1Le harcèlement et les violences sexuelles dans les espaces publics sont devenus ces dernières années une préoccupation des pouvoirs publics. En France, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes s’est saisi de la question et a publié en avril 2015 un avis portant sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun (HCEFH 2015). Il s’agit de mener des actions contre les sifflements, les commentaires sur le physique, les présences envahissantes, les questions intrusives sur la vie intime et les invitations envahissantes tout autant que les injures et les menaces, de les rendre visibles pour mettre fin à leur banalisation. L’enquête Virage [1], qui recense une série de faits dans les espaces publics, montre que les insultes sont souvent reportées par les femmes : 8 % ont déclaré en avoir subi dans les 12 derniers mois (Lebugle et al. 2017). Ces agissements peuvent être à l’origine d’un sentiment d’insécurité ou de colère et conduire à des pratiques d’évitement de certains lieux, passages ou horaires, voire même à une limitation de sortie des femmes quand elles ne sont pas accompagnées (Lieber 2008). Ils sont aussi à l’origine de l’idée — partagée tant par les hommes que les femmes — selon laquelle la rue est dangereuse pour les femmes, alors que les enquêtes quantitatives révèlent que l’espace privé est plus souvent un espace de violence que l’espace public (Jaspard et al. 2001 ; Hamel et al. 2016a).
2Le présent article a pour objectif d’étudier la manifestation la plus répandue du harcèlement sexiste dans l’espace public, à savoir les insultes, à partir de l’enquête quantitative Cadre de vie et sécurité [2]. Il s’agit d’identifier les registres et les représentations mobilisés dans les insultes entre personnes inconnues dans l’espace public grâce au recueil des termes des dernières insultes subies. Quelles sont les « figures repoussoirs » — pour reprendre la terminologie d’Isabelle Clair (2012) — qui servent à désigner les femmes mais aussi les hommes pour les blesser ? Ces figures et leurs registres sont-ils différents selon le sexe des personnes insultées ? Selon les auteur∙e∙s des insultes ?
Insultes et injures : définitions, contextes et mesures
3Insulte ou injure renvoient au même fait : c’est un mot, une expression, une phrase « perçus comme blessants par l’autre » (Dauchot 2005, p. 1). Elles désignent l’autre en lui attribuant un nom qui le blessera. « L’injure, au sens fort, dépossède les êtres de ce qu’ils ont de plus précieux, leur nom, pour leur en attribuer d’autres » (Huston 1980, p. 90).
4L’injure touche ainsi à la reconnaissance de l’existence de l’autre (Butler 2004 [1997]) et à son appartenance au groupe (Lagorgette, Larrivée 2004). Elle est d’autant plus puissante qu’elle prétend rendre compte de la spécificité de la personne désignée.
5Le locuteur se place alors dans une position de dominant par rapport à la personne insultée et cherche à l’inférioriser, voire à l’exclure (Moïse 2011). Insultes et injures font ainsi partie des violences verbales et peuvent constituer une première étape avant des violences physiques ou des agressions sexuelles (Condon et al. 2005 ; Auger et al. 2010).
6Les mots seuls ne permettent pas de statuer sur leur caractère insultant ou injurieux. Il est nécessaire de les replacer dans leurs contextes. Tous les termes désignant une personne négativement ne constituent pas des insultes. Ils peuvent marquer une « relation de solidarité » (Lagorgette, Larrivée 2004, p. 83), c’est-à-dire signifier l’appartenance à un groupe de pairs. Pour savoir si l’on est en présence d’insultes ou non, il faut avoir connaissance de l’ensemble des termes employés, des interactions entre les acteurs et actrices et avoir des éléments sur la manière dont les mots ont été dits. L’emploi d’un adjectif peut retirer la valeur négative d’un mot ou au contraire l’augmenter. Par exemple, ‘gros con’ ou ‘sale con’ sont insultants alors que ‘petit con’ est plus ambigu et peut marquer une solidarité (ibid.). Inversement, des termes qui n’ont a priori pas de valeur négative peuvent être jugés comme insultants. Là, c’est le comportement de la personne qui induit l’insulte, les gestes qui accompagnent les mots prononcés, l’expression réprobatrice et le contexte qui permettent de juger si on est en présence d’insultes ou non.
7Du fait de ces différents éléments, les nombreux travaux portant sur les insultes sont menés à partir d’observations de terrain. Il s’agit par exemple d’observations en milieu scolaire où le chercheur ou la chercheuse relève les termes employés, les attitudes des différents acteurs et actrices et le contexte de survenue des insultes. Il s’agit aussi d’analyses de textes littéraires ou de dialogues de séries télévisées, de débats politiques, comme celui qui a opposé Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy en 2007 (Augier et al. 2010). Ou encore, on peut avoir des relevés d’observations et de dialogues entre jeunes de banlieue et jeunes vivant en milieu rural (Clair 2012). Le relevé des termes employés, des attitudes des différents acteurs et actrices et du contexte de survenue des insultes permet aux chercheur∙e∙s d’identifier a posteriori l’insulte.
8L’analyse des insultes à partir d’enquêtes quantitatives [3] ne prend pas en compte l’ensemble des dimensions qui entrent en jeu. Ce sont les personnes enquêtées elles-mêmes qui définissent au préalable le caractère insultant des mots qui ont été employés à leur encontre. Ce n’est pas le chercheur qui détermine le caractère insultant des mots employés. Dans Virage, comme dans l’Enveff , les personnes enquêtées répondent à la question « Avez-vous été insulté∙e dans la rue, les transports ou les lieux publics ? » et dans CVS, les femmes et les hommes répondent à la question « En dehors de tout vol, violences ou menaces abordés précédemment, avez-vous été personnellement victime d’insultes ou d’injures de la part d’une personne qui ne vit pas actuellement dans le même logement que vous ? », avec si besoin cette précision : « il peut s’agir d’injures à caractère discriminatoire ou diffamatoire, d’injures verbales ou écrites, en dehors de toutes menaces ». La qualification en insulte des mots proférés repose sur l’avis des personnes enquêtées, non sur celui de l’observateur.
L’identification des registres des insultes par l’enquête Cadre de vie et sécurité
9L’Enveff et Virage interrogent les insultes différemment de CVS. Dans l’Enveff et Virage [4], toutes les personnes sont interrogées sur un ensemble de faits, dont les insultes, qui ont pu survenir au cours des 12 derniers mois sur chacun des lieux de vie (espaces publics, travail, étude, couple), permettant alors une estimation du nombre de personnes concernées. En 2015, 8 % des femmes et 8 % des hommes ont subi au moins une insulte dans les espaces publics au cours de l’année écoulée (Lebugle et al. 2017). Les enquêtes CVS enregistrent des faits subis au cours des 24 derniers mois « en dehors du ménage ». Ces faits ainsi recensés ont été proférés par une (ou plusieurs) personnes qui ne cohabite(nt) pas avec l’enquêté∙e et ont pu se dérouler dans un ensemble de lieux de vie (travail, études, espaces publics et famille). Le lieu de survenue des faits et le lien entre l’auteur∙e et l’enquêté∙e — permettant de rattacher les faits aux lieux de vie — ne sont connus que pour la dernière fois où ils ont été subis. Si les enquêtes CVS ne permettent pas d’évaluer une proportion de femmes et d’hommes insultés dans l’espace public [5], et plus généralement une proportion de victimes de harcèlement dans l’espace public, elles fournissent d’autres informations intéressantes qui permettent de caractériser les insultes et de les classer en fonction de leur registre [6].
10En effet, dans les enquêtes CVS, les personnes enquêtées ont la possibilité de caractériser les insultes dont elles ont fait l’objet. Il s’agit alors d’identifier les motifs discriminatoires au sens de la loi. Reprenant les catégories juridiques, les personnes doivent signaler si la dernière insulte était à « caractère raciste, antisémite ou xénophobe » [7], ou « homophobe » (avec cette précision : « lié aux préférences sexuelles »), ou « sexiste » (avec cette précision « lié au fait d’être une femme ou un homme ») ou d’un « autre type ». On y retrouve ainsi les insultes racistes qui constituent une forme d’hostilité envers les personnes appartenant à une race, à une ethnie différente jugée comme inférieure. Il en est de même pour les insultes sexistes puisque « le sexisme désigne tout système social qui institue de fait, matériellement ou symboliquement, une hiérarchie naturelle et sociale des sexes, avec des effets discriminants sur les femmes » (Pruvost 2014). On remarque ici que la précision du questionnaire qui accompagne l’insulte sexiste ne renvoie pas totalement à sa définition. L’insulte sexiste n’est pas seulement une désignation de l’autre en fonction de son sexe, mais une manifestation de l’inégalité des rapports de sexe dans la société et un moyen de la maintenir.
11Une majorité d’enquêté∙e∙s n’ont pas classé la dernière insulte subie dans les catégories discriminatoires proposées par le dispositif de l’enquête : c’est le cas de la moitié des insultes à l’encontre des femmes et de 80 % des insultes à l’encontre des hommes. Quand le registre des insultes à l’encontre des femmes est renseigné, c’est le caractère sexiste qui est le plus souvent mentionné (42 %). Le racisme constitue le deuxième registre d’insultes à leur encontre (13 %). Les insultes racistes constituent le premier (et quasiment le seul) registre identifié des insultes envers les hommes avec 15 % des insultes à leur encontre.
12Si les insultes racistes dans l’espace public apparaissent comme minoritaires c’est parce qu’elles ne concernent pas l’ensemble de la population. Pour avoir une mesure correcte du poids des insultes racistes, il faudrait les rapporter aux populations susceptibles de les subir. Or, les enquêtes CVS réalisées de 2008 à 2012 permettent de distinguer les Français nés en France des migrant∙e∙s, mais pas les enfants de migrant∙e∙s. Ces derniers sont regroupés dans la catégorie « Français nés en France ». L’absence de cette distinction rend l’analyse des insultes racistes problématique car d’autres enquêtes, comme l’enquête Trajectoires et origines (TeO), ont révélé que les descendant∙e∙s de migrant∙e∙s étaient autant voire même plus souvent victimes du racisme que les personnes migrantes elles-mêmes (Hamel et al. 2016).
13Les motifs discriminatoires sont ainsi peu relevés par les personnes enquêtées insultées. Est-ce parce qu’effectivement les insultes ne reprennent pas ces registres ? ou parce qu’elles n’identifient pas le registre des insultes dont elles ont fait l’objet au point que les insultes racistes, sexistes ou homophobes soient sous-estimées par ce type de classement.
14Les enquêtes CVS permettent d’améliorer cette identification en les classant a posteriori car les personnes sont également interrogées sur le contenu exact de l’insulte dont elles et ils ont fait l’objet, à travers la question « Quelle était précisément [la dernière] injure ? ». Il est alors possible de connaître précisément le vocabulaire employé dans les insultes et de les classer selon un registre construit a posteriori. Ici, les mots employés sont analysés et regroupés en fonction de leur signification. La question est alors de savoir ce qui a blessé les personnes, quels mots et quelles représentations les ont offensées au point qu’elles les identifient comme des insultes. Le langage est alors conceptualisé comme une activité signifiante qui reflète une réalité sociale (Michard-Marchal, Ribéry 1986). Pour mettre en lumière les fonctions sociales des insultes et les peurs qu’elles peuvent engendrer, nous centrons l’analyse sur les insultes où les acteurs et actrices n’ont aucun lien qui les unisse, c’est-à-dire aux insultes proférées par des personnes inconnues. Le dispositif de l’enquête ne permet de connaître ni l’événement déclencheur, s’il y en a un, de l’insulte, ni la gestuelle qui a pu l’accompagner et qui a pu déterminer la qualification en insulte des termes proférés. Ainsi, les jurons tels que ‘putain’ sont entendus ici dans un sens injurieux.
15En compilant les enquêtes CVS réalisées de 2008 à 2012, nous disposons de 1 385 insultes proférées par des inconnus à l’encontre de femmes et de 960 insultes proférées à l’encontre des hommes âgés de 15 à 75 ans [8]. Ces insultes regroupent les trois quarts des insultes proférées à l’encontre des femmes et des hommes dans les espaces publics [9]. Les principaux auteurs de ces insultes sont des hommes, qu’elles aient été proférées envers les hommes (85 %) ou les femmes (70 %). Les femmes ont été insultées un peu plus souvent par d’autres femmes (20 %) et par un groupe d’hommes et de femmes (10 %) que les hommes (respectivement 9 % et 6 %). On constate que l’agression verbale entre personnes inconnues est d’abord un fait masculin, que la personne insultée soit une femme ou un homme.
La sexualité au cœur des insultes
16L’analyse textuelle permet de mettre en lumière les mots employés pour insulter les femmes et les hommes dans les espaces publics en France métropolitaine. La figure 1 représente ces mots en fonction de leur nombre d’occurrence dans le corpus.
17Dans l’espace public, ‘salope’ est l’insulte la plus fréquente proférée par un inconnu à l’encontre des femmes (23 %). Puis vient ‘connasse’ (19 %), ‘pute’ (13 %) et ‘conne’ (8 %). Pour les hommes, l’insulte proférée par un inconnu dans l’espace public la plus fréquente est ‘connard’ (25 %), puis ‘con’ (19 %), ‘enculé’ (12 %), ‘pute’ (9 %), ‘fils de pute’ (8 %) et ‘va te faire’ (6 %) associé à ‘enculer’ ou ‘foutre’.
18Des adjectifs sont parfois employés pour accentuer la valeur négative de l’insulte (Lagorgette, Larrivée 2004). L’adjectif ‘sale’ est le plus fréquent. Il a été relevé dans 15 % des insultes à l’encontre des femmes et 16 % à l’encontre des hommes. D’autres adjectifs sont relativement fréquents, comme ‘grosse’ (8 % des insultes à l’encontre des femmes), ou encore ‘vieille’ et ‘vieux’ (6 % des insultes à l’encontre des femmes et 2 % à l’encontre des hommes).
19Les insultes les plus souvent citées relèvent du registre de la sexualité. Pour les femmes, les termes employés servent à les agresser en portant atteinte à leur réputation sexuelle, ce qui témoigne du caractère encore rétrograde des normes en vigueur en France lorsqu’il s’agit de la sexualité féminine. Pour les hommes, même si l’insulte la plus fréquente est ‘connard’ (25 %), mot qui jusqu’au xixe siècle faisait référence à la sexualité [10], le registre de la sexualité est également très présent par d’autres biais. D’abord, en traitant les hommes d’‘enculé’ (12 %) ou de ‘pédé’ (4 %) voire même de ‘pute’ (8 %) les auteurs remettent en cause leur virilité. Ils seraient de ‘faux hommes’. Puis, à travers ‘fils de pute’ (7 %) et ‘bâtard’ (3 %), c’est la sexualité jugée immorale de leur mère [11] qui est pointée du doigt. Ici, la virilité de l’homme se mesure par la sexualité de sa mère qui, dans les sociétés patriarcales, détient « une place […] inviolable » (Huston 1980, p. 104).
20Pour avoir une mesure plus précise des insultes relevant du registre de la sexualité et mettre au jour les différences de genre, des regroupements de mots et d’expressions ont été effectués (Tableau 1). D’abord, sont regroupées les insultes qui qualifient la sexualité des personnes comme immorale. Ce sont ces mots qui touchent à l’ordre moral des rapports femmes-hommes et font référence à la figure repoussoir des femmes (Clair 2012). On y trouve les termes ‘pute’ et ses dérivés ‘putain’, ‘pétasse’, puis, ‘salope’ ou encore les dérivés des verbes ‘baiser’, ‘niquer’, ‘coucher’, ‘sucer’, etc. Sans surprise, ce registre concerne principalement les insultes à l’encontre des femmes. Il est également mobilisé pour insulter les hommes, mais là ce sont leurs mères qui sont visées.
Figure 1. Termes employés par des inconnus pour insulter les femmes et les hommes dans l’espace public

Figure 1. Termes employés par des inconnus pour insulter les femmes et les hommes dans l’espace public
Champ : Dernière insulte proférée au cours des 24 derniers mois dans l’espace public par un inconnu.Note de lecture : la taille des termes dépend de leur occurrence dans le corpus.
22Le vocabulaire pointant l’homosexualité réelle ou supposée de la personne est un autre registre très présent dans les insultes. Cette catégorie regroupe les mots tels que ‘pédé’, ‘pédale’, mais aussi ‘enculé’ (et ses dérivés), ‘tafiole’, ‘tapette’, etc. Les mots de cette catégorie portent essentiellement sur l’homosexualité masculine, beaucoup moins sur l’homosexualité féminine.
23Si ces catégories englobent la majorité des insultes portant sur la sexualité, d’autres groupements peuvent être opérés. Il y a d’abord toutes les réflexions portant sur l’attrait sexuel des personnes, comme ‘beau cul’, ‘vous avez de belles fesses’ et très souvent ‘tu es bonne’. Ce sont des métaphores pour désigner « une femme de mauvaise vie […] où s’entend prostituable » (Houbedine-Gravaud 2003, p. 48). Ces réflexions marquent l’hyper-sexualisation des femmes, celles-ci étant perçues comme appropriables, disponibles sexuellement. Ces phrases sont perçues comme de réelles insultes. Elles sont vécues par les femmes comme une violation de leur intégrité morale (Henry 2011).
24Entrent également dans cette catégorie les menaces de relations sexuelles. Il s’agit par exemple d’invitation du type ‘tu veux que je te baise’, ‘tu veux coucher avec moi’, ‘voulez-vous venir à la maison’ ou de menaces explicites de violences sexuelles ‘je vais te péter la chatte’ ou ‘on va violer ta femme’, et plus communément ‘je vais te niquer’, etc. Les gestes à caractère sexuel, essentiellement des doigts d’honneur, sont également inclus dans cette catégorie.
Tableau 1. Proportion d’insultes (%) parmi l’ensemble selon les différents registres identifiés

Tableau 1. Proportion d’insultes (%) parmi l’ensemble selon les différents registres identifiés
Champ : Dernière insulte, au cours des 24 derniers mois, proférée par un inconnu dans l’espace public.Note de lecture : 4 % des dernières insultes proférées à l’encontre des femmes par des hommes ont porté sur l’homosexualité. % pondérés.
25Au total, les insultes relevant du registre de la sexualité constituent près de la moitié des insultes à l’encontre des femmes et un tiers des insultes à l’encontre des hommes (Tableau 1). Ces insultes n’ont pas les mêmes contours selon qu’elles visent une femme ou un homme. Les termes d’insultes les plus fréquents à l’encontre des femmes portent surtout sur leur sexualité prétendue immorale (40 % des insultes à leur encontre), cela quel que soit le sexe de l’auteur∙e. Ce registre est toutefois plus souvent mobilisé par les hommes. Par exemple, ‘salope’ se retrouve dans un quart des insultes à l’encontre de femmes proférées par des hommes et un tiers de celles proférées par des femmes.
26Les insultes à l’encontre des hommes questionnent le plus souvent leur virilité en portant sur l’homosexualité (21 % des insultes à leur encontre) ou sur la sexualité immorale de leur mère (13 %). Ces deux registres sont surtout mobilisés par les hommes. Les insultes de femmes envers les hommes portent sur la sexualité immorale des hommes ou constituent des menaces de violences sexuelles. Elles ont par exemple recours à l’expression ‘je vais te niquer’ ou font des doigts d’honneur. Les femmes usent alors d’une sorte d’effet miroir de ce qu’elles peuvent entendre de la part des hommes et le leur renvoient. Notons toutefois que ces menaces n’ont pas le même effet lorsqu’elles sont prononcées par des femmes ou par des hommes. L’enquête Virage montre ainsi que les faits réalisés par des hommes sont plus souvent jugés graves par les personnes enquêtées que lorsqu’ils sont réalisés par des femmes (Debauche et al. 2017).
27Ainsi, souvent, l’inconnu dans l’espace public blesse l’autre en le qualifiant de non conforme aux représentations et aux attendus de l’hétéronormativité où les femmes ont une sexualité vertueuse, elles ne sont donc ni des ‘salopes’, ni des ‘putes’ et où les hommes sont virils et donc ni des ‘pédés’ ni des ‘fils de pute’.
28Ces insultes visent plus fortement les plus jeunes. Par exemple, plus d’un tiers des insultes à l’encontre des jeunes femmes (âgées de 15 à 29 ans) contiennent le mot ‘salope’ contre 6 % de celles visant les plus âgées. De même, le mot ‘pute’ apparaît dans près d’un quart des insultes à l’encontre des jeunes femmes, contre 7 % de celles proférées à l’encontre des 60 ans et plus. L’usage fréquent de ces termes révèle l’hyper-sexualisation des jeunes filles. L’injonction à l’hétérosexualité où la sexualité des femmes est contrôlée et limitée au cadre strict du couple stable pèse plus fortement sur celles-ci. Mais aussi, plus souvent victimes, les jeunes sont plus souvent auteur∙e∙s de ce type d’insultes. La jeunesse semble s’approprier cette injonction à l’hétéronormativité et l’utilise pour blesser les autres.
Les capacités intellectuelles et physiques
29Alors que les femmes sont plus souvent attaquées que les hommes sur leur sexualité, les hommes eux sont plus souvent insultés sur leurs capacités intellectuelles. Les mots tels que ‘connard’ pour les hommes et ‘connasse’ pour les femmes sont relativement fréquents. On les retrouve dans 25 % des insultes à l’encontre des hommes et 20 % à l’encontre des femmes. Par ces termes, les auteur∙e∙s cherchent à blesser les personnes en mettant en cause leurs capacités intellectuelles. Dans le corpus des insultes, d’autres termes ont cet objectif. Il y a d’abord, tous les dérivés des mots ‘con’ et ‘conne’ et leurs synonymes tels que ‘idiot’, ‘idiote’, ‘imbécile’, ‘bête’, etc. Puis il y a les insultes contenant ‘tu ne sais pas’, ‘tu es nul∙le’, etc. Une autre manière d’insulter les personnes en remettant en cause leur capacité intellectuelle est de juger leurs comportements comme inappropriés. Ce sont des ‘branleurs’, ‘fainéants’, mais aussi des ‘débiles’, ‘fous’ ou ‘folles’, ‘taré∙e∙s’, etc. Enfin, dans cette catégorie nous retrouvons les insultes portant sur le handicap physique ou mental des personnes. Celles-ci sont alors traitées d’‘handicapées’. On voit là que l’handiphobie s’exprime dans l’insulte ordinaire, que celle-ci vise une personne valide ou non.
30Les mots soulignant leur manque d’intelligence sont employés dans 45 % des insultes envers les hommes. C’est le cas de 30 % des femmes. En comparaison, les insultes relevant des comportements inappropriés sont peu nombreuses, de même que celles portant sur un handicap éventuel (à peine 1 %).
31Le registre des insultes relevant les incapacités intellectuelles constitue ainsi le deuxième registre le plus mobilisé, après les insultes portant sur la sexualité. Ce sont les femmes qui y ont le plus souvent recours. La moitié des insultes proférées par des femmes à l’encontre des hommes dénigre leurs capacités intellectuelles. C’est le cas de 37 % des insultes proférées à l’encontre d’autres femmes. Si globalement, ce registre est mobilisé aussi bien à l’encontre des jeunes générations que des anciennes, le vocabulaire employé varie selon les générations. Par exemple, le mot ‘connard’ est un terme d’insulte privilégié à l’encontre des jeunes hommes. Pour les plus âgés, c’est ‘con’ qui est le plus répandu. Cette variation ne s’observe pas pour les femmes.
L’apparence physique et la déshumanisation
32Les réflexions portant sur le physique constituent un troisième registre d’insultes. On retrouve ici les insultes qui désignent les personnes par une partie de leur corps d’un point de vue négatif. Les femmes sont alors traitées de ‘blondasse’, etc. Pour les hommes, il y a ‘grandes couilles’ par exemple. Dans ce registre, on retient aussi les réflexions qui portent sur une forme de répulsion physique comme ‘la grosse’, ‘la naine’ ; ou sur les tenues vestimentaires du type ‘habillée comme un clodo’, ‘ça s’habille en cuir’, etc. Toutes ces insultes sont des formes d’injonctions à suivre une certaine esthétique et des normes corporelles de taille, poids, silhouette, beauté. Ces insultes sont à l’opposé de celles portant sur ‘l’attrait sexuel’ qui transforment les femmes en objets sexuels que nous avons classées dans le registre de la sexualité. Alors que nous ne relevions pas de propos sur la tenue vestimentaire des femmes dans les insultes portant sur l’attrait sexuel, nous en retrouvons quand il s’agit de la répulsion physique. La tenue vestimentaire est l’objet d’insulte lorsque l’inconnu∙e juge les personnes pas assez bien habillées à son goût.
33Dans ce registre, nous incluons aussi des noms d’animaux, comme ‘truie’, ‘vache’, ‘cocotte’, etc. L’emploi du spécisme vise à brouiller les frontières entre l’être humain et les animaux (Huston 1980, p. 96). Ces insultes sont diversifiées lorsqu’elles concernent les femmes. Pour les hommes, dans le corpus, cela se limite à ‘porc’. Nous incluons également ici les mots qui relèvent du registre de la scatologie, comme ‘je t’emmerde’ (et tous les dérivés), ‘chieuse’. Puis, les mots tels que ‘pisseuse’. On place ici aussi les mots ‘ordure’, ‘pourriture’, etc. Le vocabulaire de ces deux dernières catégories déshumanise la personne insultée, par l’association au monde animal ou à une déjection.
34Alors que les insultes à l’encontre des hommes portent peu sur leur apparence physique et qu’ils sont également assez rarement insultés d’une façon qui les déshumanise, 16 % des dernières insultes à l’encontre des femmes dans l’espace public relèvent de ce registre. Les insultes portent alors sur la répulsion physique des personnes enquêtées (5 %) ou visent à les assimiler à des animaux (6 %). Ce sont les groupes d’hommes et de femmes qui insultent le plus souvent les femmes en recourant à ces deux registres. Ces insultes ne sont pas adressées aux femmes des mêmes générations. Celles portant sur la répulsion physique concernent plus souvent les femmes âgées de moins de 30 ans, et celles les assimilant à des animaux sont plus souvent prononcées à l’encontre des 60 ans et plus. La référence au corps et à l’apparence, même sous une forme négative, est surtout marquée dans les insultes envers les jeunes femmes. Cette référence diminue à mesure que l’âge avance au profit d’autres marqueurs de répulsion, comme l’usage de noms d’animaux et de scatologie.
Du racisme ordinaire aux insultes racisées
35Bien que le dispositif de l’enquête ne permette pas de déterminer l’ampleur des insultes racistes (voir plus haut), il est possible de connaître le contenu que ces insultes peuvent prendre. D’abord, nous retrouvons des insultes qui relèvent du racisme ordinaire, celui-ci se manifestant par de « multiples attitudes hostiles » dont des insultes (Hamel et al. 2016b). Il s’agit par exemple de ‘sale noir’, ‘sale arabe’, mais aussi ‘espèces de sauvages’, ‘rentre chez toi’, etc. Dans ces insultes, la racisation des personnes est multiple : ‘noir’, ‘arabe’, ‘musulman’, ‘juif’, ‘chinois’, ‘espagnol’, ‘turc’, ‘polonais’, ‘anglais’, ‘américain’, etc. Ces termes sont généralement employés en association avec l’adjectif ‘sale’. Toutes ces injures concernent un large éventail d’origines et ciblent les populations « au-delà des groupes les plus reconnus comme faisant l’objet d’atteintes racistes » (Hamel et al. 2016b, p. 448). Le racisme ordinaire est ainsi observé dans 6 % des insultes de notre corpus à l’encontre des femmes et 7 % de celles à l’encontre des hommes.
36À l’opposé, deux autres types d’insultes ont une dimension de race sans relever pour autant du racisme. Il s’agit d’insultes où le racisme de la personne enquêtée est dénoncé, comme ‘sale raciste’. Là, le fait d’avoir été désigné de la sorte a été vécu comme insultant. Ou encore, les personnes enquêtées ont été traitées de ‘sale blanc’, les interlocuteurs infériorisant la race française-blanche, par mimétisme à ce qu’ils peuvent subir. Ici, il n’est pas possible d’assimiler ces insultes anti-français-blancs à des insultes racistes car elles « n’activent [pas] des structures raciales inégalitaires existantes dans le système » (Essed 1991, p. 39, cité par Eberhard 2010, p. 483). Ces deux catégories d’insultes, relevées dans respectivement 1 % et 4 % des insultes du corpus, sont moins fréquentes que celles relevant du racisme ordinaire.
37Le racisme dans les insultes de notre corpus se manifeste de différentes manières. Il s’adresse aux personnes souvent sous forme d’agression directe, mais aussi en réaction à des propos racistes couramment subis. La compilation de ces différentes composantes révèle l’ampleur du racisme dans les insultes proférées dans l’espace public par des inconnus. Au total, environ 1 insulte sur 10 relève du racisme. C’est légèrement en deçà de ce que les personnes ont répondu initialement. Les insultes déclarées comme racistes ne correspondent ainsi pas forcément au classement que l’on peut en faire a posteriori. Le classement a posteriori des registres des insultes semble en effet minimiser la réalité du racisme. En outre, cette minimisation est d’autant plus importante que d’autres enquêtes ont révélé que les migrant∙e∙s ont tendance à sous-déclarer les faits subis, car plus souvent confrontés aux comportements hostiles en raison de leur origine étrangère (Hamel et al. 2016). Ainsi, le racisme dans les interactions conflictuelles avec un inconnu dans l’espace public va au-delà des mots : l’insulte peut avoir été à caractère raciste alors que les mots employés ne relèvent pas explicitement de ce registre.
Sexisme et stéréotypes de genre : principaux registres d’insultes
38Les insultes se nourrissent de stéréotypes, ces derniers ayant pour objet d’associer les ‘autres’ à une catégorie particulière en exagérant (en général) négativement les traits (Gaborit 2009). Pour les insultes racistes, cela paraît très clair. Les stéréotypes racistes permettent « d’asseoir la supériorité et la domination de la culture européenne [… Ils] ont donc une fonction de structuration du monde environnant dans la psychologie des individus (aspect cognitif), mais ils ont aussi des répercussions sur les comportements et actions des groupes (aspect collectif) » (Gaborit 2009, p. 17). Dans les insultes de notre corpus, l’association de l’adjectif ‘sale’ aux différentes nationalités ou termes renvoyant à la racisation des personnes les stigmatise négativement. Ici, les personnes visées par ces insultes sont ‘sales’ à l’inverse de ceux qui les profèrent. Les termes de l’insulte correspondent aux termes du stéréotype.
39Les stéréotypes de genre devraient fonctionner de la même manière que les stéréotypes de ‘race’, en une sorte de ‘miroir inversé’ : les attributs du féminin seraient alors l’inverse des attributs du masculin. Depuis les années 1970, une série de travaux ont été menés afin de décrire ces stéréotypes. John E. Williams et Deborah L. Best (1977) ont identifié — à partir d’une liste de 300 adjectifs — les attributs associés aux femmes et aux hommes afin de connaître, d’une part, les contours des stéréotypes de genre ; d’autre part les valeurs positives ou négatives qui leur sont associées. Dans cette étude, les cinq premiers attributs pour les hommes sont : masculin, agressif, aventureux, dominant, énergique. Pour les femmes, ce sont : féminine, sentimentale, émotionnelle, affectueuse et sympathique. Globalement, les « traits stéréotypés des hommes sont davantage assimilés aux qualités de prestige, d’indépendance, de confiance en soi et de responsabilité, et les traits féminins à l’affectif, la communication, les sentiments » (Gaborit 2009, p. 19). Les traits relevant du physique et la sexualité sont finalement peu présents. Pour les hommes, on retrouve des termes qui font référence à la fois au physique et au caractère. Il s’agit de ‘fort’ et ‘robuste/dur’. Pour les femmes, les termes sont plus nombreux. Il y a ‘séduisante’, ‘coquette’, ‘sexy’ et ‘charmante’. En dehors de ces quelques adjectifs, les attributs portent sur le caractère et sont fortement liés aux rôles sociaux traditionnels des femmes et des hommes et aux inégalités entre les sexes. Les traits stéréotypés des hommes sont perçus plus favorablement que ceux des femmes. Dans les années 2000, d’autres études — réalisées selon une méthodologie proche — ont montré la persistance des stéréotypes de genre malgré la « fluidisation des rôles genrés », c’est-à-dire l’accès des femmes au marché du travail (Gaborit 2009). En revanche, l’appréciation des traits stéréotypés a évolué : les stéréotypes associés aux femmes sont vus de plus en plus souvent positivement et inversement pour les hommes (Hosoda, Stone 2000). De manière intéressante, cette différence d’appréciation est surtout le fait des hommes, les femmes jugeant toujours plutôt défavorablement les attributs du féminin (Prentice, Carranza 2002). Tom Langford et Neil J. Mackinnon (2000) montrent que ces stéréotypes s’organisent autour de deux hiérarchies : l’une qui oppose le productif qui est favorable aux hommes et l’autre fondée sur le soin favorable aux femmes. Les stéréotypes liés à la sexualité n’apparaissent que quand des attributs négatifs sont inclus dans les corpus. « Être de mœurs faciles » est un attribut fortement proscrit pour les femmes (Prentice, Carranza 2002).
40Les liens entre les stéréotypes de genre et les insultes ne paraissent pas simples : rarement, les termes de l’insulte reprennent ceux des stéréotypes de genre. En général, c’est la non-conformité aux stéréotypes de genre qui est perçue comme insultante par les personnes enquêtées.
41Les insultes portant sur la sexualité sont des injonctions à rester dans une norme hétérosexuelle réduite au couple stable. Pour les femmes, cela se manifeste par une « moralisation de leur sexualité » (Clair 2012) mais aussi par un rappel constant de leur rôle de procréatrices. Les femmes sont alors réduites à leur sexualité : elles sont « avant tout et sexuellement [des femmes] » (Henry 2011). Pour cela, elles doivent être désirables physiquement, d’où les insultes portant sur leur tenue vestimentaire, par exemple. Pour les hommes, les insultes questionnent leur virilité (Clair 2012) en portant soit sur l’homosexualité soit sur la sexualité immorale de leur mère. Le registre des insultes se cale ainsi sur des représentations stéréotypées et rétrogrades de la sexualité des femmes mais aussi des hommes. Ici, « les stéréotypes présentent une fonction normative en stigmatisant les déviances qui pourraient exister, dans les comportements d’hommes et de femmes qui ne correspondraient pas au stéréotype dominant » (Gaborit 2009, p. 22).
42Dans le même registre, traiter un homme de ‘con’ revient à lui signaler qu’il n’est pas aussi intelligent par rapport à ce que la société attend de lui. La logique est différente pour les femmes : la traiter de ‘conne’ est lui signifier qu’elle a des traits conformes aux stéréotypes de genre. En dépit de la scolarisation massive et de leur entrée sur le marché du travail, les femmes sont considérées comme des êtres inférieurs. Il n’est pas surprenant que ce registre soit mobilisé par les hommes et les femmes, celles-ci continuant à attribuer aux femmes des stéréotypes qui relèvent des rôles traditionnels. Pour les femmes, la non-conformité aux stéréotypes de genre s’observe sur d’autres registres, par exemple, lorsqu’elles ne sont pas jugées attirantes par l’auteur d’insultes.
43En infériorisant les femmes, les insultes fondées sur les stéréotypes de genre à l’encontre des femmes regroupent l’essentiel des insultes sexistes. Au total, ce sont 76 % des insultes proférées à leur encontre qui ont un caractère sexiste. Ces insultes sont particulièrement mobilisées à l’encontre des plus jeunes générations : 82 % des insultes à l’encontre des femmes de moins de 30 ans contre 67 % pour celles âgées de 50 ans et plus. L’insulte à caractère sexuel est celle qui vient en tête des insultes sexistes. Plus que la mise en avant de la figure repoussoir de la prostituée, le recours à ce type de termes procède d’une réduction des femmes au rang d’objet sexuel (Henry 2011). « On présume plus facilement chez les femmes une expérience et une disponibilité sexuelles » (Pheterson 2001, p. 101). L’impudicité qui déshonore les femmes est marquée entre autres par leur sexualité (réelle ou supposée), leur comportement, leur apparence ou leur indépendance (ibid.). Le recours au stigmate de la putain, spécifique aux femmes, est un rappel régulier de l’existence d’une potentielle menace d’agression sexuelle limitant l’accès plein et entier des femmes à l’espace public. Ces menaces amènent les usagères des espaces publics à adopter des stratégies d’évitement, pas forcément en s’abstenant de sortir, mais en changeant d’itinéraire, en veillant à leur tenue vestimentaire, etc., sans qu’il soit réellement possible d’échapper aux insultes et aux menaces (Lieber 2008).
45L’analyse textuelle des termes employés lors de la dernière insulte proférée à l’encontre des personnes enquêtées a permis de mettre au jour les principaux registres mobilisés pour insulter une personne inconnue dans les espaces publics. Outre le racisme, on compte trois registres qui relèvent des stéréotypes de genre et du sexisme. La sexualité est le premier de ces registres identifiés. Pour les femmes, c’est la figure repoussoir de la ‘pute’ qui regroupe le plus d’insultes, c’est-à-dire sa sexualité supposée immorale. Pour les hommes, la figure repoussoir est certes le ‘pédé’ mais aussi le ‘fils de pute’. Dans les deux cas, c’est sa virilité qui est questionnée. Viennent ensuite les insultes qui questionnent les capacités intellectuelles et physiques. Par ce registre, largement mobilisé à l’encontre des hommes, les auteurs d’insultes choquent les personnes en infériorisant leurs capacités intellectuelles. Le dernier registre identifié regroupe des propos visant à déshumaniser les femmes et les hommes. Les insultes n’ont pas le même contenu selon qu’elles s’adressent aux femmes et aux hommes. La grille de lecture du genre paraît alors particulièrement pertinente pour comprendre les fonctions sociales des insultes. Pour les femmes, les insultes relèvent largement de la sexualité, constituant un rappel régulier de leur place dans la société et des risques qu’elles encourent, les empêchant de se mouvoir librement dans les espaces publics. Pour les hommes, c’est en questionnant leur virilité ou leurs capacités intellectuelles qu’ils sont insultés.
Notes
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[1]
Enquête Violence et rapports de genre, réalisée en 2015 par l’Institut national d’études démographiques.
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[2]
Réalisée de 2008 à 2012 par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) auprès de 69 000 femmes et hommes (Rizk 2012).
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[3]
Plusieurs enquêtes quantitatives représentatives de l’échelle nationale interrogent les personnes sur les insultes dont elles ont pu faire l’objet. Il s’agit notamment des enquêtes portant sur les violences, comme les enquêtes Enveff (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France), réalisée en 2000 par le Centre de recherche de l’Institut de démographie de l’Université Paris 1 (Cridup), les enquêtes Cadre de vie et sécurité (CVS) réalisées tous les ans par l’Insee, l’ONDRP depuis 2007, l’enquête Virage (Violence et rapports de genre) réalisée par l’Ined en 2015. D’autres enquêtes, qui n’ont pas pour objet les violences mais les discriminations, appréhendent également les insultes. Il s’agit notamment de l’enquête Trajectoire et origine (TeO) réalisée par l’Ined en 2008.
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[4]
Ces deux enquêtes ont un protocole de collecte similaire.
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[5]
Le protocole d’enquête empêche d’identifier l’ensemble des victimes par lieu de vie. Imaginons une personne insultée au travail mais aussi dans un lieu public au cours des 24 derniers mois. Si c’est sur son lieu de travail qu’elle a été insultée la dernière fois, l’insulte survenue dans l’espace public ne sera pas identifiée. Ce problème apparaît dès lors que les personnes enquêtées déclarent avoir subi des faits plusieurs fois au cours des 24 derniers mois. En ne se concentrant que sur le dernier fait subi au cours des 24 derniers mois, les enquêtes CVS sous-estiment les faits qui se sont déroulés dans les lieux publics.
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[6]
Malgré les limites de l’interrogation sur le dernier fait, cette méthodologie ne paraît pas biaiser les données produites pour décrire les faits par lieu de vie car le fait retenu est indépendant de toute caractéristique de la personne et de son rang de survenue à l’échelle individuelle. Les faits de rangs différents ont la même chance d’être sélectionnés : le fait renseigné peut porter sur le 1er pour certains, alors que pour d’autres, ce sera le 3e, le 15e, etc. Cette méthode paraît, en revanche, tributaire de la période de l’enquête.
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[7]
Tels que posés dans le questionnaire.
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[8]
Si initialement nous disposions de 1 619 insultes envers les femmes et 1 185 insultes envers les hommes, nous avons retiré du corpus les réponses qui ne correspondaient pas à des insultes, les personnes enquêtées décrivant le contexte et le contenu de l’insulte plutôt que les termes exacts.
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[9]
Les autres auteurs sont des voisins (environ 15 % des cas) ou des personnes connues personnellement (environ 10 %).
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[10]
Vient de « conart » signifiant mari trompé par sa femme (Huston 1980, p. 166).
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[11]
Si à l’origine, le mot désignait seulement enfant né hors mariage, il est entendu par extension depuis l’époque moderne comme enfant n’ayant aucune relation avec son géniteur (Huston 1980).