CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1jusqu’à une période relativement récente, l’économie sociale de marché allemande était érigée en modèle alliant de bonnes performances économiques, une culture de négociation entre parte~naires sociaux et un État social développé  [1]. Les difficultés économiques de la première moitié des années 1990, liées à l’Unification, et leurs prolongements au début du XXIe siècle ont cependant entraîné une profonde remise en ques~tion de ce « modèle allemand » et de sa capacité à s’adapter aux défis de la mon~dialisation. Le débat s’est cristallisé autour des réformes du marché du travail et de la protection sociale, dont certaines sont entrées en vigueur avec les lois Hartz  [2] et d’autres sont encore en discussion. Ces réformes, qui se donnent pour objectifs la compétitivité économique et la lutte contre le chômage struc~turel, traduisent plus fondamentalement la quête d’un nouvel équilibre entre le politique, l’économique et le social. Elles sont en effet alimentées par une criti~que de l’État social dont la pesanteur est dénoncée comme une source de diffi~cultés économiques et de passivité citoyenne. En lieu et place est promu un « État activant » (aktivierenden Staat) qui doit libérer l’initiative individuelle en s’appuyant sur les vertus de la société civile (zivile Bürgergesellschaft) et sur ses capacités d’auto-organisation  [3].

2Le renouveau de la thématique de la société civile en Allemagne n’est pas seu~lement intellectuel, à des fins de description et d’analyse des transformations en cours ; il est aussi politique, et use en cela de la portée critique et subversive du concept. Les oppositions dichotomiques qu’il véhicule entre le nouveau et l’ancien, les relations horizontales et verticales, l’autonomie et la dépendance, vont de pair avec une dénonciation de l’hégémonie capitaliste, du trop d’État et de la fragmentation sociale. Dans un contexte de mondialisation de l’économie où les arguments de pluralité, de flexibilité et de mobilité alimentent la critique des institutions fondées sur des principes d’équivalence génériques  [4], le concept de société civile fait valoir une légitimité fondée sur la pluralité et l’égale parti~cipation de tous plutôt que sur la représentation et la délégation. Cette légiti~mité s’appuie sur une critique des structures bureaucratiques, portée à la fois par les tenants du néolibéralisme et par ceux de la « deuxième » gauche dans une constellation improbable qui entoure la notion d’un large consensus.

3Ce n’est pas le moindre des paradoxes que la société civile soit aujourd’hui convoquée pour répondre aux défaillances de l’organisation sociale établie à partir de la fin du XIXe siècle sous l’égide de ce que Peter Wagner a appelé la « modernité organisée »  [5], alors même que cette dernière a été édifiée pour lever les incertitudes d’une conception du collectif portée par la société civile. Pour élucider ce paradoxe, il convient de revenir sur la période du Kaiserreich (l’Empire, 1871-1918), qui a connu la constitution des principales institutions de l’État social et l’éviction conjointe de la société civile comme principe d’ordonnancement du collectif. Cette enquête historique permet d’éclairer les enjeux du retour actuel de la société civile dans le discours politique ; elle rappelle que cette notion n’est pas une nouveauté et que sa redécouverte contemporaine procède, en partie, de la réouverture de la boîte noire de la fabrique collective, refermée pour un temps sur les solu~tions trouvées dans le cadre de l’État social.

4En d’autres termes, nous ne procéderons pas dans cet article à une analyse des difficultés du modèle social allemand et des multiples paramètres qui concou~rent à sa réforme  [6]. Mais nous développerons une réflexion sur la reconfigura~tion du collectif à partir d’une analyse croisée de la constitution des institutions de protection sociale il y a un siècle et de leur réforme contemporaine, en accordant une attention particulière au rôle du concept de société civile durant ces deux périodes : son expulsion du champ politique à la fin du XIXe siècle au profit d’une institutionnalisation étatique et territoriale du collectif ; sa réintro~duction aujourd’hui comme levier critique de cette dernière. De manière encore plus restrictive, notre analyse ne portera pas sur les expressions concrè~tes de la société civile, mais sur les formes de son activation dans le discours politique et scientifique. En prenant la question du chômage comme point d’appui empirique, nous étudierons le sens de cette activation et son impact sur la conception du social, notamment en termes de distribution des responsabili~tés. Alors que la société civile est convoquée comme un moyen de réenchanter la participation citoyenne et de sauver le modèle social allemand en l’adaptant aux exigences de la concurrence internationale, nous interrogerons sa portée critique et sa capacité à produire des alternatives viables.

5Notre analyse partira d’une définition idéale-typique de trois logiques de mise en équivalence des individus qui se sont constituées au cours des XVIIIe et XIXe siècles et qui restent aujourd’hui, sous des formes diverses, les manières dominantes de penser et de construire des identités et des intérêts collectifs : le civique, le civil et le social. Dans une deuxième partie, nous examinerons l’expan~sion sous le Kaiserreich de la logique sociale au détriment de la logique civile, sous la forme d’une « société organisée » autour du travail et d’institutions étatiques assurant sa régulation. Dans une troisième partie, nous analyserons la réintroduc~tion contemporaine du concept de société civile dans la réforme des institutions du marché du travail. Alors que la dimension normative du concept se révèle d’une efficacité redoutable dans la critique des rapports sociaux institués il y a plus d’un siècle, nous nous pencherons dans une dernière partie sur les condi~tions de viabilité des alternatives susceptibles d’en découler, en soulignant les points aveugles des usages politiques de cet idéal critique et participatif.

Civique, civil et social : trois formes d’articulation de l’individuel et du collectif

6Le concept de société civile, né au XVIIe siècle dans un contexte d’absolu~tisme et d’affirmation d’une bourgeoisie commerçante et industrielle, a dominé la manière de penser les liens entre l’individuel, le politique et l’éco~nomique pendant la première moitié du XIXe siècle  [7]. Mais, en Allemagne comme dans le reste de l’Europe, une série de transformations radicales – telles l’extension du suffrage, la montée du salariat, l’urbanisation, les révo~lutions technologiques dans le commerce, la communication et les transports – a provoqué une crise d’intelligibilité et ouvert un espace inter~prétatif qui a stimulé le développement des sciences sociales et de nouvelles conceptions du collectif  [8]. Ainsi à partir du milieu du XIXe siècle, les proposi~tions théoriques pour penser le collectif se diversifient, tout en s’articulant autour de trois unités d’analyse : l’individuel, le politique et, ce qui peu à peu s’affirme comme un espace intermédiaire gouverné par des logiques propres, la société  [9]. Si la catégorie du « social » ainsi forgée au XIXe siècle rend compte des liens nouveaux entre les individus, tout en contribuant à les façonner, le concept de « société » n’en est pas moins traversé par une ten~sion constitutive entre l’unité d’un groupe humain sur un territoire, la société nationale appréhendée comme un tout, et les différents éléments qui la com~posent (individus, groupes, associations, institutions, etc.)  [10]. Les problémati~sations contemporaines sont construites sur la grammaire produite au XIXe siècle par cette tension.

7De manière heuristique, on peut identifier trois manières d’articuler l’indivi~duel et le collectif, comme autant de réponses apportées depuis la fin du XVIIIe siècle aux conséquences des révolutions politiques et industrielles. Aux côtés de la « société civile », nous distinguerons, d’une part, la « société civique » consolidée dans la première moitié du XIXe siècle sur la base de l’octroi de droits politiques, d’autre part, ce que l’on pourrait appeler une « société sociale », si l’expression ne relevait du pléonasme, constituée à partir de 1848 autour de la question sociale  [11]. Loin d’être exclusifs, ces trois modes, qui continuent à structurer les cadres interprétatifs et normatifs con~temporains, se combinent de manière diversifiée selon les contextes et les conjonctures historiques. Cette distinction heuristique ne vise donc pas à faire nôtre une théorie évolutionniste de la citoyenneté qui verrait se succé~der la proclamation de droits civils au XVIIIe siècle, de droits politiques au XIXe et de droits sociaux au XXe , telle qu’elle a pu être formulée par Thomas H. Marshall  [12]. Un tel modèle est d’autant plus problématique pour l’Allemagne que les assurances bismarckiennes ont octroyé des droits sociaux aux ouvriers avant que ne soit instauré un réel suffrage démocratique  [13].

L’articulation ambiguë entre la société civile et le politique

8La société civile, telle qu’elle a été théorisée au XVIIIe siècle, désigne un espace intermédiaire entre l’individu et l’autorité politique susceptible de donner corps à une modernité politique comme alternative à l’absolutisme. L’espace ainsi désigné garantit le respect du privé, de la liberté d’entrepren~dre et de la pluralité des opinions. Il est porteur de l’utopie d’un monde social pacifié construit sur deux piliers : la publicité, la confrontation libre, ration~nelle et publique des opinions, d’un côté  [14], la pacification des mœurs par la poursuite des intérêts économiques, de l’autre  [15]. La constitution de cet espace autonome repose sur la responsabilité individuelle et l’auto~organisa~tion des relations sociales en marge de l’État. C’est cette dimension qui a été reprise par les intellectuels dissidents des pays de l’Est dans les années 1970 et 1980, puis mobilisée dans les démocraties représentatives à l’appui d’une critique de l’État social. La valorisation contemporaine des dimensions déli~bératives et participatives a par ailleurs conduit aujourd’hui à exclure les acteurs économiques du périmètre de la société civile, contrairement à sa théorisation initiale au XVIIIe siècle  [16]. Centrées autour d’une double critique de l’État bureaucratique et du capitalisme mondialisé, la plupart des accep~tions contemporaines de la société civile excluent ainsi les syndicats de sala~riés, les organisations patronales, les partis ou les clubs politiques, des acteurs collectifs la composant  [17].

9Cette exclusion des organisations « représentatives » fait écho à une tension plus ancienne entre participation et représentation, entre logique civile et civique. Depuis la Révolution française, le concept de « société civique » construit le col~lectif par référence à un espace politique. L’assignation des identités y est princi~palement fonction de la capacité politique, déterminée, jusqu’à l’avènement du suffrage universel en Allemagne en 1919, par le sexe et le statut de propriétaire. La société civique est ainsi étroitement liée à la figure du citoyen, faisant de la loi du nombre et de la représentation des principes essentiels de légitimation  [18]. Si le postulat de la norme égalitaire « un homme, une voix » n’est pas incompatible dans la théorie politique libérale avec une hiérarchie des droits ? tel que le stipule par exemple le Dreiklassen Wahlrecht (vote censitaire) en vigueur en Allemagne jusqu’en 1919 ?, le problème de l’intégration de la classe ouvrière dans la com~munauté nationale a transformé la manière de penser la citoyenneté. Cette nou~velle donne civique a eu des conséquences sur la terminologie utilisée pour dési~gner la société civile. De la Zivilgesellschaft (société civile) et de la Bürgergesellschaft (société des citoyens), qui avaient cours au début du XIXe siècle et dans lesquelles Bürger était positivement connoté dans le sens de citoyen « générique », on passe, sous l’influence de Hegel et de Marx, à la bürgerliche Gesellschaft, qui associe désormais la société civile à la seule bourgeoisie  [19]. Ce glissement signifie que la bürgerliche Gesellschaft ne représente plus qu’une partie d’un ensemble social plus large, ce qui a pour conséquence de vider le concept de son contenu utopique, égalitaire et universaliste. Un tel alignement du collectif généré par la société civile sur celui de la société civique a donné prise à une double critique du libéra~lisme civique et civil ; critique fondée sur le constat du décalage entre l’universa~lité des principes et la participation effective à l’espace publique réservée à une élite bourgeoise.

10Ce débat sur l’articulation entre les instances de représentation politique en voie de consolidation et les formes de participation s’enracinant dans le « civil » s’est focalisé sur la question de la traduction et de l’institutionnalisa~tion des flux délibératifs dans le processus décisionnel. L’identification de l’arène parlementaire comme lieu de confrontation et d’échange des opinions permettant de reconstruire l’unité à partir de la diversité préfigure et accom~pagne l’émergence d’un raisonnement statistique et sociologique visant à éta~blir le lien entre la libre construction des opinions et sa traduction dans l’enceinte parlementaire  [20]. Cette interrogation sur les modalités pratiques de l’expression des opinions et leur double enracinement dans les institutions politiques et sociales était au cœur de la remise en cause philosophique et empirique de la société civile à la fin du XIXe siècle en Allemagne. La même question rejaillit aujourd’hui, sous une forme différente, dans la critique des normes et du fonctionnement des institutions représentatives, aussi bien dans le domaine politique qu’économique.

L’institutionnalisation du social comme alternative à la modernité libérale

11À la fin du XIXe siècle, le concept de société s’est progressivement substitué à celui de société civile, tandis que la « modernité libérale » a cédé le pas à une « modernité organisée » pour reprendre la terminologie de P. Wagner  [21]. L’instauration de la « modernité organisée » se confond, entre les années 1890 et 1960, avec la consolidation de l’État-nation comme forme de struc~turation du politique et cadre d’organisation de la société. Son histoire est celle d’un mouvement de standardisation et de codification de grande ampleur visant à réduire l’incertitude. Elle est aussi celle d’une institutionna~lisation des rapports sociaux autour des étalons que sont la classe et la nation ; institutionnalisation qui, par-delà l’arène parlementaire, doit contribuer à remédier aux tensions entre participation et représentation.

12La société qui s’ébauche ainsi fait des collectifs socialement organisés des espa~ces de médiation entre l’individuel et le politique. Au lieu d’être pensée en termes d’autonomie vis-à-vis de l’économie ou de l’État, la société « sociale » se définit par un ensemble de relations verticales, de superpositions d’identités et de collectifs, de catégories d’équivalence entre individus, indexées sur la position de ces derniers dans la division du travail. Cette conception s’affirme à partir du milieu du XIXe siècle, lorsque le décalage entre les normes légitima~trices du « civique » et du « civil » et la réalité nouvelle et menaçante de la question sociale devient patent. De ce point de vue, la « modernité organisée » prolonge la logique civique tout en innovant de manière radicale par la création d’une nouvelle forme de propriété accessible à tous, la propriété collective incarnée par l’État social  [22]. Si les réformes bismarckiennes visaient à prendre de court les syndicats et les sociaux-démocrates, l’octroi, sous la forme des assu~rances ouvrières, d’une propriété collective aux salariés a paradoxalement doté ces derniers des supports et d’une légitimité leur permettant de revendiquer un accès à la scène politique  [23]. L’intégration politique et économique des salariés, en particulier de la classe ouvrière, a cependant été fortement encadrée par un découpage de l’espace social en organisations à vocation représentative et par une division territoriale calquée sur les frontières politico-administratives de l’organisation civique. De cette dernière, la modernité organisée a également emprunté la force légitimatrice du nombre, tout en élargissant son champ d’application. Désormais, la légitimité du nombre n’est plus seulement dérivée de la délibération rationnelle entre une multitude d’acteurs individuels ou leurs représentants élus, mais aussi de la capacité d’organisations à s’imposer comme porte-parole légitimes des intérêts d’un groupe dans une arène publique.

13Si la démarche idéale-typique comporte toujours le risque d’introduire une philosophie de l’histoire ? qu’il s’agisse de la variante linéaire ou de la variante cyclique souvent présente dans les discours sur le « retour » de la société civile ?, la comparaison diachronique centrée sur un objet empirique constitue un garde-fou qui permet de repérer non seulement les différences et les similitudes, mais aussi les emprunts et les circulations d’un paradigme à un autre, d’une période à une autre. C’est en étudiant les réponses apportées à la question du travail dans la configuration particulière du Kaiserreich et les formes d’organisation sociale auxquelles elles ont donné lieu que nous tente~rons d’éclairer les enjeux de la mobilisation du concept de société civile dans leur remise en question actuelle.

La société entre l’État et le marché

14Comment, et en quoi, de nouvelles solutions ont-elles contribué, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, à dépasser l’impasse civique de la participa~tion politique par d’autres voies que celle de la société civile ? L’histoire du Kaiserreich, édifié en 1871, a été marquée par un ensemble de transformations profondes. L’unification nationale a été un processus de longue haleine, scandé par la constitution de collectifs inédits, fondés sur de nouveaux prin~cipes de mise en équivalence et d’identification des individus  [24]. Dans un con~texte de développement capitaliste, industriel et urbain, marqué par le spectre de la révolution de 1848, le nouvel État se trouve au défi d’inventer des formes de structuration du collectif adaptées à la nouvelle donne territoriale et économique. Retisser les liens entre l’individu et le collectif dont les formes établies, en particulier la topographie sociale basée sur les corpora~tions de métiers, se trouvent affectées par la rapidité des évolutions économi~ques est l’un des enjeux centraux de la fondation sociale du Reich. Le glisse~ment de la Bürgergesellschaft (société civile) à la bürgerliche Gesellschaft (société bourgeoise) et l’émergence du salariat ont stimulé la recherche de nouvelles manières de penser et d’articuler le social, l’économique et le politique. Les travaux du Verein für Socialpolitik (Association pour la politique sociale) sont révélateurs de cette transformation conjointe des représentations et des modes d’action.

15Créée en 1873, cette association s’est donné pour mission l’unification sociale du Reich et l’intégration de la nouvelle classe ouvrière en développant une conception sociale du collectif centrée sur le travail. Favoriser le traitement du clivage qui oppose les patrons aux ouvriers, les propriétaires aux classes démunies, tel est le programme du Verein qui cherche à promouvoir une stra~tégie réformatrice comme alternative aussi bien au libéralisme de l’École de Manchester qu’au marxisme  [25]. Universitaires, fonctionnaires, élus, entrepre~neurs et réformateurs sociaux s’y côtoient dans une même volonté : fonder scientifiquement l’interventionnisme social  [26]. Cette rencontre entre préoc~cupations savantes et administratives fait du social à la fois le fondement poli~tique du collectif et la forme pratique d’organisation de la société. L’opéra~tionnalisation de cette conception s’appuie sur des procédures de codification et de formalisation étayées par une technologie statistique et probabiliste du nombre.

Assurances ouvrières et paritarisme : les ressorts de la socialisation et de la délégation

16Le travail devient ainsi sous le Kaiserreich le point nodal de l’organisation de la société  [27]. En tant que participation au bien commun, il est codifié en vecteur d’appartenance individuelle au collectif, dont il assure la cohésion à travers la définition de droits et de devoirs. Il permet de reformuler la question de l’inté~gration des ouvriers en contournant l’impasse d’un système électoral canton~nant leur participation politique à la portion congrue.

17En effet, le Reichstag est élu au suffrage universel masculin direct. Mais le mode de scrutin majoritaire et le découpage des circonscriptions électorales suscitent d’importantes inégalités dans la répartition des mandats, au détri~ment de la représentation sociale-démocrate, alors que la limitation des pouvoirs du Reichstag pare à toute emprise éventuelle des élus ouvriers sur la politique de l’Empire. Au sein des États membres, le droit électoral est encore plus défavorable aux ouvriers. Chaque État promulgue ses propres règles, mais, à l’exception de l’Alsace-Lorraine, le droit de suffrage est par~tout limité, pour l’élection des diètes des États (Landtage) comme pour celle des conseils municipaux. Subordonné au paiement de l’impôt, il peut être assorti d’un minimum censitaire ou de l’achat des droits d’électeur. De plus, dans de nombreux États, ce droit limité est modulé en fonction du montant de l’impôt (Dreiklassenwahlrecht).

18Indésirable sur la scène politique, la participation ouvrière est canalisée par la fabrication de collectifs placés sous le signe de l’auto-administration (Selbstve~rwaltung). Les assurances ouvrières promues par Bismarck en sont une expression. Elles illustrent l’étroite imbrication, constitutive de la société qu’elles contribuent à instaurer, entre enjeux sociaux et politiques. L'ordre social tel qu’il est engendré par les assurances ouvrières est déterminé par l’objectif d’intégration de la population ouvrière et s’appuie sur une forme spécifique de coordination entre l'État et la société, entre les employeurs et les salariés. Cette coordination s’opère autour de la notion de risque, selon les principes du paritarisme et de la Selbstverwaltung.

19Par le biais de sa régulation sociale, le travail devient un médiateur entre l’économique et le politique. Cette médiation passe par l’auto-administration des caisses d’assurance, mais également par le développement à la même époque de relations professionnelles paritaires dans le cadre des conventions collectives. Encadrés par l’État et déterminés par des appartenances profes~sionnelles, voire corporatistes, le paritarisme et la Selbstverwaltung déclinent la participation sur le mode de la représentation et de la délégation. Ils cons~tituent les ferments d’une démocratie sociale qui se substitue à l’ancienne grammaire de la société civile dans laquelle prévalaient des formes de partici~pation plus directes, mais aussi plus élitistes et inégalitaires dans leurs expres~sions concrètes.

20La notion de risque constitue une autre pièce maîtresse de l’organisation sociale qui se met en place sous le Kaiserreich, et ce à deux titres au moins. Pre~mièrement, l’idée d’un partage du risque consacre la reconnaissance politique d’une responsabilité collective étendue là où régnait jusqu’alors le primat de la faute et de la responsabilité individuelle en cas d’incapacité ou de perte de tra~vail  [28]. Tel qu’il est construit par les assurances ouvrières, le risque procède d’un double principe d’association des individus : à la fois territorial et profes~sionnel, de l’échelle locale à l’échelle nationale. Il induit une « reterritorialisation du lien social »  [29] autour de la définition de communautés à géométrie variable qu’il s’agisse de l’invalidité, de la maladie, de l’accident, de la vieillesse ou du chômage. Deuxièmement, les techniques statistiques de mise en équivalence sur lesquelles s’appuient les caisses contribuent à réduire la pluralité du monde social en instituant un nombre limité de critères d’iden~tification des personnes et ainsi à forger la figure d’un individu générique comme étalon des catégories d’intervention sociale. En ce qu’elle produit les principes de généralité nécessaires à l’action publique, la construction statisti~que du malade, de l’invalide, du chômeur, opérée indépendamment de la sin~gularité des situations individuelles, constitue même une des conditions de l’exercice de la responsabilité collective qui caractérise la « modernité organisée ».

21Ces nouvelles catégories pour penser et organiser la société sont conçues comme des voies privilégiées d’intégration des citoyens dans la communauté nationale. D’un point de vue politique, elles donnent une assise aux formes institutionnelles de la représentation et de la médiation ; d’un point de vue social, elles instituent le principe d’une propriété sociale garantissant sécurité et reconnaissance à tous ceux qui ne jouissent pas de la rente de la propriété privée. À travers sa codification juridique, le travail devient une propriété sociale, véritable substitut dans la société salariale à la propriété indivi~duelle  [30]. L’histoire de la modernité organisée se confond par conséquent en Allemagne avec celle de la société salariale, avec « la déconnexion au moins partielle de la sécurité et de la propriété et [le] subtil couplage de la sécurité et du travail »  [31]. Le social s’y apparente à un ordre collectif historiquement produit autour du travail salarié et codifié par un ensemble de droits et de devoirs attachés au salariat et garantis par l’État.

Intervention étatique et activité associative : deux logiques complémentaires

22Les impulsions en faveur de la régulation sociale ne viennent pas toutes des instances politiques centrales, loin s’en faut. Nombre d’entre elles provien~nent d’associations aussi diverses que le Verein für Socialpolitik, la Gesellschaft für Sozialreform (Société pour la réforme sociale), le Verband Deutscher Städ~testatistiker (Union des statisticiens urbains), le Verband Deutscher Arbeitsna~chweis (Union des associations de placement), le Städtetag (Association des maires) ou encore les organisations syndicales, dont le tissu constitue un véri~table réseau réformateur. De fait, le processus d’organisation de la société encadré par l’État coexiste avec un processus local de structuration du social par le biais de caisses ouvrières ou municipales, d’organisations syndicales et professionnelles ou encore d’associations dédiées à la question sociale. Cependant, si le mouvement associatif et les formes d’auto-organisation de la société sont extrêmement vivaces sous le Kaiserreich[32], leur action, même lorsqu’elle est critique, se définit en lien étroit avec le problème de la structu~ration de l’État. Les associations mobilisent les mêmes techniques statistiques et représentatives de constitution du social que les acteurs étatiques, y com~pris lorsqu’il s’agit de défendre des projets alternatifs  [33] et, à ce titre, elles se départissent, elles aussi, de la grammaire de la société civile. Elles ne se pen~sent pas en termes de société civile, pas plus qu’elles ne sont identifiées comme telles par les observateurs de l’époque. Elles procèdent d’une autre logique, celle de la quête d’un accès à la scène politique et à l’État, afin d’y défendre et d’y inscrire leurs revendications.

23Si un vif débat oppose les tenants d’un traitement étatique de la question sociale – la Staatshilfe prônée par les conservateurs – aux défenseurs de l’auto~organisation de la société à différents niveaux – la Selbsthilfe des libéraux et de certaines organisations ouvrières –, celui-ci ne porte pas tant sur la légitimité de l’intervention étatique que sur son objet et sa délimitation. Même les défenseurs de la Selbsthilfe en appellent à l’intervention de l’État pour instau~rer des lois cadres, mais aussi exercer des fonctions d’arbitrage et de concilia~tion. Ainsi, même du côté des tenants du libéralisme ou de l’auto~organisa~tion de la société, l’État est mobilisé en tant que garant d’un certain nombre de droits élémentaires ? liberté d’association, droit de grève, droit autorisant les municipalités à créer des caisses d’assurance chômage obligatoires par exemple. Sous le Kaiserreich, l’État est conçu, y compris par ceux qui veulent en limiter le rôle, comme un médiateur, voire comme un arbitre dans le pro~cessus d’organisation collective.

24Encouragées par certains penseurs allemands de l'État, les associations sont en effet théorisées dans une relation de complémentarité et non d'opposition à l'État. Elles sont envisagées comme des lieux d'entraide et d'auto-organisation et constituent dans la conception libérale de Robert von Mohl et de Lorenz von Stein des intermédiaires nécessaires entre l'individu et l'État, des espaces d'autorégulation sociale susceptibles de désamorcer la lutte des classes  [34]. Ayant vocation à confronter les expériences vécues dans une relation de proxi~mité, elles doivent contribuer, par le dialogue et la concertation, à neutraliser les tensions qui menacent la cohésion sociale. Au cœur de la théorisation de l'État allemand et de sa subsidiarité, les associations jouent un rôle important sous le Kaiserreich dans la structuration du débat public, même si elles souf~frent, en règle générale, d’un manque d’accessibilité aux instances de décision du Reich  [35]. Certes, l’institutionnalisation de groupes d’intérêt représentatifs sous la République de Weimar puis sous la RFA apporte une solution à ce pro~blème d’accessibilité, mais, pour le reste, les principes d’autonomie des parte~naires sociaux et d’arbitrage par les pouvoirs publics, principes caractéristiques du modèle néocorporatiste de la RFA, sont un héritage du Kaiserreich.

25La « modernité organisée » est ainsi marquée par un processus conjoint de constitution du social – comme espace collectif publiquement régulé par des catégories dotées d’un fort degré de généralité – et de constitution du politi~que – comme lieu possible de médiation des conflits sociaux par le biais de la délégation et la représentation. C’est cette constitution croisée du social et du politique qui est aujourd’hui remise en cause par la résurgence d’une gram~maire de la société civile. À l’encontre du clivage entre État et société, impli~citement véhiculé par les usages contemporains de la notion de société civile, la rétrospective historique appelle une approche moins dichotomique, inté~grant une pluralité de configurations relationnelles entre ces deux sphères. Elle invite à appréhender l’État comme une catégorie particulière de la coo~pération humaine, un type spécifique de relation sociale et de coordination de l’action  [36], mettant en lumière la fluidité des frontières et les formes d’encas~trement entre l’État et la société.

26L’opposition entre l’État et la société véhiculée par les usages politiques contemporains du concept de société civile a suscité une réécriture de l’histoire sociale sur au moins deux points. Premièrement, elle fait implici~tement du « social » une construction opérant à l’insu du « civil » et éta~blit ainsi un jeu à somme nulle où tout renforcement des prérogatives des pouvoirs publics signifie un affaiblissement de l’autonomie de la société civile et inversement. Deuxièmement, elle impute aux institutions sociales la responsabilité d’une passivité citoyenne, allant jusqu’à faire des mesures initialement dédiées à la protection sociale des salariés une source de dys~fonctionnement politique et de déstructuration collective. C’est sur une telle réécriture de l’histoire, démentie par une réalité historique beaucoup plus complexe et nuancée comme nous venons de le montrer, que s’appuient aujourd’hui en Allemagne les usages politiques du paradigme de la société civile à des fins de réforme sociale. Au nom de la liberté indivi~duelle, la référence à la société civile permet de renouer avec les vertus de la responsabilité individuelle que la problématique des risques sociaux et de la responsabilité collective au principe de l’État social visait à dépasser.

Redynamiser la société par la liberté d’entreprendre : l’appel à la société civile

27La critique du modèle social allemand, qui est à l’origine des réformes Hartz et de l’Agenda 2010, s’articule autour d’un ensemble de constats que l’on peut synthétiser en trois arguments principaux. Tout d’abord, le modèle allemand se caractériserait par un coût du travail trop élevé pour les finances publiques et la compétitivité des entreprises soumise à une concurrence internationale accrue. C’est sans doute là un point essentiel, mais nous centrerons l’analyse sur les deux autres dimensions qui, par-delà le motif financier, mettent en cause les fondements même du modèle social allemand. D’une part, les caté~gories et institutions sociales n’assureraient plus leur mission intégrative, mais seraient au contraire devenues des facteurs d’exclusion ; d’autre part, l’intervention de l’État serait devenue sclérosante, étouffant les ressources de la société allemande et décourageant la prise de responsabilité individuelle  [37]. Ces critiques mobilisent la société civile (Zivilgesellschaft[38] ) à la fois comme contre-modèle et comme principe de justification de réformes réduisant la voilure de l’État social. La responsabilisation croissante des salariés quant à leur emploi et leur employabilité, de même que la réduction des prestations sociales et des protections se trouvent ainsi, au nom d’un redéploiement du paradigme de la société civile, valorisées comme un gain de liberté indivi~duelle et l’expression d’une nouvelle forme d’engagement citoyen.

L’érosion des catégories sociales

28Le « Pacte pour l’emploi, la formation et la compétitivité », lancé en 1998 par le gouvernement Schröder afin de réformer la politique du marché du travail, combinait le principe de « l’action concertée », associant l’État, les organisations patronales et syndicales, avec celui de l’expertise scientifique. Censée éclairer les membres du pacte et favoriser le consensus en apportant une issue « scientifique » aux conflits d’intérêt, l’expertise fut confiée à cinq spécialistes du marché du travail réunis au sein d’un groupe de benchmarking. On compte parmi eux deux sociologues – Wolfgang Streeck, directeur de l'Institut Max Planck für Gesellschaftforschung, et Rolf G. Heinze, profes~seur à l’Université de Bochum –, un politiste – Guenther Schmid, directeur de recherche au Wissenschaftszentrum Berlin, qui a été également membre de la Commission Hartz –, une juriste – Heide Pfarr, directrice de l’Institut syndical de recherche (WSI) – et un économiste – Gerhard Fels, directeur de l’Institut patronal de recherche (IDW). Nous nous appuierons plus particu~lièrement sur les analyses développées par les trois premiers, qui incarnent, de par leur position dans le monde académique, un certain idéal scientifique. Heinze et Streeck ont largement contribué à diffuser le diagnostic de l’ina~daptation du modèle allemand aux nouvelles contraintes économiques  [39]. Ils partent du constat de transformations en profondeur des formes de l’emploi, induites par les exigences de compétitivité et de flexibilité. À l’emploi à durée indéterminée, à temps plein et à heures fixes, s’est substituée une multiplicité de statuts et de formes intermédiaires qui satisfont mal aux conditions qui régissent l’accès à la protection sociale et à la sécurisation des trajectoires individuelles. Critiques de gauche de l’État social, Heinze et Streeck dénon~cent « les relations de travail de luxe, qui assurent certes un haut degré de sécurité et d’équité à une part décroissante de la population, mais dont la défense creuse un fossé grandissant avec une population montante de chô~meurs, préretraités, travailleurs à temps partiel ou à durée déterminée, de femmes, de jeunes et de vieux qui se trouvent dans une situation d’insécurité économique et sociale croissante »  [40].

29Le modèle social allemand aurait ainsi perdu sa vocation intégrative. Initiale~ment « inclusives », les catégories sociales seraient devenues « exclusives » et discriminantes, créant « une société à deux vitesses »  [41]. Jusque-là, il s’agit d’un diagnostic largement partagé en Allemagne. Mais là où d’aucuns cher~chent à limiter les emplois dits atypiques et la discontinuité des trajectoires professionnelles afin de préserver la capacité de régulation des institutions établies, Heinze et Streeck proposent à l’inverse d’adapter ces dernières à la nouvelle donne économique. Ils préconisent non seulement une politique active de l’emploi, mais aussi un changement des mentalités allant dans le sens d’une responsabilisation des salariés et des chômeurs  [42]. Ces revendica~tions s’appuient sur les concepts d’« État activant » et de « société civile » qu’ils placent au fondement d’une « nouvelle constitution sociale », dans laquelle le rôle des partenaires sociaux se verrait également modifié.

30Ainsi les transformations économiques ont-elles contribué, comme un siècle auparavant, à affaiblir la capacité structurante des catégories instituées : les corporations au XIXe siècle, les professions et les classes sociales à la fin du XXe. Mais là où les réformateurs de la fin du XIXe siècle ont inventé de nou~velles catégories sociales dédiées à la prise en charge collective des risques liés au salariat, le courant dominant des réformateurs contemporains ne voit d’autre issue qu’un redéploiement des responsabilités individuelles.

Contre l’État : la société civile

31« L’État et la Selbstverwaltung doivent être complétés par la dynamique du marché »  [43] : tel est, résumé en quelques mots, le changement de paradigme qu’ils préconisent. La réforme du marché du travail a ainsi donné lieu en Allemagne à un débat sur les rapports entre l’État et la société et, dans ce con~texte, à un redéploiement du concept de société civile. Les vertus émancipa~trices de ce dernier ont été mobilisées comme fondement d’une critique de l’État social, de son conservatisme, mais aussi comme vecteur de sa moderni~sation. Dans cette perspective, l’État doit être réformé dans le sens d’un « État activant » : qui ne réglemente pas lui-même mais joue un rôle de cadrage et incite la société à s’organiser de manière active et autonome.

32Günther Schmid, membre du groupe de benchmarking, puis de la Commis~sion Hartz, appelle lui aussi de ses vœux cette transformation. Il conçoit l’État comme un chef d’orchestre qui active les institutions et les individus. D’un point de vue réglementaire, cela signifie que « l’État est moins un pres~tataire qu’un intermédiaire. (…) Il ne gouverne pas dans le détail au moyen de normes et de services centraux, mais à un niveau global à travers de gran~des orientations, des contrats de coopération. (…) Il est le partenaire fort d’une société civile, en ce qu’il produit, à travers des mesures de déréglemen~tation ciblée, plus de latitude d’action individuelle »  [44].

33« Déréglementation ciblée » et plus grande « latitude d’action » citoyenne sont les maîtres mots de la convocation de la société civile dans le processus de réforme de l’État social allemand. Grâce à son entremise, la responsabilité individuelle peut être présentée sous un jour positif, faisant valoir la liberté de choix et d’initiative, qui aurait été jusque-là étouffée par l’inertie bureaucra~tique de l’État et des partenaires sociaux. Ainsi, avec la réforme Hartz, chaque chômeur se voit offrir des bons de formation qu’il peut utiliser à sa guise. Censée développer responsabilité et latitude d’action individuelles, cette innovation est en conflit avec les intérêts des syndicats, piliers de la concep~tion traditionnelle de l’État social, dans la mesure où son financement est en partie prélevé sur les moyens des instituts syndicaux de formation. Il s’agit finalement d’abandonner une logique « passive » de protection sociale en faveur d’une politique « préventive » de l’emploi, dans laquelle chaque citoyen doit, à titre individuel, être mis à contribution  [45]. Le civique et le civil se trouvent ainsi conjointement activés dans une critique du social, stigmatisé comme producteur d’exclusion et inhibiteur de la liberté individuelle. Par le biais de la rhétorique de l’activation, c’est l’équilibre entre responsabilité individuelle et collective au fondement de l’État social qui se trouve révisé, au nom des potentialités de la société civile.

34Mobilisée sur le mode de l’incantation politique par le gouvernement social~démocrate et ses conseillers, la société civile offre, en matière de réforme sociale, un principe de justification et d’accompagnement de mesures parti~culièrement impopulaires. Mais, par-delà la rhétorique, force est de constater que ses manifestations concrètes restent discrètes, d’autant que les premiers bilans de la mise en œuvre de la réforme Hartz sont extrêmement nuancés quant à leurs effets économiques et sociaux réels. Alors qu’elles n’ont pas encore permis d’atteindre les objectifs politiques et économiques visés, les mesures adoptées ont contribué à fragiliser les revenus et la situation des populations concernées. De ce point de vue, le cas allemand illustre la voca~tion subversive de la notion de société civile, sans que celle-ci préside pour autant à la formulation d’un projet alternatif de société.

35Si elle se laisse subsumer en Allemagne sous le mot d’ordre « moins d’État, plus de marché », la société civile est aussi, dans d’autres circonstances, un levier de la critique du marché et du capitalisme, comme l’illustre le mouve~ment altermondialiste. Ces différents usages, parfois ambivalents et contra~dictoires  [46], s’appuient néanmoins sur une matrice commune que l’on peut caractériser par les quatre dimensions suivantes : l’ouverture d’un espace critique ; la revendication d’une dimension libératrice – la source d’aliénation fût-elle d’origine étatique ou capitaliste – ; la célébration du pluralisme ; le renouvellement des formes de participation tant économiques, que politiques et sociales. Ces quatre dimensions synthétisent les enjeux de la critique de l’État social allemand : redessiner les frontières de l’individuel et du collectif et reformuler les bases de l’engagement citoyen dans les affaires de la cité.

Les métamorphoses qualitatives de l’individu

36Par-delà la dimension participative, cette quête de réarticulation entre l’indi~viduel et le collectif a des incidences sur l’organisation sociale. Au principe de la sécurisation des statuts portés par des collectifs de référence elle substitue une exigence de sécurisation des parcours individuels rapportés à des person~nes singulières. Ce double déplacement – d’un statut figé vers la mobilité et de la généralité vers la singularité – induit une transformation sensible de l’acception et des modes de constitution du social.

37La distinction opérée par Georg Simmel entre « individualisme quantitatif et individualisme qualitatif » permet d’éclairer cette transformation. L’indivi~dualisme quantitatif, qui s’appuie sur les principes d’égalité et d’universalité, alimente la figure de l’individu générique à visée égalitaire au fondement des catégories de la protection sociale héritées du Kaiserreich. À l’inverse, l’indivi~dualisme qualitatif valorise la différence et l’altérité comme essence de l’homme et met l’accent sur « son être, son agir »  [47]. Il alimente la figure de l’individu singulier, point d’appui du nouveau paradigme de la société civile et fondement de la remise en question des anciens arrangements collectifs visant à conjuguer liberté, justice et équité.

38Il en résulte des tensions et des paradoxes dans le processus contemporain d’individualisation, dont les divers usages du concept de société civile se font l’expression  [48]. Ce processus est tiraillé entre deux pôles : d’un côté, l’esprit quantitatif des catégories sociales établies qui visent à transcender la singularité des cas individuels, mais dont le pouvoir de généralité et de mise en équivalence est affecté par la pluralisation de cadres de l’expérience, de l’autre, l’inspiration qualitative des logiques civiles émergentes qui font appel à la singularité et aux qualités personnelles de chaque individu, mais qui, pour cette raison même, opposent une résistance à la généralité et, par conséquent, à la production de nouvelles catégories d’équivalence suscepti~bles d’étayer des principes de justice et d’action collective  [49].

La société civile : nouvel horizon de la participation politique ?

39Dans un contexte marqué par un scepticisme croissant quant à l’efficacité de l’intervention de l’État et la capacité des catégories établies à structurer l’horizon d’attente des acteurs, la société civile est mobilisée comme une res~source pour étendre les libertés individuelles et retisser des liens collectifs qui semblent se déliter. Comme au milieu du XIXe siècle, on perçoit aujourd’hui une tension entre la promesse de participation démocratique des citoyens et les insuffisances des formes instituées de représentation politique. La société civile est ainsi présentée comme un instrument permettant de raccorder une sphère sociale toujours plus complexe et plurielle à la sphère politique et ainsi de compenser les insuffisances d’une démocratie représentative essoufflée. Si les formes de participation et de délibération associées à la société civile peu~vent être pensées de manière complémentaire aux institutions établies de par~ticipation politique (élections, référendums, parlements), l’exemple allemand montre que les réformes s’appuyant sur le concept de société civile partici~pent à un processus de désinstitutionnalisation des catégories d’action sociale. Dès lors, on peut s’interroger sur la vocation du concept de société civile à promouvoir, par-delà sa dimension critique, un projet alternatif de société.

Les dilemmes d’une légitimité procédurale

40La société civile est porteuse d’une dimension utopique qui repose sur un idéal de fluidité des rapports sociaux, d’auto-organisation, d’autonomie individuelle et de valorisation du pluralisme. Si cet idéal entre en résonance avec la complexité croissante des sociétés contemporaines, la question de sa traduction politique reste posée. Sur ce point, la légitimation des pratiques s’appuyant sur la société civile relève d’une logique fort différente de celle qui caractérise les registres civiques ou sociaux. Dans le cas de ces derniers, la confrontation des opinions et la production d’une décision qui engage la collectivité s’opèrent sur la base de la représentation et de la délégation – suffrages, referendums, votes parlementaires dans la variante civique ou confrontation instituée de porte-parole d’organisations représentatives dans la variante sociale. Dans le cas de la société civile, la production des décisions collectives repose sur le respect d’une inclusion procédurale per~mettant à toutes les opinions d’être représentées, à tous les citoyens de s’exprimer librement, sans passer, en théorie, par la médiation d’organisa~tions instituées  [50]. S’il existe des tentatives pour formaliser les règles de l’engagement civil  [51], leur institutionnalisation dépend d’arrangements négociés qui sont par définition provisoires et toujours susceptibles d’être rediscutés ; la discussion et la communication constituant le seul mode d’interaction légitime entre des acteurs formellement égaux qui se conçoi~vent comme des partenaires.

41Si l’on se penche sur la manière dont la tension entre représentativité et par~ticipation a été traitée dans différents espaces politiques, on peut pointer une double contradiction. Premièrement, dans les espaces où la logique du nombre est faiblement instituée, notamment dans les organisations suprana~tionales, la tentative de combler le « déficit démocratique » mesuré à l’aune de la représentativité numérique, se traduit par l’ouverture d’un dialogue avec la société civile. Mais force est de constater que, bien souvent, ce dialo~gue se solde en pratique par des procédures d’institutionnalisation de groupes d’intérêt, afin de stabiliser les arènes de négociation. Il en résulte un risque d’instrumentalisation des mouvements issus de la société civile, comme l’illustrent les efforts de la Commission de l’Union européenne pour structu~rer, par une démarche volontariste, des partenaires stables et responsables dans le cadre de la méthode ouverte de coordination  [52]. Cela pose le problème de la légitimité des groupes et des personnes qui interviennent, en l’absence de critères stabilisés permettant de déterminer si le choix des interlocuteurs répond à l’impératif d’inclusion de la pluralité des opinions sur un dossier ou un enjeu particulier. La seconde contradiction a trait au recours croissant à la délégation de la conception des politiques publiques à des agences indépen~dantes ou commissions d’experts, comme l’illustre le cas de la réforme Hartz en Allemagne. Si elles visent à produire une légitimité scientifique pluraliste à partir de la consultation conjointe d’experts et de représentants de la société civile, de telles pratiques retombent dans le dilemme de la représentation, en posant notamment la question de la légitimité politique de l’expert et de son savoir  [53], au risque d’opacifier les processus décisionnels.

42Plus généralement, le brouillage des frontières entre les acteurs étatiques et non étatiques, politiques et profanes, soulève un problème d’imputation des responsabilités en matière d’action politique. Il risque paradoxalement d’affaiblir la capacité des individus et des groupes à se mobiliser en rendant plus difficiles la définition des problèmes publics, l’identification des respon~sables et l’articulation des revendications. Ce risque est renforcé dans des dis~positifs qui, à l’instar des récentes réformes allemandes, mettent l’accent sur les capacités individuelles, en même temps qu’ils affaiblissent les identités collectives par l’intermédiaire desquelles les individus se positionnent dans l’espace social et établissent des liens cognitifs entre leur situation person~nelle et les intérêts collectifs.

Pouvoir, rapports de force et inégalités : quelques impensés de la société civile

43La double dimension utopique et consensuelle de la société civile a contribué en partie à en évacuer la question des relations de pouvoir et des inégalités. La valorisation de la délibération, du pluralisme, de la communication, de l’argu~mentation rationnelle tend à imposer l’idéal d’une résolution pacifique et con~sensuelle des problèmes, tout en stigmatisant les répertoires d’action plus con~flictuels associés aux registres civiques et sociaux  [54]. Il en va ainsi de l’opposition entre intérêts du capital et du travail, du clivage partisan gauche~droite ou encore de l’affrontement entre majorité gouvernementale et opposi~tion parlementaire. En Allemagne, la Commission Hartz, constituée autour de la double exigence de mise à contribution de l’expertise scientifique et de la société civile, a favorisé le contournement des partenaires sociaux perçus comme un obstacle à des réformes jugées impératives. Si le recours à une com~mission d’experts visait à produire un diagnostique consensuel, le contourne~ment des instances paritaires traditionnelles a non seulement ouvert la voie à une plus grande conflictualité dans les relations entre l’État, les syndicats et le patronat, mais a aussi paradoxalement signifié le renforcement indirect du rôle de l’État dans l’instauration de nouveaux dispositifs d’action publique.

44À la différence des institutions représentatives, qu’elles soient parlementaires ou corporatistes, il n’existe pas dans la société civile de principes généraux de sélection des partenaires. Ces derniers sont impliqués en fonction des objec~tifs de l’institution qui les convie, de leur visibilité ou tout simplement de leur volonté de participation. Est ainsi considéré(e) comme membre de la société civile celui ou celle qui est reconnu(e) comme tel(le) et qui dispose de la volonté, mais également des ressources nécessaires, pour y participer. Or ce dernier aspect est rarement pris en compte, comme si le principe d’inclusion procédurale suffisait à effacer les inégalités sociales et culturelles dans l’arène de la société civile. Lorsqu’elles promettent, comme nombre d’autres dispo~sitifs se revendiquant de la société civile, un renforcement de la participation des individus aux affaires de la cité ? que ce soit sous la forme d’un dévelop~pement de la responsabilité individuelle dans des matières jusque-là considé~rées du ressort des institutions sociales ou d’une plus grande participation à des instances délibératives ?, les réformes Hartz font fi des inégalités sociales en matière de prise de responsabilité individuelle et de participation politi~que, inégalités pourtant avérées par des décennies d’enquêtes sociologiques. Le problème ainsi posé est double : il renvoie, d’une part, à l’inégal accès à la chose publique en fonction des compétences politiques et culturelles, d’autre part, à l’inégale capacité de ceux qui participent à mobiliser les ressources requises afin de se faire entendre  [55].

45S i le paradigme de la société civile repose sur la revendication d’un espace autonome par rapport à un État devenu envahissant ? qu’il s’agisse de l’absolu~tisme du XVIIIe siècle, du communisme des années 1970 et 1980 ou de l’État social aujourd’hui ?, le débat entre Staatshilfe et Selbsthilfe dans l’Allemagne du XIXe siècle montre qu’il n’existe pas de lien mécanique entre l’effervescence des relations sociales « horizontales » et la force ou la faiblesse de l’État. De même, le cas allemand permet d’établir que la vitalité du monde associatif ne va pas forcément de pair avec le développement de la société civile  [56]. L’État social a apporté une solution spécifique au problème de l’articulation entre relations de proximité et relations à distance par l’institution de mécanismes de solidarité et de représentation permettant de relier l’individu à un ensemble de collectifs. Fondés sur le travail et des catégories d’équivalence entre des individus parta~geant les mêmes risques sur un territoire national, ces mécanismes ont contri~bué à la mise en forme des intérêts sociaux. Il en a résulté une stabilisation des identités et des instances de représentation dans un processus de codification et de bureaucratisation, de même qu’une réduction de l’incertitude pesant sur l’action individuelle et collective. Les effets intégrateurs de ce dispositif ont par ailleurs permis de consolider l’ordre civique, en apportant une solution au pro~blème de la capacité politique des ouvriers. En dotant les salariés d’une « propriété sociale », la législation et les assurances sociales leur ont fourni un support de légitimation qui a facilité leur intégration à l’État-nation. En met~tant l’accent sur la responsabilité et l’autonomie individuelles, la réforme de l’État social rouvre le débat sur les modes d’articulation entre l’individuel et le collectif. Redéployé dans ce contexte, le paradigme de la société civile fonc~tionne en Allemagne comme un levier critique. Il redistribue les cartes du civi~que, du civil et du social, mais sans introduire pour autant un projet de société alternatif. Alors que son invocation politique est mise à contribution pour défaire les arrangements existants et légitimer des réformes douloureuses, le débat reste ouvert sur sa capacité, d’une part, à engendrer de nouvelles catégo~ries d’action et de nouveaux principes de justice et d’équité, d’autre part, et plus généralement, à donner une expression concrète à l’idéal de partenariat et de participation censé nourrir la démocratie rénovée qui lui est associée.

Notes

  • [1]
    Philippe Schmitter, Gerhard Lehmbruch, Trends towards Corporatist Intermediation, Beverly Hills, Sage, 1979 ; Oliver Giraud, Michel Lallement, « Construction et épuisement du modèle néocorporatiste allemand : la réunifica~tion comme consécration d’un processus de fragmentation sociale », Revue française de sociologie, 39 (1), 1998, p. 39-69.En ligne
  • [2]
    Du nom de Peter Hartz, président de la commission chargée de concevoir ces réformes et alors directeur des res~sources humaines chez Volkswagen.
  • [3]
    Günther Schmidt, « Moderne Dienstleistunge am Arbeitsmarkt », dans Bundesministerium für Arbeit und Sozia~lordnung, Bericht der Kommission, Moderne Dienstleistungen am Arbeitsmarkt, CD-Rom, août 2002, p. 2 et suivantes.
  • [4]
    Alain Desrosières, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993.
  • [5]
    Peter Wagner, Liberté et discipline. Les deux crises de la modernité, Paris, A.-M. Métailié, 1996.
  • [6]
    Sur ces questions, se reporter aux travaux du réseau européen de recherche sur la société civile (Cisonet) animé par Jürgen Kocka (www.wz-berlin.de).
  • [7]
    Notre objectif ici n’est pas de revenir sur les diverses formulations théoriques de la notion à travers une relecture des auteurs « classiques » tels que Smith, Locke, Tocqueville, Hegel ou Marx. Le lecteur peut se référer au texte synthétique de John Keane, Democracy and Civil Society (1988), Londres, University of Westminster Press, 1998, p. 31 et suivantes.
  • [8]
    Karl Polanyi, La grande transformation (1944), Paris, Gallimard, 1983.
  • [9]
    Johan Heilbron, The Rise of Social Theory, Oxford, Polity Press, 1995 ; Catherine Colliot-Thélène, Jean-François Kervégan (dir.), De la société à la sociologie, Paris, ENS Éditions (Theoria), 2002.
  • [10]
    P. Wagner, A History and Theory of the Social Sciences, Londres, Sage, 2001, p. 128-145.
  • [11]
    Jacques Donzelot, L’invention du social. Essai sur le déclin des passions politiques, Paris, Fayard, 1984.
  • [12]
    Thomas H. Marshall, Citizenship and Social Class, and Other Essays, Cambridge, Cambridge University Press, 1950. Pour une discussion de cette théorie, cf. Pierre Birnbaum, « Sur la citoyenneté », L’Année sociologique, 46 (1), 1996, p. 57-85.
  • [13]
    Sandrine Kott, L’État social allemand. Représentations et pratiques, Paris, Belin, 1995.
  • [14]
    Jürgen Habermas, L’espace public (1962), Paris, Payot, 1995.
  • [15]
    Albert O. Hirschman, Les passions et les intérêts (1977), Paris, PUF, 2001.
  • [16]
    J. Habermas, Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997, p. 394.
  • [17]
    Voir le recueil de textes commentés par Michel Offerlé, La société civile en question. Présentation et commentaire de textes, Paris, La Documentation française, 2003.
  • [18]
    Patrice Guennifey, Le nombre et la raison. La Révolution française et les élections, Paris, Éditions de l’EHESS, 1993.
  • [19]
    Jürgen Kocka, « Civil Society from a Historical Perspective », European Review, 12,2004, p. 67.
  • [20]
    John Stuart Mill, Utilitarianism, On Liberty, Considerations on Representative Government (1861), Londres, Everyman, 1995.
  • [21]
    P. Wagner, Liberté et discipline. Les deux crises de la modernité, op. cit..
  • [22]
    Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
  • [23]
    Thomas Lindenberger, Strassenpolitik. Zur Sozialgeschichte der öffentlichen Ordnung in Berlin 1900-1914, Berlin, Dietz, 1995.
  • [24]
    Sur la mise en équivalence, voir A. Desrosières, « Séries longues et conventions d’équivalence », Genèses, 9,1992, p. 92-97.En ligne
  • [25]
    Irmela Gorges, Sozialforschung in Deutschland 1872-1914. Gesellschaftliche Einflüsse auf Themen und Methodenwahl des Vereins für Socialpolitik, Francfort-sur-le-Main, Hain, 1986, (2e éd.), t. 1, p. 33 et suivantes.
  • [26]
    Rüdiger vom Bruch, « Weder Kommunismus noch Kapitalismus. » Bürgerliche Sozialreform in Deutschland vom Vormärz bis zur Aera Adenauer, Munich, Beck, 1985, p. 63 et suivantes.
  • [27]
    Bénédicte Zimmermann, Claude Didry, Peter Wagner (dir.), Le travail et la nation. Histoire croisée de la France et de l’Allemagne, Paris, Éditions de la MSH, 1999 et B. Zimmermann, La constitution du chômage en Allemagne : entre professions et territoires, Paris, Éditions de la MSH, 2001.
  • [28]
    Sur l’invention d’un espace social autour de la notion de risque, voir, entre autres, Ulrich Beck, Risikogesellschaft. Auf dem Weg in eine andere Moderne, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1986 ; Adalbert Evers, Helga Nowotny Evers, Über den Umgang mit Unsicherheit. Die Entdeckung der Gestaltbarkeit von Gesellschaften, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1987.
  • [29]
    François Ewald, L’État providence, Paris, Grasset, 1986, p. 403.
  • [30]
    Robert Castel, Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Paris, Fayard, 2001.
  • [31]
    R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, op. cit., p. 215.
  • [32]
    Thomas Nipperdey, Réflexions sur l’histoire allemande, Paris, Gallimard, 1995.
  • [33]
    B. Zimmermann, La constitution du chômage en Allemagne : entre professions et territoires, op. cit., chap. 2.
  • [34]
    Eckart Pankoke, « Soziale Selbstverwaltung. Zur Problemgeschichte sozial-liberaler Gesellschaftspolitik », Archiv für Sozialgeschichte, 12,1972, p. 185-203 ; P. Wagner, A History and Theory of the Social Sciences, op. cit., p. 128-145.
  • [35]
    B. Zimmermann, La constitution du chômage en Allemagne : entre professions et territoires, op. cit., chap. 7.
  • [36]
    Max Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971, p. 345.
  • [37]
    Rolf G. Heinze, Wolfgang Streeck, « Institutionelle Modernisierung und Öffnung des Arbeitsmarktes : Für eine neue Beschäftigungspolitik », dans Jürgen Kocka, Claus Offe (Hrsg.), Geschichte und Zukunft der Arbeit, Francfort/ New York, Campus, 2000, p. 234-261.
  • [38]
    L’érosion d’une lecture de la topographie sociale en termes de classes a sans doute contribué à substituer aujourd’hui à l’expression bürgerliche Gesellschaft, qui avait cours au XIXe siècle, le terme beaucoup plus universel de Zivilgesellschaft. Ce dernier stipule une acception inclusive du « civil » par contraste avec l’expression contemporaine du « social », paradoxalement lue comme une source de fragmentation et d’anomie sociale : entre les emplois protégés et les emplois exposés ou précaires ; entre les salariés et les chômeurs ; entre les actifs et les inactifs ou les assistés, etc..
  • [39]
    R. G. Heinze, W. Streeck, « Institutionelle Modernisierung und Öffnung des Arbeitsmarktes : Für eine neue Beschäftigungspolitik », cité, ainsi que « An Arbeit fehlt es nicht », Der Spiegel, 19,1999, p. 38-45.
  • [40]
    R. G. Heinze, W. Streeck, « Institutionelle Modernisierung und Öffnung des Arbeitsmarktes : Für eine neue Beschäftigungspolitik », cité, p. 251.
  • [41]
    Ibid., p. 250.
  • [42]
    Ibid., p. 257.
  • [43]
    Ibid., p. 257.
  • [44]
    G. Schmidt, « Moderne Dienstleistunge am Arbeitsmarkt », cité, p. 3-4.
  • [45]
    Pour une analyse détaillée de cette réforme, cf. Sabine Rudischhauser, Bénédicte Zimmermann, « De la cri~tique à l’expertise. La modernisation de l’action publique : le cas du chômage en France et en Allemagne », dans B. Zimmermann (dir.), Les sciences sociales à l’épreuve de l’action. Le savant, le politique et l’Europe, Paris, Éditions de la MSH, 2004, p. 247-285.
  • [46]
    Dieter Gosewinkel, Sven Reichardt (Hrsg.), Ambivalenzen der Zivilgesellschaft. Gegenbegriffe, Gewalt und Macht, Berlin, WZB, Discussion paper n?SP IV 2004-501,2004.
  • [47]
    Georg Simmel, Sociologie. Étude sur les formes de la socialisation (1908), Paris, PUF, 1999, p. 702.
  • [48]
    Axel Honneth, « Organisierte Selbstverwirklichung. Paradoxien der Individualisierung », dans A. Honneth (Hrsg.), Befreiung aus der Mündigkeit. Paradoxien des gegenwärtigen Kapitalismus, Francfort-sur-le-Main, Campus, 2002, p. 141-158.
  • [49]
    Voir notamment Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
  • [50]
    Loïc Blondiaux, La démocratie locale : représentation, participation et espace public, Paris, PUF, 1999 ; Caroline de La Porte, Philippe Pochet (eds), Building Social Europe through the Open Method of Coordination, Bruxelles, PIE-Peter Lang, 2002.
  • [51]
    Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthes, Agir dans un monde incertain : essai sur la démocratie tech~nique, Paris, Le Seuil, 2001 ; Démocratie et délibération, Politix, 57,2002, numéro spécial. Sur un autre registre, voir Commission européenne, European Governance, White Paper, COM (2001), 428 final, Bruxelles, 2001.
  • [52]
    Renaud Dehousse, « La méthode ouverte de coordination. Quand l’instrument tient lieu de politique », dans Pierre Lascoumes, Patrick Le Galès, (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004, p. 331-356 ; Patrizia Nanz, Stijn Smismans, « Conceptualising Civil Society and Responsiveness in the EU », dans Carlo Ruzza, Vincent della Sala (eds), Governance and Civil Society : Theoretical and Empirical Perspectives, Manchester, Manchester University Press, à paraître.
  • [53]
    Peter Weingart, « Expertise scientifique et responsabilité politique. Les paradoxes de la science en politique », dans B. Zimmermann (dir.), Les sciences sociales à l’épreuve de l’action. Le savant, le politique et l’Europe, op. cit., p. 91-118.
  • [54]
    Bruno Jobert, « Le mythe de la gouvernance dépolitisée », dans Pierre Favre, Jack Hayward, Yves Schemeil (dir.), Être gouverné : études en l’honneur de Jean Leca, Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 273-286.
  • [55]
    Sur ce point, Patricia Nanz et Jens Steffek proposent de mesurer la qualité démocratique des processus délibéra~tifs à partir de quatre critères : l’accès à la délibération, la transparence et l’accès à l’information, la prise en compte des avis, l’inclusion de toutes les voix. Cf. P. Nanz, J. Steffek, « Assessing the Democratic Quality of Deliberation : Criteria and Research Strategies », Acta politica, 40 (3), 2005, p. 368-383.
  • [56]
    Sur le lien entre État social et vitalité associative, cf. Theda Skocpol, « United States, from Membership to Advocacy » (p. 103-136) et Jean-Pierre Worms, « Old and New Civic and Social Ties in France » (p. 137-188), dans Robert Putnam (ed.), Democracies in Flux : The Evolution of Social Capital in Contemporary Society, New York/Oxford, Oxford University Press, 2002.
Jay Rowell
sociologue, chargé de recherche CNRS au Groupe de sociologie politique européenne de l’IEP de Strasbourg. Il a récemment publié Le totalitarisme au con~cret. Les politiques du logement en RDA (Paris, Économica, 2006) et codirigé avec Emmanuel Henry et Aurélie Campana, La construction des problèmes publics en Europe (Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2007).
j.rowell@wanadoo.fr
Bénédicte Zimmermann
est sociologue, maîtresse de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris et membre du Centre de recherches interdisciplinaires sur l’Allemagne (CNRS/EHESS). Elle est l’auteure de La constitution du chômage en Allemagne : entre professions et territoires (Paris, Éditions de la MSH, 2001). Elle a dirigé plusieurs ouvrages dont Le travail et la nation. Histoire croisée de la France et de l'Allemagne (Paris, Éditions de la MSH, 1999, en collaboration avec Claude Didry et Peter Wagner) et Les sciences sociales à l’épreuve de l’action. Le savant, le politique et l’Europe (Paris, Éditions de la MSH, 2004).
bzim@ehess.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/09/2007
https://doi.org/10.3917/crii.035.0149
Pour citer cet article
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