fourneaux économiques (30), des œuvres pour favoriser le mariage (21), des patronages de garçons (14).
24 La Société était connectée au reste du monde charitable parisien par le fait que trois des quatre congrégations du noyau central desservaient ses œuvres, ce qui était aussi le cas des frères de Saint-Vincent-de-Paul. Ses dirigeants, en revanche, se tenaient à l’écart. À en croire nos sources, la seule personne liée à d’autres œuvres était Marie Legentil, fondatrice de l’Œuvre des écoles professionnelles catholiques, directrice de l’Asile-ouvroir de Gérando, qui avait créé une prime en mémoire de son défunt époux, ancien président de la Société, au profit des négociants parisiens ayant subi des revers de fortune.
25 La quatrième institution du noyau central était l’Œuvre des apprentis et des jeunes ouvrières. Placée sous la présidence d’honneur de l’archevêque de Paris, c’était la plus importante au sein d’un ensemble d’œuvres catholiques qui promouvaient le « patronage » des jeunes ouvriers et ouvrières. C’est en 1844 que l’œuvre avait pris son indépendance envers la Société Saint-Vincent-de-Paul au sein de laquelle elle était née, à l’initiative du vicomte Armand de Melun [27]. L’œuvre, qui recevait des subventions des ministres de l’Intérieur et de l’Instruction publique du gouvernement Guizot, sut passer le cap difficile de la révolution de 1848 – Melun arguant de « la part glorieuse prise dans la répression de l’émeute » de juin par ses jeunes ouvriers, qui avaient rallié la Garde nationale [28]. Le dispositif fut étendu aux jeunes filles avec la création, en février 1851, de l’Œuvre du patronage des jeunes ouvrières [29]. Le modèle était semblable, mais adapté : les réunions du dimanche étaient organisées dans des maisons de religieuses et il n’y avait pas de cours du soir, jugés inutiles pour des jeunes filles pour la plupart placées comme domestiques. Avec l’Empire, l’Œuvre des apprentis bénéficia à nouveau de subventions officielles et, avec la République des ducs, elle fut reconnue d’utilité publique en 1873. La grande période de création de patronages pour filles fut 1851-1859, les patronages de garçons se développant surtout en 1876-1890 [30].
26 En 1900, les deux répertoires pris ensemble énumèrent 241 patronages dépendant de l’Œuvre des apprentis et des jeunes ouvrières : 63 de garçons et 178 de filles. Paris en concentre 195, tandis que 46 sont répartis dans 38 communes de la Seine (banlieue). Les patronages pour garçons étaient dirigés par les frères des écoles chrétiennes, les patronages pour filles par les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et une douzaine d’autres congrégations féminines, parfois aussi par des dames patronnesses. Rien qu’à Paris, si l’on en croit les chiffres publiés par Paris charitable et prévoyant et pour les seuls patronages recensés par ce répertoire (142, soit 73 % de l’ensemble), les patronages de garçons avaient environ 5000 inscrits et les patronages de filles 15000.
27 Quelques œuvres annexes s’ajoutaient à cet ensemble. Deux associations regroupaient les jeunes filles « qui, pendant plusieurs années, [avaient] été les modèles des patronages » [31], une maison de convalescence et un orphelinat, tous deux à Drancy, pour les protégées de l’œuvre et leurs familles. Côté garçons existait également une association pour jeunes gens modèles, l’Association de Saint-Labre : elle donna naissance au Syndicat des employés du commerce et de l’industrie, qui s’occupait notamment du placement de ses membres.
28 Comme on l’a indiqué plus haut, quatre congrégations catholiques féminines liaient entre elles les œuvres du noyau institutionnel : les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, les sœurs de Sainte-Marie, les sœurs de la Charité et les sœurs de la Sagesse. Celles-ci – quelques autres aussi, mais moins fréquemment – leur fournissaient du personnel qui « desservait », plus souvent « dirigeait » nombre de leurs filiales. C’est ainsi qu’on trouvait « les sœurs » – comme on disait à l’époque – à la tête de dispensaires de l’Assistance publique ou de la Société philanthropique, de fourneaux de la Société de Saint-Vincent-de-Paul ou de patronages pour jeunes ouvrières. C’est un aspect essentiel du monde charitable parisien, qui était entièrement gommé de la représentation officielle de celui-ci au congrès d’assistance, dont étaient absentes aussi les deux grandes œuvres catholiques au cœur du réseau [32]. Entremêlées sur le terrain aux œuvres neutres, ces institutions restaient à l’arrière-plan quand le monde charitable s’exprimait comme tel sur la scène publique.
UN MONDE FRAGMENTÉ
29 Nos sources nous livrent un point de vue sur le monde charitable parisien : en sélectionnant les œuvres qu’elles incluent dans leur compilation, mais aussi en fournissant sur chacune d’elles des informations plus ou moins complètes, dont deux étaient particulièrement importantes pour permettre à ceux qui consultaient le répertoire de prendre contact avec l’œuvre décrite : l’adresse, et le nom de quelques-uns de ses dirigeants. Nous pouvons donc décrire deux modalités des relations entre les œuvres répertoriées : par les personnes et par les lieux.
Une représentation quantitative globale du monde charitable parisien
30 La prise en compte simultanée des liens par les affiliations et des liens par les adresses fait apparaître un monde charitable fragmenté dont une partie est cependant organisée par ces liens (voir document 3) [33].
31 Un grand nombre d’œuvres sont ce que nous avons appelé « invisibles ». Il s’agit de celles que les répertoires décrivent a minima, c’est-à-dire sans même donner le nom d’une seule personne affiliée ou une adresse. « Invisible » ne signifie pas que l’œuvre était sans importance, bien sûr, mais simplement qu’elle était placée à trop grande distance de l’un comme de l’autre groupe de compilateurs. Négliger de faire figurer ces informations dans le répertoire signifiait en effet quelque chose : soit que les compilateurs les jugeaient superflues, soit qu’ils étaient trop éloignés de l’œuvre pour les obtenir aisément.
32 Si l’on prend pour critère le fait que la source ne mentionne aucune personne affiliée à l’œuvre, c’est 64 % de l’ensemble des œuvres qui sont invisibles – mais plus de 90 % des institutions patronales, des sociétés de secours mutuels, des coopératives de consommation, des écoles chrétiennes, des communautés religieuses. Plus invisibles que la moyenne selon ce critère sont aussi les institutions d’épargne et de prévoyance, les écoles maternelles ; un peu moins que la moyenne les œuvres pour les étrangers, les soins aux malades et les crèches. Mais si l’on prend pour critère la citation d’une adresse, la proportion d’œuvres invisibles n’est plus que 35 % et, si l’on combine les deux critères, 29 %. Le nombre d’œuvres dont on peut observer les liens passe ainsi de 1025 (grâce aux seules personnes) à 2007 (grâce aux personnes et aux adresses) sur un total de 2833. Parmi les œuvres pour lesquelles on connaît soit l’adresse, soit au moins un membre, et qui font donc partie du réseau observable, nous distinguons trois types de positions.
Une description quantitative globale du réseau des œuvres charitables parisiennes
(a) Œuvres liées par les membres | (b) Œuvres liées par les membres et/ou les adresses | ||||
Œuvres | Membres | % œuvres | Œuvres | % œuvres | |
(13) L’ensemble des œuvres | 2833 | 2060 | 100,0 | 2833 | 100 |
(12) Les œuvres invisibles | 1808 | 0 | 63,8 | 826 | 29,2 |
(11) L’ensemble du réseau | 1025 | 2060 | 36,2 | 2007 | 70,8 |
(10) Les œuvres isolées | 281 | 449 | 9,9 | 875 | 30,9 |
(9) Les composantes périphériques | 81 | 85 | 2,9 | 215 | 7,6 |
(8) L’ensemble de la composante principale | 663 | 1526 | 23,4 | 917 | 32,4 |
(7) La composante principale moins la zone liée au seul NIC | 294 | 1258 | 10,4 | 580 | 20,5 |
(6) Ensemble de la zone liée au seul NIC | 369 | 268 | 13,0 | 337 | 11,9 |
(5) Les micro-réseaux isolés liés au seul NIC (au moins deux œuvres) | 40 | 42 | 1,4 | 204 | 7,2 |
(4) Les œuvres isolées liées au seul NIC (avec au moins un autre membre) | 35 | 96 | 1,2 | 103 | 3,6 |
(3) Les membres liés au seul NIC (aucune autre affiliation) | 0 | 126 | 0,0 | 0 | 0 |
(2) Les œuvres isolées liées au seul NIC (aucun autre membre) | 290 | 0 | 10,2 | 26 | 0,9 |
(1) Le noyau institutionnel central (NIC) | 4 | 4 | 0,1 | 4 | 0,1 |

Une description quantitative globale du réseau des œuvres charitables parisiennes
Notes : On appelle « composante » du réseau tout ensemble de sommets (œuvres, personnes, adresses) dont chacun est lié à au moins un autre ; la composante qui comprend le plus grand nombre de sommets est appelée « composante principale » ; nous appelons « composante périphérique » toute autre composante qui comprend au moins deux œuvres et « œuvre isolée » les composantes qui ne comprennent qu’une seule œuvre (mais par définition, au moins un autre sommet, personne ou adresse). Les œuvres qui ne sont liées ni à une adresse ni à une personne sont, par définition, hors réseau : ce sont celles que nous avons appelées « invisibles ». L’unité prise en compte ici et dans les figures suivantes est l’œuvre telle que définie par le répertoire ou, le cas échéant, sa maison mère (OEUV2). Pour une explicitaion de ces notions, voir l’annexe 1.(1) Noyau institutionnel central (NIC) de la composante principale : les huit sommets (4 œuvres, 4 membres) liés par au moins 3 membres.
(2) Œuvres isolées liées au seul NIC n’ayant aucun autre membre que les 4 du NIC.
(3) Membres liés au seul NIC (membres affiliés à aucune autre œuvre que les 4 du NIC).
(4) Œuvres isolées liées au seul NIC ayant au moins un autre membre que les 4 du NIC.
(5) Plusieurs œuvres liées entre elles, mais à aucune autre qu’à celles du NIC.
(6) Ensemble des œuvres qui ne sont liées au reste du réseau que par l’intermédiaire d’un ou plusieurs sommets du NIC.
(8) Composante principale : la plus grosse composante du réseau.
(9) Composantes périphériques : plusieurs œuvres dans la composante, hors composante principale.
(10) Œuvres isolées : une seule œuvre dans la composante, hors composante principale.
(11) Œuvres appartenant au réseau, ou œuvres visibles : comportent au moins un membre (ou au moins un membre ou une adresse).
(12) Œuvres invisibles : aucun membre n’est lié à l’œuvre (ou aucun membre ni adresse).
33 Il peut s’agir d’œuvres « isolées » : elles ne partagent leur adresse avec aucune œuvre et/ou aucun de leurs membres n’est décrit par les répertoires comme appartenant à une autre œuvre. Ces œuvres isolées représentent 10 % de l’ensemble si l’on prend en compte le seul critère des personnes et 31 % si l’on prend aussi en compte les adresses. C’est alors 15 % des personnes et 46 % des adresses citées par les répertoires qui se trouvent associées à des œuvres isolées au sein du réseau. Si l’on y ajoute les œuvres « invisibles », les œuvres qui apparaissent comme n’étant liées à aucune autre, ni par les personnes, ni par les adresses, représentent ainsi 60 % du total des œuvres de bienfaisance répertoriées. C’est donc une proportion importante du monde charitable que l’on peut caractériser par une complète fragmentation et qui reste étrangère au réseau de sociabilité observable par les compilateurs de répertoires.
34 Les œuvres qui sont liées à au moins une autre œuvre représentent 26 % de l’ensemble si l’on ne prend en compte que les liens par les personnes, mais 40 % si on prend en compte aussi les liens par les adresses. Cette partie du monde charitable ne se présente pas pour autant comme un ensemble compact. Les outils de l’analyse de réseaux nous permettent de la décomposer en zones distinctes par leurs propriétés formelles.
35 Au cœur du réseau se trouve donc, on l’a noté plus haut, le « noyau institutionnel central » de la charité parisienne : quatre œuvres et quatre congrégations féminines catholiques. Quel rôle jouent exactement ces huit institutions vis-à-vis du reste du réseau ? Pour le déterminer, nous avons écarté ces institutions du fichier et observé ce qu’il advenait de la composante principale du réseau [34].
36 Se distinguent d’abord les personnes et les œuvres qui sont liées directement et exclusivement au noyau institutionnel central, c’est-à-dire à l’une, à l’autre, ou à plusieurs de ces institutions : des personnes qui ne sont affiliées à aucune autre œuvre, des adresses où l’on ne trouve que ces quatre œuvres, des œuvres ou micro-réseaux d’œuvres qui ne sont liés au reste du réseau que parce qu’ils sont liés à une ou plusieurs des institutions centrales. On peut dire que toutes ces entités sont sous la dépendance directe de celles-ci, constituent leur zone d’influence exclusive. Certes, ce sont des réalités sociales variées : des personnes, des œuvres, des lieux ; elles sont néanmoins dans une même position structurale au sein du monde charitable, auxquelles elles ne sont liées que par l’intermédiaire d’un seul groupe de puissantes institutions. Dans cette position on trouve 13 % du total des œuvres et 11 % des membres, si l’on ne prend en compte que les liens d’affiliation, et 12 % des unes et des autres si l’on prend aussi en compte les liens par les adresses. Au sein de cet ensemble, les adresses partagées connectent fortement entre elles des œuvres qui ne le sont pas par des membres. Si l’on prend en compte simultanément les deux types de liens, sont dans la dépendance exclusive du noyau institutionnel central 337 œuvres, soit environ 17 % de l’ensemble du réseau et 37 % de sa composante principale.
37 Mais le noyau institutionnel est aussi lié directement ou indirectement à un ensemble d’œuvres et de personnes qui sont elles-mêmes liées entre elles et qui, par conséquent, le restent lorsqu’on met de côté les huit institutions du noyau : on peut voir dans cette partie de la composante principale du réseau l’expression du milieu social qui formait le tissu dense du monde charitable. C’est le domaine de l’initiative des particuliers, le terrain de leurs rencontres, qui prospérait dans une relative autonomie vis-à-vis des institutions centrales de la charité parisienne. Cette région dense du monde charitable compte 580 œuvres, soit 29 % des œuvres du réseau, et 464 adresses, soit 25 %, mais 1352 membres, soit 77 %. Dans cette zone, les liens sont constitués par des membres ayant plusieurs affiliations plus que par les adresses partagées.
38 À l’écart de cette région dense des sociabilités charitables comme du noyau institutionnel central, il y a enfin des micro-réseaux d’œuvres liées entre elles mais qui, selon nos sources, ne sont pas connectées à la composante principale. Ces « composantes périphériques », qui peuvent comprendre entre deux et neuf œuvres, représentent 3 % du total des œuvres si l’on ne prend en compte que les liens d’affiliation et 8 % si l’on prend aussi en compte les liens par les adresses. À certains égards, ces ensembles sont semblables aux micro-réseaux observables dans la région dense du réseau et nous mettent en présence d’une caractéristique importante du monde charitable parisien.
Un ensemble de micro-réseaux
39 Bien que techniquement produites par des procédures différentes, les composantes périphériques et certaines parties du réseau plus denses (ou « islands ») au sein de la composante principale expriment en réalité un même phénomène : la structuration d’une partie de la charité parisienne par de petits ensembles d’œuvres particulièrement cohésives entre elles par rapport au reste du réseau et présentant des traits en commun. Arrêtons-nous brièvement sur quelques-uns, d’une certaine ampleur (voir les documents 4 et 5). Chacun présente une spécificité marquée. Certains s’organisent autour d’une cause et comprennent un ensemble d’œuvres très cohérentes : c’est le réseau des sociétés de secours aux militaires et marins (document 4, en haut à gauche), œuvres qui ont bénéficié dès l’origine de l’appui gouvernemental et que caractérise le recrutement grand-bourgeois de leurs protecteurs et protectrices, c’est aussi le réseau de la Société de charité maternelle et des œuvres qui lui sont connexes (document 4, en haut au centre), au recrutement féminin et éclectique, ou encore les œuvres organisées pour et par les professions artistiques et scientifiques (document 4, en bas à droite). D’autres micro-réseaux concernent une des confessions minoritaires : réseaux protestants, l’un organisé autour du Refuge protestant et de l’Institution des diaconesses (document 5, en haut à gauche), l’autre appuyé sur l’Œuvre de la Chaussée du Maine (document 5, en bas à gauche) ; analogue est un réseau israélite au sein duquel la famille Rothschild patronne à la fois ses œuvres propres et le Comité de bienfaisance israélite de Paris (document 4, en bas à gauche). Enfin, des micro-réseaux catholiques sont centrés sur une congrégation particulière qui se tient à l’écart des autres : celui des religieuses du Saint-Cœur-de-Marie (document 5, en haut à droite) ou celui des sœurs de Notre-Dame-des-Anges (document 5, en bas à droite).
Les micro-ensembles d’œuvres : les « îles » au sein de la composante principale (3 à 5 œuvres)

SteSecFamillesMarins
OuvroirInterneEcProf
CaisVictimesDevoir
AssocCharFduMonde
7
3
2
3
2
2
SCM
SteSauvNaufrages
OrphMarieJoseph1
2
2
AsMarieJoseph
4
3
4
OrphStsAnges
SteSecBlessesMilitaires
SteProtecEnfance
SteBerceaux
OrphSCRothschild AssocArtistesPeintres
CteBienfIsra
3
2
2
AssocArtistesMusiciens
2
2
AssocInventeurs
HopRothschild
Les micro-ensembles d’œuvres : les « îles » au sein de la composante principale (3 à 5 œuvres)
Note : La figure (graph 1-mode, œuvres) représente tous les ensembles d’œuvres de la composante principale connectées entre elles par des liens forts (au moins deux personnes) et comprenant au moins trois œuvres, non comprise l’« île » du noyau institutionnel central. Les nombres indiqués sur les liens renvoient au nombre de personnes qui font le lien entre les œuvres.40 On pourrait poursuivre cette analyse en observant les micro-réseaux comprenant un plus petit nombre d’œuvres. Leur morphologie est plus simple, mais ce qui fonde les liens entre les œuvres est toujours une forme de spécialisation : une même confession, une même institution fondatrice, une même famille protectrice, plus rarement un même métier ou profession.
CE QUI FAIT LIEN
41 Nos sources et les outils d’analyse que nous utilisons font apparaître une réalité contrastée. D’un côté, nous relevons que de nombreuses œuvres charitables étaient mal appréhendées par ceux qui voulaient les recenser, tandis que beaucoup de celles qui étaient effectivement décrites constituaient un monde extrêmement fragmenté. Si l’on prend en compte simultanément les liens constitués par les personnes et ceux constitués par les adresses, œuvres « invisibles » et œuvres « isolées » constituent ainsi 60 % du total des œuvres répertoriées. Mais d’un autre côté et par contraste, une autre partie du monde charitable, soit 32 % des œuvres, est fortement interconnectée [35]. Nous avons souligné le rôle des œuvres et congrégations qui en constituent le « noyau institutionnel central », mais nous avons aussi noté que, ce noyau étant mis de côté, 20 % des œuvres restent connectées entre elles sans son concours. Pour savoir ce qui fait lien entre les œuvres du réseau, il convient donc d’étudier tour à tour la partie du réseau des œuvres liée par des congrégations et celle liée par des individus : elles ne sont nullement séparées, mais elles diffèrent pourtant très nettement [36].
Les micro-ensembles d’œuvres : les composantes périphériques (4 et 5 œuvres)

MConvProtest
PatrStAugustin
OrphSteFamille
RefProtest
PensJFEgliseRef
OrphBillettes
OrphSoeursStCoeurMarie OrphIndSteFelicite
AtelierEc1
OeuvTrav
OrphStCharles
AtelierEc2
MStLouis
MStJoseph-a OrphMorangis
OeuvChausseeMaine
Les micro-ensembles d’œuvres : les composantes périphériques (4 et 5 œuvres)
Note : La figure (graph 1-mode, œuvres) représente tous les ensembles d’œuvres liées entre elles par au moins une personne mais non liées à la composante principale du réseau, et comprenant au moins quatre œuvres.Les congrégations catholiques
42 Les congrégations jouaient un rôle crucial pour lier entre elles les œuvres charitables parisiennes. Elles étaient présentes dans 53 % des œuvres « visibles » par les répertoires – proportion considérable. Cette présence était exclusive dans les trois-quarts des cas, ce qui représente 40 % de l’ensemble des œuvres du réseau. Elle ne concernait pas seulement les œuvres qui appartenaient à la congrégation et étaient logées dans un de ses locaux [37]. Les congrégations, en effet, pouvaient se voir confier la direction d’œuvres fondées ou patronnées par d’autres acteurs du monde charitable, elles pouvaient aussi leur fournir du personnel sans pour autant les diriger.
43 Quatre-vingt-quatre congrégations, féminines surtout, contribuaient à cette présence, mais la moitié seulement étaient concernées par plus d’une œuvre. Certaines jouaient un rôle beaucoup plus important que les autres et l’on retrouve ici en tête trois des quatre congrégations du noyau institutionnel central décrit plus haut : les sœurs de Sainte-Marie et les sœurs de la Sagesse avec environ 20 affiliations chacune et, très loin devant, les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, présentes dans 327 œuvres, soit 32 % des œuvres du réseau et 49 % de sa composante principale. La forte présence de ces trois congrégations contribue à expliquer le caractère central du noyau institutionnel décrit précédemment. Le réseau que les congrégations dessinent au sein du monde charitable parisien est tentaculaire et la gamme des œuvres investies extrêmement large : maisons de charité (86) et orphelinats (63) en premier lieu, crèches ensuite et, enfin, un petit nombre d’asiles de vieillards, écoles maternelles, écoles professionnelles, fourneaux économiques et patronages de jeunes filles. La politique de laïcisation des hôpitaux de l’Assistance publique avait réduit leur présence à trois hôpitaux militaires et à un hôpital privé, Saint-Joseph, ouvert en 1884 à l’initiative du recteur de l’Institut catholique. Du fait de leur présence dans ces institutions, les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul étaient liées directement à d’autres congrégations, mais aussi à un grand nombre d’hommes et femmes d’œuvres. La plupart des grandes institutions dont elles desservaient des établissements appartenaient au monde catholique (comme les œuvres des apprentis et des jeunes ouvrières, des écoles professionnelles catholiques, des pauvres malades des faubourgs ou la Société Saint-Vincent-de-Paul), mais dans un petit nombre de cas, il s’agissait d’œuvres neutres (Société philanthropique), voire officielles (Assistance publique).
44 On peut esquisser un tableau d’ensemble des causes auxquelles se dédiaient les congrégations en observant la façon dont ces causes étaient liées entre elles par le fait qu’elles étaient simultanément investies par les mêmes congrégations [38] (voir document 6 et annexe 2). Un petit nombre de causes se trouvent fortement associées de cette façon : tout d’abord les œuvres pour la jeunesse – des patronages, pour la plupart – et les orphelinats, ensuite celles qui distribuaient des secours aux indigents. Dans une mesure un peu moindre étaient associés à ces causes des maisons de retraite, des écoles maternelles et des dispensaires – qui n’avaient pas alors un objet exclusivement médical mais étaient des lieux de distribution de denrées aux populations nécessiteuses. Le monde charitable congréganiste s’adressait ainsi de façon privilégiée aux âges de la vie où les malheureux sont en état de faiblesse : orphelins et jeunes travailleurs, petits enfants et vieillards, indigents de tous âges demandant assistance. Comme une congrégation, personne collective, était en mesure de desservir un grand nombre d’œuvres, les différentes causes visées en priorité pouvaient l’être de façon simultanée : les congrégations catholiques tissaient de cette façon un réseau dense entre les causes qu’elles servaient.
Comment les congrégations catholiques lient-elles les causes charitables ?

/MSan/
/Disp/
/Orph/
/Hop/
/Jeun/
/MRetr/
/Indig/
/Cre/
/EcMat/
/EcProf/
Comment les congrégations catholiques lient-elles les causes charitables ?
Note : La taille du point est proportionnelle au nombre d’œuvres poursuivant une cause donnée, l’unité étant ici l’établissement local de l’œuvre (une adresse) et/ou le service spécialisé au sein de l’établissement (une activité). Les liens figurés sont ceux qui sont au nombre de 4 ou plus (les causes liées aux autres causes par moins de 4 congrégations n’apparaissent donc pas) ; l’épaisseur et le grisé du trait dépendent du nombre de liens entre les causes. Les graphes figurent les liens entre les causes, mais non les personnes (ici, les congrégations) qui constituent ces liens (graphes 1-mode).Légende : /Cre/ : crèches ; /Disp/ : dispensaires ; /EcMat/ : écoles maternelles ; /EcProf/ : écoles professionnelles ; /Hop/ : hôpitaux ; /Indig/ : secours aux indigents ou nécessiteux ; / Jeun/ : œuvres pour la jeunesse ; /MRetr/ : maisons de retraite ; /MSan/ : maisons de santé ; /Orph/ : orphelinats ; /Preserv/ : protection des enfants, jeunes filles et femmes seules.
Les mondes sociaux de la charité parisienne
45 Outre la petite centaine de congrégations que l’on vient d’évoquer, nos sources mentionnent près de 2000 individus comme affiliés à quelque 1000 œuvres (voir document 3). Ces individus interviennent dans 57 % de ces œuvres, et ils sont les seuls mentionnés dans près des trois-quarts des cas. Ainsi, c’est à peu près le même nombre d’œuvres qui est investi par les congrégations et par les individus charitables, pourtant 22 fois plus nombreux. Les liens entre les œuvres que constituent ces derniers sont donc beaucoup plus lâches que ceux constitués par les congrégations : la composante principale du réseau formé par les congrégations représente 85 % des œuvres du réseau, celle du réseau formé par les individus 36 % seulement. Le premier ne compte que 47 composantes, le second 329 : l’éclatement du monde parisien en un grand nombre de micro-réseaux est beaucoup plus marqué dans les zones où les congrégations catholiques sont absentes.
46 Il n’en demeure pas moins qu’existe, au centre du monde charitable et distinct de son noyau institutionnel décrit plus haut, un ensemble diversifié d’individus connectés entre eux, directement ou indirectement, par leur affiliation aux mêmes œuvres. C’est à cet ensemble que nous allons maintenant nous attacher en étudiant le graphe du réseau formé par les individus vivants [39] affiliés à au moins deux œuvres (voir document 7). Tous, sans exception, appartiennent aux classes aristocratiques et bourgeoises. Il serait tentant d’interpréter ce réseau comme l’expression de sociabilités qui déborderaient le cadre étroit des œuvres charitables pour s’étendre aux activités mondaines, aux salons ou clubs, au commerce, aux sociétés de pensée. Ce serait très imprudent : un lien entre deux personnes ne signifie ici rien de plus que l’adhésion rendue publique à une même cause, une proximité sur le graphe indique simplement que les causes poursuivies séparément par des personnes liées entre elles ne sont pas incompatibles.
47 Nos sources mettent en évidence 163 individus pluri-affiliés, dont 36 % de femmes [40]. Le réseau qu’ils forment est composé de plusieurs zones connectées entre elles, qui apparaîtront plus aisément si l’on note sur le graphe les adhérents au Congrès international d’assistance de 1900 : ils sont au nombre de 32, donc minoritaires (20 %), mais beaucoup mieux représentés ici que parmi l’ensemble des individus répertoriés (6 %). Tandis que 25 % des hommes du réseau qui nous intéresse ici ont adhéré au congrès, c’est le cas de seulement 10 % des femmes.
Le réseau des individus pluri-affiliés

Goislot
escoeurb
Mme Lalot
Ruel L
Henry
abbe
RP
Mme Teutsch
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Mme Bernhardt
Mme
Mme E de Pressense
bne J Rothschild
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abb Deleuze
Schaer-Vezinet
Mme Weil
Mme Audiffred
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com Mun
L Goldschmidt
Riant
bar E Rothschild
Brueyre
Mme Ferdinand-Dreyfus
Le Franc
x Roy Malarce
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Mme Koechlin-SchwartzKahn
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Mme Simon
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abb Garnier
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ne N Rothschild
Julien
Mme Cahen
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cse Eu
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Weil
G Bonjean
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cse Foucher de CDr Duchaussoy
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abb Roland-Gosselin bar Mackau
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Mme Champvallier
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Dr Roux
com Beaufort
Eu Marbeau
com Chambrun
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Mme Lecoq
R. Lalance
Gouin
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gen Salanson
Mme Mac Mahon
G Picot
Cheysson Robert
Mme G Salmon
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Mme Bourgeois
Mme Bertrand-Tailletcom Montalivet
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duc Doudeauville
Mlle Herouville
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Voisin
Mme Chaude
Berenger
Gibon
abb Gardey
Mme Desprez
Mme Bassery
Keller
dse Padoue
mar Gouvello
dse Isly
C Petit
abb Soulange-Bodin
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Mme EvetteMme Ertzbischoff
Lefebure
Lucas
Guillot
Lesieur
dse Mouchy
cse Biron
Mme Nolleval
cse Maupeou
com HaussonvilleHousset
cse La Rochefoucauld Schneider
cse Murat
Mme Fourcade
Adolphe
Bechard
Mme Richefeu
mar Ganay
Mgr Richard
Mme G Bechet
dse Estissac
cse Frignet
Vernes
bne Bartholdi
bar Livois bar Schickler
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com Lambel
Mme E Salmon
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Humann
Heredia
abb Pousset
Savoure
Kervennic
abb Carton
Dr Falret
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vic DamasRP
RP Picard
Mme Auber
Dr Bourneville
mse Gontaut-Saint-B
Jouin
abbe
Mme Lannelongue
z Dumas
Mme H Mallet
dse Galliera
Pephau
Mme H Morillon
abb Roussel
Dr Bergeron
A.
Le réseau des individus pluri-affiliés
Note : La figure (1-mode, personnes) représente le réseau des individus pluri-affi liés vivants (N = 163). L’épaisseur et la noirceur du trait sont proportionnelles au nombre d’œuvres communes entre les individus. Les cercles colorés de gris représentent les adhérents au Congrès international d’assistance de 1900. Les individus qui sont à la périphérie du réseau (N = 32) appartiennent à des composantes périphériques ou, s’ils sont dans la composante principale, sont affiliés à des œuvres qui ne sont connectées aux autres que par des congrégations.48 Les absents du congrès se concentrent dans certaines zones du graphe. Celle qui nous paraît la plus significative s’organise autour de Mgr Richard, l’archevêque de Paris, comprend la plupart des membres du clergé catholique de notre population et se développe de lien en lien en enveloppant le réseau vers l’est jusqu’à l’abbé Deleuze. On peut appeler cette zone, qui comprend en outre bon nombre de nobles dont le titre remonte à l’Ancien Régime, « le réseau de l’archevêché ». Il est globalement rétif à la collaboration avec le gouvernement : sur vingt ecclésiastiques, trois seulement ont adhéré au congrès. Mais ce réseau n’est pas pour autant isolé du reste du monde charitable : le graphe met en lumière des personnalités charnières comme Georges Picot, le prince d’Arenberg, le comte d’Haussonville, Mme de Mac Mahon ou la duchesse d’Isly – tous engagés de diverses façons dans de grandes œuvres « neutres ».
49 Dans deux autres zones, les absents du congrès sont nombreux pour la raison principale que des femmes y sont concentrées. C’est le cas, à l’ouest, du réseau féminin compact de la Société de charité maternelle, œuvre quasi-officielle dont l’origine remonte à la veille de la Révolution et où collaborent des dames d’œuvres d’inclinations diverses ; cette zone se prolonge vers le nord jusqu’à la comtesse Foucher de Careil avec les réseaux de la Société de secours aux blessés militaires, autre œuvre de caractère officiel qui réunit elle aussi, depuis 1864 et au-delà des changements de régime, des dames d’une haute bourgeoisie bien implantée dans les sphères gouvernementales. Les absents sont nombreux aussi, plus au nord, dans une zone connectée à la précédente et caractérisée par un mixte d’œuvres féminines républicaines (Union des femmes de France, Société de l’allaitement maternel, Société d’assistance maternelle), d’œuvres israélites où domine la famille Rothschild et de personnalités de l’Assistance publique, dont Loys Brueyre, le chef de la division des Enfants assistés.
50 Reste la zone la plus centrale du graphe, où se concentrent les adhésions au congrès. Celles-ci s’organisent en deux ensembles. Le premier, sur l’axe qui va de Georges Picot au prince d’Arenberg, est un réseau centré sur la Société philanthropique, qui comprend aussi des membres de la Société protectrice de l’enfance. Le second ensemble, dont Léon Lefébure est le centre, est principalement structuré par la Société générale des prisons, dans une moindre mesure par la Société d’économie sociale et bien entendu par l’Office central des œuvres de bienfaisance (OCOB).
Comment les individus pluri-affiliés lient-ils les causes charitables ?

/Prosel/
/Mat/
/Mil/
/Mal/
/Orph/ /Hop/
/Disp/ /Preserv/
/Jeun/
/EcProf/
/Corr/
/MRetr/
/Enc/
/Indig/
/Affl/ /Enf/
/HabEco/
/AssTr/
/EpPrev/ /Cre/
Comment les individus pluri-affiliés lient-ils les causes charitables ?
Note : Voir document 6.Légende : /Affl/ : aveugles, sourds-muets, aliénés, incurables ; /AssTr/ : assistance par le travail ; /Corr/ : correction et réhabilitation ; /Disp/ : dispensaires ; /Enc/ : « encouragement au bien » (causes réformatrices générales) ; /Enf/ : enfance ; /EpPrev/ : épargne et prévoyance ; /HabEco/ : habitations économiques ; / Mal/ : malades ; /Mat/ : maternité et premier âge ; /Mil/ : militaires. Voir aussi figure 6.
51 L’OCOB joue un rôle fédérateur important, car il est présent dans la plupart des zones du réseau, tout particulièrement la zone centrale. Il l’est aussi, mais de façon seulement périphérique, dans le réseau de l’archevêché et dans celui des œuvres grandes bourgeoises de caractère officiel s’occupant de protection de la maternité ou de blessés militaires. Cette relative désaffection dans l’un et l’autre réseau n’a sans doute pas les mêmes raisons. Dans un cas, il s’agit d’une réticence marquée vis-à-vis de catholiques qui ont joué de façon un peu trop affichée la carte du ralliement à la République, dans l’autre il s’agirait plutôt d’un certain dédain vis-à-vis d’une bourgeoisie relativement modeste de parvenus qui a accédé trop récemment à des fonctions gouvernementales.
52 Les individus présents sur ce graphe sont engagés dans des œuvres dont les objets sont plus variés que celles où sont présentes les congrégations et, en outre, ils associent ces causes de façon différente (voir document 8). Certes, celles dont le poids est le plus grand sont les mêmes que dans le monde congréganiste, avec au premier plan jeunesse travailleuse, indigents et orphelins. On voit toutefois apparaître, en mineur, de nouvelles catégories de causes : l’assistance par le travail, l’épargne et la prévoyance, les crèches, les habitations économiques, les causes réformatrices générales classées par les répertoires sous « encouragement au bien », les militaires, la maternité et la petite enfance. Le trait le plus remarquable du réseau est toutefois que les œuvres consacrées à secourir les indigents constituent le carrefour de la plupart des autres : les particuliers engagés dans les causes les plus diverses tendaient à être actifs en même temps dans ce domaine traditionnel de la charité privée, qui était aussi celui où le débat était le plus vif sur la rationalisation des méthodes.
53 C’est là un indice de plus que le monde de la bienfaisance constituait au tournant du XXe siècle une matrice essentielle de la nébuleuse réformatrice qui allait bientôt construire l’État social : une observation conduite à partir de la notion de bienfaisance fait ainsi émerger la plupart des grandes causes que la IIIe République a commencé dès avant la Grande Guerre à définir comme celles où les pouvoirs publics devaient s’engager en reprenant les diagnostics et les méthodes de la charité « libre » – protection de la mère et du nourrisson, enfance délaissée, jeunesse d’âge scolaire et apprentissage, secours pour les indigents incapables de travailler (malades, vieillards), assistance par le travail et placement pour les valides [41].
54 Nous nous sommes appuyés sur des sources procurant des informations élémentaires sur un grand nombre d’œuvres et de personnes, et nous avons eu recours aux techniques de l’analyse de réseaux pour construire une description d’ensemble du monde charitable parisien en 1900. Cette approche nous a aussi permis de changer souvent d’échelle d’analyse, en travaillant de plus près sur les œuvres ou les personnes que leur position dans le réseau désignait comme essentielles à l’intelligence de celui-ci. L’intérêt d’une méthode se jugeant à ses fruits, reprenons, pour conclure, les résultats obtenus qui nous semblent neufs.
55 La bienfaisance parisienne avait trouvé une représentation officielle au Congrès d’assistance de 1900, constituée des personnalités qui avaient – parfois pour la première fois – répondu à l’appel de l’administration de l’assistance et du gouvernement républicain à un « concordat charitable ». Mais une description « par en bas » prenant en compte l’ensemble des œuvres livre une image différente. À Paris, le monde charitable était surtout éclaté en des centaines d’œuvres de petite taille, consacrées chacune à une cause locale et à une population limitée, résultant d’initiatives indépendantes et, dans une large mesure, concurrentes les unes des autres. Cette concurrence concernait à la fois la collecte des fonds auprès des donateurs et l’accès à une clientèle – ces clientèles étant souvent circonscrites à une confession particulière, mais sans rigidité, du fait de l’existence de nombreuses œuvres « neutres » et de la compétence tactique des populations visées.
56 Nombre de ces œuvres, bien que fondées par des donateurs de penchants divers, étaient toutefois liées entre elles par des congrégations catholiques, qui avaient été chargées de les diriger et fournissaient le personnel nécessaire. En outre, ce qu’on pourrait appeler des « immeubles charitables », possédés par les congrégations ou par les paroisses, accueillaient des œuvres variées qui se trouvaient liées par cette cohabitation pratique, mais aussi par la perception qu’en avaient les habitants du quartier. L’étendue et la puissance du réseau « congréganiste » – pour utiliser le vocabulaire de ses adversaires radicaux – étaient, certes, objets de fierté ou de dénonciation pour les acteurs, mais ont été largement sous-estimées par l’historiographie. Nous avons aussi mis en évidence l’importance centrale de Mgr Richard dans le réseau global de la charité parisienne.
57 Sous-estimée aussi : la perméabilité des œuvres dites « neutres » ou « officielles » à la présence des congrégations, à la fois par leur personnel et par le partage de leurs locaux. Ces liens brouillaient les frontières entre le monde catholique et, notamment, les établissements de la Société philanthropique et de l’Assistance publique – bien qu’à la date de nos observations la laïcisation des hôpitaux parisiens fût presque achevée. Une des conséquences de cette situation est que la professionnalisation des personnels de la charité était beaucoup moins nécessaire à Paris qu’à Londres ou New York. Les « sœurs », et tout particulièrement celles de Saint-Vincent-de-Paul, fournissaient en effet encadrement, compétences et dévouement à une multitude d’œuvres, ce qui permettait à celles-ci de fonctionner sans bénévoles laïcs, ni personnel rémunéré. L’émergence du « service social » comme profession en a été retardée, en même temps qu’a été rendue possible l’existence d’une charité privée sans grandes ressources financières, car les « sœurs » ne coûtaient presque rien.
58 Nous avons pu, enfin, discerner, dans la partie du monde charitable où les œuvres faisaient réseau du fait des affiliations multiples des individus, l’existence de zones distinctes clairement identifiables, formées de personnes dotées de propriétés sociales assez cohérentes. Il y avait les deux réseaux de la protection de la mère et de l’enfant – le premier fait d’œuvres anciennes semi-officielles, au personnel féminin grand-bourgeois, le second d’œuvres de fondation républicaine récente et très liées au réseau des œuvres israélites. Ce second réseau était lié à son tour au réseau de la Société philanthropique, lui-même lié à celui de la Société des prisons – qui était aussi celui de la Société d’économie sociale et de l’OCOB, où l’on rencontrait les patrons de firmes industrielles ou commerciales, tandis que les banquiers et administrateurs de sociétés peuplaient plutôt les réseaux précédents. Il y avait enfin le réseau de l’archevêché – où se concentraient les nobles d’Ancien régime – distinct des deux précédents mais bien connecté à ceux-ci. Nous avons aussi découvert que, parmi les personnalités qui liaient entre elles ces diverses zones du réseau charitable – et, notamment, le réseau de l’archevêché aux autres – la noblesse bourgeoise, dotée de titres par l’Empire ou la monarchie de Juillet, jouait un rôle essentiel – et, notamment, ses femmes.
59 Cette série d’éclairages sur la topographie institutionnelle et sociale de la charité parisienne, qui sera développée plus largement dans d’autres publications, est désormais à la disposition des chercheurs qui s’intéressent aux champs politique, réformateur et mondain du Paris de la Belle Époque.
Annexes
ANNEXE 1 Note méthodologique sur la base de données et l’analyse de réseaux
60 Les répertoires rendent possible de produire une représentation globale du monde charitable parisien en utilisant les informations élémentaires qui s’y trouvent de façon dispersée, et tout particulièrement : le nom et l’objet de l’œuvre, la ou les adresses où elle exerçait ses activités, les personnes qui la patronnaient ou la dirigeaient. Ces informations sont minimales, mais leur intérêt tient à ce qu’elles sont disponibles pour un très grand nombre d’œuvres.
61 Il faut souligner que ces répertoires, avant d’être des sources pour l’historien, furent des produits de l’action et résultèrent de ses choix et contraintes. Ce sont des artefacts construits à partir d’un point de vue, celui des compilateurs : délimitation du périmètre de la « charité », choix des personnes qu’il convient de mentionner, disponibilité inégale de l’information selon les œuvres. Les répertoires sont loin de citer toutes les personnes associées aux œuvres, ils s’en tiennent à celles qu’ils jugent importantes : dirigeants, principaux protecteurs, quelques grands donateurs. Ils ignorent, en revanche, les donateurs moindres et la plupart des personnes qui faisaient fonctionner l’œuvre au quotidien, souvent des femmes – sauf s’il s’agissait de religieuses, toujours citées collectivement. En suivant les compilateurs dans leurs choix, nous sommes assurés, en tout cas, de saisir les personnes qui comptaient à leurs yeux dans le monde charitable parisien. Telle fut notre option, tant pour la frontière de la « charité » que pour les personnes qui comptaient dans ce monde. Les sources de l’historien, si elles doivent bien entendu être critiquées, ne peuvent être « redressées » pour produire une description « objective » du passé du point de vue de Sirius : notre parti est de transformer le « point de vue de la source » en une ressource pour explorer le passé réflexivement.
62 Notre façon d’utiliser les répertoires produit à son tour de nouveaux artefacts, que nous croyons eux aussi pleins de sens. D’abord, en transformant des notices en listes, nous prenons une vue globale sur des réalités que les acteurs ne pouvaient percevoir que de façon partielle. Ensuite, en utilisant ces listes avec les outils de l’analyse de réseaux, nous créons de nouveaux objets. Nous considérons qu’avoir un membre ou une adresse en commun constitue un « lien » entre deux institutions et, réciproquement, qu’appartenir à la même institution constitue un « lien » entre deux personnes. La notion de « lien » accorde ainsi une valeur identique à des modalités d’affiliation très différentes : patronner une œuvre en acceptant sa présidence, en être la fondatrice et l’âme la plus dévouée, ou exercer la fonction d’un modeste secrétaire, ce n’est pourtant pas la même chose. Rien n’assure, en outre, que les personnes qui ont un lien avec la même œuvre se soient jamais rencontrées. Nous pensons néanmoins que la notion de « lien » est ici pertinente : l’affi liation à une œuvre, quelle qu’en soit la modalité, implique que l’on adhère à ses objectifs et que l’on accepte de rendre publique cette adhésion. Dans des mondes bourgeois où le nom et le crédit sont des ressources essentielles, ce n’est pas rien.
63 Les répertoires publient seulement quelques noms pour chaque œuvre, ce qui fait sans doute disparaître un grand nombre de liens entre les œuvres, mais donne d’autant plus de poids à ceux qui nous sont donnés à voir. Lorsqu’une même personne est affiliée à deux œuvres, qu’il s’agisse de positions de patronage ou de formes plus pratiques d’implication, cela signifie pour le moins que les objectifs de ces œuvres, les milieux sociaux dans lesquels elles trouvent leurs ressources, leurs allégeances confessionnelles ou leurs penchants politiques ne sont pas incompatibles. Selon les conventions que nous avons adoptées, les « personnes » dont il s’agit peuvent être des sociétés ou personnes collectives, notamment des congrégations catholiques : deux œuvres indépendantes, mais dirigées ou desservies par des personnels issus d’un même ordre religieux se trouvent de cette façon liées entre elles. Il y a aussi un lien solide lorsque deux œuvres partagent une même adresse, c’est-à-dire des locaux : leurs activités sont généralement complémentaires, elles peuvent aussi impliquer une collaboration effective. L’hypothèse se trouve renforcée lorsque ces liens se nouent de façon croisée entre plus de deux œuvres, parfois dans un maillage d’une certaine densité.
64 Un langage un peu spécialisé est nécessaire à l’analyse de ces maillages. Définissons-en les principaux termes, puis efforçons-nous de les « traduire ». On appelle « composante » du réseau tout ensemble de sommets (œuvres, personnes, adresses) dont chacun est lié à au moins un autre ; la composante qui comprend le plus grand nombre de sommets est appelée « composante principale » ; nous appelons « composante périphérique » toute autre composante qui comprend au moins deux œuvres et « œuvre isolée » les composantes qui ne comprennent qu’une seule œuvre (mais par définition, au moins un autre sommet, personne ou adresse). Si l’on s’en tient au réseau constitué des œuvres et des personnes, une « composante » est donc un ensemble d’œuvres liées directement ou indirectement par des personnes, en même temps qu’un ensemble de personnes liées directement ou indirectement par des œuvres. Une composante peut constituer un monde très diversifié, d’autant plus qu’elle est vaste et comprend de nombreux liens indirects (c’est le cas ici de la « composante principale ») : il convient alors d’en étudier à la fois les régions distinctes et la façon dont celles-ci se trouvent liées entre elles. La notion de « micro-réseaux » peut être utilisée à la fois pour caractériser les composantes dites « périphériques » (de petits ensembles d’œuvres liées entre elles, mais pas à la composante principale) et des régions de la composante principale formées de liens plus denses que ceux qu’elles ont avec le reste de la composante principale (par exemple, ce que le langage technique appellera « islands »). L’absence de lien entre deux œuvres dans le réseau ne signifie pas qu’elles n’étaient pas liées par des affiliations communes dans le monde réel. Mais observer que des liens existent fournit une information empirique très solide. Ainsi, calculer et représenter graphiquement la « composante principale » du réseau, c’est créer un objet qui est en même temps une énigme. Ce n’est pas en soi un résultat : c’est un matériel artefactuel qui demande interprétation.
65 Les deux répertoires, dépouillés exhaustivement et organisés sous la forme d’une base de données, nous renseignent, en chiffres ronds, sur 2800 œuvres et mentionnent 2100 personnes et 1800 adresses d’œuvres : c’est une masse considérable d’informations [42]. C’est pourquoi les formalismes de l’analyse de réseaux peuvent être utilement mobilisés
66 La méthode présente trois avantages. Le premier est que les algorithmes disponibles sont suffisamment puissants pour décrire de vastes ensembles d’objets en mettant en évidence l’organisation de leurs relations. Si l’on peut, à la rigueur, maîtriser sans cet outil les liens entre une institution et un ensemble de personnes – ou l’inverse –, les liens indirects qui forment réseau cessent vite d’être représentables, plus encore les réseaux globaux constitués de réseaux élémentaires [43]. Le deuxième avantage est qu’à la différence des codages classificatoires classiques, c’est l’étude du réseau qui produit les ensembles dont il s’agit de rendre compte. La question de l’interprétation s’inverse donc : on n’a plus à se demander si un personnage ou une œuvre appartenait à tel ou tel courant prédéfi ni par l’état de l’historiographie ; on observe, en revanche, le réseau que notre procédure a construit et on s’interroge sur ce qui peut bien réunir les personnes ou les œuvres ainsi liées par l’observation empirique. Le troisième avantage, et non le moindre, est que la méthode invite à changer constamment l’échelle de la description, à passer de l’étude de vastes ensembles à celle d’œuvres ou d’individus singuliers. L’analyse de réseaux permet en effet de choisir de façon raisonnée les institutions et les individus sur lesquels il est pertinent de faire une enquête approfondie : le choix ne résulte pas alors de la réputation de l’objet ou de l’arbitraire – bien souvent la commodité – du chercheur, mais de la position de l’objet dans le réseau.
ANNEXE 2
Nomenclature des catégories de causes charitables
Abréviation au graphe | Catégorie de cause | Note explicative | Nombre de mentions |
/Affl/ | Affligés | Aveugles, sourds-muets, aliénés, incurables | 58 |
/AssTr/ | Assistance par le travail | Ateliers d’assistance, ouvroirs | 48 |
/Com/ | Communautés religieuses catholiques | Congrégations sans activité charitable précisée par le répertoire | 133 |
/Coop/ | Coopératives de consommation | 130 | |
/Corr/ | Correction et réhabilitation | Maisons de correction, patronage des prisonniers et libérés | 36 |
/Cre/ | Crèches | Asile de jour pour enfants d’âge pré-scolaire | 122 |
/Disp/ | Dispensaires | Soins ambulatoires, parfois aussi distribution de secours en nature | 91 |
/EcChr/ | Écoles chrétiennes | Écoles maternelles, primaires, professionnelles catholiques | 315 |
/EcMat/ | Écoles maternelles | Écoles maternelles publiques ou privées (y compris catholiques) | 370 |
/EcProf/ | Écoles professionnelles | Écoles professionnelles publiques ou privées (y compris catholiques) | 85 |
/Enc/ | Encouragement | « Encouragement au bien » (causes réformatrices générales) | 55 |
/Enf/ | Enfance |
Enfants d’âge scolaire : asiles, caisses
de secours, garderies, colonies, etc. (sauf orphelinats) | 36 |
/EpPrev/ | Épargne et prévoyance | (Sauf sociétés de secours mutuels) | 63 |
/Etr/ | Étrangers | Œuvres destinées aux étrangers d’une nationalité donnée | 54 |
/Gen/ | Générales | Causes réformatrices générales | 27 |
/Group/ | Groupes d’œuvres ouvrières | Combinaison de patronage, école professionnelle, placement, secours, dispensaire, etc. | 6 |
/HabEco/ | Habitations économiques | Habitations relevant de la législation HBM | 8 |
/Hop/ | Hôpitaux | Hospitalisation de malades en vue de les soigner | 39 |
/Indig/ | Indigents | Secours aux indigents ou nécessiteux (dont fourneaux, asiles de nuit, maisons de charité, etc.) | 241 |
/InstP/ | Institutions patronales | Œuvres destinées aux employés d’une entreprise | 63 |
/Jeun/ | Jeunesse | Garçons et jeunes filles en âge de travailler (apprentissage, patronages, cercles, maisons de famille, etc.) | 151 |

/Mal/ | Malades | Assistance aux malades hospitalisés, soins à domicile, secours aux blessés, sauvetage | 78 |
/Mat/ | Maternité et premier âge | Maternités, asiles pour femmes enceintes, asiles maternels, protection mère et enfant, encouragement à l’allaitement | 31 |
/Mil/ | Militaires | Secours aux militaires des différentes armes et à leurs veuves | 23 |
/MRetr/ | Maisons de retraite | Maisons, hospices, asiles pour vieillards | 100 |
/MSan/ | Maisons de santé | Maisons pour convalescents, sanatoria | 54 |
/Mutu/ | Sociétés de secours mutuels | 385 | |
/Orph/ | Orphelinats | (Ces œuvres ne sont pas classées sous « enfance » ou « jeunesse ») | 215 |
/Placemt/ | Placement | Placement des domestiques ou ouvriers sans travail, des apprentis | 60 |
/Preserv/ | Préservation | Protection des enfants, jeunes filles et femmes seules | 52 |
/Prosel/ | Prosélytisme catholique | Œuvres ayant des objectifs explicitement confessionnels (missions, vocations, première communion, retraites, etc.) | 59 |
/Prov/ | Provinciaux |
Œuvres destinées aux originaires
d’une province donnée (y compris Alsaciens-Lorrains) | 35 |
/Secr/ | Secrétariats du peuple | Œuvres aidant les familles pour leur courrier, leurs rapports avec l’administration, le mariage, etc. | 14 |
Total | 3237 |

Nomenclature des catégories de causes charitables
Unité : mention d’OEUV2 (la même OEUV2 peut être classée sous plusieurs causes)N = 2833 œuvres ; 33 catégories de cause ; 3237 mentions d’œuvre et catégorie de cause.
Lecture : La cause « Affligés » est mentionnée comme poursuivie par 58 œuvres distinctes. Note : La nécessité d’adopter une classification qui n’est pas celle des acteurs eux-mêmes tient au fait que chacun des répertoires a sa propre nomenclature et que certaines œuvres n’apparaissent que dans un des deux répertoires. En outre, une même œuvre peut être classée par chacun sous plusieurs catégories lorsqu’elle poursuit plusieurs causes considérées comme distinctes. Nos catégories réfèrent, sans esprit de système, à des populations (enfance, jeunesse, indigents), des types d’institutions (hôpital, orphelinat, société coopérative) ou des familles d’objectifs réformateurs (préservation, maternité et première enfance, placement).
Notes
-
[1]
Notamment Jean-Baptiste DUROSELLE, Les débuts du catholicisme social en France, 1822-1870, Paris, PUF, 1951 ; Henri ROLLET, L’action sociale des catholiques en France (1871-1901), vol. 1 : Paris, Boivin, 1948, vol. 2 : Bruges, Desclée de Brouwer, 1958 ; Pierre PIERRARD, L’Église et les ouvriers en France (1840-1940), Paris, Hachette, 1984.
-
[2]
Par exemple José-Luis PINILLA, « Approches sociologiques du travail social, de la dépendance du champ aux alternatives », thèse sociologie, Louvain, 1995 ; ID., « Les dix péchés de la dame patronnesse. Dogme, morale, autorité, déficit méthodologique ainsi que conservatisme politique et institutionnel », Pensée plurielle, 5, 2003, p. 57-70.
-
[3]
Alexandre LAMBELET, La philanthropie, Paris, Presses de Sciences Po, 2014, p. 9-10 ; François-Xavier MERRIEN, L’État-providence [1997], Paris, PUF, 2007, p. 31. Sur le cas des États-Unis : Robert A. GROSS, « Giving in America : From charity to philanthropy », in Lawrence J. FRIEDMAN, Mark D. MCGARVIE (éd.), Charity, Philanthropy and Civility in American History, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 29-48.
-
[4]
Par exemple Jacques DONZELOT, La police des familles, Paris, Minuit, 1977 ; Danièle RANCIÈRE, « Le philanthrope et sa famille », Les révoltes logiques, 8-9, 1979, p. 99-115.
-
[5]
Voir par exemple Bernard PLONGERON, Pierre GUILLAUME (éd.), De la charité à l’action sociale. Religion et société, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1995 ; Bruno DUMONS, « De l’œuvre charitable à l’institution d’assistance : la Société de Saint-Vincent-de-Paul en France sous la IIIe République », Revue d’histoire ecclésiastique, 93-1/2, 1998, p. 46-65 ; Marie-Emmanuelle CHESSEL, B. DUMONS (éd.), Catholicisme et modernisation de la société française (1890-1960), Lyon, Centre Pierre Léon d’histoire économique et sociale, 2003.
-
[6]
Par exemple Susan PEDERSEN, Family, Dependence, and the Origins of the Welfare State in Britain and France, Cambridge, Cambridge University Press, 1993.
-
[7]
Sylvie FAYET-SCRIBE, Associations féminines et catholicisme, XIXe-XXe siècles, Paris, Éditions ouvrières, 1990 ; Véronique LEROUX-HUGON, Des saintes laïques. Les infirmières à l’aube de la IIIe République, Paris, Sciences en situation, 1992 ; Évelyne DIEBOLT, Les femmes dans l’action sanitaire, sociale et culturelle, 1901-2001. Les associations face aux institutions, Paris, Femmes et associations, 2001.
-
[8]
Par exemple Norine MACDONALD, Luc TAYART DE BORMS, Philanthropy in Europe : A Rich Past, a Promising Future, Londres, Alliance, 2008.
-
[9]
Par exemple Christian TOPALOV, « Langage de la réforme et déni du politique. Le débat entre assistance publique et bienfaisance privée, 1889-1903 », Genèses, 23, 1996, p. 30-52 ; Françoise BATTAGLIOLA, « Philanthropes et féministes dans le monde réformateur (1890-1910) », Travail, genre et sociétés, 22, 2009, p. 135-154.
-
[10]
Voir la belle synthèse de Renaud PAYRE, Gilles POLLET, Socio-histoire de l’action publique, Paris, La Découverte, 2013, notamment chapitres 2 et 3.
-
[11]
Notamment C. TOPALOV (éd.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France (1880-1914), Paris, Éditions de l’EHESS, 1999 ; des travaux plus sectoriels : B. DUMONS, G. POLLET, L’État et les retraites : genèse d’une politique, Paris, Belin, 1994 ; C. TOPALOV, Naissance du chômeur : 1880-1910, Paris, Albin Michel, 1994 ; Martine KALUSZYNSKI, La République à l’épreuve du crime. La construction du crime comme objet politique (1880-1920), Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002.
-
[12]
Entre autres B. DUMONS, G. POLLET, « Espaces politiques et gouvernements municipaux dans la France de la IIIe République. Éclairage sur la sociogenèse de l’État contemporain », Politix, 14-53, 2001, p. 15-32 ; R. PAYRE, Une science communale ? Réseaux réformateurs et municipalité providence, Paris, CNRS Éditions, 2007.
-
[13]
Sur l’importance du malentendu ou des « consensus ambigus », un cas récent : Bruno PALIER, « De la crise aux réformes de l’État-providence. Le cas français en perspective comparée », Revue française de sociologie, 43-2, 2002, p. 243-275 ; et un autre plus ancien : C. TOPALOV, « Verständigung durch Missverständnis : Die britischen Vorbilder klerikaler und laizistischer Philanthropen in Frankreich, 1870-1918 », in Rainer LIEDTKE, Klaus WEBER (éd.), Religion und Philanthropie in den europaïschen Zivilgesellschaften. Entwicklungen im 19. und 20. Jahrundert, Paderborn, Schöningh, 2009, p. 158-173.
-
[14]
Corpus constitué par Catherine MAURER, La ville charitable. Les œuvres sociales catholiques en France et en Allemagne au XIXe siècle, Paris, Cerf, 2012.
-
[15]
Pour une analyse de cette source comme objet : Stéphane BACIOCCHI et alii, « Les mondes de la charité se décrivent eux-mêmes. Une étude des répertoires charitables au XIXe et début du XXe siècle », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 61-3, 2014, p. 28-66.
-
[16]
Office central des œuvres de bienfaisance, Paris charitable et prévoyant. Tableau des œuvres et institutions du département de la Seine, 2e éd., Paris, Plon et Nourrit, 1897 ; Manuel des œuvres. Institutions religieuses et charitables de Paris et principaux établissements des départements pouvant recevoir des orphelins, des indigents et des malades de Paris, 6e éd., Paris, Poussielgue, 1900. Nous utiliserons indifféremment dans ce qui suit les mots « charité » et « bienfaisance » : « charité » prévalait dans les milieux catholiques, « bienfaisance » dans le langage officiel et celui des confessions minoritaires ; « philanthropie » – terme issu des Lumières – était tombé en désuétude dans la période qui nous intéresse.
-
[17]
Un langage un peu spécialisé est nécessaire lorsque l’on utilise ces méthodes : que le lecteur nous pardonne. On trouvera à l’annexe 1 quelques explicitations et une discussion plus générale sur la cascade d’artefacts pleins de sens que constituent la source et ses changements de forme au cours de la recherche.
-
[18]
Recueil des travaux du Congrès international d’assistance publique et de bienfaisance privée, tenu du 30 juillet au 5 août 1900, Paris, Secrétariat général du congrès (Exposition universelle de 1900), 1900, 5 vol.
-
[19]
C. TOPALOV, « Langage de la réforme… », art. cit.
-
[20]
Louis RIVIÈRE, « Du fonctionnement et de l’efficacité des secours à domicile », in Recueil des travaux…, op. cit., vol. 1, p. 184. Rivière, administrateur de la Société philanthropique et de nombreuses autres œuvres et sociétés réformatrices, était l’un des dirigeants de la Société d’économie sociale.
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[21]
C’est ce que nous appellerons « œuvre isolée ». Mais attention : si l’existence d’un lien est une information robuste, l’absence de lien observable dans la source n’implique pas qu’une œuvre n’était connectée à aucune autre. Si d’autres affiliations avaient été citées par les répertoires, d’autres liens auraient pu apparaître (voir annexe 1). Nous pensons néanmoins que le contraste entre composante principale, composantes périphériques et œuvres isolées est suffisamment fort à l’échelle de l’ensemble du réseau pour offrir une image globalement fidèle de celui-ci.
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[22]
Dans les descriptions qui suivent, les personnes évoquées ne sont pas choisies arbitrairement, mais parce que l’analyse de réseaux révèle qu’elles ont une position d’intermédiaire entre institutions. Les informations biographiques utilisées ont des sources diverses (voir note 40), qui ne peuvent être chaque fois citées.
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[23]
Anne NARDIN, « La bataille pour la laïcisation », in Françoise SALAÜN (éd.), Accueillir et soigner. L’AP-HP, 150 ans d’histoire, Rueil-Malmaison et Paris, Douin et Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 1999, p. 122-123 ; Christian CHEVANDIER, « Laïciser les hôpitaux. Les rythmes de la société et du politique », in Patrick WEIL (éd.), Politiques de la laïcité au XXe siècle, Paris, PUF, 2007, p. 373-389.
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[24]
Catherine DUPRAT, Le temps des philanthropes. Tome 1 : la philanthropie parisienne des Lumières à la monarchie de Juillet, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1993, p. 65-75 et 433-442 ; EAD., Usage et pratiques de la philanthropie. Pauvreté, action sociale et lien social à Paris, au cours du premier XIXe siècle, Paris, Association pour l’étude de l’histoire de la Sécurité sociale, 1996, chapitre 1.
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[25]
Sur l’histoire de l’œuvre, la référence est désormais : Mathieu BREJON DE LAVERGNÉE, La Société de Saint-Vincent-de-Paul au XIXe siècle (1833-1871). Un fleuron du catholicisme social, Paris, Cerf, 2008. Sur l’opinion de Bailly : ibidem, p. 76.
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[26]
Série 1833-1872 dans ibidem, p. 154 ; année 1897 selon Office central des œuvres de bienfaisance, Paris charitable…, op. cit.
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[27]
J.-B. DUROSELLE, Les débuts…, op. cit., p. 183 et 190-197 ; P. PIERRARD, L’Église et les ouvriers…, op. cit., p. 180-182. Voir aussi [Armand DE MELUN], Mémoires du vicomte Armand de Melun, revus et mis en ordre par le comte Le Camus, Paris, Oudin, 1891, vol. 1, cité par Alexis CHEVALIER, Vie charitable du vicomte de Melun, fondateur de l’œuvre des apprentis et des jeunes ouvriers, Tours, Mame, 1895, p. 65.
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[28]
Subventions : [A. DE MELUN], Mémoires…, op. cit., vol. 1, p. 215 ; journées de juin : lettre de Melun à Mme de Forbin, 11 juillet 1848, citée par A. CHEVALIER, Vie charitable…, op. cit., p. 106.
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[29]
Compte rendu de la réunion constitutive : Annales de la charité, 7, 1851, p. 95 sq., cité par A. CHEVALIER, Vie charitable…, op. cit., p. 157-160.
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[30]
Élaboration de l’Office central des œuvres de bienfaisance, Paris charitable…, op. cit., p. 232- 233 et 241-248. Nous avons suivi les indications de nos sources et considéré l’œuvre pour les garçons et celle pour les filles comme deux œuvres distinctes : malgré leur origine commune, elles avaient des dirigeants et des réseaux différents. C’est l’œuvre pour les filles, nettement plus ample, qui fait partie du noyau institutionnel central.
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[31]
Manuel des œuvres…, op. cit., p. 204.
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[32]
Sur l’activité charitable des congrégations à Paris au XIXe siècle : Anne JUSSEAUME, « Soin et société dans le Paris du XIXe siècle. Les congrégations religieuses féminines et le souci des pauvres », thèse d’histoire, Institut d’études politiques de Paris, 2016. Voir aussi M. BREJON DE LAVERGNÉE (éd.), Des filles de la Charité aux sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Quatre siècles de cornettes (XVIIe-XXe siècle), Paris, Champion, 2016.
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[33]
Les chiffres concernant personnes et adresses dans le réseau œuvres-personnes-adresses, évoqués cursivement, sont fondés sur un tableau plus complet que le document 3 et non publié ici.
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[34]
Sur la notion de « composante principale », voir annexe 1.
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[35]
Les 8 % restant sont constitués des composantes périphériques, où les œuvres sont connectées entre elles dans des micro-réseaux à l’écart de la composante principale.
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[36]
Dans ce qui suit, nous cesserons de prendre en compte les liens par les adresses pour ne considérer que les liens par les personnes (individus ou personnes morales). Par conséquent, la population analysée est limitée aux 1 025 œuvres pour lesquelles on connaît au moins une personne qui lui est affiliée.
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[37]
On a utilisé la liste de locaux possédés par les congrégations dans le département de la Seine, établie par un recensement administratif de 1906, publiée par Michel GRAUR, « Les congrégations religieuses parisiennes devant les lois laïques (1875-1939) », thèse de théologie catholique, université Marc Bloch-Strasbourg 2, 2007, vol. 1, p. 316-436.
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[38]
La classification des œuvres selon leur objet (ou la « cause » poursuivie) n’est pas chose aisée : c’était justement l’une des tâches qui s’imposait aux compilateurs de répertoires charitables, dont les nomenclatures diverses exprimaient autant de visions ou théories de l’action charitable, de ses méthodes et de ses publics. Nos sources utilisant deux nomenclatures différentes, nous n’avons pu, sur ce point, « suivre les acteurs » et avons élaboré une nomenclature simplifiée, qui résulte d’une combinaison de celles des sources (voir annexe 2).
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[39]
On a donc écarté ici les congrégations et autres personnes morales, les individus ayant une seule affiliation, les individus ayant plusieurs affiliations dont il n’est pas certain qu’ils étaient vivants en 1897 (les notices de l’Office central des œuvres de bienfaisance, Paris charitable…, op. cit., qui retracent l’histoire de l’œuvre depuis l’origine, mentionnent des personnes décédées ou qui peuvent l’être).
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[40]
L’analyse qui suit, nécessairement très succincte dans le cadre de cet article, repose sur une étude prosopographique des 163 pluri-affiliés, fondée principalement sur un dépouillement des notices les concernant dans les dictionnaires de personnalités d’époque, effectué par Alice Lavabre à partir de la base de données World Biographical Information System. On a complété ces informations à l’aide d’une base de données généalogiques (geneanet), de la base de données de la Légion d’honneur (Léonore), de notre base de données Reform-Paris et d’éventuelles monographies.
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[41]
Notre enquête ne nous permet pas d’aller plus loin sur ce sujet important.
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[42]
Nous avons pris le parti de fusionner les informations issues des deux sources, bien que la liste des œuvres décrites diffère d’un répertoire à l’autre (1597 dans Paris charitable et prévoyant seulement et 658 dans Manuel des œuvres seulement, plus une intersection de 578 œuvres), comme la liste des personnes (Paris… : 1172, Manuel… : 680, intersection : 208) et des adresses (Paris… : 709, Manuel… : 273, intersection : 855). Cette différence de « point de vue » est en elle-même un objet d’analyse des plus intéressant, mais qui ne peut être abordé ici. La base de données qui résulte de cette fusion est traitée ici comme une source référencée « Charity-Paris », suivie d’une date, car la base est améliorée au fur et à mesure de son utilisation et les comptages peuvent varier de quelques unités d’une version à l’autre. Lorsque la source n’est pas datée, il s’agit de Charity-Paris_14-04-29, version principalement utilisée ici.
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[43]
L’outil que nous utilisons surtout ici est le graphe des liens entre œuvres et personnes, qui permet d’élaborer des interprétations à l’échelle de l’ensemble du réseau comme à celle de ses éléments singuliers. Les analyses de réseau ont été effectuées avec le logiciel Pajek (sur l’usage de ce logiciel : Wouter DE NOOY, Andrej MRVAR, Vladimir BATAGELJ, Exploratory Social Network Analysis with Pajek, New York, Cambridge University Press, 2005). Pour d’évidentes raisons matérielles, il n’est pas possible de publier tous les graphes sur lesquels s’appuient nos analyses. Par ailleurs, les liens entre les œuvres constitués par leurs adresses communes sont décrits globalement, mais ne sont pas véritablement étudiés dans le cadre de cet article.