Chaque époque a ses mots fétiches. La nôtre aime bien la résilience et l’empathie. On aurait tort de croire que ce goût corresponde à un état de fait. En réalité, si nous parlons tant de résilience, ce n’est pas parce que nous la constatons, mais parce que nous prenons conscience de la nécessité de la développer ! C’est la même chose pour l’empathie : elle s’est imposée dans les années 2000 comme le meilleur remède contre la violence et le repli sur soi qui minent notre société. Mais le mot, après une période où il a semblé répondre exactement aux attentes d’une société plus harmonieuse, s’est trouvé placé au centre de plusieurs polémiques. Et si l’empathie était un leurre ? Et si l’important, c’était la compassion, voire la résonance ? Avant d’aborder ces polémiques, rappelons brièvement l’histoire du mot, qui partage d’ailleurs avec celui de « résilience » le fait d’avoir endossé plusieurs significations successives.
Robert Vischer crée en 1873 le terme Einfühlung qu’il fait entrer dans l’histoire de la philosophie. Le mot est bientôt traduit en anglais par empathy, puis en français par empathie. Il n’y est pas encore question de « comprendre » les émotions d’autrui, mais du sentiment d’une unité harmonieuse avec le monde inanimé autant qu’avec ses semblables, que Robert Vischer appelle également « résonance ». Son approche associe en effet deux éléments fondamentaux. Le premier est l’existence d’une extension de soi hors de soi, qui peut se comprendre comme une projection psychique dans un objet extérieur…