CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L’enquête TRA, ou enquête des 3000 familles, est exceptionnelle à plus d’un titre. Depuis son élaboration à la fin des années 1970, cette enquête a soulevé de nombreuses réactions et de nombreux commentaires. Elle a connu ses détracteurs et ses défenseurs, entre lesquels les débats ont parfois été vifs. Elle a notamment été critiquée en raison de ses a priori et de ses faiblesses méthodologiques, ou encore de son coût. Il est vrai que l’investissement consenti est considérable pour une recherche de SHS en France. Avec cet ouvrage, ce sont non pas les concepteurs de l’enquête, au premier rang desquels le regretté Jacques Dupâquier, mais ses continuateurs, aujourd’hui responsables des développements récents, qui nous proposent un bilan. L’objectif est de présenter la manière dont les données ont été collectées et réunies dans des fichiers informatiques.

2 Les cinq premiers chapitres constituent un ensemble consacré à la présentation des problématiques, des méthodes et des sources. Le deuxième chapitre revient de manière assez détaillée sur la genèse et la réalisation de l’enquête, remise en perspective par rapport aux autres grandes enquêtes historiques individuelles présentées dans le premier chapitre, ce qui permet d’en apprécier l’originalité. La gageure à laquelle se sont confrontés les initiateurs de l’enquête a été d’étudier la mobilité géographique et sociale au cours de plusieurs générations et sur l’ensemble du territoire national, du début du XIXe siècle au milieu du XXe. Le premier pari de Jacques Dupâquier a été de définir un échantillon, espéré représentatif, de la population vivant en France dans son ensemble. Après de nombreux tests, le choix s’est porté sur les individus porteurs d’un patronyme commençant par les lettres TRA. Les couples mariés entre 1803 et 1832 ont été suivis, de même que leurs descendants. Très rapidement est apparue l’idée de coupler l’information collectée dans les actes d’état civil avec celle, de nature économique, présente dans les archives de l’Enregistrement, et en particulier dans les tables de successions et absences (TSA). L’élargissement chronologique et l’intégration des données de l’enregistrement constituent le passage du projet initial, dit enquête des 3000 familles, au nouveau projet, dit enquête TRA.

3 La présentation des sources fait l’objet des trois chapitres suivants. L’état civil tout d’abord, dont les auteurs dépeignent la richesse potentielle tout en discutant de ses limites : qualité hétérogène parfois jusqu’au milieu du XIXe siècle, variations orthographiques des patronymes. Ils rappellent au passage la contribution précieuse des généalogistes amateurs au dépouillement des tables décennales et des registres. Le système fiscal, progressivement mis en place sous l’Ancien Régime et faisant l’objet d’une codification importante en 1798, est présenté dans le quatrième chapitre. Les auteurs soulignent que l’enregistrement des biens est réalisé dans le cadre de la commune où ils se trouvent, ce qui rend complexe l’étude de l’ensemble des biens possédés dans différentes communes par un individu. La TSA, clef de voûte du système de l’Enregistrement, est présentée dans le chapitre V, à travers sa lente maturation (1825) et à l’égard de son intérêt pour le chercheur d’aujourd’hui. Le Répertoire général, mis en place en 1866, s’est également révélé fort utile.

4 Les chapitres VI à VIII constituent un second ensemble et sont consacrés à la présentation des données elles-mêmes. Comment passe-t-on de sources brutes à des données individuelles exploitables par le chercheur ? Ce sont maintenant les bordereaux de saisie qui sont détaillés. Les auteurs expliquent pourquoi, alors que les fiches TSA ont pu être dépouillées de manière exhaustive (à l’exception de deux départements), les déclarations de succession ne l’ont été que pour un sous-échantillon, et essentiellement pour la période 1865-1901. La collecte a été entièrement réalisée pour neuf départements, partiellement (environ pour moitié) dans onze autres, très partiellement (environ un tiers) dans dix-sept autres, et il reste 51 départements qui n’ont pas encore fait l’objet d’un dépouillement. Par la suite, les auteurs fournissent quelques données sur un premier apport des sources fiscales : proportion d’individus laissant une succession positive, évolution chronologique de la richesse moyenne, et notamment richesse des Parisiens et dispersion géographique de leurs avoirs en France. On revient ensuite sur la question de la représentativité de l’échantillon TRA, notamment en proposant une analyse spatiale alimentée par plusieurs cartes. À l’échelle nationale, les TRA représentent au XIXe siècle un acte d’état civil sur 1055, mais seulement un individu sur 1560 au sein des TSA. Toutefois, ces proportions sont très variables d’un département à l’autre et elles évoluent en outre au fil du temps. À l’échelle régionale, la part des TRA au sein des deux sources apparaît comme très cohérente, montrant une présence moindre dans le sud-ouest et dans le nord-est de la France. Les auteurs discutent ensuite de l’évolution chronologique de la représentativité de l’échantillon, pointant une hypothèse méthodologique émise par Jacques Dupâquier et qui n’a pas été confirmée : le choix d’un échantillon limité à 3000 couples formés au début du XIXe siècle entraîne en fait un amoindrissement de l’échantillon au fil du temps. Les TRA disparaissent pratiquement ou totalement de certains départements au cours de la période étudiée. Le problème se répercute sur l’étude de la richesse. Par exemple, le fait que le quart nord-est de la France, globalement plus riche que la moyenne nationale, soit sous-représenté dans l’échantillon, peut inférer une distorsion.

5 Enfin, le dernier chapitre est purement technique, et décrit la structure et le contenu des bases de données fournies sur le CD : variables, codages… Ces données sont fournies au format Excel, au format Stata et en fichiers texte. Les variables sont présentées dans une annexe du volume texte, et sur le CD, à côté des tables décennales, on trouve un fichier des individus (plus de 56 000 enregistrements), un fichier des mariages (un peu moins de 45 000 enregistrements) et un fichier des TSA (plus de 63000 enregistrements). Pour le lecteur arrivé au terme d’une lecture parfois aride, ces fichiers aident à prendre conscience de l’ampleur du travail de dépouillement et de couplage réalisé dans le cadre de cette double enquête unique par sa méthodologie. Soulignons qu’il est rare que des données exploitables, collectées et traitées grâce à des fonds publics, soient ainsi mises à la disposition du public.

6 Dans leur conclusion, après avoir évoqué quelques points importants concernant le patrimoine économique des Français du XIXe siècle, les auteurs insistent sur le caractère cumulatif de ces bases de données qui sont encore appelées à s’enrichir par l’ajout d’informations provenant d’autres sources nominatives : registres matricules militaires, dossiers de pensionnés, listes nominatives de recensement, et potentiellement d’autres.

7 Cette enquête est unique, nous l’avons rappelé, et les auteurs l’établissent au cours de leur présentation. Il est aussi extrêmement rare qu’une enquête fasse l’objet d’une présentation aussi détaillée et scrupuleuse de la part de ses participants. Cet ouvrage n’occulte pas les écueils rencontrés au cours de la recherche, pointant au contraire les limites réelles que posent la qualité des sources et la nature de l’échantillon. Il permet ainsi de mieux saisir la portée des analyses déjà produites et de celles qui devraient permettre dans les prochaines années de progresser dans notre connaissance de la société, des lignées familiales et des patrimoines économiques dans la France contemporaine. En attendant, un second volume de même nature sera consacré aux deux premiers tiers du XXe siècle.

Guy Brunet
Université de Lyon
Mis en ligne sur Cairn.info le 14/01/2016
https://doi.org/10.3917/rhmc.624.0178
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