1Cet ouvrage collectif est le résultat d’un colloque international pluridisciplinaire organisé à Toulouse en 2013 et intitulé « E-réputation et traces numériques : dimensions instrumentales et enjeux de société ». Reposant sur le constat suivant : « L’e-réputation n’est pas une mode, c’est un phénomène qui est amené à s’inscrire durablement dans notre vie quotidienne. L’e-réputation n’est pas uniquement un outil, une promesse opérationnelle pour investir des marchés, c’est un enjeu de société » (p. 7) énoncé par Christophe Alcantara, l’ouvrage se veut un lieu de dialogue et de réflexion sur la notion d’« e-réputation ». Aussi met-il en regard un ensemble de contributions émanant d’auteurs aux origines disciplinaires plurielles : sciences de l’information et de la communication, droit, sociologie, etc.
2Cette recherche de dialogue et de pluridisciplinarité se retrouve aussi dans le choix des objets et des perspectives de recherche qui sont autant d’éléments structurants dans l’organisation de l’ouvrage. Ce dernier comprend deux parties, dont la première se veut épistémologique. Elle vise à investiguer les sens de l’e-réputation à travers deux entrées complémentaires : des cadres d’analyses et conceptuels et des cadres juridiques. La seconde partie interroge les dimensions opérationnelles de l’e-réputation : la notion est ancrée dans la praxis et l’ouvrage semble vouloir poser les jalons d’une prise en compte d’une pragmatique de l’e-réputation. Nous en donnerons d’abord ici une approche générale.
3Dans la première partie de l’ouvrage, la contribution de Louise Merzeau permet d’appréhender l’e-réputation à la fois comme une valeur mesurée, un savoir-faire technique et une idéologie. Pour Étienne Candel et Gustavo Gomez-Mejia, l’e-réputation est une formule [1] marquée par une opérativité spécifique. Quant à Cléo Collomb, elle propose, grâce à la mobilisation des travaux de Jacques Derrida, de dépasser le paradigme indiciaire pour sortir d’une conception instrumentale de la trace. Julien Pierre présente le cadre des théories des industries culturelles comme permettant de dépasser une critique sur l’emprise de la sphère marchande. La seconde section de cette première partie mobilise un ensemble de spécialistes du droit. Pierre Trudel explicite les différences entre conceptions américaine et européenne de l’e-réputation. Philippe Mouron articule cette dernière avec le droit à l’identité et la liberté d’expression. Les deux contributions suivantes interrogent la question du droit à l’oubli : Édouard Cruysmans et Céline Romainville en pointant sa dimension complexe et non aboutie, notamment au regard de la liberté d’expression ; Christina Kompli en abordant son remplacement par le droit à l’effacement.
4Dans la seconde partie de l’ouvrage, Serge Agostinelli et Marielle Metge abordent la dimension sémiotique de l’e-réputation, pour laquelle le discours sur le faire remplace le faire. Bérengère Stassin et Stéphane Chaudiron interrogent, à partir d’une analyse de contenus, les liens entre information et réputation, puis entre recommandation et e-réputation. Olivier Koch considère les processus de stabilisation de la notion à partir du marketing dédié. Jean-Claude Domenget questionne ses modalités de construction sur Twitter. Valérie Larroche s’intéresse notamment à la question de la crédibilité et du caractère obligatoire du recours aux réseaux dits « sociaux professionnels ». Baptiste Kotras propose, entre autres, une réflexion sur la construction de la catégorie de l’influence. Francine Charest s’intéresse au rôle des « animateurs de communautés » en relations publiques. Dans la dernière section de cette seconde partie, Constance Georgy s’intéresse aux représentations de la réputation numérique véhiculées par les professionnels du « conseil en identité numérique ». Pour Audrey Laplante, il s’agit de relever les conséquences de l’exposition des goûts musicaux des adolescents sur Facebook. Enfin, Gérald Lachaud, Martine Vila-Raimondi et Stéphane Degroisse questionnent la notion dans l’espace du musée : son apparente contradiction avec l’image poussiéreuse du musée, mais aussi la façon dont sa gestion peut amener à une nouvelle économie des écritures.
5Marqué par sa diversité, cet ouvrage permet de saisir la dimension plurielle de l’e-réputation et des manières de l’envisager, de la conceptualiser et de l’opérationnaliser. Plus encore, la partie consacrée à ses « composantes juridiques » l’inscrit dans un cadre et dans un système de contraintes en développement. En ce sens, il s’agit d’en interroger à la fois les sens (juridiques, sémiotiques, sociaux) et les effets de sens : aller d’une épistémologie de la notion à la prise en compte de la réflexivité des pratiques qui lui sont liées. Pour ce faire, les différents auteurs mobilisent des cadres théoriques et méthodologiques propres. Les travaux de Louise Merzeau liés à la trace sont ainsi régulièrement cités, tout comme ceux de Dominique Cardon sur la visibilité, ou encore les théories de l’acteur-réseau. Mais encore, les méthodologies déployées sont propres à chaque contribution : de l’analyse sémiotique à l’analyse juridique en passant par des terrains sociologiques. Ces différents cadres permettent aux auteurs d’analyser des objets empiriques pluriels, ces « observables » [2] de l’e-réputation en devenant alors des déclinaisons sociales.
6Tous ces objets amènent à envisager une réflexion plus générale sur la question de l’« e-réputation » que nous avons choisi d’articuler ici autour de quatre concepts essentiels : la visibilité, la réflexivité, la temporalité et la performativité. Le premier est ainsi présenté comme une forme de corollaire de l’e-réputation : la visibilité traduit une contrainte sociétale, une conception d’un être-au-monde sur le numérique. La réflexivité innerve quant à elle toutes les analyses des auteurs : de leur propre posture vis-à-vis de la notion à la volonté d’éclairer le recours croissant à des outils techniques permettant d’accroître la visibilité des professionnels. La temporalité est à la fois celle du média numérique et celle des acteurs mobilisés. Enfin, la prise en compte de la notion de performativité amène à s’intéresser à la pragmatique de l’e-réputation. Dans cette perspective, elle est souvent associée à la question de l’influence. Cette dernière apparaît d’ailleurs, tout comme la notion de « réputation », comme un référentiel définitionnel : il s’agit de bien situer la performativité par rapport à elles pour en saisir la portée heuristique. La notion d’e-réputation est ainsi associée à un ensemble de notions et concepts comme l’identité numérique, la confiance, la recommandation, la conversation…
7D’une manière générale, ce qui rassemble ces analyses est la place fondamentale occupée par la dimension matérielle des dispositifs de l’e-réputation, qu’il s’agisse de prendre en compte les médiations de l’hypertexte, le poids des logiciels ou le rôle du calcul. L’e-réputation est finalement avant tout définie par sa technicité et par sa dimension évaluative : elle serait ainsi à la fois quantifiable et qualifiable. Ce constat amène les auteurs à l’aborder non pas comme une évidence, mais telle une construction sémiotique, juridique, sociale et foncièrement technique. On pourrait ainsi dire qu’elle relève d’une instrumentalisation des réseaux sociaux – professionnels ou non – tout en opérant comme un révélateur du social, ou tout du moins selon nous, des prétentions portées par ces dispositifs spécifiques.
Notes
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[1]
Alice Krieg-Planque, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009.
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[2]
Virginie Julliard, Julia et Bonaccorsi, « ”La délibération” comme observable : une question de communication », Au cœur et aux lisières des SIC, XVIIe Congrès de la SFSIC, université de Dijon, Dijon, 23 juin 2010, http://fr.calameo.com/read/0007559198827faf88a13