1La conquête par la France du territoire algérien, alors organisé en régence sous domination politique ottomane, a commencé en 1830. Elle a été difficile, marquée par des résistances farouches, notamment sous la direction de l’émir Abdelkader dans l’ouest du territoire. Les révoltes se sont succédé jusqu’aux années 1870 dans la partie nord où une population coloniale s’implantait, les vastes territoires du sud ne passant réellement sous domination française qu’au début du xxe siècle [2]. Dès les années 1830, des colons civils sont venus chercher sur ce territoire les conditions de leur survie. Mis à part quelques spéculateurs et investisseurs, de manière générale il s’agissait d’une migration de misère : paysans sans terre, artisans ruinés [3]. Certains contemporains ont voulu voir dans ces migrants des aventuriers, voire des délinquants [4].
2Les autorités françaises ont encouragé et organisé l’immigration en provenance de la métropole vers ce qui devait être une colonie de peuplement. Le succès fut mitigé, les Français restant longtemps moins nombreux sur le territoire algérien que les migrants venus d’Espagne, d’Italie, de Malte et, en moindres effectifs, d’autres pays (Clancy-Smith, 2011). Pour les Italiens et les Espagnols, il s’agissait également d’une migration de proximité. Marins, pêcheurs et commerçants de ces deux pays fréquentaient déjà les côtes algériennes depuis longtemps. De ce fait, les Italiens et les Maltais furent nombreux à s’installer dans les villes portuaires de l’est algérien (Bône, Philippeville, La Calle), tandis que les Espagnols se concentraient dans l’ouest du territoire (Oran, Arzew, Mers el-Kébir). En position centrale, la région d’Alger a reçu des migrants de toutes origines.
3Au cours du xixe siècle, l’administration française a classé les populations du territoire algérien en catégories distinctes les unes des autres. Les populations présentes avant la conquête ont été réparties en fonction de leur religion entre « indigènes musulmans » et « indigènes israélites » [5]. Les migrants venus d’Europe et leurs descendants nés sur place ont été classés dans la catégorie « Européens » et répartis en fonction de leur nationalité entre « Français » et « étrangers ».
4Comment assurer le caractère français de ce territoire et que faire de ces « étrangers » ? Le souci de voir naître sur ce territoire une population française a été constant et transformer ces « étrangers » en Français fut un objectif des administrateurs. Le mariage entre migrants de différentes origines a été considéré comme une voie de francisation de la population européenne [6]. Un discours largement répandu au cours de la seconde moitié du xixe siècle, consistait à espérer l’apparition d’une nouvelle « race européenne », mieux acclimatée à la vie sur la rive sud de la Méditerranée. Le docteur Ricoux, médecin à Philippeville et auteur, en 1880, d’une remarquable étude sur la population européenne en Algérie, a consacré toute la seconde partie de cet ouvrage à la question de l’acclimatation et s’est penché en particulier sur le « croisement entre les races européennes » [7]. Autre exemple, les membres d’une commission travaillant sur la législation civile de l’Algérie écrivent en 1900 qu’« il se forme [en Algérie] par le mélange et la fusion de divers éléments […] une race nouvelle extrêmement ardente et forte n’ayant absolument rien des races avachies d’Europe » [8]. Cette acclimatation devait concerner en particulier les enfants d’immigrés nés sur le sol algérien, issus de mariages « croisés » entre migrants d’origines différentes, que M. de Sollier, juriste et député d’Oran dans les années 1880, qualifia de « nouvelle race franco-algérienne ». Selon lui, « La fusion des races est nécessaire […] pour donner à l’élément français, avec les alliances avec d’autres peuples méridionaux, mieux doués, les qualités de résistance et d’adaptation au milieu qui lui font défaut » (Sollier, 1889) [9].
5Comment mesurer le processus d’apparition de cette « nouvelle race européenne » et le progrès du « croisement entre les races européennes » ? Depuis plusieurs décennies, les historiens démographes ont beaucoup utilisé les registres de mariage pour tenter de percevoir des comportements collectifs de choix du conjoint et d’ouverture ou de fermeture par rapport aux migrants. De tels travaux ont porté notamment sur les villes au cours du processus d’industrialisation ou sur des régions frontières [10]. En revanche, les recherches récentes portant sur les Européens en Algérie ont négligé cette source [11]. Par exemple, les deux études scientifiques portant sur la population de la ville de Bône sont fondées l’une sur le recensement de population (Prochaska, 1990), l’autre sur les dossiers de naturalisation (Vermeren, 2015). Aussi semble-t-il pertinent d’étudier la nuptialité pour percevoir les comportements socio-démographiques dans le contexte colonial de l’Algérie. Dans cet article, nous nous proposons d’aborder cette question à l’échelle locale, dans la région occidentale de l’Algérie où les migrants d’origine espagnole étaient plus nombreux que ceux venus de France. Comment les unions se formaient-elles et que ces mariages nous apprennent-ils sur le fonctionnement interne de cette société coloniale ? Ces migrants d’origine espagnole et leurs enfants s’intégraient-ils par le mariage dans la société locale française ?
6Après avoir rappelé les principales étapes de la migration espagnole vers l’Algérie, nous préciserons les chemins migratoires préférentiels qui ont mené les migrants originaires de la province espagnole d’Alicante, celle qui fournit le plus grand nombre de migrants au milieu du xixe siècle, vers certaines villes du territoire algérien. Ensuite, nous étudierons le cas particulier des mariages enregistrés dans la petite ville portuaire d’Arzew au sein de laquelle les conjoints d’origine espagnole ont été particulièrement nombreux, en nous interrogeant sur leur place au sein de la société coloniale et sur leurs comportements matrimoniaux. Dans quelle mesure un rapprochement entre colons d’origine française et d’origine espagnole se produisit-il et quelle fut la part des mariages endogames ? Finalement, que pouvons-nous percevoir de l’existence de relations familiales et sociales à l’intérieur de cette population immigrée ? L’exploitation systématique des actes de mariage enregistrés à Arzew entre 1847 et 1874 nous permettra d’apporter quelques éléments de réponse [12].
Les Espagnols en Algérie et dans l’Oranais au xixe siècle
7Les courants migratoires en provenance d’Europe, puis la natalité des couples établis sur le territoire algérien, ont permis la naissance d’une nouvelle population d’origine européenne, d’effectif croissant, en dépit des débuts difficiles du peuplement. Les autorités françaises ont tenté de susciter et d’organiser l’immigration de volontaires français, mais l’apport spontané de migrants venus d’Europe méridionale a été décisif et indispensable (Temine, 1987). Outre les migrations française, espagnole, italienne et maltaise, on doit également mentionner l’apport de migrants venus de nombreux pays du nord du continent européen, dont les États allemands et la Suisse, migrations qui ont été encadrées par les autorités françaises (Di Constanzo, 2001).
8Au sein de cet ensemble, les Français, qui auparavant étaient minoritaires, représentent au milieu du xixe siècle la moitié des Européens présents sur le territoire algérien, grâce aux arrivées de la décennie 1840-1849, marquée par la création de nombreux villages agricoles. La croissance est également forte pour les Espagnols au cours de cette même décennie, avec un effectif multiplié par quatre. De ce fait, en 1851, les Espagnols représentent 31,7 % de l’ensemble, devançant largement la population italienne et la population maltaise. Entre 1871 et 1876, plus de 21 000 Espagnols s’installent en Algérois, puis encore 22 000 de 1876 à 1880. Ce fort courant est lié à la crise économique et politique que connaît alors l’Espagne (Crespo, Jordi, 1991, 23). Ce n’est que pendant les deux dernières décennies du xixe siècle que la part des Français au sein de la population européenne croît nettement, pour atteindre 62,4 % de l’ensemble en 1901 [14] (tableau 1).
Population européenne selon la nationalité d’origine d’après les recensements de 1833 à 1901 [13]*

Population européenne selon la nationalité d’origine d’après les recensements de 1833 à 1901 [13]*
*« Anglo-maltais », dans la terminologie de V. Demontès.9Les migrations ont largement influé sur la composition de la population à l’intérieur des différentes régions du territoire algérien, et les auteurs du xixe siècle ont souligné la répartition propre à chaque nationalité. Ainsi, en 1886, M. Wahl notait la spécificité de l’implantation des immigrés espagnols et leur poids supérieur à celui des Français dans l’Oranais : « Les Espagnols forment le groupe le plus considérable et aussi le plus compact. Ils représentent plus des trois cinquièmes de la population étrangère européenne, plus des trois dixièmes de la population européenne totale, les Français compris. Ils sont répandus dans toute l’Algérie, mais leur densité va en augmentant de l’est à l’ouest ; ils sont 3 641 dans le département de Constantine, 48 599 dans celui d’Alger, 92 290 habitent la province d’Oran, où l’on trouve seulement 79 675 Français » (Wahl, 1886, 225-226).
Les courants migratoires à partir de l’Espagne vers l’Algérie au xixe siècle
10La présence espagnole sur le territoire algérien, et en particulier dans la région occidentale, était bien réelle avant la conquête française de 1830. Il s’agissait au xviiie siècle d’une domination politique et économique, notamment dans la région d’Oran [15]. Cette ville, de même que Tlemcen, comportait alors une population espagnole non négligeable, mais peu sédentarisée, avec des retours en métropole fréquents. La majeure partie de cette population espagnole avait quitté le territoire algérien après le passage sous domination ottomane, en 1792, et son nombre avait décliné au moment de la conquête française [16].
11Par la suite, il importe de distinguer trois vagues migratoires qui se sont succédé depuis l’Espagne, à partir de régions différentes de ce pays : celles des Mahonnais, dès les années 1830 ; celle des Alicantais, dominante entre les années 1840 et 1870 ; puis celle des autres péninsulaires au cours des dernières décennies du xixe siècle [17].
12La première vague correspond à l’arrivée précoce, dès 1830, de travailleurs venus de l’île de Minorque, et en particulier du port de Mahon, d’où l’appellation de « Mahonnais » qui leur a été collectivement attribuée. Minorque était alors une île pauvre, ayant connu une forte croissance démographique au xviiie siècle, et Mahon servait d’escale pour la marine française. Dès les premiers mois des opérations militaires, ces Mahonnais assurèrent le ravitaillement en produits frais du corps expéditionnaire français. La migration, initialement conçue comme temporaire, devint de fait souvent durable, d’autant plus lorsqu’il s’agissait d’une migration familiale. Généralement spontanée, cette immigration fut toutefois acceptée par les autorités françaises qui déploraient le faible niveau de peuplement européen du territoire [18]. Ces migrants mahonnais avaient tendance à se regrouper sur les espaces limités alors sous contrôle de l’armée française, et ils s’installèrent surtout à proximité d’Alger où un village, Fort de l’Eau, est emblématique de leur présence avec le développement précoce d’importantes cultures maraîchères [19]. Ce mouvement migratoire déclina fortement après 1840, lorsqu’une industrie de la chaussure se développa à Minorque, créant sur place de nombreux emplois.
13La seconde vague migratoire, qui débuta dans les années 1840, provint essentiellement des provinces pauvres de la côte sud-est de la péninsule espagnole (provinces de Valence, de Murcie et d’Alicante), et en particulier de cette dernière. Pour ces migrants il s’agissait d’une migration de proximité, avec des retours plus faciles et éventuellement plus fréquents que pour les migrants établis aux Amériques [20]. Alors que les Mahonnais s’étaient installés dans la région d’Alger, ces nouveaux arrivants se tournèrent plutôt vers l’Oranais qui était alors pacifié. Selon J. J. Jordi, en 1861 l’Oranais comptait dans sa population 26 365 Espagnols et 27 772 Français (Jordi, 1986, 14). Une particularité de cette migration espagnole, qui la distingue nettement de la migration en provenance de France, est qu’au cours des premières décennies après la conquête les femmes étaient plus nombreuses que les hommes [21].
14Les migrants originaires de la province d’Alicante, étant nettement majoritaires parmi les migrants espagnols, jouèrent au cours de cette période 1840-1870, un rôle majeur dans le peuplement de l’Oranais. L’historien espagnol A. Valdès Pena souligne qu’il s’agissait d’une des provinces les plus pauvres de la péninsule et que les activités du port d’Alicante ou les quelques industries de la ville d’Alcoy ne pouvaient pas absorber le surplus de travailleurs. En outre, une grave sécheresse frappa la région dans les années 1840 et ruina de nombreux exploitants agricoles (Valdès Pena, 2011, 84) [22]. Parallèlement, J.B. Vilar estime que cette émigration massive a pu éviter à l’échelle de la province d’Alicante des explosions sociales telles que celles qui ont frappé le secteur agricole andalou à la même époque (Vilar, 2002, 12) [23]. Ces migrants venus de la province d’Alicante étaient en majorité des ouvriers agricoles et ils constituèrent une main d’œuvre indispensable pour les grands travaux de l’été dans les exploitations appartenant aux colons français.
15La population de certaines villes de l’Oranais prit ainsi un caractère nettement espagnol. Au recensement de 1886, les Espagnols étaient quatre fois plus nombreux que les Français à Saint Denis du Sig et à Mers el-Kébir, près de trois fois plus nombreux à Sidi Bel Abbès, deux fois plus nombreux à Oran et Arzew [24].
16À partir des années 1880, la troisième vague migratoire se caractérisa par une diversification de l’origine des Espagnols installés en Algérie et la province d’Alicante perdit sa prépondérance. Ainsi, au cours de la période 1885-1895, les émigrants de la région d’Alicante ne représentaient plus, selon les années, que 30 à 40 % des départs pour l’Algérie, devancés par ceux originaires de la province d’Almeria qui regroupaient en moyenne 45 % de l’ensemble. En troisième position venaient les migrants originaires de la province de Murcie (environ 8 %) (Bonmati Anton, 1987, 23). Ces régions étaient alors très peu industrialisées et connaissaient une difficile mutation agricole avec l’apparition de nouvelles techniques et un début de mécanisation, aboutissant à l’élimination des cultures de subsistance et à l’émergence d’une agriculture commerciale pour l’exportation.
17À l’exception de quelques commerçants et artisans, ces migrants venus d’Espagne furent considérés par les colons français comme étant juste assez bons pour exécuter des travaux pénibles et peu qualifiés, comme débroussailler ou faire du terrassement pour les routes à construire. De fait, en Algérie, ces nouveaux arrivants exerçaient souvent des professions particulièrement dures qui deviendront emblématiques. Ainsi, l’historien espagnol E. Martin Corrales souligne que la grande majorité d’entre eux sont qualifiés de « journaliers », travaillant sur les terres agricoles, occupés en particulier aux travaux les plus durs (Martin Corrales, 2012, 50). Certains travaillaient comme défricheurs, ouvriers saisonniers se déplaçant en fonction des besoins. Une autre activité qui se développa parmi eux fut celle d’alfatiers, activité qu’ils exerçaient surtout sur les hauts plateaux du sud du département d’Oran, notamment après 1870. Toutefois, après cette date, on assiste à une légère diversification sociale, certains migrants devenant métayers ou fermiers, voire plus rarement propriétaires fonciers (Martin Corrales, 2012, 50). Les migrants espagnols étaient également très actifs dans le secteur de la pêche sur les côtes oranaises qui, entre 1830 et 1860, était entièrement aux mains des étrangers venus d’Europe. Les Espagnols rivalisaient avec les Italiens et représentaient environ 40 % de cette activité sur l’ensemble du territoire algérien [25].
18Dans les villes, d’anciens journaliers espagnols devenaient ouvriers. À Oran, les distilleries employaient plusieurs centaines d’ouvriers espagnols [26]. Les femmes y trouvaient aussi de l’embauche et les deux usines de cigarettes d’Oran employaient entre 600 et 700 ouvrières, réputées être toutes espagnoles [27]. Les femmes venues d’Espagne trouvaient également à s’employer en tant que domestiques, cantinières, blanchisseuses et, dans les ports, travaillaient à l’entretien des sacs. Valdès Pena souligne le rôle important de ces immigrés espagnols dans le développement économique de la région d’Oran (Valdès Pena, 2011, 85). Pour sa part, J. B. Vilar mentionne un double aspect de leur présence : « Pépinière de main d’œuvre remplaçant les autochtones, les immigrants espagnols ont été à la fois les victimes et les instruments de la colonisation française » (Vilar, 2002, 11). L’ascension sociale de la population espagnole ou originaire d’Espagne se produisit essentiellement après les années 1880 et elle fut plus souvent le fait de descendants d’immigrés que de migrants venus récemment d’Espagne.
D’Espagne en Algérie, des chemins migratoires préférentiels
19Certains historiens, et notamment les chercheurs espagnols, se sont penchés sur les origines précises des émigrés installés en Algérie et, en particulier, de ceux originaires de la province d’Alicante (Vilar-Ramirez, 1972 ; Bonmati-Anton, 1988). Valdès Pena précise par exemple que la principale zone d’émigration correspondait au sud et au centre-sud de cette province et détaille trois micro-régions. D’abord, des localités de la vallée du Vinalopo, telles que Novelda, Elche, Dolores et Orihuela, qui ont été particulièrement affectées. Une seconde région correspondait à la ville d’Alicante, aux communes de San Juan, de Callosa d’En Sarriá et à la région côtière proche. Une troisième région était celle de la vallée d’Alcoy et notamment cette ville même qui a fourni de nombreux émigrants (Valdès Péna, 2011, 91) [28] (figure 1). Pour sa part, E. Martin Corrales souligne la contribution importante de quelques localités, telles que Benidorm, Callosa d’en Sarrià, Benitaxell et Taberna (Martin Corrales, 2012, 49). Il est donc particulièrement intéressant de confronter ces observations générales portant sur les régions d’origine des migrants espagnols avec les informations extraites des actes de mariage des treize villes que nous avons étudiées : Oran, Arzew, Mascara et Tlemcen dans le département d’Oran, Alger, Blida, Médéa et Ténès dans le département d’Alger, ainsi que Batna, Bougie, Constantine, Philippeville et Sétif dans le département de Constantine [29].
Carte de localisation des principales communes d’origine des migrants issus de la province d’Alicante et mariés dans les 13 villes étudiées

Carte de localisation des principales communes d’origine des migrants issus de la province d’Alicante et mariés dans les 13 villes étudiées
20Ainsi, nous avons cherché, à l’intérieur de notre base de données, le lieu de mariage des hommes et des femmes nés dans deux ensembles de communes de la province d’Alicante qui fournissaient de nombreux époux et épouses. Au cours de la période étudiée, il est possible d’identifier quelques villages et petites villes dont sont originaires des effectifs de conjoints particulièrement importants. Les observations sont regroupées dans les deux tableaux suivants (tableaux 2 et 3), en fonction de la localisation des communes d’origine.
Nombre de conjoints mariés entre 1833 et 1895 dans les 13 villes étudiées selon la commune de naissance : communes du sud-est de la province d’Alicante

Nombre de conjoints mariés entre 1833 et 1895 dans les 13 villes étudiées selon la commune de naissance : communes du sud-est de la province d’Alicante
Nombre de conjoints mariés entre 1833 et 1895 dans les 13 villes étudiées selon la commune de naissance : communes du nord-est de l a province d’Alicante
Altea | Benidorm | Calp | |
---|---|---|---|
Alger | 12 | 6 | 2 |
Arzew | 2 | 42 | 20 |
Blida | 53 | 1 | |
Bougie | 2 | ||
Constantine | 3 | ||
Mascara | 5 | 2 | |
Médéa | 8 | 1 | |
Oran | 5 | 3 | 21 |
Philippeville | 1 | ||
Sétif | 1 | 1 | |
Ténès | 1 | 8 | |
Ensemble | 91 | 55 | 54 |
Nombre de conjoints mariés entre 1833 et 1895 dans les 13 villes étudiées selon la commune de naissance : communes du nord-est de l a province d’Alicante
21Intéressons-nous d’abord aux conjoints originaires d’un ensemble de sept communes situées dans la partie sud-est de la province d’Alicante, non loin de la province de Murcie (tableau 2). Six d’entre elles ont en commun de fournir de nombreux conjoints essentiellement à la ville d’Oran. Il s’agit des communes d’Aspe, Crévillente, Elche, Novelda, Orihuela et Santa Pola. Ensemble, elles ont donné naissance à 383 hommes et femmes mariés à Oran, ce qui représente une part considérable des conjoints mariés dans cette ville au cours des coupes chronologiques réalisées (9,7 %) [30]. La dernière commune, Guardamar, a la particularité de fournir un nombre plus important de conjoints à la petite ville portuaire de Ténès, relativement peu attractive pour les autres natifs de la province d’Alicante. Les autres hommes et femmes natifs de ces communes et mariés dans d’autres villes observées, le sont essentiellement à Mascara, autre ville de l’ouest du territoire algérien.
22On peut ensuite examiner le lieu de mariage des hommes et des femmes nés dans trois communes situées plus au nord dans la province d’Alicante : Altea, Benidorm et Calp (tableau 3). Les natifs de Calp se partagent à égalité entre la ville d’Oran et le petit port d’Arzew, ce qui témoigne d’une attraction supérieure de ce petit port. Arzew est, par ailleurs, la principale commune algérienne dans laquelle se marient les natifs de Benidorm qui ne semblent pas du tout attirés par Oran. Enfin, les natifs d’Altea s’orientent très majoritairement vers la ville de Blida, ville de l’intérieur située au sud d’Alger, dans la partie centrale du territoire algérien. Cela constitue une originalité puisque les autres natifs de la province d’Alicante se concentrent dans les villes portuaires de l’ouest du territoire.
23Ainsi, quelques destinations privilégiées apparaissent lorsque l’on examine avec précision la commune d’origine des Espagnols nés dans la province d’Alicante. Ceux qui viennent de Guardamar s’orientent vers Ténès, ceux qui viennent d’Altea s’orientent vers Blida et ceux qui viennent de Benidorm s’orientent vers Arzew. Ce comportement laisse envisager l’existence de filières migratoires et de pratiques différentes en fonction du village d’origine. Aussi, dans l’analyse suivante, seront examinés en particulier les comportements matrimoniaux des conjoints nés en Espagne mariés à Arzew, parmi lesquels ceux nés à Benidorm sont nombreux.
Mariage et choix du conjoint à Arzew au xixe siècle
24La ville d’Arzew, située à 41 kilomètres au nord-est d’Oran, occupe une baie de la côte méditerranéenne, très bien protégée des vents du nord-est par la pointe du Djebel Sicloun. Le site abritait déjà un port romain dans l’Antiquité puis, au début du xiie siècle, un port de la dynastie Almohade, avant de devenir à la fin du xve siècle un repaire de pirates barbaresques. À partir du début du xvie siècle et jusqu’à la fin du xviiie siècle, le port d’Arzew, comme celui proche de Mers el-Kébir, a été occupé par la puissance impériale espagnole qui avait érigé un protectorat sur une grande partie de l’Oranais [31].
La ville et le premier peuplement européen
25Après la conquête française, Arzew resta territoire militaire de 1833 à 1850, administré par un officier. Un décret, daté du 4 novembre 1850, instaura un régime communal et un nouveau décret, daté du 31 décembre 1856, érigea le centre en commune de plein exercice. La commune devint par la suite chef-lieu de canton.
26En ce qui concerne le peuplement, c’est une ordonnance du roi Louis-Philippe, datée du 12 août 1845, qui fixa la création d’un centre de population avec l’implantation prévue de 200 familles. Comme le reste du territoire algérien, Arzew peina à attirer des colons français et européens et le nombre d’habitants est estimé à seulement 134 en 1846 et 409 un an plus tard. À cette date, après l’édification d’une muraille destinée à protéger les premiers habitants européens, l’intérieur de l’enceinte restait cependant faiblement occupé : des rues et des places avaient bien été tracées mais la plupart des lots restaient vacants. Le véritable démarrage ne se produisit qu’à la fin de l’année 1847, avec la construction d’une cinquantaine de maisons. En 1848, la ville aurait compté 1 016 habitants (Béquet, 1848, 397).
27Cependant, le développement d’Arzew, situé à mi-chemin d’Oran et de Mostaganem, souffrit de la concurrence de ces deux villes plus importantes. Le port, facilement relié aux Hauts Plateaux oranais, 100 à 150 kilomètres plus au sud, se spécialisa dans l’exportation de l’alfa. Cueilli par une main-d’œuvre indigène et espagnole, en partie féminine, et pressé en énormes balles dans les centres d’exploitation, cet alfa était transporté jusqu’à la mer, par chariots. Port de pêche et port de commerce, Arzew resta, au cours de la seconde moitié du xixe siècle, un petit chef-lieu de canton vivant essentiellement de la pêche, de l’exportation du sel et de l’alfa.
28Les premiers colons venus de France métropolitaine et établis à Arzew étaient originaires de régions diverses mais surtout de la région parisienne. Ils furent confrontés à l’insalubrité du lieu et subirent en outre une violente épidémie de choléra en 1847. L’effectif des colons français présents n’aurait été que de 287 en 1850 et 173 en 1851. À côté de ce groupe, des migrants venus de différentes provinces d’Espagne, mais principalement de celle d’Alicante, s’installèrent en plus grand nombre. Ils se firent ouvriers agricoles, alfatiers, défricheurs, terrassiers, charretiers, pêcheurs, toutes activités peu qualifiées, indispensables au développement de l’économie locale et non pourvues par les colons français [32]. Leur effectif a été estimé à 361 en 1849 et 731 en 1851, surpassant ainsi nettement le nombre de colons français et donnant un caractère spécifique à la ville. Des faubourgs apparurent dont notamment, à partir des années 1860, celui de Tourville, à l’occasion de la création d’une exploitation d’alfa. Le fait que les bâtisses destinées à héberger les ouvriers espagnols aient été érigées à l’aide de matériaux légers et de faible qualité, lui valut le surnom de « Village Carton » (Camps, 1989).
29Dans les années 1840, quelques indigènes musulmans vivaient à proximité de la ville européenne, mais leur nombre restait largement inférieur à celui de la population européenne. En revanche, un village indigène se développa par la suite au lieu-dit La Guethna.
30Selon le recensement de 1856, Arzew ne comptait guère plus d’un millier d’habitants, 1 162 dont 1 029 Européens et 133 Indigènes (11,4 % de l’ensemble) à en croire le chiffre officiel. Le plus remarquable est le très fort poids des étrangers parmi les Européens : on en compte alors 627 pour 402 Français. Entre 1856 et 1866, la population a été multipliée par trois, atteignant alors 3 774 habitants. Cette croissance est largement due à la population musulmane qui est devenue majoritaire : 2 183 individus, soit 57,8 % de la population. Les Français (729) sont encore un peu moins nombreux que les étrangers (834) mais un rééquilibrage est en cours. Les indigènes israélites sont très peu nombreux (28) [33]. Le recensement de 1876 signale encore une progression importante de la population (+50,5 % en dix ans). Ce recensement indique que les Européens sont alors majoritaires, les Français (1 027) étant toujours minoritaires parmi eux (1 769 étrangers). Les « sujets » musulmans représentent alors un peu moins de la moitié (48 %) de la population, tandis que seulement deux Israélites naturalisés sont recensés.
31Les mariages ont été dépouillés de manière exhaustive pour la période 1847-1874 qui voit donc la population connaître une forte croissance, passant d’un millier d’individus à près de 6000 (tableau 4).
Population de la ville d’Arzew de 1856 à 1901 selon les recensements

Population de la ville d’Arzew de 1856 à 1901 selon les recensements
Activités économiques et statut socioprofessionnel des conjoints
32Les professions déclarées par les conjoints reflètent dans une certaine mesure les principales activités de la ville rappelées ci-dessus. Ville en construction car accueillant une population en forte croissance au cours de la période étudiée, Arzew a besoin d’artisans, notamment dans le secteur de la construction. Port de commerce, notamment pour l’exportation de l’alfa, la ville a besoin de transporteurs et de marins. Port de pêche, elle abrite naturellement des pêcheurs. Comme dans toute petite ville, Arzew doit également compter des commerçants, notamment pour l’alimentation, et des artisans de tous les corps de métier.
33Ainsi, les professions déclarées par les conjoints témoignent d’une société complète, avec la présence de tous les secteurs d’activité et de tous les niveaux hiérarchiques. Les professions qualifiées (médecin, négociant, gérant de société), correspondant à des statuts sociaux élevés, représentent une petite minorité (8,1 %). Les commerçants (6,3 %) et les artisans (15,1 %) sont également bien représentés. Les activités maritimes, et en particulier la pêche, occupent un conjoint sur dix. Les plus grands effectifs correspondent à une main d’œuvre non qualifiée et peu rémunérée, en particulier les « journaliers » qui représentent près du quart des conjoints. Enfin, la forte présence de l’armée s’explique par le contexte de conquête et d’insécurité, et celle de la douane par le fait portuaire (tableau 5).
Catégories socioprofessionnelles correspondant aux professions déclarées par les hommes nés en Espagne ou en France, Arzew, mariages de 1847-1874
Ensemble des hommes | Hommes nés en Espagne | Hommes nés en France | |
---|---|---|---|
Secteur agricole | 14,7 % | 12,00% | 9,9 % |
Artisans | 15,1 % | 5,6 % | 27,3 % |
Transports | 3,2 % | 5,6 % | 3,3 % |
Commerçants | 6,3 % | 0,9 % | 7,4 % |
Pêcheurs et marins | 10,2 % | 17,6 % | 2,5 % |
Armée, police, douanes | 10,5 % | - | 24,0 % |
Journaliers | 23,5 % | 47,2 % | 3,3 % |
Divers non qualifiés | 3,2 % | 3,7 % | 4,1 % |
Divers qualifiés | 8,1 % | 1,9 % | 16,5 % |
NR | 5,2 % | 5,5 % | 1,7 % |
Nombres absolus | 285 (100 %) | 108 (100 %) | 121 (100 %) |
Catégories socioprofessionnelles correspondant aux professions déclarées par les hommes nés en Espagne ou en France, Arzew, mariages de 1847-1874
34Si l’on prend en considération l’origine migratoire des conjoints, la société de la ville semble assez fortement segmentée en fonction de l’origine géographique. Près de la moitié des conjoints nés en Espagne se déclarent journaliers (51 cas) ou exerçant une activité non qualifiée (porteur d’eau, domestique). Le second groupe, environ un conjoint sur six, concerne la pêche avec 18 conjoints. Par ailleurs, 12 % de ces hommes travaillent dans le secteur agricole. Enfin, on note la présence de quelques artisans (6 cas) ou d’actifs dans le secteur des transports (charretiers, voituriers, bourriquotiers). A contrario, ces hommes nés en Espagne sont très peu nombreux à déclarer une activité qualifiée (un négociant) et, naturellement, aucun n’appartient à l’armée, à la police ou aux douanes (tableau 5).
35Parmi les conjoints nés en France métropolitaine, trois catégories dominent : l’artisanat (27,3 %), l’ensemble armée/police/douanes (24,0 %), et les emplois divers qualifiés (16,5 %). Le poids de ces deux dernières catégories, environ quatre conjoints sur dix parmi les natifs de France, constitue une différence fondamentale par rapport aux conjoints nés en Espagne. Parmi les artisans, les plus nombreux sont les maçons (11 cas) alors qu’il ne s’en trouvait qu’un seul parmi les natifs d’Espagne. Environ un conjoint français sur dix travaille dans le secteur agricole et très peu dans les activités maritimes (3 matelots, mais aucun pêcheur). Enfin, peu de conjoints nés en France déclarent travailler comme journalier ou exercer un emploi non qualifié.
36Les hommes originaires d’autres pays sont trop peu nombreux pour établir des statistiques. Tout au plus peut-on remarquer que, parmi les onze conjoints nés en Italie, trois se déclarent pêcheurs, partageant cette activité avec les natifs d’Espagne. Parmi les dix-neuf conjoints nés dans les États allemands, quatorze travaillent dans le secteur agricole employant volontiers l’appellation « colon » qui n’est pas utilisée par les autres conjoints.
37Les activités féminines déclarées sont peu nombreuses : 174 femmes (61,1 %) sont dites « sans profession », l’espace reste blanc pour 42 d’entre elles (14,7 %), et six se déclarent ménagères. Les professions les plus fréquemment mentionnées sont couturière (21 cas, dont 9 nées en France, 5 en Algérie et 3 en Espagne), domestique (9 cas, dont 4 nées en Espagne, 2 en Allemagne et 2 en France), blanchisseuse (8 cas, dont 3 nées en Espagne et 3 en France), journalière (6 cas, dont 5 nées en Espagne).
Origines géographiques des conjoints
38Comme nous l’avons vu, la population dite « européenne » de la ville d’Arzew est composite quant aux territoires d’origine, natifs de France et d’Espagne constituant les deux groupes principaux. Il est important de mesurer plus précisément le poids des différents groupes nationaux parmi les conjoints mariés au cours de la période étudiée.
39Parmi les hommes qui se marient à Arzew, deux groupes dominent largement : les natifs de France, au nombre de 121, et les natifs d’Espagne, au nombre de 108. Au troisième rang, mais avec des effectifs bien moindres, on trouve les hommes nés dans des États allemands, essentiellement en Rhénanie-Palatinat [34]. Ensuite viennent les hommes nés sur le territoire algérien, notamment dans le département d’Oran. Mais il s’agit là de descendants de colons européens, pour la plupart venus de France et d’Espagne, et ils apparaissent dans les mariages postérieurs à 1860, lorsque cette « seconde génération », née dans les années 1840, atteint l’âge du mariage. On note également la présence de onze hommes nés en Italie, provenant de différentes provinces (dont 4 de la région de Naples, 2 de celle de Gênes et 2 de celle de Savone). Enfin, on trouve un homme né à Gibraltar, un né au Luxembourg et un né en Belgique (tableau 6).
Territoire de naissance des conjoints selon le sexe, Arzew, mariages de 1847-1874
Hommes | Femmes | |
---|---|---|
Algérie | 18 | 45 |
Allemagne | 19 | 26 |
Belgique | 1 | |
Espagne | 108 | 132 |
France | 121 | 69 |
Gibraltar | 1 | |
Italie | 11 | 5 |
Luxembourg | 1 | 1 |
Suisse | 1 | |
NR | 5 | 6 |
Total | 285 | 285 |
Territoire de naissance des conjoints selon le sexe, Arzew, mariages de 1847-1874
40Parmi les femmes, on observe des différences très importantes par rapport aux hommes. D’une part, celles qui sont nées en Espagne, au nombre de 132, sont bien plus nombreuses que celles nées en France, au nombre de 69. Le rapport de masculinité est ainsi très différent parmi les conjoints de ces deux principales origines : 121 hommes pour 69 femmes parmi les natifs de France (rapport 175), 108 hommes pour 132 femmes parmi les natifs d’Espagne (rapport 82). Il en va de même pour les natives du territoire algérien qui sont au nombre de 45 contre 18 hommes (rapport 40). Ceci s’explique par l’âge au mariage parmi ces descendants de colons, bien plus bas pour les jeunes femmes que pour les jeunes hommes. Par effectifs décroissants, viennent ensuite les femmes nées dans des États allemands (26, dont 19 originaires de Rhénanie-Palatinat). Enfin, on observe la présence de cinq femmes nées en Italie, d’une née au Luxembourg et d’une née en Suisse.
41Voyons maintenant comment se forment les couples, compte tenu de cette diversité des origines territoriales.
42En raison du déséquilibre des sexes, notamment avec le surnombre d’hommes nés en France et celui de femmes nées en Espagne, une certaine exogamie est contrainte. Toutefois, une caractéristique importante du choix du conjoint, lorsque l’on regarde les origines migratoires, est la force de l’endogamie géographique. Parmi les 280 couples au sein desquels l’origine de l’homme et celle de la femme sont connues, 186, soit les deux tiers, unissent deux conjoints de même origine (tableau 7). Les observations diffèrent cependant lorsque l’on prend en considération à la fois le sexe et l’origine géographique des conjoints. Les hommes nés en Espagne sont très endogames puisque 98 sur 108 épousent une femme de même origine. On peut y ajouter les onze conjoints qui épousent une femme née en Algérie, toutes celles-ci étant porteuses d’un patronyme espagnol. Finalement, seuls deux hommes nés en Espagne réalisent un mariage exogame en épousant une femme née en France.
Mariages selon le territoire de naissance des conjoints, Arzew, mariages de 1847-1874

Mariages selon le territoire de naissance des conjoints, Arzew, mariages de 1847-1874
43Le comportement des hommes nés en France est différent puisque seulement 65 sur 121 épousent une femme également née en France. Ils sont de ce fait nombreux à épouser une femme née en Espagne (24) ou sur le territoire algérien (19). Parmi ces dernières, sept portent un nom à consonance espagnole, les autres étant probablement d’origine française.
44Si les hommes nés en France réalisent assez souvent un mariage exogame, c’est le contraire pour les femmes : sur les 69 femmes nées en France, 65 épousent un homme de même origine, deux seulement un homme né en Espagne et deux également un homme né en Italie. Cette forte endogamie des femmes nées en France s’explique mécaniquement par le déséquilibre des sexes parmi les migrants venus de France, mais aussi par le fait qu’épouser un étranger impliquait de prendre la nationalité de celui-ci et donc de perdre la nationalité française sur un territoire où le pouvoir politique et économique appartenait à la France. Franchir la barrière nationale peut alors correspondre à une volonté affirmée de réaliser ce mariage [35].
45Enfin, les femmes nées en Espagne sont pour leur part relativement exogames. Si la majorité d’entre elles (95) épousent un homme de même origine, 38 épousent un homme venu d’un autre territoire. On peut toutefois considérer que parmi les neuf qui épousent un homme né en Algérie, huit réalisent un mariage endogame dans la mesure où leurs époux sont porteurs de patronymes espagnols et sont probablement des enfants de pionniers espagnols installés plus précocement. Il reste 24 femmes nées en Espagne qui épousent des hommes nés en France et ceci constitue l’essentiel des mariages exogames réalisés à Arzew à cette époque. Ceci signifie que les enfants issus de l’ensemble de ces mariages sont majoritairement issus de mariages entre conjoints partageant la même origine et que ceux qui ne sont pas dans ce cas sont essentiellement issus de mariages entre un homme né en France et une femme née en Espagne.
46Les informations fournies par les actes de mariage permettent d’aller au-delà de ce constat global. L’analyse du lieu précis de naissance des conjoints permet de préciser la nature de l’endogamie ; l’horizon matrimonial des nouveaux mariés est-il national, régional ou local ? Ces migrations d’Espagne en Algérie sont-elles individuelles, familiales ou réalisées dans un cadre plus large ? Et les liens sociaux d’origine se maintiennent-ils sur le lieu d’implantation ou bien ces migrants se fondent-ils dans la société française de cette petite ville d’Algérie ?
Liens sociaux et liens familiaux parmi les familles originaires de la province d’Alicante
47Notre étude portant sur la période 1847-1874, les migrants présents à Arzew appartiennent à la seconde vague migratoire espagnole présentée plus haut, celle des migrants originaires des provinces du sud-est de la péninsule ibérique, et en particulier de la province d’Alicante.
Origine provinciale des conjoints nés en Espagne
48Les effectifs assez importants d’hommes et de femmes nés en Espagne autorisent une étude plus précise de leurs origines et du choix du conjoint parmi eux.
49Les conjoints qui se marient à Arzew au cours de cette période sont donc très majoritairement originaires de la province d’Alicante : 87 hommes et 96 femmes (tableau 8). Plus précisément, un grand nombre d’entre eux proviennent de quelques communes, parmi lesquelles Benidorm (19 hommes et 22 femmes), Calp (9 hommes et 11 femmes), Elche (16 hommes et 9 femmes) et Novelda (16 hommes et 15 femmes).
Province d’origine des conjoints nés en Espagne, Arzew 1847-1874
Hommes | Femmes | |
---|---|---|
Alicante | 87 | 96 |
Almeria | 8 | 10 |
Murcie | 7 | 10 |
Valence | 2 | 4 |
Autres | - | 8 |
NR | 4 | 4 |
Ensemble | 108 | 132 |
Province d’origine des conjoints nés en Espagne, Arzew 1847-1874
50Comme vu précédemment, ces communes qui fournissent le plus grand nombre de conjoints appartiennent à deux ensembles différents (voir figure 1). D’une part, Benidorm et Calp sont deux communes côtières, situées au nord d’Alicante, distantes l’une de l’autre d’une vingtaine de kilomètres. La pêche constituait une des principales activités de Benidorm, qui comptait environ 3 000 habitants au début du xixe siècle. En revanche, Elche et encore plus Novelda sont des communes situées à l’intérieur des terres, au sud d’Alicante, distantes l’une de l’autre d’une vingtaine de kilomètres. Novelda était connue pour l’exploitation de ses carrières et de ses mines. Ces deux ensembles, situés de part et d’autre de la ville d’Alicante, sont distants d’environ 90 kilomètres l’un de l’autre. Toutefois, de nombreuses communes, situées entre ces deux ensembles, fournissent également des conjoints mariés à Arzew, même si les effectifs communaux sont moins importants.
51Les autres provinces sont bien moins représentées parmi les conjoints. La province d’Almeria fournit huit hommes et dix femmes, mais il s’agit pour la plupart de mariages réalisés en fin de période d’observation : parmi ces dix femmes, huit se sont mariées après 1870. Encore faut-il noter que les conjoints nés dans cette province d’Almeria sont presque tous originaires de la commune de Pulpi (9 hommes et 7 femmes), qui est limitrophe avec la province de Murcie. Les provinces de Murcie et de Valence, qui encadrent celle d’Alicante, fournissent également quelques conjoints, mais avec des effectifs restreints. Globalement, c’est bien dans le sud-est de la péninsule espagnole que se recrutent les migrants mariés à Arzew à cette époque. Une seule femme est native des îles Baléares, signalant que cet important courant migratoire, très présent dans la région côtière proche d’Alger au milieu du xixe siècle, n’a pas concerné la région d’Arzew.
52La forte endogamie nationale qui a été identifiée ci-dessus à propos des conjoints nés en Espagne se retrouve-t-elle à l’échelle provinciale ? Cela est mécaniquement obligatoire en raison des effectifs en présence. Parmi les 95 mariages qui unissent deux conjoints nés en Espagne, 68 concernent deux natifs de la province d’Alicante. Surtout, parmi les mariages entre deux conjoints nés en Espagne, 68 des 76 hommes et 68 des 72 femmes nés dans cette province épousent un conjoint également né dans la province d’Alicante.
53Au-delà de cette endogamie provinciale, on perçoit même une endogamie communale, puisque douze mariages unissent deux natifs de la commune de Benidorm, et six mariages unissent deux conjoints natifs de Novelda. À ces cas de stricte endogamie villageoise, on pourrait ajouter les mariages qui unissent deux conjoints provenant de villages voisins.
Liens familiaux parmi les natifs d’Espagne
54Au sein de cette population originaire d’Espagne d’effectif restreint (probablement 500 à 600 individus dans les années 1850, le double en fin de période d’observation), apparaissent des mariages avec des conjoints très proches par leurs origines. Ainsi, le dépouillement réalisé permet d’observer des comportements familiaux, portant sur le mariage de plusieurs frères et sœurs.
55Un bon exemple est fourni par les enfants de José Morales et de Cayetana Linares, soit quatre filles et un fils qui se marient à Arzew entre 1857 et 1870 (figure 2). Six mariages sont concernés dans la mesure où le fils convole par deux fois. Les membres de cette fratrie Morales sont tous nés à Benidorm et deux filles épousent un homme né dans le même village, ce qui est également le cas de la seconde épouse du fils. Deux autres conjoints sont natifs respectivement de Calp (commune distante d’une vingtaine de kilomètres) et de Orihuela (à une centaine de kilomètres). Enfin, le dernier conjoint, du nom de Copelo, est né à Oran de parents d’origine espagnole.
Généalogie Morales

Généalogie Morales
56On peut également observer, entre 1850 et 1863, les mariages de trois fils et d’une fille de Pedro Martinez et d’Antonia Navarro (figure 3). Les garçons sont nés à Novelda et la fille, un peu plus âgée, à Elche. Un conjoint vient de Elche, un de Novelda, un de Onil et un de Calp, toutes communes de la province d’Alicante. Une de ces filles, Antonia, épouse en avril 1850 Manuel Martinez, également né à Elche, fils de José Martinez et Francesca Asnar. Deux autres enfants de ce couple, nés à Elche, se marient aussi à Arzew, le 22 juin 1850, avec des conjoints respectivement nés à Elche et à Calp. Ils font partie d’un ensemble de trois mariages entre Espagnols célébrés ce même jour.
Généalogie Martinez

Généalogie Martinez
57Les exemples familiaux peuvent être multipliés avec par exemple le mariage de trois garçons et de deux filles, enfants de José Ayela et Josefa Beltra, tous nés à Novelda (figure 4). Deux épousent des conjoints également nés à Novelda et deux autres des conjoints nés à Elche. Enfin, Maria épouse un homme venu de la province d’Almeria.
Généalogie Ayela

Généalogie Ayela
58On peut citer ensuite la présence de quatre mariages, entre 1856 et 1866, impliquant des enfants de Miguel Barcelo, pêcheur, et d’Angela Devesa, nés à Benidorm. Deux épousent des conjoints également nés à Benidorm et les deux autres, deux frères nés à Calp.
59On trouve également la présence de deux mariages concernant des enfants de Miguel Barcelo, pêcheur, et de Géronima Devesa. Le premier de ces enfants est lui aussi né à Benidorm en 1846, le second étant né en 1851 à Mostaganem, ce qui permet de situer la date de cette migration familiale. Les actes de décès permettent d’établir qu’une proche parenté existe entre ces deux couples pratiquement homonymes, venant du même village et établis dans la même petite ville d’Algérie. En effet, lors de son décès à Arzew en 1886, Angela Devesa est dite fille de Jean et Géronime Perez [36]. La filiation indiquée dans l’acte de décès de Géronima Devesa en 1891 est identique [37].
60D’autres fratries, de dimension plus réduite, peuvent être observées, qui confirment le caractère familial de certaines migrations et le comportement très endogame de ces familles. Ainsi, avec le mariage de trois fils de Pasqual Sanchez, natifs d’Onil, ou celui de deux filles de Sérafin Sanchez, également natives de Onil et potentiellement apparentées aux précédents.
61La densité des relations familiales entre ces individus venus des mêmes villages de la province d’Alicante correspond probablement à un effet de groupe : le départ comme l’installation sont coordonnés, de manière à rester aussi proches que possible. Cet aspect se manifeste également par quelques cas de mariages simultanés, qui ont probablement constitué des fêtes importantes, communes à plusieurs familles venues de la même région. Ainsi, comme cela a déjà été signalé, trois mariages sont célébrés le 22 juin 1850. Les premiers concernant Vincente Martinez, né en 1829, et sa sœur Isabelle, née en 1831, tous deux natifs de Elche, déjà mentionnés (voir figure 3). Le même jour, se marie José Martinez, né en 1801, dont la parenté éventuelle avec les précédents n’est pas établie. Natif de Novelda, il épouse Joséfa Campos, également native de Novelda. Ajoutons que José Campos, frère de la précédente et natif de Elche, s’était également marié à Arzew, deux mois auparavant, avec une femme native de Novelda. La semaine précédente, Manuel Martinez, natif de Elche, avait épousé Antonia Martinez, native de Novelda. La vie du petit port est ainsi rythmée par les mariages entre Espagnols et par les fêtes qui les accompagnent [38].
62La petite ville d’Arzew apparaît ainsi, pour sa composante espagnole du moins, comme un ensemble de familles liées entre elles par leurs origines et par les mariages contractés sur place. Ces unions renforcent le lien d’origine, permettant de recréer sur le territoire algérien un réseau de parenté et de sociabilité assez dense, propre à rendre moins difficiles l’implantation et la vie quotidienne marquée par des conditions de vie sommaires. Par ailleurs, ces unions peuvent aussi faciliter le retour éventuel au village d’origine pour les familles dont le projet migratoire en Algérie serait conçu comme provisoire. En effet, de retour au village d’origine de l’homme, l’épouse ne serait pas une « étrangère » car issue d’une famille connue localement, et son intégration dans la commune d’origine serait aisée.
63Vue sous un autre angle, cette endogamie provinciale ou communale pourrait aussi signaler la difficulté – ou le refus – de nouer des alliances avec les autres groupes présents, originaires de France, des États allemands ou d’Italie : en cas de retour en Espagne, un conjoint provenant de ces groupes serait étranger à la société alicantaise.
Les témoins au mariage civil, indicateurs de liens sociaux ?
64Ainsi, de nombreuses familles venues de la province d’Alicante possèdent sur place, à Arzew, un certain nombre de parents, frères, oncles, cousins, susceptibles d’être désignés comme témoins lors des mariages civils.
65Le relevé systématique des témoins mentionnés lors des mariages montre que de tels parents, qui sont présents dans la commune, sont rarement mentionnés dans les actes de mariage civil. Seuls onze mariages sur 145 impliquant au moins un conjoint né en Espagne se font en présence d’un témoin apparenté et un seul en présence de deux témoins apparentés (tableau 9). Ce dernier mariage, exceptionnel par la présence de deux témoins apparentés aux conjoints et célébré le 30 novembre 1872, unit José Miralles, né à Elche, et Maria Soler, née à Arzew. Cette jeune femme n’est donc pas née en Espagne, mais sur le territoire algérien de parents venus de ce pays.
Distribution des mariages impliquant au moins un conjoint espagnol selon le nombre de témoins apparentés, mariages à Arzew 1847-1874
Aucun témoin apparenté | 1 témoin apparenté | 2 témoins apparentés | 3 témoins apparentés | 4 témoins apparentés |
---|---|---|---|---|
133 | 11 | 1 | 0 | 0 |
Distribution des mariages impliquant au moins un conjoint espagnol selon le nombre de témoins apparentés, mariages à Arzew 1847-1874
66Les quelques témoins apparentés mentionnés sont respectivement des frères (3), des oncles (3), des beaux-frères (4), un cousin germain et un neveu. Ajoutons le cas particulier d’un témoin qui, lors d’un mariage célébré le 23 août 1866, est à la fois beau-frère de l’époux (José Ramos) et cousin germain de l’épouse (Sérafina Sanchez), signalant ainsi l’existence d’un lien familial qui nous était inconnu car non mentionné dans les sources exploitées. Ce fait confirme également que ces migrants avaient parfois déjà des liens familiaux avant la migration.
67La rareté des témoins apparentés aux conjoints signifie probablement que les hommes choisis comme témoins lors du mariage civil sont plus volontiers des amis et des compagnons de travail. On trouve ainsi des mariages entre pêcheurs, entre journaliers ou entre bourriquotiers. Par exemple, le mariage du 15 novembre 1850 entre Roque Moralo et Térésa Perles, tous deux nés à Calp, se fait en présence de quatre témoins exerçant le métier de bourriquotier. Le mariage du 13 mars 1852 entre José Béné, pêcheur né à Torrevieja (province d’Alicante), et Vicenta Dolaves, née à Calp, réunit quatre amis et témoins pêcheurs. Comme vu plus haut, l’appellation « journalier » concerne de très nombreux Espagnols mariés à Arzew à cette époque. Aussi les mariages dans lesquels le conjoint et les quatre témoins déclarent cette activité sont-ils nombreux. Il apparaît donc nettement que les témoins mentionnés dans les actes de mariage civils sont avant tout des amis des conjoints, exerçant souvent la même activité professionnelle que l’homme, les parents étant rarement appelés à servir de témoins. Par ailleurs, il ne semble pas exister de témoins professionnels, fréquemment mentionnés dans les actes de mariage. Tout au plus, dans les années 1870, Carlos Navarro, perruquier âgé d’une vingtaine d’années, et Alexandre Fabre, cordonnier âgé d’une trentaine d’années et dont la signature est très malhabile, sont-ils témoins de plusieurs mariages en quelques années.
68Il est également intéressant d’observer la nationalité des hommes appelés pour être témoins dans ces mariages. Celle-ci n’est pas indiquée dans les actes de mariage mais elle peut être déduite, sans trop de risque d’erreur, dans la mesure où les patronymes d’origine espagnole sont en nombre restreint et nettement différents des autres patronymes mentionnés dans les actes. Quelques patronymes ne pouvant être classés avec précision, ces mariages ont été classés à part comme « douteux ».
69Lorsque les deux conjoints sont nés en Espagne, dans la grande majorité des cas (75 sur 95, soit 79 %) les quatre témoins portent des patronymes espagnols (tableau 10) ; à l’inverse, il n’y a qu’un mariage dans lequel un seul témoin porte un patronyme espagnol alors que trois ont un patronyme français. Il s’agit du mariage, le 15 juin 1870, d’Antonio Molina, journalier né à Santa Pola, et de Vicenta Llavador, née à San Juan, deux communes de la province d’Alicante. Les trois témoins français sont respectivement bourrelier, tailleur de pierres et briquetier, tandis que le conjoint espagnol est débitant de boissons.
Distribution des mariages impliquant au moins un conjoint né en Espagne selon la nationalité apparente des témoins, Arzew, 1847-1874

Distribution des mariages impliquant au moins un conjoint né en Espagne selon la nationalité apparente des témoins, Arzew, 1847-1874
70Quelques mariages unissent un conjoint né en Espagne et un autre né sur le territoire algérien, enfant de migrant venu d’Espagne. Ils deviennent plus nombreux dans les années 1870, lorsque les filles nées sur place atteignent l’âge de se marier. Les cas sont trop peu nombreux pour conclure, mais ils montrent peut-être une tendance à une petite ouverture par rapport aux mariages précédents, avec une participation un peu moindre de témoins porteurs d’un patronyme espagnol : dans 12 cas sur 19 (63 %), les quatre témoins sont porteurs de noms espagnols.
71Enfin, une troisième catégorie de mariages unit un conjoint né en Espagne et un conjoint né dans un autre pays que l’Espagne ou l’Algérie. Il s’agit majoritairement de mariages entre un homme né en France métropolitaine et une femme née en Espagne. Dans ce cas de figure particulier, les témoins sont majoritairement porteurs de patronymes français : il en est ainsi pour les quatre témoins dans onze mariages sur trente et un (35 %) et pour trois témoins dans huit autres unions (26 %). A contrario, on n’observe alors que trois mariages dans lesquels les quatre témoins sont porteurs de patronymes espagnols.
72L’ensemble de ces observations laisse penser que les couples endogames unissant deux conjoints nés en Espagne et formés à Arzew vivent plutôt dans un environnement social et amical espagnol, mettant en avant ces liens sociaux par la désignation de témoins de même origine. En revanche, dans les mariages exogames, et notamment les couples formés d’un homme de nationalité française et d’une femme née en Espagne, ce sont des témoins porteurs de patronymes français qui dominent, laissant penser que le nouveau couple s’intègre à cet univers social français, la femme d’origine espagnole se détachant de son milieu d’origine.
Conclusion
73Le fait de réaliser une micro-analyse des actes de mariage permet de confirmer des éléments déjà connus concernant la migration espagnole en Algérie. Mais elle permet surtout de percevoir des comportements sociaux et des relations familiales qui ne sont pas apparents dans les grandes séries statistiques. La forte présence, à l’échelle locale, des migrants originaires de quelques villages de la province d’Alicante autorise des comportements endogames très forts, lors du choix du conjoint et de la réalisation du mariage, mais aussi probablement dans la vie quotidienne. Ces familles venues de Benidorm, de Calp, d’Elche ou de Novelda, vivent dans une grande proximité sociale : elles exercent les mêmes activités professionnelles, peu qualifiées et mal rémunérées, elles résident majoritairement dans le même quartier, elles ont la même pratique linguistique et religieuse, elles participent aux mêmes fêtes, comme en témoigne ponctuellement l’organisation de mariages simultanés.
74Il existe ainsi une vie « à l’espagnole », entre immigrés venus des mêmes villages et se connaissant parfois depuis longtemps. Il est probable que le faible niveau d’instruction de ces migrants venus de régions particulièrement pauvres, a renforcé cet aspect communautaire. Selon l’historien espagnol J. B. Vilar, « les émigrants [espagnols] étaient par conséquent très peu perméables à des influences extérieures, non seulement à cause de leur faible niveau d’instruction, mais aussi du fait de leur concentration spatiale dans des zones bien délimitées » (Vilar, 2002, 17).
75Par ailleurs, les relations entre colons venus de France et d’Espagne pouvaient parfois être difficiles. Globalement, les premiers occupaient des rangs sociaux plus élevés sur ce territoire intégré à la France, étaient souvent propriétaires fonciers et pouvaient, pour certains, avoir un sentiment de supériorité sur les étrangers. Symétriquement, certains Espagnols pouvaient également avoir un sentiment négatif vis-à-vis des Français. C’est du moins ce qu’exprime J. J. Jordi : « Dès les premières années de la conquête, les Espagnols ne cachent pas leur aversion pour les Français. Il faut dire que du côté français les militaires méprisent ces valets d’armée. La différence d’habitat, des coutumes, aggrave encore ce particularisme ombrageux […]. Le Français regarde d’un air condescendant l’Espagnol de condition modeste dont les manières de vie le choquent. Son exubérance, son orgueil, son assurance l’indisposent. » (Jordi, 1986, 289)
76Si l’on accepte cette appréciation, cette société coloniale apparaît ainsi segmentée en fonction des origines nationales, qui recoupent assez largement une hiérarchie sociale. Les familles espagnoles vivent entre elles, du moins à Arzew, et elle se marient largement de manière endogame. Ainsi G. Crespo et J. J. Jordi considèrent que, dans les premières décennies de la présence européenne, « il n’y a ni insertion sociale des Espagnols dans un monde colonial mal défini, ni une réelle transposition du mode de vie en Algérie » (Crespo, Jordi, 1991, 156) [39].
77Sans doute de telles affirmations sont-elles un peu trop globalisantes et mériteraient-elles d’être nuancées. Elles peuvent probablement s’appliquer aux familles espagnoles établies à Arzew, et peut-être en est-il de même dans quelques petites villes comptant une forte minorité de population originaire de la péninsule ibérique et en particulier de la province d’Alicante, comme Mers el-Kébir ou Sidi Bel Abbès [40]. Mais cela ne peut être généralisé à toute l’Algérie, ni même à toute la province d’Oran. En effet, dans cette province, à Tlemcen, à Mascara ou à Mostaganem, les origines des migrants sont plus diversifiées et l’endogamie villageoise est moindre [41].
78Finalement, peut-on parler au cours du xixe siècle d’une intégration des colons espagnols au sein de la population coloniale française ? Une « nouvelle race européenne » est-elle en train de naître au sud de la Méditerranée ? Au terme d’une réflexion fondée sur une approche très différente de la nôtre, Pierre Nora affirmait qu’« il n’y eut pas en Algérie comme aux États-Unis au xixe siècle de melting-pot » (Nora, 1961). Ce concept de melting-pot nous renvoie directement aux préoccupations des statisticiens coloniaux du xixe siècle qui espéraient la « fusion des races » européennes en Algérie. Les études récentes portant sur les Antilles, la Réunion ou Madagascar indiquent par ailleurs que, s’il existe quelques constantes dans la nuptialité des populations coloniales, chaque société a suivi un modèle original (Brunet, 2015). Toujours est-il que nos observations portant sur la région d’Oran semblent confirmer la faible perméabilité entre groupes migrants de différentes origines, du moins au cours du xixe siècle. Les actes de mariage de la ville d’Arzew entre 1847 et 1874 donnent à voir un comportement très endogame de la part des migrants venus d’Espagne et des liens sociaux denses et plutôt exclusifs à l’intérieur de ce groupe. Au début de la Troisième République, sur le territoire algérien, les origines nationales restent encore déterminantes pour ce qui concerne le choix du conjoint et les liens sociaux. C’est essentiellement au xxe siècle que le rapprochement entre descendants d’immigrés de diverses origines se réalisera, dans une certaine mesure, sur ce territoire. Sans doute, alors, les liens familiaux et les liens sociaux s’ouvriront-ils au-delà des familles les plus proches par leurs origines. Une étiquette collective, gommant les segmentations internes, sera attribuée globalement pour désigner cette population d’origine européenne, celle de « pieds-noirs ».
Notes
-
[1]
Ce travail a été réalisé dans le cadre du Laboratoire d’excellence iPOPS et a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme « investissement d’avenir » pourtant la référence ANR-10-008-01.
-
[2]
De nombreuses histoires générales de l’Algérie sont disponibles. On peut par exemple se reporter à la synthèse rédigée par X. Yacono (1993) ou à l’ouvrage de Ch. R. Ageron (1979).
-
[3]
Le territoire algérien servit aussi ponctuellement de lieu de relégation pour des opposants politiques, dont des insurgés de 1848 (Barbançon, 2008).
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[4]
On peut rappeler la célèbre formule du maréchal Bugeaud, artisan de la conquête et de la colonisation, qui parla à leur propos de « la lie de tous les peuples de la Méditerranée ». Lettre de Bugeaud au général Charron, 4 septembre 1848 (Lettres inédites, 325) citée par J. Verdès-Leroux (2001). Cette idée a d’ailleurs été reprise récemment par M. Gharbi qui considère que « peuplée de gens marginaux, l’Algérie était un véritable dépotoir » (Gharbi, 1999, 137).
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[5]
Rappelons qu’en dépit des pertes dues aux combats et des refoulements hors des frontières, ces indigènes étaient largement majoritaires sur le territoire algérien. On peut estimer le nombre d’indigènes musulmans présents en 1856 à environ 3,2 millions et celui des indigènes israélites à environ 25 000. À la même date, le nombre d’Européens est estimé à environ 150 000.
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[6]
Des travaux menés au xixe siècle sur l’Algérie ont souligné la forte endogamie matrimoniale en fonction des catégories définies. Ainsi, le docteur René Ricoux, dressant un bilan des 44 816 mariages enregistrés par l’administration française entre 1830 et 1877, fournit les chiffres suivants : 23 217 ont uni deux Français, 14 568 ont uni deux étrangers, et 6 881 ont uni un conjoint français et un conjoint étranger (Ricoux, 1880, 91). Le docteur Ricoux ajoute que seulement 150 mariages ont uni des conjoints de religions différentes, chrétiens, juifs ou musulmans. Rappelons que les mariages concernant deux conjoints dits « indigènes musulmans » ne sont pas, à cette époque, enregistrés à l’état civil tenu par l’administration française.
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[7]
R. Ricoux, op.cit., supra. Un tiers de l’ouvrage, soit une centaine de pages, est consacré à cette question.
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[8]
Commission de 1900, in Procès-verbaux de la sous-commission d’étude de la législation civile en Algérie (1900), Chambre des Députés, 7e Législature, t. 31, n° 1840 à 1862, p. 326 (cité par Kateb, 2001, 203).
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[9]
Cité par Kateb (2001, 203). Ces érudits, pour la plupart d’entre eux, n’envisagent pas que les populations indigènes puissent contribuer à cette « fusion de races », limitée aux immigrés d’origine européenne. Force est de constater que les mariages entre Européens et indigènes ont effectivement été très rares.
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[10]
La bibliographie est abondante : voir par exemple Garden (1998), Pétillon (1999) ou Uberfill (1998). L’étude des mariages a également été utilisé dans d’autres contextes coloniaux comme les Antilles, la Réunion, Madagascar ou le Canada (Brunet, 2015).
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[11]
Pour son ouvrage sur les femmes européennes en Algérie au xixe siècle, C. Robert-Guiart a dépouillé une centaine d’actes de mariage. La démarche est essentiellement illustrative et l’échantillon bien trop faible pour avoir une signification statistique. Deux études récentes utilisent toutefois les actes de mariage : un article sur les mariages enregistrés en 1867 dans 11 villes d’Algérie (Brunet, 2012) et un mémoire de Master sur les mariages à Sidi Bel Abbès au cours de la seconde moitié du xixe siècle (Chaix, 2013).
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[12]
Nous avons utilisé pour cette recherche les microfilms mis en ligne sur le site des ANOM. Une rapide présentation de ces documents et des conditions de conservation peut être consultée sur le site : http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/caomec2/recherche.php?territoire=ALGERIE.
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[13]
Tableau construit par V. Demontès (1906, 52-53). On peut se reporter au tableau original qui donne les effectifs pour les quinze recensements réalisés au cours de cette période, tandis que nous n’en présentons ici que huit. V. Demontès utilise le concept de nationalité d’origine afin de ne retenir comme Français que les titulaires de la nationalité par la naissance et de mettre dans les différentes catégories nationales étrangères les personnes françaises par acquisition.
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[14]
La loi de 1889 qui accorde la nationalité française aux enfants d’origine européenne nés sur le territoire national, et donc également en Algérie, contribue à cette évolution. Par ailleurs, M. Wahl souligne une nette différence de fécondité selon l’origine nationale : « Les populations originaires de l’Europe méridionale subsistent et se reproduisent parfaitement en Algérie. Les Espagnols, qui n’ont chez eux qu’une moyenne de 4,5 enfants par ménage, arrivent à 6 ; les Italiens, qui ont 4,5 en Europe, atteignent 5,5. La natalité française est beaucoup moins exubérante ; elle ne donne encore qu’une moyenne de 4 enfants par ménage (en France 3,09) et de 35,3 par 1 000 habitants (24,7 en France) » (Wahl, 1886, 241-242).
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[15]
La ville d’Oran avait été disputée pendant trois siècles entre la puissance espagnole et la puissance ottomane. Dominée par l’Espagne aux xvie et xviie siècles (1509-1708), la ville passa brièvement aux mains de l’Empire ottoman (1708-1732), retourna dans le giron espagnol de 1732 à 1792, avant de revenir sous administration de la Régence de 1792 à 1830. Cette histoire mouvementée explique la présence, avant la conquête française, d’un quartier espagnol dans la vieille ville. Les sources ne précisent malheureusement pas l’effectif de la population espagnole présente au début du xixe siècle.
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[16]
L’historien espagnol J. B. Vilar souligne que, mis à part la ville d’Oran et ses environs immédiats, il n’y avait pas eu d’implantation durable d’une population espagnole de type colonial au xviiie siècle (Vilar, 2002, 12).
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[17]
Il apparaît en effet abusif de construire une catégorie nationale « Espagnols » en regroupant tous les migrants nés dans ce pays. Certains auteurs du xixe siècle ont souligné les différences entre migrants venus de différentes provinces. Par exemple, selon M. Wahl qui écrit à la fin du xixe siècle, « les gens des Baléares, les « Mahonnais », comme on les appelle indistinctement, ne font pas corps avec les autres Espagnols ; ils ont des habitudes plus paisibles et des instincts moins violents » (Wahl, 1889, 227).
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[18]
La force de cette émigration peut se lire dans les statistiques démographiques de l’île de Minorque. Alors que la paroisse de Mahon comptait 20 063 habitants en 1826, elle n’en comptait plus que 15 478 en 1840. Le solde naturel était pourtant élevé (+ 1 603 au cours de la période 1826-1840), mais le solde migratoire était très déficitaire (- 6 188) (Dubon Prétus, 1987, 182).
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[19]
En vertu d’un décret de 1850, cinq cents hectares furent attribués pour le développement de la colonie agricole de Fort de l’Eau : 45 familles s’y installèrent avec des titres de concessions, soit 230 habitants officiellement, 250 à 300 officieusement. On estime que ces colons mahonnais bénéficièrent d’environ 300 concessions entre 1850 et 1857 (Crespo, Jordi, 1991, 83). À cette époque, la majorité des Minorquins travaillait dans le secteur agricole.
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[20]
Alors qu’auparavant elle était minoritaire par rapport à l’émigration vers les Amériques, au cours de la période 1885-1895, la migration vers l’Algérie correspondit à plus de 95 % de l’émigration espagnole totale (Bonmati Anton, 1987, 21).
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[21]
Selon C. Robert-Guiard, des tartanes venant d’Espagne livraient à Alger des cargaisons de femmes « à tout faire ». Cette historienne poursuit en précisant que « toutes ces femmes n’étaient pas forcément des prostituées mais, poussées par le dénuement le plus total, elles acceptaient d’être des femmes « à tout faire » : servantes, aides agricoles, compagnes des hommes qui les prenaient en charge à l’arrivée. Certaines, comme la jeune Francesca [héroïne d’un roman populaire de J. Montupet publié en 1953] finissaient par se faire épouser » (Robert-Guiart, 2009, 27).
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[22]
J. B. Vilar souligne également le sous-développement de la province d’Alicante : « Au milieu du xixe siècle, dans la province d’Alicante, seuls 29,2 % des garçons entre six et quinze ans et 28,6 % des filles du même âge étaient scolarisées […]. Moins de 31 % des hommes et moins de 60 % des femmes savaient lire et écrire » (Vilar, 2005, 16).
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[23]
En outre, cet auteur souligne le rôle positif joué par l’épargne envoyée dans la région d’Alicante par les migrants travaillant en Algérie.
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[24]
À Sidi Bel Abbes, au cours de la période 1870-1875, 142 conjoints sur 350 et 131 conjointes étaient nés en Espagne. Ils étaient plus nombreux que les natifs de France métropolitaine : 121 hommes et 61 femmes ; mais la nuptialité ne reflète pas parfaitement la distribution selon la nationalité indiquée par les recensements (Chaix, 2013).
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[25]
Les Italiens, et à un moindre degré les Maltais, sont très majoritaires dans le secteur de la pêche sur les côtes du Constantinois, dans l’est du territoire algérien.
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[26]
De manière plus anecdotique, Valdès Pena signale que de nombreux Espagnols originaires de deux communes de la province d’Alicante, Elche et Callosa d’en Sarrià, travaillent à la fabrication d’espadrilles, notamment dans le quartier algérois de Bab el Oued, à Alger, qui comporte une forte population d’origine espagnole (Valdès Pena, 2011, 92).
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[27]
Affirmation qui n’est pas entièrement confirmée par notre étude des actes de mariage de la ville d’Oran.
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[28]
D’après les analyses de V. Demontès, la province d’Alicante aurait fourni la moitié des migrants espagnols. Il note que, dans cette région, les départs concernent peu la côte où commerce, pêche et activités portuaires permettent à la population de vivre. Selon lui, les villages de l’intérieur, éloignés des côtes, souffrent de pauvreté mais sont également peu touchés par l’émigration. C’est l’espace intermédiaire pré-littoral, touché par la dépression agricole et peu éloigné de la mer, qui fournirait la grande majorité des migrants (Demontès, 1906, 56).
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[29]
Les données qui suivent, portant sur les actes de mariages civils enregistrés au cours du xixe siècle dans ces 13 villes, sont extraites de notre enquête, menée dans le cadre de l’INED, sur les populations européennes et juives en Algérie au xixe siècle. La base de données principale contient environ 13 000 mariages enregistrés dans ces villes entre 1833 et 1895. Rappelons que le contenu des actes de mariage est très riche, indiquant notamment la filiation des conjoints, leurs principales caractéristiques socio-démographiques (lieu et date de naissance, état matrimonial, profession, lieu de résidence), ainsi que la présentation rapide des témoins (nom, âge, profession, lieu de résidence), au nombre de quatre à cette époque.
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[30]
Les hommes nés en Espagne représentent 37,9 % des conjoints mariés à Arzew entre 1847 et 1874, tandis que les femmes nées en Espagne représentent 46,3 % des conjointes. Ainsi, environ un quart des conjoints nés en Espagne provient de ces quelques villages.
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[31]
Pour une présentation plus complète de la ville, voir Camps (1989, 943-948). Le territoire sous domination espagnole était important au xvie siècle, mais s’est trouvé réduit après la défaite de Charles Quint devant Alger en 1541, puis après la prise de Tlemcen par les Ottomans.
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[32]
Les hommes nés en France sont plus souvent militaires, artisans ou occupent des emplois qualifiés (voir tableau 5).
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[33]
Signalons que les résultats du recensement de 1866 sont en désaccord avec l’estimation donnée par Victor Bérard pour 1867. La différence provient essentiellement du nombre de musulmans que Bérard évalue à 133 seulement (Bérard, 1867, 507). Probablement la différence provient-elle de la définition de la zone urbaine prise en considération par chacune de ces deux études.
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[34]
La présence à Arzew, au milieu du xixe siècle, d’hommes et de femmes nés dans les États allemands relève d’un fait historique bien documenté par ailleurs. En effet, en 1846, 843 migrants rhénans, originaires de la région de Trèves et désirant se rendre au Brésil, furent abandonnés à Dunkerque par l’agent qui s’était chargé d’organiser leur traversée de l’Atlantique. Après des tergiversations et par manque de colons français volontaires pour s’établir en Algérie, ils furent autoritairement dirigés par les autorités françaises dans l’ouest algérien, vers les villages de La Stidia et de Sainte Léonie, à proximité d’Oran. Mais on estime que, du fait de la forte mortalité et de la mobilité géographique, il ne restait sur place que 300 d’entre eux environ six mois plus tard (Fischer, 1999, 58). Aussi n’est-il pas étonnant de retrouver un groupe de conjoints natifs de Rhénanie-Palatinat se mariant à Arzew à cette époque. Parmi les 18 premiers mariages enregistrés dans cette ville, entre juin 1847 et juillet 1848, 15 concernent des hommes nés dans les États allemands. Parmi ces Allemands, à cette époque, l’endogamie est totale. Par la suite, on ne trouve pratiquement plus mention dans les registres d’Arzew de conjoints natifs d’un état allemand, cette migration ponctuelle ayant cessé.
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[35]
C. Robert-Guiart souligne la force du choix personnel des conjoints qui réalisent un mariage exogame : il faut surmonter le problème de langue ou les réserves éventuelles de la part des familles. Et encore plus lorsque c’est une femme de nationalité française qui épouse un étranger et perd ainsi sa nationalité dans un territoire régi par la France. À ce propos, cette historienne se demande « ce qui permet de surmonter ces barrières linguistiques, de l’amour ou de la nécessité ? » (Robert-Guiart, 2009, 114).
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[36]
Comme dans de nombreux actes d’état civil de cette époque, les prénoms espagnols ont été francisés : Angela devient Angèle, Juan devient Jean et Géronima devient Géronime.
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[37]
Dans son acte de décès enregistré à Arzew en 1868, Miguel Barcelo, époux d’Angèle Devesa, est dit fils de Manuel et de Rosa Llorca. Un autre Barcelo Michel (Miguel) décède à Arzew en 1894. Malheureusement, la filiation et l’état matrimonial ne sont pas indiqués, ce qui ne permet pas d’établir une éventuelle parenté entre ces deux hommes homonymes ayant épousé des sœurs Devesa.
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[38]
J. B. Vilar souligne la transposition en Algérie des comportements traditionnels : « Pendant les fiançailles, les vieilles coutumes d’Espagne étaient conservées : faire la cour (« mocear »), discuter (« hablar »), entrer dans la maison de la fiancée et se concerter avec les parents sur le déroulement des noces. C’est à cette occasion que sont choisis les témoins qui amèneront les mariés jusqu’à l’autel » (Vilar, 2002, 16). Sans doute J. B. Vilar fait-il allusion aux témoins mobilisés pour le mariage religieux.
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[39]
Ajoutons que les immigrés venus d’Espagne furent peu nombreux à demander la nationalité française : 6 000 seulement se sont fait naturaliser entre 1849 et 1889, dont les deux tiers résidaient dans la région d’Oran (Crespo, 2002, 74). Faisant directement référence aux pratiques matrimoniales, J. J. Jordi évoque la « reproduction linéaire d’une société catholique, la communauté espagnole paraît vouloir vivre en Oranie une existence espagnole. Le mariage revêt en Oranie la même signification qu’en Espagne. Il est précédé de fiançailles officieuses puis officielles très prolongées, entre deux et cinq ans environ. C’est la période où, selon l’expression qui perdure, les fiancés sont autorisés à « fréquenter ». Généralement, la cérémonie du mariage est marquée par des cérémonies bruyantes et onéreuses » (Jordi, 1986, 267).
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[40]
Par exemple, à Sidi Bel Abbès, parmi les 350 hommes mariés de 1870 à 1875, on trouve 76 conjoints masculins nés dans la province d’Alicante, dont 34 nés dans la seule commune d’Aspe. Parallèlement, 27 conjointes sont nées dans cette même commune (Chaix, 2013).
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[41]
Il existe aussi des migrations groupées de la part de familles venues d’Italie, en particulier originaires des îles d’Ischia et de Procida. Par exemple, à Ténés, port situé pratiquement à égale distance d’Alger et d’Oran, on compte 20 conjoints nés à Procida, déclarant tous la profession de marin. On compte également neuf conjointes nées dans cette même île, toutes filles de marins et de pêcheurs. Parmi elles, sept épousent un homme également né à Procida, une épouse un homme né à Ténès mais porteur d’un nom italien, et une autre épouse un homme né à La Valette (Malte).
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