1Les troubles précoces de la relation parent-enfant sont multiples et variés. Ils sont généralement liés à des troubles vécus par les parents : du simple baby blues, épisode dépressif qu’un certain nombre de mères connaissent après la naissance de leur bébé, à la psychose puerpérale ou aux délires maternels ou paternels à l’approche de l’accouchement, en passant par les multiples fuites, mises à l’écart ou désinvestissements de la relation qui sont possibles. Les spécialistes de la période périnatale, et notamment les pédopsychiatres, insistent sur l’intérêt d’une démarche préventive précoce de ces troubles susceptibles de toucher tous les parents et de produire par contrecoup des effets néfastes sur leurs enfants. Il est vrai que, depuis Freud, nous avons progressivement pris conscience de l’importance de la prime enfance dans la constitution de l’équilibre psychique du sujet, et du fait que les relations aux parents s’avèrent à cet égard primordiales. Il en ressort que le milieu familial constitue l’espace privilégié de production de la santé psychique du jeune enfant, et que cette santé s’élabore dans les relations avec les proches, en premier lieu les parents, d’autant plus dans les sociétés où la famille s’est nucléarisée.
2Ce constat de l’importance de l’environnement familial pour l’équilibre psychique du bébé a l’avantage de faire une quasi-unanimité parmi les thérapeutes. L’idée de prévention en période périnatale leur semble de ce fait particulièrement pertinente (Tabuteau, 2001). Pourtant, ce consensus s’avère très vite n’être qu’apparent. Il porte sur le principe général de l’intérêt d’une prévention, mais la mise en œuvre de celle-ci ne va pas sans poser question, voire problème, tant les conceptions d’une telle prévention sont divergentes, ainsi que l’ont clairement exposé aux yeux du grand public les controverses développées à la suite du rapport d’expertise INSERM « Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent », paru en 2005. On sait que certaines de ses conclusions sur la prédictivité d’un parcours délinquant ayant son origine dans la prime enfance ont été utilisées fin 2005 par le ministre de l’Intérieur pour promouvoir le contrôle de « populations à risque » dans une optique de prévention de la délinquance. C’est en réaction à une telle visée qu’une pétition intitulée « Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans » a été initiée en janvier 2006 par un groupe de professionnels de la santé et de l’enfance et a très vite rencontré un grand succès (Collectif Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans, 2006).
3Cette divergence dans les conceptions de la prévention précoce constitue l’un des premiers enseignements de la recherche que nous avons développée sur le sujet [3] en 2001-2003. Cette recherche s’était attachée à analyser cette question de la prévention précoce à partir de l’étude du fonctionnement d’un réseau informel de professionnels de multiples disciplines, œuvrant dans les quartiers Nord de Marseille (voir en encadré la présentation du terrain d’enquête, p. 38). L’enquête nous a ainsi amenés à analyser, autour de la problématisation de la prévention précoce et de son approche en réseau multiprofessionnel et pluri-institutionnel, les difficultés de construction d’une approche coordonnée des troubles de la parentalité. Ces difficultés concernent aussi bien les modes d’approche et de prise en charge des troubles des enfants, des parents ou de la relation enfant-parents, susceptibles d’être rencontrés par les soignants ou intervenants sociaux, que l’intégration harmonieuse des parents à cette approche préventive.
4La multiplicité des difficultés que rencontre l’objectif de prévention psychique précoce participe ainsi de plusieurs raisons qui, bien que de niveaux différents, interfèrent sur le terrain. Trois d’entre elles s’avèrent majeures. Elles font référence à des niveaux différents de mise en œuvre : les positionnements théorico-politiques, les fonctionnements institutionnels, l’implication parentale. Nous avons retrouvé dans les quartiers Nord de Marseille l’expression de ces difficultés, à l’instar d’autres observations réalisées sur de nombreux sites. L’actualité récente a clairement illustré les rapports susceptibles d’être établis entre les différentes approches de la santé mentale et le type de politiques publiques mises en œuvre. La volonté exprimée par le ministre de l’Intérieur d’utiliser les analyses de l’expertise INSERM 2005 pour une possible prédictivité dès trois ans d’un futur comportement délinquant dans un projet de loi sur la délinquance, puis – face à la levée de boucliers – dans un projet de loi sur la protection de l’enfance, atteste les rapports étroits pouvant exister entre science et politique. Contrairement à certaines interprétations visant à préserver l’illusion de l’autonomie de la science, qui présentent cette utilisation du rapport comme un détournement, la perspective d’utilisation politique s’inscrit dans la logique même qui sous-tend le rapport en question, celle de l’adaptation des différentes instances sociales et des populations au développement néolibéral des sociétés occidentales. En ce sens une certaine méfiance rencontrée chez de nombreux professionnels à l’égard de l’idée de prévention précoce et de certaines de ses mises en œuvre participe du désaveu de ce type de position théorico-politique. L’effet du mouvement de protestation étayé par la pétition « Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans » fut de clarifier pour les professionnels eux-mêmes les distinctions parfois confuses qu’ils établissaient lors de notre enquête en 2001-2002 : différencier une prévention adaptative, à fonction prédictive, que promeuvent les rapports INSERM, d’une prévention expressive, à fonction prévenante à l’égard des troubles de la relation parents-enfant et des liens qui y sont en jeu. Les résistances à l’égard du premier type de prévention viennent s’articuler aux deux autres résistances rencontrées : institutionnelle et parentale.
5De telles résistances freinent la mise en œuvre d’une perspective préventive précoce dans le domaine de la périnatalité psychique [4] et viennent révéler tant chez des professionnels que dans les institutions de la petite enfance et de la santé un certain nombre de blocages. Par-delà les divergences vis-à-vis de ce que recouvre l’idée de santé mentale, certains fonctionnements institutionnels ou individuels sont très décalés par rapport à une perspective de travail coordonné en réseau, et plus généralement vis-à-vis de toute innovation qui remet en question la tendance institutionnelle à la reproduction à l’identique, sa force d’inertie.
6À l’importance de ces blocages ou résistances professionnels correspondent presque en miroir ceux de certains parents. Les méfiances peuvent s’y révéler profondes, attestant la nécessité que soient préalablement pensés les modes de participation possibles des parents à une telle démarche, qui suppose à la fois une information et une réceptivité suffisantes à son égard.
7Notre article aborde tour à tour ces différentes dimensions. Il évoque en premier lieu les controverses agitant le champ de la clinique psychique quant aux conceptions de la santé mentale, et, par contrecoup, de la prévention précoce. Il aborde en second lieu la façon dont les résistances à la prévention se manifestent, au niveau des institutions et des professionnels dans un premier temps, puis dans un deuxième temps, et de façon toute différente, au niveau des parents.
Une fausse unanimité face à la prévention
8Pour ce qui concerne l’objectif de prévention de troubles de la relation parentale précoce, le consensus n’est qu’apparent. Les difficultés surgissent dès qu’il s’agit d’approfondir la question, tant au niveau des conceptions de la prévention, de la définition de la santé mentale, que de l’appréhension d’une relation où l’un des deux partenaires, le bébé, est immature, et, en particulier, ne maîtrise pas le langage.
9Mais cette complexité présente l’avantage de positionner ce sujet d’étude en analyseur d’un certain nombre d’évolutions dans le champ de la prise en charge sociomédicale de la parentalité et la petite enfance, autour de ce constat de la pluralité de conceptions de la prévention en la matière. Au point qu’il faudrait plutôt parler des préventions possibles, cette diversité des représentations de la prévention correspondant logiquement à une divergence de conception des modes d’action pour la mettre en place. De quelle(s) prévention(s) s’agit-il alors ?
10Il convient de présenter d’abord ce qui apparaît comme une base commune, pour évoquer ensuite les divergences. En premier lieu, notons l’importance de la temporalité dans la définition de la prévention. Selon le moment auquel on intervient dans le processus d’apparition et de développement d’un trouble ou d’une maladie, on ne parlera pas de la même chose. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) en est venue à élaborer une définition qui distingue trois niveaux de prévention, primaire, secondaire et tertiaire, par leur position dans le temps (Soulé, 1985). Le premier niveau, celui de la prévention primaire, se différencie fondamentalement des deux autres en ce qu’il se situe en amont du processus dont il s’agit de prévenir tout dérèglement. Il s’agit bien d’éviter l’apparition d’un trouble, ce qui correspond dans le champ médical à la perspective véritablement prophylactique. Les deux autres niveaux sollicitent, eux, une dimension plus thérapeutique, en ce qu’il s’agit d’apaiser des souffrances et de réduire, faire disparaître ou limiter le développement de troubles déjà existants, qu’il s’agisse de leurs dépistage et prise en charge précoces, objet de la prévention secondaire, ou de leur traitement proprement dit lorsqu’il est question de troubles avérés. On parle dans ce cas de prévention tertiaire. On voit bien en quoi cette définition entre en contradiction avec une appréhension spontanée de la démarche préventive, car ce qui la caractérise a priori, dans son sens classique de prœventio, action de devancer, est de vouloir se situer en amont du trouble pour l’empêcher d’apparaître ou de se développer. Ce qui entraîne l’idée qu’une intervention la plus précoce possible dans le processus d’élaboration de la subjectivité aura le plus grand impact préventif, ce qui veut dire une intervention auprès du bébé ou du très jeune enfant.
11À ce niveau se situe le premier point de clivage entre les approches, car soit l’on considère le bébé comme un individu autonome, sur le modèle de l’organisme biologique, soit on le considère comme un sujet en devenir, sur le modèle de l’acteur communicationnel. Dans le premier cas, à l’individu dysfonctionnant peut être appliquée une réponse de type neurologique : un reconditionnement ou un médicament ; dans le second cas, lui sera proposé un travail sur ses liens psychiques aux autruis significatifs (Mead, 1934) de son entourage, bien souvent ceux qu’on appelle ses parents. Si s’intéresser au bébé ou au très jeune enfant dans une perspective de prévention psychique implique de prendre en compte ses parents (ou ceux qui en font office), cela n’a pas la même importance pour tout le monde. Ce sont les cliniciens et les pédopsychiatres centrés sur les liens et se situant dans une perspective psychodynamique qui insistent sur la prise en compte de la relation parentale pour une politique préventive en périnatalité, car s’il est un domaine où la dimension relationnelle des troubles psychiques ne peut être pour eux éludée, c’est bien celui de la petite enfance. D’où l’importance de préserver l’approche psychanalytique dans la clinique pédopsychiatrique, celle-ci apparaissant comme le noyau de résistance au mouvement de reprise en main de la psychiatrie par la discipline médicale, et son fer de lance, la pharmacologie. On se retrouve là au cœur du conflit entre les deux options divergentes de prévention précoce, qui vont articuler de façon différente la question de la temporalité avec les représentations de la santé mentale, et la gestion politique de l’action sociale.
Prévention adaptative ou prévention expressive, une divergence de fond
12Divergent aussi bien les façons de concevoir les troubles et leurs thérapies, dans un contexte de remédicalisation de la psychiatrie, que les positionnements politiques et les pratiques institutionnelles liés à ces représentations. Pour simplifier, on pourrait dire que ces deux façons principales de concevoir la prévention psychique précoce s’opposent sur les conceptions des rapports du corps et de l’esprit dans la maladie mentale : une de ces grandes orientations modernes en la matière préconise de se recentrer sur le fonctionnement organique individuel, en abordant la liaison entre l’esprit et le corps dans le sens somato-psychique et en faisant appel aux ressources nouvelles de la neurobiologie et de la pharmacologie pour influer sur les états psychiques. Celle-ci diverge d’une école plus classique, qui partirait plutôt de l’idée que le trouble psychique est d’origine relationnelle, et que l’individu souffrant demande à être pensé dans sa dynamique environnementale. L’approche s’oriente alors dans le sens psychosomatique, en appréhendant le symptôme comme l’expression somatique d’un trouble d’abord psychique, c’est-à-dire ayant rapport à l’univers relationnel du patient. La prévention consiste alors à améliorer le cadre relationnel et social de vie des individus pour éviter l’apparition de troubles psychiques ou les alléger. L’opposition théorique qui se dégage actuellement entre ces deux options atteste la complexité des attitudes cliniques et de leurs histoires différentes, elle éclaire aussi certaines prises de position.
13Bien sûr, cela ne signifie pas que les deux approches soient incompatibles dans la pratique quotidienne des thérapeutes. Nombre d’entre eux combinent, dans des proportions variables selon les situations et les convictions, les prises en charge relationnelles – essentiellement par le biais de la verbalisation des affects – et les prises en charge médicamenteuses. Ces deux orientations sont cependant très différentes et leurs conséquences pratiques en termes de politique de santé mentale et de prévention des troubles psychiques peuvent fortement diverger.
14La première orientation, que je qualifie d’adaptative participe du mouvement de remise en cause d’une spécificité psychique de la psychiatrie qui passe par sa remédicalisation. Il se réalise sous l’égide des progrès effectués par la pharmacologie et la systématisation de ses résultats dans une refondation classificatoire américaine de type DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de l’appréhension des troubles mentaux, si ce n’est de leur étiologie. Alain Ehrenberg, dans son remarquable travail sur la dépression (Ehrenberg, 1998, p. 166-173), montre que « le choix de l’Association psychiatrique américaine (APA) de construire une classification servant de véritable guide diagnostique releva d’une stratégie pour ancrer solidement la psychiatrie dans la médecine la plus scientifique ». Cette classification s’appuie sur une description poussée de la symptomatologie de ce qui est désormais désigné comme des troubles (et non plus des maladies) organisés en syndromes (« entités discrètes » associant des symptômes corrélés systématiquement), par rapport auxquels les nouvelles molécules chimiques manifestent une efficacité. Du coup, on peut soigner les troubles sans avoir à comprendre leur origine, et la structure sous-jacente qui les organise. Une nouvelle ère débute, celle où « commence à s’imposer en psychiatrie l’idée que l’on peut soigner le désordre de l’esprit ou du comportement par le seul traitement biologique ». Pour une telle perspective, il s’agit bien d’adapter le patient à sa maladie, en faisant disparaître, en contrôlant ou en atténuant ses symptômes, que ce soit par reconditionnement (psychocognitif ou comportemental) ou par traitement pharmacologique.
15La seconde orientation, que je qualifie d’expressive, se situe, elle, dans une perspective d’utilisation dans la démarche préventive précoce des acquis apportés par les grandes figures de la psychanalyse des enfants, que ce soit en termes de « bon » ou de « mauvais objet » (Melanie Klein), de « castration symboligène » (Françoise Dolto) ou de « mandat transgénérationnel » (Serge Lebovici). La conception de la prévention qui en découle insiste sur la nécessité de la prise en compte de la dimension fantasmatique lors des consultations mère-bébé ou parents-bébé. Elle rappelle à quel point le travail d’écoute et l’empathie à l’égard des familles sont constitutifs d’une possibilité de thérapie et de prévention en consultation thérapeutique.
16Sur le terrain de la prévention précoce et de la santé mentale du bébé se joue donc une partie dont les enjeux sont fondamentaux quant à l’avenir des conceptions de la santé psychique et des moyens de la préserver. La prévention précoce apparaît comme un élément central des divergences de prises de position, dans la mesure où il s’agit d’envisager la meilleure façon d’éviter des souffrances et dysfonctionnements psychiques et sociaux ultérieurs, en privilégiant soit le dépistage épidémiologique et la prévention secondaire, soit la prise en compte de la relation parentale dans les dispositifs institutionnels et la prévention primaire.
Du bien-être psychique au contrôle social : un espace d’ambiguïté, ou les apories du rapport INSERM
17Les oppositions entre ces deux positionnements préventifs trouvent de multiples expressions, aussi bien sur le plan des conceptions de la gestion politique de la santé mentale que sur celui des pratiques des acteurs de terrain. Elles participent par la même occasion de l’éclatement du champ de la psychiatrie, dans lequel on assiste à une opposition croissante entre approche médico-cognitiviste et approche clinico-psychanalytique. C’est dans ce contexte que se situent les expertises demandées à l’INSERM, qui favoriseront d’emblée l’approche anglo-saxonne, en dépit de son caractère hégémonique, en excluant aussi bien les experts représentants du courant psychodynamique que les travaux en langue française. Prenons-en pour exemple significatif le premier document rendu en 2002 « Troubles mentaux. Dépistage et prévention chez l’enfant et l’adolescent ». Émanant d’un groupe d’experts recrutés dans un nombre restreint de disciplines (psychiatrie, neurobiologie, épidémiologie, neurosciences cognitives, physiopathologie, neuropsychologie) et se référant quasi exclusivement à l’école empirique anglo-saxonne, au détriment de la richesse des approches cliniques de tradition européenne psychodynamique, il prend clairement position pour une approche neurocognitiviste se situant dans une démarche épidémiologique classique [5]. Cette approche s’appuie sur les nouvelles classifications des troubles possibles (DSM notamment) et aboutit, en évacuant l’idée encombrante de maladie mentale, à identifier comme troubles mentaux ce que d’autres désignent comme les symptômes d’une maladie, tout en reliant l’apparition de ces troubles à la présence de facteurs de risque particuliers. Cette approche, qui se veut empirique et athéorique [6], catégorise ainsi des expressions d’un dysfonctionnement se situant à des nivaux très hétérogènes : les troubles de l’humeur, les troubles obsessionnels compulsifs, l’hyperactivité, les troubles anxieux, les troubles des conduites alimentaires… et propose de concentrer son effort sur des « populations à risque » qu’il s’agira d’adapter au mieux à leur environnement et à leurs troubles, tout en maîtrisant ainsi les débordements possibles. Comme l’indiquent les auteurs « Différents programmes de prévention ont été développés, fondés le plus souvent sur des techniques cognitivo-comportementales, dont le but est de réduire l’impact de ces facteurs de risque tout en optimisant les compétences de l’enfant en termes de stratégies d’ajustement et d’adaptation. Les interventions peuvent porter sur l’enfant lui-même, sur ses parents et/ou sur son environnement. » (p. 49).
18Si cette perspective peut paraître séduisante pour une politique gestionnaire à court terme, elle prête le flanc à deux critiques d’origine très différente : tout d’abord, un tel programme vient renouveler les inquiétudes anciennes d’un « contrôle social » intempestif des populations par une psychiatrie adaptative (Castel, 1981) privilégiant dépistage et pharmacologie ; ensuite, et dans une optique très différente, il semble insuffisant à moyen terme pour répondre à son objectif de prévention. Pour ce programme préventif, il s’agit non de guérir mais de réguler les symptômes, non de modifier un environnement néfaste aux sujets mais de contrôler les dysfonctionnements psychiques et sociaux que cet environnement favorise. La logique de production des troubles demeure, celle d’un ordre néolibéral où à la précarisation d’un nombre croissant de personnes répond le développement d’une pharmacologie industrielle. Le seul véritable bénéfice politique pourrait être d’apporter une réponse à l’inquiétude sociale concernant la santé mentale, mais pas à celle des cliniciens de terrain. Ceux-ci rappellent qu’en n’agissant pas véritablement sur les causes (notamment relationnelles) du trouble, ces traitements ne font que limiter son expression et favorisent le déplacement sur d’autres symptômes de la manifestation d’un désordre intérieur non élucidé.
19Trois ans plus tard, en septembre 2005, la publication d’un autre rapport de l’INSERM, commandité par le même organisme, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs indépendants, et réunissant un aréopage d’experts de même orientation, est venue confirmer cette inquiétude des cliniciens à l’égard de cette conception de la prévention. Intitulé « Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent », il vient parachever l’approche en mettant, cette fois-ci explicitement, en relation les troubles susceptibles d’être vécus par le jeune enfant et la prédiction d’un avenir délinquantiel, comme si les manifestations antisociales de certains adolescents désaffiliés participaient de leur patrimoine génétique.
20C’est sans doute pourquoi un tel modèle d’inspiration biomédicale, qui vient renouveler l’ancien modèle d’adaptation, n’apparaît pas satisfaisant pour la plupart des acteurs de la santé et de la petite enfance, en dehors du cercle restreint d’un certain nombre de neurologues ou de psychiatres, qui se réfèrent à des théories comportementalistes. C’est sans doute aussi la raison du renouveau de l’intérêt pour une démarche préventive relationnelle, qui cherche à favoriser l’expression par le sujet des troubles qu’il ressent et vise à produire une dynamique de repositionnement relationnel interactive. C’est à ce modèle d’expression que font référence la plupart des acteurs de la santé mentale et de la petite enfance rencontrés sur le terrain des quartiers Nord de Marseille, même si cette référence n’exclut pas l’utilisation circonstanciée par les thérapeutes de médicaments limitant l’expression des troubles et la souffrance psychique.
L’expressivité comme support préventif : un modèle valorisé par les professionnels dans une société d’accomplissement de soi
21Ainsi, les partisans d’une telle démarche expressive ne sont pas opposés à une utilisation contrôlée de l’arsenal médicamenteux, mais insistent sur la nécessité d’appréhender la dimension relationnelle des troubles dans une approche centrée sur l’expression. Nous définissions ainsi une telle approche (Neyrand, 2004a, p. 216) : « On peut qualifier d’expressive une démarche préventive ou thérapeutique qui privilégie l’expression par les sujets de ce qui les préoccupe, les entrave, les fait souffrir, que cette expression s’appuie sur le langage verbal ou – à plus forte raison pour le bébé – non verbal. » Cette démarche suppose donc comme condition la mise en place d’un dispositif d’écoute du parent et d’« observation attentive » du bébé (Dugnat, 2001), qui permette cette expression. Pour ses adeptes, elle se révèle d’autant plus pertinente qu’elle articule différentes possibilités d’écoute et de réponse aux différents points de la chaîne des institutions d’accueil et de soin que sont amenés à fréquenter les parents et leurs enfants. Pour être véritablement efficiente, elle requiert deux choses : une qualité minimale d’écoute des professionnels (liée à leur formation) et le temps nécessaire au déploiement de cette écoute, afin que le sujet puisse être entendu dans la complexité de ce qu’il a à énoncer et de ce qu’il demande de dénouer.
22Si cette démarche expressive trouve un écho certain chez la plupart des professionnels, c’est qu’elle présente l’avantage de prendre en compte les subjectivités individuelles tout en permettant de démédicaliser partiellement l’approche, donc d’y faire participer un nombre beaucoup plus important d’acteurs que les seuls médecins. Les pédopsychiatres interrogés insistent sur sa capacité à mobiliser l’ensemble de la chaîne des professionnels de la santé, du psychique et du social pour une démarche en réseau, sous condition d’un minimum de formation à l’écoute interactive (Molénat, 2001). On comprend que pour ses adeptes le modèle expressif de prévention précoce apparaisse particulièrement approprié à une telle approche. Celui-ci, en effet, trouve un champ d’application privilégié au moment de la socialisation primaire, en prenant en compte l’histoire relationnelle du bébé à ses parents, dans une perspective généalogique, qui privilégie l’écoute et l’accompagnement des sujets.
Les incertitudes du politique
23La question de la prévention en matière de comportements humains est donc moins simple qu’il n’y paraît. Elle se situe à l’interface des relations entre la médecine, les sciences humaines, le droit, l’économie de marché et les politiques sociales. Elle convoque d’emblée la question de la norme – sous-jacente à celle de la santé mentale – et celle du politique comme instance de régulation des rapports sociaux, et interroge les relations entre le scientifique, l’économique et le politique. Du côté de l’économique, il s’agit de limiter les coûts annexes de production et de reproduction de la force de travail liés aux perturbations psychiques et relationnelles, dans une économie néolibérale qui prône l’adaptabilité et la flexibilité des travailleurs. Du côté de la gestion de la santé, il s’agit de réduire les coûts sociaux liés au développement de ces pathologies psychorelationnelles, et de limiter ou d’éviter des souffrances psychiques inutiles. Mais cette question participe aussi de la dynamique de production de représentations savantes contradictoires de la santé mentale, et se retrouve susceptible d’ébranler le consensus épistémologique à l’intérieur des sciences humaines. Car ces représentations ont la particularité, parce que savantes, de présider à la définition légitime des processus psychiques en jeu, et des relations dont ils sont censés dépendre. En tant qu’instances de discours légitimes sur les fonctionnements humains, les sciences traitant de l’homme font alors l’objet d’une demande d’aide à la décision politique en matière de gestion de la santé mentale [7].
24Mais le politique se heurte alors à un double différend : tout d’abord celui qui oppose des disciplines scientifiques qui interrogent de façon très différente cette question (biologie/sociologie, par exemple) ; ensuite, celui opposant des approches très divergentes à l’intérieur d’un même champ (psychanalyse/thérapies comportementalistes en psychologie, par exemple). La gestion sociale de la prévention se trouve ainsi placée devant un choix politique difficile. Celui d’avoir à se positionner au regard de stratégies qui mobilisent plusieurs niveaux d’intervention et demandent à effectuer au moins deux opérations délicates :
- une évaluation des coûts et bénéfices de la démarche préventive, selon ses différentes options plus ou moins approfondies ;
- un arbitrage entre des choix stratégiques d’options préventives, l’une plus adaptative ou l’autre plus expressive. La première, inspirée du modèle américain qui privilégie une approche biomédicale et pharmacologique, et prenant pour démarche privilégiée le dépistage auprès de populations considérées « à risque », semble plus adaptée à la logique néolibérale de l’économie. L’autre est plus indexée à la logique de l’individualisme démocratique, plus européenne, psychopsychanalytique et centrée sur la parole. Elle prend pour démarche privilégiée l’écoute des subjectivités, au risque parfois d’y voir diluée son efficacité thérapeutique… mais au bénéfice d’un consensus professionnel élargi.
Résistances à la prévention : des blocages institutionnels aux réticences parentales
25Notre travail sur les difficultés de pérennisation d’un réseau informel de prévention psychique précoce dans les quartiers Nord de Marseille [8] atteste, en effet, la diversité des résistances, des blocages et des inerties à l’égard d’un objectif préventif d’autant plus généralement partagé qu’il participe d’un nouvel ordre social et de son organisation imaginaire. Il a rencontré autant les contradictions que nous venons d’évoquer que l’impréparation globale du système à fonctionner sur un modèle communicationnel, coopératif (entre institutions) et participatif (avec les parents concernés), autant de conditions nécessaires à l’adoption de fonctionnements en réseau.
26Les résistances à la prévention s’organisent ainsi selon des logiques disparates mais suffisamment complémentaires pour bloquer bien souvent les efforts de mise en œuvre d’un dispositif préventif précoce.
L’inadaptation des logiques institutionnelles à la démarche de prévention
27Ce qui se passe au niveau des quartiers Nord de Marseille est sans doute assez représentatif de ce qui se passe sur la plupart des territoires urbains, où le tissu des maternités, centres hospitaliers, CAMSP, CMP, CMPP, PMI, ASE, foyers et structures d’accueil, organismes sociaux, thérapeutes libéraux… constitue une trame qui serait susceptible de devenir le support d’un réseau effectif de prévention mais l’est rarement de façon stable, comme le montrent les travaux antérieurs sur la question [9]. Il s’agit bien alors de clairement différencier la volonté politique de constituer un réseau institutionnalisé à vocation sanitaire, tels les récents « réseaux de santé » définis par la loi du 4 mars 2002, de l’existence de réseaux plus ou moins informels d’acteurs de terrain, qui transcendent les découpages institutionnels et se développent sur la base de collaborations interpersonnelles (Dugnat, 2002), se référant bien souvent à un autre imaginaire de la prévention, beaucoup plus « expressif » qu’« adaptatif ». La récente circulaire du 4 juillet 2005, dite circulaire Molénat, visant à promouvoir la collaboration médico-psychologique en périnatalité, est venue formaliser cette approche en essayant de définir les conditions d’une telle collaboration, afin de dépasser le clivage entre le médico-adapatatif et le psychoexpressif.
Méthodologie et terrain d’enquête
Le territoire de référence, correspondant au croisement d’une approche institutionnelle et sociale, a été celui des quartiers Nord de la ville de Marseille, couramment identifié comme regroupant les arrondissements 13, 14, 15 et 16. Il combine l’existence d’une population dense, de forte natalité et de faible niveau social, avec la présence d’une couverture institutionnelle variée et une mise en relation des professionnels à la fois assez efficace et relativement incertaine, car insuffisamment ancrée dans les institutions. Les études démographiques [10] montrent que l’importante présence infantile (bien supérieure à la moyenne de Marseille) est liée à une forte représentation de familles en situation de précarité économique et sociale, aux indicateurs sanitaires très bas indiquant une grande vulnérabilité [11]. Cette situation qui justifierait une démarche parentale préventive particulièrement marquée correspond au contraire à un moindre recours préventif au pédiatre et un recours curatif plus important lorsque les troubles sont installés, avec une hospitalisation lors des deux premières années de vie nettement plus importante que sur le reste de Marseille.
Le réseau informel des professionnels interviewés concerne l’ensemble de ce territoire, qui rassemble une population de 227 000 habitants. L’hôpital psychiatrique Édouard-Toulouse y occupe une position centrale à de multiples égards, en dépendent deux secteurs de psychiatrie infanto-juvénile (le secteur 5 : 14e, 15e, 16e et Septèmes, et le secteur 6 : 1er, 2e, 3e et 13e arrondissements de Marseille). Ces quartiers sont donc situés pour une part sur le secteur 5 et pour une part sur le secteur 6, mais entretiennent aussi d’autres liens particuliers avec d’autres « zonages » institutionnels. Le Centre hospitalier universitaire Nord présente ainsi l’originalité d’avoir mis en place un Centre d’action médico-sociale précoce plus particulièrement centré sur la prématurité et la toute petite enfance, indépendant de deux autres CAMSP, liés, eux, à l’hôpital psychiatrique Édouard-Toulouse. Ce qui nous a conduit à l’interrogation de professionnels travaillant sur des zones plus larges que ces quartiers, aussi bien les professionnels des équipements (psychiatriques, médico-sociaux, sociaux) du 13e et 14e-15e arrondissements, que des équipements sanitaires et médico-sociaux desservant l’ensemble de ces quartiers (d’une part services d’obstétrique, de néonatologie et de pédiatrie du CHU Nord, CAMSP du CHU Nord, d’autre part, secteurs de Protection maternelle et infantile, foyers pour mères adolescentes et nourrissons, services de placement familial, structures d’accueil, thérapeutes libéraux…). Trente-cinq professionnels ont été interviewés. En parallèle, quinze interviews de parents et plusieurs vignettes cliniques viennent compléter les propos des professionnels sur la question.
28L’articulation de ces deux types de réseaux, qui paraît constituer la condition d’une plus grande efficacité et de la pérennisation d’un dispositif préventif, se réalise en fait rarement, compte tenu de ces divergences d’approche mais aussi des différentes sortes de résistance que la prévention précoce rencontre. Celles-ci combinent de façon variable au moins trois types d’obstacles. En miroir des divergences d’approche qui opposent l’approche institutionnelle, plus globale et médicale, à l’approche pragmatique, plus territorialisée et clinique, les divergences de positions des acteurs, déjà largement évoquées pour ce qui concerne les modèles préventifs chez les professionnels, s’expriment aussi dans les réticences de certains parents. S’y articulent deux autres types de résistance qui participent plus du fonctionnement institutionnel : l’inertie des institutions et leur cloisonnement.
29L’inertie rencontrée tient à ce que les institutions en question n’ont pas été conçues pour fonctionner dans une dynamique interactive de prévention. Leur logique administrative entrave lourdement l’adaptabilité et la transversalité nécessaires à l’action préventive. « Les actions de prévention sont toujours un peu bricolées, il n’y a pas de cadre. Quand c’est interinstitutionnel, on ne sait pas qui est le porteur de l’action. Il faudrait un lieu fixe prévu pour ça. Maintenant, il y a une maison de l’enfance à l’hôtel du département, mais on ne nous a donné aucune information à ce sujet. Il y a un cloisonnement énorme dans l’institution. L’information ne circule pas » (assistante sociale, DGAS).
30Les tiraillements internes aux institutions aussi bien quant à leurs objectifs que sur leur mode de fonctionnement trouvent alors dans les difficultés à se coordonner avec les autres instances des raisons supplémentaires d’en rester à un statu quo, certes non satisfaisant mais ayant le mérite d’exister. D’autant plus lorsque des institutions comme la PMI ou l’ASE connaissent, depuis la décentralisation et leur rattachement au département, des réformes successives, dont la logique se révèle assez complexe. Ces réformes, en effet, introduisent une dynamique, en essayant d’autonomiser des services spécifiques pour rendre chacun plus opérationnel, mais au risque de nuire à la transversalité, éminemment nécessaire en matière de prévention. Ce que rappelle cette psychologue de la DGAS : « Depuis le partage en trois services, Insertion, Accueil et Aide sociale à l’enfance, notre transversalité est un peu remise en question. On est un peu sur les trois versants comme centre médico-social, alors que leur politique est de raisonner service par service. Avant ce partage, les gens pouvaient venir dans des lieux où il y avait une globalité. C’était un centre médico-social au plus près des gens et où la spécificité de la visite conjointe assistante sociale et puéricultrice par exemple pouvait être un outil de la globalité. C’est remis en question par cette évolution. » Il semblerait que l’objectif de meilleure gestion politique qui sous-tendait cette évolution ne soit pas allé de pair avec une volonté de préserver le bénéfice communicationnel qu’impliquait la transversalité antérieure…
31En parallèle se manifeste un cloisonnement des organismes tenant à la spécificité de leurs rattachements institutionnels et de leurs mandats particuliers, ce qui rend très lourdes et complexes toute coordination et toute mise en réseau. Complexité qu’évoque, par exemple, cette responsable de secteur PMI : « La psychiatrie n’est pas décentralisée, elle dépend du ministère de la Santé, l’accueil de la petite enfance dépend surtout de la mairie, nous du département. Il n’y a pas de relations directes entre services, cela dépend de la bonne volonté de chacun. Ce sont des juxtapositions, on n’a pas les mêmes découpages géographiques avec la CAF, l’Éducation nationale, la psychiatrie… »
32Du coup, la divergence de positionnement des professionnels ne tient pas seulement aux divergences de conception de la prévention précitées et aux sensibilités personnelles afférentes, mais aussi à leur intégration dans des logiques d’appareils, qui prédéfinissent largement les possibilités d’intervention ou de soutiens préventifs. Les coordinations demandent alors toujours un effort particulier des structures vers des objectifs pluri-partenariaux et une constance de leurs investissements, qui est loin d’être facile à préserver lorsqu’elle n’est pas structurellement intégrée. « Prenons l’exemple du Petit Pas, un lieu d’accueil enfant-parents où il y avait tous les partenaires sociaux : CAF, PMI, CAMSP, Conseil général, foyer de l’enfance, centre social. En cinq ans, il n’y a pratiquement plus de partenaires, chacun récupère son personnel sauf un peu le CAMSP. Le partenariat a suivi au lancement, mais maintenant cela tend à ne plus reposer que sur le centre social qui l’héberge et des bénévoles. Le réseau se rétrécit comme une peau de chagrin… »
33La coordination est donc avant tout l’affaire des personnes, par-delà la difficulté d’appliquer d’éventuelles directives de coordination, qui ne disposent pas du cadre concret préétabli pour leur application. « J’ai l’exemple d’une adolescente de dix-sept ans venant du foyer Maëlys, qui développait des symptômes psychiatriques aigus. Elle est restée quinze jours à l’hôpital général et n’a pu être accueillie en hôpital psychiatrique à sa sortie.
34Le bébé a été placé sans qu’ait pu être mis en place un suivi psychiatrique de la mère en lien avec le suivi de l’enfant. Ainsi le réseau nécessaire entre l’hôpital, la psychiatre adulte, l’ASE et la pédopsychiatre n’a pu être mis en place. Cela montre les difficultés à travailler en réseau dans une optique préventive, et que le lien n’est pas fait entre ces différentes structures, ni avec la pédiatrie générale ni la PMI » (pédiatre chargée des relations hôpital-PMI).
35S’y ajoute le fait qu’en matière de relation au bébé les choses sont sans doute encore plus délicates à organiser et à coordonner, tant la référence à l’engendrement et à la petite enfance mobilise des réflexes défensifs archaïques, et la plupart du temps inconscients (Dugnat, 2004b).
Nécessité d’un leadership
36Il ressort de cet ensemble d’éléments, ainsi que nous l’avons constaté à de multiples reprises, que la possibilité d’un fonctionnement préventif en réseau demande qu’un organisme, mais surtout une personnalité particulière, s’attache à l’impulser, le soutenir, le coordonner. L’activation du réseau suppose la présence d’un noyau d’individualités motivées à des postes décisionnels, conjuguée avec l’élément moteur qu’apporte une personnalité forte pouvant à un poste clé permettre que se cristallise le dispositif préventif et se fédèrent les énergies en ce sens. C’est ce que constate a contrario une psychiatre de l’hôpital Édouard-Toulouse après le départ du pédopsychiatre qui impulsait le fonctionnement du réseau de prévention précoce dans les quartiers Nord de Marseille : « Depuis que le porteur du projet périnatalité est parti, il n’y a plus personne pour le soutenir. Pourtant il y aurait à travailler sur ces questions d’articulation entre professionnels, de complémentarité, mieux se connaître. Sans ce travail préalable on est d’emblée dans l’urgence. »
37Rien d’étonnant alors que du côté parental se développent en miroir des attentes et des réticences. Celles-ci témoignent autant des difficultés institutionnelles à organiser un dispositif préventif adapté à son objectif d’information et de soutien que des préjugés et des méfiances que peuvent développer des parents ou futurs parents mal informés. Il faut dire que ce que vise la mise en place d’un réseau de prévention psychique précoce à orientation psychodynamique est un objectif difficile : permettre aux parents de développer en quelque sorte une autoprévention. Citons à cet égard Françoise Molénat : « L’objectif était d’aider les professionnels de toutes les disciplines concernées à établir, le plus tôt possible lorsqu’une grossesse s’annonce, un dialogue confiant avec les futurs parents, afin que ceux-ci puissent à la fois se sentir respectés lorsque des professionnels entrent dans leur intimité, se confier lorsqu’ils en éprouvent le besoin, s’ouvrir le cas échéant à une aide diversifiée, être accompagnés pour accéder à cette aide » (Molénat, 2001, p. 70).
Jeunes parents : des inquiétudes et des méfiances mal régulées
38L’attention accordée aujourd’hui aux parents, et aux troubles éventuels de la relation à leur(s) enfant(s), est révélatrice de l’enchevêtrement des logiques sociales qui président à l’exhaussement contemporain de la parentalité et aux mesures dévolues à son soutien [12]. Devenir parent est aujourd’hui une expérience d’autant plus difficile qu’elle concerne de plus en plus des primipares, c’est-à-dire des parents d’un premier enfant, qui sont souvent installés dans la vie de couple depuis plusieurs années et y ont leurs habitudes, et pour lesquels la naissance d’un enfant va apporter un grand bouleversement. Or, beaucoup de ces nouveaux parents sont éloignés de leurs propres parents et de leur famille, et ne peuvent disposer facilement de leur expérience et de leur soutien. La venue d’un enfant peut être alors source de grandes inquiétudes.
Des parents déstabilisés par l’évolution de la parentalité
39Ces inquiétudes se développent sur un terreau moderne de survalorisation de la petite enfance et de la parentalité [13], qui présente l’accession à la parentalité à la fois comme une expérience ineffable et fondamentale et comme une épreuve délicate et éprouvante. En témoignent aussi bien les efforts désespérés de certains pour procréer que la multitude des recettes et des discours qui viennent conseiller, soutenir, abreuver les jeunes parents en quête de réassurance. L’essor des magazines parentaux depuis la création du prototype Parents en 1969, ainsi que des manuels de puériculture et conseils aux parents [14], atteste le nouveau statut accordé au bébé et au petit enfant, d’autant plus objet de toutes les sollicitudes qu’il se fait plus rare. Il exprime en même temps l’ambiguïté de ce statut, où le bébé se retrouve paré des nouvelles qualités de l’enfant sujet et du bébé performant [15], autant que terni par les risques liés à son développement physique, psychique ou relationnel (Neyrand, 2006b).
40Du coup, la plupart des parents manifestent une certaine appréhension quant à leur capacité future à tenir leur place, notamment face aux possibilités de handicap ou de maladie. La survenue fréquente de troubles divers de la parentalité dans la période périnatale va avoir tendance à exacerber cette inquiétude, avec les deux réactions possibles que sont la quête thérapeutique ou le déni défensif. « Au départ, je voulais pas voir de psychiatre. Je pensais que c’était pas pour moi. Il a fallu qu’une sage-femme insiste beaucoup pour que j’en voie un. Finalement, ça m’a beaucoup apporté », nous confie une mère qui a traversé un grave épisode dépressif. Les professionnels, de même, insistent sur l’attitude défensive générée par l’image attribuée à la maladie mentale, qui présente le dysfonctionnement psychique comme participant d’un autre monde, et le malade comme radicalement différent du bien portant, considéré comme normal, en déniant toute continuité entre le normal et le pathologique.
Le paradoxe d’une prévention confrontée au contrôle social et aux a priori sociaux
41Or, il s’avère que ces réactions sont loin d’être aléatoires. Ceux que la pression sociale enjoint à se comporter en bons parents supporteront d’autant moins le poids des normes sociales dispensées par les discours mass-médiatisés sur les bons modèles d’éducation et d’élevage qu’ils seront culturellement moins bien dotés, alors même que ces discours sont d’autant plus injonctifs qu’ils s’adressent aux milieux les plus populaires (Boltanski, 1969 ; Delaisi de Parseval, 1980). Si les parents des couches moyennes arrivent à se forger une attitude en fréquentant assidûment les pédiatres et les revues parentales et à se dégager plus ou moins bien de la culpabilisation, le positionnement des parents de milieu populaire, a fortiori lorsqu’ils se retrouvent en situation précaire (Neyrand, Rossi, 2004c), participe d’une confrontation accrue aux acteurs de l’action sociale, de la prévention médicale, du soin médico-psychologique, qui alimente bien souvent leur méfiance. Confrontés à des discours qui remettent en question les habitus du milieu (la « sagesse populaire » et les « remèdes de bonne femme »), alors même que ces discours sont loin d’être homogènes, les parents présentent fréquemment une tendance au repli et au raidissement. Si bien que la demande d’aide lorsque les choses se détériorent apparaît généralement trop tardive, et par là encore plus difficile à traiter. Ainsi que l’exprime cette mère qu’une prise en charge psychologique a permis de sortir d’une situation psychique et relationnelle ressentie comme inextricable, situation qui allait provoquer la séparation conjugale : « Il faut arrêter les tabous avec les “psy”, de dire que c’est pour les fous. On peut pas dire librement qu’on va chez un psychiatre ! »
42Ces parents se heurtent alors au poids des représentations sociales et des préjugés dont elles sont le support, qu’elles concernent les psychiatres, le handicap ou la maladie mentale, autant d’entités que les parents tentent de tenir à l’écart de leur monde vécu (Habermas, 1981), dans une attitude quelque peu magique de préservation. Cette mise à distance du trouble mental, en protégeant l’intégrité de la représentation de soi, incite à ne pas reconnaître ce qui participe d’un dysfonctionnement psychique tant pour soi-même que pour son enfant. Ce qui peut amener à repousser très tard la demande d’aide thérapeutique. « Je me suis aperçue que quelque chose n’allait pas un peu avant la maternelle, il poussait des cris stridents. Il a toujours très peu dormi, été agité, mais beaucoup d’enfants le sont. Quand on ne l’a pas accepté à l’école à deux ans et demi parce qu’il criait, je l’ai très mal pris. C’est comme lorsque mon oncle m’avait dit “ton petit il a un problème”, ça m’avait vexée. »
43Pris entre les représentations sociales stigmatisantes de la folie et du handicap, figures négatives de l’altérité qui n’évoluent que très lentement, et les atteintes narcissiques profondes qu’implique la reconnaissance du trouble, les parents vont avoir d’autant plus de mal à effectuer la démarche de s’adresser à des professionnels du psychisme qu’ils peuvent être en proie à un second niveau de résistance. Celui-ci participe d’une méfiance à l’égard de tout représentant institutionnel d’un pouvoir (médical, psychologique, social, administratif), d’autant plus forte qu’il s’agira de personnes plus démunies elles-mêmes d’un quelconque pouvoir de ce type et anxieuses de préserver leur fragile autonomie, méfiance conjuguée à une méconnaissance fréquente des professions de soin ou de prise en charge.
Sensibiliser les professionnels à l’accueil psychique
44Une autre mère explicite clairement sa chance d’avoir trouvé dans le service spécialisé où elle a accouché prématurément de jumelles les moyens d’un suivi personnalisé, qui lui a permis de dépasser les difficultés d’attachement qu’elle ressentait. « J’ai eu beaucoup de chance d’être dans cette unité kangourou à Montpellier et de ne pas être livrée à moi-même. À force, les professionnels ont réussi à me faire comprendre que j’apportais quelque chose à ma fille. Ils m’ont demandé de la prendre contre moi. Un attachement s’est créé parce que le bébé demande le contact, on ne peut plus le rejeter à partir du moment où il a établi un contact. Progressivement, j’ai complètement changé. Après, je les ai récupérées en néonatologie près de chez moi, mais c’était une néonat antique, où on pouvait pas les sortir de couveuse, leur donner le biberon comme à Montpellier. Si j’y étais tombée directement, je ne sais pas du tout comment ça se serait passé. Sans doute mal pour elles. »
45On conçoit alors combien c’est important de transformer le système de soins pour que puisse être véritablement prise en compte une optique préventive qui associe les parents à la démarche préventive, en collaboration avec des professionnels de « première ligne » suffisamment préparés et qui, dès lors, ne peuvent les considérer comme les principaux fautifs des dysfonctionnements psychiques qu’expriment leurs enfants, ou qu’ils expriment eux-mêmes. Tout un travail de préparation des professionnels « de première ligne » s’avère ainsi nécessaire pour que puisse vraiment s’effectuer cette clinique du travail en réseau dont parle F. Molénat, conjuguant accompagnement des professionnels (par exemple par une pratique de supervision en réunion d’équipe) et accompagnement des parents, tant il est clair que la violence des contenus émotionnels mobilisés dans la période périnatale peut être difficile à réguler. « La nécessité d’un recueil rationnel de ce que vivent les professionnels confrontés à de telles charges émotionnelles, la prise en compte indispensable de leurs représentations, de leurs besoins en termes de temps, mais aussi de reconnaissance et de formation, se sont imposées comme le véritable levier d’une politique de prévention » (Molénat, 2001, p. 59). Ce que d’une autre façon exprime aussi cette pédiatre, responsable de secteur PMI : « Ou bien on se contente de faire une pédiatrie sanitaire pour laquelle on a été formés, ou bien on essaie de faire autre chose, avec une dimension psychologique, relationnelle, développementale et environnementale beaucoup plus développée : on a les moyens en personnel pour ça, mais pas la formation nécessaire aussi bien pour les médecins que les infirmières, les puéricultrices. Celle-ci reste très hospitalière. Cela oblige à une formation continue. L’objectif est qu’une formation fasse tomber les résistances à l’égard de la dimension relationnelle, le personnel osera plus s’engager ensuite. Golse dit « garder le bébé dans la tête ». Il faut qu’il y ait une sensibilité à cette dimension psychologique et relationnelle en consultation. »
Conclusion : informer, former, coordonner, une perspective utopique en milieu néolibéral ?
46À l’issue de ce rapide tour d’horizon de ce que mobilise la question d’une prévention psychique précoce apparaît mieux la complexité des rapports sociaux à l’intérieur desquels elle peut être évoquée et l’importance des enjeux qu’elle recouvre. Au-delà de sa dimension strictement sanitaire, c’est de conceptions de l’homme et de sa vie en société dont il s’agit, et en conséquence de son rapport au politique et à l’ordre social. Or, cette question de la prévention, pour ne pas être neuve, ne peut plus être posée dans les mêmes termes qu’autrefois à une époque où la prégnance de l’État pouvait encore être conçue en termes de discipline. L’affirmation de la Société des individus (Elias, 1991) et leur positionnement en sujets correspondent à un autre régime de normativité, beaucoup plus consenti qu’imposé. La prévention précoce trouve ainsi les conditions de son renouvellement dans l’évolution des représentations sociales de la santé mentale, articulée à cette montée progressive de l’individu (Elias, 1991) comme nouvelle référence organisatrice pour l’imaginaire social (Castoriadis, 1975). C’est bien parce que la réalisation de soi est devenue une valeur centrale de l’élargissement de la logique démocratique au fonctionnement de la sphère privée (Neyrand, 2002a) que la nécessité de l’expressivité individuelle s’est affirmée. Cette évolution est allée de pair avec le développement des pathologies narcissiques, témoignant de la surresponsabilisation de l’individu. La souffrance psychique accompagnant les restrictions de l’autonomie individuelle et de l’expression de soi en est devenue insupportable. Comme le rappelle Alain Ehrenberg (Ehrenberg, 2004), l’importance accordée à la santé mentale comme nouveau champ institutionnalisé de la psychiatrie moderne témoigne du renversement en cours des objectifs de l’action sociale, et de la constitution de la santé comme dimension première de la lutte contre l’insécurité sociale, insécurité liée, d’une part, à la centralité accordée à la subjectivité individuelle et, d’autre part, à l’érosion des modes collectifs de solidarité et des acquis de l’État social (Castel, 2003). Dès lors, « la signification de l’autonomie nouvelle des individus est qu’il faut prendre en charge moins des maladies que le patient considéré comme un tout sur sa trajectoire de vie, ce qui implique une reformulation du rapport “maladie/santé” par la socialisation » (Ehrenberg, 2004, p. 86).
47Sans doute s’agit-il ici de nouveaux avatars de l’ancienne opposition entre des techniques visant l’adaptation de l’individu à son environnement et des techniques visant l’épanouissement de l’individu dans cet environnement, quitte à ce que ce soit celui-ci que l’on essaie de mieux adapter à un individu-sujet. D’un côté, les nouvelles formes de la discipline, dont Michel Foucault a bien montré qu’elles étaient passées progressivement de l’imposition subie à l’incorporation consentie, de l’autre, la problématique de l’expressivité, soutenue par une insolite convergence entre des théories de la subjectivation comme la psychanalyse, et des pratiques de la réalisation de soi, portées par les logiques marchandes et les discours médiatiques. La question de la prévention en constitue d’une certaine façon la pierre angulaire, en cristallisant autour d’elle deux approches divergentes des processus psychiques et des fonctionnements sociaux, autrement dit deux conceptions différentes de ce que peut être l’homme.
48De ce point de vue l’approche expressive de la prévention psychique se trouve en phase avec les nouvelles représentations sociales de l’homme et de sa vie sociale, mais elle se heurte aussi bien aux résistances liées à un fonctionnement socio-économique néolibéral qu’à ses propres difficultés internes. En effet, pour être viable, une telle idée de la prévention précoce demande une véritable participation des parents aux dispositifs préventifs qui les concernent, parce qu’elle est axée sur une volonté d’expression par les parents de leurs interrogations ou de leurs difficultés concernant leur relation à leur enfant, à l’occasion de leur fréquentation des institutions de la naissance, de la santé, de l’éducation ou de l’action sociale. Cet objectif suppose une adhésion à la démarche préventive et, au préalable, une information suffisante sur cette démarche, les troubles potentiels possibles et les réponses offertes.
49Si on veut prendre au sérieux cette position, il est clair que sa mise en œuvre requiert plusieurs dispositions. Tout d’abord la mise en place d’un dispositif d’information, respectueux de la notion de consentement éclairé (cf. loi du 4 mars 2002), et qui soit susceptible de toucher tous les parents – par exemple, au moment du passage dans la maternité. En complément, un effort de formation à l’accueil et à l’écoute de l’ensemble des professionnels en contact avec eux, tant la nécessité de la mise en confiance par un accueil personnalisé s’avère ici primordiale. Enfin, une formalisation de la mise en réseau et de la coordination entre les différentes catégories de professionnels, passant par une véritable articulation des réseaux d’acteurs existants et des réseaux institutionnels formellement définis par les nouvelles dispositions réglementaires en matière de santé, de santé mentale et de périnatalité.
50On se donnerait ainsi les moyens de dépasser la tentation de ne développer qu’une démarche à courte vue de dépistage auprès de populations considérées à risque, en vue d’une meilleure adaptation de celles-ci à leur situation, et en définitive aux réalités du marché d’une économie néolibérale. Ce dépassement s’effectuerait au bénéfice d’une option plus fondamentale visant tous les parents en tant que personnes, en y associant l’ensemble des professionnels œuvrant dans le champ élargi de la périnatalité. Elle pourrait alors répondre à ce qui constitue pour beaucoup de professionnels le noyau de leur investissement préventif : l’utopie constructive d’une démocratisation de la logique de santé, congruente à l’imaginaire d’accomplissement de soi que porte le processus d’individualisation des sociétés occidentales. Ce qui suppose de remplacer progressivement en la matière une médecine psychiatrique à l’acte par une thérapie psychique et une prévention en réseau, à visée d’autorégulation parentale.
Notes
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[1]
Je remercie pour leur lecture attentive du texte et leurs conseils avisés Benoît Bastard, Michèle Bigot, Michel Dugnat, Françoise Leborgne-Uguen.
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[2]
Professeur de sociologie à l’université Paul-Sabatier, Toulouse 3 (neyrand@cict.fr). Responsable de recherche au CIMERSS, Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et de recherches en sciences sociales (cimerss@wanadoo.fr).
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[3]
J’ai été amené à réaliser cette recherche, à l’incitation et avec la collaboration de trois cliniciens œuvrant dans les quartiers Nord de Marseille : Michel Dugnat, pédopsychiatre et psychothérapeute, Georgette Revest, psychanalyste, et Jean-Noël Trouvé, psychiatre et psychanalyste (Neyrand et al., 2004a). Ce travail a été accompagné d’un séminaire portant sur les mutations familiales et la question de la prévention, où sont intervenus de multiples spécialistes : sociologues, psychanalystes, anthropologues, psychologues, pédopsychiatres… Il a donné lieu à une publication (Neyrand et al., 2006a).
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[4]
Alors que le secteur de la périnatalité est habituellement perçu comme du domaine strictement médical, de nombreux pédopsychiatres militent pour la reconnaissance de la spécificité d’une périnatalité psychique (Dugnat, 2004).
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[5]
Les polémiques qu’une telle démarche présentée comme scientifique a déclenchées ont été d’autant plus virulentes que les tenants d’une psychiatrie médicale à l’américaine s’évertuent à couper les ponts avec l’approche clinique analytique. Les travaux préparatoires à la remise de ce rapport INSERM en sont un exemple parlant. Les trois cliniciens psychanalystes faisant partie du groupe d’experts réunis à cette occasion ont vu leurs contributions et leurs références aux travaux psychanalytiques remises en question, et ont été amenés à démissionner du groupe. Cette expertise française s’est ainsi trouvée faire référence quasi exclusivement à des travaux en langue anglaise. Un compte-rendu publié dans la Revue française des affaires sociales en constitue une parfaire illustration (Etiemble, 2004). Ce numéro de la RFAS, intitulé Psychiatrie et santé mentale. Innovations dans le système de soins et de prise en charge, montre l’étendue des positions et des oppositions dans la manière d’aborder la question.
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[6]
La théorie est en réalité sous-jacente, le caractère hétéroclite des troubles venant rappeler les présupposés à la fois biologisants et comportementalistes à l’origine de cette classification.
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[7]
Pour une analyse de la façon dont le système législatif s’est de plus en plus appuyé sur la référence aux sciences humaines pour définir la norme, voir l’analyse de l’évolution du droit de la famille effectuée par Jacques Commaille (Commaille, 1994). Voir aussi notre analyse de l’évolution du regard des sciences humaines sur la petite enfance et la parentalité (Neyrand, 2000).
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[8]
Outre l’ouvrage cité, on peut se référer à notre article paru dans la RFAS (Neyrand, 2004b). Pour appréhender la diversité de l’approche, voir aussi Michel Dugnat (Dugnat, 2004) ainsi que Neyrand (Neyrand, 2002b), et notamment Georgette Revest, « Le rapport complexe de la psychanalyse et de la prévention » ; Patricia Rossi, « Éclosion du matriciel, expérience du féminin. Ce que le premier accouchement déclenche chez une femme » ; Jean-Noël Trouvé, « Aspects concrets de la prévention de l’autisme ».
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[9]
Notamment le travail de Françoise Molénat déjà cité, mais aussi toute une série de rapports dans le champ de la santé mentale, et plus spécifiquement au niveau de la périnatalité. Par exemple : Ph. Cléry-Melin V., Kovess, J.-C. Pascal, « Plan d’actions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale », rapport au ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, 2003 ; G. Breart, S. Puech, J.-C. Roze, « 20 propositions pour une politique périnatale », rapport au ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, 2003. Ces deux travaux ont conduit, l’un à la mise en place du Plan Santé mentale de février 2005, l’autre du Plan Périnatalité du 10 novembre 2004.
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[10]
« Recensement démographique du secteur d’habitation proche de l’hôpital Nord », in Marie-Laure Fino, « Prévention et soins dans le cadre CAMSP-PMI, modalités d’intervention de la PMI dans le pavillon mère-enfant de l’hôpital Nord », Journée du Conseil général des Bouches-du-Rhône, 1999.
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[11]
Voir le Programme régional de santé des enfants et des jeunes PACA, « Santé des enfants et des jeunes : les problèmes et les objectifs régionaux », Groupe régional de programmation, mai 1999.
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[12]
Circulaires du 9 mars 1999 relative aux Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, et du 30 mars 2001 sur leur développement, ministère de l’Emploi et de la Solidarité.
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[13]
Voir notre effort de conceptualisation de la problématique de la parentalité (Neyrand, 2007, sous presse).
-
[14]
Voir mon analyse de cette mise en discours (Neyrand, 2000).
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[15]
De Lorsque l’enfant paraît, de Françoise Dolto (Paris, Le Seuil, 1977), à Bébés astronomes, bébés psychologues. L’intelligence de la première année, de Roger Lécuyer (Paris, Mardaga, 1989).