Introduction
1Les recherches sur le métier d’assistante sociale [1] se sont souvent concentrées, à la frontière entre littérature professionnelle et scientifique, sur les divers secteurs d’emploi et le rapport avec les « usagers » (Serre, 2009 ; Gaspar, 2012), et plus globalement sur les changements institutionnels du curriculum ou du groupe professionnel (Morand, 1992 ; Molina, 2015). D’autres recherches en sciences sociales portant sur les formations professionnelles se sont attachées à comprendre ce qui se passe « sur le tas » (Malochet, 2004), notamment dans les stages, rituel initiatique par excellence qui constitue, par son rapport avec le terrain, le moment d’inculcation de l’ordre social (Brucy, 2013). Certaines recherches montrent comment les valeurs qui sous-tendent les dilemmes que les étudiantes peuvent retrouver sur le terrain ou une fois en poste dépendent souvent de négociations propres à la pratique ordinaire et aux socialisations des professionnels (Paillet, 2007). Dans la continuité d’autres études (Bouron, 2014a ; Queré 2015) et en adoptant une perspective au croisement de la sociologie de l’éducation et de la sociologie des groupes professionnels, il s’agit ici de s’intéresser à ce qui se passe au sein de la formation, en prenant comme objet d’étude les savoirs qui y sont transmis, dans le but d’appréhender de quelles manières ceux-ci participent à la construction du métier. Plus particulièrement, en s’appuyant sur une enquête menée en France et en Italie, l’objectif est de comprendre le rôle de l’institution et ses effets sur la socialisation étudiante, en interrogeant les curricula en service social, c’est-à-dire « ce qui est censé être enseigné et appris » en école (Forquin, 2008, p. 8) [2].
2Le métier d’assistante sociale constitue, en France comme en Italie, une activité centrée autour de la prise en charge, l’accompagnement et l’orientation de publics (principalement populaires) dans des secteurs assez hétérogènes (insertion à l’emploi, accompagnement familial, économique et budgétaire, situation de dépendance et handicap, etc.). Si le métier n’est pas exactement le même selon les configurations nationales, on y retrouve néanmoins quelques traits communs : une même maîtrise bureaucratique individuelle et collective, fondée sur une activité administrative (remplissage de tableaux, modules, élaboration d’écrits spécifiques), d’échange avec un public (entretiens et visites à domicile) et avec d’autres professionnels (réunions pluri-professionnelles avec des médecins, des psychologues ou d’autres professionnels de l’action médico-sociale). De même, on retrouve, dans les deux pays, des similarités dans la formation initiale, que cela concerne les matrices socioculturelles de référence (patronales, réformatrices, catholiques sociales) ou le modèle de construction du curriculum : trois ans de cursus post-bac, pluridisciplinaire et en alternance entre école et stage, regroupant un public étudiant majoritairement féminin, permettent d’aboutir à un concours. Dans les deux pays, le moment de la formation demeure ainsi le passage obligé pour consacrer l’entrée dans le métier. Cet article a pour objectif de se pencher sur ce passage en école, qui se situe à la jonction des savoirs professionnels – entendus ici dans leur sens ordinaire de pratiques pédagogiques et organisationnelles (Bourdoncle et Demailly, 1998) – et des apprentissages étudiants.
3L’entrée dans les cursus des deux pays participe d’un travail de façonnage institutionnel qui se poursuit tout au long de la formation. Si l’apprentissage des codes professionnels caractérise toute formation professionnelle, les modalités de cet apprentissage ne se reproduisent pas toujours de la même façon. Contrairement aux classes préparatoires militaires françaises où l’accent est mis fortement sur l’entre-soi, via l’internat, et sur la future entrée dans une formation académique supérieure (Coton, 2017), le début de la formation en service social se veut une première entrée dans le corps professionnel des assistantes sociales. Dès les premiers jours, l’accent est mis sur une « mise à distance de l’ordre scolaire » (Bodin, 2008, p. 206) et sur l’insertion professionnelle future – le devenir AS – que ce soit en Italie ou en France. Or cette « séquence école » est souvent sous-estimée et dévalorisée par les étudiantes [3], tout comme par des nombreuses professionnelles en poste, au profit du temps passé sur le terrain. Cette caractéristique n’est pas une prérogative des formations du travail social (Gaspar, 2008) ; ce discours visant à discréditer les savoirs enseignés en école est globalement transversal à toute formation professionnelle, comme le montrent plusieurs travaux sur des formations, en haut comme en bas de l’échelle sociale (Becker et al., 1992 ; Eymeri, 2001 ; Abraham, 2007 ; Deauvieau, 2009 ; Bouron, 2014a).
4Pour autant, et à la différence d’autres formations professionnelles, tout en dévalorisant les savoirs enseignés en école face à l’aspect professionnel, la majorité des étudiantes tendent à reconnaître le principe de la formation. Les distinctions avec les activités bénévoles (« nous, on a une formation ») sont également de plus en plus fréquentes au fur et à mesure du déroulement de la formation. De même, les étudiantes en service social passent la moitié de leur temps – voire plus de la moitié dans le cas italien – en formation. Quels types de savoirs sont véhiculés dans ces formations ? Sur quoi se concentrent les enseignements professionnels ? Les étudiants ne devenant pas automatiquement ce que les centres de formation veulent qu’ils deviennent (Becker et al., 1992), comment ceux-ci se conforment-ils à la culture professionnelle portée par ces formations ? Pour ce faire, l’article se concentrera sur le contenu de ces formations, pour observer comment se construit, dans la pratique pédagogique, le métier. En prenant le cas des curricula en service social, il s’agit d’approfondir la réflexion entre formation initiale et formation professionnelle continue, entre enseignement et formation, entre savoirs et compétences (Ropé et Tanguy, 1994), pour appréhender comment les savoir-faire étudiants se couplent, et participent, à la construction même d’un curriculum. Une approche en termes de socialisation institutionnelle « en train de se faire » (Darmon, 2013) [4] nous semble opportune pour approfondir le rôle de l’institution sur ses membres.
5Fondée sur une enquête de terrain réalisée entre 2012 et 2016 sur plusieurs structures des deux pays dans le cadre d’une recherche doctorale en sociologie (cf. encadré méthodologique), l’analyse des enseignements professionnels en service social implique toutefois d’évoquer l’espace de formation dans les deux pays avant de se pencher, dans un premier temps, sur les enseignements assurés au moment de l’entrée en formation. Ensuite, en portant notre intérêt sur les cours à visée professionnelle et en particulier sur les enseignements qui visent la pratique et le « positionnement » [5] professionnel, il s’agit de comprendre la manière dont ceux-ci participent d’un processus de socialisation pré-professionnelle qui implique de mettre en jeu les valeurs liées aux représentations individuelles des étudiantes, de travailler leur « personnalité », de naturaliser certaines dispositions interactionnelles. Se distanciant de structures nationales données comme a priori, aborder cet objet de manière « croisée » et transversale sur deux pays permet d’observer les déclinaisons du curriculum, au-delà des « modèles » nationaux. S’il ne s’agit pas de nier les effets structurants des sociétés nationales, il demeure important de pousser plus loin la perspective comparative pour comprendre l’enchevêtrement qui se produit entre dimensions objectives et représentations subjectives dans la socialisation en service social. Cela permet de voir comment ces contenus de formation participent de la construction d’une pratique pédagogique destinée à produire des professionnelles « conformes » à une cohérence biographique et à une morale professionnelle singulière.
Encadré méthodologique
Les décalages dans la consécration au service social : une entrée « désorientée » ?
6Si cette formation se structure à deux moments historiques différents en France et en Italie [6], elle a été initialement construite avec une organisation similaire : des cursus de trois ans dans des écoles professionnelles organisées sur base régionale, fondés sur la reproduction par des pair(e)s assistantes sociales. Pour autant, les années 1990 et 2000 ont amené une évolution dans la structure des curricula des deux pays, à la suite des récentes politiques européennes de l’enseignement supérieur et de l’action sociale (Musselin, 2008). Les écoles italiennes ont progressivement intégré l’organisation universitaire dans le cadre de réformes dites de « professionnalisation » de l’enseignement supérieur et voient aujourd’hui le déroulement d’une licence en service social au sein de filières universitaires de sciences humaines et sociales. Le curriculum français, tout en maintenant son organisation principalement dans le cadre d’écoles à l’échelle régionale (et dans une moindre mesure dans des départements « carrières sociales » des IUT), a été progressivement reformé sous une logique de « référentiels de compétence » (Maillard, 2003), tout en cherchant à intégrer une reconnaissance universitaire dans la suite de récentes politiques de l’enseignement supérieur (Iori, 2017 [7]). Ces changements dans l’organisation institutionnelle renvoient également à des différences dans la sélection du public étudiant.
7Ces instituts de formation en service social ne recrutent pas « n’importe qui » mais bien des profils répondant à des caractéristiques socio-scolaires précises [8] et relevant des espaces de formation nationaux. Si on ne fera pas ici une analyse fine des modes de sélection de leur public [9], il est important néanmoins de les évoquer. Les instituts de formation français, tout en se positionnant de manière différente dans la hiérarchie symbolique scolaire et professionnelle, que ce soit le passage par la grande porte (les écoles régionales centenaires ou les Instituts régionaux de Travail Social – IRTS) ou la petite porte (les IUT ou les écoles publiques), opèrent un repérage de caractéristiques scolaires et sociales particulières, peu explicitées comme pré-requis. La « personnalité » des étudiantes est recherchée par les recruteurs des écoles, se concentrant sur des « signes vocationnels » (Bodin, 2009a) et sur une « curiosité » particulière (Iori, 2016). Dans le cas italien, les critères d’évaluation autour de la « personnalité » étaient fortement répandus dans les écoles régionales jusqu’aux années 1990. Concomitamment à la sélection en centre de formation régional français, ces évaluations s’appuyaient notamment sur plusieurs questionnaires empruntés à la psychologie. Ces évaluations étaient vouées à sélectionner des candidates en fonction des leurs capacités « cognitives et relationnelles », à partir de leurs aptitudes et d’un registre vocationnel (Bernocchi et al., 1984). L’universitarisation de la formation a eu pour conséquence l’abandon de ces modalités d’évaluation, en procédant à une progressive scolarisation du curriculum. Dans les deux cas, ces moments de sélection constituent une première étape de consécration par l’institution en participant au repérage de dispositions sociales particulières au futur métier.
8Au début de la première année, les centres de formation mettent en place un ensemble de dispositifs pédagogiques dédiés à l’entrée dans l’institution et centrés autour de la « personnalité » étudiante. L’objectif est d’amener l’étudiante à un recul sur soi, à une auto-évaluation, à se conformer au rôle tout en prenant de la distance. Ces moments participent d’une volonté de désorienter l’étudiant, de le conformer à une certaine « pratique réflexive » [10], d’une manière similaire à ce qui se produit dans des formations pour adultes ou pour les futurs professeurs des écoles (Morel, 2014, pp. 80-81).
L’entrée en école française : l’intériorisation d’une filiation professionnelle
9En France, l’organisation de la formation autour de « domaines de compétences » (DC) rend difficile au premier abord la compréhension du poids effectif des matières « théoriques » et « pratiques » en son sein. On peut cependant chercher à comprendre la visée pédagogique du cursus. Dès l’entrée en formation, l’école régionale française met l’accent sur la « personnalité » étudiante en mettant en place de nouveaux dispositifs afin de socialiser les étudiantes au « nouveau » groupe que constitue leur promotion à l’école. Ce faisant, l’école socialise au corps professionnel du service social. Lors de l’entrée en première année, l’équipe pédagogique décide de mettre en place un dispositif spécifique d’ « initiation » au service social. Ces cours introductifs sont voués à développer le « doute » chez l’étudiante entrante, le « questionnement de soi », initiant un travail sur les perspectives professionnelles.
Le premier jour de la formation de première année, les étudiantes se retrouvent toutes devant l’école et sont invitées à prendre place dans l’amphi général. Sur la scène, les étudiantes de deuxième année (« déguisées » en formatrices) évoquent une nouvelle sélection et, en lisant les noms sur une liste, demandent à une partie des étudiantes mentionnées de quitter l’amphi (celles-ci aussi sont des étudiantes de deuxième année). Dans un climat de résistance de certaines et de regards mutuels pour les autres qui restent assises, les formatrices présentent le programme des futurs trois ans : les cours de droit de la famille « où il faut avoir 14 de moyenne et avec des rattrapages le samedi matin », les cours de « sport au XXIe siècle », les cours de « roumain et arabe obligatoires », les cours d’intervention à domicile « où il faut apprendre à bricoler, l’hygiène, et avec une attention particulière à la culture africaine », la dissert’ d’introduction « où il faut expliquer les bases constitutionnelles des différentes politiques sociales ». Les étudiantes dans le public restent au premier abord très étonnées, prennent des notes et posent des questions concrètes sur les cours. Les « formatrices » lancent alors la musique, se mettent à danser sur la scène et dévoilent la représentation aux étudiantes, en les invitant à monter à l’étage au-dessus pour un goûter d’accueil, installé entre-temps, où des parrains et des marraines seront assignés à chaque nouvelle étudiante. [JDT, septembre 2013]
11Ce « bizutage » particulier, co-organisé par une des enseignantes avec les étudiantes de deuxième année, se reproduit chaque début d’année. Or il demeure intéressant de rappeler comment, sur le ton du jeu et de la moquerie, les éléments évoqués dans ce dispositif participent à véhiculer une certaine représentation de la formation et du travail social.
12Tout d’abord, les cours « un samedi matin », le maintien d’une moyenne élevée, le sport, le droit de la famille, la dissert’, les langues étrangères, sont évoqués dans un but de se distancier d’un « sérieux » scolaire. Ces dispositifs contribuent à montrer la volonté de l’école de générer un « nouveau départ », c’est-à-dire une entrée en école qui s’éloigne de codes « classiques » d’une formation initiale supérieure et d’une culture relevant de la forme scolaire. Inversement, on peut interpréter ce dispositif comme un moment surtout adressé à la formation des étudiantes de deuxième année qui, en interprétant l’exercice sur scène, montrent les premiers effets de la socialisation institutionnelle en école. Disposant d’un budget donné par l’école (environ 80 euros), les étudiantes sont censées développer leur « imaginaire » à partir de la consigne qui consiste à « simuler un petit examen d’entrée pour environ 30 minutes » et mettre en avant leur autonomie tout en restant sous le contrôle de la formatrice et « dans les cadres » de la formation. Or cet « imaginaire » reproduit une vision spécifique du métier. L’accent sur la culture africaine, l’hygiène, le bricolage, l’arabe ou le roumain, participent néanmoins à véhiculer (en stigmatisant et racialisant, sans trop s’en distancier) les stéréotypes de genre, de classe et de race sur les populations auprès desquelles les assistantes sociales sont censées travailler. Tout en confirmant les études sociologiques sur la standardisation de l’encadrement des professionnelles une fois en poste et la distance entre travailleurs sociaux et leurs publics (Cardi, 2007 ; Serre, 2009), ce « bizutage » concourt moins à produire une désorientation qu’à diffuser des premières représentations stéréotypées du métier. Néanmoins, ce dispositif initiatique ne remplit pas toujours les résultats attendus et génère souvent un décalage entre les étudiantes présentes dans le public. Des étudiantes réagissent, demandant d’arrêter « ce n’importe quoi et de présenter la vraie équipe pédagogique » ; si des étudiantes affirment « y avoir cru », la plupart des étudiantes interviewées trouvent cela « peu réussi » ou « ridicule » pour un cursus de l’enseignement supérieur ; de même les « parrains et marraines », étudiants de deuxième année censés les accompagner tout au long de la formation, ne donnent souvent pas suite à cette journée.
13Après ce moment d’entrée, les quatre premières semaines de formation sont dédiées à l’initiation au service social, qui s’inscrit dans le cadre d’une « pédagogie de la réussite » revendiquée par le centre de formation. Tout d’abord un « colloque introductif » – floutant les frontières entre monde professionnel et monde académique – questionne les représentations et les images du service social. Ensuite, l’intervention d’une ancienne directrice de l’école, elle-même assistante sociale « témoin », fait le lien avec les évolutions historiques du métier. AS et formatrice à la retraite ayant poursuivi une carrière en politique, cette intervenante questionne tout particulièrement le « rôle politique » de l’assistante sociale dans un contexte de remise en question de l’État social. Elle a l’objectif d’inscrire les étudiantes dans les valeurs du travail social et dans l’histoire longue de la profession à travers plusieurs formules reprenant la rhétorique professionnelle : « on naît ASS et on meurt ASS » ; « on peut faire ASS que si on a vraiment envie » ; « il faut être soi ; il faut avoir envie de s’occuper des autres ; il faut avoir le sens de la solidarité ; il faut aimer les gens ». Cette présentation, tout comme d’autre part la suite, sert à construire la légitimité « théorique » de cet institut de formation, à en redorer l’image pour se positionner dans l’espace des écoles en service social en particulier et du supérieur en général. Dans la suite de ce « colloque », les étudiantes sont réunies dans des ateliers où, à l’aide de journaux, revues, colle et ciseaux, elles retravaillent leur « image » du travail social. L’initiation se poursuit avec une semaine dédiée intégralement à des « ateliers artistiques » où les étudiantes sont invitées à s’inscrire dans des activités de mime, de slam, de conte, de théâtre, de danse et d’improvisation. Ces exercices s’inscrivent dans le cadre du « domaine de compétence sur la communication » (DC n° 3) et, parallèlement aux objectifs purement professionnels du diplôme d’État, ont comme but la recherche de « potentialités » des étudiantes et visent – selon la fiche de présentation – la « découverte des autres et de soi en milieu inhabituel et inattendu ».
14Ces activités, tout comme le stage de première année, sont ensuite accompagnées par un cours de « philosophie », organisé par un formateur psychologue, cette discipline étant destinée à introduire et développer la réflexion sur « la rencontre avec l’Autre ». Selon les formateurs et dans la continuité du projet de l’école, ces ateliers contribuent à s’approprier des « savoirs expérientiels », à découvrir les « potentialités personnelles » de chaque étudiante, à « appréhender le goût d’entreprendre ». La « validation » de ces activités est marquée par le rendu d’un « écrit expérientiel », voué à articuler future activité professionnelle et vécu personnel. Or il ne s’agit pas uniquement d’un ensemble de représentations propres à une école particulière. On retrouve également des similarités dans les discours véhiculés dans l’université privée italienne, qui expérimente depuis quelques années des nouvelles modalités pédagogiques qui guident l’orientation des étudiantes à l’entrée de la formation.
« Se déstructurer pour se ressaisir » [11] : l’atelier d’orientation dans le cursus italien en service social
15Dans le cas de l’université privée italienne, on retrouve le même accent mis sur la « personnalité » des étudiantes. Or, contrairement à l’école française, cela n’est pas développé dans des cours à l’entrée de la formation mais dans un atelier spécifique qui se poursuit tout au long de la première année et qui a pour objectif de préparer le stage court lors du second semestre (75 heures). Parallèlement aux autres cours de la première année (méthodologie du service social, droit public, micro-économie, médecine sociale, psychologie du développement et sociologie générale), l’attention se porte essentiellement sur la « réflexivité » étudiante, l’atelier occupant environ 1/5 du volume horaire total de l’année (60 h). Ce cours se veut « propédeutique » au passage en deuxième année, « comme un processus de voyage » qui se maintient tout au long de la première année et accompagne l’expérience d’entrée sur le terrain. Lors de celle-ci, les étudiantes sont amenées à construire, de manière bénévole, un projet dans leurs territoires d’origine et chercher ce que les enseignantes nomment la « rencontre avec le besoin ». Cette première épreuve professionnelle est dès lors portée par l’équipe pédagogique comme une « expérience cathartique » de « connaissance de soi » qui aboutit à la fin de l’année à un « écrit expérientiel » et à une fiche d’auto-évaluation qui constituent la validation de l’atelier.
16Chaque semaine, dès le début de l’année, l’équipe pédagogique [12] réunit les étudiantes en trois sous-groupes, assises en cercle. Après chaque séance, trois étudiantes se chargent d’un procès-verbal de la séance. De semaine en semaine, plusieurs devoirs à rendre sur leurs expériences, leurs motivations, leurs activités extrascolaires et leurs émotions, articulent le déroulement du semestre. Un entretien individuel est organisé dès le début de la formation pour voir « si quelqu’un n’y arrive pas, pour réfléchir ensemble sur les motivations, pas pour sélectionner mais pour accompagner deux trois personnes qui sont en difficulté ». Un journal intime collectif doit également circuler entre les étudiantes tout au long des deux semestres, où celles-ci peuvent écrire une chanson, un dessin, une poésie, mettre une photo personnelle ou ramener des éléments en lien avec leur motivation.
Réunion au début du semestre entre les responsables du laboratoire, une des deux responsables revient sur l’objectif de l’atelier :
Margherita : …C’est notre devoir en tant que professionnelles AS, je préfère voir les étudiants en difficulté dès le départ, en créant des espaces d’écoute, quand les contenus ne sont pas en lien ou qu’ils ont des parcours de vie particuliers. [Notre] responsabilité est de leur communiquer ce que nous on pense !
Laura : Cela ne doit pas être une surprise pour l’étudiante d’arriver au second semestre avec des doutes. Penser dès le départ à freiner quelqu’un, cela a l’air d’une chose énorme mais en fait cela facilite la relation. [En s’adressant aux autres] Est-ce que des difficultés ont déjà émergé ? La perception du groupe elle est comment dans vos groupes ? […]
Giulia : Je suis un peu préoccupée par quelques traits de personnalité, il y en a de plus susceptibles. Une fille, plus problématique, est sortie en larmes du visionnage du film [sur les violences domestiques], confuse, elle tremblait, elle a eu une crise d’anxiété. Elle veut en parler – elle a des problèmes en famille – mais elle n’en a pas envie au sein du groupe. Une fille a dû la raccompagner chez elle. J’ai envoyé un mail pour savoir comment elle allait et elle n’a pas répondu. Et vendredi dernier en cours elle n’a pas réagi. Même au sein du groupe elle est très fragile, on voit qu’émotivement ça lui déclenche tout un tas de choses… Les yeux brillent et elle a les larmes aux yeux quand elle prend la parole. Il y a le risque d’explosion, d’éclater en mille morceaux. Ensuite se recomposer sera très difficile.
[JDT, octobre 2014]
18Ces ateliers sont également accompagnés d’un cours supplémentaire en petit groupe davantage centré sur les « émotions » (20 h) qui a comme objectif – selon la fiche du cours – de « comprendre la connexion entre le choix académique effectué et les caractéristiques personnelles ». De même, lors du cours introductif de l’année, le responsable de la filière insiste sur le fait que cet atelier implique « un changement personnel, sans devoir se projeter sur les autres mais en se retournant vers soi-même ».
19Ce travail sur l’intime vise globalement à questionner les étudiantes sur leur vécu, « pour se déstructurer et se ressaisir avec des morceaux plus enrichis », comme nous dit Margherita, intervenante coresponsable de l’atelier. Tout en reproduisant une dimension genrée (les pleurs, la fragilité, le possible « éclatement »), cet atelier contribue à mettre l’accent sur le suivi de la « personnalité » étudiante, moins que sur la transmission de connaissances purement académiques. Les intervenantes expriment de l’inquiétude pour le bien-être psychologique des étudiantes en formation. La proximité avec les étudiantes est recherchée, facilitée par le jeune âge de l’équipe pédagogique par rapport aux autres enseignants universitaires, par le fait d’être de futurs pairs assistantes sociales, par le tutoiement ou par leur écoute tout au long de l’année.
20Issu de méthodes développées dans le milieu psychologique et socio-éducatif et en particulier au sein des groupes d’entraide mutuelle [13], ce dispositif amène ces jeunes professionnelles à opérer un double rôle, à passer de la casquette d’enseignante à celle d’assistante sociale : l’objectif est de repérer les difficultés, avec pour but la volonté de convaincre les étudiantes du choix d’études effectué, de leur faire travailler leur introspection et de les conformer progressivement aux demandes de l’institution. Dans le cas de l’étudiante au bord de « l’explosion » évoquée dans la réunion, Margherita décide de l’« arrêter » au bout de la première année, suite notamment au fait qu’elle a effectivement « explosé » devant les autres étudiantes. La décision de la faire redoubler est justifiée par la formatrice par le fait qu’elle a éclaté, dans le sens qu’elle n’a pas su « tenir » ses contradictions (Gaspar, 2012). Selon Margherita :
Elle n’a pas vécu « pleinement l’expérience de l’atelier pour surmonter ses dynamiques, pour regarder les traumas qu’elle s’est laissés derrière, c’est une opportunité qu’on donne aux étudiants ! […] Il faut tenir compte aussi de l’aspect cognitif de la personne. […] Il s’agit de pousser les étudiants à rentrer en relation avec eux-mêmes et avec leur parcours, [d’évaluer] leur production écrite, leur capacité réflexive et leur capacité d’organisation. […] L’idée de base est “Je pars du Moi, pour arriver au Nous et revenir au Moi” ! » [Margherita, coresponsable de l’atelier]
22Pour autant, les capacités interactionnelles, tout comme les compétences scolaires, ne sont pas déconnectées des appartenances proprement sociales : une certaine « aisance » à intervenir en groupe, une certaine « posture », une « facilité » à se remettre en discussion ne sont pas distribuées de manière égale parmi les étudiantes. Une des enseignantes s’étonne lors de la réunion d’« un manque de maturité, il y a une division entre celles qui viennent d’un bac technologique et d’un bac général, on le voit ! ». En guise d’exemple, on peut prendre le cas de Carlotta. Étudiante fortement dotée [14] en ressources, elle obtient des bons commentaires lors de l’atelier de la première année. Ses interventions sont appréciées à plusieurs reprises par les enseignantes responsables contrairement à d’autres étudiantes mettant en avant une posture moins attentive à la formation et davantage issues d’origines populaires. C’est notamment le cas de Maria [15], surnommée (en off) par les enseignantes Lady Gaga, pour sa tenue vestimentaire très décontractée. Face à Carlotta, jeune fille habillée dans un style plutôt conforme à celui de ses camarades et aux codes vestimentaires universitaires dominants (pull monocolore, jeans, baskets, manteau en laine, sac en toile) et qui affiche une élégance et une allure propre aux classes supérieures, Maria porte des vêtements sportifs très colorés et affiche des bijoux, du maquillage et une coiffure originale (suivant une certaine « mode »). Cet habillement plus « tape-à-l’œil » l’amène à être remarquée dans la promo et considérée « vulgaire » et « superficielle » dans certains commentaires des autres étudiantes, soulignant un certain mépris pour des codes populaires de l’esthétique féminine. De même, lors de ces ateliers, elle reçoit quelques allusions par les enseignantes, lui expliquant l’importance d’une tenue vestimentaire plus « sobre » lors des examens et des entretiens d’accueil une fois en stage. Ces remarques, tout comme le surnom donné par les enseignantes, mettent en avant une dévalorisation progressive qui passe par une conformité aux codes des classes moyennes et montrent comment le futur métier s’inscrit aussi dans une certaine présence corporelle et de classe (Skeggs, 2015).
23Le décalage entre ces deux étudiantes est renforcé également par les différences d’évaluation, l’une étant considérée comme plus engagée dans le dispositif et l’autre plus en retrait. Carlotta souligne elle-même cette distance avec une minorité d’élèves s’habillant de manière « trop voyante » ou choisissant ce travail car « tu trouves un emploi public ; tu as ton salaire et tu es contente comme ça… Moi, je n’ai pas l’ambition de travailler à mi-temps à la mairie ! » Le genre et la classe se combinent dans les présentations d’elles-mêmes de ces étudiantes et dans leur perception par les enseignantes : l’une dans le respect, l’autre dans la subversion des codes de l’institut de formation, et ce d’autant plus que le cadre universitaire privé italien marque une forte attention au style vestimentaire. Ce dispositif, tout en affichant une volonté d’inclusion et de prise en compte de la « personnalité » étudiante, valorise un ethos et une hexis particuliers qui participent par là d’une disqualification progressive des étudiantes issues de classes populaires. De fait, il met progressivement à l’écart des individus plus fragiles, moins dotés en dispositions sociales favorisant l’expression orale et son aisance, moins « engagés » dans la dynamique collective du groupe et plus à la recherche d’un « titre » universitaire [16].
24Dans le cas italien et dans le cas français évoqué supra, il s’agit bien à travers ces appréciations d’évaluer les étudiantes autant sur le plan scolaire que sur le plan « personnel ». Cette recherche de « réflexivité » va de pair avec l’instauration d’un lexique particulier, distinct du vocabulaire classique universitaire, et d’une organisation pédagogique spécifique. Les enseignantes françaises sont ainsi des « formatrices », les enseignantes italiennes des « facilitatrices », ni les unes ni les autres des « professeures » ou des « enseignantes », en s’inscrivant par là dans le sillage d’une approche par « compétence » et dans l’idée d’un étudiant « acteur de soi-même » (Tralongo, 2008 ; Neyrat, 2013). Ces dispositifs adhèrent à une méthodologie qui se base sur la « pédagogie de la réussite », sur le « réseau relationnel » et sur une « logique d’empowerment », dans le but de « rencontrer la personne dans sa dimension du besoin et comme ressource » et de développer le « savoir expérientiel », ou encore d’« expérimenter l’apprentissage à travers l’expérience ». De même, les cours, largement issus de méthodes de la formation professionnelle pour adultes, débutent souvent dans les deux pays par des présentations croisées ; les étudiantes sont amenées à présenter leurs voisines à l’enseignante, en mettant en avant des éléments de leur trajectoire scolaire, professionnelle et personnelle, ainsi que la projection dans l’avenir (notamment liée à l’assistante sociale en devenir), les intérêts de la vie privée, les moments plus importants et plus difficiles vécus en formation. Des supports sont également utilisés durant les différentes séances et peuvent accompagner le déroulement : des cahiers communs aux groupes, des portfolios où les étudiantes sont amenées à se présenter en tant que « bonnes professionnelles », des comptes rendus rédigés par une étudiante choisie à chaque séance comme secrétaire, ou encore des fiches d’« identité » des étudiantes. La rhétorique réutilisée devant chaque nouveau groupe est celle d’un nouveau départ, la relation « empathique » avec l’étudiante est alors recherchée et explicitée par les responsables, visant à transformer son « destin professionnel ».
25Parallèlement à une introduction aux valeurs de la profession, ces moments d’initiation ont pour objectif de commencer à faire incorporer un certain ordre de croyances (Hubert et Mauss, 1902-1903) propres au service social, soutenu par un partage des pratiques communes d’intégration qui a pour but de favoriser la cohésion étudiante et de construire une cohérence biographique à l’entrée dans le social. En mettant au centre la « personnalité », ces dispositifs conduisent à produire une hiérarchie des étudiantes fondées sur leurs maîtrises des codes culturels et de l’hexis corporelle de l’institution. Dans le cas italien, tout comme dans le cas français, ils visent en large partie à produire un « travail sur soi » (Darmon, 2013, pp. 257-262) dans le but d’amener les étudiantes à réfléchir sur elles et, en même temps, à travailler leur place au sein d’un groupe. L’objectif de ces cursus est alors d’inciter les étudiantes entrantes à s’approprier le service social en fonction de leurs ressentis en anticipation des situations professionnelles auxquelles elles seront confrontées, en mettant davantage l’accent sur des caractéristiques individuelles que sur des connaissances disciplinaires ou sur le travail professionnel en tant que tel. En portant l’accent sur la « personnalité », la formation contribue à flouter la distance entre apprentissage universitaire et formation professionnelle, entre plan scolaire et plan personnel. Cette dimension se poursuit tout au long de la formation et constitue au fur et à mesure un élément central du travail socialisateur du curriculum en service social. Ce travail de formation par la « personnalité » participe ainsi du travail de construction de la « vocation » étudiante, par un « enjolivement » des trajectoires. Il contribue également, par des tentatives de formalisation pédagogique, à mettre en avant la doxa professionnelle, fondée sur la singularisation de l’action sociale.
Des ordres pédagogiques en tension entre formalisation et travail sur soi
26Contrairement à d’autres métiers du médico-social [17], l’assistante sociale dispose en France comme en Italie d’un code de déontologie [18] qui évoque la nécessité du secret professionnel, la responsabilité vis-à-vis de l’usager, de la société, de l’organisme employeur, des autres figures professionnelles, de la profession, de l’éthique et de la « juste distance » à avoir, dans le cadre d’un impératif de « neutralité » (Serre, 2009). L’assistante sociale doit alors être « au service de la personne humaine dans la société », avec une « autonomie technique et professionnelle » dans une « approche globale » et doit contribuer au « développement des potentialités de chacun en le rendant acteur de son propre changement » [19]. Dans les deux pays, ces compétences se construisent autour d’un apprentissage de l’éthique, de la déontologie, d’une posture professionnelle spécifique. Lors de la deuxième année de formation, l’école régionale française introduit des cours de groupe d’analyse de la pratique professionnelle (GAP) et des ateliers de construction et d’élaboration du positionnement professionnel (ACEPP). L’université italienne développe quant à elle des ateliers de « suivi du stage » (guida al tirocinio). Ces enseignements sont accompagnés par un personnel enseignant composé en large partie par des professionnelles assistantes sociales aux statuts divers (vacataires, titulaires ou formatrices) et exerçant dans différentes structures de l’action sociale. Ces dispositifs ont comme objectif d’introduire les étudiantes à la morale professionnelle et peuvent concerner des épreuves spécifiques présentes lors du diplôme final. Ils contribuent à souligner les caractéristiques prescrites et celles proscrites dans l’exercice du métier, en participant alors d’une mise en œuvre de « stratégies d’action », favorisant un « rapport pratique » aux choses (Abraham, 2007, p. 52).
27Cette « morale professionnelle » est véhiculée dans des modules insérés dans des cours de philosophie ou de psychologie, et dans le cadre de séminaires de suivi du stage ou d’« analyse de la pratique ». D’après Ion et Ravon, ces groupes d’« analyse de la pratique » sont issus de deux psychanalystes Enid et Michael Balint. Ils ne sont pas pour autant vécus comme des lieux thérapeutiques pour les participants mais comme des « lieux de transformation de leurs aptitudes professionnelles, par une meilleure compréhension psychologique d’eux-mêmes ainsi que de la situation relationnelle dans laquelle ils sont impliqués » (Ion et Ravon, 2012, pp. 94-95). Les références de ces cours sont plurielles mais similaires en France et en Italie : on y retrouve principalement Emmanuel Kant, Paul Ricœur, Emmanuel Levinas ou Edgar Morin. La psychologie et la psychanalyse sont également introduites par des auteurs tels que Françoise Dolto, Donald Winnicott, Carl Rogers, Jacques Lacan et Roger Mucchielli. Selon les enseignants qui assurent ces cours, ces références permettent d’appuyer la morale professionnelle de l’usager, acteur de son développement et « pris en charge » par soi-même. De même, ces références contribuent à la construction de la « professionnalité » et de l’expertise à revendiquer une fois en poste (Garcia, 2014). Or il est important de ne pas considérer ces « savoirs psys » comme quelque chose d’homogène, mais plutôt comme une marque historique et spécifique du service social, comme des savoirs facilement applicables et suscitant une réappropriation facile par les enseignantes et les étudiantes. D’autres recherches montrent d’ailleurs comment les définitions de l’éthique varient selon les dispositifs de formation (Bouron, 2014b). Si on retrouve des désaccords et des éclatements autour de l’objectivité au sein du « monde psy », on identifie néanmoins dans les différents dispositifs, présents aussi chez d’autres professionnels du social (Arnal, 2016), le partage d’un positionnement voué à l’« autonomie » des individus (Dodier et Rabeharisoa, 2006).
Les tentatives de standardisation des techniques professionnelles
28Dans les deux pays, ces cursus jonglent entre des enseignements généralistes et des enseignements sur la posture professionnelle, en floutant souvent les frontières entre les deux. Les premiers sont dédiés à l’enseignement de la psychologie, de la sociologie, de la philosophie et de la médecine. Or ces cours restent souvent à l’écart de la formation et s’harmonisent souvent aux attentes professionnelles, partageant globalement une approche « normative » de la réalité sociale et jouant le rôle de connaissances orientées à visée pratique. Parallèlement, la posture professionnelle peut être enseignée de manière très formelle. Contrairement à d’autres métiers du secteur médico-social (aides-soignantes, assistantes maternelles, éducateurs), ces techniques ne s’axent pas simplement sur des savoir-faire variés mais sur des techniques spécifiques enseignées tout au long des trois ans. Les enseignantes mettent en place des jeux de rôle (role playing) visant à reproduire des situations professionnelles pratiques. Dans ce cadre, les étudiantes sont réparties en petits groupes et doivent préparer la simulation d’un entretien, d’une visite à domicile, d’une réunion entre différents professionnels ou d’un accueil au guichet.
29Cette formalisation des techniques et des méthodes à mettre en place face aux usagers est également visible lors de la deuxième année de l’université privée italienne, marquée par une forte attention autour de la « méthodologie du service social » (59 % du volume horaire hebdomadaire en deuxième année). Deux fois par semaine, un cours de counseling [20] se concentre autour de la définition de l’empathie, de la lecture du setting (contexte) et de l’analyse du comportement professionnel. Ici, Gaia, jeune doctorante en service social et assistante sociale en profession libérale, structure ce cours grâce à un support DVD avec des photos et des vidéos qui montrent plusieurs configurations d’échange entre professionnels et usagers. Les étudiantes sont alors amenées à analyser, à partir de ces supports, la posture du professionnel ou à classer le comportement des professionnels selon une grille énumérant les différents types d’attitude (évaluation, interprétation, soutien, enquête, solution, compréhension), explicitant le « processus d’aide ».
Exemple d’une fiche de cas présentée en cours :
Giovanna : « Ma mère est très âgée et maintenant elle doit rester au lit. Vous savez, elle a le bassin fracturé… les médecins ne savent pas pour combien de temps elle en aura. Le problème, c’est que mes frères ne m’aident pas à l’assister… pour des raisons audibles hein : le travail, des enfants très jeunes… Par contre, le poids ne pèse que sur moi, et moi aussi, je suis fatiguée… »
Situation 1 : Counselor : « Selon moi, il ne faut pas laisser vos frères en profiter ainsi. Vous êtes trop conciliante. » [-situation à classer-]
Situation 2 : Counselor : « Mais quelle situation pénible. Trouvez du courage : vous verrez que les choses vont s’améliorer. » [-situation à classer-]
[Gaia, s’adressant aux étudiantes] : « Il faut utiliser un vocabulaire émotionnel, utiliser des émotions positives (bonheur, confiance, tranquillité, courage) et des émotions négatives (peur, tristesse, dépression, mépris, humiliation, stupeur, incertitude). » [JDT, novembre 2014]
31L’enseignante insiste également sur l’importance et l’utilité de cette méthode dans la prise en charge des publics difficiles. Si une partie des étudiantes émet quelques doutes face à la fermeture des réponses, elles tendent néanmoins à considérer assez « pratique » l’usage de ce dispositif. Globalement, les étudiantes italiennes tendent à s’approprier des manuels qui standardisent les techniques professionnelles, considérés comme très utiles et efficaces dans l’apprentissage du métier et lorsqu’elles sont en stage [21]. Inversement, les étudiantes françaises ont du mal à s’approprier ces enseignements, évoquant souvent la difficulté à épouser le rôle d’un autre professionnel ou d’un usager, notamment face au discours mettant en avant la « singularité » de l’usager (« il faut apprécier de jouer ; on n’est pas des acteurs » nous dit Chloé, une étudiante de l’école).
32Si cette standardisation des techniques professionnelles sert d’exemple à la progressive formalisation qui a accompagné l’introduction de la filière de service social dans l’université italienne, elle participe tout autant d’une réduction et d’une simplification de savoirs véhiculés en formation. D’une part, face au flou qui caractérise souvent la généralité des définitions de l’assistante sociale, cette standardisation de la déontologie professionnelle permet de s’éloigner de l’arbitraire des consignes professionnelles. Ces savoirs codifiés (des manuels, des techniques spécifiques) peuvent permettre à ces étudiantes (et aux enseignantes qui les transmettent) de construire une certaine légitimité face à d’autres professionnels. D’autre part, cette simplification renvoie à la rhétorique relationnelle fortement ancrée dans le service social et dans sa morale professionnelle. Les notions utilisées restent explicitement imprécises (« l’humain », la « confiance », « le besoin », la « relation »…) pour favoriser la réappropriation morale des futures professionnelles de l’action sociale. L’ « indéfinissable » est partie prenante de ces curricula, se développant dans d’autres cours tout au long du cursus.
Ajustements et contradictions dans le façonnage de la « personnalité »
33D’autres cours, dans les formations françaises et italiennes, privilégient une approche par thématiques professionnelles ou par l’apprentissage des techniques précises (entretien d’accueil, posture professionnelle, gestion des émotions…) en poursuivant le travail autour de la « personnalité » étudiante. Dans le cadre d’un DUT français, l’importance de la « maîtrise de soi » et d’une pratique « réflexive » est soulignée par des intervenants allant jusqu’à faire prendre conscience aux étudiantes du contrôle de leur corps. Le cours sur la posture professionnelle de Safa, AS intervenante vacataire dans cet institut [22], a notamment pour objectif l’« incarnation du métier » :
« Il faut être disponibles, s’en rappeler lors du diplôme d’État ; cherchez votre karma intérieur : mains sur les jambes, corps droit, tête avec regard devant ». La formatrice est assise devant les étudiantes, mains sur la table, elle invite les étudiantes, yeux fermés, à respirer, se calmer, poser les pieds au sol, s’adosser au dossier de la chaise. L’exercice est répété à chaque début de séance. « Vous devez le considérer comme un moment de relaxation, de réouverture, de regard sur l’intérieur, d’introspection, à faire une fois en poste avant votre entretien, pour affronter une situation qui vous fait peur… vous deviendrez l’ASS que vous avez envie de devenir, il faut noter vos sensations ! » [JDT, octobre 2015]
35La tentative de gestion du corps étudiant ou encore la mise en commun des expériences de vie ou de stage qui s’opèrent lors des ateliers en petit groupe contribuent à faire ressortir les sentiments des étudiantes, dans une volonté d’ajustement de la « réflexivité » étudiante sur soi et sur sa propre pratique. Ces enseignements impliquent alors que les étudiantes composent avec ce travail interactionnel qu’elles vont être amenées à exercer. Elles sont amenées à travailler leurs émotions dans le but d’apprendre à mobiliser leur empathie face à l’usager.
36Dans le cadre de l’université publique italienne, un séminaire de deuxième année sur la « narration de la santé et de la maladie » contribue notamment à générer une « contagion émotionnelle » (Bernard, 2008) entre les étudiantes. Se promenant autour des étudiantes, l’enseignante, Laura [23], lit des extraits portant sur la démence des personnes âgées. Les extraits cités génèrent alors des larmes chez une partie des étudiantes qui reconnaissent des proches dans les descriptions fournies par cette enseignante AS. Le lexique du cours tourne autour l’idée du « parcours », du « soin », de l’« expérience », de l’« autonomie » et de la « dépendance ». Selon cette enseignante, ce travail sur soi permet de faire émerger la compassion avec le public de l’action sociale, qui constitue le cœur de la future pratique professionnelle. Cela est revendiqué également lors des cours de l’école régionale française par plusieurs formatrices qui soulignent qu’« il ne faut pas à tout prix rentrer dans les cases, il faut se laisser porter par l’usager ! » [JDT, septembre 2014].
37Tout comme l’expérience de stage et les bases idéologiques du métier, l’idéologie professionnelle construite autour de la centralité de l’usager et de l’émotion sert à évacuer progressivement la question des inégalités sociales, au profit de la sacralisation de l’individu. Comme le soulignent deux formateurs de l’école régionale française en troisième année : « La question de la responsabilité va toucher l’humain pour le détacher des déterminismes sociaux. Et votre travail c’est rappeler aux gens qu’ils ont toujours le choix ! » [JDT, octobre 2015]. Toutefois, ces cours ne sont pas accueillis de la même manière par toutes les étudiantes. D’une part, les étudiantes déclarent avoir souvent du mal à exprimer des ressentis personnels face aux collègues en formation et aux futur(e)s pairs (enseignantes assistantes sociales) et regrettent que ces dispositifs ne soient pas organisés directement sur le lieu de stage. D’autre part, plusieurs étudiantes évoquent le fait que les enseignantes insistent finalement très peu sur l’hétérogénéité des cas vus en stage.
38Les modalités d’évaluations peuvent également déconcerter les étudiantes, qui se réapproprient différemment cette valorisation de la « personnalité ». La validation des cours en groupe repose dans les deux pays sur un rendu écrit et une discussion orale entre étudiante, responsable du cours et responsable du stage. Le rendu écrit demande une description de la structure et des enjeux du stage mais surtout une « auto-évaluation » du parcours de l’étudiante. Tout en s’appuyant sur les compétences scolaires des étudiantes, il s’agit de condenser en quelques pages une partie de la trajectoire étudiante, ses motivations et l’expérience de stage, alors que les étudiantes passent parfois plusieurs mois sur le terrain auprès des usagers face à une multiplicité de situations. En Italie, cette auto-évaluation est demandée dans chaque rapport de stage et une épreuve autour de la posture professionnelle est prévue dans le concours pour obtenir le titre (Esame di Stato). Dans le cadre français, en dehors des rapports à rendre lors de la suite du stage, l’auto-évaluation représente un tiers du dossier de pratique professionnelle (DPP) à présenter au diplôme d’État. Les étudiantes sont alors amenées au fur et à mesure des trois années à travailler l’« auto-évaluation du parcours de formation ». Celle-ci s’ajuste, change, se remodèle, s’harmonise, dans l’objectif de mieux s’adapter à la doxa professionnelle.
« [Au jury blanc] moi j’avais dit que les métiers du social c’était flou, j’avais 17 ans quand j’étais rentrée – c’était vrai en plus – aucune expérience pro, je sortais de mon bac d’entreprise, STG, RH rien à voir. J’avais beaucoup de points qui m’ont permis de me dire que c’est pour moi ces trucs : je suis vraiment sociale, je suis au contact de gens, je suis une pipelette, je parle beaucoup. Voilà, en fait, [tu présentes] ton évolution à toi, comment tu te vois, est-ce que tu es prête à devenir une professionnelle. [Elle fait une pause] Même si ça ne faut pas trop le dire, sinon ils te saquent. Si tu dis encore ‘‘Oui, tu es prête’’, au niveau du 2e, 3e jury, là ils peuvent te dire “Y a un souci…” Il faut essayer de contourner les choses, tu ne dis pas que tu es prête, mais que tu es prête à “affronter”, au-delà de tes peurs, tu vois ? Dans cette tournure. La responsable de la formation nous a dit de dire des trucs comme ça, l’auto-évaluation c’est un peu ça… »
[Faïza, étudiante en 3e année].
40Cette auto-évaluation a ici pour but de contribuer à construire une cohérence dans le parcours, à produire une socialisation anticipatrice au futur emploi. Les étudiantes se retrouvent fréquemment dans leur stage à expliquer les « raisons » de leur orientation dans le social, leurs motivations. Cet exercice sert alors à travailler une manière de « se raconter », permettant de poursuivre le travail commencé lors des enseignements de première année. Cette exigence devient même quelque chose de répétitif dans la formation au bout de la troisième année, comme le dit Noémie : la responsable de la structure de stage « m’a demandé pourquoi je voulais faire cette formation, le truc un peu bateau quoi ».
41Ces dispositifs ont moins l’objectif de constituer une réelle auto-analyse à dimension psychanalytique ou sociologique des étudiantes, de déconstruire les raisons de leur orientation ou de viser l’affranchissement individuel, que d’harmoniser rétrospectivement leur trajectoire dans le but de les intégrer dans l’espace professionnel et de les inciter à mieux s’adapter aux conditions de l’emploi. En développant l’expression émotionnelle et corporelle, ces dispositifs s’inscrivent dans les reconfigurations à l’œuvre dans le champ psychologique et dans le développement des « thérapies humanistes et du potentiel humain » dans le monde de l’entreprise [24] (Stevens, 2011, p. 62 ; Salman, 2014) et plus globalement dans le cadre d’une « psychologisation » des rapports sociaux [25]. Néanmoins, il faut considérer cette redéfinition permanente de la posture professionnelle (« l’AS que vous avez envie de devenir ») en tant qu’élément central de ces curricula. Le flou qui entoure ces définitions, l’attention à la « réflexivité » et à la « personnalité », en font des traits de leur professionnalisme (Ruellan, 1993) et constituent par là une réelle « pédagogie du silence » (Millet, 2016, p. 66).
42Si cette « réflexivité » est présente également dans d’autres cursus du supérieur, elle ne poursuit pas toujours les mêmes objectifs. Dans le cadre de classes préparatoires françaises étudiées par Muriel Darmon par exemple, les élèves intègrent des dispositions pragmatiques tout comme l’exercice d’une « distance réflexive » (ici apparentée à l’esprit critique), qui doit être lue moins dans la logique de l’émancipation que comme partie de la nature d’obéissance véhiculée par les classes préparatoires (Darmon, 2013, pp. 237-238). Dans le cadre du service social, le travail sur soi poursuit un double regard. Le travail de présentation de soi permet une plus forte adaptation au futur marché de l’emploi, l’étudiante future travailleuse étant censée être motivée, autonome, apte au travail et entrepreneuse de soi. Ensuite, l’individualisation de la pratique professionnelle de l’action sociale est congruente avec une logique de réparation des usagers qui contribue à singulariser les rapports sociaux. S’il ne s’agit pas ici d’un « travail émotionnel » proprement dit (Hochschild, 2017, pp. 167-173 [26]), le flou de ce travail interactionnel peut également renvoyer à des compétences féminines non explicitées (Avril, 2015), en participant à dissimuler les futures conditions d’emploi dans un contexte de travail de plus en plus soumis aux évaluations et à la précarité (Cartier et Lechien, 2012 ; Charles, 2015).
Conclusion
43Cet article a cherché à rendre compte des contenus des enseignements professionnels du service social en France et en Italie. Les dispositifs pédagogiques appréhendés mettent à distance l’ordre scolaire et participent de l’apprentissage du métier d’assistante sociale, caractérisé par une rhétorique professionnelle axée sur un « individualisme spécifique » (Bodin, 2009b), sur le flou de la pratique et sur le fait que « tout est possible » pour l’individu pris en charge. Si les méthodes enseignées cherchent à favoriser un éloignement des étudiantes du « corps » des populations de l’action sociale, elles reproduisent également une rhétorique de « psychologisation » de rapports sociaux qui permet rarement de penser ces publics différemment des besoins propres au marché du travail. De même, tout en mettant l’accent sur la remise en question individuelle, les dispositifs pédagogiques renforcent les inégalités de classe et de genre entre étudiantes, dans une propension à « parler de soi » qui n’est pas indépendante de la position occupée dans l’espace social (Poliak, 2002).
44La démarche comparative permet ici d’observer que ce ne sont pas des processus propres à un contexte national spécifique, mais qu’on retrouve des parallèles dans d’autres structures de formation, renvoyant par-là à une matrice disciplinaire spécifique. Aborder l’étude du curriculum par la socialisation et, inversement, l’entrée par les savoirs constitués dans le but d’appréhender la socialisation institutionnelle a permis de montrer comment ces filières participent de la mise en avant d’une conformité scolaire, professionnelle et sociale. De même, celle-ci doit être pensée en lien avec les types d’étudiantes auxquels ces cursus se réfèrent. Si ces instituts de formation constituent des espaces de mise à distance d’un « sérieux » scolaire dans le cadre d’une déscolarisation de l’étudiant au profit de buts professionnels, ils ne représentent pas pour autant des institutions « totales », ayant une mainmise totale sur leurs membres. Il est donc nécessaire de poursuivre l’analyse aux moments de stage, aux autres moments de sociabilité ou aux contenus d’autres enseignements qui n’ont pas été évoqués dans le cadre de cet article.
Remerciements
Je tiens à remercier les évaluateurs anonymes de la revue pour leurs commentaires, propositions et critiques, ainsi que les coordinateurs du dossier pour le suivi, leurs remarques attentives et leurs corrections. Je remercie également Romain Juston pour une relecture préalable de ce texte.Notes
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[1]
Étant donné la forte féminisation dans les deux pays (95 % des étudiant.e.s inscrit.e.s) et des promotions étudiées dans notre recherche (six hommes sur environ trois cents étudiant.e.s), on déclinera cette profession et les agents de sa formation au féminin. De même, on privilégiera la mention « assistante sociale » ou AS au lieu de son appellation institutionnelle (« assistant.e de service social », ASS).
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[2]
On met en avant dans cet article un usage extensif de ce terme.
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[3]
Lors de notre enquête, sur les interrogées en troisième année, 66 % des étudiantes françaises et 90 % des étudiantes italiennes déclarent que le métier s’apprend principalement en stage, alors que les restantes soulignent que cela s’apprend conjointement en cours et en stage.
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[4]
Muriel Darmon définit de manière générale la socialisation comme « façon dont la société forme et transforme les individus » (Darmon, 2010, p. 6). Cette notion est entendue ici dans le sens d’un travail génétique de mise en conformité des habitus, en permettant de comprendre le rôle joué par l’institution et le travail qu’elle opère sur ses membres.
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[5]
Terme indigène utilisé sur le terrain français.
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[6]
Les premières écoles françaises de service social sont fondées dès le début du XXe siècle, tandis que le premier diplôme d’État commun aux infirmières date de 1938. En Italie, si des formations courtes en travail social sont organisées au cours des années 1920 et 1930, ces cursus se développent dans des écoles professionnelles spécialisées principalement après la Deuxième Guerre mondiale (Iori, 2017).
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[7]
Nous revenons dans cet article de 2017 sur les spécificités historiques de ces curricula dans les deux pays. Pour approfondir la genèse de ces deux formations, on renvoie également à la première partie de notre thèse de doctorat : « Partie 1. Entre universitarisation et insertion professionnelle. L’institutionnalisation de la formation en service social en France et en Italie » (Iori, 2018).
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[8]
Les étudiantes issues de familles de catégories populaires (employés et ouvriers) sont très présentes dans les deux cas et davantage que dans d’autres filières de l’enseignement supérieur de chaque pays. Néanmoins, les filières françaises se caractérisent par une plus forte présence d’étudiantes issue des catégories intermédiaires, alors que le public italien est davantage composé par des individus issus de classes populaires, souvent des jeunes bachelières, et moins par des étudiantes en réorientation ou reconversion professionnelle, fortement présentes dans les écoles françaises.
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[9]
Concernant le cas français, voir Iori (2016).
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[10]
Lise Demailly évoque la pluralité des définitions qui sous-tend ce terme, tout comme son caractère performatif (Demailly, 2008). Dans le travail social et dans le milieu de l’éducation, ces dispositifs font référence à ce que le philosophe et pédagogue américain Donald A. Schön a essayé de théoriser autour de l’idée de « praticiens réflexifs » (1983), visant à créer des modèles issus de la pratique professionnelle, dans la continuité de l’approche pragmatiste du philosophe américain Dewey.
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[11]
Les expressions entre guillemets de cette partie renvoient aux extraits cités traduits de l’italien par l’auteur.
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[12]
L’équipe pédagogique est constituée par sept jeunes enseignantes assistantes sociales (diplômées de master, dont deux docteures en service social), toutes autour de la trentaine, ayant effectué leur cursus au sein de la même institution universitaire.
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[13]
Bien conscient qu’il faut se méfier des équivalences linguistiques, on a néanmoins traduit par ce terme (récemment développé en France dans le cadre du handicap, GEM) les « gruppi di auto-mutuo-aiuto » italiens (AMA), à partir du modèle des groupes américains de self-help, qui sont des groupes composés par des usagers, mais aussi par des familles et des proches, développés initialement dans le secteur professionnel de la santé mentale et des addictions.
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[14]
Carlotta, maturità classica (bac en sciences humaines), deuxième entre une sœur aînée qui a suivi des études supérieures d’architecture à l’étranger et une cadette qui a fait des études secondaires privés socio-psycho-pédagogiques, née d’un père bijoutier et d’une mère consultante en sciences sociales.
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[15]
Née d’un père employé dans une usine d’imprimerie et d’une mère employée administrative dans une crèche, et cadette après un frère diplômé d’un cursus de design d’intérieur, Maria s’oriente dans cette filière après un bac technologique en service social.
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[16]
Maria finira par quitter la formation sans obtenir le diplôme.
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[17]
Si la culture de métier d’assistante sociale n’est pas si homogène par rapport à d’autres professions classiques (notamment les médecins ou les avocats), elle demeure plus forte que chez les aides à domicile où les dispositifs de contrôle de la formation restent encore très faibles (Avril, 2015).
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[18]
En France, une commission « éthique et déontologie du travail social » (CEDTS) est instituée en France au sein du Haut conseil du travail social ; en Italie, l’ordre professionnel organisé sur base régionale gère ces questions en Italie. Le Code de déontologie français a été adopté par l’ANAS en 1994, le Code italien a été approuvé en 1998 avec une nouvelle version en 2009.
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[19]
Partie 1 des Codes de déontologie français et italien (version française).
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[20]
Ceci est issu notamment de la psychologie clinique de Carl Rogers et a été développé par le psychopédagogue Roger Mucchielli.
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[21]
Le manuel « L’entretien d’aide, théorie et pratique du service social » (1997), a été écrit par deux assistantes sociales travaillant dans la fonction publique désireuses de réagir face aux évolutions du métier et donnant des appuis sur « comment faire » le métier.
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[22]
Originaire d’une famille populaire issue de l’immigration et devenue AS sur le tard, Safa travaille dans le service social territorial.
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[23]
Laura, 55 ans environ, AS de formation et métier (en profession libérale). En emploi depuis trente ans, elle est également formatrice pour adultes dans des cursus socio-sanitaires et souvent membre du jury du concours pour l’obtention du titre d’AS.
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[24]
H. Stevens montre comment l’accent sur des dispositifs de « développement personnel » mis en place par les grandes entreprises, tout en participant à une requalification symbolique et à une réparation psychologique des salariés, réduit le travail aux dimensions comportementales et relationnelles, en participant à la reproduction de l’ordre social et à la réintroduction des inégalités dans la réappropriation que les salariés font de ces dispositifs (Stevens, 2013).
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[25]
Comme le dit Robert Castel dans le cas des thérapies psychologiques, les dispositifs ont comme objectif « d’instrumentaliser la subjectivité et l’intersubjectivité par des interventions extérieures. [Ils] promeuvent une vision de l’homme par laquelle il se conçoit lui-même comme un possesseur d’une sorte de capital (son « potentiel ») qu’il gère pour en extraire une plus-value de jouissance et de capacités relationnelles » (Castel, 1981, p. 170).
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[26]
Selon Arlie Hochschild, le travail de l’assistante sociale, à l’instar de celui de la puéricultrice, de l’avocat et du médecin, ne remplit pas tous les critères évoqués pour être considéré un « travail émotionnel » à part entière.