1Cet ouvrage collectif est le fruit de deux journées d’études s’inscrivant dans le cadre d’un projet intitulé « Les discours visuels », financé par le conseil régional de Bourgogne. Il est structuré en deux parties. La première, « Des pages aux cases », traite de l’adaptation par la BD de textes littéraires. La seconde, « Des cases aux écrans », s’interroge sur le passage de la BD au cinéma.
2Ce projet éditorial est, contrairement à trop d’ouvrages collectifs, un projet cohérent dans sa forme comme dans son fond. Commençons par la forme : le livre est équilibré (sept chapitres dans chaque partie), sa typographie est simple, aérée, efficace. La lecture est facilitée par la présence d’un résumé, d’un index des auteurs et surtout, d’un index des titres d’albums traités. De plus, les textes sont illustrés, parfois en couleur, ce qui permet de mieux comprendre les propos des auteurs. Enfin, l’introduction des trois coordinateurs est claire et offre une solide porte d’entrée théorique pour le lecteur s’intéressant aux problématiques de l’adaptation en BD. Le seul reproche formel que l’on puisse faire à cet ouvrage bien fait est l’absence d’une conclusion mettant en lumière les points d’accords et de désaccords entre les différents contributeurs et/ou relevant les différences entre les deux types d’adaptation (littérature-BD versus BD-cinéma).
3Sur le fond, l’approche globale de l’ouvrage est doublement intéressante. D’une part, elle permet de comparer l’adaptation littéraire et l’adaptation cinématographique, d’autre part, elle offre un croisement disciplinaire en intégrant des chercheurs venus des SIC, de la civilisation, de la littérature et des études filmiques. De plus, la qualité des textes est plutôt homogène. Cette relative homogénéité vient sans doute du fait que la « plupart des chapitres partent d’une définition proche de celle de Linda Hutcheon, qui désigne l’adaptation comme “la relecture” et le prolongement délibéré et étendu d’une œuvre d’art » (p. 34).
4Si l’on rentre cette fois-ci un peu plus dans les détails, l’intérêt du lecteur peut légèrement s’estomper puisque douze des quatorze textes sont des études de cas : l’analyse de la manière dont Le Cid est adapté en BD (Thomas Faye), par exemple. Or, toutes les œuvres originales ne sont pas aussi connues que celle de Corneille et, malgré les illustrations, il est parfois malaisé de suivre la démonstration de l’auteur quand on ne connaît ni l’œuvre adaptée ni l’adaptation. Les deux premiers textes de la première partie échappent à cette difficulté car ce sont des textes théoriques rédigés par deux spécialistes reconnus du « neuvième art » : Jan Baetens, professeur d’études culturelles à l’université de Louvain et Benoît Berthou, maître de conférences en SIC à l’université Paris 13. Pour le premier, toute œuvre implique une part « d’auto-adaptation », puisque l’auteur transforme une idée de manière à faire aboutir un premier jet. En partant de ce postulat, il conduit une démonstration pas toujours facile à suivre mais qui débouche sur trois points limpides :
- « L’adaptation est moins un rapport entre deux objets qu’une pratique culturelle où s’explorent de nouveaux rapports entre tous les aspects de l’institution littéraire et artistique: auteur, originalité, style par exemple » (p. 57).
- Si la posture de l’écrivain doit être prise en compte, il est « capital de donner une place au lecteur et à l’intervention active du public dans la reconstruction permanente de l’œuvre » (p. 57).
- L’« étude de l’adaptation ne peut jamais être un but en soi. L’enjeu d’une telle étude doit être de mettre en valeur le caractère multiple de l’œuvre comme virtuellement adaptée et virtuellement adaptante, ainsi que le caractère multiple de son énonciation » (p. 57).
6Quant à Benoît Berthou, il propose trois approches possibles de l’adaptation de l’œuvre littéraire en BD. La première consiste à appréhender l’adaptation comme une médiation. La BD est alors conçue comme un outil de transmission qui offre un nouveau public à un roman classique (Tartarin de Tarascon, Madame Bovary, etc.). La seconde approche fait de la bande dessinée un art de la figuration. Il s’agit non plus de faciliter l’accès du plus grand nombre à une œuvre littéraire, mais d’offrir une représentation de l’œuvre originale : « L’ensemble des procédés graphiques mobilisés relève ainsi d’une tout autre ambition : explorer le potentiel visuel d’une œuvre donnée afin de démontrer que l’écrit ne constitue pas le seul et unique environnement permettant à une fiction donnée de se développer » (p. 67). Enfin, la troisième approche relève de l’art de la traduction. L’auteur de BD transpose un mode de communication dans un autre. Il ne s’agit pas, comme toute traduction, d’un simple « transport » d’une narration écrite à une narration imagée, il s’agit plutôt d’une négociation permanente, d’une série de décisions portant sur les scènes choisies, les mots repris, les décors illustrés, etc. Ce n’est plus la transmission ou la représentation de l’écriture qui est en jeu, affirme Benoît Berthou, mais une réécriture qui vise – comme au théâtre – à mettre un texte en espace. Ainsi, transmission, figuration et traduction illustrent les multiples possibilités qu’offre la BD.
7L’ouvrage est donc un livre de qualité combinant réflexions théoriques solides et études de cas fouillées. Cependant, trois reproches peuvent être formulés. Le premier, le plus léger, est l’absence de certaines références dans la bibliographie critique : le n° 54 de la revue Hermès, « La bande dessinée : art reconnu, média reconnu » n’est pas signalé, de même que les travaux de Pascal Robert. Le second est plus conséquent : chaque texte est plus une étude personnelle de l’auteur qu’une contribution individuelle à un projet collectif. Enfin, troisième critique, il manque sans doute à cet ouvrage une dimension réflexive : qu’est-ce que cela veut dire de rendre compte de la BD, dans un livre au style académique? Comment mener une entreprise scientifique entendant valoriser l’originalité de la BD en mettant à plat cette originalité, en écrasant le plaisir de la réception sous la rugueuse rationalité de l’effort de comprendre? Ce reproche pourrait, bien entendu, être fait à tout écrit scientifique s’intéressant au neuvième art, mais il semble particulièrement fondé lorsque l’écrit scientifique en question s’interroge justement sur la transmission/transformation qui s’opère lorsqu’on adapte la BD dans un autre média.
8On l’aura compris, ces trois critiques sont, somme toute, secondaires et ne doivent nullement détourner le lecteur de cet ouvrage qui comblera tous les chercheurs et étudiants s’intéressant à la BD.
Notes
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Professeur à l’université Blaise Pascal (Clermont-université), où il conduit ses recherches au sein du laboratoire Communication et solidarité (EA 4647), qu’il a fondé. Courriel : eric.dacheux@univ-bpclermont.fr