CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La lutte contre la reproduction du genre, c’est-à-dire contre « un système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin) » (Bereni et al. 2008, p. 7), n’est pas historiquement intégrée à l’institution scolaire. L’égalité des sexes n’émerge dans les politiques scolaires que dans les années 1980, et c’est seulement à partir de 2000 que les dispositifs adoptés s’intensifient et se diversifient (Pasquier 2013). Cette dynamique s’inscrit dans le processus de démocratisation sexuelle qu’Éric Fassin définit comme « la politisation croissante des questions de genre et de sexualité » (Fassin 2006, p. 125) qui participe à extraire ces questions de la sphère privée.

2Cette politisation est mère de confrontations. En devenant objets publics, les questions sexuelles deviennent également objets de débat public et ainsi supports d’expression d’oppositions. Dans le champ scolaire, les contestations ont pris la forme de dénonciations de la ‘théorie-du-genre’ [1] : en construisant le genre comme objet non scientifique, voire dangereux, elles ont cherché à le constituer plus globalement comme non scolaire. À partir de 2011, les discours publics sur l’école ont ainsi été marqués par une succession de polémiques médiatisées venant questionner directement la légitimité de l’institution scolaire à se saisir des questions sexuelles. C’est ainsi que, dans la continuité des manifestations contre l’ouverture des droits du mariage aux personnes du même sexe, les ABCD de l’égalité [2] sont devenus un enjeu de lutte ; leur remise en cause, particulièrement virulente, concernait directement le corps enseignant du premier degré, et était orchestrée par un mouvement social construit autour de ‘la manif pour tous’.

3Il s’agit dès lors de mesurer l’effet de l’émergence de la ‘théorie-du-genre’ comme problème social sur les pratiques enseignantes du primaire public. Les enseignant·e·s ont été confronté·e·s à des clivages idéologiques médiatisés entre visions dominantes du genre, portées par les milieux scientifiques, universitaires et issus du militantisme féministe ou LGBTQI [3], par l’Éducation nationale, par les mouvements militants et politiques proches de ‘la manif pour tous’. Qu’est-ce que cela a produit ? Cette confrontation a-t-elle joué un rôle structurant pour leurs pratiques professionnelles dans le domaine de l’égalité filles-garçons ? Que peut-on en conclure quant à l’autonomie de l’institution scolaire vis-à-vis de problèmes sociaux plus généraux ?

Méthodologie

Nous nous appuierons sur un terrain qualitatif composé de 52 entretiens semi-directifs menés auprès d’enseignant·e·s du premier degré public entre 2013 et 2016, et de 43 demi-journées d’observation réalisées dans les classes en 2015, en tant qu’enquêtrice, auprès d’enseignant·e·s ensuite interrogé·e·s [4]. Le calendrier de ce terrain, qui a commencé avant la polémique autour des ABCD de l’égalité et s’est poursuivi après, aide à en cerner l’effet. L’échantillon des personnes enquêtées est diversifié au niveau du sexe (40 femmes, 12 hommes [5]), de l’âge (de 23 à 65 ans) et du milieu social d’origine. Les conditions d’exercice du métier ont également été variées. 17 personnes enseignent en maternelle, 26 en élémentaire, 9 sur des postes spéciaux ou de remplacement. L’ancienneté dans le métier a été prise en compte (10 sont néo-titulaires) ainsi que le lieu d’enseignement (diversification des écoles en fonction des positions sociales des familles). Enfin, 8 ont été confrontées directement aux Journées de retrait de l’école, au sein de leur classe ou de leur école.
À partir des catégories de pensée et de pratiques des personnels enseignants, et par le biais de la méthode des idéaux-types (Weber 1992 [1904-1917]), ont été construits quatre types d’enseignant∙e∙s reflétant leur investissement différentiel dans la lutte contre la reproduction du genre :
  • les résistants et les résistantes, qui n’ont aucune pratique effective et intentionnelle de remise en cause de la reproduction du genre (au nombre de 15).
  • les réactifs et les réactives, dont les actions se résument à la réaction face à un stéréotype ou une discrimination sexiste constatés dans le quotidien scolaire. Leurs pratiques sont ainsi conditionnées — limitées — strictement par l’existence de problèmes sexistes identifiés comme tels (11).
  • les ponctuels et les ponctuelles, qui adjoignent à ces actions de réaction des initiatives ponctuelles grâce à une auto-vigilance sur leurs pratiques. Cependant, cette vigilance reste limitée à certains domaines et à certains moments : leur posture est ainsi pro-active a minima (8).
  • les investis et les investies, qui adoptent une diversité d’actions les conduisant à agir de manière transversale et systématique. La promotion de l’égalité filles-garçons à l’école occupe une place importante de leurs attentions professionnelles, ce qui se traduit par une vigilance forte dans ce domaine (18) [6].

4L’existence de ces postures professionnelles diversifiées empêche d’envisager les effets de la ‘théorie-du-genre’ sur le corps enseignant de manière uniforme. Le schéma général qui se dégage du terrain, analysé ici dans les deux premières parties, et qui concerne 49 personnes parmi les quatre types, est une posture de distance critique face aux dénonciations de la ‘théorie-du-genre’. Malgré cette distance, et avec des variations socialement marquées selon les types, la mobilisation de ce mouvement a pu agir chez certains et certaines comme un frein à la mise en place de pratiques de promotion de l’égalité, frein qui se nourrit de la peur de réactions parentales de désapprobation. Quant à la petite minorité des résistant∙e∙s qui adhère au message de ‘la manif pour tous’, et qui en reprend les analyses, leurs positions de résistance face aux injonctions égalitaires de l’institution se sont objectivées et systématisées, ce qui fera l’objet de la troisième partie.

Une distance critique généralisée aux dénonciations de la ‘théorie-du-genre’

5Les enseignant·e·s du groupe majoritaire suivent à distance une polémique qu’ils et elles désapprouvent, condamnant les positions et les analyses des personnes s’opposant à la ‘théorie-du-genre’.

Le dilettantisme enseignant face à la polémique

6Le mouvement social autour des ABCD de l’égalité [7] a suscité une couverture médiatique forte, mais l’intérêt que les personnels enseignants lui ont porté a été mesuré. Ils l’ont suivie avec un certain dilettantisme ; tous la connaissent, mais peu se sont renseignés sur le contenu à la fois de la controverse et des ABCD de l’égalité. Cette distance aux réformes ministérielles n’est pas propre aux ABCD: habitués à la multiplicité des réformes scolaires et à l’effet de balancier en fonction des alternances politiques, les personnels enseignants ne les suivent généralement pas de près (Tardif, Lessard 1999). Dès lors, si le mouvement social a apporté une publicité inattendue aux ABCD, cette publicité n’a toutefois pas permis de faire connaître le dispositif en détail.

7

J’en ai entendu parler, mais je ne sais pas vraiment ce que c’est.
(Sara, 25 ans, mère employée, enseigne en petite section)

8

J’en ai entendu parler, je n’ai pas bien saisi les tenants et les aboutissants. Honnêtement j’ai… je n’ai rien compris de ce qu’il y avait dedans quoi.
(Étienne, 45 ans, père ingénieur, mère contrôleuse des impôts, conjointe professeure du secondaire, enseigne en CE1)

9La polémique ne suscite pas chez ces enseignant∙e∙s suffisamment de curiosité et d’intérêt pour aller au-delà de la rumeur publique par une recherche personnelle ; ils et elles ont ainsi des connaissances floues, voire erronées de la controverse, ne sachant par exemple pas ce qu’est au juste la ‘théorie-du-genre’. Ainsi, pour Étienne, « rentrer dans […] la théorie du genre », c’est « faire faire des choses différentes » aux enfants selon leur sexe, alors même que la ‘théorie-du-genre’ a, au contraire, été construite pour dénoncer l’indifférenciation sexuée. Ce contresens manifeste la distance à la polémique. Les personnels ne se sont souvent pas sentis directement concernés par une controverse perçue comme avant tout médiatique, idéologique et éloignée des préoccupations quotidiennes du métier. Dès lors, cette dernière a davantage suscité de l’indifférence et de l’incompréhension que de l’inquiétude et une remise en question.

10Deux configurations ont cependant poussé certaines personnes interrogées à suivre de plus près la polémique. Il s’agit tout d’abord de la fréquentation d’une école touchée par les Journées de retrait de l’école (JRE) [8] : ces dernières, en faisant passer les protestations contre la ‘théorie-du-genre’ de mouvements portant sur l’école à des mouvements intervenant dans l’école, ont interpellé directement les personnels enseignants y travaillant, et les ont ainsi amenés à s’y intéresser davantage.

11

Comme ça a fait énormément de bruit dans l’école où j’étais à V. l’année dernière, c’est parti vraiment en cacahuètes dans le sens où ça s’est transformé en éducation sexuelle dès la maternelle, et on s’est retrouvé avec un taux d’absentéisme, où ils avaient décidé un vendredi d’enlever les gamins, du coup je me suis dit mais pourquoi ? Et je ne savais pas pourquoi vraiment. Du coup je me suis renseignée sur Internet.
(Leila, 33 ans, père ouvrier, mère femme de ménage, conjoint intermittent, enseigne en CM1)

12Habitués aux débats publics nationaux sur l’école, ses missions, ses mérites et ses problèmes, et lassés par ceux-ci, les personnels enseignants se sentent davantage impliqués par les controverses quand elles prennent corps au niveau local, quand elles concernent leur école en particulier et non l’école en général. La controverse a dès lors davantage été suivie par les enseignant·e·s en poste dans les quartiers populaires, davantage concernés par les contestations (Chetcuti 2014).

13Outre cet intérêt conjoncturel pour la polémique, certain∙e∙s nourrissent pour elle un intérêt plus structurel. Il s’agit d’enseignant∙e∙s investi∙e∙s qui s’intéressent personnellement aux enjeux du genre et aux inégalités sexuées. Ces personnes ont en la matière des convictions fortes, nourries par le féminisme, et mènent une veille médiatique, ce qui les a rendues plus attentives que leurs collègues à la controverse autour de la ‘théorie-du-genre’.

14Ainsi, le suivi de la controverse reste limité et est conditionné à des variations géographiques — avec les JRE — et sociologiques, les convictions militantes citées ci-dessus étant le fruit de trajectoires spécifiques, liées notamment à une origine sociale favorisée.

Un rejet général du mouvement et du message qu’il porte

15On observe un rejet massif par les enseignant·e·s des mouvements de dénonciation de la ‘théorie-du-genre’. Ce rejet s’inscrit dans une logique eux/nous qui s’appuie sur deux dimensions. Ces mouvements sont d’abord rejetés comme étant de droite, alors qu’on observe un fort ancrage politique à gauche des enseignant·e·s du premier degré, dont seulement 20,7 % se déclarent de droite (Spire 2010). Dans le cas des JRE, au sein desquelles les familles migrantes et descendantes de migrant·e·s nord-africains ont eu une place importante, la logique eux/nous s’inscrit également dans une distinction faite par les personnels enseignants entre un ‘nous’ progressiste et un ‘eux’ conservateur qui désigne plus particulièrement les familles musulmanes — rappelons que, dans la perspective de la démocratie sexuelle, les questions de genre constituent une dimension primordiale de construction de l’altérité raciale (Fassin 2006).

16Dans ce cadre, les personnes enquêtées qualifient les opposants et opposantes aux ABCD de l’égalité d’extrémistes ou d’intégristes et estiment que le débat qu’ils et elles mènent est une instrumentalisation politique condamnable. La force de la condamnation des enseignant∙e∙s s’exprime dans la véhémence qu’ils et elles mettent en entretien à se distinguer des dénonciateurs et dénonciatrices de la ‘théorie-du-genre’.

17

Il y a un groupe très à droite, qui revendique des valeurs qui sont les leurs, qui ne sont pas les miennes, et puis il y a une autre frange de la société un peu plus… progressiste dirons certains, ouvert diront d’autres. […] Et effectivement, ceux qui sont fortement contre [les ABCD] ne sont pas mes amis. […] Je ne partage pas les mêmes valeurs, malheureusement, alors c’est malheureux mais on ne se mélange pas hein, mais on ne peut pas, pfff, on ne peut pas, ça ne sert à rien, on va s’engueuler tout le temps. Donc… bah qu’ils restent dans leur univers très cloisonné, très clos, peu enclin à la discussion et à l’altérité, soit.
(Loïc, 35 ans, père éducateur spécialisé, mère orthophoniste, conjointe conservatrice de bibliothèque, enseigne en CE2)

18La condamnation de ces mouvements s’accompagne ainsi d’une forte hiérarchisation de valeurs entre les enseignant·e·s, qui mettent en avant leur progressisme, et les manifestantes et manifestants, désignés péjorativement. Cette division eux/nous sur le critère de progressisme est récurrente dans le discours des personnels enseignants qui aiment s’afficher comme un corps professionnel ouvert sur les questions de société. C’est dans cette perspective que s’inscrit leur opposition au mouvement social autour de ‘la manif pour tous’ : il ne s’agit pas alors juste de se positionner politiquement, mais aussi de construire une certaine image de soi auprès des collègues et d’un cercle social plus large.

19Cela peut expliquer que la dénonciation de ce mouvement social se retrouve parmi tous les types d’enseignant·e·s, même chez celles et ceux qui ne sont pourtant pas favorables à ce que l’école assume un rôle actif dans la promotion de l’égalité filles-garçons. Ainsi, si les résistants et résistantes ont des convictions proches de ‘la manif pour tous’, cela n’empêche pas la plupart de se prononcer contre ce mouvement. Christophe, par exemple, qui se positionne contre les ABCD, estimant que l’école doit respecter une différence des sexes qu’il naturalise, dénonce dans le même temps les mouvements de protestation qui s’attaquent à ces ABCD :

20

C’est récupéré par des mouvements dangereux justement, Front national, ça peut être des mouvements traditionnalistes catholiques, donc il ne faut surtout pas prêter le flanc à ça.
(Christophe, 49 ans, père peintre en bâtiment, mère au foyer, conjointe professeure des écoles, enseigne en CM1)

21Son identité politique de gauche l’invite à rejeter un mouvement qu’il associe à la droite, et ce malgré la proximité de leurs opinions quant au rejet des ABCD de l’égalité.

22On observe ainsi un rejet généralisé des mouvements de dénonciation de la ‘théorie-du-genre’ par les enseignant·e·s, ce qui les éloigne du message qu’ils portent. Cette posture de défiance bloque-t-elle l’influence de ces mouvements sur les représentations et les pratiques enseignantes ? En bref, l’effet de ces mouvements sur les enseignant·e·s peut-il passer par d’autres canaux que celui de l’adoption de leur point de vue ?

Les effets limités de la polémique

23Malgré la condamnation par les personnels enseignants des dénonciations de la ‘théorie-du-genre’, ces mouvements ont favorisé chez eux une prise de distance face aux dispositifs de promotion de l’égalité des sexes à l’école, par deux biais principaux.

Une critique des dispositifs de promotion de l’égalité des sexes à l’école

24Les dénonciations de la ‘théorie-du-genre’ ont eu un impact sur les représentations enseignantes des ABCD de l’égalité et, plus globalement, sur celles des dispositifs de promotion de l’égalité des sexes à l’école, en favorisant le développement d’une posture critique, sur la forme sinon sur le fond.

25Les personnels enseignants résistants nourrissaient, avant même la polémique, des opinions négatives quant à ces dispositifs ; le mouvement social a encore renforcé ces opinions, ce qui se traduit par un durcissement du champ lexical de leur condamnation au tournant 2014. Quant aux réactifs, ponctuels et investis, qui ont des a priori plutôt favorables sur l’existence de dispositifs visant à la promotion de l’égalité filles-garçons à l’école, le contexte politique les a conduits à nuancer leur jugement et à jeter un œil critique, parfois sévère, sur les ABCD de l’égalité. Aucune des personnes enquêtées de ces types ne partage l’opinion que ces dispositifs d’égalité seraient dangereux pour les enfants ; mais ils et elles reprennent l’idée que les ABCD ne seraient pas forcément appropriés à l’âge des enfants et surtout à l’activité scolaire — alors même que ce dispositif visait justement à proposer des fiches pédagogiques inscrites dans les disciplines scolaires. La controverse a ainsi développé chez ces personnels une posture de désapprobation, non pas sur les buts poursuivis par ce dispositif, mais sur les modalités de sa mise en œuvre et ses contenus pédagogiques, suivant en cela les dénonciations d’un dispositif qu’ils ne sont pas, on l’a vu, allés consulter.

26

Je me suis dit houlala ! Je pense que là ils sont arrivés avec leurs bulldozer là au ministère, en même temps c’est sûr, c’est une thématique qu’il faut prendre en compte, mais peut-être que ce n’était pas la bonne façon. […] Voilà c’est le côté décréter, ça me gênait un peu. Après je trouve ça très bien, bah comme je dis à chaque fois, c’est, c’est, c’est les extrêmes qui font bouger les foules d’un millimètre quoi, donc euh... Il faut aussi qu’il y ait des trucs extrêmes comme ça.
(Anne-Marie, 35 ans, parents médecins, conjoint cadre dans le public, enseigne en petite section)

27En qualifiant le dispositif d’extrême, et en critiquant sa mise en place, Anne-Marie reprend les raisonnements de la ‘théorie-du-genre’, et ce malgré la conviction qu’elle a toujours du bien-fondé des actions pro-égalité. Les dénonciations et le vocabulaire employé se voient ainsi intégrés dans les analyses des enseignant·e·s, ce qui se perçoit bien aussi dans les changements de perception des ABCD que l’on observe dans les entretiens au tournant de 2014. Julie explique ainsi, avant la controverse, qu’il s’agit avec les ABCD d’« avoir des petits projets, des petites choses à mettre en place » sur l’égalité filles-garçons. Cette minimisation des ABCD, par le biais de l’adjectif ‘petit’, ne se retrouve jamais dans les discours post-polémique, où les termes employés tendent à être hyperboliques, comme dans le discours de Leila, qui témoigne, à propos d’un ouvrage un temps mentionné sur le site des ABCD :

28

Je l’ai trouvé hyper provocateur, alors que bon le terrain est déjà assez glissant avec l’islam à l’école [9], d’avoir pris, je sais pas, je ne sais pas je l’ai pas lu le roman, j’ai juste vu un truc, ou sur le zapping, ou aux infos, euh… tous les romans qui avaient été descendus par des extrémistes, que ce soit des extrémistes musulmans ou des extrémistes catholiques, j’ai vu les titres et j’ai dit putain, ok, c’était peut-être pas malin en fait d’utiliser ces termes-là pour faire passer l’éducation filles-garçons.
(Leïla 33 ans, père ouvrier, mère femme de ménage, conjoint intermittent, enseigne en CM1)

29Même si elle dénonce l’extrémisme de ces mouvements, Leïla en reprend les arguments, sans faire la démarche de vérifier par elle-même. Ses représentations des dispositifs d’égalité, à l’image de celles de ses collègues, sont ainsi directement influencées par la ‘théorie-du-genre’, une dynamique qui éloigne les enseignant·e·s des prescriptions de l’institution scolaire et pèse directement sur le succès des dispositifs promus par celle-ci.

La peur des parents

30La polémique a également agi sur le corps enseignant en favorisant le développement ou le renforcement de contestations parentales. Alors que l’enseignement est un métier de service public qui comprend des enjeux de façade de par les interactions directes avec les parents, et qui met en jeu un « malentendu croissant » entre parents et enseignant·e·s, nourri par une « déstabilisation double […] liée à la massification de l’école et à l’accroissement de sa diversité socio-culturelle » (Akkari, Changkakoti 2009, p. 124), il peut être difficile de faire face aux oppositions parentales, et beaucoup les redoutent (Lantheaume, Hélou 2008) — surtout que les personnels enseignants ne se sentent dans le domaine de l’égalité ni formés, ni soutenus par l’institution (IGEN 2014). Ces personnels nourrissent dès lors une crainte de susciter, par des actions pro-égalité, l’ire des parents.

31

C’est sur cette affaire de genre aussi que je pense que ça a effrayé beaucoup de monde […] Tu sais qu’on va te tomber dessus de quelconque endroit que ça vienne. Je pense qu’il y a beaucoup plus de trouille qu’il y a cinq ans [avant les JRE]. Et ça moi je le ressens.
(Laetitia, 32 ans, père professeur du secondaire, mère secrétaire, conjoint intermittent, enseigne en CM2)

32En réveillant les oppositions parentales, les débats autour du genre ont ainsi rendu sa prise en compte potentiellement plus coûteuse pour les enseignant·e·s. Ce coût concerne l’anticipation des confrontations, et non pas l’auto-interrogation sur ce qu’il est bon d’apporter aux enfants en termes de normes de genre : toutes les personnes interrogées s’estiment mieux à même de le savoir que les parents [10]. Dans une perspective d’« impérialisme » de la démocratie sexuelle, fondée sur des logiques de classe et de race, les enseignant·e·s perçoivent en effet leurs pratiques de genre comme « emblèmes de la modernité démocratique » (Fassin 2006, p. 126) et rejettent les parents dans une altérité rétrograde à dépasser. Dès lors, les contestations parentales ne conduisent pas les personnes enquêtées à remettre en cause le bien-fondé de leurs pratiques d’égalité ; leurs craintes des confrontations ne signifient donc pas que le message de la ‘théorie-du-genre’ est assimilé, mais bien plutôt que ses effets sont redoutés.

33Ces craintes ne se nourrissent pas forcément d’oppositions vécues personnellement. Aucune personne enquêtée n’a été directement confrontée à des protestations parentales virulentes ; les seules contestations rapportées, vécues dans le cadre des JRE, se sont exprimées de manière tempérée et ont été gérées par la direction de l’établissement. La crainte de la colère des parents naît plutôt du climat général de tension nourri par ‘la manif pour tous’ et des récits d’altercations vécues dans d’autres écoles, qui circulent entre collègues. Les oppositions sont ainsi essentiellement anticipées, voire fantasmées, et intériorisées.

34Cette peur des confrontations intervient surtout dans les écoles très aisées — c’est la crainte de faire face à des désaccords exprimés par des parents fortement dotés en capitaux — et dans les écoles défavorisées, davantage confrontées aux JRE, qu’elles aient été ou non pilote pour les ABCD (IGEN 2014). Dans ces écoles des quartiers populaires, au-delà de la peur de vivre des confrontations, il y a aussi celle que les désapprobations parentales éloignent les familles de l’école et dégradent la confiance entre parents et enseignant∙e∙s, qui y est un enjeu premier (Thin 1998).

Des pratiques freinées à la marge

35Ces craintes activées par la polémique ont eu un effet différentiel sur les pratiques d’égalité des personnels enseignants. Les pratiques des personnels résistants et réactifs étaient d’ores et déjà trop peu importantes pour être influencées dans le sens d’un recul. En revanche, chez les ponctuels et investis, on a pu assister à une diminution de la fréquence des actions ainsi qu’à un travail de sélection des domaines abordés et des manières d’en parler.

36

Il y a des références que je trouve intéressantes mais que je sais que ça ne passe pas dans ces quartiers, tu vois. Genre il y a un livre qui est super bien, Mehdi met du rouge à lèvre, je ne sais pas si tu vois ce que c’est, et bah ça tu le lis aux élèves dans le quartier, tu es sûre que les parents ils te tombent dessus quoi, ça ne passe pas [rires]. Donc ouais c’est un peu, faut toujours doser quoi parce que… enfin tu as des familles où les choses sont bien posées, le rôle de l’homme, le rôle de la femme, et que tu vois… attention on risque de te prendre au tournant des théories du genre. […] Je pense que je n’ai jamais fait des trucs qui allaient un peu trop loin quoi, là c’était… le compromis un peu quoi.
(Laure, 27 ans, parents cadres dans le public, conjoint libraire, remplaçante)

37La peur des oppositions parentales participe ainsi à freiner les velléités d’action. Cependant, le recul porte avant tout sur les actions qui sont le plus identifiables par les parents comme relevant de dispositifs pro-égalité, par exemple sur les lectures choisies, et non sur l’ensemble des pratiques ; les changements se font dès lors plutôt à la marge, on n’assiste pas à un bouleversement du système des pratiques suite à la polémique — aucun·e enseignant·e ne passe par exemple d’une des quatre catégories que nous avons identifiées à une autre. De plus, les changements ne semblent pas durables : l’effet tend à se tasser en même temps que le mouvement social, les enseignant·e·s sentant les parents moins vigilants.

38Par ailleurs, le recul n’est pas homogène, mais va dépendre des établissements scolaires, les craintes étant accentuées, on l’a vu, face aux parents des catégories supérieures et surtout populaires. Laetitia compare ainsi les pratiques adoptées dans son ancienne école d’une banlieue défavorisée et dans une école mixte du centre d’une grande ville où elle enseigne à présent :

39

C’est sûr qu’on faisait beaucoup plus gaffe. On faisait beaucoup plus gaffe […] On allait que sur ce qu’on pouvait défendre, euh... Qu’on, dont on était sûr qu’on avait l’arsenal vraiment théorique bien derrière, ce qui n’est pas le cas ici. Ce qui n’est pas le cas ici... Je sens tout le monde assez détendu.
(Laetitia, 32 ans, père professeur du secondaire, mère secrétaire, conjoint intermittent, enseigne en CM2)

40Le recul varie ainsi en fonction de l’implantation sociale des établissements. Il existe également une variation entre les personnels ponctuels et investis : on voit dans les propos de Laetitia que disposer de « l’arsenal théorique » aide à agir, en fournissant des justifications sur les actions menées et des arguments à opposer aux parents, et en éloignant ainsi le soupçon d’un militantisme perçu comme incompatible avec le devoir de réserve. Dès lors, le recul est moins important chez les personnels investis, qui disposent de connaissances plus solides que leurs collègues sur la question du genre. Ce moindre recul s’explique également par le fait que les personnels investis sont davantage intimement convaincus de la nécessité de promouvoir l’égalité des sexes à l’école [11], conviction dans laquelle ils puisent une plus grande motivation à faire face aux oppositions parentales.

Les enseignant·e·s pro-‘manif pour tous’

41À côté de ce schéma général, trois personnes de l’échantillon adhèrent au message de ‘la manif pour tous’. Étudier cette minorité n’autorise pas à dépasser le stade d’hypothèse, mais permet d’enrichir pour finir l’analyse en réfléchissant à la fois aux conditions sociales de l’adhésion et à ce qu’elle produit au sein de l’école.

Des dispositions favorables à l’adhésion à la lutte contre la ‘théorie-du-genre’

42Les trois personnes résistantes adhérant à la dénonciation polémique des ABCD de l’égalité sont Solange (62 ans, père mécanicien, mère au foyer, conjoint cadre du privé), Anne-Claire (38 ans, père agriculteur, mère assistante sociale, conjoint éducateur spécialisé) et Hassan (43 ans, père mécanicien, mère au foyer, célibataire). Ces enseignant·e·s ont en commun une croyance et une pratique religieuse, catholique pour Solange et Anne-Claire, musulmane pour Hassan, ainsi qu’un positionnement à droite de l’échiquier politique. Ces caractéristiques sociales congruent avec celles des organisateurs et organisatrices et des manifestant·e·s de ‘la manif pour tous’ ; rappelons que les institutions religieuses, au premier rang desquelles les institutions catholiques, ont joué un rôle de premier plan dans les mobilisations (Carnac 2014). Alors que le genre s’accompagne d’une dénaturalisation qui conduit à affirmer que notre monde est historique, et non transcendant, il est en effet propice au développement de résistances religieuses (Fassin 2006).

43La socialisation religieuse et politique de ces trois personnes a construit chez elles des dispositions au partage de valeurs conservatrices en matière de questions sexuelles. Elles se montrent ainsi attachées à l’hétéronormativité, opposées à l’avortement — Solange est d’ailleurs militante au sein de l’association pro-vie Alliance Vita — et, dans la continuité, opposées à la ‘théorie-du-genre’, qu’elles associent, à l’image de ‘la manif pour tous’, à l’homosexualité et à l’indifférenciation sexuée (Chetcuti 2014). Leur socialisation religieuse favorise ainsi une réception positive du message de ce mouvement social. Outre cette proximité idéologique, leur appartenance religieuse leur a également fourni des espaces de socialisation propices à la diffusion du message de ce mouvement, par le biais des lieux de culte et des associations religieuses (Béraud, Portier 2015).

44Enfin, ces personnes partagent avec le mouvement social autour de ‘la manif pour tous’ une défiance envers l’école publique qui rejoint celle des puissances religieuses face à l’école de Jules Ferry, et ne se montrent pas attachées à l’image de l’instituteur ou de l’institutrice républicaine comme leurs collègues. Solange et Anne-Claire enseignent d’ailleurs dans le public à défaut d’avoir pu accéder au privé, privé que leurs enfants fréquentent. Cette posture de défiance nourrit chez ces trois personnes l’idée que l’école doit se limiter à sa mission première d’instruction, faute de remplir une mission d’éducation dont elles partagent les valeurs.

45L’ensemble de ces facteurs les conduit à adopter le message de rejet de la ‘théorie-du-genre’, et à condamner sévèrement l’institution qui les emploie pour la production de directives pro-égalité des sexes, perçues comme aliénantes pour les enfants.

Une résistance renforcée, aux effets collectifs limités

46La polémique a participé à renforcer les convictions conservatrices en matière de genre de ces trois enseignant·e·s. Leur discours se nourrit des arguments et des éléments de langage de ‘la manif pour tous’ : « C’est là que j’ai beaucoup appris aussi, au niveau des dangers », souligne Solange. Elle explique par exemple que « cette idéologie du genre est très néfaste », que « c’est criminel », et reprend la théorie du complot développée par ce mouvement : « Je vous dis ça va très très loin hein ! Même, même l’ONU est impliquée là-dedans hein. L’ONU, et oui ». Dans la même veine, Anne-Claire avance que, « avec la théorie du genre, on va aller sur des gens qui ne savent pas d’où ils viennent, s’ils sont garçons, s’ils sont filles ». Les arguments utilisés ici sont ceux entendus dans les manifestations (Chetcuti 2014) ; ils proviennent à la fois de la fréquentation du réseau militant et d’une démarche personnelle de renseignement qui répond à leur inquiétude grandissante, suscitée par ‘la manif pour tous’, quant aux dangers de la ‘théorie-du-genre’.

47Ce mouvement social a ainsi renforcé la volonté de ces enseignant∙e∙s de faire barrage à la ‘théorie-du-genre’. Dès lors, cela a changé les modalités de leur résistance aux directives pro-égalité émises par l’institution, dans le sens d’une conscientisation et d’une systématisation. Leur résistance existait en effet préalablement à la controverse autour des ABCD de l’égalité, mais elle n’était pas réfléchie comme telle, ne relevait pas du refus délibéré d’agir ; il s’agissait alors essentiellement de ce que Daniel Thin appelle des « résistances objectives, c’est-à-dire non construites subjectivement comme résistances mais qui résistent pourtant objectivement à l’imposition de normes pédagogiques » (Thin 1998, p. 246). Suite à la polémique autour de la ‘théorie-du-genre’, ces personnes ont rendu leur résistance subjective, dirigée explicitement contre les consignes de l’institution, réfléchie en ce sens et ainsi investie d’une nouvelle signification.

48Cette attitude de désaccord avec l’institution employeuse ne peut se saisir par le triptyque « exit, voice, loyalty » [12] d’Hirschman (1970) : la défection n’est pas envisagée, la prise de parole n’a pas cours du fait d’une hiérarchie distante et désintéressée, et le loyalisme n’a rien de nécessaire puisque le contrôle en matière d’égalité filles-garçons est distant, voire inexistant. L’attitude de ces personnels enseignants se caractérise davantage par ce que Bajoit nomme l’« apathy » en complément du tryptique d’Hirschman : il s’agit d’une attitude sans conflit ouvert, qui aboutit à une « détérioration de la coopération » sans manifestation frontale d’opposition (Bajoit 1988, p. 332).

49D’ailleurs, leur investissement professionnel dans la lutte contre la ‘théorie-du-genre’ n’a guère dépassé les frontières de leur classe. Hassan et Anne-Claire n’en parlent pas à leurs collègues, ayant peur du regard désapprobateur que les autres enseignant∙e∙s, qui valorisent le progressisme en matière de questions sexuelles, pourraient leur adresser. Anne-Claire regrette ainsi d’avoir un jour partagé son opinion à ce propos avec une de ses collègues, ce qu’elle évite de faire dorénavant afin de préserver ses relations.

50

Moi j’ai eu une fois une discussion avec une collègue que j’apprécie beaucoup, on s’appréciait beaucoup, et là ça a créé une tension, qui n’était pas utile. […] Il faut apprendre à garder son avis pour soi, se taire quand il faut.
(Anne-Claire, père agriculteur, mère assistante sociale, conjoint éducateur spécialisé, enseigne en UPE2A)

51La résistance d’Hassan et d’Anne-Claire ne gagne ainsi pas l’espace de l’établissement scolaire. Solange, la plus militante des trois, agit différemment, et tient à diffuser ses convictions auprès de ses collègues, dans l’espoir de les convaincre. Cependant, elle ne trouve que peu d’échos, ses collègues préférant éviter le sujet.

52

Parmi mes collègues, je suis toute seule, je me sens toute seule hein ! Surtout parce qu’ils ne sont pas informés et que ça ne les intéresse pas […] plusieurs fois j’en ai parlé, ils savent très bien ce que je pense, mais jamais ils ne se sont intéressés à ce pourquoi je pense ça.
(Solange, 62 ans, père mécanicien, mère au foyer, conjoint cadre du privé, enseigne en CE1 — elle souligne en martelant ses propos)

53Cette faiblesse de la socialisation horizontale, déplorée par Solange, conduit ces enseignant·e·s pro-‘manif pour tous’ à rester une minorité disposant d’une force de persuasion très limitée au sein de l’Éducation nationale.

54

* *
*

55La polémique sur la ‘théorie-du-genre’ à l’école a donc eu des effets mesurés sur les pratiques enseignantes d’égalité filles-garçons. Certes, la forte exposition publique de cette controverse a participé à freiner l’adoption de certaines pratiques d’égalité, mais ces freins sont restés limités, à la fois en termes d’ampleur et dans le temps.

56On observe ainsi une certaine distance critique du corps enseignant qui incarne l’Éducation nationale par rapport à l’émergence de la ‘théorie-du-genre’ comme problème social. Cette distance n’est pas due à une force contraignante de l’Éducation nationale qui obligerait les enseignant·e·s à passer outre les dénonciations de ‘la manif pour tous’, l’institution se confrontant aux discours publics sur le genre sans réels moyens d’encadrement et de formation des acteurs et actrices qui l’incarnent (Pasquier 2013). On ne peut pas l’expliquer non plus par la faiblesse du mouvement social autour de la ‘théorie-du-genre’, qui a bénéficié d’une couverture médiatique importante.

57Non, ce qui sous-tend cette distance, ce sont plutôt les caractéristiques sociales des personnels enseignants, qui les rendent peu susceptibles d’adhérer aux positions de dénonciation de la ‘théorie-du-genre’. Cette controverse met en effet en dispute des discours socialement situés, avec une surreprésentation de la bourgeoisie à forte inscription catholique et des catégories populaires parmi les oppositions à la ‘théorie-du-genre’ (Chetcuti 2014). Ces profils sociaux étant peu représentés dans le corps enseignant, leurs positions sociales et leur socialisation les conduisent à rejeter le message porté par le mouvement social autour de ‘la manif pour tous’, ce qui vient en limiter directement l’influence.

Notes

  • [1]
    Syntagme proposé par Éric Fassin, qui permet de constituer les dénoncia­tions de la théorie du genre comme objets tout en gardant une distance critique par rapport à la pertinence de l’expression.
  • [2]
    Dispositif proposant des formations et des supports pédagogiques pour la promotion de l’égalité des sexes à l’école primaire. Sous le coup de la polé­mique, les ABCD de l’égalité ont été retirés en tant que tels à l’été 2014. Si ce dispositif était expérimenté dans un nombre limité d’école, c’est l’ensemble du champ scolaire qui a été concerné par la polémique.
  • [3]
    Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queers, intersexués.
  • [4]
    Ce terrain est une partie de celui réalisé pour ma thèse, thèse qui vise à comprendre comment le genre, objet scientifique, mais aussi objet polémique, peut s’intégrer au sein de l’Éducation nationale en tant qu’objet scolaire, et qui cherche à expliquer les modalités différenciées de prise en charge de la lutte contre la reproduction du genre par les enseignant·e·s du premier degré.
  • [5]
    Ce déséquilibre se justifie par la proportion de femmes dans le premier degré, qui est de 82,3 % en 2015-2016 (chiffre du bilan social du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche).
  • [6]
    Cette distribution des personnes enquêtées est propre au terrain mené ; l’échantillon étant réduit et qualitatif, elle ne peut en aucun cas permettre de tirer des conclusions sur la distribution de l’ensemble du corps enseignant.
  • [7]
    On entend par là l’ensemble des entités qui se sont mobilisées pour lutter contre la mise en place scolaire des ABCD de l’égalité.
  • [8]
    Les Journées de retrait de l’école, lancées par Farida Belghoul, sont une initiative invitant les parents à retirer leurs enfants de l’école une fois par mois à partir de janvier 2014 afin de protester contre les ABCD de l’égalité. Ces JRE ne visaient pas les seules écoles pilotes du dispositif ABCD de l’égalité mais plus globalement l’école comme institution, et on observe dès lors une certaine dé­connexion entre les écoles pilotes et les écoles concernées par les JRE (IGEN 2014), avec une tendance à la concentration de ces dernières dans les quartiers populaires.
  • [9]
    Avec cette expression « l’islam à l’école », Leïla fait référence aux relations qu’elle juge difficiles entre musulmans, musulmanes et Éducation nationale.
  • [10]
    Ce sentiment supérieur de compétence par rapport aux parents n’est pas propre à l’égalité des sexes, mais s’exprime dans une multiplicité de domaines (voir par exemple Thin 1998).
  • [11]
    Pour l’ensemble des types d’enseignant·e·s identifiés, le positionnement pro­fessionnel adopté est lié aux représentations personnelles du genre construites par les socialisations extra-professionnelles, comme l’a déjà noté Pasquier à propos des enseignant·e·s travaillant sur l’égalité des sexes ou des sexualités avec leurs élèves (Pasquier 2013). C’est la combinaison de ces représentations et des contextes d’action qui viennent structurer les pratiques (Lahire 1998).
  • [12]
    Théorie de la défection, de la prise de parole et du loyalisme, d’Hirschman.
Français

À partir d’une enquête qualitative auprès de personnels enseignants du premier degré, cet article interroge les effets de la polémique autour de la ‘théorie-du-genre’ à l’école sur les pratiques enseignantes. Il montre que cette polémique, si elle a pu freiner la mise en place de certaines actions pro-égalité au sein de l’école, a échoué à bousculer les systèmes de pratiques enseignantes, du fait d’une absence généralisée d’adhésion des enseignant·e·s aux messages portés par les mouvements autour de ‘la manif pour tous’. On observe dès lors une certaine distance du corps enseignant, et, par son biais, de l’institution scolaire, vis-à-vis de la construction de la ‘théorie-du-genre’ comme problème social.

Mots-clés

  • Genre (controverse sur le)
  • École
  • Égalité des sexes
  • Pratiques enseignantes
Español

La institución escolar riñendo con la democracia sexual: los efectos diferenciales de la ‘teoría del género’ en las prácticas de enseñanza

Basado en una encuesta cualitativa de maestros de escuela primaria, este artículo cuestiona los efectos de la controversia alrededor de la ‘teoría del género’ en la escuela sobre las prácticas de enseñanza. Esto demuestra que esta controversia, aunque pudo haber obstaculizado la implementación de ciertas acciones a favor de la igualdad dentro de la escuela, no ha podido alterar los sistemas de prácticas de enseñanza, debido a una falta generalizada de apoyo docente a los mensajes transmitidos por los movimientos alrededor de la ‘manif para todos’. Se observa, desde entonces, una cierta distancia entre el cuerpo docente y, a través de él, la institución escolar, con respecto a la construcción de la ‘teoría de género’ como un problema social.

Palabras claves

  • Género (controversia sobre el)
  • Escuela
  • Igualdad de sexos
  • Prácticas de enseñanza

Références

  • En ligneAkkari Abdeljalil, Changkakoti Nilima (2009). « Les relations entre parents et enseignants. Bilan des recherches récentes ». La revue internationale de l’éducation familiale, n° 25.
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  • Béraud Céline, Portier Philippe (2015). Métamorphoses catholiques : acteurs, enjeux, mobilisation depuis le mariage pour tous. Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme.
  • Bereni Laure, Chauvin Sébastien, Jaunait Alexandre, Revillard Anne (2008). Introduction aux Gender Studies. Manuel des études sur le genre. Bruxelles, De Boeck.
  • Carnac Romain (2014). « Un rapprochement entre ‘catholiques d’identité’ et ‘musulmans d’identité’ ? Quand l’affirmation de l’appartenance confessionnelle devient facteur de solidarité inter-religieuse ». https://www.academia.edu.30694439
  • Chetcuti Natacha (2014). « Quand les questions de genre et d’homosexualités deviennent un enjeu républicain ». Les temps modernes, n° 678.
  • Fassin Éric (2006). « La démocratie sexuelle et le conflit des civilisations ». Multitudes, n° 26.
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  • Lahire Bernard (1998). L’homme pluriel. Les ressorts de l’action. Paris, Nathan.
  • En ligneLantheaume Françoise, Hélou Christophe (2008). La souffrance des enseignants. Une sociologie pragmatique du travail enseignant. Paris, Puf.
  • Pasquier Gaël (2013). Les pratiques enseignantes en faveur de l’égalité des sexes et des sexualités à l’école primaire : vers un nouvel élément du curriculum. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, sous la direction de Nicole Mosconi, Université Paris X - Nanterre.
  • Spire Alexis (2010). « Les effets politiques des transformations du corps enseignant ». Revue française de pédagogie, n° 170.
  • Tardif Maurice, Lessard Claude (1999). Le travail enseignant au quotidien. Expérience, interactions humaines et dilemmes professionnels. Bruxelles, De Boeck & Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval.
  • En ligneThin Daniel (1998). Quartiers populaires. L’école et les familles. Lyon, Presses universitaires de Lyon.
  • Weber Max (1992 [1904-1917]). Essais sur la théorie de la science. Paris, Pocket.
Marie Pachoud
Marie Pachoud est doctorante à l’Université Lumière Lyon 2 et membre du Centre Max Weber. Ses recherches s’inscrivent dans le cadre de la sociologie du genre, de la socialisation et du travail. Sa thèse porte sur les modalités de construction des pratiques enseignantes de lutte contre la reproduction du genre à l’école, dans une perspective dispositionnaliste qui la conduit à interroger les capacités de l’Éducation nationale à encadrer les pratiques des acteurs et actrices qui l’incarnent.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/11/2018
https://doi.org/10.3917/cdge.065.0081
Pour citer cet article
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