1Les services de médecine physique et de réadaptation prennent en charge les patients cérébro-lésés à des phases de plus en plus précoces (Beis et coll., 2009). La conférence de consensus de Bordeaux, en 2001, intitulée « Les traumatisés crâniens adultes en médecine et réadaptation : du coma à l’éveil », évoque la nécessité de penser, dans la filière de soins des traumatisés crâniens graves, une étape spécifique entre la réanimation et la rééducation. Les équipes pluridisciplinaires soignantes, médicales et de rééducation, dont le psychologue peut faire partie, sont donc confrontées à une prise en charge spécifique, repérée comme nécessaire de façon récente. Ces évolutions imposent de définir plus précisément quelles doivent être les missions du psychologue dans ces unités de soins. En effet, il est :
- face à une équipe soignante, parfois en difficulté avec des familles en souffrance et des patients qui ne parviennent pas à communiquer ;
- face à des familles qui sont en souffrance, mais ne demandent pas forcément de l’aide au psychologue ;
- face à des patients pour lesquels il est difficile de comprendre ce qu’ils vivent et le soin psychique dont ils auraient besoin.
2Une meilleure connaissance de ce qu’ils vivent permettrait de comprendre si certains comportements sont des adaptations maturatives ou, au contraire, le signe de l’existence d’une souffrance aux effets pathogènes, pour eux et le patient. Les proches, confrontés à une situation nouvelle, inattendue, traumatique, peuvent s’appuyer, de manière inconsciente, sur des savoir-être antérieurs, dont ils se demandent s’ils sont appropriés : « j’aimerais savoir si je fais bien ». Pour répondre à cette question, ils se transforment en observateurs d’eux-mêmes et/ou des autres.
3Le psychologue sait que, pour prendre soin de ce patient en situation d’extrême vulnérabilité, il est indispensable que les soignants et les proches soient dans une situation de disponibilité. Autrement dit, soignants et famille ont besoin que l’on prenne soin d’eux.
4Pour mener à bien ces différentes missions, il est indispensable que le psychologue connaisse bien ce que vivent soignants et proches face à ce patient. Or, actuellement, peu de travaux scientifiques traitent de cette question.
5Dans la dynamique de cette réflexion, cet article vise à mener une discussion sur les différentes missions du psychologue, afin d’ouvrir des pistes pour améliorer ces interventions dans ces services. Afin que le lecteur perçoive les spécificités des missions du psychologue dans ce contexte, il est indispensable de rappeler, en introduction, des éléments médicaux sur l’éveil du coma. L’article se termine en proposant des pistes pour la recherche et la pratique sur cette clinique [1].
L’unité d’éveil du coma
Le dispositif
6Les patients, accueillis dans l’unité d’éveil de coma, y sont transférés en suite d’un coma dû à des lésions cérébrales majeures. L’objectif principal est alors l’accompagnement médical et rééducationnel, tout au long du processus d’éveil de coma, c’est-à-dire dès l’ouverture des yeux, avec une certaine stabilité médicale, jusqu’à un retour à un niveau optimum de conscience. L’accompagnement psychologique des patients et de leurs proches est donc étroitement lié à l’évolution de l’état du patient sur le plan médical et fonctionnel.
7La création d’unité d’éveil de coma répond, d’une part, à la nécessité d’une prise en charge spécifique des patients, que ni les services de réanimations ni les services de rééducations ne peuvent apporter, et, d’autre part, à une nécessité socio-médicale.
8La conférence de consensus de 2001 a indiqué que « Compte tenu des spécificités de ces patients cérébro-lésés, les établissements de rééducation doivent identifier des unités fonctionnelles dédiées à cette population (malades ouvrant les yeux après un coma et dont les fonctions sont stabilisées). Pour organiser un transfert plus précoce, il est en outre recommandé d’identifier, au sein de ces unités fonctionnelles, un secteur – ou “unité d’éveil” – dédié aux blessés en état d’éveil retardé, au mieux à proximité de l’unité de réanimation, permettant ainsi de pallier une éventuelle complication grave (accord professionnel). » Elle a permis, également, de définir certains critères organisationnels (nombre de lits, durée de séjour, transdisciplinarité...) et cliniques, notamment, que « le critère de sortie est la récupération stable d’une communication utilisable. Les objectifs sont l’évaluation des manifestations de conscience et du comportement, les soins d’hygiène et de confort, la prévention des attitudes vicieuses et des complications, la mise en œuvre des protocoles de stimulation et de régulation sensorielle » (Conférence de consensus, 2001).
9Les recherches d’unités d’éveil existantes et les contacts établis avec elles, dans le cadre du travail de thèse, ont montré qu’actuellement ces unités d’éveil de coma ne sont pas forcément bien identifiées, en raison de leur dénomination (unité d’éveil de coma, unité de rééducation post-réanimation...) et de leur existence physique (unité à part entière, quelques lits dans une unité de rééducation ou en lien avec les services de réanimation ou de neurochirurgie...). Leurs dénominations et organisations propres semblent découler de l’histoire institutionnelle de chacune d’entre elles.
10Les unités d’éveil permettent une prise en charge plus spécialisée du patient, entre la réanimation et la rééducation, avec une proximité géographique qui permet aux proches des patients d’être présents, en limitant, tant se faire que peut, les désagréments de l’organisation de leur vie que provoquait l’éloignement géographique, du fait de la rareté et de la dispersion des unités pouvant accueillir les patients.
États médicaux des patients
11Traduisant une souffrance cérébrale diffuse, dans un contexte de traumatisme crânien grave, d’accident vasculaire cérébral, d’anoxie cérébrale, de rupture d’anévrisme ou de maladie métabolique..., le coma est un état grave, durant lequel le risque de mortalité est important. Dans les cas les plus favorables, le coma est bref et évolue vers un éveil rapide. Parfois, le coma se prolonge et l’éveil, à l’issue incertaine, est long et progressif.
12Dans une définition classique, le coma se caractérise essentiellement par deux aspects : l’absence d’éveil, d’une part, puisque le blessé n’ouvre pas les yeux et, d’autre part, l’absence de manifestation de conscience, puisque le blessé ne communique pas avec le milieu extérieur, ne réagit pas quand on lui parle ou quand on le stimule (Bateman, 2001 ; Demertzi Laureys, Boly, 2009 ; Laureys, Boly, Moonen, Maquet, 2009). Cette absence de réveil provoqué par un stimulus, marque, finalement, la grande différence entre le coma et le sommeil.
13Le coma, comme l’écrit François Cohadon, contrairement à beaucoup d’autres symptômes médicaux, « n’est pas un symptôme positif », l’apparition de quelque chose d’anormal. Il est « un symptôme négatif », il est l’absence, « l’arrêt » (Cohadon 2000, p. 19).
14L’éveil de coma peut être pensé dans un continuum, plus ou moins rapide et régulier, de niveaux d’éveil que le patient connaît, à partir de l’ouverture des yeux, jusqu’à un optimum de récupération du niveau de conscience. Cette évolution débute par la phase végétative, c’est-à-dire un état de « veille sans conscience » (Rigaux, 2007 ; Beis et coll., 2009). Elle peut se prolonger par un état de conscience minimale ou état pauci-relationnel (EPR), c’est-à-dire un état dans lequel le patient présente des manifestations comportementales fluctuantes, mais identifiables, ainsi que des signes de perception de ce qui se déroule dans son environnement (Vigouroux, Baurand, Choux, Guillermain, 1972, dans Conférence de consensus, 2001). « Minimally conscious state » (MCS), en anglais et « état de conscience minimale » (ECM) en français, semblent équivalents dans la littérature et mettent l’accent sur la conscience, puisqu’ils se fondent sur la présence de signes reproductibles, limités mais évidents, de conscience de soi ou de l’environnement (Giacino et coll., 2002 ; Tasseau, Rome, Cuny, Emery, 2002 ; Laureys, Owen, Sciff, 2004 ; Majerus, Gill-Thwaites, Keith, Laureys, 2005 ; Laureys, Perrin, Brédart, 2007). Les patients ne sont plus, alors, dans un état végétatif, mais ils ne sont pas non plus capables de communiquer de manière systématique (Laureys et coll., 2004). Autrement dit, le patient peut être considéré en ECM, lorsque les premiers signes de comportements volontaires apparaissent (Majerus et coll., 2005), et le passage à l’ECM marque la récupération transitoire d’un « espace global fonctionnel », permettant au patient de prendre conscience d’informations extérieures ou de lui-même (Rohaut et coll., 2009). Enfin, après ces phases, un patient peut retrouver un niveau de conscience et cognitif plus ou moins proche de son état antérieur aux lésions cérébrales (notamment lorsqu’il s’agit d’un traumatisme crânien), avec des séquelles cognitivo-comportementales plus ou moins importantes, qui modifieront son autonomie, sa vie sociale et affective, telles que l’on parle de « handicap invisible » (Truelle, Fayada, Montreuil, 2005 ; Chevignard, Taillefer, Picq, Pradat-Diehl, 2008 ; Azouvi, Vallat-Azouvi, Belmont, 2009).
15L’éveil de coma peut également s’interrompre à tout niveau d’état de conscience décrit précédemment. Au bout de délais définis par un consensus médical, on parle d’état chronique et non plus de phase d’éveil. Il n’est alors plus question de rééducation, mais de projet de vie en institution, dans des unités EVC-EPR (état végétatif chronique – état pauci-relationnel) ou à domicile.
16Il faut noter que les phases d’éveil de coma et les états de conscience altérée se confondent dans les termes. Pour l’univers médical, leur différence est claire. Dans le premier cas, il s’agit de quelque chose de processuel, en mouvement, porteur d’attente et d’espoir, orienté vers un avenir très incertain, alors que, dans le second cas, il s’agit de chronicité, de stabilité avec, le plus souvent, le constat des pertes, parfois définitives, de fonctions physiques, cognitives et d’autonomie. Néanmoins, pour les proches de patients, cette « synonymie » n’est pas sans conséquence, notamment dans ce qu’ils comprennent et vivent. En effet, ils entendent parfois difficilement, que leur proche hospitalisé était, jusqu’alors, décrit dans une phase végétative et que, désormais, il est dans un état végétatif chronique.
État des lieux des connaissances sur ce que vivent les proches
Conférence de consensus de 2001
17La conférence de consensus de 2001, déjà citée, contient peu de recommandations sur la prise en charge de la famille, alors qu’elle est désignée, à la fois, comme « soignante et patiente » (p. 24). En effet, les proches sont mentionnés parce que leur état a des conséquences sur le patient et sur les soignants, et non parce qu’ils réclameraient une attention et une aide pour eux-mêmes. La question de leurs vécus subjectifs individuels n’est pas alléguée. D’ailleurs, le mot « famille » figure, au singulier comme au pluriel, et il n’est jamais question de mère, de père, d’enfant, de conjoint...
18Les professionnels reconnaissent « une vie brisée » des proches (p. 24) et recommandent une « information cohérente, adaptée au moment, donc évolutive et pédagogique » comme « essentielle » et ayant « valeur thérapeutique » (p. 24). De la même façon, « la présence de psychologues ayant une connaissance de la problématique spécifique du traumatisé crânien, est nécessaire pendant la phase du coma et de l’éveil, pour aider les familles » (p. 24). D’un autre côté, à propos de la souffrance des soignants, il est indiqué que « c’est probablement dans la relation du personnel soignant avec la famille, que résident les problèmes les plus lourds, d’autant que l’infirmière se retrouve souvent seule en présence de la famille. » (p. 25). Enfin, il est noté qu’en fonction de l’évolution de l’état du patient, la famille passe par différents comportements et sentiments, qui facilitent ou complexifient la prise en charge du patient. Les étapes suivantes sont repérées comme ayant des effets spécifiques sur les proches : différentes phases de l’éveil (évolution favorable versus état végétatif ou pauci-relationnel) ; passage de la réanimation à la rééducation.
19Si ces vécus spécifiques et évolutifs sont notés, toutefois, aucune piste pour la prise en charge psychologique des membres de la famille de ces patients et des soignants n’est rapportée. Ainsi, la conférence recommande l’intervention de psychologues auprès des proches des patients et des professionnels, sans, pour autant, détailler ce que devrait être cette intervention. Nous avons constaté, en contactant différentes unités d’éveil de coma, dans le cadre du travail de thèse, des pratiques institutionnelles très différentes sur la place du psychologue (psychologue spécifique au service ou pour plusieurs services et, ponctuellement, dans l’unité d’éveil, intervenant à la demande ou non du service, psychologue pour l’accompagnement des familles et des soignants ou psychologue pour le suivi des patients...). Les échanges avec les différentes unités d’éveil de coma confirment bien, alors, que des problématiques communes sont identifiables, que les réflexions cliniques et les échanges sur les pratiques sont attendus, face à un sentiment d’isolement clinico-théorique.
20Ce constat d’une clinique, finalement récente, qui se situe entre les cliniques bien définies de la période de la réanimation et de la période de la manifestation des modifications cognitivo-comportementales, à distance des lésions cérébrales pour lesquelles les proches sont aidés (prises en charge, guides, brochures, associations de familles...), confirme la richesse de la réflexion clinique encore à développer, notamment quant à l’accompagnement des proches de patient en éveil de coma.
Clinique de la réanimation et de l’éveil de coma
21Pour ce qui concerne la clinique de la réanimation, Michèle Grosclaude parle de la famille, faisant partie des « autres du patient », qui préoccupent les soignants, d’une part, dans la prise en charge du patient, puisqu’elle y participe à sa façon et, d’autre part, dans sa prise en charge spécifique, c’est-à-dire quant aux informations et au soutien à leur apporter (Grosclaude, 2002). Elle décrit l’accompagnement des proches, en réanimation, comme « complexe et lourd » nécessitant de la part des soignants « des exigences de disponibilité et de savoir-faire mais avant tout d’humanité » (p. 58), repérant la distinction de la prise en charge du proche en souffrance, du proche, auprès du patient souffrant et de l’accompagnement de l’inter-relation du proche et du patient, dans le contexte de la réanimation (Grosclaude, 2002).
22Hélène Oppenheim-Gluckman, psychiatre et psychanalyste, précurseur en France dans la clinique psychopathologique et psychanalytique des patients cérébro-lésés et des réveils de coma, relève chez les parents des patients, la fragilisation des repères parentaux, y compris lorsque le patient est adulte lors de la survenue d’une lésion cérébrale (Oppenheim-Gluckman, 2000). De plus, elle montre que les proches du patient peuvent ressentir un sentiment de honte, au moment de l’éveil de coma, lorsque, d’une part, l’atteinte cérébrale et des processus de pensée vont « mettre à nu » le patient, qui va dévoiler son intimité et, d’autre part, lorsque les processus d’inter reconnaissance entre le patient et ses proches sont altérés (Oppenheim-Gluckman, 2005).
23Les membres de la famille du patient apparaissent, au moment de la sortie de service de réanimation, où s’est jouée la question du pronostic vital et de l’entrée dans l’unité d’éveil, tournés vers l’espérance de retrouver leur proche tel qu’il était avant l’accident, avant le coma, avant ces expériences traumatiques aussi bien physiques que psychiques (Mimouni, 2010).
24La clinique de l’éveil de coma s’est, essentiellement, intéressée à la manière dont le patient vit la présence de ses proches durant le processus d’éveil, s’appuyant sur l’analyse des comportements observés (rejet, indifférence, vécu persécutif...) et, également, sur les témoignages des patients sortis de la période de réanimation (importance de la présence des proches, indifférence à cette présence ou encore regret de leur présence...) (Grosclaude, 2002). Mais cette clinique ne nous semble pas encore s’être intéressée à écouter et analyser ce que disent les proches eux-mêmes ou ce que traduisent, consciemment et inconsciemment, leurs mots et leurs comportements, de leur vécu, et de leurs éprouvés, face à un proche si différent de ce qu’ils connaissaient de lui.
25Cette revue montre que ce que vivent les proches du patient, à la phase d’éveil, a fait l’objet de quelques études qui traitent, essentiellement, de leurs rôles et des effets de leur présence dans le vécu du patient. Mais il existe un manque concernant le vécu subjectif des proches eux-mêmes et l’accompagnement qu’il est nécessaire de mettre en place pour eux. C’est, précisément, sur ce point particulier que nous insistons maintenant.
Missions du psychologue dans une unité d’éveil de coma
26Les interventions auprès des patients, des proches ou des soignants, peuvent être assurées ou non par un seul psychologue. La manière dont il les effectue, est fonction de sa formation et de ses références théorico-cliniques. En effet, les interventions du psychologue sont nécessairement fondées sur ses compétences spécifiques et sur les théories qui fondent et organisent sa pratique. De notre point de vue, le psychologue doit pouvoir prendre en compte, à la fois, ce qu’il en est des lésions cérébrales et de leurs conséquences, et la dimension de la subjectivité du patient et, évidemment, des personnes qui prennent soin de lui.
Les proches du patient : des demandes, parfois masquées, à entendre
27La littérature montre toute l’importance de mieux définir la place que le psychologue peut et doit occuper auprès des proches. Réfléchir à l’accompagnement psychologique des proches, revient à poser au moins trois questions :
- qui peut être défini comme proche ?
- ces proches sont-ils des « patients » ?
- ont-ils une demande de prise en charge psychologique ?
28Dans certaines situations, il n’y a pas de tiers désigné par le patient dans un premier temps, et, très rarement, de « personne de confiance », comme le préconise le Code de santé publique (Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002). Il y a des membres de la famille, définis par la filiation et la loi, et des proches, définis par eux-mêmes et reconnus ou non comme tels par les membres de la famille ou les autres proches.
29Le choix de la notion de « proche », plutôt que de « famille », correspond à une réalité à la fois socio-anthropologique et clinique. Le terme « proche » répond à des critères subjectifs, contrairement à la famille qui a une définition sociale et légale plus précise. Une étude en proximologie montre que la loi fait, avant tout, référence à la « proximité familiale », pour déterminer les proches du patient, avec le terme « famille » qui est le plus utilisé (51 fois, dans le Code de santé publique. « Proche » est présent 13 fois dans la partie législative et 33 fois dans la partie réglementaire, faisant référence autant à un lien familial (sous le terme de « proche famille ») qu’à un lien d’amitié (Thual, 2010).
30La définition du proche du patient est complexe. Il peut être défini ainsi par lui-même, par d’autres personnes ou par le patient. « Proche » désigne une proximité affective, plus que « topographique » dans l’arbre généalogique (on peut entendre que deux frères ne sont pas très proches, par exemple).
31Dans la clinique de l’éveil de coma, dans un premier temps en tous cas, le patient n’est pas en état de déterminer lui-même qui est proche ou pas, ou qui compte affectivement pour lui. La « précarité subjective » (Mellier, 2006a ; Mimouni, 2010) du patient en éveil de coma, incapable de se prononcer sur cette question, nécessite donc une réflexion et une pratique particulière dans cette clinique. De plus, certains patients, notamment les jeunes adultes que sont souvent les patients avec un traumatisme crânien, peuvent avoir développé, avec une personne, des liens affectifs importants, inscrits ou non dans le temps, mais sans reconnaissance légale ou familiale (petit(e) ami(e)...). Ces personnes sont alors présentes, en souffrance et, parfois, isolées. Elles peuvent subir des demandes de surinvestissement par les familles des patients, tout comme ne pas être reconnues comme légitimes dans leur souffrance et leur présence. Ainsi, une jeune fille de 17 ans, ayant fait la connaissance du patient en boite de nuit, quinze jours avant son accident, était décrite, au début, comme « la femme de sa vie » par les parents d’un patient en phase végétative. Cette jeune fille, qui n’avait, finalement, pas eu le temps et, peut-être même, pas eu le désir de construire une relation amoureuse avec le patient, prit la décision de ne plus venir. Elle fut alors rapidement décriée par les parents du patient, quand, dans le même temps, ils reparlaient d’une ancienne petite amie comme le « véritable amour de leur fils ».
32Cette notion de proche renvoie à la question du lien, qui est le lieu de projections de la part des proches eux-mêmes, mais, aussi, des soignants qui vont, en « l’absence » du patient, y mettre une valeur, une signification correspondant à leur propre définition de ce qu’est un proche, mais aussi à partir de ce qu’ils imaginent ou croient savoir de ce que le patient « devait en penser », avant d’être dans cet état de conscience altérée. À ce stade, pris dans des projections non conscientes, de parents ou de maris et femmes, des soignants peuvent exprimer leur incompréhension quant à la « présence importante » d’une jeune petite amie ou au « manque de présence » d’un époux. À ce stade, la biographie du patient est souvent remaniée par les membres de sa famille, par les soignants (et par le psychologue lui-même). En effet, « l’absence » du patient, en raison de son état de conscience altérée ou de ses troubles cognitifs majeurs, peut permettre, par exemple à des parents, de nier l’importance affective d’un conjoint non reconnu légalement, de juger de la mauvaise influence d’une personne qui était très présente dans la vie du patient.
33Le psychologue doit alors écouter ce qui lui est dit, en le pensant comme témoignant d’une certaine valeur et qualité des liens patient-proche et entre proches eux-mêmes, et pas nécessairement comme témoignant de la réalité des liens, tels que les vivait le patient lui-même (Mimouni, 2005 ; 2010).
34Pour le psychologue, s’intéresser aux proches du patient impose de penser les proches du patient comme Sujet et non pas comme groupe d’appartenance (dans les institutions, ne parlons pas, principalement, de « salle des familles », de « rendez-vous de famille », etc.). Le rôle du psychologue est aussi de faire avec les fragilités individuelles dans une dynamique familiale et institutionnelle, et de soutenir chacun pour qu’il puisse, dans le respect de la dimension psychique du patient, être à la place la plus juste, pour lui et le groupe, dans cette situation-là. La place la plus juste signifiant celle où la souffrance psychique sera le plus supportable possible et le moins aliénant possible, pour le patient et ses proches.
35Si les proches et les soignants ne sont pas des « patients », pour autant, ils ont besoin d’être écoutés, soutenus, ils ne font pas nécessairement de demande, mais le psychologue doit pouvoir saisir le moment où il sera possible de leur proposer une aide qu’ils soient en mesure d’accepter. Il se met à leur disposition, parfois devance leur demande, ne peut et ne doit pas leur imposer cette aide, qui pourrait être vécue, à certains moments, comme intrusive.
36Parfois, il faut « provoquer » des rencontres et bien réfléchir à la manière de le faire. Dans beaucoup de cas, cette invitation à rencontrer un psychologue permet aux proches de saisir le bienfait de ce travail de parole à un psychologue. Parfois, le psychologue sera aux côtés des proches dans la rencontre avec le patient. Il aura un rôle de contenance, de préparation à la rencontre, évitant ainsi la sidération qui peut naître de la confrontation.
37Ces moments, en apparence centrés sur le patient, deviennent des rencontres cliniques avec les proches, car, alors qu’ils sont eux-mêmes centrés sur le patient, apparaît, de manière inconsciente, dans leurs mots et leurs gestes, du pensable, du partageable regardant leur propre subjectivité (Korff-Sausse, 2007a). Dans un rapport souvent défensif à la présence du psychologue, derrière leurs questionnements, leurs remarques, manifestement orientées vers le patient, qu’ils adressent au psychologue, se trouvent les traces d’un contenu lattent qui touche à leur propre souffrance psychique.
Le cas particulier des enfants proches du patient
38Parmi les personnes les plus fragiles, il semble important de mettre l’accent sur les enfants de l’entourage du patient. Pris dans la temporalité des adultes et de l’institution, dans la banalité du handicap, pour nous, soignants, la potentialité traumatique des visites pour les enfants peut être ignorée. Il convient alors d’être attentif aux spécificités des enfants, pour lesquels il est nécessaire de penser et d’accompagner particulièrement les visites.
39Ce thème commence à être traité pour les frères et sœurs des enfants hospitalisés ou pour les enfants des adultes hospitalisés (Corde, 2009).
40Or, notre pratique montre la nécessité de prendre compte et de prendre soin de ces enfants. Ces derniers peuvent être sacrifiés sur l’autel du « déclic », que pourrait provoquer leur venue. En effet, le patient en éveil de coma est, très souvent, le patient pour lequel ses proches sont prêts à sacrifier leur santé, leur vie sociale... pour être présents auprès de lui et tenter de le stimuler au maximum. De la même façon, il est facile de penser que la venue d’un enfant va « lui faire plaisir » ou va « lui faire du bien ». Malheureusement, il est pensé à la place de l’enfant, sans prendre en compte ce que lui-même a compris, sait, croît de ce qu’il est arrivé à cette personne absente depuis longtemps de la maison, dont on parle à demi-mot ou qui provoque des silences quand les enfants arrivent.
41Les adultes qui entourent le patient (parents, conjoints...) sont souvent centrés sur le patient et sa souffrance, et s’il y a des enfants jeunes, ceux-ci se sentent parfois oubliés. Leurs questions, leurs souffrances, face à cette désorganisation familiale ne peut souvent s’exprimer et quand elle se manifeste, sous une forme plus ou moins masquée et/ou violente (comportementale, somatique...), elle reçoit, finalement, peu souvent de réponse des adultes. Le psychologue en unité de coma doit être un soutien pour les adultes qui viennent avec les enfants de la famille, afin que ce qu’ils ont à dire, ce qu’ils ressentent, puisse être pris en compte. Cela peut passer par le fait de parler avec les parents de ces enfants, mais également de parler avec l’enfant, en présence de l’adulte, pour permettre à l’enfant de s’exprimer par la parole, par le dessin, sans craindre de blesser ses proches ou de trahir des secrets. Cela peut aussi conduire à accompagner les visites des enfants, à les préparer et à revoir les enfants après la visite. Cette pratique peut s’inspirer de ce qui a été fait pour les visites des frères et sœurs en pédiatrie (Corde, 2009).
La question de la demande ou de la « non demande explicite »
42Une des caractéristiques de l’accompagnement des proches, dans la clinique de l’éveil de coma, est qu’ils sont très peu demandeurs d’accompagnement psychologique, malgré la présence de psychologues dans les services. Cependant, ils montrent de nombreux signes psychiques et somatiques d’une atteinte thymique. Il est donc nécessaire de penser l’offre de soin psychique des proches. Dans la clinique quotidienne, il y a très peu de demande spécifique des proches à rencontrer le psychologue, voire il peut exister un refus, face aux conseils des soignants et du médecin de prendre ce rendez-vous.
43Cependant, les rencontres hors bureau du psychologue, sans rendez-vous, sans demande clairement exprimée (dans le couloir, dans la chambre du patient...), sont de véritables temps cliniques, autour de la souffrance psychique des proches du patient. Ces situations « hors cadre » nécessitent, de la part des psychologues, de créer des modalités d’entretiens souples et ouverts à la diversité des lieux et des personnes considérées.
44La compagne d’un proche, atteint d’une agnosie sévère, qui me dit, dans la chambre, après plusieurs semaines d’hospitalisation, alors que je lui explique la possibilité de fixer un rendez-vous : « Tout va bien, à part qu’il ne me reconnaît pas... tout va bien ». Ce premier « échange clinique » mettant en relief une souffrance majeure et des mécanismes de défense a permis, ensuite, d’orienter un accompagnement spécifique qui s’est toujours déroulé hors du bureau, au gré de la volonté de cette femme ou du « hasard » de me rencontrer dans le service.
Prendre soin de la vie psychique du patient en état de conscience altérée
45Le suivi psychologique des patients en état de conscience altérée impose un travail interprétatif ouvert. Celui-ci consiste à repérer les modifications comportementales pour tenter de penser la subjectivité et la vie cognitive et affective du patient. Autrement dit, lorsque le patient « ne se manifeste pas », il s’agit de se demander si ce symptôme est dû à une incapacité fonctionnelle, à un refus ou, encore, à une opposition. Dans ce contexte, il paraît important d’interroger le sens de l’utilisation, en clinique neurologique, de la phrase « obéit à un ordre simple » (Mimouni, 2010), puisque celle-ci sous-entend que la manifestation d’une certaine conscience, d’une existence subjective, se prouve par « l’obéissance » et, donc, que la désobéissance serait la preuve de la disparition de celles-ci.
46Apparaît ici, clairement, l’importance du questionnement du référentiel théorique du psychologue, dans la manière dont il construit son intervention auprès des patients et des équipes.
47L’accompagnement des patients, au cours du long processus d’éveil de coma, n’impose pas, au psychologue, de passer d’une vision à une autre, comme il changerait de paires de lunettes pour voir de près ou de loin. Le psychologue n’a pas besoin de lunettes 3D. Partant de la subjectivité et de l’objectivité du Sujet-psychologue, il met du sens sur ce que le patient fait (ou ne fait pas), en prenant en compte la dimension fonctionnelle (lectures neurologique, neuropsychologique, cognitive...) et/ou la dimension existentielle (lecture psychodynamique). De ce fait, le psychologue crée un jeu dynamique entre, d’une part, le comportement du patient et, d’autre part, la position de Sujet-psychologue prenant en compte la dimension contre-transférentielle.
48Ainsi, sans ignorer, scotomiser la réalité de l’atteinte et de ses conséquences, le psychologue a pour mission, auprès des patients et des proches, de soutenir les liens dans toutes leurs dimensions et leurs évolutions. Lien qui devra prendre en compte, à la fois, le corps et ses atteintes et la vie psychique, la subjectivité des patients. Ainsi, il s’agit de s’appuyer sur l’écoute des proches, l’observation du sujet pris individuellement et dans les liens aux autres, pour préserver et faire émerger ce qu’il en est du sujet en devenir.
49Cette perspective permet au psychologue de mettre en avant des questionnements sur les comportements du patient, comme manifestations de sa subjectivité et non pas seulement comme « troubles du comportement », secondaires à des lésions cérébrales. Ainsi, dans cette clinique, il est primordial, afin d’analyser le niveau de conscience du patient, de différencier capacités du patient, qui représenteraient ce que le patient a la possibilité de faire avec ses moyens physiques, cognitifs et psychiques, et performances du patient, qui représentent la preuve objective de ses capacités.
50Le psychologue est particulièrement vigilant à interroger la non performance observée d’un patient, comme incapacité ou comme refus ou opposition (notamment, quand cette capacité a été observée au préalable et qu’il n’y a pas d’aggravation physique ou neurologique ou de changement de traitement notable). La chance est alors donnée au patient, de ne pas être qu’un sujet neurologique qui « ne répond pas à un ordre simple » – dans le jargon médical –, parce qu’il en est incapable, mais un être avec toute sa subjectivité lui permettant de ne « pas obéir » (Mimouni, 2010).
51Une attention particulière est portée à l’absence de comportements « visibles », car elle est également le lieu d’interprétations par les proches, qui s’appuient, notamment, sur des traits de personnalité connus.
Prendre soin des soignants
52La fonction principale du psychologue auprès des soignants est de soutenir leurs questionnements et l’expression de leurs émotions. La dimension contre-transférentielle est à éclairer pour des professionnels peu formés à cette pratique de l’introspection dans une « clinique de l’extrême », qui intensifie leurs ressentis émotionnels et complexifie leur mobilisation dans la relation avec le patient et ses proches (Korff-Sausse, 2007b). Ce travail se poursuit dans la réflexion sur leurs actes et leurs paroles, dans un devoir de bienveillance, assurant l’effet apaisant de la parole et du « penser ensemble », nécessaire dans ces situations cliniques difficiles à contenir sur le plan psychique (Fustier, 1999 ; Mellier, 2006b).
53Lorsque ces aspects sont possibles au sein d’une équipe pluridisciplinaire, le travail du psychologue, qui se trouve, à la fois, au sein de l’équipe et dans une posture extérieure, nécessaire à l’interrogation des phénomènes psychiques et intersubjectifs, dans la relation soignant-soigné, peut contribuer à « changer de focale », pour reprendre une expression chère à l’approche neurosytémique des lésions cérébrales, de Jean-Michel Mazaux, Jean-Marc Destaillats et Christian Belio (Destaillats et coll., 2011). Cette attitude, que le psychologue doit favoriser, va permettre d’entrevoir la possibilité d’autres points de vue et d’autres lectures tout aussi bien des modifications comportementales du patient, trop rapidement appelées « troubles du comportement » que des comportements des proches, comme l’agressivité à l’égard des soignants, l’infantilisation du patient..., trop rapidement appelés « inadaptés ». Ceci est d’autant plus important, face aux prises en charge de patient longues et usantes, qui peuvent mettre les soignants dans des situations « en butée », face à des voies qui semblent sans issue, quant à l’avenir du patient ou l’accompagnement de leurs proches.
54Enfin, comme dans toute autre clinique, le psychologue aide le soignant à s’intéresser à la vie psychique du patient. La complexité de la clinique de l’éveil de coma est que le patient peut être silencieux, voire inexpressif, par l’altération de la conscience. Là où la subjectivité du patient est fragilisée, ténue, voire invisible, ce travail va tendre à réintégrer le patient comme sujet dans la relation de soin, dans les moments où la difficulté de relation intersubjective tend à rendre le patient plus objet de soin (Mimouni, 2005).
55L’absence, en apparence, de subjectivité du patient fragilise également le soignant dans sa subjectivité (Mimouni, 2010). En effet, face au patient qui parait ne rien ressentir quand il s’occupe de lui, le soignant peut se sentir non reconnu et non qualifié. Un regard extérieur, bienveillant, peut l’aider à se sentir reconnu, valorisé. Il s’agit, pour le psychologue, de « prendre soin » du soignant. Le sujet valorisé, reconnu, sera davantage en mesure d’être bien traitant pour le patient.
L’éveil de coma : une clinique de l’extrême ?
56Ce qui précède montre toute la complexité des modalités différentes de mise en œuvre du psychologue, selon qu’il s’adresse au patient, au sujet, à ses proches et/ou à leurs liens.
57Au-delà des références à la réanimation ou à la clinique des patients cérébro-lésés, la clinique des « situations extrêmes » éclaire, de manière enrichissante, le vécu du patient en éveil de coma et de ses proches. La situation est extrême, car aux limites du représentable (Aubert, Scelles, 2007 ; Korff-Sausse, 2007a), extrême dans sa dimension subjective (Grosclaude, 2002 ; Spoljar, 2007) et dans sa dimension intersubjective (Mimouni, 2010). Cette clinique de l’extrême nécessite de créer un cadre de travail original et souple.
58Le psychologue, dans ces unités, a un rôle au sein du triangle constitué du patient, de ses proches et des soignants, pour penser leurs vécus, les écarts et incompréhensions qui en découlent, dans des contextes spatiaux et temporels totalement différents chez ces trois acteurs.
59Le psychologue, comme spécialiste de la subjectivité et des relations intersubjectives, a donc une place particulière à maintenir dans une clinique où, parfois, les rôles et places spécifiques des intervenants sont difficiles à tenir. Cette difficulté semble naître, d’une part, de la collusion entre les comportements du patient, interprétés comme production fonctionnelle ou interrogés comme signes d’un processus existentiel et, d’autre part, de la volonté institutionnelle d’une pratique transdisciplinaire.
60La pratique auprès des patients, de leurs proches et des soignants, permet de mesurer, comme dans la plupart de ce que nous appelons des cliniques de l’extrême, la complexité du cadre, des positionnements cliniques et institutionnels.
61Cette complexité est à travailler et non à simplifier ou à réduire (Morin, 2005). En effet, au sein d’une équipe pluridisciplinaire, avec des objectifs institutionnels et, parfois, une volonté affichée de pratiques transdisciplinaires, le psychologue questionne le processus existentiel du patient, dans un contexte où l’enjeu des capacités fonctionnelles a une importance majeure pour les proches du patient et les collègues médecins, soignants et rééducateurs.
62Cet article recensant les missions multiples du psychologue, nous conduit à devoir penser chacun des rôles intriqués de celui-ci dans la prise en charge du patient cérébro-lésé, au moment de l’éveil de coma. Dans cette clinique, riche et relativement récente, nous ne pourrons faire l’économie de penser le travail (ou de travailler la pensée) auprès des soignants et des proches des patients.
Notes
-
[1]
Cet article s’appuie, d’une part, sur une expérience clinique de neuf ans, au sein de l’unité accueillant des patients en éveil de coma, au Centre régional de médecine physique et de réadaptation (CRMPR) Les Herbiers, à Bois-Guillaume (76), et, d’autre part, sur un travail d’élaboration et de questionnement théoriques et conceptuels, mené dans une thèse en cours sur le vécu et l’accompagnement des proches de patients en éveil de coma.