CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Lancée au milieu des années 1990, l’approche dite d’‘investissement social’ s’est étendue à la fois dans les pays de l’focde[1] et dans certaines parties de l’Amérique latine, non sans avoir eu une incidence sur la citoyenneté sociale en général, et sur celle des femmes en particulier. En effet, si depuis les années 1960 les régimes de protection sociale avaient laissé, au nom de l’égalité, une certaine place aux revendications des mouvements des femmes, les politiques publiques valorisant ‘l’investissement social’ en réduisent aujourd’hui l’importance.

2Cette réduction relève de l’ironie puisque, beaucoup plus que dans les régimes de protection sociale antérieurs, les politiques d’investissement social accordent une place centrale à la situation des femmes, au care[2] et aux transformations des structures familiales, et plus particulièrement des familles monoparentales. Ainsi, dans leur ouvrage publié en 2009, Investir dans le social, Jacques Delors et Michel Dollé consacrent tout un chapitre à une « politique familiale plus active », qui s’articule autour de la question de l’emploi des femmes et de sa conciliation avec la vie de famille. Plus remarquable encore est le revirement de Gøsta Esping-Andersen : après avoir oublié d’évoquer, dans ses premiers travaux sur les politiques sociales et la citoyenneté, les inégalités structurelles hommes/femmes ou l’économie familiale (Esping-Andersen 1990 ; Del Re, Heinen 1996) — s’attirant par là même les critiques virulentes des féministes —, il défend désormais un « nouveau contrat de genre » présenté comme nécessaire pour la mise en place de véritables politiques sociales progressistes (Esping-Andersen et al. 2002 ; Esping-Andersen, Palier 2008). Un troisième exemple nous vient d’Amérique latine, où les prestations sociales conditionnées (conditionnal cash transfers) sont devenues l’instrument privilégié de la politique sociale. Le versement des prestations sociales aux plus pauvres y est, en effet, conditionné à l’engagement des mères à veiller au suivi médical et à la scolarisation de leurs enfants.

3Ces nouvelles perspectives relèvent de la « sensibilité au genre » (gender awareness) (Molyneux 2006). La notion d’investissement social et les mesures qui lui sont associées sont le produit des réflexions de communautés épistémiques composées d’experts des politiques sociales et de décideurs cherchant à ‘moderniser’ les régimes de protection sociale après les échecs des politiques néolibérales. Il est à noter que les mouvements des femmes sont, de manière significative, absents du débat.
Or le groupe de recherche « États et rapports sociaux de sexe » a montré que les femmes n’avancent vers une citoyenneté à part entière que lorsque leurs mouvements s’engagent activement dans une dynamique revendicative (Gautier, Heinen 1993 ; Del Re, Heinen 1996). Ainsi l’objectif de cet article est de se demander si les politiques sociales valorisant l’investissement social, même pénétrées par une certaine « sensibilité au genre », ne constituent pas une menace pour le projet féministe d’égalité dans la citoyenneté sociale. Avant d’aborder plus en détail cette question, nous présentons un bref tableau descriptif de l’approche en termes d’investissement social.

Bref aperçu de la notion d’investissement social

4L’approche des politiques publiques dite d’investissement social vise explicitement à améliorer l’insertion sociale, à éviter que la pauvreté ne se transmette d’une génération à l’autre et à favoriser l’adaptation des populations aux exigences du marché du travail contemporain. Si ces objectifs étaient atteints, les individus et les familles deviendraient pleinement responsables de leur bien-être puisque celui-ci reposerait sur un socle solide des revenus de l’activité professionnelle et des échanges intrafamiliaux. L’approche vise également à faire face aux menaces pesant sur les régimes de protection sociale en raison du vieillissement de la population et de l’accroissement du taux de dépendance. Dans cette perspective, le rôle de l’État est, dès lors, de concevoir des interventions et des pratiques pour y parvenir. En termes de politiques publiques, cela signifie d’accorder une attention croissante aux enfants, au capital humain et à l’activation par l’emploi.

Les fondements

5Pour ses promoteurs, l’investissement social est composé de trois éléments (Jenson, Saint Martin 2006) : la formation tout au long de la vie ; la priorité donnée aux générations futures (avec l’idée que les enfants d’aujourd’hui sont déjà en train de créer le monde à venir) ; la conviction que la réussite individuelle enrichit notre avenir commun et qu’ainsi, assurer le succès de l’individu bénéficie à la communauté dans son ensemble, pour aujourd’hui comme pour demain. L’intégration de ces trois principes dans les politiques sociales a des conséquences sur les orientations politiques et l’action de l’État.

6Dans les États sociaux et keynésiens d’après-guerre, les dirigeants considéraient que les dépenses gouvernementales en matière sociale devaient à la fois permettre d’assurer la sécurité et la protection sociales et stimuler la croissance économique en période de récession et de chômage. En d’autres termes, les dépenses sociales devaient soutenir autant l’économie que les individus et les familles. Contrairement à cette perspective, les politiques d’inspiration néolibérales, qui se sont développées dans les années 1980, supposaient que le marché pouvait et devait générer seul le bien-être général, tandis que les dépenses sociales et l’intervention étatique étaient en contradiction avec la prospérité économique. De telles visions néolibérales ont contribué à mettre l’accent sur la responsabilité individuelle, et donc à restreindre le rôle de l’État en le cantonnant à la réalisation des « ajustements structurels ». Les familles étaient ainsi invitées à « se responsabiliser davantage ».
La dimension macro-économique des analyses valorisant l’investissement social les amène à privilégier, à l’instar du néolibéralisme, les politiques de l’offre. Dans ce contexte, il est logique que le discours valorise l’investissement (plutôt que les dépenses). En effet, il est naturel que les ardents défenseurs du marché raisonnent en termes d’investissements. Par ailleurs, comme de plus en plus d’activités sont régies aujourd’hui par des logiques de marché, il paraît normal que les individus et les familles soient, eux aussi, davantage invités à « investir dans leur propre capital humain » pour accéder à la réussite professionnelle. Il leur faut aussi investir pour leur propre avenir, notamment pour financer leurs retraites et l’éducation de leurs enfants. Mais, contrairement aux perspectives néolibérales, l’État partage une partie de cette responsabilité en assurant le financement de certains services nécessaires (comme les services de garde des enfants) ou en octroyant des prestations sociales, en complément des revenus salariaux inadéquats, pour subvenir aux besoins des familles. Il ne s’agit pas non plus d’une simple mesure anti-pauvreté puisque ces politiques publiques ciblent aussi les classes moyennes. Autrement dit, ce type d’intervention satisfait à la fois ceux qui désirent que la politique sociale se concentre sur la scolarisation de la petite enfance, sur la formation et sur les incitations en faveur de l’emploi, et ceux qui luttent contre la pauvreté infantile. Partageant le point de vue de l’ocde, développé au milieu des années 1990, selon lequel la dépense sociale n’est pas un fardeau mais bien un investissement générant la croissance et le développement, l’Union européenne pourrait rapidement être amenée à développer sa propre interprétation des politiques sociales perçues désormais comme un facteur de production (Hemerijck 2007, p. 2).

Questionnements sur la citoyenneté sociale

7À leur origine, dans les années 1940, les droits en matière de citoyenneté sociale étaient fonction de la situation professionnelle de l’individu. Dans les régimes corporatistes (régimes de type bismarckiens), que ce soit en Europe ou en Amérique latine, l’accès aux droits sociaux dépendait des cotisations versées aux différents régimes d’assurance sociale [3]. Dans les régimes libéraux, de nombreuses prestations sociales étaient conditionnées à la participation des individus au marché du travail. En effet, pour avoir droit à la protection sociale, il fallait que l’individu lui-même ou un membre de sa famille exerce un emploi. Ainsi, pendant que les régimes sociaux démocrates favorisaient davantage des droits universels, le lien entre emploi et protection sociale était devenu central et conditionnait l’accès aux droits sociaux tels que la formation continue, les retraites, les congés payés, etc.

8La perspective d’investissement social modifie de deux façons la conception de la citoyenneté sociale et des droits sociaux, avec des conséquences directes pour les dépenses publiques. En premier lieu, elle favorise de plus en plus l’attention portée aux enfants. Si les plus jeunes ne sont encore que des citoyens-en-devenir, dès la pré-adolescence et l’adolescence, les enfants obtiennent de nouveaux droits et occupent une place centrale dans les discours sur la citoyenneté (Jenson 2000 ; Lister 2003). Cette focalisation sur l’enfance et sur la lutte contre la pauvreté infantile est particulièrement visible au regard des mesures prises depuis plus d’une décennie par l’ocde qui cherchent à faire améliorer l’éducation préscolaire, une intervention originale pour une organisation qui s’occupe normalement de la macro-économie. Elle l’est également au regard des actions menées par l’unicef[4] en direction de la pauvreté infantile dans les pays riches, ou encore à travers l’extraordinaire popularité que connaissent les politiques de prestations sociales conditionnées en Amérique latine. De plus, la question des soins à la personne (care) se posait, à savoir comment combiner le care social avec un revenu de marché. Dans les régimes de citoyenneté d’après 1945, y compris dans les États sociaux-démocrates, seuls les hommes avaient le devoir de rechercher un emploi salarié. Si les femmes le faisaient, leur initiative était jusqu’à très récemment considérée comme un ‘choix’ (Jenson, Sineau 1998). La responsabilité primaire des femmes était la reproduction sociale.

9Cependant, l’homme pourvoyeur de revenu total pour sa famille ne constitue pas un pilier des politiques valorisant l’investissement social. Le ‘travailleur adulte’ a pris sa place. Les féministes ont été les premières à souligner ce revirement et ses liens avec la citoyenneté sociale (Jenson 1996 ; Lewis 2001). Cette modification des attentes par rapport à l’activité féminine est désormais devenue un lieu commun pour les analystes de la politique sociale ; en témoigne, par exemple, l’évocation par Jacques Delors et Michel Dollé de l’effondrement du modèle « Monsieur Gagnepain et Madame Aufoyer » ou du rôle de l’emploi quant à la garantie de l’accès aux droits sociaux et à la citoyenneté sociale que décrit T. H. Marshall (Delors, Dollé 2009, p. 15 et suiv.).
Le résultat de ce basculement dans la division sexuée du travail a constitué un sérieux défi pour les modèles de conciliation vie professionnelle et vie familiale et de reproduction sociale sur lesquels étaient fondés, après 1945, les droits de la citoyenneté sociale. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail a, par exemple, réduit leur temps pour s’occuper de la famille et ce, d’autant plus que dans les familles monoparentales (une catégorie sociale en augmentation), un seul adulte fournit à la fois le revenu et le care. Le vieillissement de la population signifie également que davantage de personnes âgées dépendantes doivent être prises en charge (social care) dans un cadre formel ou informel. La question de la prise en charge du care (social care) et du droit aux prestations (social right to care) est à l’agenda de nombreux gouvernements et organisations internationales.

Convergence sur les principes, application à géométrie variable

10La perspective d’investissement social n’a jamais fait l’objet d’un consensus. Elle est le plus souvent utilisée pour caractériser les modèles d’intervention publique des régimes de protection sociale nordiques (Esping-Andersen, Palier 2008) ou libéraux [5]. Les modèles européens bismarckiens ont d’ailleurs tardé à y souscrire alors qu’en Amérique latine, des pays l’adoptent avec enthousiasme avec le retour à la démocratie (Jenson 2010). De leur côté, les organisations internationales telles que l’ocde, les Nations unies ou les organismes qui leurs sont liés, ont joué un rôle important dans son développement et sa diffusion.

11Quoi qu’il en soit, il existe des signes d’une popularité croissante de cette perspective politique et d’une convergence de plus en plus forte des conceptions européennes et latino-américaines de la citoyenneté sociale. Pour preuve, certains instruments politiques sont quasiment similaires sur les deux continents, comme ceux promouvant l’acquisition de capital humain, les programmes d’acquisition d’un patrimoine (asset building) et d’accès au crédit, les partenariats avec les organisations non gouvernementales (ong) et les charges locales et collectives. Les origines communes des idées visant à modifier l’offre en matière de main-d’œuvre sont évidentes, alors que le choix d’instruments varie davantage. L’Europe a pris l’option de lutter contre la pauvreté infantile en versant des prestations comme complément aux bas salaires et en mettant en place des services destinés à faciliter l’emploi des parents. Au contraire, l’Amérique latine a innové en instituant des prestations sociales conditionnées (conditionnal cash transfers) qui visent à inciter les mères à faire scolariser leurs enfants et à s’assurer de leur suivi sanitaire.
Cependant, malgré ces différences quant aux choix des instruments, deux objectifs politiques informent sur l’action menée dans les deux continents : utiliser les ‘investissements’ afin que la pauvreté ne se transmette pas d’une génération à l’autre et améliorer les perspectives d’avenir ; élaborer des programmes visant à lutter contre l’exclusion sociale (et en particulier contre l’exclusion du marché du travail) pour combattre les conséquences actuelles et à long terme de la pauvreté infantile. Compte tenu de ces convergences et de la popularité croissante de la perspective d’investissement social, il apparaît logique de nous interroger sur les conséquences de cette focalisation sur les enfants, sur le social care, sur la conciliation de la vie professionnelle et de la vie de famille. En particulier, quelles sont les conséquences pour la réalisation éventuelle des revendications de l’égalité des sexes mises en avant par les mouvements des femmes et les féministes ?

Une sensibilité au genre est-elle suffisante ?

12Il est clair que la perspective d’investissement social est sensible aux rapports sociaux de sexe. Pour autant les revendications des mouvements de femmes visant la citoyenneté sociale — c’est-à-dire l’autonomie économique, sociale et politique — sont-elles promues par les experts politiques, les gouvernements et les organisations internationales ? Il existe différentes manières de répondre à cette question.

Les rapports sociaux de sexe, ils en parlent

13Une façon de conceptualiser des rapports sociaux de sexe, populaire auprès des experts masculins des politiques sociales comme au sein de la communauté internationale, est de reconnaître la contribution des femmes au bien-être général. Par exemple, un des initiateurs les plus célèbres de la perspective d’investissement social, Esping-Andersen, défend un « nouveau contrat de genre » capable de fonder un nouvel État-providence et de promouvoir une stratégie d’investissement social centrée sur l’enfant. La première de ses trois ‘leçons’ sur les États-providence contemporain traite des « familles et de la révolution du rôle des femmes » (2008). L’argumentation ne souffre aucune ambiguïté. Les économies postindustrielles et les familles modernes dépendent de l’activité des femmes. Mais le fait que ces dernières aient aujourd’hui moins d’enfants a créé un nouveau défi : celui de l’équilibre à trouver entre activité professionnelle et maternité. Selon Esping-Andersen, la politique la plus à même d’y parvenir est de transférer la prise en charge des enfants. La défamilialisation du care, pour les enfants en âge préscolaire en particulier, permettrait ainsi aux femmes de concilier avantageusement leurs objectifs professionnels et la maternité, et on éviterait à la fois la dénatalité qui touche aujourd’hui l’Europe et les risques de pauvreté qui menace le bien-être des enfants. De telles mesures permettraient ainsi une « masculinisation du parcours de vie des femmes ». Même s’il reste sceptique sur sa réalisation, l’auteur espère également que les hommes suivront, pour leur part, « un parcours de vie plus féminin » (Esping-Andersen, Palier 2008, p. 44-50).

14Au sein de la communauté internationale, les politiques qui mettaient l’accent, dans les années 1970, sur « les femmes et le développement » avaient pris de l’ampleur sous l’impulsion des féministes qui investissaient les institutions internationales et luttaient pour la prise en considération des rapports sociaux de sexe et de leurs effets. Récemment ces politiques se sont progressivement détournées, avec la perspective d’investissement social, de la question des femmes adultes pour se focaliser sur la situation des filles et sur la santé maternelle. Il est cependant incontestable que les différents organismes de l’Organisation des Nations unies (onu), comme les autres organisations internationales et les ong, reconnaissent que la participation économique des femmes est essentielle au succès de toute stratégie de développement. Les Objectifs du millénaire pour le développement (omd) tels qu’ils étaient proposés en 2000, reflètent ainsi cette centralité de la contribution des femmes au développement dans le cadre de politiques d’investissement social privilégiant le capital humain [6]. Les femmes sont d’ailleurs aujourd’hui les acteurs clés des très populaires programmes de micro-crédit, l’exemple d’un instrument politique privilégié comme moyen pour la constitution d’un patrimoine dans une perspective d’investissement social.

15La sensibilité au genre est donc clairement présente. Ainsi, le troisième objectif des omd est, par exemple, « la promotion de l’égalité des sexes et l’autonomisation (empowerment) des femmes », expression qui témoigne fortement de son inspiration féministe. Toutefois, le consensus se fait aujourd’hui autour de l’objectif visant à « éliminer […] les inégalités de sexe présentes au sein de l’éducation primaire et secondaire, et d’ici 2015, à les éliminer de tous le cursus scolaire et universitaire » [7]. Cet objectif cible les jeunes filles et non les femmes adultes. Sans objectif ciblé par rapport aux femmes, cette attention risque d’être très fluctuante [8]. Sans cible, la définition même de l’autonomisation pourrait rester vague et les indicateurs risqueraient même de l’oublier avec le temps [9].

16Bien évidemment les femmes adultes sont présentes dans le cinquième omd qui vise l’amélioration de la santé maternelle. L’objectif est en effet de réduire de 75 % le taux de mortalité des femmes en couche entre 1990 et 2015. Même si cet objectif est totalement pertinent, parce que l’accouchement demeure une potentielle cause de mortalité ou qu’il engendre des séquelles physiques pour des millions de femmes, la maternité n’est néanmoins qu’une des multiples dimensions de leurs rôles sociaux.
Il nous faut d’ailleurs noter que, à la fois en Europe ou dans les pays du Sud, les politiques d’investissement social, quand elles s’intéressent aux femmes adultes, se préoccupent de plus en plus des questions relatives à la maternité et à leurs liens avec la croissance démographique.
Ainsi, les féministes ont une autre évaluation de la convergence entre la perspective d’investissement social et la conscience de genre. Elles sont beaucoup plus sceptiques sur le fait que cette perspective, particulièrement en raison de la place centrale accordée aux enfants et au capital humain, pourrait avoir des conséquences positives sur leur objectif d’égalité des sexes [10]. Ce scepticisme concerne deux caractéristiques majeures de la perspective d’investissement social. La première a trait au déplacement sur les enfants d’une attention précédemment portée aux adultes, et plus particulièrement aux femmes adultes. La seconde est le retour du rôle central des femmes comme mères et de leur contribution en tant que telle au bien-être général de la société. Ces deux critiques faites à l’ocde et celles adressées aux pays du Sud ont reçu à chaque fois les mêmes réponses : silence et occultation.

Occultation des inégalités de genre

17Pour évaluer les conséquences sur les rapports sociaux de sexe ainsi que le potentiel d’égalité hommes-femmes de la perspective d’investissement social, nous pouvons commencer par noter ce qui est absent. Tout d’abord, le fait que ce type d’analyse élude tout simplement l’effet des facteurs structurels expliquant que le travail et les réussites de femmes sont dévalués par rapport à ceux des hommes. Lorsqu’il parle des carrières des femmes et de la maternité, Esping-Andersen ne mentionne même pas l’une des plus importantes revendications d’égalité mises en avant par les féministes depuis des décennies : l’égalité salariale. Dans ses calculs détaillés visant à convaincre économistes et décideurs politiques des avantages que génèreraient les investissements dans la défamilialisation de la prise en charge des enfants, il ne trouve rien à redire au fait que les salaires des femmes ne représentent que 67 % de ceux des hommes (Esping-Andersen, Palier 2008, p. 39). En d’autres termes, cette analyse élude totalement l’enjeu de l’inégalité des sexes sur le marché du travail, celui des discriminations structurelles ou encore celui des conséquences sur l’autonomie économique des femmes à long terme de leur prise en charge du care au sein de la famille (family care). Aider les femmes à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle est considéré en premier lieu comme un moyen pour permettre un meilleur équilibre démographique.

18Un autre exemple de ce processus d’occultation apparaît au regard d’une publication récente dont les recommandations sont destinées à l’une des économies bismarckiennes ‘à la traîne’ : la France. Jacques Delors et Michel Dollé (2009) se servent de l’analyse de l’emploi des femmes et de celle de la conciliation de l’activité professionnelle et de la vie familiale au nom de « l’investissement en direction des enfants ». Ils commencent par décrire les caractéristiques de l’emploi des femmes puis soulignent son importance d’abord en termes démographique, puis en le considérant comme essentiel pour contrer les effets négatifs du vieillissement de la population. Les aspirations des femmes à l’émancipation économique ne sont abordées que dans un troisième temps tandis que les discriminations dans la sphère professionnelle n’ont droit qu’à un bref paragraphe. Encore plus parlantes sont leurs propositions politiques, focalisées sur la nécessité d’améliorer les services. Pour ces deux grands experts français des politiques publiques, il s’agit essentiellement de faire en sorte que le débat se concentre non sur les femmes mais sur les ‘familles’, sur la pauvreté infantile et sur les stratégies de développement pour l’enfance (id., p. 208-10). Rien n’est dit sur l’égalité des sexes, qui n’est pas même abordée comme un objectif politique parmi d’autres.
Dans le cadre de la perspective d’investissement social, l’aspect systémique des inégalités de genre est parfois expliqué par les différences culturelles qui soutiennent la division sexuée des rôles à travers le monde. Il s’agit d’ailleurs davantage de les prendre en compte lors de l’élaboration des politiques plutôt que de les modifier. De fait, rien n’est dit sur leur possible transformation. Delors et Dollé (2009, p. 198), par exemple, soulignent que « les comportements culturels étant ce qu’ils sont », il s’agit de la raison principale des discriminations au travail. Les employeurs percevant les femmes comme des mères potentielles, ils préfèrent en effet privilégier les formations et les salaires des hommes. Si le diagnostic est bon, pour autant les auteurs ne proposent rien pour transformer ces comportements culturels. Esping-Andersen se montre également sceptique sur la possibilité que les hommes prennent davantage en charge le care si cela implique qu’ils prennent des congés professionnels. Aussi s’intéresse-t-il bien moins aux congés parentaux qu’aux congés de maternité, pris uniquement par les femmes. Les congés familiaux et la flexibilité des congés parentaux sont des instruments de promotion d’un partage des tâches parentales tout au long de l’enfance. Ce relatif silence quant aux congés parentaux et aux congés familiaux ne permet pas de poser réellement la question pourtant centrale d’une possible conciliation plus égalitaire de la vie professionnelle et de la vie familiale à travers notamment la question de la prise en charge des enfants. Là encore cette seule focalisation sur la maternité, liée essentiellement aux questions démographiques, met de côté ces aspects essentiels.

L’effacement des rapports sociaux de sexe

19Mais pourquoi est-ce si important ? Après tout, ce n’est que le point de vue de quelques intellectuels des politiques sociales. Pourquoi se soucier de l’oubli, dans leurs idées et dans leur manière d’envisager les politiques sociales dans une perspective d’investissement social, d’objectifs qui sont depuis longtemps portés par les féministes sur l’égalité des sexes ? Les féministes ne devraient pas s’en soucier si ces analyses existaient sui generis. Elles sont, néanmoins, assez représentatives d’une des conséquences possibles que pourrait engendrer la primauté donnée à l’investissement social dans l’analyse des politiques sociales : celle de délaisser la question de l’égalité des sexes (Jenson 2008). Ces auteurs témoignent en effet d’une manière particulière d’analyser les dilemmes des politiques sociales contemporaines dont la logique est de plus en plus acceptée comme un dogme moderne, non seulement dans l’Union européenne, mais aussi en Amérique latine et dans certains pays du Sud.

20Un exemple particulièrement illustratif nous vient d’un des pays qui est souvent présenté comme à l’avant-garde des politiques d’investissement social. Dès les années 1960, les mouvements féministes suédois étaient favorables, au nom de l’égalité des sexes, à des services de garde de haute qualité et abordables. Ils se sont également mobilisés pour défendre la mise en place de congés parentaux qui devaient opérer un profond changement dans la division sexuelle du travail. Dans les « débats sur les rôles des sexes », le Parti social-démocrate suédois a été un des principaux promoteurs de l’égalité des sexes et a ainsi contribué aux changements profonds dans les rapports sociaux de sexe au foyer comme dans la société (Daune-Richard, Mahon 1998).

21Cependant, progressivement, les deux mesures politiques — les services de garde et les congés parentaux — ont été développées et promues pour servir d’autres fins, tandis que l’attention portée aux rapports sociaux de sexe a été au fur et à mesure négligée. Ainsi, dans le programme électoral du Parti social-démocrate de 2006, l’égalité des sexes a été reléguée tout au bas de la liste des promesses électorales, juste avant celle visant à améliorer les relations internationales. En revanche, les mesures relatives à la scolarisation de la petite enfance ou à l’enfance en général bénéficiaient d’une attention bien plus importante et venaient constituer une des six priorités pour faire de la Suède « le meilleur pays dans lequel grandir ».

22Pour les intellectuels politiques suédois également, si le modèle du couple bi-actif est « la meilleure des pratiques », expliquant d’ailleurs que la Suède puisse rayonner à travers l’Union européenne, c’est parce qu’un tel modèle offre à la fois une réponse au problème du conflit intergénérationnel et à celui de la démographie [11]. La Suède est présentée comme s’étant préoccupée des liens existants entre démographie et genre, au moins depuis les années 1930, mais la conception des rapports sociaux de sexe qu’elle propose est instrumentale :

23

Les études sur la fécondité indiquent en effet que le développement de l’équité de genre consécutive à la promotion du couple bi-actif a des effets positifs sur la propension à avoir des enfants. En outre, rien ne semble indiquer l’existence d’effets négatifs sur les résultats scolaires des enfants dont les mères occupent un emploi à plein temps.
(Lindh, Malmberg, Palme 2005, p. 479 et 482)

24L’égalité des sexes est finalement un moyen plutôt qu’une fin en soi comme elle est une fin, au contraire, pour les féministes.

25Un autre exemple provient de l’organisation internationale qui est peut-être la plus impliquée dans la promotion de l’investissement social pour moderniser les États-providence. Dans ses études Babies and Bosses[12], par exemple, les analyses de l’ocde de la conciliation de l’activité professionnelle et de la vie familiale ont d’abord été motivées par diverses préoccupations comme l’abaissement du taux de fécondité, la pauvreté et — dans une formulation antérieure — les écarts de salaires entre les hommes et les femmes [13]. Cependant, au moment du rapport de synthèse en 2007, l’analyse s’est vue cantonnée aux enjeux relatifs à la démographie et au besoin de main-d’œuvre et a été encadrée par une perspective d’investissement social classique, préoccupée par le plein-emploi de tous et l’avenir de la société :

26

Si les parents ne parviennent pas à concilier activité professionnelle et vie de famille, non seulement leur bien-être en pâtira, mais le développement économique sera également limité du fait de la réduction de leur activité professionnelle. La diminution des taux de natalité a des conséquences fâcheuses sur l’offre de travail future et sur le financement des systèmes de protection sociale. Comme le rôle des parents détermine le développement de l’enfant, et donc la structure des sociétés de demain, les décideurs politiques ont de multiples raisons de permettre aux parents de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale[14].

27S’il est vrai que le rapport inclut des recommandations en faveur de l’équité des sexes (gender equity), il s’intéresse néanmoins bien plus à la question du partage des congés parentaux (à travers les congés des pères) qu’à l’égalité en soi. Même si cet intérêt porté aux congés, comme celui porté à l’accès aux services de garde et à l’éducation préscolaire, est à saluer, il ne s’agit pas de l’égalité telle qu’entendue par la deuxième vague féministe. Ceci montre d’ailleurs bien les effets d’occultation en raison d’une centralité donnée à l’enfance, au développement du capital humain et souvent aussi au capital social [15].

28Cette occultation des objectifs d’égalité des sexes et des besoins des femmes adultes a été analysée par des universitaires féministes. Se fondant sur l’étude de plusieurs programmes de prestations sociales conditionnées (conditionnal cash transfers) mais aussi d’autres nouveaux programmes sociaux, Maxine Molyneux opère une nette distinction entre « la sensibilité au genre », l’attention portée au genre et les programmes promouvant l’égalité. Sa distinction conceptuelle mérite d’être citée in extenso car la prise en considération d’une sensibilité au genre par le programme mexicain qu’elle décrit est très similaire à ce que propose en général la perspective d’investissement social :

29

Il est évident que la conception de ce programme montre une sensibilité au genre. Non seulement le genre y est intégré, mais il se trouve au cœur de la conception et de la gestion des Oportunidades. On distingue quatre aspects essentiels de cette sensibilité pour le genre : tout d’abord, ce programme a été l’un des premiers en Amérique latine à octroyer des prestations financières (mais aussi à y associer des responsabilités) aux femmes chefs de famille. Ensuite, les prestations associées à la scolarisation des enfants incluaient un élément de discrimination positive : le montant des prestations était pour les filles 10 % plus élevé que pour les à l’entrée dans le secondaire, moment de la scolarité où le risque de déscolarisation des filles est le plus élevé. Troisièmement, aux prestations de santé versées pour les enfants se sont ajoutées des allocations pour la grossesse, l’allaitement et les enfants de moins de deux ans. Le quatrième aspect de ce projet qui témoigne d’une sensibilité au genre se trouve dans l’objectif visant à promouvoir le leadership et la citoyenneté des femmes qui en étaient les bénéficiaires. Ces objectifs sont toutefois dépourvus de cohérence : ils représentent une combinaison de mesures égalitaires (pour les filles) et de mesures maternalistes (pour leurs mères).
(Molyneux 2006, p. 439)

30La logique de ce programme est relativement similaire à ce que nous avons vu au sujet des Objectifs du millénaire pour le développement : égalité pour les filles et protection de la maternité. Très peu de mesures sont relatives aux besoins et aux aspirations des femmes en matière d’autonomie ou de sécurité économique.

31

Tout ce qui a trait à la formation professionnelle est limité ou inexistant, alors que cela constitue une demande fréquente des bénéficiaires, et il n’y a que peu, si ce n’est aucune, prestation pour les frais de garde allouée aux femmes (childcare provision) qui ont un emploi, suivent une formation ou entreprennent des études, et qui le voudraient ou en auraient besoin.
(Molyneux 2006, p. 439)
En fait, les activités des femmes adultes, sauf en tant que mères, sont occultées par ce programme.
Par dessus tout, plusieurs évaluations des instruments et des principes de l’investissement social soulignent un retour à une perception naturalisée du lien mère/enfant. Ceci s’explique à la fois à cause des préoccupations démographiques et de la façon dont la transmission de la pauvreté est parfois analysée. Maxine Molyneux montre bien comment le retour de la notion de « mauvaises mères » est dans l’argumentaire qui est au fondement des prestations sociales conditionnées mexicaines. Les femmes qui ne parviennent pas à satisfaire les obligations qui sont la contrepartie de ces prestations, à la fois perdent leurs allocations et sont stigmatisées pour manquer à leurs devoirs de mère (id. 2006, p. 438). La même volonté d’amélioration des pratiques parentales des femmes pauvres, qui sont d’ailleurs souvent à la tête d’une famille monoparentale, se retrouve mise en exergue dans plusieurs des déclinaisons des politiques d’investissement social dans les États-providence de type libéral. En Grande-Bretagne, l’initiative du Parti travailliste, appelée Sure Start (un bon départ), s’est par exemple focalisée sur la formation à la vie parentale aussi bien que sur les mesures destinées à favoriser l’employabilité ou les services aux enfants. L’idée était que les parents des quartiers défavorisés subsistant avec de faibles revenus, avaient besoin d’être instruits pour savoir comment agir comme ‘bon parent’ (Dobrowolsky, Jenson 2005, p. 218) [16].
L’accent mis sur la parentalité (parenting) — qui renvoie en fait la plupart du temps à la maternité (mothering) — s’inscrit à la fois dans le cadre d’une réaffirmation par la perspective d’investissement social du lien femme/maternité, mais aussi dans celui de l’occultation des objectifs visant à promouvoir l’égalité des sexes qui était au fondement des politiques sociales après les années 1960, suite aux mobilisations des féministes au niveau national et international. Cela signifie que nous avons assisté à un rétrécissement de l’espace politique dans lequel les femmes pouvaient revendiquer l’accès à une pleine citoyenneté, et en particulier à une citoyenneté sociale fondée sur l’égalité hommes/femmes.

En guise de conclusion

32Les perspectives d’investissement social gagnent du terrain. Si cela était perceptible dès le milieu des années 1990 dans les régimes libéraux et sociaux-démocrates, elles sont désormais promues par les régimes de type bismarckien à la fois en Europe et en Amérique latine. Les régimes de protection sociale tendent ainsi à converger vers un ensemble d’idées relatives à la modernisation, à l’insertion sociale et à l’investissement social. Celles-ci reprennent et retravaillent à la fois les politiques des systèmes de protection sociale postérieurs à 1945 et celles du néolibéralisme. Dans de nombreux pays d’Amérique latine, le retour à la démocratie n’a pas seulement conduit à une réforme des institutions politiques mais a également été l’occasion de proposer d’autres manières d’analyser les inégalités sociales et d’élaborer de nouveaux outils ayant vocation à briser la transmission intergénérationnelle des désavantages sociaux. Une attention particulière a été portée à l’analyse générationnelle et intergénérationnelle et l’on a assisté à la promotion exaltée de l’investissement en capital humain et en capital social, ce qui a contribué à mettre en avant, dans le discours politique, les besoins des enfants et de la jeunesse d’une manière bien plus significative que lors de la grande époque du keynésianisme ou du néolibéralisme.

33Les idées politiques au cœur de l’investissement social se montrent toutes préoccupées par le sort et la situation des femmes. Ce n’était ni le cas des politiques sociales de l’ère keynésienne qui semblaient aveugles quant à leurs conséquences en termes de genre, ni de celui des politiques néolibérales qui avaient à la fois abandonné toute notion de responsabilité collective en matière d’égalité et s’étaient détournées des problèmes d’inégalités de genre. Au contraire, une sensibilité au genre se trouve aujourd’hui au cœur des perspectives valorisant l’investissement social. La contribution économique des femmes ainsi que leur participation à la vie sociale par le biais du care sont à l’ordre du jour et les experts proposent d’aider les femmes à concilier vie professionnelle et vie de famille.

34À première vue, cette sensibilité au genre pourrait apparaître comme une victoire après des décennies de mobilisation et d’analyses féministes. Toutefois, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que quelque chose s’est perdu dans la traduction d’un féminisme égalitaire dans une sensibilité au genre diffusée par la perspective d’investissement social. Nous avons appris, depuis longtemps, que les femmes pouvaient être l’objet des politiques publiques et même bénéficier d’une certaine générosité publique sans être pour autant intégrées à égalité avec les hommes dans la citoyenneté sociale et politique (Jenson, Lépinard 2009, par exemple). Dans la première moitié du xxe siècle, les pensions et allocations familiales versées aux mères offraient un exemple classique de cette sensibilité qui ne s’est jamais traduite en termes d’égalité des sexes. Pendant une grande partie du xxe siècle, au moins avant la montée du néolibéralisme, l’État se substituait aux hommes pour assurer un revenu minimum aux veuves, aux mères ‘abandonnées’ ou isolées et à leurs enfants sous la forme d’allocations familiales généreuses ou de l’assistance sociale. Néanmoins, l’égalité des sexes n’a pas suivi. Depuis le début du xxie siècle, la sensibilité au genre inspire d’autres types d’interventions politiques, mais aujourd’hui comme hier, on ne peut que constater la faiblesse des engagements en faveur de l’égalité hommes-femmes permettant de remettre en cause les rapports de pouvoir genrés.

35Cela constitue aussi une autre leçon. Une attention au genre peut être l’une des formes d’appropriation de certains instruments politiques qui avaient été portés depuis des décennies par les féministes à la recherche de l’égalité. L’apparition de nouvelles allocations, comme les prestations sociales conditionnées (conditionnal cash transfers), ou la mise en place de services de garde, à la fois accessibles financièrement et de qualité, sont devenus les instruments au service des politiques valorisant l’investissement social. Elles ont eu pour conséquences à la fois d’occulter les revendications défendant l’égalité des femmes au profit de celle des filles et de réaffirmer la centralité hégémonique du lien mère-enfant que les féministes avaient pourtant cherché à considérer uniquement comme l’une des dimensions de la complexité des rapports sociaux de sexe qui structurent la vie des hommes et des femmes (Del Re 1993 ou Gautier 1993, par exemple).
L’essentiel apparaît clairement : les féministes, hommes et femmes, ne peuvent se laisser séduire par une sensibilité au genre telle que promue par la perspective d’investissement social, et imaginer que, sans une intervention correctrice de leur part — comme ce fut le cas dans les précédents régimes de citoyenneté —, la politique sociale représentera ou génèrera une traduction exacte de leurs revendications en faveur de l’égalité des sexes.
Traduit de l’anglais par Marie Ploux et Jean-Daniel Boyer, revu par l’auteure

Notes

  • [1]
    Organisation de coopération et de développement économiques.
  • [2]
    Le mot care est passé dans la terminologie française, il recouvre les services à la personne, soins et services, individuels ou assurés par la collectivité. (ndlt)
  • [3]
    Bien sûr, en Amérique latine, la couverture sociale ne concernait qu’une petite part de la population.
  • [4]
    Fonds des Nations unies pour l’enfance.
  • [5]
    À l’exception des États-Unis qui, sous la présidence de George W. Bush, ont échappé à cette généralisation.
  • [6]
    À propos des omd, Craig Murphy commente ce glissement en ces termes : « En les adoptant, de nombreuses et puissantes institutions — gouvernementales et intergouvernementales — […] ont pris acte du rôle central joué par les femmes et par leur autonomisation (empowerment), qui ne peut désormais plus être occulté dans la poursuite des objectifs de développement des sociétés […] » (Murphy 2006, p. 210-11).
  • [7]
    Voir : http://www.un.org.milleniumgoals/, consulté le 3 juillet 2009.
  • [8]
    Si l’emploi des femmes et la représentativité parlementaire sont parfois inclus dans les bilans publiés annuellement, ils passent souvent au second plan. Voir, par exemple, le rapport de l’onu sur les omd : http://mdgs.un.org/unsd/mdg/Default.aspx, consulté le 3 juillet 2009, dans lequel une attention plus grande est portée à l’évaluation des progrès en matière de scolarisation qu’aux mesures pouvant favoriser l’autonomisation des femmes.
  • [9]
    Si, en matière de prise de décision, les rapports antérieurs demeuraient sur le plan national, dans le rapport de 2008, ils font état des camps de réfugiés.
  • [10]
    Les bilans des omd opérés par les féministes fournissent un bon exemple de ce scepticisme (Murphy 2006, p. 249).
  • [11]
    Pour ces auteurs, qu’il s’agisse, comme nous l’avons vu, de Delors et Dollé (2009) ou d’Esping-Andersen (1990), l’augmentation des taux d’activité des femmes est une opportunité pour la collectivité. C’est la raison pour laquelle les services permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale ont vocation à constituer un pilier essentiel des États-providence modernes valorisant l’investissement social. Mais ce faisant, la prise en compte de certaines inégalités structurelles pourtant bien connues, qui ont d’ailleurs toujours été la préoccupation des féministes, a disparu. En Suède, par exemple, si le taux d’emploi des femmes est effectivement élevé, deux femmes sur cinq travaillent à temps partiel (contre 11 % des hommes). Il n’est donc pas surprenant que l’écart de salaire entre les Suédoises et leurs homologues masculins soit plus élevé que l’écart moyen constaté dans l’Europe des 27.
  • [12]
    Babies and Bosses renvoie à la question de la conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle. Voir, par exemple, sur le site de l’ocde : www.oecd.org/document/45/0,3343,en_2649_34819_39651501_1_1_1_1,00.html.
  • [13]
    Voir la présentation, publiée en 2004, d’une étude portant sur trois pays (Nouvelle-Zélande, Portugal et Suisse) sur : www.oecd.org/document/13/0.3343.en_2649_34819_33844621_1_1_1_100.html.
  • [14]
    Cette citation est extraite de la présentation du rapport de synthèse disponible en anglais à l’adresse suivante : www.oecd.org/document/45/0,3343,en_2649_34819_39651501_1_1_1_1,00.html.
  • [15]
    Les perspectives de politique sociale de l’Union européenne, associées à la révision du traité de Lisbonne, offrent d’autres exemples de cette occultation des rapports sociaux de sexe et même de l’occultation des femmes (Jenson 2008). Le même effet a été observé au Canada (Dobrowolsky, Jenson 2004). Molyneux (2002) dresse un bilan détaillé de la façon dont le progressif glissement vers un discours valorisant le capital social, comme d’ailleurs le conflit analytique entre les féministes et d’autres groupes au sein de la communauté du développement, a eu pour effet de mettre de côté le genre.
  • [16]
    Cette idée que les pauvres manquent de compétences nécessaires pour mener à bien l’éducation de leurs enfants est profondément ancrée dans les traditions des politiques sociales, dans celles relevant aussi bien du modèle libéral que du modèle social-démocrate ou corporatiste. Les services de garde et l’éducation des enfants hors foyer dans les années 1940 et 1950, que ce soit en France, en Suède, au Canada ou dans d’autres pays, visaient essentiellement les enfants pauvres. Ceux-ci, d’après ce que soutenaient les experts, bénéficiaient, en effet, d’un moindre investissement de la part de leurs parents en termes de temps et étaient davantage éduqués dès la prime-enfance par des éducateurs ayant une formation socio-sanitaire (Jenson, Sineau 1998).
Français

Résumé

Lancée au milieu des années 1990, l’approche d’investissement social s’est étendue dans les pays de l’ocde et en Amérique latine. Si depuis les années 1960 les régimes de protection sociale avaient laissé, au nom de l’égalité, une certaine place aux revendications des mouvements des femmes, les politiques publiques valorisant l’investissement social en réduisent aujourd’hui l’importance, et ceci malgré le fait qu’une ‘sensibilité au genre’ fasse partie de l’approche. Cet article démontre combien et comment les politiques sociales valorisant l’investissement social, même pénétrées par une certaine ‘sensibilité au genre’, constituent une menace pour le projet féministe d’égalité dans la citoyenneté sociale.

Mots-clés

  • politiques publiques
  • égalité des sexes
  • citoyenneté sociale
  • investissement social
  • care
  • conciliation travail/famille
Español

Políticas públicas e inversión social: ¿consecuencias para la ciudadanía social de las mujeres?

Divulgado a mediados de los años 1990, el enfoque de la inversión social ha aumentado en los países de la ocde y América Latina. Si desde los años 1960 los regímenes de protección social habían dejado, en nombre de la igualdad, un cierto lugar a las reivindicaciones de los movimientos de mujeres, las políticas públicas que valorizan la inversión social reducen hoy su importancia, y esto a pesar de que una ‘sensibilidad al género’ hace parte del enfoque. Este artículo demuestra cuánto y cómo las políticas sociales que premian la inversión social, inclusive las que penetradas por cierta ‘sensibilidad al género’, constituyen una amenaza para el proyecto feminista de igualdad en la ciudadanía social.

Palabras claves

  • políticas públicas
  • igualdad de los sexos
  • ciudadanía social
  • inversión social
  • care
  • conciliación trabajo/familia

Références

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Mis en ligne sur Cairn.info le 15/12/2011
https://doi.org/10.3917/cdge.hs02.0021
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