CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La transition adolescente, processus naturel, signe de bonne santé selon Winnicott (1962), permet de quitter le statut d’enfant pour accéder à celui d’adulte. Or la déficience vient réinterroger ce processus en ce sens où les limites imposées par le handicap impactent le vécu de l’adolescence. Cet article se propose de questionner les effets du handicap sur le processus d’adolescence à partir d’une réflexion issue de pratiques cliniques et de recherche : l’une auprès d’adolescents déficients moteurs (avec paralysie cérébrale, maladie neuromusculaire évolutive) et l’autre auprès d’adolescents accueillis en institut médico-éducatif, désignés déficients intellectuels.

2Ce regard croisé permet, à partir d’illustrations cliniques, de mettre en évidence les dimensions spécifiques du processus d’adolescence selon le type de handicap, qu’il soit une donnée visible immédiate (handicap moteur) ou non (déficience intellectuelle). Les facteurs pouvant entraver le processus d’adolescence dans les situations de handicap sont envisagés, ainsi que ceux favorisant une issue positive pour le sujet.

3Après un bref rappel théorique définissant le modèle classique du processus d’adolescence, nous envisagerons les effets du handicap sur le cheminement psycho-affectif du sujet. Les manières dont ce dernier compose avec la blessure infligée au narcissisme de ses parents, avec la dépendance, avec l’expérience de la stigmatisation seront plus particulièrement investiguées. Les effets de souffrance qui résultent de ces situations particulières, souffrance éprouvée dans le corps et pouvant aussi envahir la vie psychique de l’adolescent, seront abordés, notamment les effets du vécu de stigmatisation à l’adolescence, la difficulté liée aux modèles d’identification, leurs incidences sur l’estime de soi ainsi que l’urgence, à cette période de la vie, de revisiter l’énigme du handicap pour construire son avenir et son devenir.

4Le sujet n’est pas seul engagé dans ce périple adolescent. Son environnement relationnel est participatif des difficultés rencontrées mais aussi du « bon » déroulement de l’adolescence. La remobilisation et le réajustement des liens concernent notamment les figures parentales, avec comme enjeu la possibilité de se déprendre des premiers objets d’amour pour nouer des relations électives hors du groupe familial, dynamique dans laquelle les relations fraternelles occupent un rôle important.

5Considérer les obstacles qui peuvent mettre à mal le processus adolescent ne doit pas oblitérer les ressources créatives mises en œuvre par le sujet pour effectuer cette transition riche de promesses maturatives. Ainsi la construction de liens privilégiés, amicaux et amoureux, les temps d’intimité expérimentés entre pairs et permettant de construire l’appartenance générationnelle ainsi que l’étayage sur un groupe familial soutenant sont des facteurs qui favorisent le passage adolescent.

Adolescence et handicap : des termes pour quelles réalités ?

6L’adolescence est une période fondamentale dans la vie de tout sujet, période de remaniements intrapsychiques et intersubjectifs, conduisant l’adolescent à s’interroger sur son identité mais également l’amenant à passer d’un état de dépendance à un état d’indépendance.

7Lors de ce second processus de séparation-individuation, pour reprendre le concept de Blos (1962), la place des pairs augmente dans la vie relationnelle du sujet, en même temps qu’une désidéalisation des imagos parentaux se fait jour, permettant la construction de nouvelles identifications (Braconnier, 2009).

8Le sujet qui aborde le temps de l’adolescence est héritier d’une histoire, ce qui fait de l’adolescence une période « qui s’appuie profondément sur les acquis antérieurs, qui s’ancre dans les expériences de relation, les émotions partagées, qui se sont nouées pendant la petite enfance et l’enfance. On ne peut donc pas envisager la problématique de l’adolescence sans tenir compte de cet arrière-fond que constitue l’histoire d’un sujet » (Marty, 2010, p. 44).

9Le handicap, ses incidences dans la sphère familiale et dans la construction intrapsychique du sujet représente un « arrière-fond » qu’il importe de considérer pour mieux saisir les enjeux et les détours du processus adolescent pour les jeunes concernés.

La blessure parentale

10Le fait d’avoir un enfant atteint d’une ou plusieurs déficiences est toujours une blessure narcissique pour chacun des parents (Korff-Sausse, 2007 ; Ciccone, 2014). L’enfant n’est évidemment pas insensible à cette blessure qu’il inflige aux adultes et il pourra tenter de les réparer. Il arrive alors qu’il mette son énergie au service du sauvetage de ses parents dans une aliénation à leur propre souffrance et à leur propre manière de le voir, cela au détriment de la construction de sa propre identité. Il est et devient ce que ses parents veulent et ont besoin qu’il devienne, au détriment de ses propres désirs, en développant une sorte de faux-self.

11Cependant, le groupe familial peut aussi mettre en œuvre différentes stratégies pour réinscrire ou solidifier le lien filiatif malmené par le handicap de leur enfant. Ciccone (2009) évoque à ce propos les fantasmes de transmission et Vanden Driessche (2010) la notion d’enfant parallèle, image représentative de l’enfant qui résulte d’un clivage autour de son handicap, et qui permet de relancer le jeu des identifications, facilitant ainsi la reconnaissance de la place de l’enfant dans la filiation.

12À la faveur des ressources que le groupe familial est capable de mobiliser, un réajustement des places de chacun est peu à peu possible, faisant une place au handicap de l’enfant sans l’aliéner à cet unique trait de son identité.

13Il est important de rappeler que le groupe familial doit aussi composer avec le vécu de stigmatisation lié à la situation de handicap de l’enfant. Ces expériences s’actualisent, pour l’enfant, dans ses liens aux autres, à l’école par exemple, mais il concerne également ses proches (fratrie et parents) qui peuvent souffrir de le voir mis à l’écart, qui sont aussi parfois mis à l’écart par leur environnement relationnel (amis qui s’éloignent…).

14La présence ou l’absence de compréhension et de soutien de la part de l’environnement est ainsi un facteur important dans la manière dont la famille réagit à la situation de l’enfant (cela est particulièrement visible lors des temps d’orientation scolaire ou en milieu spécialisé).

La dépendance

15Une autre spécificité dans la construction de l’enfant en situation de handicap est la proximité relationnelle et la dépendance que ce dernier induit dans les liens aux autres.

16Tout au long de son développement, le sujet peut être pris dans le flot des consultations médicales, des rééducations, le risque étant que le quotidien ne soit évoqué avec lui qu’à travers ses nécessaires adaptations et prises en charge dans les cas de déficiences motrices. Dans les situations de troubles des apprentissages et de déficience intellectuelle, ce sont les notions de performances scolaires et d’orientation qui peuvent occuper le devant de la scène. Ce qui a trait à la vie personnelle, aux ressentis, aux émotions et surtout aux désirs de l’enfant risque alors de rester dans l’ombre, parfois impensé, parfois impensable : « Les parents parlent en terme de faire mais non pas en terme d’identité, c’est-à-dire d’être. Ils ne parlent pas en terme de désir mais en terme de besoins » (Korff-Sausse, 1997, p. 316).

17Ce fonctionnement permet probablement aux familles, mais également aux professionnels, d’éviter la confrontation à différentes questions, et notamment celle de l’irréversibilité du trouble ou de la déficience, ce d’autant plus qu’il a été communément admis pendant des décennies que l’enfant handicapé ne se rendait pas compte de sa différence. Or, la pratique clinique montre que les enfants sont très tôt conscients de leurs limitations, notamment physiques et cognitives, et de leurs conséquences. Faute d’être pensés comme devenant « avec » leurs différences, ils peuvent tenter de rassurer l’adulte en faisant « comme ».

18Ce fonctionnement trouve également son origine dans la culpabilité parentale qui peut être extrêmement vive. En effet, de nombreuses familles témoignent, lors des entretiens, de leurs souhaits de tout faire pour leurs enfants, pour que ceux-ci ne leur reprochent pas plus tard de ne pas avoir tout entrepris.

19La tension entre dépendance physique/autonomie psychique se joue différemment pour le sujet déficient moteur et le sujet atteint de déficience cognitive légère. Mais dans les deux situations, il s’agit de parvenir à se penser adulte en y intégrant le besoin de protection et la vulnérabilité que représente l’existence de la déficience. Il s’agit de trouver des espaces d’exercice de l’autonomie, sans rompre totalement les liens qui existent avec ceux dont l’aide reste nécessaire, de pouvoir choisir qui aidera et de s’assurer que, ce choix opéré, il pourra s’inscrire dans un temps suffisamment long pour garantir une certaine stabilité.

La dynamique corps/psyché source de souffrance

20Pour se dégager de cette dépendance, se sentir et être reconnu acteur, certains cherchent à s’opposer a minima en refusant les prises en charge, les soins de kinésithérapie, par exemple, marquant ainsi un début d’appropriation de leur corps et leur volonté d’être « sujet ». Ce corps n’est alors plus supportable en tant qu’objet de manipulation et d’attention exclusive. Il est nécessaire que ce mouvement puisse avoir lieu, et ce le plus tôt possible, car, comme l’explique Geneviève Haag (1996, p. 4), « si la rééducation du corps handicapé prend le pas sur celui de l’enfant sujet, ce corps peut se sur-enraidir et devenir hypertonique, ou se laisser aller à l’hypotonie ou encore s’échapper sensoriellement ».

21Prendre en compte les éprouvés que génère la situation de handicap et les expériences de stigmatisation, qu’ils soient en lien avec des déficiences motrices ou intellectuelles, permet d’être attentif et d’envisager autrement certaines manifestations de souffrance, mais aussi certaines postures d’opposition des jeunes. Ces dernières ne relèvent pas nécessairement d’un refus des propositions éducatives mais peuvent aussi témoigner d’une lutte contre le stigmate, contre les effets que le stigmate produit dans les relations et dont le sujet est conscient.

À l’adolescence, la dynamique intrapsychique : entraves et ressources

22Le processus d’adolescence, en tant que processus ordinaire, concerne tout sujet. Les adolescents qui ont une déficience sont soumis, comme tout adolescent, à l’exigence de remaniements psychiques initiés par la puberté, même si cette mobilisation processuelle peut être légèrement décalée dans le temps comparativement aux adolescents tout-venant. En tant que processus, le travail adolescent peut être mis en œuvre tout au long de la vie du sujet, et peut-être que pour certains jeunes, le temps nécessaire est plus long que celui décrit classiquement. L’intérêt pour le processus adolescent chez ces jeunes est un phénomène récent, ce qui souligne de manière exemplaire les intrications entre dimension sociale et dimension individuelle (Vaginay 2009).

23Ce qui initie les changements à venir sont les modifications corporelles, que l’adolescent perçoit et qu’il interprète comme l’annonce de son devenir adulte futur.

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Amir est un jeune homme de 18 ans qui a été orienté à l’âge de 14 ans en ime après une scolarité inclusive, du fait de ses troubles de comportement. Concernant les changements liés à la puberté, il explique : « Moi je suis adulte et puis j’ai un grand zizi et puis j’ai envie de faire l’amour avec. Puis je commence un peu à avoir de la moustache, puis bah je suis ado moi. »

25Ce qu’Amir évoque par la suite dans l’entretien révèle, de manière exemplaire, la souffrance qui peut surgir de la tension entre « statut adulte » et impossibilité d’expérimenter les nouveautés qui caractérisent ce statut. Amir perçoit les changements corporels qui manifestent le grandir. Or il subit passivement le fait de ne pas pouvoir inscrire ces changements dans son vécu relationnel aux pairs et aux adultes de son entourage, impossibilité qu’il attribue à son environnement (ne pas pouvoir faire l’amour à l’internat, ne pas pouvoir habiter dans un appartement avec sa copine…).

Le poids de l’expérience de la stigmatisation et ses effets à l’adolescence

26Dans une lecture psychosociale, l’un des éléments décisifs dans le processus de stigmatisation est l’intériorisation par le sujet du stigmate, c’est-à-dire des opinions négatives attachées à sa personne (ou à son groupe d’appartenance).

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Ainsi, Mégane, atteinte d’une diplégie spastique peu repérable lors de la marche, a, lors de son admission au sein du sessad, alors qu’elle était pré-adolescente, demandé à ce que toutes les prises en charge aient lieu en dehors du temps scolaire et hors établissement afin que ses camarades n’aient pas connaissance de son handicap et de ses besoins et ainsi éviter les questionnements de ceux-ci. Elle souhaitait, comme elle l’exprimait, « passer inaperçue ».

28Le sujet peut maintenir une identité positive en valorisant les traits (caractéristiques) non stigmatisés, il peut également se comparer favorablement à d’autres personnes déficientes intellectuelles (Dagnan et Sandhu, 1999). Ces procédés se retrouvent au sein même des institutions spécialisées, dans lesquelles s’opère « une distinction entre pairs, et notamment celle émise par les jeunes qui ont des profils et des attitudes proches de ceux des collégiens, qui se regroupent entre eux et qui refusent l’assimilation avec des adolescents trisomiques, qui contestent la promiscuité avec des sujets aux comportements psychologiques déviants, qui évitent la présence des pensionnaires marqués physiquement dans leur chair » (Dargère, 2014, p. 273).

29Cette ambivalence a pour objet la dimension visible du stigmate, à laquelle les adolescents dont le stigmate n’est pas visible ne veulent pas être associés. Dans la théorie de la stigmatisation de Goffman (1975), le stigmate peut se donner à voir ou être connu dans l’immédiat de la relation (en tout cas celui qui porte le stigmate le pense et le vit comme tel), l’individu est alors « discrédité », c’est le cas dans les situations de déficience motrice. Mais le stigmate peut également renvoyer à une réalité invisible, non immédiatement perceptible, la personne est alors « discréditable », situation de certaines personnes présentant une déficience intellectuelle.

30La comparaison aux pairs peut participer à une valorisation de l’identité, elle entraîne parfois le refus de se voir pensé semblable et affilié aux autres. C’est ce dont témoigne Fréderic, âgé de 18 ans, qui a été orienté en ime après un parcours en clis, du fait des bagarres, d’un vécu relationnel très douloureux avec les pairs de l’école (bagarres et insultes dirigées vers un stigmate physique lié à un accident de voiture quand il était enfant).

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« Mais après quand c’était la récré, j’ai regardé les jeunes, j’ai dit : “Waouh, je suis où là ?” J’ai dit : “Mais par contre ça va être un peu méchant” […] Ouais. Ouais on m’a mis pire qu’à l’hôpital, l’hôpital comment … pire que chez les fous ! Moi j’ai des difficultés à lire. Enfin quand je lis, je ne vais pas lire comme une personne normale. Donc je suis normal. Enfin je suis pas trop normal parce que je suis pas… J’arrive pas bien à lire. Mais sinon je ne sais pas ce que je fais ici quoi. »

32Le fait d’appartenir à un lieu, à un groupe fortement stigmatisé a des conséquences en termes de socialisation et en termes psychologiques, notamment d’estime de soi (Werner et coll., 2011). De nombreuses études s’intéressent à l’estime de soi des enfants et des adolescents en situation de handicap en fonction de leur lieu de scolarisation, ordinaire ou spécialisé (Chevalier et coll., 2015 ; Dagnan et Sandhu, 1999). Elles montrent que l’estime de soi met en jeu le processus de comparaison sociale, à partir duquel le sujet estime sa propre valeur. C’est à partir des écarts perçus entre soi et les autres, et la relativisation ou l’accentuation de ces écarts selon que les pairs sont également en situation de handicap ou non, que ces études postulent un effet positif ou négatif des modalités de scolarisation.

33L’orientation en milieu spécialisé peut permettre une renarcissisation. En effet, il n’est pas rare de rencontrer des adolescents qui, après un parcours difficile en inclusion scolaire, trouvent une place en établissement spécialisé et changent de statut : de l’élève en difficulté scolaire qui souffrait du regard des autres, ils deviennent un élément moteur, avec une autre expérience et moins de difficultés que les autres jeunes accueillis dans l’établissement depuis plus longtemps.

34Le rapport à l’image engage également l’interrogation anxieuse de la désirabilité et de la séduction, notamment à l’adolescence : « Vais-je plaire à l’autre et par quels moyens ? » L’une des spécificités du handicap est d’introduire une discordance entre l’apparence et l’intériorité du sujet, écart commun à tous mais amplifié par le handicap. Cette discordance provoque une « atteinte de l’intégrité somato-psychique » que Korff-Sausse situe du côté d’une « expérience de la laideur » (Korff-Sausse, 2002, p. 84). Pour les adolescents déficients intellectuels sans visibilité des difficultés cognitives (au contraire de la trisomie) la discordance se fait en dynamique inversée, ce n’est pas l’extériorité qui est jugée repoussante mais l’intériorité jugée menaçante ou dévalorisée.

35Le défi pour l’adolescent est de correspondre aux exigences des pairs concernant son apparence et sa façon de se comporter, dans le but de se percevoir accepté et digne d’intérêt, désirable, dans les regards portés sur lui.

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Jimmy, 18 ans, a été orienté à 15 ans en ime en raison de ses difficultés d’apprentissage. Il a été hospitalisé trois semaines à l’âge de 13 ans pour dépression, état qu’il associe à l’incarcération de l’un de ses frères mais aussi aux difficultés relationnelles expérimentées avec ses pairs au collège. Concernant les moqueries des pairs au collège, Jimmy explique : « En fait bah oui on me moquait bah moi je suis fan de Johnny, Johnny Hallyday, et tout le monde me moquait parce que j’étais fan de lui. […] Avant je faisais la collection de Lego. Les grosses figurines là. Là-bas, on me moquait. »

37On imagine aisément l’entrave relationnelle que représentent les deux hobbies de Jimmy (Johnny Hallyday et les Lego) dans ses relations avec ses pairs du collège à un âge où ces derniers sont dans un mouvement de distanciation de l’infantile et des figures parentales.

Difficultés des modèles d’identification

38Les réflexions sur la construction du rapport subjectif au handicap, ses incidences possibles en termes de souffrance psychique posent les questions des modèles auxquels ces jeunes peuvent s’identifier. Dans les narrations des adolescents, les pairs de l’institution peuvent être disqualifiés dans leur fonction de modèle, de confident et d’objet d’identification. La disqualification générée par la stigmatisation se rejoue ainsi au sein de l’institution, comme nous l’avons évoqué précédemment. La disqualification des pairs du quotidien alimente les difficultés de socialisation décrites dans la littérature (Gascon et coll., 2010). Cependant, on peut questionner les enjeux qui nourrissent ces représentations obtenues dans les discours. Parlent-elles d’un isolement expérimenté dans le quotidien relationnel ou d’une résistance narcissique à se présenter affiliées à ces pairs-là ? En contrepartie, l’idéalisation narcissique des pairs extrafamiliaux, n’appartenant pas à l’institution, fait courir le risque de déconvenue, comme en témoigne Anne-Lise, 18 ans, orientée en ime après une scolarisation en clis en primaire :

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« J’ai fait un trait sur des amis que je parlais presque pas. […]Bah parce que ça me saoulait des amis qui me parlent presque pas et que ils viennent jamais me voir. »

L’urgence de revisiter l’énigme du handicap

40L’annonce du handicap, relevant d’un choc traumatique, demande à être élaborée par l’enfant et ses proches. Le sujet, pour ce faire, élabore une théorie sur son handicap, subjectivement appropriée, en deçà de l’objectivité scientifique médicale ou scolaire (Scelles et Dayan, 2015). Ce n’est pas tant le contenu que revêtent ces théories qui importe mais la fonction qu’elles assurent pour la construction psychique du sujet. Elles se réorganisent lors des différentes étapes du développement, suivant en cela la logique des « théories sexuelles infantiles » théorisées par Freud (1905). Pour que ce « travail » s’opère, l’enfant doit d’abord reconnaître l’atteinte (organique ou intellectuelle), ce qui engage nécessairement une dimension dépressive. La nécessité de mettre un mot sur la déficience permet d’inventer, de donner du sens, et participe à l’humanisation de soi. Elle est tributaire des postures de l’environnement qui autorise cette nomination ou encore la refuse, par peur de faire souffrir l’enfant ou par évitement de sa souffrance propre. À nouveau, la fratrie mais également les pairs extrafamiliaux représentent un support important dans ce cheminement, puisqu’ils peuvent autoriser ce que les adultes (parents et professionnels), parfois, ne rendent pas possible (Scelles et Dayan, 2015).

41Le sens de la déficience, intellectuelle et/ou motrice, leur place dans la vie intrasubjective et intersubjective sont réinterrogés à toutes les étapes « cruciales » du développement identitaire. Au moment de l’adolescence, réinterroger le sens du handicap et l’énigme qu’il peut représenter devient incontournable et s’inscrit dans l’urgence. C’est une condition inévitable pour que l’adolescent puisse trouver et créer son devenir.

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Blandine, adolescente de 17 ans, présente une infirmité motrice cérébrale quadriplégique entraînant une dépendance pour la plupart des actes de la vie quotidienne, d’importantes complications orthopédiques et des troubles sphinctériens. Elle sait que, compte tenu de son handicap, elle intégrera un foyer de vie et que peu de choix s’offrent à elle (peu de places disponibles dans la région dont elle dépend). Cependant, cet avenir est source de questionnements : « Ça m’angoisse… de toute façon, tout ce qui est un peu nouveau comme la vie future, ça me stresse parce que je ne sais pas dans quoi je vais me trouver, je ne sais pas… je ne sais pas si je vais être heureuse ou pas là-bas ».

43L’adolescent peut, parfois, se heurter aux silences de son entourage, il peut aussi investir sa déficience comme l’explication unique du désir et du rejet, le handicap pouvant alors poser un voile sur la complexité du processus d’adolescence (Gutton, 1993).

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Amir explique que sa grand-mère ne veut pas qu’il devienne dj et travaille dans une boîte de nuit : « Bah ma grand-mère, elle n’est pas d’accord. Parce que je ne sais pas trop lire. […] Et moi, comme je sais un peu lire, ça peut être mon métier plus tard. » Plus loin il évoque les possibilités qu’on lui fasse du mal et qu’on le ligote. Les craintes ainsi exprimées par sa grand-mère concernent sa vulnérabilité relationnelle, sa suggestibilité (si on le fait boire, si on le fait fumer). Or ces dernières ne sont pas nommées, mais recouvertes par des arguments-écran comme « ne pas savoir lire » et « avoir un traitement ». Cette manière de dire les difficultés produit du quiproquo et de la confusion, Amir imaginant qu’en sachant mieux lire, sa grand-mère acceptera ce projet et que ce dernier sera réalisable.

45Les difficultés de l’adolescent peuvent faire l’objet de non-dits ou de mises en mots violentes. Dans le cas de non-dits, l’adolescent peut percevoir que ses espoirs futurs sont entravés par un indicible auquel il peine à donner sens, ce qui génère de la confusion et entrave ses possibilités de se projeter, de se construire dans un jeu souple entre imaginaire et réalité. Cependant, si certaines énonciations mobilisent de la violence, elles produisent parfois, de manière paradoxale, le soulagement chez l’adolescent, comme en témoigne Alban, 17 ans et demi, scolarisé depuis deux ans en ime.

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Le jury du cfg (certificat de formation générale) annonce la fin de son parcours scolaire ordinaire de la manière suivante : « Arrête-toi, tu galères trop, c’est pas la peine. » Il ne s’agit pas ici de cautionner ou non la violence de cette énonciation, mais d’apprécier dans quelle mesure elle a eu et a encore des effets organisateurs ou désorganisateurs pour ce jeune. Or il exprime son soulagement d’avoir été orienté en ime du fait de ses difficultés à suivre au collège, et revient plusieurs fois sur l’idée « chacun à son niveau, comme ça il n’y a pas de problème ». Cet énoncé peut répondre à une posture de conformisme, à l’égard du discours porté sur lui. Cependant, il peut également traduire un travail de renoncement et de construction identitaire à l’œuvre, et s’inscrire dans une dynamique maturative.

Dynamique intersubjective : la vie relationnelle

Les liens aux parents

47Lorsque la déficience est trop importante et que les parents peinent à penser leur enfant comme pouvant s’autonomiser, il peut arriver que les adolescents se trouvent entravés dans leur désir d’interaction et de relation. Il n’est alors pas rare que l’adolescent se trouve pris dans un conflit de loyauté très douloureux entre les professionnels et ses parents.

Florian est un adolescent de 16 ans, présentant un handicap moteur important et une dysarthrie le rendant difficilement compréhensible, y compris de la part de personnes familières. Face à ses difficultés de communication orale, et pour lui permettre d’être plus en interaction avec les jeunes de l’établissement, des essais de synthèse de parole lui sont proposés. Intéressé par cet outil et désireux d’en développer son utilisation afin de pouvoir communiquer avec d’autres, Florian investit dans un premier temps cette proposition. Cependant, face à l’opposition de ses parents, n’acceptant pas ce moyen de compensation, renvoyant à un deuil supplémentaire à effectuer, et considérant que leur enfant est compréhensible (c’est à l’interlocuteur – professionnel mais également usager – de s’adapter et de « faire des efforts » pour le comprendre), Florian refusa de poursuivre ces essais. Ainsi, il n’a pu se détacher du désir parental (et plus particulièrement maternel) et n’a pu s’opposer à eux, devenant dépendant de ce désir au risque de se couper de toute relation et de s’isoler des autres et surtout d’être entravé dans ses désirs. Dans ces conditions, l’adolescent se voit en partie privé de son identité et sa construction psychique va s’en trouver perturbée.
Dans le cadre des entretiens thérapeutiques et de recherche, les adolescents parlent peu de leurs parents, ce qui est classique à l’adolescence. Cependant, on perçoit les effets désorganisateurs quand les liens sont trop en souffrance, mais aussi les effets structurant et l’étayage que représentent des liens sécurisants, autorisant à la fois la rivalité et la complicité pour l’adolescent.

Les liens aux professionnels

48Les parents ne sont pas les seuls adultes engagés dans le développement maturatif de l’enfant puis de l’adolescent. Il en va de même pour les personnes extrafamiliales, comme les professeurs et les éducateurs, ce qui permet, dans un premier temps, un transfert des investissements liés aux figures parentales, et organise, dans un second temps, la différence générationnelle.

Jimmy désigne deux éléments comme sources de difficultés dans son parcours d’enfant et d’adolescent, les bagarres et les problèmes d’apprentissage : « C’est depuis que je suis arrivé en cp. cp jusqu’à je suis arrivé à l’ime. Quand j’étais à l’école, […] avant là-bas, carrément chiants les profs. » Ce dont témoigne Jimmy, c’est sa difficulté et sa souffrance à être perçu comme mauvais objet par les adultes de son entourage (dangereux, perturbateur…). À l’inverse, à l’ime, on lui donne des exercices à son niveau, ce qu’il apprécie particulièrement : « Et là j’aime bien parce qu’ils me donnent des niveaux à moi. S’il y a des trucs faciles je lui dis “est-ce que vous pouvez me donner plus dur ?” bah elle va me le donner. Si je dis “c’est trop dur, vous ne pouvez pas un truc plus facile” il va le faire. »
Dans ce que Jimmy raconte de son parcours, on s’aperçoit qu’une part importante concerne la manière dont ses difficultés ont été contenues ou accentuées par l’environnement externe adulte. Il désigne l’ime comme l’un des facteurs l’ayant aidé à « bien grandir », du fait de la bienveillance et de l’écoute des éducateurs avec lesquels il est en lien.

Les liens aux frères et sœurs

49L’enfant peut voir son sentiment d’identité d’enfant évoluer quand ses frères et sœurs pourront le considérer non comme un « handicapé » mais comme un compagnon de jeu, pareil à eux, avec des différences n’affectant pas l’intégrité de son statut d’enfant (Scelles, 2011).

50La fratrie peut participer à cette construction identitaire en positionnant l’adolescent déficient sur la scène sociale et familiale, en étant une ressource précieuse pour le soutenir dans ce processus d’autonomisation (Scelles, 2010). Les frères et sœurs représentent des modèles identificatoires, ce qui participe à l’instauration de la différenciation entre soi et l’autre, mais aussi entre les générations. Les fratries apparaissent dans le discours de certains adolescents comme le lieu privilégié de l’expression de l’agressivité et de moments de complicité. C’est pourquoi la littérature décrit les relations fraternelles comme un support incontournable dans la mise en œuvre des enjeux maturatifs de l’adolescence, notamment l’ouverture aux liens extra-familiaux et le développement des compétences sociales (Poujol et Scelles, 2014).

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Marine, 19 ans, est accueillie à l’ime depuis la maternelle, du fait de ses difficultés d’apprentissage. L’avenir est source d’angoisse pour Marine, qui sait qu’elle sera, un jour, orientée en foyer, sans parvenir à se représenter la réalité que recouvre ce terme (« c’est quoi un foyer ? »). Le fait d’évoquer l’avenir de ses sœurs atténue son angoisse et participe à l’esquisse d’une représentation. Ainsi, à propos du départ de sa sœur aînée du milieu familial, elle explique que cette dernière « s’en fout », puis ajoute « moi aussi je m’en fous ». Pour l’avenir, Marine explique que sa sœur est actuellement au lycée, et que plus tard, elle ira vivre chez son copain. Elle dit alors « moi aussi hein ».

52On perçoit comment, dans la difficulté de figurer ou de mettre en mots ses propres ressentis, le recours à ce que les frères et sœurs vivent peut servir de support pour se penser soi, bien que dans le cas de Marine ce soit dans un processus de collage à la représentation de l’objet (ses sœurs). Ce mouvement identificatoire produit aussi de la souffrance et engage un travail de renoncement pour le sujet en situation de handicap, puisque les possibilités d’avenir dont disposent ses frères et sœurs ne sont pas exactement les mêmes que les siennes.

Les liens aux pairs

53Il est essentiel pour la personne en situation de handicap de diversifier ses liens, ses relations, de modifier son cercle de relations si elle le souhaite, à chacune des étapes de sa vie, comme le fait l’enfant en passant de la crèche à la maternelle, à l’école primaire, au collège, au lycée pour finir dans le milieu professionnel. À chaque rencontre, c’est une partie de l’identité qui s’actualise, se construit et évolue. Lorsqu’il est scolarisé en milieu ordinaire, l’adolescent peut peiner à trouver des amis avec lesquels il serait possible d’échanger, sur lesquels il pourrait s’appuyer sur le plan identitaire pour prendre de la distance avec sa famille. Certains peuvent alors exprimer leur désir de rencontrer d’autres jeunes porteurs de déficiences, comme eux, afin d’échanger sur leurs ressentis, leurs désirs, et leurs inquiétudes. Ceux qui sont accueillis en établissement spécialisé, surtout en milieu rural, ne sont au contraire confrontés qu’aux « mêmes qu’eux » s’ils n’ont pas accès à des activités, des loisirs à l’extérieur. Que ce soit en milieu ordinaire ou spécialisé, le manque de relation sociale avec des pairs reste une réalité douloureuse pour une majorité d’adolescents handicapés (Gascon et coll., 2010).

54L’accueil en milieu spécialisé génère une ambivalence dans le vécu d’appartenance et la dynamique identificatoire aux pairs. Ces complexités relationnelles s’accompagnent du constat fait par divers auteurs d’un manque de réseau et de socialisation important comparativement aux adolescents non déficients.

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Blandine n’a eu, pendant sa prime enfance, que très peu de contacts avec d’autres enfants. Il lui est plus facile, selon elle, d’échanger avec les adultes de l’établissement, ce qu’elle évoque en ces termes : « J’étais tout le temps dans les bras de ma mère, jusqu’à 10 ans, j’étais avec des adultes depuis toute petite… Voilà pourquoi je parle plus à des adultes qu’avec les autres jeunes mais l’un n’empêche pas l’autre. » Cependant, même si elle se décrit comme étant solitaire dans l’établissement qui l’accueille actuellement, elle prend plaisir à évoquer les relations qu’elle a nouées avec des jeunes dans les établissements fréquentés précédemment, ceux avec qui elle a gardé des liens, mais également ceux qu’elle a rencontrés dans des séjours de vacances adaptés. Ainsi, son cercle relationnel varie et se modifie au fur et à mesure qu’elle grandit et qu’elle vit de nouvelles expériences.

56Nous avons relevé précédemment les effets du vécu de stigmatisation, qui entraînent des mouvements de contre-identification aux pairs de l’institution, dans le discours de la plupart des adolescents. La situation amoureuse, à l’inverse, semble favoriser les processus d’identification entre pairs. Le fait d’être en couple produit de la ressemblance qui favorise l’élection, alimente les échanges entre copines, fait rechercher le soutien et les conseils des amis.

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Alban désigne David comme son ami privilégié, et le justifie ainsi : « Je me confie plutôt à David et lui se confie plutôt à moi donc on est plutôt comme ça avec David. On se confie tous les deux, on se prend à part, c’est pareil on se dit, on se confie des trucs comme ça […] parce que ça soit lui au moi c’est pareil. […] On parle toujours des copines donc comme ça c’est réglé. »

58En ce sens, la relation amoureuse permet de passer outre la situation de stigmatisation.

59Elle peut aussi être au service des mouvements de contre-identification, les pairs handicapés n’étant pas envisagés comme des partenaires amoureux. C’est le cas pour Fréderic.

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« Faire un couple à l’ime, non… Parce qu’à l’ime y’a trop de problèmes. Même François il le dit, ici c’est un peu comme les feux de l’amour. » Pour lui, à l’extérieur c’est différent : « Y’a plus de filles, et tout le monde n’est pas pareil. »

61Anne-Lise explique ainsi ses choix électifs :

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« Je suis une beauté alors il faut des gars beautés. » Concernant les adolescents de l’ime, elle précise : « Ah, à part ma meilleure amie Lucie et Alban, et Lisa B. Et c’est tout. Et Florian, eux ils sont magnifiques et les autres ils sont moches. Il n’y en a pas beaucoup à l’ime. »

63Cette question du désir de l’autre et de la désirabilité est au cœur de la problématique adolescente que le sujet soit déficient ou non. Le corps handicapé, la déficience intellectuelle font qu’elle est majorée et qu’elle peut amener l’adolescent à développer une faible estime de soi et à exprimer des affects dépressifs qu’il conviendra également d’accompagner.

Conclusion

64Comme le met en évidence Bon (2007), l’adolescence « condense » et « cristallise » des questionnements douloureux que le handicap suscite pour le sujet et ses proches. L’adolescent peut alors mettre en avant son handicap pour masquer, ne pas avoir à aborder les conflits relatifs au processus d’adolescence (Houssier et Scelles, 2000). Il se présente de manière parfois provocante comme « handicapé ». A contrario, il peut vouloir masquer, nier ses atteintes pour faire rupture avec l’enfance « handicapée » et devenir, à l’aube de cette nouvelle étape, « enfin normal ». Il existe cependant, entre ces deux extrêmes, une multitude de chemins et d’issues que trouvent et que créent les sujets pour s’engager dans ce temps de transition maturatif.

65Nous avons fait le choix de ne pas systématiquement opposer la représentation d’une adolescence aux prises avec les incidences que peuvent générer des atteintes motrices de celle concernée par des déficiences intellectuelles.

66Quel que soit le type de handicap, les vignettes cliniques de ces adolescents nous montrent les angoisses que peuvent générer les questions d’avenir, d’autonomisation et de désirabilité à découvrir et expérimenter dans le lien aux pairs.

67Il est évident qu’une situation de déficience motrice et une situation de déficience intellectuelle ne sont pas similaires en tout point. Ainsi le poids du stigmate dans le relationnel aux autres ne conduit pas à la mise en œuvre des mêmes stratégies selon que le sujet est en position « discréditée » ou « discréditable » (Goffman, 1975). La déficience visible est une donnée visible immédiate dans la relation, ce qui n’est généralement pas le cas de la déficience intellectuelle, qui se révèle progressivement dans le relationnel aux autres.

68Les moyens et les ressources dont disposent les adolescents déficients ne sont pas identiques, le poids des difficultés cognitives complexifiant la mise en sens et la représentation de leurs éprouvés et de leur vécu. Dans ces deux cas cependant, le handicap, ses effets sur le développement psycho-affectif du sujet peuvent faire l’objet de tabous ou d’énonciations violentes, en contradiction avec la nécessité impérieuse de l’adolescent de mettre des mots sur cette énigme pour construire son devenir.

69Pour certains adolescents, l’avenir ouvre la question angoissante de la perte des capacités motrices, de la mort, alors que dans les situations de déficiences intellectuelles, les craintes relatives aux futurs concernent le décès des proches mais aussi la peur de rater sa vie (Hebblethwaite et coll., 2011). Dans ce contexte, le désir qu’ont les adolescents en situation de handicap de quitter le milieu protégé se conflictualise avec l’angoisse qu’un échec, une mise en défaut les amènent à être tournés en ridicule et rejetés par des personnes non déficientes (Jahoda et Markova, 2004).

70Face à ces questions angoissantes relatives au devenir adulte, l’adolescent a besoin de liens sur lesquels s’étayer, familiaux et extrafamiliaux. Les liens aux pairs représentent notamment un support précieux, que ce soient les liens fraternels, électifs ou affiliatifs, pour le déroulement de l’adolescence. Les temps partagés avec les pairs ouvrent aux apprentissages relationnels, aux expérimentations amoureuses, et permettent que s’élaborent, progressivement, les parties de soi potentiellement en souffrance. Reconnaître et mettre des mots sur ce qui, en soi, fait souffrance, est nécessaire pour que l’adolescent ne se construise pas dans le rejet du handicap, lui faisant courir le risque d’un fort vécu de solitude et d’une grande souffrance psychique.

Français

Adolescence et handicap, deux termes qui se questionnent mutuellement du fait des interrogations anxieuses que recouvre, pour les jeunes en situation de handicap, le devenir adulte. Or la clinique nous montre que les jeunes déficients, malgré les entraves auxquelles ils sont confrontés, peuvent mener à bien ce processus, en empruntant parfois des voies détournées.
Dans cet article, nous questionnons, en nous appuyant sur notre pratique clinique et de recherche auprès d’adolescents déficients intellectuels et d’adolescents déficients moteurs, et à partir de vignettes, les effets du handicap sur le processus d’adolescence.
Le handicap est envisagé du côté des limitations motrices et cognitives, mais plus globalement dans la prise en compte des expériences de stigmatisation qu’il fait vivre au sujet et à son environnement. Nous exposons ses incidences potentielles sur le groupe famille, les parents mais aussi la fratrie, ses effets possibles en termes de dépendance et de souffrance psychique pour les adolescents. Cet article permet de mettre en évidence, au-delà des entraves rencontrées, les moyens et les ressources dont disposent ces jeunes pour permettre la mise en œuvre du travail intrapsychique et intersubjectif maturatif relatif à ce processus et ainsi se projeter comme devenant adulte.
La dynamique intersubjective est explorée à travers les divers liens familiaux, extrafamiliaux, électifs et affiliatifs, en étai sur les trajectoires singulières des différents jeunes évoqués dans cet article.

Mots-clés

  • handicap
  • processus d’adolescence
  • remaniements intrapsychiques
  • vie relationnelle

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Marie-Anne Écotière [*]
  • [*]
    Marie-Anne Écotière, doctorante, laboratoire psy-nca, ea 4700, équipe tif, université de Rouen et laboratoire clipsyd, ea 4430, équipe a2p, université de Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, psychologue, oyeucmae@hotmail.com
Sophie Pivry [**]
  • [**]
    Sophie Pivry, doctorante, laboratoire clipsyd, ea 4430, équipe a2p, université de Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, psychologue iem/sessad Le Hameau de Gâtines, Association européenne des handicapés moteurs (aehm), sophie.pivry@wanadoo.fr
Régine Scelles [***]
  • [***]
    Régine Scelles, professeure de psychopathologie, laboratoire clipsyd, ea 4430, équipe A2P, université de Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, scelles@free.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/10/2016
https://doi.org/10.3917/cont.044.0229
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