CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1au cours des années 1990, l’enseignement supérieur trans national (ou transfrontière) – c’est-à-dire tout ce qui implique la mobilité internationale des étudiants et des enseignants, des programmes éducatifs ou des établissements d’enseignement supérieur  [1] – a connu une forte croissance. Le nombre d’étudiants étrangers dans la zone OCDE a augmenté de 70 % entre 1998 et 2004, soit à un rythme de 10 % par an en moyenne, pour atteindre 2,3 millions. Durant la même période, le nombre d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur a augmenté de 21 % dans cette même zone. À elle seule, la mobilité des étudiants peut être estimée à une valeur de plus de 30 milliards d’euros de revenus d’exportations en 2004, ce qui signifie qu’elle rapporte juste un peu moins que les services financiers  [2]. Entre 1994 et 2005, la mobilité vers les États-Unis des universitaires internationaux a augmenté de 50 % pour atteindre 90 000 en 2005  [3]. La mobilité intra-européenne des universitaires au sein du programme Socrates a augmenté de 71 % entre 1997 et 2000, ce qui porte à environ 12 000 le nombre d’universitaires mobiles en 2000  [4].

2Il y a seulement vingt ans, l’enseignement transnational répondait avant tout à des motivations politiques, géostratégiques, culturelles et d’aide au développement : les pays favorisaient la mobilité comme une ouverture au monde, en espérant créer des réseaux internationaux d’élites ; les universités accueillaient les étudiants étrangers mais ne faisaient pas d’effort particulier pour les recruter. Aujourd’hui, l’enseignement transnational est de plus en plus perçu comme un levier de développement économique pour les pays et comme un avantage concurrentiel pour les établissements d’enseignement. Les enjeux de l’internationalisation de l’enseignement supérieur dépassent ainsi le cadre habituel des politiques éducatives pour s’intégrer à des politiques ou des stratégies économiques. Renforcée par l’émergence de classements mondiaux des établissements d’enseignement supérieur, une concurrence internationale est en train d’émerger dans l’enseignement supérieur, tant au niveau des systèmes que des établissements. De politique marquant une ouverture culturelle, académique et diplomatique, l’internationalisation de l’enseignement supérieur est devenue un enjeu stratégique, tant du point de vue économique que politique.

3Les grandes tendances de l’enseignement transnational et leurs enjeux sont analysés dans plusieurs publications de l’OCDE  [5]. Cette organisation et l’UNESCO ont par ailleurs développé des Lignes directrices[6], à l’intention des différentes parties intéressées ou concernées par l’enseignement supérieur transnational. Les questions soulevées concernent aussi bien la qualité de l’enseignement et la réglementation des nouvelles formes de mobilité que les enjeux économiques et commerciaux, les conséquences de l’inclusion des services d’éducation dans l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les liens entre, d’une part, l’enseignement transnational, d’autre part, les migrations de personnels qualifiés et la « fuite des cerveaux », ou encore le potentiel de l’enseignement transnational pour un renforcement plus rapide des capacités des pays en développement.

4Tout en laissant entrevoir l’importance de ces questions, cet article propose une brève et modeste introduction aux tendances récentes de l’enseignement supérieur transnational et aux stratégies des pays qui les ont en partie influencées, afin de s’interroger sur le caractère durable ou non de cette croissance et sur la possible convergence (ou coexistence) des différentes stratégies d’internationalisation. La première section dresse le tableau des tendances récentes de l’enseignement supérieur transnational ; la deuxième propose une analyse des stratégies qui ont sous-tendu sa croissance et sa diversification et souligne certains de ses défis et opportunités pour les pays, des questions migratoires à celles du développement ; la dernière section s’interroge sur les perspectives d’évolution des différentes formes d’enseignement supérieur transnational et des stratégies d’internationalisation des pays.

Les grandes tendances de l’enseignement supérieur transnational

5Elles peuvent se résumer en deux mots : la croissance des effectifs d’étudiants inscrits dans des programmes éducatifs étrangers (ou à l’étranger) ; la diversification de l’offre d’enseignement transnational avec l’émergence de nouvelles formes de mobilité transnationale. Cette section retrace les grandes tendances de la mobilité étudiante et montre comment de nouvelles formes d’enseignement supérieur transnational se développent et transforment le paysage traditionnel de l’enseignement supérieur.

La mobilité étudiante

6Elle constitue la principale forme d’enseignement supérieur transnational. En 2005, il y avait dans le monde 2,7 millions d’étudiants étrangers, c’est-à-dire presque trois fois plus qu’il y a vingt ans  [7]. Les pays de l’OCDE accueillent environ 85 % des étudiants étrangers du monde, mais, en 2005, les deux tiers (67 %) de ces étudiants étaient des ressortissants d’un pays non membre de l’OCDE. Comme pour les flux migratoires, les flux étudiants vont donc clairement du Sud vers le Nord : 5 pays de l’OCDE reçoivent plus de la moitié (58 %) de ces effectifs mondiaux (et 69 % des effectifs de la zone OCDE). En 2005,22 % des étudiants étrangers dans le monde se trouvaient aux États-Unis, 12 % au Royaume-Uni, 10 % en Allemagne, 9 % en France, et 6 % en Australie. Les 5 premiers pays d’accueil anglophones (les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada et la NouvelleZélande) recevaient à eux seuls en 2005 presque la moitié (45 %) de l’effectif total d’étudiants étrangers scolarisés dans le monde et 53% des étudiants étrangers dans la zone OCDE. Parmi les 10 pays qui recevaient le plus d’étudiants étrangers en 2004 (75 %), seuls la Russie et l’Afrique du Sud ne sont pas membres de l’OCDE (figure 1). Les 35 premiers pays d’accueil d’étudiants étrangers présentés sur la figure 1a représentent 95 % des effectifs d’étudiants étrangers recensés dans le monde.

Figure 1

Effectifs et pourcentages d’étudiants étrangers

Figure 1
Figure 1 : Effectifs et pourcentages d’étudiants étrangers dans les 35 premiers pays d’accueil (2004) 1a : Effectif 1b en % des inscrits dans le supérieur 572 509 U.S.A. 58,9 Macao, China 300 056 United Kingdom 32,9 Fiji 260 314 Germany 28,9 Cyprus 237 587 France 28,3 New Zealand 166 955 Australia 20,9 Qatar 132 982 Canada 18,2 Switzerland Japan 117 903 16,2 16,6Australia Russian Fed. 75 786 14,1 Austria UK 68 904 New Zealand 11,2 Germany 49 979 South Africa 11,0 France 44 304 Belgium 10,6 Canada 41 734 Spain 9,6 Belgium 40 641 Italy 9,0 Lebanon 36 458 Sweden 8,7 Namibia 35 705 Switzerland 8,6 Togo 33 707 Austria 8,5 Sw eden 30 407 Malaysia 8,5 Jordan 21 259 Netherlands 7,9 Kyrgyzstan 17 162 Denmark 7,9 Denmark 16 249 Kyrgyzstan 7,3 OECD 16 155 Portugal 7,0 Bahrain 15 816 Jordan 7,0 South Africa Ukraine 6,5 Mali 15 622 5,7 World 15 298 Turkey 5,6 Ireland 14 923 Czech Republic 4,7 Czech 14 627 Macao, China 4,5 Norway 14 361 Greece 4,4 Senegal 13 930 Lebanon 4,4 Malaysia 13 705 Cuba 4,2 Armenia 12 913 Hungary 4,1 Portugal 12 698 Ireland 3,9 Netherlands 12 392 Norway 3,5 Bulgaria 12 199 Saudi Arabia 3,4 United States 10 778 Korea, Rep. 3,1 Hungary 9 730 Romania 2,9 Japan 2,9 Madagascar

Effectifs et pourcentages d’étudiants étrangers

7En termes relatifs, c’est-à-dire en pourcentage d’étudiants étrangers dans les effectifs étudiants des différents pays, la situation est un peu différente. Macao (Chine), les îles Fiji, Chypre, la Nouvelle-Zélande ou la Suisse se situent parmi les pays ayant la plus grande proportion d’étudiants étrangers dans leur enseignement supérieur national. Si l’Australie, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France restent parmi les grands pays d’accueil, les États-Unis passent du premier au trente-deuxième rang des pays d’accueil (figures 1a et 1b). Alors que, dans le monde, un pays comptait en moyenne, en 2004, 5,7 % d’étudiants étrangers, les pays de l’OCDE comptaient en moyenne 7,3 % d’étudiants étrangers dans leurs effectifs étudiants en 2004 (contre 4,5 % en 1998). En 2004,9 pays – tous étant de petite taille ou anglosaxons – comptaient plus de 15 % d’étudiants internationaux dans leurs effectifs étudiants.

8En général, moins les pays accueillent d’étudiants étrangers, plus ceux-ci ont tendance à venir de pays voisins ou du même continent que le pays d’accueil. Ainsi, 99 % des étudiants étrangers reçus par les pays d’Afrique sub-saha-rienne viennent eux-mêmes d’Afrique sub-saharienne, et les pourcentages sont environ de 80 % pour les pays d’Amérique latine, d’Asie du Sud et du Pacifique, et de près de 70 % pour les pays arabes et ceux d’Asie centrale – contre seulement 27 % pour l’Europe de l’Ouest et l’Amérique du Nord pris ensemble  [8].

9Dans la zone de l’OCDE, l’Europe est la principale région d’accueil. Elle comptait 1,2 million d’étudiants étrangers en 2005, soit 53 % des étudiants étrangers recensés dans les pays de l’OCDE (tableau 1). C’est la première région d’accueil des étudiants européens et africains, et une région attractive pour les étudiants d’Amérique et d’Asie. Les pays d’Amérique du Nord reçoivent 29 % des effectifs d’étudiants étrangers et constituent le premier pôle d’attraction pour les étudiants des Amériques et d’Asie. Les pays membres d’Asie et du Pacifique accueillent les 18 % d’étudiants internationaux restants. L’Asie arrive en tête des régions dont les ressortissants partent suivre des études supérieures à l’étranger : ainsi, près de la moitié (49 %) des étudiants étrangers dans la zone de l’OCDE venaient d’Asie en 2005. L’Europe la suit avec 29 %, puis viennent l’Afrique (12 %), l’Amérique du Sud (6 %), l’Amérique du Nord (4 %) et l’Océanie (1 %).

10Si l’Amérique du Nord reçoit moins d’étudiants étrangers (670 000 aux États-Unis, au Canada et au Mexique en 2005), c’est elle qui attire le plus grand nombre d’étudiants asiatiques – ce qui constitue une priorité pour beaucoup de pays étant donné l’émergence stratégique de l’Asie dans l’économie et la politique mondiales. Plus de la moitié (63 %) de l’effectif total d’étudiants étrangers en Amérique du Nord vient ainsi d’Asie. Dans les pays européens membres de l’OCDE, les étudiants viennent d’abord d’Europe (44 %), puis d’Asie (30 %), d’Afrique (18 %), tandis que les pays d’Asie accueillent 86 % d’étudiants venant d’Asie. Comme le montre le tableau 2, l’Europe a la composition géographique la plus équilibrée de ses effectifs d’étudiants étrangers.

11En termes de destination, les étudiants internationaux choisissent des régions d’étude différentes selon leur région d’origine. En Europe, la mobilité étudiante est essentiellement intra-européenne : 84 % des étudiants européens inscrits à l’étranger étudient dans un autre pays européen, quand 30 % d’étudiants asiatiques et 39 % d’étudiants nord-américains à l’étranger restent sur leur continent. Sans doute peut-on imputer cette situation au processus de Bologne et au programme Erasmus, qui ont favorisé ce type de mobilité (le programme Erasmus s’est cependant récemment ouvert au monde avec Erasmus Mundus). Les étudiants africains, pour leur part, choisissent avant tout l’Europe, la France accueillant à elle seule 53 % des étudiants africains en Europe en 2005 (et 44 % de tous les étudiants internationaux africains inscrits dans la zone OCDE). Les étudiants venant des Amériques choisissent le plus souvent d’aller étudier en Europe. Les étudiants asiatiques privilégient d’abord l’Amérique du Nord (36 %), mais, outre les 30 % qui vont dans les pays d’Asie et du Pacifique, notamment l’Australie, 33 % choisissent également d’aller en Europe. Cette répartition traduit une hausse marquée de l’attractivité de l’Europe durant la dernière décennie : en 1995,53 % des étudiants étrangers d’origine asiatique étudiaient en Amérique du Nord, contre seulement 24 % en Europe. Là encore, la moyenne cache des disparités importantes, puisque le Royaume-Uni et l’Allemagne accueillaient 72 % des étudiants asiatiques étudiant en Europe en 2005 (respectivement 43 % et 27 %). Les deux tiers des étudiants asiatiques à l’étranger sont en fait concentrés dans 4 pays anglophones : les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada. Alors que les ressortissants asiatiques recourent en général à l’enseignement transnational pour suivre un cursus complet et supportent le coût réel de leur formation, les étudiants américains et européens privilégient les séjours de courte durée, principalement dans le cadre de formations sub-ventionnées pour les Européens  [9].

12Au niveau des pays d’origine, la Chine (y compris Hong Kong) est le pays qui compte le plus de ressortissants étudiants à l’étranger, soit 17 % des étudiants étrangers dans la zone de l’OCDE ; elle est suivie de l’Inde (5 %), de la Corée du Sud (4 %), de l’Allemagne, du Japon, du Maroc et de la France (entre 2 et 3 % chacun). La France et l’Allemagne sont ainsi les deux seuls pays qui sont à la fois de grands importateurs et de grands exportateurs d’étudiants (ou de services d’éducation)  [10].
En termes relatifs, la situation est là encore différente (figure 2) : les petits pays sont souvent ceux dont le nombre de ressortissants qui étudient à l’étranger est le plus grand par rapport à la taille de leur système d’enseignement supérieur. Souvent, ces pays ont une offre limitée, aussi bien en termes quantitatifs qu’en termes de variété disciplinaire, si bien que leurs ressortissants étudient le plus souvent dans les pays voisins, suivant des accords régionaux plus ou moins tacites. En 2004, le Luxembourg avait ainsi deux fois plus de ressortissants inscrits à l’étranger que d’étudiants du supérieur sur son territoire. Pour beaucoup de pays d’Afrique, cette fois de plus grande taille, la forte mobilité étudiante tient sans doute à des capacités d’accueil limitées sur leur territoire. Les grands pays d’origine des étudiants étrangers (en termes absolus) ont en fait relativement peu d’étudiants à l’étranger compte tenu de la taille de leur système d’enseignement supérieur.

Tableau 1

Destination des étudiants étrangers vers la zone de l’OCDE,

Tableau 1
Tableau 1 : Destination des étudiants étrangers vers la zone de l’OCDE, par région d’origine (2005) Origine Amérique du Nord Europe Asie-Pacifique Total Afrique 15 % 82 % 3 % 100 % Amérique du Nord 39 % 47 % 15 % 100 % Amérique du Sud 52 % 45 % 3 % 100 % Asie 36 % 33 % 30 % 100 % Europe 12 % 84 % 4 % 100 % Océanie 28 % 24 % 49 % 100 % Monde 29 % 53 % 18 % 100 %

Destination des étudiants étrangers vers la zone de l’OCDE,

Tableau 2

Composition des effectifs d’étudiants étrangers par grande région

Tableau 2
Tableau 2 : Composition des effectifs d’étudiants étrangers par grande région de l’OCDE (2005) Origine Amérique du Nord Europe Asie-Pacifique Total Afrique 6 % 18 % 2 % 12 % Amérique du Nord 5 % 3 % 3 % 4 % Amérique du Sud 12 % 5 % 1 % 6 % Asie 63 % 30 % 86 % 49 % Europe 12 % 44 % 6 % 29 % Océanie 1 % 0 % 2 % 1 % 100 % 100 % 100 % 100 %

Composition des effectifs d’étudiants étrangers par grande région

Figure 2

Pays dont le nombre de ressortissants étudiant à l’étranger est supérieur

Figure 2
Figure 2 : Pays dont le nombre de ressortissants étudiant à l’étranger est supérieur à 20 % de leurs effectifs étudiants de l’enseignement supérieur (%) (2004) Andorra 219 375Luxembourg 159Djibouti 143Comoros 122Guinea-Bissau 113Cape Verde 106Belize 104Tonga 95Cyprus 79Gambia 76Cayman Islands 74Lesotho 73Equatorial Guinea 72Botswana 58Namibia 55Bermuda 49Gabon 46Angola 45Saint Lucia 41Mauritius 38Brunei Darussalam 37Congo 33Chad 32Swaziland 30Albania 30Samoa 30Zimbabwe 29Trinidad and Tobago 28Malawi 23Suriname 23Iceland 22Mauritania 22Hong Kong (China), 20Senegal

Pays dont le nombre de ressortissants étudiant à l’étranger est supérieur

13En général, près de 90 % des étudiants internationaux étudient dans l’enseignement supérieur général. Les étudiants internationaux sont aussi principalement inscrits dans les formations pré-licence, mais, par rapport aux ressortissants nationaux, ils sont proportionnellement plus nombreux à être inscrits dans des cursus post-licence. Comparés à l’ensemble des étudiants, les étudiants étrangers sont enfin proportionnellement plus nombreux à suivre des programmes de recherche avancée (de doctorat par exemple). En 2001, les étrangers inscrits dans ce type de cursus représentaient en moyenne 10 % de tous les étudiants étrangers (ou internationaux), mais 3 % seulement de l’effectif total d’étudiants (étrangers et nationaux) dans les pays pour lesquels on disposait de données. Bien que cela reste très variable selon les pays, les étudiants internationaux (ou étrangers) représentaient en 2005 une part significative des diplômes des programmes de recherche avancée décernés en Suisse (41 %), au Royaume-Uni (36 %), au Canada (27 %), aux États-Unis (26 %), en Belgique (23 %) et en France (23 %). Dans ces pays, les étudiants internationaux représentent ainsi une véritable contribution à la production scientifique (et de scientifiques) du pays  [11]. En 2003, aux États-Unis, plus de la moitié des diplômés d’un doctorat étaient nés à l’étranger (contre 27 % en 1973), le pourcentage étant de 50 % en sciences physiques, 67 % en ingénierie et 68 % en sciences économiques  [12].

Les nouvelles formes d’enseignement

14La mobilité étudiante ne représente qu’une des formes de l’enseignement supérieur transnational même si c’est la plus importante quantitativement. En effet, les étudiants sont de plus en plus nombreux à exploiter la nouvelle possibilité qui consiste à suivre une formation supérieure ou post-secondaire proposée par une université étrangère sans quitter son propre pays. Au cours de ces dix dernières années, la mobilité internationale des programmes et des établissements s’est accrue, notamment vers l’Asie et le Moyen-Orient. Ces nouvelles formes d’enseignement ne représentent encore qu’une faible proportion de l’enseignement supérieur transnational, mais cette proportion va croissant et constitue une innovation qui marque le début d’une possible révolution de l’enseignement supérieur sur le long terme.

15La mobilité des programmes éducatifs est la deuxième forme d’enseignement supérieur transnational la plus courante après la mobilité internationale des étudiants. Même si elle englobe la formation à distance – y compris la cyberformation (ou e-learning)  [13], généralement complétée par un enseignement en présence dans des établissements partenaires locaux – cette forme d’enseignement conserve le mode traditionnel du face-à-face professeur/étudiant, proposé dans ce cas par l’intermédiaire d’un établissement partenaire à l’étranger. Les relations entre établissements, étrangers et locaux, donnent lieu à une variété d’arrangements contractuels qui va de l’aide au développement aux contrats marchands.

16Les partenariats universitaires (exclusivement fondés sur le principe de collaboration sans buts lucratifs) sont les formes traditionnelles, et sans doute les plus courantes, de mobilité internationale des programmes et des établissements d’enseignement supérieur à l’intérieur de la zone de l’OCDE. Ce type de partenariat va souvent de pair avec la mobilité des étudiants et des universitaires. Parfois, la mobilité des étudiants implique une certaine mobilité des programmes, dont le but est soit de faciliter la reconnaissance mutuelle des unités de valeur obtenues dans l’établissement partenaire en tant que partie du diplôme délivré par l’établissement d’origine, soit de permettre la délivrance d’un diplôme conjoint. Plus rarement, les partenariats universitaires peuvent aussi comporter l’élaboration conjointe de formations. Un établissement qui participe à Erasmus a par exemple une convention bilatérale avec en moyenne 47 établissements partenaires. En réalité, ce nombre est fortement corrélé à la taille de l’établissement : un établissement dont l’effectif est égal ou inférieur à 500 étudiants a en général 10 conventions bilatérales de coopération ; en revanche, un grand établissement, dont l’effectif est supérieur à 20 000 étudiants, coopère en moyenne avec 150 partenaires  [14].

17L’enseignement transnational à caractère commercial occupe désormais une place primordiale dans la région Asie-Pacifique où il prend principalement la forme de la franchise et du jumelage. En règle générale, dans le cadre d’une franchise, un prestataire local est autorisé par un établissement étranger à dispenser en totalité ou en partie un de ses programmes d’enseignement dans le cadre de conditions contractuelles bien déterminées. Le plus souvent, cette formation est sanctionnée par un diplôme étranger. Dans un programme de jumelage, les étudiants sont scolarisés auprès d’un prestataire étranger et suivent un programme étranger ; ils effectuent une partie de la formation dans leur pays d’origine et l’achèvent dans le pays d’origine de l’établissement étranger. Ce mode de formation transnationale passe habituellement par la mobilité à la fois des étudiants et des programmes.

18Il est difficile de chiffrer le nombre de programmes éducatifs transnationaux ou d’étudiants inscrits dans des programmes étrangers proposés dans leur pays. À l’échelle mondiale, les deux pays les plus actifs dans ce domaine, le Royaume-Uni et l’Australie, comptent environ 300 000 étudiants inscrits dans leurs programmes transnationaux, essentiellement en Asie  [15]. Chacune des 38 universités publiques australiennes offre aujourd’hui des formations à l’étranger dont le nombre est passé d’à peine 25 en 1991 à 1 600 en 2003. Plus de 85 % d’entre elles sont localisées en Chine (y compris Hong Kong), à Singapour et en Malaisie, les autres étant éparpillées dans le reste du monde, de l’Inde au Canada en passant par l’Indonésie et l’Afrique du Sud. Le nombre d’étudiants suivant des programmes australiens depuis leur pays représentait en 2004 33 % des effectifs d’étudiants internationaux inscrits dans des établissements australiens, soit une hausse de 9 % depuis 1996. Les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Canada, mais aussi des pays émergents comme l’Inde, ont également des établissements délivrant ce type de programmes à l’étranger.

19Peut-être parce qu’elle implique un risque entrepreneurial plus grand, la mobilité des établissements reste limitée, mais elle n’en est pas moins devenue un aspect important de l’enseignement supérieur transnational : elle correspond aux investissements directs étrangers réalisés par des établissements d’enseignement supérieur ou des entreprises de formation. La forme la plus caractéristique de ce type de mobilité est l’ouverture à l’étranger de campus, par des universités, et de centres de formation, par d’autres fournisseurs de services éducatifs. Selon l’Observatory on Borderless Higher Education, il y en avait environ une centaine dans le monde en 2005  [16]. On peut citer les exemples de l’université de Nottingham (Angleterre), qui a des campus à l’étranger en Chine et en Malaisie, de l’université de Liverpool (Angleterre), qui a ouvert un campus en Chine, de l’Université Monash (Australie), qui a des campus en Malaisie et en Afrique du Sud, ou encore de l’université RMIT (Australie) avec son campus au Vietnam. La mobilité des établissements recouvre également la création d’établissements d’enseignement entièrement nouveaux (non affiliés à un établissement d’origine), ainsi que l’acquisition partielle ou totale d’un établissement à l’étranger. Cette dernière forme est par exemple privilégiée par le groupe états-unien coté en bourse Laureate International Universities, qui possède des universités en Amérique (Brésil, Chili, Costa Rica, Équateur, Honduras, Mexique, Panama, Pérou), en Chine et en Europe (Espagne, France, Pays-Bas, Suisse).

Les grandes stratégies actuelles d’internationalisation de l’enseignement supérieur

20Tous les pays n’ont pas, loin s’en faut, une politique explicite d’internationalisation de leur enseignement supérieur. Les pratiques actuelles nous permettent cependant de dégager quatre grandes stratégies reflétant la variété des motivations et des instruments politiques à l’œuvre dans ce domaine. Ces stratégies ne sont pas toujours coordonnées, encore moins directement décidées au niveau gouvernemental, et leur efficacité varie considérablement d’un pays à l’autre, même avec des intentions ou des instruments politiques similaires. La typologie proposée permet de dessiner de manière stylisée le paysage actuel des politiques d’internationalisation. Quoique distinctes, ces grandes stratégies poursuivent des objectifs qui ne s’excluent pas mutuellement. La stratégie traditionnelle d’internationalisation est fondée sur la compréhension mutuelle, tandis que les trois autres – fondées sur les migrations de personnels qualifiés, la mobilisation de recettes et le renforcement des capacités –, apparues dans les années 1990, obéissent beaucoup plus à des considérations économiques.

21La stratégie fondée sur la compréhension mutuelle poursuit avant tout des objectifs politiques, culturels, académiques et d’aide au développement. Elle autorise et encourage la mobilité internationale des étudiants et des chercheurs, à la fois nationaux et étrangers, par des programmes de bourses et d’échanges universitaires, ainsi que les partenariats entre établissements d’enseignement supérieur. En général, le recrutement d’étudiants étrangers ne fait pas l’objet de campagnes vigoureuses, mais vise une petite élite de nationaux et d’étrangers. Pour le reste, on se contente de laisser ses portes ouvertes. Le souci de coordination concerne essentiellement l’aide au développement et les choix géostratégiques des pays. Dans ce type d’approche, il n’est pas rare que les programmes de bourses dépendent du ministère des Affaires étrangères. En termes migratoires, les étudiants étrangers sont censés retourner dans leur pays d’origine pour une période plus ou moins longue à la fin de leurs études. Cette stratégie historique en matière d’internationalisation reste l’optique principale de pays comme le Japon, la Corée du Sud, le Mexique, l’Espagne, et en fait de la plupart des pays non membres de l’OCDE. Aux États-Unis, les programmes Fulbright en sont des exemples typiques. Le programme Socrates-Erasmus a également été lancé par l’Union européenne selon cette logique : les échanges d’étudiants et d’enseignants, la constitution de réseaux de départements et d’établissements universitaires dans toute l’Europe et l’élaboration commune de programmes d’études avaient pour objectif de créer un sentiment de « citoyenneté européenne » chez les jeunes Européens, grâce à une meilleure compréhension mutuelle via la connaissance de plusieurs langues européennes.

22La deuxième stratégie, fondée sur les migrations de personnels qualifiés, poursuit les objectifs de la stratégie précédente mais aborde en outre le recrutement des étudiants étrangers de manière plus volontariste et ciblée. S’inscrivant dans la logique de l’économie des connaissances, elle vise à attirer des étudiants (et des universitaires) talentueux susceptibles de devenir des travailleurs du savoir au service de l’économie du pays d’accueil et à augmenter la qualité et la compétitivité des secteurs de la recherche et de l’enseignement supérieur du pays. L’internationalisation de l’enseignement supérieur permet en effet aux établissements nationaux de se comparer avec les établissements d’enseignement supérieur étrangers et conduit souvent à des innovations et améliorations pour s’adapter aux demandes et attentes des étudiants étrangers (ou des étudiants nationaux revenant de l’étranger). Par ailleurs, dans le contexte de sociétés vieillissantes et d’une concurrence internationale forte pour les produits à faible valeur ajoutée, les pays industrialisés se concurrencent de plus en plus pour attirer des travailleurs hautement qualifiés et intègrent les étudiants internationaux dans cette stratégie  [17]. Les systèmes de bourses d’études peuvent demeurer un moyen d’action important dans cette stratégie mais d’autres mesures viennent les compléter : la promotion active à l’étranger du secteur de l’enseignement supérieur du pays (campagnes publicitaires, participation à des salons internationaux, etc.) et, parallèlement, l’allègement des réglementations en matière de visa ou d’immigration pour les populations visées. Parfois, des services sont expressément mis sur pied pour faciliter les études et le séjour des étrangers dans le pays d’accueil. Par exemple, l’enseignement en anglais peut se développer et être encouragé (dans les pays non anglophones). Dans cette logique, les étudiants internationaux voient leurs études subventionnées par le pays d’accueil au même titre que les étudiants nationaux (et résidents étrangers). Les populations cibles peuvent être variées : étudiants originaires de certaines régions ; étudiants en post-licence ou futurs chercheurs plutôt qu’étudiants en pré-licence ; ou encore étudiants spécialisés dans un domaine précis. Cette stratégie se traduit en général par une augmentation du nombre des étudiants étrangers accueillis dans le pays mais n’a pas de véritables répercussions en termes de mobilité commerciale des formations et des établissements. Par manque d’autonomie ou d’incitations, elle peut être difficile, voire impossible, et reste en général ancrée dans la politique d’aide au développement ou dans des partenariats universitaires classiques. Parmi les pays qui ont adopté cette approche, on peut citer, entre autres, l’Allemagne, le Canada (pour certaines provinces), le Royaume-Uni (pour les étudiants de l’Union européenne), les États-Unis (pour les étudiants en post-licence), mais aussi la France. En 1998, cette dernière a mis en place l’agence EduFrance, transformée en CampusFrance en mai 2007, afin de promouvoir l’enseignement supérieur français à l’étranger et d’améliorer l’accueil des étudiants étrangers en France. Sa politique migratoire allège les démarches administratives pour les étudiants étrangers et facilite l’installation des immigrés hautement qualifiés. Enfin, les étudiants étrangers continuent de bénéficier des mêmes droits d’inscription fortement subventionnés que les étudiants français. Commencé en 1998, le processus de Bologne marque un infléchissement de la politique d’internationalisation adoptée au niveau européen et réinscrit notamment le programme Socrates-Erasmus de l’Union européenne vers cette seconde stratégie : la mobilité des étudiants et des universitaires participe aujourd’hui à la création d’un espace européen de l’enseignement supérieur et de la recherche visant à augmenter l’attractivité (hors d’Europe, et en particulier en Asie) de l’enseignement supérieur européen et à transformer l’économie des pays européens en économie des connaissances  [18]. Dès lors, l’harmonisation des systèmes européens a pour but non plus seulement de favoriser la mobilité intra-européenne, mais aussi de renforcer l’attractivité internationale de l’enseignement supérieur européen, notamment face aux États-Unis. Malgré tout, la compétition entre nations européennes est tout aussi vive que la coopération.

23La troisième stratégie, fondée sur la mobilisation de recettes, poursuit les objectifs des deux premières (compréhension mutuelle et migrations de personnels qualifiés), mais vise en outre directement des objectifs commerciaux. Une spécificité de cette approche réside dans la facturation des services d’enseignement supérieur à leur coût réel pour les étudiants internationaux, qui ne bénéficient (en général) d’aucune subvention publique. Comparés aux étudiants nationaux, les étudiants internationaux procurent donc souvent un revenu supplémentaire aux établissements d’enseignement supérieur, ce qui les encourage à faire preuve d’un esprit d’entreprise sur le marché international de la formation. Les pouvoirs publics accordent aux établissements une très grande autonomie, cherchent à asseoir la réputation de leur secteur d’enseignement supérieur et à protéger les étudiants étrangers grâce à des mécanismes d’assurance qualité. Cette stratégie aboutit généralement à une progression sensible du nombre d’étudiants internationaux payant leur scolarité à prix coûtant et au développement de la mobilité des programmes et des établissements à but lucratif. Elle s’accompagne souvent d’une réduction de la part relative du financement public dans les ressources des universités, voire de la réduction du financement public par étudiant. Elle peut également comporter une politique active de négociations commerciales cherchant à réduire les obstacles aux activités éducatives transnationales, par exemple par des accords bilatéraux ou lors des négociations se déroulant dans le cadre de l’AGCS au sein de l’OMC  [19]. Les conditions migratoires sont en général assouplies en ce qui concerne le travail salarié des étudiants pendant leurs études, mais, comme dans la première stratégie, on observe souvent des politiques différenciées pour limiter l’immigration permanente ultérieure des étudiants, tout en facilitant, comme dans la deuxième stratégie, une installation ultérieure pour certains. La question de l’équilibre géographique des étudiants internationaux se pose alors aux autorités et aux établissements non seulement en termes commerciaux (diversifier les pays d’origine pour obtenir une stabilité financière), mais aussi en termes d’immigration. L’objectif de cette stratégie consiste clairement à construire une nouvelle industrie d’exportation des services d’éducation, lesquels représentaient en Australie le premier poste d’exportation de services en 2007 et le troisième pour tous les biens et services, soit 12,5 milliards de dollars australiens (7,6 milliards d’euros) (IDP Australia). Parmi les pays qui ont opté pour cette approche figurent, outre l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis (pour les étudiants en pré-licence), le Canada (pour certaines provinces), le Royaume-Uni, le Danemark, les Pays-Bas et l’Irlande (pour les étudiants hors Union européenne, les règles de l’UE obligeant les pays à avoir les même frais d’inscription pour les étudiants nationaux et pour ceux des autres pays membres de l’Union).

24Enfin, la quatrième stratégie, fondée sur le renforcement des capacités, consiste à encourager les importations d’enseignement supérieur, quel que soit leur mode de fourniture. Elle concerne principalement les pays émergents. En effet, lorsqu’un pays ne possède pas les capacités nationales suffisantes pour répondre à toute sa demande intérieure d’enseignement supérieur, ou ne possède pas un système national de qualité adéquate, l’enseignement transnational peut l’aider à renforcer ses capacités en offre de formations et en capital humain pour son économie et son enseignement supérieur  [20]. Tandis que les deux stratégies précédentes (migrations de personnels qualifiés et mobilisation de recettes) sont tournées vers l’exportation de services d’éducation, la stratégie fondée sur le renforcement des capacités est tournée vers l’importation de services d’éducation. Les programmes de bourses proposés à l’appui de la mobilité internationale des fonctionnaires, des enseignants, des universitaires et des étudiants constituent à cet égard d’importants instruments d’action, comme les mesures prises pour encourager les établissements, les programmes et les universitaires étrangers à venir offrir leurs services d’enseignement selon des modalités marchandes. Les négociations commerciales de l’AGCS peuvent être utilisées pour signaler l’intérêt des pays pour ce type de prestations transnationales. En général, la mobilité des programmes et des établissements s’effectue dans le cadre d’une réglementation gouvernementale qui assure la compatibilité de ces activités avec la stratégie de développement académique et économique du pays. Les accords de jumelage et les partenariats instaurés avec des prestataires locaux sont encouragés (et parfois imposés) afin de faciliter les transferts de connaissances entre établissements d’enseignement étrangers et locaux. À court terme, cette approche a pour effet d’augmenter considérablement le nombre des étudiants nationaux qui se rendent à l’étranger, ainsi que celui des programmes et des établissements éducatifs étrangers à but lucratif qui viennent s’installer dans le pays pour répondre à la demande locale. Une fois les capacités du pays développées, elle n’a en principe plus lieu d’être en tant que telle, si bien que son succès doit théoriquement se solder par un changement de stratégie. Dans cette approche, la coordination de la politique éducative avec la politique économique et commerciale prend une grande importance. Les pays doivent en particulier s’assurer que leur système d’assurance qualité couvre les formations et les établissements étrangers, et que ces derniers contribuent bien à la réalisation de leurs objectifs nationaux. Leur politique migratoire doit être favorable à la mobilité temporaire des professionnels et souvent comporter des mesures qui encouragent le retour de leurs ressortissants partant se former ou finir leur formation à l’étranger afin d’éviter une « fuite des cerveaux ». Cette stratégie est principalement mise en œuvre en Asie du Sud-Est et du Nord ainsi qu’au Moyen-Orient – en Malaisie, à Hong Kong (Chine) et en Chine, à Singapour, en Indonésie, au Vietnam, à Dubaï (et dans d’autres Émirats Arabes unis).

Perspectives et questions pour l’avenir

25La mobilité étudiante et les nouvelles formes d’enseignement supérieur transnational peuvent-elles continuer d’augmenter au même rythme dans les années à venir ? Comment les stratégies des pays et des établissements ris-quent-elles d’évoluer ? Et comment les systèmes d’enseignement supérieur seront-ils transformés au niveau national ? Voilà quelques-unes des grandes questions que soulève l’internationalisation rapide du secteur. Sans pouvoir y répondre de manière approfondie, cette section finale propose quelques pistes de réflexion  [21].

26Tout d’abord, beaucoup d’éléments convergents permettent de penser que le potentiel de croissance de la mobilité internationale des étudiants est encore important. Tandis que la demande étudiante ne semble pas près de faiblir, les gouvernements et les établissements s’engagent de manière déterminée vers une plus grande internationalisation de leurs systèmes et de leurs formations. Le processus de Bologne en Europe va continuer de favoriser la mobilité étudiante en harmonisant les cursus et en facilitant la reconnaissance des diplômes, et pas seulement en Europe, ses répercussions étant sensibles en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. La multiplication des classements mondiaux des universités et la couverture médiatique dont ceux-ci font l’objet marquent également l’apparition d’un nouvel espace mondial de l’enseignement supérieur qui transforme l’économie du secteur  [22].

27Si la croissance observée durant ces dix dernières années continuait au même rythme moyen, le nombre d’étudiants étrangers dans la zone OCDE s’élèverait à 5,1 millions en 2015,6,4 millions en 2020, et 7,6 millions en 2025, pour représenter 12 % des effectifs étudiants dans la zone OCDE (eux-mêmes extrapolés de manière linéaire). Selon des projections fondées sur des hypothèses plus raffinées à l’échelle mondiale  [23], le nombre d’étudiants internationaux pourrait croître de 5,8 % par an dans le monde pour atteindre un effectif de 7,2 millions d’ici 2025 : plus ou moins optimistes, les différents scénarios proposés en termes de croissance économique et démographique dans le monde font osciller le nombre d’étudiants internationaux entre 5,8 et 9 millions en 2025. Cette croissance probable n’implique cependant pas l’absence de changements dans la répartition des étudiants internationaux ou dans les modes d’études à l’étranger. Du côté de la demande, il est probable que de grands pays comme la Chine, l’Inde et bientôt l’Indonésie continueront d’alimenter la croissance de l’internationalisation dans les années à venir, mais celle-ci pourra être limitée par l’expansion de leurs capacités domestiques d’enseignement supérieur et par la croissance d’autres formes d’enseignement supérieur transnational moins coûteuses pour les étudiants. Comme on l’a noté, si la stratégie de renforcement des capacités fonctionne véritablement, le renforcement de la capacité d’accueil et de la qualité des systèmes d’enseignement supérieur des pays émergents devrait en effet diminuer l’intérêt pour les étudiants de ces pays d’aller étudier à l’étranger, du moins pour suivre des cursus entiers : la mobilité étudiante deviendrait alors plus courte et sans doute plus concentrée dans les niveaux post-licence, voire doctoraux, comme c’est souvent le cas pour la mobilité étudiante entre les pays de l’OCDE. En revanche, la mobilité étudiante au niveau mondial continuerait d’augmenter, ces pays devenant de plus en plus attractifs en tant que pays d’accueil au fur et à mesure de leur développement, dans un premier temps pour les étudiants des pays en développement et émergents, ensuite, pour les étudiants des pays industrialisés. Ainsi, il n’est pas exclu que sur le long terme la zone OCDE voie diminuer sa « part de marché » des étudiants internationaux, comme cela a été le cas pour les grands pays d’accueil des étudiants étrangers durant ces dernières décennies.

28Du côté de l’offre, l’internationalisation pourrait ne pas dépasser certaines limites. Prenons l’exemple de l’Australie : le nombre d’étudiants internationaux s’élevait en 2004 à près de 20 % des effectifs étudiants. Indépendamment de la capacité d’accueil de ce pays, il existe peut-être un point au-delà duquel la population deviendra hostile à l’arrivée d’un plus grand nombre d’étudiants étrangers. Et bien que cela puisse déjà arriver au niveau des établissements, serait-il politiquement acceptable qu’un système d’enseignement supérieur, surtout s’il reste public, reçoive 50 % à 70 % d’étudiants étrangers ? Tout dépend du contexte politique des pays, mais la question ne peut être totalement déconnectée de la culture et des débats plus généraux sur l’immigration. Les réactions négatives de la Belgique et de l’Autriche vis-à-vis des étudiants français et allemands qui utilisent la mobilité internationale pour contourner le numerus clausus des disciplines médicales dans leur propre pays constituent des exemples récents de ces limites, de même que les interrogations publiques récurrentes en Australie ou au Canada sur l’impact potentiellement négatif de larges effectifs d’étudiants internationaux sur la qualité de l’enseignement supérieur. Indépendamment de ces considérations politiques, tous les pays ne possèdent pas les mêmes atouts pour accueillir des étudiants étrangers, et pas seulement pour des raisons linguistiques : la taille du marché du travail, le climat, la visibilité mondiale, etc., sont autant de facteurs qui comptent dans le choix d’aller étudier dans un pays plutôt que dans un autre. Cela dit, même en tenant compte de ces limites, la marge de croissance de la mobilité étudiante resterait importante dans les décennies à venir. Et même si l’on fixe arbitrairement la limite d’accueil d’étudiants internationaux à une moyenne de 20 % des effectifs étudiants dans la zone OCDE, on atteindra le nombre de 12 millions d’étudiants internationaux en 2025 (en extrapolant les effectifs étudiants de manière linéaire), soit un niveau bien plus élevé que tous les scénarios évoqués ci-dessus.

29C’est la mobilité des programmes et des établissements qui a connu la plus forte croissance au cours de cette dernière décennie et il ne semble pas qu’elle soit vouée à s’essouffler, alors même qu’elle continue d’être principalement mise en œuvre par les universités (essentiellement publiques) des pays développés anglophones. On peut cependant penser qu’à moyen terme elle continuera de ne représenter qu’une faible proportion de l’enseignement supérieur transnational. Deux limites à l’expansion de cette forme d’enseignement supérieur transnational peuvent en effet être soulignées. Celle de la mobilité des établissements réside dans son coût pour l’établissement étranger. À ce jour, l’enseignement supérieur transnational sous cette forme ne s’est pas révélé très profitable : les bénéfices (connus) des campus étrangers ont été jusqu’à maintenant faibles et les pertes, lorsqu’il y en a eu, importantes. Comme le suggèrent McBurnie et Ziguras  [24], plus qu’à une course au profit, l’ouverture de campus étrangers correspond pour l’instant davantage à une course au prestige. Un nouveau modèle voit cependant le jour : le financement de campus physiques par des investisseurs du pays d’accueil, l’université étrangère se contentant alors de la gestion académique et administrative. Modèle d’autant plus attirant que l’invitation par des gouvernements ou des investisseurs locaux d’établissements étrangers peut parfois être accompagnée d’incitations financières alléchantes, comme au Moyen-Orient. La limite de la mobilité des formations vient à l’inverse de sa facilité relative et de son faible coût, lesquels peuvent mener à des problèmes qualitatifs. L’Afrique du Sud, par exemple, a interdit totalement la délivrance de formations étrangères (sans mobilité des établissements) en raison de la qualité insuffisante des formations en question. Dans le cas des franchises, la qualité des services transnationaux fournis par le partenaire local n’est pas facile à contrôler pour l’établissement d’origine. Comme on peut le constater pour la Malaisie, la mobilité des programmes semble correspondre à une première phase d’expansion au niveau national de l’enseignement supérieur transnational, et répond davantage à une demande quantitative que qualitative. Dans un second temps, les pays importateurs semblent privilégier l’implantation de campus étrangers, car ils marquent un engagement plus fort vis-à-vis de l’enseignement supérieur du pays d’accueil.

30L a dernière question concerne l’évolution des quatre stratégies d’internationalisation que nous avons évoquées. Vont-elles continuer de coexister ou bien une stratégie va-t-elle l’emporter sur les autres ? Tout dépend de la lecture que l’on a de ces stratégies. L’engagement international des établissements dépend de leur positionnement national comme international : certains ont utilisé l’internationalisation de leurs formations comme un moyen de gagner du prestige et de s’élever dans la hiérarchie nationale ou internationale ; d’autres ont vécu ce phénomène comme une pression inévitable pour maintenir leurs positions ; d’autres enfin n’ont eu d’autre choix que de l’ignorer, souvent parce qu’ils ne possédaient pas les atouts suffisants pour un rayonnement international. La perception d’une concurrence internationale pousse les pays à acquérir une visibilité et une reconnaissance d’excellence au niveau international, mais aussi à augmenter leur attractivité pour les étudiants internationaux. D’une certaine manière, la stratégie fondée sur les migrations de personnels qualifiés est une réponse à la stratégie fondée sur la mobilisation de recettes, cette dernière lui étant antérieure. On peut l’interpréter comme un moyen de garder ses « parts de marché » pour des pays, qui, pour des raisons politiques et/ou idéologiques, n’étaient pas prêts à transformer leur secteur d’enseignement supérieur en une industrie commerciale d’exportation. Avec la transformation des systèmes au niveau national, qui va vers une plus grande autonomie des établissements d’enseignement supérieur, et vers une plus grande part de financement privé de l’éducation, la stratégie fondée sur la mobilisation de recettes deviendra peut-être le nouveau paradigme de l’enseignement supérieur transnational. Les accords commerciaux bilatéraux ou multilatéraux pourront alors jouer un plus grand rôle dans l’économie d’un secteur de l’enseignement supérieur libéralisé. Il se peut cependant que les pays anglophones, portés par la force de leur langue, soient les principaux bénéficiaires de cette stratégie, et que la plupart des autres pays industrialisés continuent de privilégier les stratégies fondées sur les migrations de personnels qualifiés ou sur la compréhension mutuelle. Dans les deux cas, coexistence ou convergence, les modes traditionnels de gouvernance et de représentation de soi des secteurs d’enseignement supérieur en sortiront profondément transformés.

Notes

  • [1]
    Jane Knight, « Internationalization Remodeled : Definition, Approaches, and Rationales », Journal of Studies in International Education, 8 (1), 2004, p. 5-31.En ligne
  • [2]
    Ce chiffre, qui comprend toutes les dépenses des étudiants internationaux dans leur pays d’accueil et pas seulement le coût de leurs études, est une mise à jour de l’estimation donnée par Kurt Larsen, John Martin, Rosemary Morris dans « Trade in Educational Services : Trends and Issues », The World Economy, 25 (6), 2002, p. 849-868.En ligne
  • [3]
    Institute for International Education (IIE), Open Doors 2005 : Report on International Educational Exchange, Sewickley, PA, 2005.
  • [4]
    OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), Enseignement supérieur : internationalisation et commerce, Paris, Éditions OCDE, 2004.
  • [5]
    Enseignement supérieur : internationalisation et commerce, op. cit. ; Qualité et reconnaissance des diplômes de l’enseignement supérieur : un défi international, 2004 ; L’enseignement supérieur transnational : un levier pour le développement, 2007.
  • [6]
    Lignes directrices pour des prestations de qualité dans l’enseignement supérieur transfrontalier, 2005 (http :// www. oecd. org/ dataoecd/ 27/ 51/ 35779480. pdf) ; La cyberformation dans l’enseignement supérieur : état des lieux, 2005.
  • [7]
    Sauf indication contraire, les chiffres utilisés dans cette section sont ceux de la base de données de l’Éducation de l’OCDE pour tous les pays membres et non membres qu’elle couvre (cf. OCDE, Regards sur l’éducation 2007, Paris, Éditions OCDE, 2007) et ceux de l’Unesco pour tous les autres pays (cf. UNESCO, Recueil de données mondiales sur l’éducation 2006 : statistiques comparées sur l’éducation dans le monde, 2006). Lorsque les données sont manquantes pour 2005, la dernière année disponible a été reprise comme estimation.
  • [8]
    Cf. UNESCO, Recueil de données mondiales sur l’éducation 2006 : statistiques comparées sur l’éducation dans le monde, op. cit..
  • [9]
    OCDE, Enseignement supérieur : internationalisation et commerce, op. cit..
  • [10]
    Importer des services d’éducation consiste à avoir des étudiants ou des universitaires à l’étranger, ou à recevoir des formations et établissements étrangers à but lucratif dans son pays ; exporter des services d’éducation consiste à recevoir des étudiants et universitaires internationaux dans son pays, ou encore à donner des formations et à implanter des établissements nationaux à l’étranger selon des arrangement commerciaux.
  • [11]
    OCDE, Enseignement supérieur : internationalisation et commerce, op. cit., et Regards sur l’éducation 2006, op. cit..
  • [12]
    John Bound, Sarah Turner, Patrick Walsh, « Internationalization of U.S. Doctorate Education », National Bureau of Economic Research (NBER), 2006, mimeo.
  • [13]
    . OCDE, La cyberformation dans l’enseignement supérieur : état des lieux, op. cit..
  • [14]
    Ulrich Teichler (ed.), Erasmus in the Socrates Programme : Findings of an Evaluation Study, ACA Papers on International Cooperation in Education, Bonn, Lemmens Verlags, 2002.
  • [15]
    Grant McBurnie, Christopher Ziguras, Transnational Education : Issues and Trends in Offshore Education, Londres, Routledge, 2007.
  • [16]
    Observatory on Borderless Higher Education, Breaking News, 27 juin 2005.
  • [17]
    Brigitte Suter, Michael Jandl, Comparative Study on Policies towards Foreign Graduates : Study on Admission and Retention Policies towards Foreign Students in Industrialised Countries, Vienne, International Centre for Migration Policy Development (ICMPD), 2006 (http :// www. icmpd. org/ ).
  • [18]
    Jeroen Huisman, Marijk van der Wende (eds), On Cooperation and Competition : National and European Policies for the Internationalisation of Higher Education, Bonn, Lemmens Verlags, 2004 ; et On Cooperation and Competition II : Institutional Responses to Internationalisation, Europeanisation and Globalisation, Bonn, Lemmens Verlags, 2005.
  • [19]
    Pour une présentation de l’AGCS et de ses enjeux pour l’éducation, voir OCDE, Enseignement supérieur : internationalisation et commerce, op. cit., et L’enseignement supérieur transnational : un levier pour le développement, op. cit..
  • [20]
    OCDE, L’enseignement supérieur transnational : un levier pour le développement, op. cit. ; Stéphan Vincent-Lancrin, « Building Capacity through Cross-border Tertiary Education », Londres, Observatory on Borderless Higher Education, 2005 (http :// www. oecd. org/ dataoecd/ 43/ 25/ 33784331. pdf) ; Robin Middlehurst, Steve Woodfield, « The Role of Transnational, Private and For-Profit Provision in Meeting Global Demand for Tertiary Education : Mapping, Regulation and Impact », Report for UNESCO and the Commonwealth of Learning, 2004 ; K. Larsen, S. Vincent-Lancrin, « Le commerce des services d’éducation : est-il bon ? est-il méchant ? », Politiques et gestion de l’enseignement supérieur, 14 (3), 2002, p. 9-45.
  • [21]
    S. Vincent-Lancrin, « What is Changing in Academic Research ? Trends and Futures Scenarios », European Journal of Education, 41 (2), 2006, p. 169-202 ; S. Vincent-Lancrin, K. Larsen, « L’enseignement supérieur transnational. Trois scénarios contrastés », Futuribles, 333,2007, p. 67-88.En ligne
  • [22]
    Jamil Salmi, Alenoush Saroyan, « League Tables as Policy Instruments : Uses and Misuses », mimeo, 2006.
  • [23]
    Anthony Böhm, Dorothy Davis, Denis Meares, David Pearce, Global Student Mobility 2025, Sydney, IDP Education Australia, 2002.
  • [24]
    G. McBurnie, C. Ziguras, Transnational Education : Issues and Trends in Offshore Education, op. cit..
Stéphan Vincent-Lancrin
analyste au Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement (CERI), division de la Direction de l’Éducation de l’OCDE. Après avoir travaillé sur l’internationalisation, le commerce et la cyberformation dans l’enseignement supérieur, il dirige actuellement le projet de l’OCDE sur l’avenir de l’enseignement supérieur, dont les travaux seront prochainement publiés aux Éditions de l’OCDE (L’enseignement supérieur en 2030). Il a également dirigé la publication de L’enseignement supérieur transnational : un levier pour le développement (2007) et codirigé, avec Kurt Larsen, Enseignement supérieur : internationalisation et commerce (2004). Les analyses et opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de l’OCDE et de ses pays membres.
Stephan. Vincent-Lancrin@oecd.org.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 26/06/2008
https://doi.org/10.3917/crii.039.0067
Pour citer cet article
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