1La théorie de l’attachement se développe dans la seconde moitié du xxe siècle à partir des travaux de J. Bowlby. Il étudie les conséquences des séparations précoces et brutales qui touchent de nombreux enfants et les carences affectives de ceux qui n’ont pas bénéficié de relais stables et attentifs, dans une période douloureuse de l’histoire européenne marquée par la Seconde Guerre mondiale. La théorie de Bowlby intègre les données de l’éthologie, des sciences cognitives, de la cybernétique, de l’observation, du développement et de certains courants psychanalytiques. Après de violentes controverses et sa mise à l’écart parce qu’il remet en cause de la théorie des pulsions, la British Psychoanalytic Society rendra finalement un hommage posthume à J. Bowlby. Elle reconnaîtra et regrettera sa position d’exclusion quant à une théorie aussi importante pour penser le développement humain et le soin.
2C’est au cours du Colloque imaginaire organisé en 1979 par R. Zazzo – auquel assistent D. Widlocher, S. Lebovici et D. Anzieu – que les travaux de Bowlby sont présentés en France et que le débat peut commencer (notons qu’à cette époque la théorie de l’attachement est déjà diffusée dans les pays anglo-saxons et dans d’autres pays européens). Les travaux de J. Bowlby vont trouver un prolongement expérimental fondamental par la mise au point de la Strange Situation par Marie Salter Ainsworth. Ce paradigme expérimental permet d’évaluer la qualité du lien d’attachement à partir de l’âge de un an et de codifier la sécurité ou l’insécurité qui le caractérise alors. Enfin, une élève de M. Ainsworth, Marie Main, apporte un autre développement majeur à cette théorie en élaborant l’Adult Attachment Interview qui permet d’interroger les représentations d’attachement chez les adultes et de classer les récits en catégories secure ou insecure, comme la Strange Situation pour les enfants.
Présentation générale de la théorie de l’attachement
3Le lien d’attachement est un lien spécifique, unique, durable et irremplaçable, chargé d’émotions, entre deux êtres humains. Au sens de la théorie, l’attachement nous pousse à rechercher, et à trouver, auprès de certaines figures un sentiment de sécurité et de réconfort quand nous ressentons de la détresse ou que nous sommes en situation de tension ou d’impuissance. L’importance de l’attachement est toute particulière dans les premières années de la vie, quand le bébé, puis l’enfant dépend de son environnement pour survivre. La théorie de l’attachement modélise la place et l’importance des relations, ainsi que la dimension interpersonnelle dans le développement psychoaffectif de l’être humain.
4L’attachement est un système « motivationnel » inné qui s’active soit parce que l’environnement est perçu comme hostile, soit parce que l’individu ressent un déséquilibre interne (douleur, faim, fatigue, maladie …). Ce système « motivationnel » se caractérise par un ensemble de comportements ou d’actions génétiquement programmés, activés puis désactivés par des stimuli spécifiques, qui visent à atteindre un objectif particulier : permettre à l’individu de retrouver une proximité avec des personnes spécifiques – les figures d’attachement – ainsi qu’un équilibre général physique et émotionnel pour revenir à un sentiment de sécurité interne. C’est le retour à un état d’équilibre émotionnel et physiologique qui désactive le système d’attachement. Le lien d’attachement est nécessaire à la survie de l’espèce et reste actif tout au long de la vie : « L’attachement dure du berceau jusqu’à la tombe. » (J. Bowlby).
L’attachement chez l’enfant
5À partir de l’observation des effets des séparations précoces, J. Bowlby a postulé que le nourrisson avait un besoin fondamental autre que la satisfaction alimentaire : « le besoin de protection ».
6Le nourrisson naît totalement dépendant, il est nécessaire que son environnement lui procure des soins pour assurer sa survie, mais aussi qu’il le « plonge » dans un champ relationnel, affectif et émotionnel qui soutienne son développement.
7La dépendance du bébé va l’amener à solliciter son environnement pour obtenir la protection dont il a besoin. Quand il est aux prises avec les émotions négatives que lui font vivre certaines situations de détresse et de tension, il va par ses comportements attirer l’attention des adultes qui prennent soin de lui. Si leurs réponses sont adaptées, l’enfant retrouve le vécu de sécurité interne qu’il avait perdu et un lien de proximité s’installe. Par cette proximité, les adultes vont protéger le bébé des dangers les plus proximaux (avoir froid, avoir faim, se déréguler sur le plan physiologique et sur le plan des émotions négatives) et des dangers les plus lointains (les situations d’agressions diverses). La proximité, entre le nourrisson et ceux qui l’élèvent, est la pierre angulaire de la théorie de l’attachement.
8Selon J. Bowlby, le nouveau-né a un besoin inné de s’attacher et il dispose d’une gamme de comportements indispensables à la construction du lien d’attachement. Mis à part les enfants élevés en situation de grande carence ou de privation psychoaffective, tous les bébés construisent un lien d’attachement. Ce lien n’existe pas à la naissance, il va se structurer au cours de la première année de vie. Il reposera sur les capacités d’apprentissage de l’enfant et sur la qualité des soins et des réponses qu’il reçoit. Comme l’a démontré Ainsworth, la qualité des réponses parentales aux besoins d’attachement du bébé va déterminer la sécurité ou l’insécurité du lien. C’est à la personne qui aura le plus fréquemment et le plus durablement répondu à ses besoins d’attachement que le nourrisson s’attachera, elle deviendra la figure d’attachement principale. Dans nos cultures, c’est souvent la mère. Contrairement à ce qui est souvent écrit et pensé, les parents ne s’attachent pas à leur enfant au sens de la théorie de l’attachement : ils répondent à ses besoins.
9En ce qui concerne l’enfant, ce lien se construit en plusieurs étapes :
10La première phase. De la naissance à trois mois, les comportements d’attachement que sont les cris, les pleurs, mais aussi les babillages du bébé ne sont pas tournés vers une figure particulière. Il cherche à établir un contact à une période de sa vie où il est dépendant de son environnement, des réponses de son entourage à ses sollicitations et possède peu de possibilités à la fois motrices et cognitives pour satisfaire son besoin de proximité. Dans nos cultures, c’est le plus souvent encore la mère qui répond à ce genre de manifestations de la part nourrisson.
11La deuxième phase. Entre trois et six mois, les comportements sont orientés vers une ou plusieurs figures individualisées. Le premier changement important relève de la capacité qu’acquiert l’enfant de tendre les bras, de s’accrocher, de s’orienter vers sa figure d’attachement potentielle, donc de chercher plus activement à obtenir sa proximité. Les enfants de seize à dix-huit semaines découvrent de nouveaux mouvements d’orientations différentielles, visuelles et posturales et comme l’a démontré M. Ainsworth, ils vont préférer focaliser leur attention sur leur figure d’attachement beaucoup plus que sur une figure étrangère.
12Le second changement réside, en effet, dans l’aptitude qu’a l’enfant à différencier les gens qui lui sont familiers des étrangers. Il commence à reconnaître sa figure d’attachement et, à partir de cet âge, celle-ci l’apaise beaucoup plus que n’importe quelle autre personne. Vers quatre ou cinq mois, un enfant dont la mère quitte la pièce va crier, tentant ainsi de la ramener auprès de lui. On observe, d’une part, une hiérarchisation entre ceux qui s’occupent de l’enfant et, d’autre part, un début de discrimination de la figure d’attachement principale.
13La troisième phase. Elle commence entre six et neuf mois et dure jusqu’au début de la troisième année. C’est à cette période que se met en place le phénomène de base de sécurité. Cette phase est marquée par d’importants et nombreux changements au niveau des capacités motrices de l’enfant – le développement moteur va, en effet, lui permettre d’être actif dans la gestion de la distance qu’il pourra supporter par rapport à sa figure d’attachement – de ses facultés cognitives et de ses aptitudes à communiquer.
14Le phénomène de base de sécurité est une notion fondamentale de la théorie de l’attachement. Lorsqu’il se sent en sécurité, le bébé se sert de sa mère, elle devient cette base de sécurité à partir de laquelle il découvre le monde environnant : l’enfant va s’éloigner de sa mère, il va explorer et revenir vers elle de temps en temps. En situation de tension, l’enfant qui a établi, avec sa mère, un lien d’attachement de qualité revient immédiatement vers elle, son havre de sécurité, pour être réconforté et retrouver auprès d’elle la sécurité émotionnelle interne qu’il a perdue.
15L’attachement est donc un processus progressif, le lien se tissant sur une période de plusieurs mois. Il faut, en effet, environ neuf mois d’interactions suffisamment continues pour que l’enfant construise ce lien d’attachement spécifique avec chacune de ses figures d’attachement, un lien qui devient unique, non interchangeable et irremplaçable.
16À partir de sept ou neuf mois, le système « motivationnel » de l’attachement est opérationnel. C’est à cet âge que le bébé doit faire face à une nouvelle peur, celle de l’inconnu, du non-familier, et cette peur vient s’ajouter à ce qui déjà le mettait en situation de détresse. Tout éloignement mal préparé ou prolongé, toute inaccessibilité à sa figure d’attachement, alors qu’il est fatigué, malade ou pour d’autres raisons, provoquent chez l’enfant une réaction de détresse intense. Cette réaction témoigne de l’activation de son système d’attachement et seule la proximité physique de sa figure d’attachement pourra rétablir son sentiment de sécurité interne et lui rendre le sourire.
17Disponibilité, continuité, séparations limitées dans le temps en fonction de l’âge de l’enfant, aménagement des passages d’une figure d’attachement à une autre, réactions prévisibles de la part d’adultes cohérents et fiables, qualité des réponses et adéquation aux besoins de l’enfant, sont les principales conditions de la construction d’un sentiment de sécurité du lien qui met l’enfant en confiance et lui permet de développer, en toute tranquillité, ses nouvelles compétences cognitives, ses capacités de régulation émotionnelle, pour une meilleure exploration du monde. Plus l’enfant partage un attachement secure avec une personne, plus il sera autonome vis-à-vis d’elle. L’assurance que sa figure d’attachement sera présente en cas de besoin lui permet de mettre en place un équilibre flexible entre besoins d’attachement et besoins d’exploration. Un enfant ne peut, en effet, aller à la rencontre de son environnement que si son système d’attachement est désactivé. Il doit se sentir en sécurité pour explorer paisiblement. Dans le cas contraire, la satisfaction de ses besoins d’attachement l’occupe totalement.
18En règle générale, 60 % des enfants développent un attachement secure avec leur mère. Or, dans notre clinique, seul 20 % des enfants que nous rencontrons ont développé ce type d’attachement.
19Ce phénomène peut être évalué lors de la cotation de la qualité du lien d’attachement par la Strange Situation mise au point par M. Ainsworth. Pendant huit séquences de trois minutes, la procédure consiste à observer les réactions d’un enfant de douze à dix-huit mois face à une figure d’attachement lors de deux séparations et deux réunions, ainsi que ses réactions à la venue dans la pièce d’une personne étrangère.
20Le déroulement d’une séance est le suivant : l’enfant passe un moment seul avec sa figure d’attachement dans la salle d’observation, puis une personne étrangère entre, elle engage la conversation avec l’adulte et tente d’interagir avec l’enfant. La figure d’attachement sort de la pièce, laissant l’enfant seul avec l’étrangère. La figure d’attachement revient, l’étrangère sort. Quand l’enfant est apaisé et tranquille, sa figure d’attachement ressort de la pièce le laissant seul, ensuite l’étrangère revient seule, puis la figure d’attachement rentre elle aussi dans la pièce. L’étrangère part laissant l’enfant avec sa figure d’attachement. L’ensemble des séquences est observé derrière une glace sans tain et filmé.
21Cette mise en situation stimule, de manière progressive, le système d’attachement de l’enfant. En accroissant les sensations de tension par des séparations, on observe l’enfant qui organise ses comportements d’attachement envers sa figure d’attachement, la façon dont il est réconforté par celle-ci, et comment il peut ensuite reprendre son exploration dans les jeux.
22La cotation se fait à partir de quatre échelles interactives :
- La recherche de proximité par l’enfant de sa figure d’attachement lorsqu’il la retrouve après une séparation ;
- Le maintien du contact avec elle ;
- La résistance au contact ;
- L’évitement par l’enfant de la proximité avec sa figure d’attachement quand il la retrouve après une séparation.
23Trois groupes d’enfants ont ainsi été différenciés à partir de leurs comportements et de leurs manifestations affectives, dans un premier temps des recherches.
24Les enfants secure. Sur le plan comportemental, les enfants secure accueillent leur figure d’attachement avec plaisir (regard, sourire, bras tendus, proposition de partage d’un jeu …) ou recherchent activement sa proximité lors des retrouvailles. Ils maintiennent le contact tant qu’ils ne sont pas totalement réconfortés, puis ils retournent jouer, ils reprennent, en effet, leur exploration dès qu’ils sont sereins, ayant retrouvé leur sentiment de sécurité émotionnelle interne. Ils expriment clairement leurs émotions qu’elles soient négatives (angoisse, colère, peur lors des séparations) ou positives (partage dans le plaisir des jeux lors de l’exploration). Ils montrent ainsi que leur figure d’attachement leur sert, de façon satisfaisante, de base de sécurité.
25Les enfants insecure. Ils se divisent en deux sous catégories : les enfants insecure-évitants ; les enfants insecure-ambivalents. Il est important de préciser que l’insécurité de l’attachement n’est pas pathologique, elle traduit la mise en place de stratégies comportementales adaptatives ou secondaires de l’enfant par rapport aux réponses moins sécurisantes de ses figures d’attachement dans les situations de tension.
26Les enfants insecure-évitants. Sur le plan comportemental, les enfants insecure-évitants ne s’appuient pas, ou peu, sur une base de sécurité. Lors des retrouvailles, ils évitent la proximité et le contact, ils focalisent leur attention sur les jouets plutôt que sur leur figure d’attachement, ils contrôlent ainsi, de manière excessive, leurs émotions qu’ils n’expriment pas de façon claire. Ils peuvent se montrer enthousiastes pour les jeux avec la figure étrangère. Sur le plan affectif, ils n’interagissent pas, ou peu, avec leur figure d’attachement et ne partagent pas de plaisir dans les jeux, contrairement aux enfants secure. D’un point de vue biologique, le niveau de tension de ces enfants est intense, avec une fréquence cardiaque, des taux de cortisol salivaire et de sudation élevés, beaucoup plus important que chez les enfants des deux autres catégories. En grandissant, certains de ces enfants deviendront très « contrôlants », peu flexibles dans leur fonctionnement psychique et dans leurs modalités relationnelles.
27Les enfants insecure-ambivalents. Ces enfants affichent un haut niveau de détresse à la séparation. Dans leur comportement, s’ils recherchent activement la proximité lors des retrouvailles avec leur figure d’attachement, on observe toutefois un mélange entre cette recherche et une résistance au contact, un rejet coléreux de leur figure d’attachement. Il n’est pas facile de les réconforter, le havre de sécurité n’est pas efficace, pas plus que la base de sécurité, car en présence de leur figure d’attachement ces enfants n’explorent pas sereinement leur environnement, ils sont souvent très préoccupés par le maintien d’un contact visuel, voire d’une proximité, mais qui ne les sécurise pas. Ainsi, ils montrent souvent une exploration pauvre, des jeux restreints, n’étant pas disponibles pour explorer, ils sont très facilement déstabilisés sur le plan émotionnel dès qu’ils sont en situation de tension.
28M. Main et J. Solomon décrivent en 1986 le concept d’attachement désorganisé qui traduit une impossibilité pour l’enfant à maintenir une stratégie cohérente et prévisible à la fois sur un plan comportemental et cognitif dans une situation de tension. Les enfants ayant ce type d’attachement étaient difficilement évalués et faisaient partie des enfants unclassified. Au cours d’une Strange Situation, on a, en effet, pu observer des comportements contradictoires comme l’ébauche d’une approche de la figure d’attachement et un détournement sans cause apparente, des mouvements stéréotypés, un évitement accompagné de manifestations de détresse, des postures anormales et surtout des indices d’appréhension avec des manifestations de désorientation et de désorganisation à la fois comportementale et émotionnelle. Un enfant peut être désorganisé face à une figure d’attachement alors qu’il ne l’est pas face une autre. Ces manifestations sont spécifiques à la relation. Les risques évolutifs de cet attachement désorganisé peuvent entrainer des manifestations agressives, des colères intenses et des troubles du comportement essentiellement liés à des problèmes importants de régulation émotionnelle. Ces enfants risquent de présenter des troubles de la personnalité à l’adolescence.
29En s’appuyant sur le développement cognitif, des représentations mentales s’organisent, rudimentaires dans les six premiers mois, et de plus en sophistiquées à partir d’un an. En effet, dès que l’enfant est capable de construire des représentations mentales de ce qui l’entoure, il va développer des modèles de relations qui vont l’aider à comprendre et à interpréter les comportements de ses proches. Ces modèles mentaux sont appelés « modèles internes opérants » par Bowlby. Un modèle se compose à la fois d’un modèle de soi plus ou moins digne d’être aimé, plus ou moins digne d’attention, et un modèle d’autrui plus ou moins sensible aux besoins, plus ou moins attentif. Ainsi, l’enfant qui a expérimenté un lien d’attachement secure développe le sentiment qu’il y a toujours quelqu’un pour répondre quand ça ne va pas, que l’on peut avoir confiance dans la disponibilité des figures d’attachement, dans les capacités de l’environnement à répondre de façon adéquate aux besoins de réconfort parce qu’il procure la proximité nécessaire. L’enfant secure construit également une image de lui-même digne d’amour et d’intérêt, puisqu’il a trouvé du réconfort quand il en a eu besoin. Cette image va « colorer » l’estime de soi de l’enfant tout au long de sa vie. Ces représentations sont différentes chez les enfants insecure.
30À partir de quatre ans, l’enfant élabore un système de représentations mentales de plus en plus complexe. Le système d’attachement se complexifie, s’appuie sur les représentations mentales et n’est plus au premier plan. Ce sont les systèmes exploratoires (du monde interne et externe) et le système « affiliatif » (relations aux pairs) qui dominent, les développements cognitifs, langagiers et affectifs modifient le rapport au monde de l’enfant, ainsi, ses comportements changent.
31Les besoins d’attachement de l’enfant trouveront un équilibre au sein de la relation parent-enfant, ce dernier étant de plus en plus actif, il pourra se représenter leurs attentes et en tenir compte. S’il a de moins en moins besoin de la proximité physique de ses figures d’attachement, il aura toujours besoin de leur disponibilité et de leur accessibilité en cas de nécessité. Il pourra plus facilement supporter les séparations surtout si elles sont préparées, accompagnées et soutenues par des contacts réguliers, par téléphone ou avec des photos, par exemple.
32À cet âge, on observe combien la sécurité de l’attachement influence de manière positive les compétences sociales de l’enfant, sa capacité à réguler ses émotions négatives, son estime de lui-même et ses capacités d’exploration. Ainsi, les enfants secure négocient beaucoup mieux les conflits et les désaccords. Cette capacité de négociation est un bon indicateur de la sécurité ou de l’insécurité de l’attachement. Notons que les enfants secure entrent moins en conflit que les enfants insecure et s’adaptent mieux aux challenges de la vie familiale et sociale.
33L’étude des facteurs qui engendrent l’établissement d’un lien secure ou insecure est des plus importantes dans la théorie de l’attachement : elle passe du champ de la transmission transgénérationnelle à la compréhension des caractéristiques intrinsèques du processus des soins parentaux qui répond de manière optimale aux besoins d’attachement de l’enfant. Un des facteurs clés (à l’évidence pas l’unique facteur, mais le mieux étudié à l’heure actuelle) est la qualité des soins.
34Nous allons à présent décrire, très brièvement, le système de réciprocité – le caregiving – qui va contribuer au développement du processus d’attachement.
Le système de caregiving chez les parents
35Lorsque des parents s’occupent du bien-être de leur enfant (ou dès qu’un être humain se trouve face à un autre en situation de vulnérabilité, de détresse ou d’immaturité) s’active un système dit de caregiving : système « motivationnel » réciproque.
36Le caregiving est une des dimensions du lien parent-enfant et ne résume en aucun cas ce qu’est l’amour pour un enfant. C’est un répertoire unique de comportements et d’attitudes mentales qui ont pour objectif de maintenir une proximité physique et psychologique avec le bébé quand il en manifeste le besoin. Il est important que les parents soient disponibles psychiquement et stables émotionnellement pour répondre de manière adéquate à ses besoins d’attachement et pour l’aider à réguler sa détresse.
37Les systèmes d’attachement et de caregiving fonctionnent dans un système dyadique de couplage et d’autorégulation qui permet de garder l’enfant dans un état d’équilibre physiologique et organisé sur le plan émotionnel. Ainsi, les parents, en assurant le maintien de la sensation de bien-être, servent de base de sécurité à l’enfant.
38Les soins peuvent être de diverses natures comme bercer, consoler, parler, appeler ; adaptés au contexte, au stade de développement de l’enfant ; ou ajustés quand ils ne répondent pas à la demande. Dès que l’enfant se montre réconforté, apaisé, le système de caregiving parental se désactive.
39Afin que l’enfant construise un lien secure avec sa figure d’attachement, les parents doivent pouvoir « lire », interpréter et répondre, à différents niveaux, aux signaux qu’émet un enfant. L’enjeu particulier et complexe d’un caregiving de qualité est de pouvoir faire face aux émotions négatives de l’enfant, calmement, sans se laisser désorganiser par ses expressions de colère, de peur et de tristesse. Le parent doit pour cela pouvoir se représenter les états mentaux de son enfant afin d’adapter sa réponse aux sollicitations. Cette sensibilité parentale aux besoins d’attachement de l’enfant s’exprime à travers une disponibilité physique et émotionnelle offrant consolation, réconfort, apaisement, voire des explications quand l’enfant est en mesure de les comprendre. De plus, lorsque le caregiving est de qualité, il apporte un soutien à l’enfant dans son exploration du monde extérieur. Mais, il arrive que les parents se trouvent en difficulté quand ils sont eux-mêmes en situation de tension et que leur propre système d’attachement est activé. Le système d’attachement et le système de caregiving sont alors en « compétition ».
40De nombreux facteurs vont agir sur le caregiving. D’une part, des études sur la transmission transgénérationnelle de l’attachement démontrent qu’une insécurité de l’attachement parental joue sur la manière dont les signaux qu’émet l’enfant sont perçus, en déforme la lecture et, par conséquent, influence le choix - inconscient - des réponses qui sont données aux besoins d’attachement. D’autre part, les représentations culturelles jouent un rôle sur le caregiving, même si le lien d’attachement et ses caractéristiques sont transculturels.
41Par ailleurs, si les modifications hormonales de la période du postpartum favorisent la mise en place du lien d’attachement en augmentant la possibilité de soins destinés à l’enfant, des facteurs liés aux conditions de la naissance ont un impact sur le caregiving. L’expérience et l’interprétation que la mère fait de la naissance de son enfant vont avoir une incidence sur la mise en place du caregiving.
42De plus, les facteurs sociaux et contextuels, l’état psychique de la mère et du père, les tensions environnementales, en particulier tout ce qui met à mal un équilibre émotionnel, peuvent nuire au caregiving. La qualité de la relation entre la mère et son partenaire est alors cruciale, celui-ci devra jouer pendant cette période le rôle de base de sécurité.
Éclairage par la théorie de l’attachement des prises en charge dans un CAMSP
43Le lien d’attachement se construit au cours de la première année de vie de l’enfant. Il est évaluable, même si les caractéristiques secure ou insecure peuvent varier en fonction des événements de la vie de l’enfant.
44Les enfants et les parents accueillis dans un CAMSP rencontrent des difficultés dans le développement d’un lien d’attachement secure, d’une part, parce que la maladie ou le handicap de l’enfant met à mal le caregiving parental, d’autre part, parce que ces enfants peuvent avoir des difficultés à exprimer clairement leurs besoins d’attachement.
Les enjeux des soins du côté des parents
45Les parents sont en situation de détresse et leur système d’attachement est activé quand ils se présentent. Leurs réactions vont être « teintées » par leur style d’attachement : possibilité d’adaptation à la situation qui va permettre un investissement et un accompagnement de leur enfant ; réactions inadaptées qui vont passer par la colère, le déni, la fuite ou des demandes d’accompagnement ou de soins impossibles à satisfaire.
46L’annonce d’un diagnostic de maladie grave ou chronique ou d’un handicap peut avoir un impact traumatique pour les parents et va influencer leur façon de s’occuper de leur enfant, voire les plonger dans l’incapacité plus ou moins longue d’en prendre soin. Ces situations sont un véritable choc pour le caregiving. Les parents vont devoir gérer les sentiments contradictoires que la situation leur fait vivre, entre amour, rejet, haine et culpabilité vis-à-vis de leur enfant.
47Certains parents vont dépasser ce traumatisme et s’investir dans la relation avec leur enfant, ils auront alors des attentes réalistes vis-à-vis de lui et seront sensibles à ses besoins, y compris dans les dimensions émotionnelles. Ils pourront évoquer les points positifs et négatifs du vécu avec leur enfant et ils s’adapteront à l’évolution de la situation.
48D’autres parents se trouveront dans l’incapacité de dépasser ce traumatisme, leur capacité de caregiving sera alors atteinte plus durablement. Ils ne pourront pas être sensibles aux besoins de leur enfant, c’est-à-dire que leur perception de ses besoins sera parasitée, entraînant des réponses inadéquates par manque de sensibilité et de flexibilité. Les parents ne peuvent pas servir de base de sécurité à leur enfant ; le risque que l’enfant construise un attachement insecure, voire désorganisé, est important.
Les enjeux des soins du côté des enfants
49Les enfants porteurs d’un handicap éprouvent des difficultés à signifier clairement leurs besoins d’attachement. La nature des troubles du développement va influencer la manière dont l’enfant communique ses besoins d’attachement et rendre leur lecture plus complexe. Les retards ou les déficits des modes de communication vont entraver l’expression des besoins d’attachement de ces enfants. Les pathologies comme la trisomie 21 entraînent une moindre précision voire une inadaptation des signaux émotionnels qui deviennent difficiles à discriminer au sein de manifestations comportementales générales complexes. L’apparence physique semble également être une variante qui influence la sensibilité parentale de manière considérable. En effet, plus l’anomalie physique est apparente plus le caregiving semble sollicité et meilleure est sa qualité. Les handicaps qui font ressentir l’enfant comme vulnérable stimulent le caregiving parental.
50Mais l’équilibre est complexe, car si la vulnérabilité de l’enfant est trop importante, le caregiving parental peut être paralysé. Les parents peuvent se trouver incapables d’assurer le confort voire la survie de leur enfant et considérer leur objectif de protection comme inatteignable. Ils peuvent alors penser qu’il est vain de prendre soin de l’enfant, que cela ne mènera à rien et ainsi ne pas parvenir à s’investir. Les parents risquent alors d’osciller entre rejet et surinvestissement coupable, se trouvant dans l’incapacité répondre de manière sensible et adéquate aux besoins de leur enfant ; ils risquent aussi se centrer de façon défensive sur le confort physique, étant dans l’impossibilité d’être attentifs aux expressions émotionnelles.
51La naissance prématurée d’un enfant est aussi une situation qui met à mal les capacités de caregiving des parents et à laquelle les professionnels des CAMSP sont confrontés. La séparation précoce, induite par la naissance prématurée, pose des problèmes pour l’établissement du lien sur lequel l’attachement de l’enfant viendra se construire. En effet, les parents peuvent ne pas se sentir indispensables à la survie de leur enfant, se trouver incompétents et inutiles. L’anxiété peut prendre le dessus sur tous les sentiments vis-à-vis du bébé et l’absence de plaisir partagé aura un impact négatif sur l’activation du caregiving. Les parents ne sont pas « gratifiés » par ce bébé, souvent impressionnant physiquement, et qui peut mourir. L’investir peut alors être vécu comme dépourvu de sens, voire comme un risque de souffrance.
52Les mères peuvent aussi développer un état de stress posttraumatique, ou faire une dépression qui la rend peu disponible pour la construction d’une relation, ce qui va augmenter les difficultés d’investissement du bébé. D’ailleurs, la prématurité est connue comme étant un facteur de risque de maltraitance, ce qui représente un échec violent du caregiving.
53Il est important d’avoir à l’esprit que dans toutes ces situations le système d’attachement des parents est activé lui aussi. Ces couples sont dans une situation particulière de « compétition » entre leur propre besoin d’attachement par rapport à la détresse qu’ils ressentent et la nécessité d’être disponibles, sensibles et capables de prendre soin de leur enfant. Ils sont aux prises avec un challenge difficile à relever et leur style d’attachement va avoir une influence sur la façon dont ils vont faire face à cette situation. La qualité de la relation du couple ainsi que le réseau de soutien dans lequel il vit vont prendre toute leur importance. C’est dans cette perspective de la théorie de l’attachement que l’intervention des professionnels prend toute sa valeur.
La place des professionnels auprès de l’enfant et de ses parents
54Les professionnels d’un CAMSP sont face à des parents qui viennent demander de l’aide pour leur enfant. Le système d’attachement de ces parents est plus ou moins activé par la détresse dans laquelle les plonge la pathologie de leur enfant, et leur style d’attachement va influencer leur capacité à demander de l’aide et à faire confiance. Les parents secure rencontreront moins de difficultés pour construire une alliance thérapeutique de qualité. Il arrive, en effet, que des parents insecure mettent à mal les soins, ceci en lien avec les représentations qu’ils ont de relations non satisfaisantes, non fiables, voire « désorganisantes » dans les situations difficiles.
55L’enjeu est que la structure accueillante devienne une base de sécurité pour ces familles, qu’une bonne alliance thérapeutique voit le jour et que l’enfant puisse jouir pleinement des soins proposés par les soignants qui deviendront une base de sécurité pour l’enfant s’ils peuvent répondre de façon adéquate à ses besoins d’attachement, dans une continuité relationnelle, en sachant « lire » ses schémas d’attachement, en fonction de son âge, pour entrer en relation avec lui et le soutenir quand il est alarmé. Avec leur soutien, l’enfant pourra explorer l’ensemble de ses capacités et progresser au mieux. Les professionnels sont donc une base de sécurité, à la fois pour les parents et pour l’enfant, à l’écoute des stratégies adaptatives développées par chacun des membres de la famille dans l’expression de ses besoins d’attachement.
Conclusion
56L’attachement est une dimension importante du fonctionnement psychique dans le développement d’un être humain. Favoriser l’installation d’un attachement secure entre un enfant et ses parents est un objectif central du travail thérapeutique. Les enfants qui présentent un handicap courent un risque plus important de construire un lien insecure avec leurs parents. Cette tendance peut être infléchie par des soins qui répondent aux besoins d’attachement des enfants et des parents qui viennent consulter dans un CAMSP. L’équipe peut, en effet, devenir cette base de sécurité sur laquelle l’ensemble de la famille va s’appuyer pour faire au mieux son chemin de vie - un parcours ponctué de moments de détresse, plus ou moins douloureux, qui activent les systèmes d’attachement de chacun, dans les familles dont un enfant présente un handicap.