1. Introduction
1Pour les départements [4], les années 2006 à 2016 se caractérisent par de nombreux transferts de compétences résultant de lois adoptées durant cette période ou découlant de lois votées depuis le début des années 2000. Plusieurs d’entre elles ont ainsi contribué à accroître les charges des départements comme, par exemple, la loi de 2001 relative à la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, la loi de 2003 portant décentralisation en matière de revenu minimum d’insertion et créant un revenu minimum d’activité, la loi de 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ou encore la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance en matière de dépense.
2En matière de ressources, les départements ont également subi de profonds changements. La principale dotation d’État versée aux départements, la dotation globale de fonctionnement (DGF), a été modifiée et compte trois parts : la part forfaitaire, la part péréquation (dotation de péréquation urbaine (DPU) ou dotation de fonctionnement minimale (DFM)) et la part compensation. Dans le même temps, la loi de finances de 2010 a réformé la fiscalité locale. Il ressort de cette loi un nouveau panier de ressources pour les départements avec le maintien de la taxe foncière sur les propriétés bâties, les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et une part du nouvel impôt créé, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Plus récemment, les finances locales ont été impactées par la baisse des dotations d’État aux collectivités. Même si celle-ci ne se produit qu’à partir de 2014, elle participe, certes de façon maîtrisée, au constat d’une dégradation de la situation financière des départements [5].
3Contrairement aux autres catégories de collectivités (bloc local, régions), les départements sur la période d’étude ont été particulièrement affectés par ces réformes aboutissant à un essor de leur endettement (de 30 milliards d’euros en 2010 à 33,68 en 2016), à une très faible progression de leur épargne brute (de 7,70 milliards d’euros en 2010 à 7,79 en 2016) et à une baisse régulière de leurs dépenses d’investissement (de 15,5 milliards d’euros en 2010 à 9,12 en 2016) [6]. Cette situation découle, en premier lieu, de l’effet ciseaux résultant d’une hausse importante des compétences transférées, notamment les trois allocations individuelles de solidarité [7], et d’une évolution atone des compensations financières prenant la forme d’impôts d’État transférés, concernant la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et la Taxe spéciale sur les conventions d’assurances (TSCA), impôts pour lesquels les départements n’ont pas la possibilité de moduler le taux de fiscalité. En second lieu, le panier de ressources fiscales issu de la réforme fiscale de 2010 apparaît pro-cyclique. Ainsi, un ralentissement économique entraînant des dépenses sociales supplémentaires se trouve complété par une évolution plus modérée des ressources de taxe foncière et des droits de mutation à titre onéreux.
4Les difficultés financières sont toutefois très différentes d’un territoire à un autre. Le reste à charges (RAC), c’est-à-dire la différence entre le coût d’une compétence et la compensation financière opérée par l’État, se manifeste de façon différente d’un département à un autre sans qu’il ne soit réellement pris en compte pour aider les plus pauvres d’entre eux financièrement. Comme le rappelle la Cour des comptes, « la compensation du RSA par bénéficiaire présente des écarts croissants : l’écart moyen est passé de 8 % en 2011 à 79 % en 2015 » (p. 235, [2017]).
5En outre, les niveaux de dépenses mais également de ressources sont très disparates d’un département à un autre. Dans ce contexte, éclairer les origines des disparités de dépenses des départements apparaît important. Plus précisément, il est nécessaire de comprendre les différences de dépenses d’un département à l’autre si cela conditionne les ressources dont ils doivent disposer, pour pouvoir s’interroger ensuite sur l’efficacité des mécanismes de péréquation destinés à réduire ces disparités.
6Pour traiter cette question, nous procédons en deux étapes : nous identifions tout d’abord les variables explicatives des dépenses des départements puis nous mesurons la contribution de chacune d’elles à l’explication des disparités des dépenses départementales. Notre apport est triple. Premièrement, nous étendons aux départements l’analyse des déterminants des disparités de dépenses, abordée seulement à notre connaissance jusqu’à présent, au niveau des communes ou de leurs groupements (voir, par exemple, le rapport de la Cour des comptes paru en 2016 ou l’étude réalisée par l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales en 2019).
7Deuxièmement, plutôt que d’envisager uniquement les dépenses totales, nous distinguons les dépenses de fonctionnement des dépenses d’investissement. De fait, les disparités en la matière ne relèvent pas de la même logique. Les dépenses de fonctionnement regroupant par définition toutes les dépenses qui reviennent chaque année, parmi lesquelles figurent des éléments aussi variés que les charges de personnel, les intérêts des emprunts ou l’aide sociale, leurs disparités seront principalement le reflet de dépenses régulières mais plus ou moins fortement contraintes d’un département à l’autre. Le raisonnement en matière de dépenses d’investissement diffère. En effet, si l’on admet que celles-ci facilitent le dynamisme et la croissance d’un territoire, leurs disparités peuvent être soit le résultat de ressources insuffisantes, soit du poids trop important des dépenses de fonctionnement limitant les surplus de la section de fonctionnement permettant de financer les dépenses d’investissement.
8Troisièmement, grâce aux données fournies par la Direction générale des collectivités locales (DGCL) du Ministère de l’Intérieur, notre étude porte sur un temps long à savoir la période 2006-2016 alors que les études menées pour les communes n’envisagent qu’une année pour le rapport de la Cour des comptes [2016], ou qu’une période de trois années pour l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales [2019].
9Nos principaux résultats montrent en premier lieu, qu’en matière de dépenses, les disparités s’expliquent avant tout par des disparités de ressources que celles-ci proviennent de dotations d’État ou d’impôts. Cela corrobore la nature du système financier local haussier porté par les ressources mais interroge quant au rôle joué par les dépenses sociales considérées souvent comme l’élément majeur expliquant le comportement de dépenses des départements. Nos résultats permettent, en second lieu, d’éclairer le poids relatif des mécanismes de péréquation verticale et horizontale dans l’explication des disparités de dépenses des départements et conduisent à s’interroger sur l’efficacité de ces mécanismes, destinés à égaliser la situation financière des départements.
10Dans la section suivante, nous dressons une revue de la littérature. Dans la section 3, nous détaillons la méthodologie retenue et présentons, dans la section 4, quelques statistiques descriptives relatives à la façon dont ont évolué les dépenses départementales sur la période 2006-2016. Dans la section 5, nous procédons à l’étude empirique de la fonction de dépenses des départements et des déterminants des disparités de ses dernières. La section 6 conclut par la discussion et la mise en perspective des résultats obtenus.
2. Revue de la littérature
11« Les dépenses des collectivités président-t-elles à la fixation des recettes (…) ou bien est-ce l’inverse ? ». Cette interrogation d’Allé et Navarre (p. 58, [2015]), dans leur analyse des travaux consacrés au système financier local français, renvoie à la question essentielle des déterminants des dépenses des collectivités et par suite à celle de l’explication des disparités de ces dernières tant dans le temps que dans l’espace.
12Dans une récente comparaison européenne consacrée aux collectivités territoriales, Ecalle et Turban [2019] montrent que la France se distingue par une faible décentralisation des dépenses publiques par rapport à ses voisins [8] alors qu’elle est beaucoup moins atypique pour ce qui relève de la répartition des ressources des administrations territoriales. De plus, la règle législative imposée aux collectivités, selon laquelle l’emprunt ne finance que l’investissement, n’est pas plus contraignante que les règles budgétaires en vigueur dans les autres pays. Marcou [2016] souligne, pour sa part, que l’organisation de la France en trois niveaux ne la singularise pas : en fait, les États européens se différencient plus par leur organisation institutionnelle, notamment en ce qui concerne la place des métropoles, et par l’organisation du niveau communal que par le nombre de niveaux de leur organisation territoriale. Pour compléter ce tableau d’ensemble, on pourrait s’attendre à ce que de nombreux travaux soient consacrés à l’analyse de l’origine des disparités des dépenses publiques au niveau des différentes strates existantes. Il n’en est rien : le champ des dépenses publiques suscite d’autres interrogations. Par exemple, Grisorio et Prota [2015] étudient l’impact du processus de décentralisation en Italie sur la structure des dépenses publiques régionales entre 1996 et 2008. De leur côté, Sacchi et Salotti [2016 et 2017] s’intéressent successivement aux causes de la décentralisation de différentes catégories de dépenses publiques dans 19 pays développés sur la période 1980-2006 et à ce qui influe sur la volatilité des dépenses publiques régionales dans 20 pays développés sur la période 1972-2007.
13La littérature ayant trait aux dépenses publiques de la France est, quant à elle, relativement abondante pour les communes (voir par exemple Guengant [1999], Foucault, Madiès et Paty [2008], Breunig et Rocaboy [2008], Frère, Leprince et Paty [2014]). Un manque subsiste cependant dans ce domaine pour les départements, selon Seifert et Nieswand [2014], alors même que ceux-ci jouent un rôle important dans le transfert du pouvoir des autorités nationales aux autorités locales. La question des déterminants des disparités de dépenses n’a ainsi, à notre connaissance, pas été précisément explorée pour les départements alors même que la Cour des comptes [2016] a consacré un rapport à cette question pour les communes et leurs groupements débouchant sur une étude économétrique portant sur l’année 2015 [9]. Dans une récente étude, l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales [2019] a également utilisé la modélisation économétrique afin d’analyser les facteurs explicatifs des disparités de dépenses d’équipement communales sur la période 2014-2017. Dans ces deux études, la démarche retenue a consisté en l’estimation dans un premier temps de la fonction de dépense des communes, globale dans la première, limitée aux dépenses d’équipement dans la seconde.
14Depuis l’article séminal de Borcherding et Deacon [1972], les travaux portant sur la fonction de dépense des collectivités locales mobilisent très souvent la théorie de l’électeur médian comme ceux de Fréret et Maguain [2010] ou ceux de Gilbert et al. [2012], en introduisant éventuellement les interdépendances spatiales (Maguain et Fréret [2013]). Plus précisément, l’équation estimée découle d’un modèle de demande de bien public local d’un électeur contribuable décisif, c’est-à-dire un agent qui dicte ses préférences à la collectivité, l’électeur médian. Une approche en termes de modèle de demande se justifie alors particulièrement dans un cadre où les choix locaux s’ajustent aux demandes de l’électeur médian comme c’est le cas pour les communes.
15Pour appréhender la question des dépenses des départements, entités pour lesquelles l’argument précédent nous paraît moins pertinent, et dans la mesure où la littérature empirique semble souffrir d’un manque de fondements théoriques clairs (Sacchi et Salotti [2016]), nous avons préféré opter pour une fonction de dépense « ad hoc », librement inspirée des travaux de la Cour des comptes [2016]. Comme elle, notre fonction est ainsi une fonction linéaire estimée par la méthode des moindres carrés ordinaires (MCO) et nous privilégions sa démarche consistant à distinguer explicitement parmi les variables explicatives, les variables de ressources des variables de charges. Cette approche présente deux avantages. D’une part, elle permet d’identifier clairement les compétences d’intervention des départements sur notre période d’étude et que résument ainsi Leprince et al. [2005] : l’aide sociale, l’éducation secondaire avec les collèges, la voirie et le développement économique. D’autre part, d’un point de vue méthodologique et ainsi que nous le détaillons dans la section suivante, elle permet d’estimer l’impact de différentes variables explicatives sur la dépense des départements pour ensuite repérer celles qui sont déterminantes dans l’explication des disparités de dépenses par habitant.
3. Méthodologie
16Le point de départ de notre analyse est une forme réduite d’une fonction de dépense reliant les dépenses de fonctionnement, d’investissement ou totales à des variables de ressources et des variables de charge :
17où e représente les dépenses (de fonctionnement, d’investissement ou totales) par habitant, R sont les variables de ressources, C sont les variables de charges et ε est le terme d’erreur. Nous choisissons une forme linéaire pour la forme fonctionnelle f. Par ailleurs, comme la variabilité de nos variables d’intérêt est majoritairement interindividuelle [10], nous basons notre stratégie d’estimation sur un modèle between :
18où \(\bar{e}\) est la moyenne des dépenses par habitant sur la période considérée pour le département i ; α est le terme constant ; \(\beta_{R}\) est le vecteur des paramètres relatifs aux variables de ressources \(\bar{R}_{i}\) exprimées en moyenne sur la période ; \(\beta_{C}\) est le vecteur des paramètres relatifs aux variables de charge \(\bar{C}_{i}\) également exprimées en moyenne sur la période et \(\bar{\varepsilon}_{i}\) est le terme d’erreur en moyenne sur la période d’analyse.
19L’équation [2] est estimée pour 3 types de dépenses : fonctionnement, investissement, totales à l’aide de la méthode des MCO et d’une inférence statistique robuste à l’hétéroscédasticité.
20L’estimation de l’équation [2] informe sur les variables qui contribuent significativement à la variance globale des dépenses par habitant selon le type de dépense et selon la période. Elle permet également la mise en œuvre de la deuxième étape de notre analyse, à savoir la contribution de chacune des variables et des groupes de variables à l’explication de la part expliquée des disparités de dépense par habitant. A l’instar de la Cour des comptes [2016], nous calculons la contribution de chaque variable explicative aux disparités de dépense par habitant à l’aide de la méthode de Shapley-Owen, empruntée à la théorie des jeux coopératifs et adaptée aux variables d’une régression par Gromping [2007] et Hüttner et Sunder [2012]. En théorie des jeux coopératifs, la valeur de Shapley est une méthode permettant d’allouer les gains totaux d’un jeu aux joueurs. Appliquée à la problématique de la décomposition de la qualité d’ajustement d’un modèle de régression, cette approche permet d’évaluer l’accroissement du pouvoir explicatif du modèle mesuré par le coefficient de détermination lié à l’introduction d’une variable en isolant sa contribution lorsque le modèle est estimé dans toutes ses variantes possibles, c’est-à-dire les modèles estimés avec toutes les combinaisons possibles des régresseurs. La valeur de Shapley est alors obtenue en itérant ce processus pour tous les régresseurs et en sommant toutes les contributions marginales.
4. Les données
21Après avoir considéré du point de vue de leur trajectoire notamment, les trois variables expliquées retenues (les dépenses de fonctionnement, d’investissement et totales), sur la période 2006-2016, nous présentons les différentes variables explicatives du modèle.
4.1. Les variables expliquées
22La trajectoire financière des départements est tributaire de trois éléments principaux : les réformes successives, qu’il s’agisse de transferts de compétences ou de réformes fiscales, l’évolution de la population et les aléas de la conjoncture économique, ces derniers pouvant avoir un impact particulièrement significatif sur les dépenses d’action sociale qui représentent le premier poste des dépenses des départements.
23Dans notre étude, à l’instar de Fréret [2007], nous excluons les deux départements de la Corse ainsi que Paris en raison de leur régime fiscal particulier. Nous écartons également les cinq départements d’outre-mer (DOM) compte tenu des adaptations dont ils peuvent faire l’objet par rapport aux départements de métropole. Nous disposons donc d’un panel de 93 départements pour la période 2006-2016, soit 1 023 observations. Il apparaît qu’entre 2006 et 2016, les dépenses totales des 93 départements retenus sont passées de 53.1 milliards d’euros à près de 63.6 milliards d’euros, soit une augmentation de 19.5 %. La trajectoire de ces dépenses n’a cependant pas été uniforme : après trois années au cours desquelles leur croissance avait été très forte, les dépenses totales ont connu une croissance plus faible à partir de 2009 avant de chuter de 32 % en 2014, les années suivantes étant marquées par une relative stabilisation de leur niveau (cf. graphique 1).
24Cette trajectoire s’accompagne d’une évolution divergente des dépenses d’investissement et des dépenses de fonctionnement sur l’ensemble de la période d’étude. En proportion, alors que les premières enregistrent une baisse continue depuis 2006, les secondes connaissent en effet une hausse que l’Assemblée des départements de France [2015] attribue logiquement à l’effet des dépenses sociales toujours dynamiques compte tenu d’une croissance économique atone (de + 0,9 % en moyenne annuelle entre 2006 et 2016). Sur notre période d’étude, marquée par une crise économique et financière majeure, les départements ont donc été amenés à remettre en cause leurs dépenses d’investissement, lesquelles se décomposent essentiellement en dépenses d’équipement direct et en subventions à des tiers, en priorité aux petites communes. Plus précisément, entre 2007 et 2014, les investissements ont reculé en moyenne de 5 % en volume chaque année, perdant 30 % de leur masse en sept ans (Assemblée des départements de France [2015]).
Évolution des dépenses (en millions d’euros)
Évolution des dépenses (en millions d’euros)
25Si la part moyenne des dépenses d’investissement dans les dépenses totales a chuté de 27.7 % à 14.2 % entre 2006 et 2016, cette évolution n’a pas été la même pour les 93 départements étudiés, comme le montre la figure 1. Par exemple, la part des dépenses d’investissement dans le département du Nord a enregistré un net déclin passant de 19 % à 8.6 % entre 2006 et 2016, quand celle du département des Bouches du Rhône, bien qu’en diminution elle aussi, ne reculait que de 4.2 points passant de 22.2 % en 2006 à 18 % en 2016. Entre ces deux cas extrêmes, les situations varient révélant des disparités certaines entre départements, lesquelles vont conduire à des taux d’épargne brute eux-mêmes très variables d’un territoire à l’autre. Ainsi, entre 2012 et 2016, le nombre de départements ayant un taux d’épargne brute supérieur à 12.5 % est passé de 56 à 35. Parallèlement, le nombre de départements ayant un taux d’épargne inférieur à 7.5 % a augmenté, passant de 9 à 14 (Bulletin d’Information Statistique [2017]). Ce constat n’est pas anodin puisque de la capacité des départements à dégager des marges de manœuvre pour investir dépendra leur capacité à favoriser leur croissance future.
Cartographie des dépenses
Cartographie des dépenses
26Afin d’éclairer les disparités géographiques en termes de dépenses par tête, nous avons calculé des statistiques d’autocorrélation spatiale locale (Anselin [1995]). Ces statistiques permettent de classer chaque département dans 5 catégories possibles :
- la dépense par tête du département considéré est significativement plus élevée que la dépense par tête de la moyenne de l’échantillon et il est entouré de départements ayant eux-mêmes une dépense par tête significativement élevée (« Haut-Haut ») ;
- la dépense par tête du département considéré est significativement plus faible que la dépense par tête de la moyenne de l’échantillon et il est entouré de départements ayant eux-mêmes une dépense par tête significativement faible (« Bas-Bas ») ;
- la dépense par tête du département considéré est significativement plus faible que la dépense par tête de la moyenne de l’échantillon mais il est entouré de départements ayant une dépense par tête significativement élevée (« Bas-Haut ») ;
- la dépense par tête du département considéré est significativement plus élevée que la dépense par tête de la moyenne de l’échantillon mais il est entouré de départements ayant une dépense par tête significativement faible (« Haut-Bas ») ;
- la dépense par tête du département considéré ne diffère pas significativement de celle de ses voisins.
28Afin d’opérationnaliser le calcul de ces statistiques, nous retenons une définition du voisinage fondée sur la présence d’une frontière commune. La figure 2 représente la répartition des départements au sein de ces 5 catégories pour les dépenses de fonctionnement et les dépenses d’investissement par tête pour 2006 et 2016 en retenant un seuil de 5 % pour l’inférence statistique [11]. De cette figure, il ressort que, quel que soit le type de dépenses considérées, le nombre de départements où la dépense par tête ne diffère pas significativement de celle des voisins a diminué entre 2006 et 2016, indiquant par-là que les disparités territoriales se sont accrues au fil du temps. Par ailleurs, il apparaît que celles-ci sont plus marquées pour les dépenses de fonctionnement que pour les dépenses d’investissement. Deux concentrations spatiales significatives de départements se détachent en particulier pour les premières. Déjà apparente en 2006, une concentration s’affirme et s’étend en 2016 : elle est constituée géographiquement des départements bretons, à l’exception du Finistère, des départements des Pays de la Loire, à l’exception de la Mayenne et d’une partie des départements de la Normandie, situés en bordure de l’Ile-de-France. Cette concentration est composée de départements appartenant à la catégorie dite « Bas-Bas » c’est-à-dire des départements les moins dépensiers au regard des autres catégories. Ils sont caractérisés par ailleurs par une densité de population [12] moyenne, située entre 65 et 100 habitants/km2 ou entre 100 et 200 habitants/km2 [13]. L’autre concentration spatiale significative de départements qui se détache est constituée majoritairement par des départements appartenant à la région Occitanie et relevant de la catégorie dite « Haut-Haut » c’est-à-dire à l’exact opposé de celle caractérisant la concentration précédente en matière de dépenses par tête. En terme de densité de population, cette concentration est beaucoup plus hétérogène puisque l’on y trouve des départements ruraux comme le Lot, l’Aveyron, la Corrèze, le Cantal et la Lozère où la densité est très faible, comprise entre 0 et 45 habitants/km2, mais également des départements comme les Pyrénées-Orientales, la Haute-Garonne, l’Hérault et le Gard où la densité de population est plus élevée, comprise entre 100 et 200 habitants/km2.
29Des figures 1 et 2, il ressort donc que des disparités marquées existent en matière de dépenses départementales. Ce constat interroge compte tenu des nombreux mécanismes de péréquation mis en œuvre en France et confirme la nécessité d’identifier leur origine pour mieux les appréhender.
Autocorrélation spatiale locale des dépenses de fonctionnement et d’investissement par tête
Autocorrélation spatiale locale des dépenses de fonctionnement et d’investissement par tête
4.2. Les variables explicatives
30La définition et la source des diverses variables explicatives de notre modèle sont récapitulées dans le tableau 1, tout comme leur nature, c’est-à-dire selon qu’elles sont des variables de ressources ou des variables de charges pour les départements. Ces nombreuses variables explicatives visent à capter les spécificités de la France dans ce domaine, notamment ses choix en matière de décentralisation et de péréquation.
Variable dépendante | Définition | Source | Nature |
DGFforf & comp | Dotations forfaitaire et de compensation réunies | DGCL | Ressources |
DPU & DFM | Dotations de péréquation urbaine et de fonctionnement minimale réunies | DGCL | Ressources |
Pereqtot | Péréquation horizontale (CVAE+ DMTO+Fonds de solidarité) | DGCL | Ressources |
ImpCVAE | Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises | DGCL | Ressources |
ImpDMTO | Droits de mutation à titre onéreux | DGCL | Ressources |
TaxeFonc | Taxe foncière sur les propriétés bâties | DGCL | Ressources |
Revfisc [14] | Revenu fiscal | DGCL | Ressources |
Subequip | Subventions d’équipement | DGCL | Charges |
Dette | Dette | DGCL | Charges |
Tauxemp | Taux d’emploi | INSEE* | Charges |
Partpopurb | Part de la population vivant en zone urbaine | INSEE | Charges |
Partcollpub | Part des effectifs des collèges publics dans les effectifs totaux des collèges | MEN-MESRIDEPP | Charges |
PartBenef | Part des bénéficiaires RSA + APA + PCH + ASE** | DGCL | Charges |
Voirie | Voirie exprimée en km | DGCL | Charges |
CouleurpolD/ | Couleur politique du département, de droite ou de | Diverses*** | - |
CouleurpolG | gauche (référence : centre) |
31Selon Boadway [2003], les arguments favorables à la décentralisation renvoient à deux types de considérations principales. D’une part, les collectivités locales sont plus aptes à répondre à l’hétérogénéité des préférences et aux besoins des citoyens qu’un État centralisé, plus enclin, lui-même, à fournir un programme uniforme en la matière. D’autre part, les collectivités locales sont plus en mesure de fournir des services publics (et des transferts ciblés) à un coût plus faible qu’un État centralisé en raison notamment d’avantages informationnels et de moindres coûts administratifs.
32Pour autant, ainsi que le rappelle Guengant [1993], la décentralisation des finances publiques s’accompagne généralement « d’inégalités budgétaires importantes entre collectivités territoriales, soit de ressources, soit de coûts de production, soit de besoins ou encore de demande de services publics locaux » (p. 835, [1993]). Dès lors, en l’absence de péréquation, des collectivités seraient dans l’incapacité de fournir des services publics aux taux d’imposition qui prévaudraient dans un cadre centralisé. La péréquation apparaît ainsi comme un instrument facilitant la décentralisation en permettant d’obtenir ses avantages tout en évitant ses effets défavorables (Boadway [2003]. Aujourd’hui, la plupart des pays membres de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) appliquent des programmes de redistribution destinés à réduire les disparités budgétaires, qu’il s’agisse d’États fédéraux ou d’États unitaires (Blöchliger et Charbit [2008]). En France, depuis la révision constitutionnelle de 2003, la péréquation est un objectif de valeur constitutionnelle. L’article 72-2 de la Constitution dispose ainsi que « la loi prévoit des dispositifs destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ».
33Dans notre étude, nous distinguons la péréquation verticale, dont les mécanismes prévoient l’attribution par l’État de concours financiers aux collectivités les moins favorisées, de la péréquation horizontale, dont les mécanismes consistent à prélever des ressources fiscales des collectivités territoriales les plus favorisées pour les reverser à celles qui le sont moins. La péréquation verticale est ici appréhendée à travers la variable « DPU & DFM ». La péréquation horizontale est, quant à elle, saisie à travers la variable « Pereqtot », définie à partir de la somme des montants, perçus par les départements, du fonds national de péréquation de la CVAE, à compter de 2013, du fonds de péréquation des DMTO, mis en place en 2011, et du fonds de solidarité, créé en 2014.
34Les statistiques descriptives relatives à l’ensemble des variables explicatives sont reportées dans le tableau 2.
Statistiques descriptives des variables explicatives, 2006-2016
Variables explicatives | Unité | Moyenne | Écart-type | Minimum | Maximum |
DGFforf & comp | €/hab | 166,87 | 41,87 | 46,27 | 363,40 |
DPU & DFM | €/hab | 30,60 | 28,95 | 0 | 221,99 |
Pereqtot | €/hab | 3,98 | 12,07 | - 55 | 67 |
ImpCVAE | €/hab | 59,95 | 55,17 | 0 | 408 |
ImpDMTO | €/hab | 97,58 | 46,76 | 35,10 | 375,38 |
TaxeFonc | €/hab | 154,87 | 56,42 | 31,79 | 316,46 |
Revfisc | €/hab | 9327,94 | 2.008,50 | 5,326,56 | 20.231,68 |
Subequip | €/hab | 145,32 | 88,04 | 34,39 | 577,59 |
Dette | €/hab | 496,84 | 246,32 | 0,005 | 1444,51 |
Tauxemp | % population du département | 85,01 | 7,08 | 65.34 | 115.35 |
Partpopurb | % population du département | 66,78 | 17,32 | 21,46 | 100 |
Partcollpub | % population du département | 3,79 | 0,53 | 2,12 | 5,15 |
PartBenef | % population du département | 4,51 | 1,04 | 1,89 | 7,45 |
Voirie | km/hab | 0,10 | 0,007 | 0,001 | 0,03 |
CouleurpolD | 0,45 | ||||
CouleurpolG | 0,52 |
Statistiques descriptives des variables explicatives, 2006-2016
5. Analyse empirique
35Après avoir estimé la fonction de dépense des départements, c’est-à-dire identifié les variables explicatives qui impactent significativement les dépenses, nous mesurons la contribution de chacune d’elles à l’explication des disparités des dépenses départementales. Toutes les données des variables, expliquées comme explicatives à l’exception des indicatrices de couleur politique, sont rapportées à la population du département dont elles relèvent.
5.1. Estimation de la fonction de dépense des départements
36Trois fonctions de dépense sont estimées, successivement les dépenses de fonctionnement, d’investissement et totales, pour l’ensemble de la période considérée [15].
37Pour les variables de ressources, il ressort logiquement du tableau 3 que les dotations forfaitaire et de compensation prises ensemble (DGFforf & com) ont un impact significatif (au seuil de 1 %) et positif sur les dépenses quelles qu’elles soient (cf. tableau 3). Ainsi, une hausse de ces deux dotations conduit à une augmentation des dépenses de fonctionnement comme d’investissement. La variable relative à la péréquation verticale (DPU & DFM) a un impact majoritairement significatif au seuil de 1 % [16] avec un coefficient positif impliquant, en particulier, que plus un département reçoit des dotations péréquatrices et plus ses dépenses d’investissement seront élevées (coefficient associé d’une valeur de 0.810). Les variables d’impôts (ImpCVAE [17], ImpDMTO et Taxefonc) ont un impact globalement significatif au seuil de 1 % avec un signe positif pour les dépenses de fonctionnement et les dépenses totales [18]. De fait, là encore, plus un département reçoit d’impôts et plus ses dépenses pourront normalement être élevées. On notera toutefois que seule la taxe foncière a également un impact significatif et positif sur les dépenses d’investissement. L’effet est particulièrement marqué comme le montre la valeur alors prise par le coefficient associé à cette variable (0.747) : on peut naturellement penser que les recettes de cet impôt sont moins sensibles à la conjoncture économique qu’elles ne le sont pour les deux autres impôts (DMTO et CVAE), favorisant ainsi le financement de l’investissement. La variable relative au revenu fiscal moyen (Revfisc) n’a, quant à elle, jamais d’impact significatif.
38Parmi les variables de ressources, reste l’impact de la variable relative à la péréquation horizontale (Pereqtot). Non significatif pour les dépenses de fonctionnement, cette variable a un impact significatif au seuil de 5 % pour les dépenses d’investissement et au seuil de 10 % pour les dépenses totales, avec des coefficients élevés en valeur absolue (>5) mais de signe négatif contrairement à la variable portant sur la péréquation verticale (DPU & DFM). Ce résultat renvoie à des effets « contre-péréquateurs », identifiés par ailleurs. L’Inspection générale de l’administration, dans son rapport de 2013, indique ainsi que la juxtaposition aux mécanismes préexistants des fonds de péréquation horizontale, alors récemment mis en place, « crée le risque que des départements se retrouvent en situation de sur-péréquation c’est-à-dire qu’ils subissent des prélèvements ou qu’ils bénéficient de versements excessifs au regard de leur niveau de richesse » (IGA, p. 6, [2013]).
39Plus précisément, cette situation illustre la différence d’efficacité entre la péréquation horizontale et la péréquation verticale. A priori, plus un département est riche, moins il bénéficie de la péréquation horizontale et plus ses dépenses d’investissement sont élevées. Toutefois, il arrive que des départements qui ne sont pas les plus en difficulté bénéficient de dispositifs de péréquation et ont simultanément une dépense par habitant plus faible, surtout en termes d’investissement.
40Pour ce qui est des variables de charges, les variables relatives à la dette (Dette), à la voirie (Voirie) et à la part des bénéficiaires d’aides à caractère social dans la population (PartBenef) ont un impact logiquement significatif (au seuil de 1 %) pour les dépenses de fonctionnement et totales. Le coefficient positif associé à la variable de la dette indique que le remboursement de celle-ci pèse dans les dépenses de fonctionnement des départements, certains d’entre eux étant particulièrement endettés. Le département des Alpes-Maritimes, où le remboursement de la dette avait bondi de plus de 38 % en 2016 par rapport à 2015, supportait ainsi une dette de 772 euros par habitant en 2016, loin cependant derrière le département des Hautes-Alpes dont le remboursement de la dette avait reculé de près de 20 % par rapport à 2015, mais qui affichait une dette de 1 268 euros par habitant en 2016. Le coefficient de la variable Voirie, également positif, signifie que plus le réseau de voirie rapporté à la population est important dans un département et plus il pèsera dans les dépenses de fonctionnement de celui-ci. Enfin, le coefficient de la part des bénéficiaires d’aides à caractère social, lui aussi de signe positif pour les dépenses de fonctionnement, traduit le fait que plus le département est pauvre, plus il compte un nombre élevé de bénéficiaires d’aides sociales qui représentent une charge importante dans ses dépenses de fonctionnement et moins il est en capacité d’investir.
41La variable de charge relative aux subventions d’équipement (Subequip) a un impact significatif au seuil de 1 % pour les dépenses d’investissement et totales et toujours avec un coefficient de signe positif. Il en ressort que plus un département est riche, plus d’une part sa charge de subvention d’équipement est élevée et plus d’autre part il investit. Sans surprise, la variable témoignant du rôle joué par la part de la population urbaine dans les départements (Partpopurb) a, quant à elle, un impact significatif au seuil de 5 % avec un impact positif pour les dépenses de fonctionnement traduisant des dépenses liées à la maintenance et à l’usure des équipements plus élevées dans les zones denses.
42De façon assez surprenante, la variable destinée à appréhender les poids des effectifs des collèges publics dans les dépenses d’un département (Partcollpub) et celle relative au taux d’emploi (Tauxemp) n’ont jamais d’impact significatif. On aurait pu penser, en particulier, que plus le taux d’emploi, calculé ici en retenant la situation d’emploi effective des résidents du département considéré que cet emploi soit dans le département lui-même ou dans un autre, est élevé et moins les dépenses à caractère social sont importantes et plus le département est en mesure d’investir. Cet effet n’apparaît pas ici de façon significative.
43On notera enfin que les variables renvoyant à la couleur politique des départements (CouleurpolD et CouleurpolG, respectivement pour les départements situés à droite ou à gauche du centre) n’ont pas systématiquement un impact significatif. Pour les dépenses de fonctionnement des départements considérés comme étant à droite (CouleurpolD), le coefficient est significatif au seuil de 5 % et de signe négatif indiquant que ces départements dépensent en moyenne 70.20 euros de moins que des départements considérés comme étant de gauche. Au contraire, ces mêmes départements dits de droite dépenseront près de 53 euros de plus que les départements dits de gauche en matière d’investissement, la variable associée étant significative au seuil de 10 % mais ayant cette fois-ci un coefficient de signe positif.
Estimation de la fonction de dépense, 2006-2016
Variable dépendante | Dépenses de fonctionnement | Dépenses d’investissement | Dépenses totales | |||
Variables explicatives | Coefficients | Coefficients | Coefficients | |||
DGFforf & comp | 0.942*** | (0.171) | 0.461*** | (0.156) | 1.400*** | (0.214) |
DPU & DFM | 0.499* | (0.278) | 0.810*** | (0.253) | 1.301*** | (0.348) |
Pereqtot | – 0.095 | (2.419) | – 5.471** | (2.207) | – 5.435* | (3.031) |
ImpCVAE | 1.080*** | (0.338) | 0.103 | (0.308) | 1.186*** | (0.424) |
ImpDMTO | 0.782*** | (0.293) | 0.029 | (0.267) | 0.826** | (0.367) |
TaxeFonc | 0.837*** | (0.170) | 0.747*** | (0.155) | 1.601*** | (0.213) |
Revfisc | – 0.008 | (0.006) | – 0.004 | (0.006) | – 0.013 | (0.008) |
Subequip | – 0.004 | (0.081) | 0.288*** | (0.074) | 0.282*** | (0.101) |
Dette | 0.103*** | (0.120) | – 0.001 | (0.018) | 0.101*** | (0.025) |
Tauxemp | – 1.070 | (0.925) | 0.752 | (0.844) | – 0.406 | (1.159) |
Partpopurb | 1.593** | (0.639) | – 0.354 | (0.583) | 1.225 | (0.801) |
Partcollpub | 5.334 | (10.61) | 3.238 | (9.676) | 8.300 | (13.29) |
PartBenef | 51.64*** | (9.995) | – 6.288 | (9.116) | 44.88*** | (12.52) |
Voirie | 6.873*** | (1.743) | 429.1 | (1.590) | 7.315*** | (2.183) |
CouleurpolD | – 70.20** | (32.07) | 52.94* | (29.25) – | 17.51 | (40.17) |
CouleurpolG | – 37.68 | (31.74) | 37.62 | (28.95) | – 0.003 | (39.76) |
Constante | 126.0 | (118.2) | – 44.16 | (107.8) | 90.28 | (148.0) |
Observations | 1 023 | 1 023 | 1 023 | |||
2 R | 0.916 | 0.735 | 0.924 |
Estimation de la fonction de dépense, 2006-2016
Note : Les écarts-types robustes à l’hétéroscédasticité sont entre parenthèses,*** significatif à 1 %, ** significatif à 5 %, * significatif à 10 %.
44De cette estimation de la fonction de dépense des départements sur les années 2006 à 2016, il ressort deux éléments de réflexion. Premièrement, la plupart des variables de ressources exercent une influence certaine sur les dépenses départementales, quelles qu’elles soient (fonctionnement, investissement ou totales), même si le rôle joué par les variables de charges n’est pas à négliger, que ce soit logiquement pour les aides sociales mais aussi pour la dette, les subventions d’équipement, la voirie ou dans une moindre mesure pour la part de la population urbaine dans les départements. Deuxièmement, la question de la péréquation et de son efficacité est soulevée au regard des formes qu’elle peut prendre, verticale ou horizontale, et des impacts variables selon cette forme. Ces éléments sont de nature à engendrer et à expliquer les disparités de dépense des départements que nous développons dans la section suivante.
5.2. Évaluation des déterminants des disparités de dépense des départements
45Le tableau 4 donne la décomposition de Shapley pour les trois types de dépenses, successivement les dépenses de fonctionnement, d’investissement et totales, pour la période 2006-2016 [19]. Cette décomposition permet d’appréhender la contribution de chacune des variables ou groupes de variables à l’explication des disparités de dépense des départements.
46Globalement, il ressort que pour les dépenses d’investissement et les dépenses totales, les disparités de dépense des départements sont davantage déterminées par les variables de ressources que par celles de charges. On retrouve là un des principaux résultats mis en évidence par la Cour des comptes [2016] dans son analyse des disparités de dépenses totales des communes françaises. Pour les départements, la part relative des variables de ressources dans la détermination des disparités de dépense est de 54.55 % pour les dépenses d’investissement et de 52.18 % pour les dépenses totales. Cette part n’est que de 45.88 % pour les dépenses de fonctionnement. La part relative des variables de ressources dans la détermination des disparités de dépenses est donc plus élevée pour les dépenses d’investissement que pour les dépenses de fonctionnement. Ce résultat accrédite le fait que les dépenses d’investissement sont avant tout envisagées lorsque les dépenses de fonctionnement, contraintes par l’aide sociale supportée par les départements, sont couvertes. Dès lors, les dépenses d’investissement sont financées en fonction des ressources restantes dont la nature peut varier d’un département à l’autre.
47Si l’on décompose l’effet « ressources », c’est-à-dire si l’on considère uniquement les variables de ressources, il apparaît que les dotations forfaitaire et de compensation (réunies dans la variable DGFforf&comp) jouent un rôle majeur dans l’explication des disparités de dépense de fonctionnement par rapport aux dotations relatives à la péréquation verticale : l’écart entre elles est dans un rapport de 1 à 2 (10.96 % contre 4.59 %). Il en va autrement pour les déterminants des disparités de dépense d’investissement : dans ce cas, si l’écart est toujours dans un rapport de 1 à 2, il l’est en sens inverse, avec une part de 17.35 % dans l’explication des disparités pour les dotations relatives à la péréquation verticale contre une part de 8.35 % pour les dotations forfaitaire et de compensation.
48L’étude de l’effet « ressources » révèle, par ailleurs, que la taxe foncière (Taxefonc) occupe une place centrale dans la détermination des disparités de dépense des départements quelle que soient la nature de celles-ci. Le poids de la péréquation horizontale dans l’explication des disparités est relativement modeste, à égalité avec les droits de mutation à titre onéreux, et surtout au regard de part de la péréquation verticale dans l’explication des disparités des dépense d’investissement.
49L’analyse de l’effet « charges » renvoie clairement, quant à elle, à la nature des dépenses dans l’explication de leurs disparités. Ainsi, la variable de première importance est logiquement la part des bénéficiaires des aides à caractère social pour les dépenses de fonctionnement (24.52 %) alors que la variable contribuant le plus aux disparités des dépenses d’investissement est la variable relative aux subventions d’équipement (20.72 %). Dans une moindre mesure, apparaît ensuite la variable relative à la voirie dans l’explication des disparités de dépenses, à parts égales pour celles de fonctionnement comme pour celles d’investissement (respectivement 9.06 % et 9.92 %). Cette proximité dans la valeur des coefficients pour des dépenses de court et de long termes n’est pas vraiment surprenante dans la mesure où la gestion de la voirie nécessite des dépenses pour son entretien quotidien comme pour son renouvellement et son développement, dépenses que les départements seront plus ou moins à même de supporter compte tenu de leurs situations financières respectives.
50Les valeurs prises par le coefficient de la variable relative à la dette sont de 6.03 % pour les dépenses de fonctionnement contre seulement 1.91 % pour les dépenses d’investissement. Le poids plus ou moins important de cette variable dans l’explication des disparités de dépenses indique que la charge de la dette est à l’origine de différences plus marquées dans les dépenses quotidiennes des départements que dans leur choix d’investissement. L’obligation pour un département de rembourser sa dette, quelle que soit sa situation financière, alors que les investissements relèvent davantage de son pouvoir discrétionnaire et peuvent être différés, n’est sans doute pas étrangère à ce fait.
51Enfin, il est intéressant de remarquer le rôle joué par la variable renvoyant à la couleur politique des départements dans l’explication des disparités de dépenses. Dans les dépenses de fonctionnement, sa part est deux fois plus importante que pour les dépenses d’investissement (4.97 % contre 2.88 %), quasiment à égalité avec la part des subventions d’équipement (4.47 %).
Dépenses de fonctionnement | Dépenses d’investissement | Dépenses totales | |
DGFforf & comp | 10.9642 | 8.3554 | 11.6040 |
DPU & DFM | 4.5936 | 17.3553 | 8.4277 |
Pereqtot | 4.8443 | 4.8203 | 4.3001 |
ImpCVAE | 1.3189 | 0.5773 | 0.9547 |
ImpDMTO | 4.5108 | 4.8953 | 4.8036 |
TaxeFonc | 15.7561 | 17.2523 | 19.4270 |
Revfisc | 3.8897 | 1.2934 | 2.6643 |
Subequip | 4.4685 | 20.7224 | 9.1890 |
Dette | 6.0313 | 1.9101 | 5.1595 |
Tauxemp | 1.0781 | 4.0067 | 1.9060 |
Partpopurb | 3.4054 | 4.2784 | 3.7714 |
Partcollpub | 0.5858 | 0.5935 | 0.6315 |
PartBenef | 24.5197 | 1.1407 | 13.9798 |
Voirie | 9.0581 | 9.9169 | 11.0256 |
Couleurpol | 4.9753 | 2.8822 | 2.1558 |
6. Discussion et conclusion
52Notre étude permet d’appréhender les disparités des dépenses des départements français sur les années 2000 à 2016. Nos résultats éclairent et nourrissent deux débats importants dans l’étude des collectivités locales.
53Premièrement, il ressort que les variables de ressources expliquent davantage les disparités des dépenses totales des départements que les variables de charges : à hauteur de 52.18 % pour les premières contre 45.66 % pour les secondes. On rappellera que parmi les variables de ressources, trois se détachent particulièrement : la taxe foncière quelle que soit la nature des dépenses, les dotations forfaitaire et de compensation surtout pour les dépenses de fonctionnement et les dotations relatives à la péréquation verticale surtout pour les dépenses de d’investissement. Ce résultat quant à l’importance des variables de ressources mérite une attention particulière car les dépenses sociales ont pu souvent être considérées comme l’élément majeur expliquant le comportement de dépenses des départements et faire, à ce titre, l’objet d’une étude spécifique (Fréret [2007], Maguain et Fréret [2013], Rocaboy [2013]). La Cour des comptes (p. 224, [2017]) avance, elle-même, que « du fait de l’importance des facteurs démographiques et socioéconomiques, l’évolution des dépenses sociales varie beaucoup d’un département à l’autre ». Gilbert et al. [2012] soulignent cependant, pour leur part, que si les départements exercent principalement leurs responsabilités dans le domaine social, ils ont également d’importantes prérogatives en matière d’aménagement du territoire ou d’éducation, par exemple. Ceci les conduit, pour identifier les déterminants de la dépense publique des départements, à élaborer un modèle électoral dont la logique repose sur des fonctions de demande de bien public social et non social. En insistant également sur le caractère multiple des dépenses départementales, notre étude montre que les dépenses sociales n’expliquent en fait les disparités de dépenses totales qu’à hauteur de 14 %. Si le poids des dépenses sociales est certain, il ne doit donc pas être surestimé au regard du rôle également conséquent joué par les deux variables de ressources que sont les dotations forfaitaire et de compensation (11.60 %) et la taxe foncière (19.43 %), pour expliquer les disparités de dépenses totales des départements. L’importance de cette dernière variable dans nos résultats est d’ailleurs à considérer à la lumière de la loi de finances pour 2020, adopté par le Parlement le 28 décembre 2019, lequel définit, dans son article 5, les contours de la mise en œuvre définitive de la réforme de la fiscalité locale en 2023. Il est ainsi acté que la taxe foncière sur les propriétés bâties sera transférée aux communes, en conséquence de quoi les départements se verront attribuer une fraction de TVA. Très critiquée par l’Assemblée des départements de France comme le rapporte Beurey [2019], car elle risque d’augmenter la dépendance des départements à l’égard de recettes sensibles à la conjoncture, cette réforme serait peut-être de nature à atténuer leurs disparités de dépenses.
54Deuxièmement, nos résultats conduisent à s’interroger sur l’efficacité des mécanismes de péréquation en vigueur. En France, les mécanismes de péréquation propres aux départements reposent, on l’a vu précédemment, à la fois sur une péréquation verticale et sur une péréquation horizontale. Les transferts financiers réalisés au titre de la première sont cependant sensiblement plus importants que ceux réalisés au titre de la seconde. Ainsi, en 2018, la DFM s’élevait à 836 millions d’euros et la DPU à 657 millions d’euros alors que le fonds de péréquation des DMTO (reversement) s’élevait à 652 millions d’euros, le fonds CVAE à 63 millions d’euros et le fonds de solidarité (prélèvement) à 485 millions d’euros (Gaden et Marcon [2018]). Sur la période 2006-2016, il ressort de notre étude que la péréquation verticale contribue deux fois plus que la péréquation horizontale à l’explication des disparités de dépenses totales des départements (8.43 % contre 4.30 %). Ce résultat mérite lui aussi une attention particulière puisqu’il remet en cause la péréquation verticale comme moyen d’atténuer les disparités de dépenses départementales alors même que celle-ci mobilise des moyens financiers conséquents et que des effets contre-péréquateurs ont été mis en évidence pour la péréquation horizontale. Il va cependant dans le sens d’un rapport rédigé conjointement par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale de l’administration, paru en 2013, et consacré aux enjeux de la péréquation, notamment départementale. Certes, ce rapport utilise une méthodologie différente de la nôtre ne serait-ce que parce qu’il s’intéresse aux inégalités de potentiel fiscal, indicateur de richesse fiscale, plutôt qu’aux inégalités de dépenses. Pour autant, à l’issue de son évaluation, il souligne qu’en raison de leur faible concentration, la DFM et la DPU apparaissent comme peu efficientes au regard d’autres dispositifs. Notre résultat trouve en outre un écho dans l’actualité récente puisque le principe d’une refonte des dispositifs de péréquation horizontale a été revendiqué par l’Assemblée des départements de France en juin 2019 (La Gazette des communes [2019]).
55Plusieurs travaux récents abordent également cette question de l’efficacité des mécanismes de péréquation. Ainsi, Taugourdeau et Kies (p. 6, [2019]) en appellent à une remise à plat du système de péréquation des collectivités locales françaises « qui, par son évolution et sa complexité, ne permet plus de compenser correctement les inégalités entre territoires ». Sans nier l’incidence des dispositifs de péréquation financière pour les communes et leurs intercommunalités, Delpech et Navarre (p. 104. [2018] soulignent que « les montants en jeu et leur répartition (extensive) ont une portée correctrice limitée », laissant perdurer une grande part des inégalités territoriales. Face à l’inquiétude récurrente sur la santé financière des collectivités locales et aux appels répétés qui en découlent de la Cour des comptes ou de la Banque de France à une plus grande maîtrise des dépenses publiques, Leprince et Pourieux [2018] insistent, quant à eux, sur la base d’une étude économétrique sur données communales, sur le fait qu’il est plus que jamais nécessaire de mieux connaître les effets des dotations de péréquation sur la dépense.
56En identifiant l’origine des disparités des dépenses des départements français, notre étude a posé les premiers jalons permettant d’explorer cette problématique de l’efficacité de la péréquation, à une autre échelle que celle encore très souvent envisagée, celle des seules communes et de leurs intercommunalités. Pour approfondir cette question, et en s’inspirant des travaux de Leprince et Pourieux [2018], la prochaine étape pourra consister à évaluer précisément l’effet de chacun des dispositifs de péréquation sur les dépenses départementales, en les isolant individuellement, et en recourant à une approche en terme d’élasticité permettant de mesurer directement la sensibilité des dépenses départementales à chacune des dotations existantes.
Annexe
R2 partiels, 2006-2016
Dépenses de fonctionnement | Dépenses d’investissement | Dépenses totales | |
DGFforf & comp | 0.2851 | 0.1028 | 0,3596 |
DPU & DFM | 0.0407 | 0.1184 | 0,1554 |
Pereqtot | 0.0000 | 0.0748 | 0.0406 |
ImpCVAE | 0.1184 | 0.0015 | 0.0935 |
ImpDMTO | 0.0858 | 0.0002 | 0,0626 |
TaxeFonc | 0.2427 | 0.2349 | 0,4275 |
Revfisc | 0.0234 | 0.0070 | 0,0334 |
Subequip | 0.0000 | 0.1668 | 0,0926 |
Dette | 0.2655 | 0.0000 | 0.1809 |
Tauxemp | 0.0173 | 0.0104 | 0,0016 |
Partpopurb | 0.0755 | 0,0048 | 0,0299 |
Partcollpub | 0.0033 | 0.0015 | 0.0051 |
PartBenef | 0.2600 | 0,0062 | 0,1447 |
Voirie | 0.1698 | 0.0010 | 0.1287 |
Couleurpol | 0.0775 | 0.0630 | 0.0025 |
R2 partiels, 2006-2016
Notes
-
[4]
Juridiquement, le département renvoie à une circonscription administrative sur laquelle le préfet a autorité comme sur la plupart des administrations d’État. Aussi serait-il plus juste d’utiliser les termes de conseil départemental pour étudier la collectivité territoriale intervenant sur le périmètre départemental. Néanmoins, afin de faciliter la lecture, le terme « département » sera employé en lieu et place de l’expression « conseil départemental ».
-
[5]
Voir à ce sujet le rapport rendu par la Cour des comptes [2017], Rapport sur la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, octobre, p. 218 et suivantes.
-
[6]
Ces données sont issues des rapports de l’Observatoire des finances locales.
-
[7]
Il s’agit du Revenu de solidarité active (RSA), de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la Prestation de compensation du handicap (PCH).
-
[8]
Les dépenses publiques locales représentent, en 2017, 20 % des dépenses publiques en France contre une moyenne de 31 % dans l’ensemble de l’Union européenne.
-
[9]
L’étude de Maguain et Fréret [2013] porte uniquement sur les déterminants des dépenses sociales des départements français.
-
[10]
La variance inter-individuelle est bien plus élevée que la variance intra-individuelle pour toutes nos variables explicatives, à l’exception de 2 d’entre elles. De fait, l’estimation d’un modèle à effets fixes donne des résultats très peu précis pour les variables avec une faible variance inter-individuelle. Les résultats sont disponibles sur demande auprès des auteurs.
-
[11]
La répartition des départements pour les dépenses totales par tête est très similaire à celle obtenue pour les dépenses de fonctionnement par tête, aussi, pour des raisons de place, n’avons-nous pas inséré ici les cartes correspondantes. Elles sont disponibles sur demande auprès des auteurs.
-
[12]
Selon les chiffres fournis par l’Assemblée des départements de France [2015].
-
[13]
On notera qu’un département français compte en moyenne 546 habitants par km2, allant de 3 en Guyane à 21 347 pour Paris (Assemblée des départements de France [2015]).
-
[14]
Le revenu fiscal retenu ici est le revenu de référence des foyers fiscaux imposables. Les estimations ont également été effectuées avec une définition où le revenu fiscal est le revenu de référence des foyers fiscaux. Les résultats alors obtenus sont identiques en termes de significativité des variables explicatives. Nous tenons ces résultats à disposition sur demande.
-
[15]
Nous avons calculé les facteurs d’inflation de la variance (VIF) et seuls 2 VIF dépassent légèrement la valeur de 10, pour Pereqtot et ImpDMTO. Cependant, nous avons gardé ces variables car elles sont statistiquement individuellement significatives mais les coefficients associés sont susceptibles d’être inflatés.
-
[16]
L’effet est significatif au seuil de 10 % seulement pour les dépenses de fonctionnement.
-
[17]
On notera que cet impôt n’existe que depuis 2010.
-
[18]
L’impact sur les dépenses totales est significatif au seuil de 5 % pour la variable ImpDMTO.
-
[19]
En complément de cette analyse, les R2 partiels pour chaque variable sont indiqués en annexe. Ils permettent d’informer la contribution de chaque variable à la variance globale des dépenses par habitant.