1En Afrique de l’Ouest comme dans l’ensemble des pays en développement, la majorité de la population active est employée dans le secteur informel, quelle qu’en soit la définition [1]. Même dans les capitales, où l’on s’attend à trouver la plus grande proportion d’employés du secteur formel, l’emploi informel est prédominant : à Dakar, Bamako, Lomé, Cotonou, Niamey, Abidjan, Ouagadougou, en moyenne plus des trois quarts de la population active travaillent dans le secteur informel [Torelli, Roubaud, 2013]. Cette proportion est plus forte encore parmi les jeunes travailleurs de moins de 25 ans : plus de 80 % d’entre eux sont employés dans ce secteur [Nordman, Pasquier-Doumer, 2012]. Longtemps ignoré par les politiques de développement, lesquelles étaient focalisées sur le processus d’industrialisation de l’économie, le secteur informel est perçu aujourd’hui comme un acteur incontournable du processus de développement économique et des politiques de lutte contre la pauvreté.
2Dans le domaine de la politique de l’emploi, ceci conduit à conférer au secteur informel un rôle actif dans la formation de la main-d’œuvre et l’insertion des jeunes sur le marché du travail. Nombreux sont ceux qui démarrent en effet leur vie professionnelle par une période d’apprentissage en entreprise, au cours de laquelle ils apprennent un métier technique qui leur permettra ensuite d’exercer à leur propre compte ou comme salariés. Face à l’incapacité du système d’enseignement à fournir une formation technique à suffisamment de jeunes pour répondre à la demande de main-d’œuvre, un nombre croissant d’entre eux se tourne vers la solution de l’apprentissage, le plus souvent au sein d’une entreprise du secteur informel. Ce secteur étant mal couvert par les enquêtes, et les enquêtes emploi étant de toute façon en nombre largement insuffisant en Afrique subsaharienne, ce phénomène demeure mal connu [BIT, 2008 ; Nordman, Pasquier-Doumer, 2012]. Ainsi de nombreuses questions attendent-elles qu’on leur apporte une réponse. Quels sont les jeunes qui passent par l’apprentissage ? Sont-ils recrutés aujourd’hui de la même façon que leurs aînés ? Quelle est la qualité de la formation reçue ? L’apprentissage est-il un bon passeport pour l’emploi ? Permet-il de sortir de la pauvreté ? L’ambition de cet article n’est pas de répondre à toutes ces questions, chacune d’entre elles pouvant faire l’objet d’un travail séparé. Plus modestement, nous exploitons les données rétrospectives d’une enquête en coupe transversale réalisée au Sénégal en 2006-2007 pour comparer, entre trois générations, les déterminants et les impacts de l’apprentissage. L’analyse des impacts est examinée dans deux dimensions : la trajectoire professionnelle d’une part, sur le marché du mariage d’autre part. L’intérêt pour l’analyse du lien entre l’apprentissage et le marché du mariage résulte d’une observation sociologique et du fonctionnement du marché de l’emploi. Au Sénégal, les hommes attendent en général d’avoir un travail pour se marier [Antoine, Razafindrakato, Roubaud, 2001] [2]. Or le fonctionnement du marché de l’emploi leur est défavorable, les jeunes ayant beaucoup de difficultés à s’intégrer [DIAL, 2007 ; Calvès, Schoumaker, 2004]. Dans ce contexte, l’apprentissage semble être une option intéressante, car il est susceptible de permettre une intégration plus facile sur le marché de l’emploi et donc, d’accélérer la transition vers le mariage.
3Le reste de l’article est organisé comme suit : dans la section 2, nous présentons le contexte général de l’apprentissage au Sénégal. La section 3 présente les données employées et quelques statistiques descriptives. La section 4 présente la stratégie d’analyse des données employées, puis les résultats sur l’évolution des caractéristiques des apprentis, l’impact sur la trajectoire professionnelle du statut d’apprenti, puis l’impact sur la vitesse de transition du statut de célibataire vers le mariage. Enfin, la section 5 conclut.
Contexte et littérature : l’apprentissage au Sénégal
4L’apprentissage est le terme traditionnellement employé pour désigner la transmission d’un savoir-faire technique et professionnel par un maître d’apprentissage au profit d’un jeune apprenti [3]. Cette transmission s’effectue par l’observation, l’imitation et la répétition des gestes du maître d’apprentissage. Ainsi, les apprentis travaillent et assistent leur maître d’apprentissage. La relation entre le maître et son apprenti peut être matérialisée par un contrat, oral le plus souvent, dont la forme est dictée par les normes locales qui indiquent les obligations respectives des deux parties. En Afrique de l’Ouest, on distingue souvent deux types d’apprentissages : le « sahélien » et le « côtier » [Walther, 2008]. L’apprentissage dans les pays sahéliens est marqué par la tradition et se distingue par le fait que la relation maître apprenti vient se substituer à la relation parent enfant, les parents déléguant au maître d’apprentissage une part de leur autorité parentale. Le maître a alors pour fonction non seulement de transmettre son savoir-faire, mais également d’inculquer au jeune apprenti les valeurs de la profession à laquelle il se destine. L’accord verbal entre les parents et le maître d’apprentissage n’explicite pas la durée de l’apprentissage et celui-ci n’est achevé que quand le maître juge que son apprenti est apte à exercer seul sa profession. La fin de l’apprentissage n’est pas sanctionnée par un certificat ou une cérémonie. Pendant la durée de son apprentissage, le jeune apprenti participe à l’activité de son entreprise et reçoit un salaire réduit. L’apprenti et son maître développent une relation filiale et il arrive que les patrons aident leurs apprentis à s’installer, ceux-ci n’étant pas perçus de prime abord comme des concurrents potentiels. L’apprentissage dans les pays côtiers est plus formalisé. Il est payant et repose sur une relation contractuelle entre le patron, son apprenti et sa famille [4]. Le contrat est en principe écrit, au contraire du contrat sahélien et la durée de l’apprentissage fixée par avance en fonction du type de métier appris [5]. La fin de la période d’apprentissage est marquée par une cérémonie. En pratique, les quelques études de cas disponibles montrent que la différence entre les deux types d’apprentissages est moins nette. Dans les pays côtiers, très souvent, les contrats d’apprentissage sont oraux et non pas écrits et les maîtres d’apprentissage ont un rôle social d’éducateur qui va au-delà de celui qui leur est dévolu en théorie [Walther, 2008].
5Au Sénégal, l’apprentissage appartient très nettement à la forme sahélienne [Viti, 2013]. On estime à environ 400 000 le nombre de jeunes en apprentissage, pour l’immense majorité d’entre eux dans une entreprise du secteur informel [OCDE, 2008]. L’enseignement technique et la formation professionnelle (ETFP) ne forment que 7 000 personnes par an et seuls 3 % de la main-d’œuvre disposent d’un diplôme de l’ETFP. Le poids extrêmement faible de l’ETFP dans la formation professionnelle de la main-d’œuvre résulte pour partie d’un mouvement de remise en cause de cet enseignement au cours des années 1990. Cet enseignement public, hérité au Sénégal de la colonisation, est alors perçu comme étant de mauvaise qualité, d’un coût excessivement élevé, inadapté aux besoins des entreprises (formelles et informelles) et incapable de se réformer pour prendre en compte l’importance du taux de chômage observé parmi les diplômés [Middleton, Ziderman, van Adams, 1991 ; Cousin, 1992 ; Moura Castro, 1999]. La crise des années 1980 qui a transformé les structures de la production et rendu obsolètes les formations dispensées par l’ETFP et les programmes d’ajustement structurel qui ont conduit les gouvernements à réduire les budgets de l’enseignement vont sérieusement mettre à mal cet enseignement et les effectifs d’étudiants vont s’en ressentir. Alors qu’en 1980, près de 10 000 étudiants étaient diplômés chaque année, ils n’étaient plus que 4 600 en 1996, et ce, alors même que les besoins de formation de la population active augmentaient [Atchoarena, Delluc 2001]. On préfère alors se reposer sur l’initiative privée pour proposer des formations adaptées au marché et développer l’apprentissage au sein des entreprises.
6L’apprentissage présente en effet l’avantage de proposer une formation pratique en lien direct avec les besoins locaux des entreprises plutôt qu’une formation parfois théorique et déconnectée de la réalité du terrain. De plus, il véhicule des valeurs culturelles valorisées socialement et permet à l’apprenti de développer un réseau qui pourra lui être par la suite utile pour s’insérer sur le marché de l’emploi (éventuellement au sein de l’entreprise de son maître d’apprentissage). Enfin, il est plus accessible que l’ETFP, particulièrement aux enfants des ménages pauvres et à ceux qui n’ont pu suivre des études longues dans le système d’éducation formelle. Du point de vue de son financement, il présente également l’avantage de ne pas requérir d’installations spécifiques pour former les apprentis. Cependant, l’apprentissage a également des inconvénients, tout au moins lorsqu’il s’exerce dans le secteur informel : tout d’abord, les techniques enseignées tendent à reproduire celles que maîtrise le maître d’apprentissage et ont donc peu de chances d’être au diapason des techniques les plus modernes ; ensuite, il existe une hétérogénéité très forte dans l’étendue et la qualité des formations dispensées aux apprentis, la plupart des maîtres d’apprentissage n’ayant reçu aucune formation spécifique. Rien ne protège les apprentis du secteur informel contre le risque d’être exploités par l’entreprise qui doit les former. Enfin, l’apprentissage est très largement « réservé » aux représentants du sexe masculin, ceci résultant du rôle traditionnel encore aujourd’hui attribué aux femmes [Atchoarena, Delluc, 2001 ; de Vreyer, Gubert, Rakoto-Tiana, 2013 ; Aggarwal, Hofmann, Phiri 2010]. Conscients de ces limites, et face à la persistance de l’inadéquation de la formation de la main-d’œuvre vis-à-vis des besoins des entreprises [OCDE, 2012], plusieurs gouvernements africains, dont celui du Sénégal, ont décidé au début de la décennie 2000 de changer de politique et de développer à nouveau les systèmes d’ETFP, en essayant d’éviter les erreurs du passé et avec comme objectif d’intégrer l’apprentissage traditionnel au système [King, McGrath, Rose, 2007]. Il s’agit, d’une part, d’améliorer la formation des patrons artisans et, d’autre part, d’introduire un certificat d’apprentissage traditionnel qui serait reconnu sur le marché du travail. Cependant, ces programmes demeurent encore à l’état d’expérimentation [King, McGrath, Rose, 2007 ; Walther 2008].
7L’apprentissage demeure aujourd’hui mal connu, du fait principalement du manque de données disponibles permettant des analyses approfondies sur son impact, tant au niveau économique que sociétal [BIT, 2008]. Nordman et Pasquier-Doumer [2012] proposent une première série de réponses quant aux effets de l’apprentissage sur les caractéristiques de l’emploi relativement à d’autres formes d’éducation. Sur un échantillon d’hommes et de femmes résidant dans sept capitales de pays d’Afrique de l’Ouest, ils montrent que l’apprentissage augmente la performance d’une entreprise dans le secteur informel, en particulier, si cette entreprise est petite.
8Nous ne connaissons pas d’étude proposant, pour l’Afrique, une analyse statistique sur un échantillon de grande taille représentatif à l’échelle d’un pays des impacts de l’apprentissage sur la trajectoire professionnelle et d’autres dimensions économiques ou sociales. Cet article a pour ambition d’apporter une première contribution de cette nature à ce champ d’analyse.
Présentation des données
L’enquête Pauvreté et structure familiale (PSF)
9Les données utilisées dans cet article sont issues de la première vague de l’enquête Pauvreté et structure familiale (PSF), conduite en 2006-2007 au Sénégal [6] [de Vreyer, Lambert, Safir, Sylla, 2008]. 1 785 ménages, répartis en 150 districts de recensement [7], ont été enquêtés. La procédure de tirage de l’échantillon, qui s’appuie sur les données du dernier recensement (2004) assure sa représentativité au niveau national. L’enquête comporte notamment un volet emploi qui renseigne pour tous les adultes et les enfants de plus de 6 ans les modalités de l’entrée sur le marché du travail (âge d’entrée, caractéristiques du premier emploi) ainsi que, s’il y a lieu, les caractéristiques de l’emploi occupé au moment de l’enquête et celles de l’emploi précédent. Les analyses menées utilisent donc ces données rétrospectives sur les trajectoires professionnelles, mais aussi les données sur les caractéristiques individuelles et familiales et les trajectoires matrimoniales également collectées dans le cadre de cette enquête. Nous nous intéressons uniquement aux 5 239 hommes de 6 à 76 ans. Parmi eux, 3 500 ont déjà eu une première expérience professionnelle.
L’entrée en apprentissage : quelques statistiques descriptives
10L’enquête PSF nous renseigne sur les caractéristiques du premier emploi occupé par tous les individus âgés de 6 ans et plus. Nous nous intéressons particulièrement au statut dans cet emploi. Les catégories sont celles présentées dans le tableau 1 ci-dessous. Une attention particulière a été portée à la définition de ces différentes catégories afin de s’assurer de leur bonne compréhension par les enquêteurs comme par les enquêtés et de l’homogénéité et de la comparabilité des réponses. Un extrait du manuel de l’enquêteur relatif à la question du statut dans le premier emploi est reproduit en annexe.
Différents statuts au premier emploi, par cohorte (pourcentages)

Différents statuts au premier emploi, par cohorte (pourcentages)
11L’âge médian et l’âge moyen d’entrée sur le marché du travail en tant qu’apprenti (calculé sur les plus de 30 ans [8]) sont tous deux égaux à 16 ans. Les apprentis entrent sur le marché du travail en moyenne plus tôt que les salariés (24 ans), les indépendants (19 ans) ou les tâcherons (20 ans), mais plus tard que les aides familiaux (8 ans pour l’âge médian, 10 ans pour l’âge moyen).
12Le tableau 1 montre que la part des apprentis ne cesse de croître : seuls 6 % des hommes nés entre 1930 et 1949 sont entrés dans la vie active comme apprenti, alors que c’est le cas de 24 % des hommes nés entre 1970 et 1989. On note à l’inverse le recul du statut de salarié au premier emploi pour cette dernière cohorte.
13L’entrée en apprentissage semble majoritairement urbaine : seuls 13,6 % de ceux qui sont entrés sur le marché du travail comme apprenti vivent en 2006 en milieu rural [9].
14Les professions les plus représentées parmi les apprentis sont : « mécanicien-réparateur de véhicules » (15,9 % des apprentis), « ébéniste » (14,9 %), « brodeur » (13,3 %) et « maçon » (9,7 %). Parmi ceux qui sont entrés sur le marché du travail sous un autre statut, près de la moitié était ou est agriculteur (47,9 %). Les professions les plus représentées sont ensuite « boutiquier » (6,0 %), « berger » (4,7 %), « maçon » (2,8 %), « manœuvre » (2,4 %) et « marin » (2,0 %).
15Il est intéressant de noter que les apprentis ont eu plus fréquemment recours à leurs relations familiales pour entrer sur le marché du travail (70 % contre 48 % pour ceux qui ont accédé au marché du travail sous un autre statut).
16L’analyse de la durée dans le premier emploi permet de faire ressortir le caractère transitoire du statut d’apprenti : ceux qui ont débuté sur le marché du travail sous ce statut ont occupé en moyenne leur premier emploi pendant 7 ans (la durée médiane étant de 5 ans), contre 17 ans pour ceux qui sont entrés sur le marché du travail sous un autre statut (la durée médiane étant de 13 ans pour ces derniers).
17Le graphique 1 présente les différents statuts à l’entrée sur le marché du travail en fonction de l’âge d’entrée et de la cohorte. Pour plus de lisibilité, la catégorie « autre statut » regroupe les catégories « tâcheron », « stagiaire » et « autres » du tableau 1. La catégorie « employeur » est quant à elle fusionnée avec la catégorie « indépendant ».
Statut à l’entrée sur le marché du travail, par âge et cohorte

Statut à l’entrée sur le marché du travail, par âge et cohorte
18La première partie du graphique correspond à la cohorte la plus ancienne (individus nés entre 1930 et 1949, donc âgés de 57 à 76 ans à la date de l’enquête). La fraction d’hommes n’ayant jamais travaillé est très faible : elle décroît fortement jusqu’à 25 ans, puis continue à diminuer plus faiblement avant de se stabiliser à 40 ans, âge auquel on cesse d’observer de nouvelles entrées sur le marché du travail. Les entrées les plus précoces correspondent au statut d’aide familial (voir l’aire correspondante sur le graphique), qui compte pour la quasi-totalité des entrées avant 10 ans et, dans une moindre mesure, au statut d’indépendant. Les employés entrent beaucoup plus tard sur le marché du travail, surtout après 20 ans. Les apprentis entrent sur le marché du travail à un âge intermédiaire, mais sont peu représentés dans cette cohorte. La deuxième partie du graphique renvoie à la cohorte 1950-1969, c’est à dire aux enquêtés âgés de 37 à 56 ans au moment de l’enquête ; le graphique est donc tronqué à 56 ans. Les observations faites pour la cohorte précédente restent valables, la principale différence étant la part plus importante de l’entrée en apprentissage avant l’âge de 20 ans : au-delà, ceux qui n’étaient pas encore entrés sur le marché du travail entrent uniquement sous le statut d’employé ou d’indépendant. Le phénomène est encore accentué pour la cohorte suivante (troisième partie du graphique) : la proportion d’entrées sur le marché du travail comme apprenti y est encore supérieure (24 %, comme indiqué dans le tableau 3). Il faut toutefois noter que cette part est surestimée du fait de la censure qui affecte les observations pour cette cohorte qui regroupe les individus nés entre 1970 et 1989 et âgés de 17 à 36 ans à la date de l’enquête. Si à 36 ans en effet, la quasi-totalité des individus amenés à travailler un jour est déjà entrée sur le marché du travail, ce n’est le cas que d’environ 50 % d’entre eux à 17 ans. Or on a vu pour la cohorte précédente que l’entrée en apprentissage était relativement précoce, le plus souvent avant 20 ans, à la différence de l’entrée sur le marché du travail comme employé qui se produit le plus souvent après 20 ans. De ce fait, la part des apprentis est surestimée et celle des employés sous-estimée dans cette population hétérogène d’individus âgés de 17 à 36 ans, dont certains ne sont pas encore entrés sur le marché du travail.
Accès au statut d’apprenti : méthode d’analyse et résultats
Stratégie d’analyse
19Nous analysons dans cette section les déterminants de l’entrée sur le marché du travail en tant qu’apprenti plutôt que sous un autre statut. Nous cherchons en particulier à évaluer si ces déterminants sont les mêmes au cours du temps, c’est pourquoi nous distinguons les différentes cohortes présentées plus haut. Nous estimons à cette fin des modèles de durée à risques concurrents en reprenant la méthode de Fine et Gray [1999]. Dans le type de modélisation choisi, un individu qui n’est pas encore entré sur le marché du travail à un instant t est considéré comme étant soumis à deux « risques » concurrents : celui d’entrer sur le marché du travail en tant qu’apprenti, et celui d’entrer sur le marché du travail sous un autre statut (salarié, indépendant, aide familial ou autre). Certains individus de notre échantillon ne sont pas encore entrés sur le marché du travail. Pour ces individus, les observations sont dites censurées. La méthode d’analyse en tient compte et permet de simuler la date d’entrée sur le marché du travail de ces personnes à partir des observations obtenues sur celles qui sont déjà actives. Nous utiliserons cette propriété du modèle pour examiner l’évolution entre les différentes générations de la probabilité de démarrer la carrière professionnelle en qualité d’apprenti. L’estimation est menée sur le sous-échantillon des 3 352 hommes de l’enquête âgés de 16 à 76 ans [10].
Déterminants de l’accès au statut d’apprenti
20Les résultats de l’estimation du modèle de durée à risques concurrents sont présentés dans le tableau 2. La première colonne présente les résultats pour l’ensemble des trois cohortes. Les trois colonnes suivantes présentent les résultats de l’estimation séparée pour chacune des cohortes. Les coefficients sous forme exponentielle sont reportés dans le tableau et s’interprètent de la manière suivante : dans la première colonne, le coefficient sous forme exponentielle pour l’indicatrice de cohorte 1930-1949 est inférieur à 1 : appartenir à cette cohorte plutôt qu’à la cohorte 1970-1989 (qui est la catégorie de référence) est associé à une incidence plus faible d’entrée sur le marché du travail en tant qu’apprenti, sachant que l’entrée sur le marché du travail peut aussi se faire sous un autre statut, toutes choses égales par ailleurs (en contrôlant pour toutes les variables présentées dans le tableau ou mentionnées en note de bas de tableau). Cet effet est significatif au seuil de 1 %. Les résultats présentés dans la première colonne confirment les observations précédentes et suggèrent que le « risque » d’entrer sur le marché du travail comme apprenti est plus élevé pour la cohorte la plus récente (qui est la catégorie de référence) que pour les cohortes plus anciennes.
21La catégorie socioprofessionnelle du père de l’enquêté apparaît comme un déterminant essentiel du statut d’entrée sur le marché du travail. Les individus dont le père est indépendant ou employeur ont en particulier un « risque » plus élevé d’entrer en apprentissage, la référence étant les individus dont le père est agriculteur. Ce résultat n’est pas surprenant, étant donné que dans la majorité des cas, les apprentis sont dans des secteurs autres que le secteur agricole, et obtiennent leur premier emploi en passant par leurs relations familiales. Il est vraisemblable que bon nombre d’entre eux débutent comme apprenti auprès de leur père dans l’entreprise familiale, même si les données disponibles ne nous permettent pas de vérifier cette hypothèse.
22Les régressions par cohorte des trois colonnes suivantes font néanmoins apparaître quelques différences dans la significativité des effets de la catégorie socioprofessionnelle du père [11] : avoir un père employeur plutôt qu’agriculteur est associé positivement et significativement à l’entrée en apprentissage pour la dernière cohorte seulement. À l’inverse, le coefficient devant l’indicatrice « père salarié public » n’est significatif que pour la cohorte 1950-1969.
23L’effet des variables d’éducation est quant à lui conforme à l’intuition : le fait d’être encore scolarisé, variable indicatrice pertinente uniquement pour la dernière cohorte (4e colonne du tableau) « protège » contre le « risque » d’entrée en apprentissage. Pour les trois cohortes, un niveau d’éducation supérieur au primaire est associé à une incidence plus faible de l’entrée en apprentissage, la catégorie de référence étant l’absence d’éducation formelle. En revanche, pour la cohorte la plus récente, un peu d’éducation primaire plutôt que pas d’éducation du tout accroît le risque d’entrée sur le marché du travail en tant qu’apprenti plutôt que sous un autre statut. Ce résultat s’explique sans doute pour partie par l’accroissement du niveau moyen d’éducation dans la population sénégalaise au fil des décennies.
24Enfin, les coefficients devant les indicatrices « Dakar » et « Autre ville » sont positifs et significatifs (pour le dernier, uniquement pour la cohorte la plus récente) : vivre en milieu urbain au moment de l’enquête est associé à une probabilité plus élevée d’être entré sur le marché du travail comme apprenti plutôt que sous un autre statut. L’enquête PSF ne fournissant pas d’information sur le milieu rural ou urbain au moment de la prise d’emploi, cette corrélation est difficile à interpréter car il est possible que l’apprentissage ait un impact sur la mobilité géographique ultérieure.
25Les régressions présentées dans le tableau 2 incluent des variables de contrôle additionnelles pour l’ethnie, la confrérie religieuse (avec une indicatrice « mouride »), ainsi que des variables susceptibles de capturer, entre autres, des effets de réseau (rang de naissance et composition de la fratrie, avoir été confié dans l’enfance, polygamie du père). Toutefois, les coefficients devant ces différentes indicatrices n’étant significatifs dans aucune des régressions, ils ne sont pas présentés dans le tableau. Les mêmes résultats ont été obtenus par l’estimation du modèle sur le sous-échantillon des 1 599 hommes de 16 à 76 ans en milieu urbain (non présentés ici).
Résultats d’estimation d’un modèle de durée à risques concurrents (entrée en apprentissage vs autre statut), par cohorte

Résultats d’estimation d’un modèle de durée à risques concurrents (entrée en apprentissage vs autre statut), par cohorte
Notes : 1. Les coefficients sont exprimés sous forme exponentielle ; 2. t de Student entre parenthèses ; * p < 0,10 ; ** p < 0,05 ; *** p < 0,01 ; 3. Sont incluses (coefficients non montrés) des variables de contrôle pour les caractéristiques ethniques et religieuses, le rang de naissance, le nombre de sœurs plus âgées, le fait d’avoir été confié et la polygamie du père ; 4. La catégorie de référence pour les indicatrices de cohortes dans la colonne (1) est la cohorte 1970-1989 ; 5. Pour toutes les colonnes, les catégories de référence sont les suivantes : père agriculteur, sans éducation formelle ou niveau d’éducation non renseigné et milieu rural.26Les résultats suggèrent le développement du phénomène de l’apprentissage comme modalité d’entrée sur le marché du travail pour les générations les plus récentes. Ils identifient la catégorie socioprofessionnelle du père et le niveau d’éducation comme des déterminants prépondérants de l’entrée en apprentissage dont l’importante reste relativement stable pour les différentes cohortes.
27Le graphique 2 ci-dessus permet de poursuivre la comparaison entre les trois cohortes retenues : il représente l’incidence cumulée prédite, en fonction de l’âge des individus, de l’entrée sur le marché du travail comme apprenti plutôt que sous un autre statut. L’incidence est ici prédite par le modèle et non observée, ce qui explique que les courbes se prolongent au-delà des âges réels pour les cohortes 1970-1989 et 1950-1969. Les prédictions sont basées sur l’hypothèse que le modèle reste valable au-delà de la fenêtre d’observation. Le graphique montre que toutes choses égales par ailleurs, pour des valeurs nulles de toutes les indicatrices de contrôle (c’est-à-dire pour un individu ayant les caractéristiques de référence), un homme de la cohorte la plus récente a une probabilité d’être entré sur le marché du travail comme apprenti plutôt que sous un autre statut de près de 11 %, contre un peu plus de 6 % pour la cohorte 1950-1969 et de seulement 4 % pour la cohorte 1930-1949 [12].
Incidence cumulée prédite de l’entrée sur le marché du travail comme apprenti : comparaison des différentes cohortes

Incidence cumulée prédite de l’entrée sur le marché du travail comme apprenti : comparaison des différentes cohortes
Éléments d’analyse des effets du statut d’emploi au premier emploi sur la trajectoire professionnelle et maritale
28Dans cette section, nous nous intéressons aux effets d’une entrée des hommes dans l’emploi comme apprentis relativement à d’autres statuts sur leurs trajectoires professionnelle et maritale. Pour ce faire, nous utilisons le sous-échantillon des hommes âgés de 30 à 40 ans à la date de l’enquête. Ce choix est justifié par le fait qu’à 30 ans, la quasi-totalité des hommes est déjà entrée sur le marché du travail et par l’impératif d’avoir un échantillon relativement homogène en termes de parcours professionnel. Nous comparons les hommes de ce sous-échantillon selon qu’ils ont commencé ou non sur le marché du travail comme apprentis, sur leur statut d’emploi à la date de l’enquête et sur leur niveau de rémunération par statut d’emploi.
29Le tableau 3 présente le pourcentage d’hommes de 30 à 40 ans dont les caractéristiques du premier emploi sont observées et qui ont changé de statut d’emploi entre leur premier emploi et l’emploi qu’ils occupent au moment de l’enquête. D’après ce tableau, la transition vers le statut de salarié ou d’indépendant/ employeur est fréquente parmi les hommes du sous-échantillon considéré qui ont débuté comme apprentis ou comme aide familiaux. Ceux qui ont débuté comme salariés ou comme indépendants/employeurs connaissent relativement moins de transitions vers d’autres statuts.
Taux de transition dans le statut d’emploi entre le premier emploi et l’emploi actuel pour tous les hommes âgés de 30 à 40 ans à la date d’enquête

Taux de transition dans le statut d’emploi entre le premier emploi et l’emploi actuel pour tous les hommes âgés de 30 à 40 ans à la date d’enquête
30Nos données montrent que parmi ceux qui étaient apprentis et ont changé de statut, 54 % sont indépendants/employeurs et 40 % salariés à la date de l’enquête. Ceux qui ont débuté comme aides familiaux sont à 70 % indépendants/employeurs et à 23 % salariés au moment de l’enquête (non montrés) [13].
31Les données PSF permettent de comparer les niveaux de rémunération perçus au cours des douze mois précédant la date de l’enquête par les salariés et les employeurs/indépendants, selon qu’ils ont commencé leur carrière sous le même statut, comme apprentis ou aides familiaux. Lorsqu’ils accèdent au statut de salariés, aides familiaux et apprentis se retrouvent avec un même niveau de rémunération (environ 900 000 francs CFA par an). Ce niveau de rémunération est plus de deux fois inférieur au niveau de rémunération des salariés entrés sur le marché du travail comme salariés (et qui perçoivent chaque année en moyenne 2 400 000 francs CFA) [14]. Parmi les hommes se déclarant indépendants ou employeurs à la date de l’enquête, il n’y a aucune différence entre ceux qui sont entrés sur le marché du travail sous ce même statut et ceux qui ont commencé comme apprentis (en moyenne, 900 000 francs CFA annuels). En revanche, ces derniers gagnent significativement plus que ceux qui ont commencé comme aides familiaux (rémunérés en moyenne à 530 000 francs CFA) [15].
32Ces résultats suggèrent que le statut au premier emploi affecte la trajectoire professionnelle. Si pour une majorité d’apprentis, ce statut n’est que transitoire et constitue une première étape vers l’emploi salarié, les comparaisons de salaires entre ceux qui ont commencé comme salariés et ceux qui le sont devenus après un passage en apprentissage ne sont pas favorables à la deuxième catégorie : ce résultat peut s’expliquer en partie par les différences de niveau d’éducation formelle entre les deux catégories et par la moindre reconnaissance des compétences acquises hors de l’institution scolaire sur le marché du travail sénégalais.
33En second lieu, nous estimons le lien entre les différents statuts d’emploi au premier emploi et la probabilité pour un homme de se marier chaque année sachant qu’au début de l’année considérée, il est encore célibataire. Le modèle adopté est un modèle dit de « risque » (dans notre cas, de se marier) ou de survie (dans notre cas, dans le célibat) : le modèle de Cox. L’estimation est réalisée sur l’échantillon des hommes de 15 à 76 ans, qu’ils soient mariés ou non à la date de l’enquête. Nous montrons que le fait de commencer sa vie active comme apprenti par rapport au fait de commencer sa vie active comme salarié augmente le temps passé dans le célibat. Autrement dit, l’apprentissage décélère l’entrée en union maritale relativement au salariat. En revanche, le rythme d’entrée en union est similaire entre l’apprentissage et les autres statuts d’emploi [16].
34En outre, sur le sous-échantillon d’hommes mariés à la date de l’enquête et n’ayant jamais connu de dissolution d’union, une comparaison simple des caractéristiques relatives des époux suggère que les hommes ayant commencé leur vie d’actifs comme apprentis se marient moins souvent à une femme appartenant à la même famille ou à la même ethnie (tableau 4). Ils ont aussi plus souvent un niveau d’éducation différent (en l’occurrence, l’épouse est plus souvent plus éduquée). Autrement dit, l’exogamie dans le mariage, selon les dimensions mentionnées ci-dessus, est plus fréquente quand les hommes ont d’abord été apprentis. Par ailleurs, les épouses d’apprentis sont moins susceptibles d’avoir un jour travaillé. Ceci peut être lié au fait qu’elles sont plus jeunes. Si elles travaillent ou ont un jour travaillé, c’est plus souvent sous un statut d’indépendante dans le secteur non agricole.
Caractéristiques des épouses des hommes 15-76 ans de l’échantillon mariés une fois à la date de l’enquête

Caractéristiques des épouses des hommes 15-76 ans de l’échantillon mariés une fois à la date de l’enquête
35Les caractéristiques de la première union sont donc liées au statut dans le premier emploi. Le fait que travailler d’abord comme apprenti retarde l’entrée en union et conduise à se marier plus souvent de façon exogame suggère que l’apprentissage est pénalisant en ce qui concerne l’accès au marché matrimonial [17]. Mais ces résultats peuvent aussi suggérer que le passage par l’apprentissage libère des contraintes d’un mariage traditionnel (à savoir précoce et endogame). Ces résultats doivent être interprétés avec précaution. En effet, d’une part, nous n’observons que des corrélations entre caractéristiques individuelles ou familiales et statut d’entrée sur le marché du travail, qui ne permettent pas une interprétation causale de ces résultats. Par ailleurs, certaines variables de contrôle (le milieu rural ou urbain, ou encore la polygamie du père) sont mesurées à la date de l’enquête, alors qu’il serait préférable d’avoir ces informations avant l’entrée de l’individu concerné sur le marché du travail. Enfin, les analyses ne permettent pas de conclure à des effets causaux de l’apprentissage sur le statut marital, les caractéristiques de l’épouse ou encore la mobilité professionnelle et le salaire. En effet, de nombreux facteurs qui ne sont pas observables (la « motivation », le « charisme », etc.) ou non renseignés dans l’enquête (accès à différents réseaux, familiaux ou autres dans le ménage d’origine) peuvent expliquer à la fois le fait d’entrer comme apprenti sur le marché du travail plutôt que sous un autre statut et les trajectoires matrimoniales et professionnelles futures.
Conclusion
36Cet article apporte un éclairage sur le phénomène très répandu, et pourtant peu documenté statistiquement, de l’apprentissage au Sénégal à partir de données d’enquêtes représentatives collectées en 2006. Ces données rétrospectives permettent de comparer l’insertion professionnelle de différentes cohortes : si les déterminants de l’entrée en apprentissage, au premier rang desquels la catégorie socioprofessionnelle du père et le niveau d’éducation, s’avèrent relativement stables au cours du temps, en revanche ce statut apparaît comme une porte d’entrée sur le marché du travail plus importante pour les jeunes générations.
37Les analyses menées dans cet article suggèrent que le statut au premier emploi n’est pas anodin : les trajectoires professionnelles, mais aussi matrimoniales des anciens apprentis diffèrent de celles de ceux qui sont entrés sur le marché du travail directement comme salariés. La nature des données utilisées (données en coupe) ne permet pas d’interpréter le lien entre statut au premier emploi et mariage ou emploi ultérieur mis en évidence de manière causale. La formulation de recommandations concernant les politiques d’éducation ou d’emploi est dès lors délicate. En revanche, une deuxième vague de collecte de données de l’enquête PSF a permis de constituer un panel d’individus : ces données bientôt disponibles nous permettront de poursuivre et d’enrichir l’analyse des trajectoires professionnelles des Sénégalais dont cet article constitue un point de départ.
Extrait du manuel de l’enquêteur PSF [DPS, 2006, p. 125-126]
38Question 5 : Quel était votre statut dans votre premier emploi ?
39Le statut dans la profession/l’emploi étant complexe et variable, vous devez vous efforcer de bien comprendre les concepts et définitions utilisés dans cette section, pour bien poser les questions, bien interpréter et enregistrer les réponses des personnes enquêtées. Nous vous présentons ici les plus couramment cités.
40L’employeur et l’indépendant possèdent chacun leur propre affaire, avec ou sans associé. Ils exploitent donc une entreprise, à leur propre compte. La différence entre l’employeur et l’indépendant c’est que le dernier n’emploie pas de salariés. Toutefois, dans le cas d’une entreprise familiale, ils peuvent, tous les deux, utiliser d’autres types de main-d’œuvre, à savoir, des aides familiaux, des apprentis et des stagiaires.
41Par définition, l’aide familial n’est pas rémunéré. Il aide son ménage ou un membre de son ménage dans l’activité que ce dernier exerce, sans recevoir en contrepartie un paiement régulier (salaire ou traitement) en argent ou en nature.
42Comme son nom l’indique, l’apprenti apprend un métier. Il peut percevoir de temps en temps de petits cadeaux ou, au contraire, payer son employeur pour apprendre le métier.
43Le stagiaire sort d’une école de formation ou de l’université et cherche à acquérir une expérience professionnelle dans une entreprise avec laquelle il ne signe pas de contrat. Il peut ou non percevoir une rémunération régulière en argent ou en nature. Dans le cadre de cette enquête, les stagiaires ci-dessus cités et les personnes qui suivent des stages de pré-embauche sont considérés comme des salariés s’ils sont payés. Les élèves ou étudiants qui n’ont pas terminé leur formation et qui suivent des stages dans des sociétés industrielles ou dans des banques, par exemple, sont considérés comme des salariés. En revanche, les stagiaires et apprentis non payés régulièrement seront classés dans la catégorie des aides familiaux.
44Le salarié est un employé qui travaille de façon continue, avec ou sans contrat, pour le compte d’un employeur public ou privé. En contrepartie, il reçoit comme paiement ou rémunération, un salaire ou un traitement, en espèces (argent) ou en nature ou les deux à la fois, généralement sur une base hebdomadaire ou mensuelle. S’il est rémunéré autrement qu’en argent, on dit qu’il est payé en nature. C’est le cas de certains travailleurs agricoles communément appelés « sourgha ». Le salarié peut être permanent (aucune durée déterminée n’a été fixée au préalable pour la fin de son contrat de travail), temporaire (la durée de son contrat de travail a été fixée à l’avance), saisonnier (son travail se fait seulement pendant une période déterminée de l’année ou saison) ou journalier (le travailleur est recruté et rémunéré au jour le jour). Toutefois, quelle que soit la nature de leur travail et quel que soit leur mode de paiement ou leur type de contrat, les salariés sont classés dans la même catégorie. Le tâcheron est un travailleur indépendant, mais il exerce son activité de façon ponctuelle, occasionnelle, et se déplace généralement pour chercher du travail ; il est payé à la tâche en argent ou en nature, à l’heure ou à la journée. À titre d’illustration, quelques exemples sont donnés ci-dessous :
- un fonctionnaire ou employé de banque payé chaque mois reçoit un salaire pour son travail ; il est salarié ;
- un employé de bureau qui est payé toutes les deux semaines reçoit un salaire pour son travail ; il est salarié ;
- un travailleur agricole qui reçoit une partie de la récolte et de la nourriture pour son travail au lieu d’argent bénéficie d’un paiement en nature ; il est salarié ;
- un ouvrier qui travaille dans le bâtiment est payé à la journée pour les tâches effectuées ; il est tâcheron, même s’il arrive à trouver du travail toute l’année ;
- un membre de la famille qui travaille dans une affaire tenue par ses parents sans recevoir de paiement est un aide familial non payé ;
- un cordonnier qui gère sa propre affaire de pantoufles (avec ou sans associé) est indépendant ou à son propre compte, même s’il se fixe un salaire dans l’affaire.
Notes
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[*]
PSL, université Paris-Dauphine, LEDa, DIAL UMR 225.
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[**]
PSL, université Paris-Dauphine, LEDa, DIAL UMR 225.
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[***]
Université Paris 1, IEDES UMR 201 IRD développement et sociétés.
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[1]
Voir Charmes [2002] pour un historique de la notion de secteur informel et la mouvance de sa définition.
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[2]
Pour d’autres contextes d’Afrique de l’Ouest, voir par exemple Calvès [2007].
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[3]
À ce titre, cet apprentissage est « formel » au sens où le statut d’apprenti est clairement identifié par l’apprenti lui-même et par son maître d’apprentissage. L’apprentissage est informel s’il correspond à un mode d’acquisition conscient ou inconscient de compétences de la part d’un travailleur, sur son lieu de travail, à travers l’exercice répété de son travail [Nordman, Pasquier-Doumer, 2012]. Dans cet article, nous nous intéressons à l’apprentissage « formel », même s’il a lieu dans un cadre informel.
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[4]
Au Bénin, au milieu des années 2000, le coût moyen de l’apprentissage varie entre 50 000 et 150 000 Fcfa (entre 75 et 225 euros) [Walther, 2008].
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[5]
Au Sénégal, la durée de l’apprentissage est très variable selon le métier appris. Dans le secteur du BTP, elle serait de deux à dix ans. Dans le secteur de l’automobile, la durée moyenne de formation est de 5 ans [Walther, 2008].
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[6]
L’enquête PSF a été conçue par Momar Sylla et Matar Gueye de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) du Sénégal, ainsi que Philippe de Vreyer (université de Paris Dauphine et IRD-DIAL), Sylvie Lambert (LEA-INRA et PSE) et Abla Safir (Banque mondiale). La collecte des données a été réalisée par l’ANSD, grâce au financement de l’IRDC (International Development Research Center).
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[7]
Il s’agit d’une unité géographique définie pour les besoins du recensement général de la population et de l’habitat. Elle contient entre 800 et 1 000 habitants et est constituée d’un ensemble de concessions et de ménages.
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[8]
Restreindre l’échantillon aux plus de 30 ans pour calculer l’âge moyen d’entrée en emploi en fonction du statut est justifié par le fait que parmi les plus de 30 ans, 95 % sont entrés sur le marché du travail avant 30 ans.
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[9]
Les données de l’enquête PSF ne permettent pas de connaître la localisation des individus au moment de leur entrée sur le marché du travail.
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[10]
Nous excluons de notre échantillon les individus nés entre 1990 et 2000, bien que le volet emploi ait été administré à tous les enquêtés âgés de 6 ans et plus. Il est important de noter que les modèles de durée tiennent compte de la censure, c’est-à-dire du fait que parmi les individus observés, certains, en particulier les plus jeunes, ne sont pas encore entrés sur le marché du travail. Dans une perspective de comparaison entre cohortes, il est plus pertinent de restreindre l’analyse aux cohortes moins affectées par la censure.
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[11]
Les coefficients très proches de zéro et très significatifs devant les indicatrices « père ne travaille pas », « père employeur », « père salarié privé non agricole », et « éducation secondaire » dans la deuxième colonne sont dus à la faible taille des cellules concernées et ne sont que peu robustes.
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[12]
Il s’agit ici de probabilités prédites par un modèle de durée à risques concurrents : ces pourcentages diffèrent donc de ceux présentés dans la section précédente, car d’une part le modèle tient compte de la censure, et d’autre part ces incidences cumulées ne représentent que la part prédite par le modèle. Les niveaux prédits pour chaque cohorte n’ont donc que peu d’intérêt économique, à la différence de la comparaison de ces incidences pour les différentes cohortes, qui est privilégiée ici.
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[13]
Étant donné la taille réduite de l’échantillon considéré, il n’est pas possible de mener une analyse multivariée afin de prendre en compte d’autres facteurs susceptibles d’affecter la mobilité professionnelle, tels que le lieu de résidence.
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[14]
Les tests de différence de salaire reposent sur un nombre d’observations limité (24 salariés initialement apprentis, 22 salariés initialement aides familiaux, 98 salariés ayant débuté sous ce même statut), mais sont statistiquement significatifs.
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[15]
On compte 32 indépendants/employeurs initialement apprentis, 68 indépendants/employeurs initialement aides familiaux, 112 indépendants/employeurs ayant débuté sous ce même statut.
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[16]
Résultats d’estimation du modèle de Cox non montrés, mais disponibles.
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[17]
L’entrée en union plus tardive des apprentis peut s’expliquer par le coût financier que représente le mariage au Sénégal. D’après les données PSF (échantillon des femmes âgées de 15 à 40 ans, mariées à la date de l’enquête), 76 % des unions se sont accompagnées d’un versement de la famille du garçon vers la famille de la fille (« la compensation »). Le montant moyen de ce versement est de 1 017 000 francs CFA. Pour 54 % des unions, un second type de versement « le cadeau » est observé : d’un montant moyen de 777 000 francs CFA, il est remis directement à la fille par son prétendant.