Que signifie incarner l’État à Mayotte lorsque l’on est natif·ve de l’ancienne métropole coloniale et catégorisé·e comme blanc·he ? Et comment se positionnent les fonctionnaires métropolitain·es en poste dans ce territoire demeuré sous la souveraineté française lors des décolonisations du xxe siècle et devenu département d’outre-mer en 2011 ? Pour présenter les parcours d’agent·es muté·es depuis l’Hexagone, nous mobilisons la notion de blanchité, et montrons que les avantages structurels dont ils et elles bénéficient dans la poursuite de leurs carrières s’articulent à des privilèges symboliques fondés sur la race. Alors que la hiérarchie administrative est marquée par une forte ségrégation verticale, la posture faite d’extériorité vertueuse des agent·es métropolitain·es vient renforcer leurs positions dominantes au sein des services de l’État, tandis que diverses formes de disqualification contribuent parallèlement à l’exclusion des Mahorais·es, natif·ves de l’île, des postes les plus qualifiés. La blanchité constitue ici une propriété sociale discriminante, au sein d’un État postcolonial pourtant réputé aveugle à la race.
Article
« Vu mon expérience, les Mahorais se mettent entre Mahorais et les Mzungu se donnent la main ! » Ainsi s’exprime Mounia Daroussi, fonctionnaire mahoraise, au sujet des relations de travail qui se déploient au sein de
l’administration française dans l’île de Mayotte, devenue département
d’outre-mer (DOM) en 2011. Cette enquêtée oppose les agent·es mahorais·es
à ceux et celles qui viennent de France métropolitaine et qu’elle désigne par le
terme de Mzungu, qui veut dire Blanc·hes en shimaore. Ce terme, relevé dans
d’autres contextes africains, est d’usage courant à Mayotte, et renvoie à la persistance d’une frontière raciale, sous la forme d’une « frontière ethnique infranchissable et naturalisée » entre Mahorais·es et Mzungu, qui se manifeste, entre
autres, par des inégalités matérielles et une ségrégation spatiale fortes. Cette ligne
de clivage traverse les rangs des agent·es de l’État, parmi lesquel·les les liens au
territoire, le sentiment de légitimité et les perspectives de carrière constituent
autant de facteurs de distinction qui viennent renforcer des positions professionnelles contrastées. En effet, selon nos observations qui, en l’absence de données
publiques disponibles, vont dans le sens des chiffres existant pour les autres
DOM, les métropolitain·es sont majoritairement cadres, tandis que les
Mahorais·es restent largement cantonné·es aux postes subalternes.
Nous nous intéressons ici aux agent·es de l’État muté·es à Mayotte, et à la ligne
de clivage liée à l’origine et à la race qui structure leurs relations avec leurs
collègues – et subalternes – mahorais·e…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 19/05/2022
- https://doi.org/10.3917/crii.095.0022

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