Introduction
1Le développement des approches intergénérationnelles au cours des dernières décennies s’inscrit dans le même courant que celui des approches longitudinales en général. On peut en effet considérer qu’il existe trois échelles, trois « temps », dans les analyses longitudinales : le temps biographique, celui de l’individu ; le temps de deux générations successives, avec la mise en relation de parents et d’enfants ; et le temps long, celui de l’enchaînement de nombreuses générations, avec la dimension généalogique. Les deux dernières échelles peuvent se regrouper dans l’appellation « approches intergénérationnelles », même si les questions posées et les méthodes d’analyse sont propres à chacune de ces deux dimensions.
2Les approches intergénérationnelles sont de fait utilisées dans des disciplines différentes. La démographie historique les a (re)découvertes, surtout à partir des années 1970, alors qu’elles étaient déjà largement utilisées en ethnologie et en anthropologie. Par ailleurs, les spécialistes de génétique des populations et d’anthropologie biologique utilisaient les réseaux de parenté et les généalogies depuis le milieu du xxe siècle. On peut par exemple citer les travaux menés par Jacques Sutter (1966), par André Chaventré (1976) ou par Albert Jacquard (1972).
3La Société de Démographie Historique a beaucoup réfléchi à la question des analyses généalogiques, y consacrant notamment un dossier dans son volume 1976 et l’essentiel de son volume 1984, et certains de ses membres se sont impliqués à cette époque dans des recherches à dimension intergénérationnelle. On en trouve une illustration dans l’intervention d’Alain Bideau dans un débat préparatoire interne à la SDH en 1983 : « Lorsqu’on a travaillé sur la fécondité, on a oublié la notion d’enfants utiles (la taille efficace de la famille dans le jargon génétique). Quels sont les enfants qui participent, par exemple, à la reproduction de la génération suivante ? Qui se reproduit, qui ne se reproduit pas ? On a ainsi grâce à la génétique des populations une méthodologie qui nous permet de poser les vraies questions qui sont centrales d’ailleurs dans l’enquête de Jacques Dupâquier » (Bideau, 1983, 13). Par la suite, ce concept d’enfants utiles a été développé et théorisé, notamment par Évelyne Heyer et Marie-Hélène Cazes (1999), et il se trouve précisément à l’interface des approches démographiques et des approches génétiques.
4Dans cet article, nous rendrons compte dans un premier temps des questions posées par les chercheurs dans le cadre des études mettant en relation deux générations successives, puis dans un second temps de celles analysant un nombre plus important de générations. Bien que cette séparation soit parfois artificielle, nous présenterons séparément les études qui s’inscrivent plutôt dans une perspective de sciences humaines et sociales, et celles qui relèvent plutôt d’une dimension biologique et génétique. Enfin, soulignons que certaines questions, abordées de manières différentes, peuvent se retrouver dans les deux approches, démographique et génétique, comme par exemple celle de la transmission de la longévité ou de la fécondité.
Rapports entre deux générations successives
5L’étude de la transmission intergénérationnelle de diverses caractéristiques démographiques suscite l’intérêt des chercheurs depuis plus d’un siècle, mais elle a connu récemment d’importants développements, aussi bien en histoire sociale qu’en démographie historique ou contemporaine. La question touche à la sociologie mais aussi à l’économie, la psychologie, l’anthropologie et le droit. Bien qu’il se dégage un certain consensus sur l’existence d’effets intergénérationnels en ce qui concerne la fécondité et la longévité, les mécanismes de cette transmission demeurent mal compris (Bittles et al., 2008). Un obstacle auquel se confrontent les analyses est bien, en effet, de parvenir à dissocier ce qui dans les ressemblances éventuelles entre deux générations relève du social et ce qui relève du biologique.
Relations entre parents et enfants : de la reproduction à la solidarité
6Une première question, de nature démographique, consiste à se demander avec quelle intensité les individus contribuent à la constitution de la génération suivante. Ensuite, il s’agit d’examiner si les générations successives coexistent, de manière brève ou plus ou moins durable. Une interrogation de fond porte sur la manière dont se nouent les liens entre les générations, en particulier entre parents et enfants qui constituent deux générations successives. Selon leur position générationnelle dans le lignage et dans le réseau de parenté, les individus ont des obligations juridiques ou morales et des pratiques relationnelles différentes. Pour le moins, l’interrogation est double : que reçoit-on de la génération précédente, et que transmet-on à la génération suivante ?
La reproduction différentielle et les ressemblances intergénérationnelles
7Une première question porte sur l’intensité de la reproduction et la manière dont se constitue la génération suivante. La mise en relation de deux générations successives était déjà au cœur de la réflexion de Paul Vincent dans la revue Population en 1946. Exploitant une enquête menée lors du recensement de 1931 sur la fécondité des femmes de la génération 1881, il présente la reproduction différentielle de celles-ci, montrant qu’une minorité de femmes, les plus fécondes, est à l’origine d’une part importante des enfants nés de cette génération.
8Le concept de reproduction différentielle est par la suite largement développé, notamment par Jacques Dupâquier (Dupâquier et Kessler, 1992). Plus récemment, quelques chercheurs ont développé le concept « d’enfants utiles », ceux-ci étant les enfants qui, au sein d’une fratrie, se reproduisent et sont à l’origine de la génération suivante (Heyer et Cazes, 1999).
9La transmission et/ou la modification des comportements féconds est aussi parfois étudiée en relation avec la migration (Schumacher, 2010).
10Quelques auteurs étudient également la question de la transmission des comportements liés à la fécondité, indépendamment des aspects génétiques dont il sera question ci-dessous. La question a été posée dès la fin du xixe siècle à partir des données provenant des familles des Pairs britanniques. Un réexamen des données dans les années 1970 a montré que les aspects sociaux étaient dominants dans cette transmission de la fécondité (Williams et Williams, 1974). Dans la décennie suivante les études furent nombreuses, provenant essentiellement des chercheurs anglo-saxons (Langford et Wilson, 1985). Pour ce qui concerne les facteurs sociaux influençant la fécondité, même en l’absence de contraception, on peut citer l’allaitement au sein qui tend à rallonger les intervalles, ou le décès en bas-âge des enfants qui tend à les raccourcir. L’état de santé de la femme et la fréquence des rapports sexuels sont également à prendre en considération. Par exemple, l’âge à la dernière maternité relève de facteurs physiologiques, notamment l’âge à la ménopause, mais aussi de facteurs sociaux, surtout lorsque les couples commencent à pratiquer une certaine limitation volontaire du nombre de naissances. La comparaison de l’âge à la dernière maternité d’une génération à la suivante, au cours des derniers siècles, montre en général une baisse progressive de celui-ci (Desjardins et al., 1994).
Le poids du régime démographique : coexistence des générations
11La démographie intergénérationnelle, pratiquée dans le cadre familial, prend forcément en considération la coexistence entre les générations successives. Pour que les membres d’une génération aient des relations avec ceux de la ou des générations suivantes, encore faut-il que les uns et les autres soient vivants simultanément. En particulier pour les périodes anciennes, au cours desquelles la mortalité était élevée et la longévité moyenne réduite, l’expression des éventuelles solidarités intergénérationnelles était contrainte par la réalité et par la durée, parfois brève, de la coexistence des générations successives.
12Ainsi, l’étude des biographies des pionniers canadiens français du xviie siècle a montré que l’âge moyen au décès des hommes pères de famille était de 60,4 ans alors que leur âge moyen lors de la naissance de leur dernier enfant était de 45,6 ans. Les derniers enfants ne devenaient donc adultes qu’après le décès de leur père. Ils pouvaient, en moyenne toujours, compter sur la survie de leur mère jusqu’à leur 24e anniversaire (Charbonneau et al., 1987, 157). Il faut souligner qu’il existe des différences à l’intérieur des fratries, la probabilité de côtoyer ses parents une fois devenu adulte dépend pour partie du rang de naissance, les aînés côtoyant plus longtemps et jusqu’à un âge plus avancé leurs parents.
13Avec une longévité restreinte, dans les sociétés anciennes la coexistence était souvent limitée à deux générations, et parfois brève. Les grands-parents étaient certes une réalité dans la France de l’époque moderne, mais ils connaissaient plus souvent de jeunes enfants que des adolescents ou de jeunes adultes (Gourdon, 2001). Les choses ont évolué au cours des siècles suivants. Par exemple, en Suisse, l’âge médian des enfants au décès du père est passé de 26 ans, pour la génération 1850, à environ 50 ans, pour les générations nées un siècle plus tard (Pierrard, 2010). Ce n’est que progressivement que trois générations ont coexisté durablement dans de nombreuses familles, entraînant la fréquence élevée de la présence de grands-parents, et l’évolution de leur place au sein de la famille. Les familles à quatre générations, quant à elles, ne sont devenues une réalité fréquente qu’au cours du xxe siècle.
14Aussi, la transmission des biens matériels ne se réalise pas avec le même calendrier selon la durée de vie des générations. Dans la société ancienne, avec une vie moyenne de 60 ans environ et un temps de génération proche de 30 ans en moyenne, les enfants perdaient souvent leurs parents alors qu’eux-mêmes étaient trentenaires, ou plus jeunes encore. Ce sont donc des adultes encore jeunes, en train de constituer leur descendance et de développer leur activité économique, qui recevaient leur héritage. Par contre, avec une durée de vie moyenne de 75 ans, ce sont en général des adultes ayant déjà fini de constituer leur descendance et déjà bien installés dans leur vie professionnelle et économique, quadragénaires voire quinquagénaires, qui reçoivent un héritage. Dans la seconde moitié du xxe siècle, la perte des parents tend même à survenir alors que les enfants sont sexagénaires, et alors que les petits-enfants sont déjà eux-mêmes de jeunes adultes.
Transmission des biens matériels, du statut socioprofessionnel et des valeurs
15La transmission intergénérationnelle des biens matériels a largement été étudiée par les historiens de la famille, par les historiens de l’économie et par les historiens du droit. En France, comme dans de nombreux pays, cette transmission est régulée avec une grande diversité régionale sous l’Ancien Régime (Bonnain et al., 1992). Les auteurs soulignent en général le lien entre les systèmes familiaux et le mode de transmission des biens : « système à maison » (Pyrénées), « système à parentèle » (Bretagne, Pays de Galles, Espagne), « système à lignage » (Scandinavie, Italie), sans parler des nombreux cas particuliers micro-régionaux (Augustins, 1989). La même question se retrouve dans tous les pays européens et dans les pays peuplés par l’immigration européenne (Bouchard et al., 1998).
16La question de la mobilité sociale intergénérationnelle est très actuelle et de nombreux travaux ont été publiés ces deux dernières décennies par les historiens démographes. Ainsi un volume récent des Annales de Démographie Historique (« Reproduction différentielle et dynamiques sociales », 2008, 1) a été consacré à la reproduction différentielle, perçue dans une dimension économique, et aux dynamiques sociales. Une innovation consiste à prendre en considération, dans le processus de mobilité socioprofessionnelle d’une génération à une autre, la dimension et la composition de la fratrie. Ainsi, une étude récente portant sur la région québécoise du Saguenay-Lac-St-Jean montre que la moitié des fils exercent une profession différente de celle de leur père. La taille de la fratrie a plutôt un effet négatif sur la mobilité, tandis que le rang de naissance des individus a plutôt un effet positif (Tremblay et Vézina, 2008).
17Certaines études concluent plutôt à la faiblesse de la mobilité sociale et à la reproduction du statut socioprofessionnel. Par exemple, dans un travail récent sur la Wallonie au xixe siècle, Michel Oris et George Alter examinent la mobilité socio-professionnelle dans le cadre familial. S’ils concluent à l’absence d’effet de fratrie, ils soulignent par contre l’apport de la mise en relation de plusieurs générations. Ils affirment enfin que « ce que nous voyons en effet clairement […] c’est l’héritabilité sociale, c’est la transmission intergénérationnelle. Dans une région qui était au cœur des changements macro-historiques […] la dominante fut sans conteste la perpétuation familiale des statuts socio-économiques » (Oris et Alter, 2008, 130).
18Cette même problématique a parfois été appliquée à des milieux sociaux spécifiques. Par exemple, dans son étude sur la « bonne société lyonnaise » répertoriée dans l’Annuaire du Tout Lyon, le sociologue Yves Grafmeyer a montré comment les caractéristiques sociales et résidentielles se transmettaient du père au(x) fils au cours du xxe siècle (Grafmeyer, 1992).
19Pour sa part, l’historien Philippe Rygiel, travaillant sur les trajectoires des immigrés originaires d’Europe et vivant dans le département du Cher, dresse également une comparaison entre le destin des pères, celui des fils et celui des filles, s’interrogeant sur la fréquence et sur l’importance de l’ascension sociale d’une génération à la suivante (Rygiel, 2001).
20L’étude de populations migrantes permet également de percevoir, au-delà du statut social, la question de la transmission des valeurs culturelles, parmi lesquelles la langue ou la religion. Pour des raisons liées aux sources, les études portent plus souvent sur le xxe siècle que sur le xixe siècle. Citons toutefois les travaux récents de Sergio Nadalin et Alain Bideau sur les Luthériens suisses et allemands installés dans le sud du Brésil et en particulier dans la ville de Curitiba. Ces chercheurs montrent comment cette minorité germanophone et protestante s’est progressivement fondue dans une population à majorité lusophone et catholique, notamment en étudiant les prénoms attribués aux enfants (Bideau et Nadalin, 2011). Dans le cadre des États-Unis d’Amérique, Tamara Hareven insistait sur la recherche des racines par les migrants de diverses origines, dans une perspective identitaire (Hareven, 1978). Pour le xxe siècle, les recherches sont foisonnantes et sont plus souvent l’œuvre de sociologues ou d’ethnologues. Il est impossible de toutes les citer. Retenons parmi les plus récentes celles de Bélanger et al., (2010), de Fibbi (2010), de Rigaud (2010) et de Santelli et Collet (2012).
21Enfin, certains auteurs soulignent que, dans certains cas, les transmissions peuvent ne pas rencontrer l’approbation des destinataires, et donner lieu à des tensions, des conflits, voire des ruptures entre parents et enfants.
Solidarité envers les enfants : famille et orphelins
22Les solidarités familiales en cas de décès ou de rupture sont en général l’affaire de deux générations. Tel est notamment le cas lorsque le décès d’un adulte rend orphelins des enfants mineurs. Les Justices d’Ancien Régime, avec des variantes selon les provinces françaises, avaient institué des assemblées de parents, voisins et amis. Lorsque l’on regarde la composition de ces assemblées, on constate qu’elles comportent essentiellement des individus de la même génération que le ou les parents décédés : ce sont en particulier les oncles des orphelins, les cousins de leurs parents, qui sont mobilisés pour la circonstance (Perrier, 1998 ; Gourdon et Viret, 2003 ; Trévisi, 2008). Ce sont eux également qui assument la charge de tuteur ou de subrogé-tuteur. Les procès-verbaux de tutelle permettent également de mesurer le rôle joué par les grands-pères : aux xviie et xviiie siècles, ils sont peu présents dans ces assemblées, et sont rarement élus tuteurs, charge que, lorsqu’ils sont encore en vie, il leur est difficile d’assumer en raison de leur âge et de leur état de santé. Par exemple, dans la commune de Vernon (Haute-Normandie) dans la seconde moitié du xviiie siècle, moins d’un tiers des grands-parents sont encore en vie lorsque les enfants sont âgés de dix ans. Les grands-parents ne représentent que 8 % des membres des conseils de tutelle, moins de 3 % des tuteurs (Gourdon, 1999 ; 2001).
23Le Code civil de 1804 a remplacé ces assemblées par des conseils de famille, mais la même réalité familiale subsiste : oncles et cousins les dominent et sont fréquemment élus à la fonction de tuteurs. Ces documents permettent également de percevoir le déséquilibre qui subsiste dans les mentalités collectives entre hommes et femmes. Alors que le Code civil prévoit que le conseil de famille doit être convoqué dès qu’un père ou une mère décède laissant au moins un enfant mineur, ce dernier est systématiquement réuni après le décès du père, aléatoirement après celui de la mère. Cela signifie que les mentalités collectives admettent que l’homme devenu veuf peut veiller seul aux intérêts matériels et moraux de ses enfants, mais que la veuve en est incapable, ou du moins doit être confirmée dans ce rôle par le conseil (Brunet, 2012).
24Dans les cas extrêmes de forte mortalité des adultes, notamment dans les régions d’étangs (Sologne, Dombes, Languedoc) la proportion d’enfants ayant perdu l’un ou l’autre de leurs parents, voire les deux, était très élevée (Brunet, 2011b ; Poitou, 2014).
25Dans une perspective proche, pour les sociétés contemporaines qui admettent le divorce, quelques travaux s’intéressent également au rôle des grands-parents dans les cas de rupture du couple parental. Une différence entre grands-parents paternels et grands-parents maternels apparaît, ces derniers étant plus fréquemment sollicités (Hummel et Hopflinger, 2010).
Solidarité envers les personnes âgées : la question de la cohabitation
26La question de la solidarité envers les personnes âgées a depuis longtemps fait l’objet de travaux, notamment en ce qui concerne les manières d’habiter. En construisant sa typologie des ménages, Peter Laslett prévoyait deux catégories pouvant correspondre à la présence sous le même toit de personnes adultes de générations différentes, les ménages élargis à des ascendants et les ménages polynucléaires intergénérationnels. En effet, au-delà du ménage nucléaire simple, Laslett proposait un « type 4 » dont certaines déclinaisons prévoyaient la présence d’un ascendant, généralement veuf ou veuve, du chef de ménage ou de son épouse. Par ailleurs, le « type 5 » correspondait à la cohabitation de plusieurs couples mariés, l’un pouvant être celui des ascendants du chef de ménage ou de son épouse (Laslett et Wall, 1972).
27Différents chercheurs se sont interrogés sur la pérennité de ces arrangements résidentiels. En se plaçant dans une perspective longitudinale, la plupart ont conclu à la brièveté de ces cohabitations intergénérationnelles, en raison notamment de l’espérance de vie réduite des personnes âgées. Ce sont ainsi des cycles de vie des ménages qui ont été mis en évidence (Fauve-Chamoux, 1985). En France, ces cohabitations intergénérationnelles étaient plus fréquentes dans les régions de montagne et dans le sud du pays que dans la partie nord. Cela a été expliqué notamment par le mode de partage inégalitaire de l’héritage qui prévalait dans de nombreuses régions montagneuses et méridionales. À partir de l’exemple du village de Prayssas, dans le sud-ouest de la France, Patrice Bourdelais a examiné les conséquences du vieillissement de la population sur la place des personnes âgées dans les ménages. En dépit de l’évolution de la conjoncture démographique, l’adulte était pratiquement assuré de vieillir et de mourir entouré des siens. Ce chercheur voit dans les ménages complexes de cette région un « véritable idéal familial, social et culturel » (Bourdelais, 1985).
28Le fait pour une personne âgée de partager le ménage de ses enfants est toutefois parfois interprété de manière contradictoire. Là où certains auteurs pointent un aspect positif, comme celui de l’aïeul au sein d’une famille-souche (Fauve-Chamoux, 1985), d’autres perçoivent au contraire la perte des moyens d’une existence autonome des plus âgés (Dirwik, 1985).
29Dans une analyse récente des différentes formes de solitude observées dans la ville de Genève au cours de la première moitié du xixe siècle, les chercheurs retracent les trajectoires résidentielles des individus, montrant une nette montée de la solitude au-delà de l’âge de soixante ans, ainsi qu’une assez nette différence entre les sexes, la solitude féminine aux grands âges étant plus fréquente que la solitude masculine (Oris et al. 2006).
30Dernièrement, un travail de synthèse est revenu sur les différents cas de figure et les circonstances familiales pouvant correspondre à des situations de cohabitation intergénérationnelle, en examinant le point de vue des familles ou celui propre des personnes âgées. Quels sont les éléments qui conduisent une famille à accueillir une personne âgée et quelles en sont les contraintes ? Par ailleurs, qu’est-ce qui conduit une personne âgée à être hébergée par sa famille ? Ces questions doivent également être examinées en relation avec les systèmes d’assistance et de retraite (Bourdieu et al, 2010).
31Pour ce qui concerne les États-Unis d’Amérique, Steve Ruggles s’oppose à plusieurs travaux antérieurs et défend l’idée que la co-résidence avec des personnes âgées était généralisée au xixe siècle (Ruggles, 2003).
La composante familiale des traits démographiques
32La question de la ressemblance entre générations et celle d’une possible transmission de caractéristiques démographiques telles que la longévité ou la fécondité a fait l’objet d’investigations scientifiques depuis plus de 100 ans (Beeton et Pearson, 1901; Pearson et al., 1899). S’il existe un relatif consensus concernant l’existence d’un certain degré de transmission, tant pour la longévité que pour la fécondité, plusieurs questions subsistent (Bittles et al., 2008). Qu’est-ce qui est transmis ? S’agit-il de gènes, d’habitudes de vie, de valeurs ? Est-on en présence d’effets intergénérationnels liés à une transmission ou plutôt d’effets familiaux liés à des expositions environnementales et des habitudes de vie partagées ? La fécondité et la longévité sont des traits complexes, c’est-à-dire qu’ils sont déterminés à la fois par des facteurs génétiques, socioculturels et environnementaux, et polygéniques, ce qui signifie que leur composante génétique s’explique par l’effet combiné de plusieurs gènes. Il s’agit donc de quantifier la part des facteurs génétiques (l’héritabilité), de préciser les mécanismes de transmission et de départager le poids respectif des facteurs génétiques, environnementaux et socioculturels selon les périodes et les populations.
Transmission intergénérationnelle de la longévité
33De nombreuses études sur la concentration familiale et la transmission intergénérationnelle de la durée de vie ont été menées (Cournil et Kirkwood, 2001 ; Gavrilov et al., 2002). Le choix des populations étudiées a été motivé par divers facteurs tels que l’observation d’une longévité exceptionnelle, la présence d’une homogénéité génétique (souvent associée à un effet fondateur), sociale ou environnementale, ou la disponibilité de registres de population permettant l’observation d’un possible effet de transmission familiale (voir par exemple Blackburn et al., 2004 ; Caselli et al., 2006 ; Cournil et al., 2000 ; Gudmundsson et al., 2000 ; Houde et al., 2008 ; Kemkes-Grottenthaler, 2004 ; Kerber et al., 2001 ; Mitchell et al., 2001). La plupart de ces études ont trouvé une association positive entre la durée de vie et l’âge au décès des parents ou des frères et sœurs tout en reconnaissant la difficulté à départager les effets génétiques des effets environnementaux.
34Certains auteurs ont également examiné dans quelle mesure la longévité pouvait être transmise de façon différentielle par les parents à leurs descendants des deux sexes, mais les résultats ne sont pas cohérents. Parmi ceux qui ont détecté une transmission liée au sexe, ce sont parfois les mères qui ont un effet plus marqué (Blackburn et al., 2004 ; Kemkes-Grottenthaler, 2004) alors que les pères sont plus importants ailleurs (Gavrilov et Gavrilova, 2001 ; Landgren et al., 2005). Par ailleurs, certaines études observent un effet plus important sur les filles que sur les garçons (Blackburn et al., 2004 ; Cournil et al., 2000 ; Mitchell et al., 2001), mais d’autres ne voient pas cette différence (Gavrilov et Gavrilova, 2001 ; Ohta et al., 2004). Il a également été suggéré que l’âge des parents lors de la conception ou de la naissance pouvait avoir un effet sur la longévité des enfants. Une corrélation négative a été observée avec l’âge du père à la naissance de filles (Gavrilov et Gavrilova, 2001 ; Kemkes-Grottenthaler, 2004), mais d’autres études n’ont détecté aucune association (Robine et al., 2003).
35D’après une recension des études de jumeaux et d’agrégation familiale effectuée par Amandine Cournil et Thomas Kirkwood (2001), les estimations pour le coefficient d’héritabilité de la longévité sont uniformément faibles, dépassant rarement les 30 %. Cependant, Leonid Gavrilov et Natalia Gavrilova (2001) affirment que l’héritabilité aurait été sous-estimée dans de nombreuses études en raison de l’existence d’un âge de seuil, qui pourrait se situer autour de 75 ans, au-dessus duquel la transmission familiale de la longévité aurait un effet plus important. Ce seuil ou effet d’accélération a aussi été observé par d’autres chercheurs (Blackburn et al., 2004 ; Cournil et al., 2000). D’autres approches, utilisant des modèles spécifiques, ont été testées pour évaluer la relation entre la durée de vie des sujets et diverses caractéristiques démographiques de leurs proches parents et de leurs conjoints (Gudmundsson et al., 2000 ; Kerber et al., 2001). Dans leur étude sur la population islandaise, Hjalti Gudmundsson et ses collaborateurs ont observé que les sujets décédés à un âge avancé (au-dessus du 95e percentile) étaient plus étroitement apparentés entre eux qu’avec le groupe témoin et que leurs apparentés au premier degré étaient presque deux fois plus susceptibles d’atteindre un âge avancé par rapport aux apparentés au premier degré du groupe témoin. Louis Houde et ses collègues ont aussi observé un apparentement plus important parmi les proches parents des sujets décédés après 90 ans que parmi ceux du groupe témoin constitué d’individus nés pendant la même période, mais décédés entre 50 et 75 ans (Houde et al., 2008).
Corrélation de la fécondité entre parents et enfants
36Une certaine corrélation entre la fécondité des parents et celle de leurs enfants a été observée à plusieurs reprises. Cependant le rôle que pourraient jouer les facteurs génétiques pour expliquer cette observation demeure mal compris et semble être extrêmement variable selon les populations et selon les périodes au sein d’une même population. Alors que les premières études cherchaient surtout à détecter l’existence d’un effet génétique dans la transmission de la fécondité, divers facteurs explicatifs ont depuis été évoqués tels que des caractéristiques biologiques et psychologiques reliées à la libido, à la fertilité et à l’état de santé, mais aussi des caractéristiques socio culturelles liées à la socialisation dans la famille ainsi qu’aux valeurs et aux normes associées notamment au statut socioéconomique (Jennings et al., 2012). En plus de se pencher sur l’existence d’une transmission intergénérationnelle et sur les facteurs qui l’expliquent, les chercheurs se sont intéressés à l’évolution dans le temps (avant, pendant et après la transition) et aux variations contextuelles (selon les pays ou régions, le statut socioéconomique, les caractéristiques socioculturelles) de l’importance de cette transmission et du poids des divers facteurs explicatifs.
37Michael Murphy a réalisé une recension exhaustive des études effectuées au cours du xxe siècle sur la relation entre la fécondité des parents et celles des enfants dans des populations historiques et contemporaines (Murphy, 1999). David Reher et ses collègues se fondant sur cette recension concluent qu’il existe une corrélation faible mais régulière de la fécondité d’une génération à l’autre et que pour une femme donnée, elle semble plus marquée avec sa famille d’origine qu’avec la famille d’origine de son mari. Ils constatent que cette corrélation augmente avec le temps puisqu’elle passe de valeurs très faibles dans la période pré-transitionnelle à des valeurs plus substantielles dans les périodes plus récentes. Ils ajoutent que les facteurs biologiques et culturels semblent clairement jouer tous deux un rôle et que cette situation rend les résultats des études empiriques difficiles à interpréter et à comparer (Reher et al., 2008).
38Le nombre d’enfants mis au monde constitue la mesure la plus utilisée, mais plusieurs auteurs se sont aussi penchés sur d’autres indicateurs de l’histoire reproductive comme les intervalles proto et intergénésiques, l’âge au mariage ainsi que l’âge à la première et à la dernière naissance (Anderton et al.,1987 ; Bavel et Kok, 2009 ; Jennings et al., 2012 ; Poppel et al., 2008 ; Reher et al., 2008 ; Smits et al., 2000). Quelques études ont porté sur la corrélation entre parents et enfants du nombre d’enfants utiles, c’est-à-dire du nombre d’enfants qui ont eux-mêmes des enfants. Cette corrélation, qui peut avoir un impact important sur la structure génétique de la population, serait le signe d’une transmission culturelle du succès reproductif (Austerlitz et Heyer, 1998 ; Gagnon et Heyer, 2001 ; Heyer et al., 2005).
39Parmi les études récentes, citons Andrei Pluzhnikov et ses collaborateurs qui ont effectué une étude sur les Huttérites, un isolat religieux n’ayant pas recours à la contraception et vivant dans un environnement socioculturel très homogène. Ils ont trouvé une héritabilité de 0,29 entre les couples et leurs fils et de 0,18 entre les couples et leurs filles (Pluzhnikov et al., 2007). À cause des caractéristiques de cette population, ils attribuent ces résultats à des facteurs génétiques. David Reher et ses collègues ont travaillé sur l’évolution de la fécondité au cours de la transition démographique à partir de données d’état civil provenant de la ville d’Aranjuez et ils se sont, entre autres, penchés sur la transmission intergénérationnelle du nombre d’enfants. Ils ont trouvé que le lien était plus fort chez les filles que chez les fils et que la force du lien allait en augmentant au cours de la période étudiée (1871 à 1970). Ils ont aussi trouvé un effet intergénérationnel marqué de l’âge à la dernière naissance et une variabilité de la transmission selon le rang de naissance avec un effet plus important chez les filles aînées (Reher et al., 2008). Julia Jennings et ses collègues ont aussi travaillé sur la transmission du comportement reproductif pendant la transition démographique, à partir de données de la Utah Population Database (Jennings et al., 2012). Ils ont trouvé un lien entre la fécondité des femmes et celle de leur mère mais aussi de leur belle-mère. Comme dans l’étude de D. Reher, ils trouvent un effet plus marqué chez les filles aînées et une augmentation de la force du lien au cours de la transition démographique.
40Finalement, Hilde Bras et ses collègues ont appliqué une méthode inspirée de celles utilisées en génétique du comportement pour départager les effets de la génétique et de l’environnement dans la transmission de la fécondité (Bras et al., 2013). Leur approche repose sur une comparaison de la fécondité des membres d’une même fratrie et sur une décomposition de la variance selon l’héritabilité génétique et l’environnement partagé. Partant du principe que l’expression des effets génétiques dépend de l’interaction avec l’environnement, ils ont aussi vérifié comment cette interrelation a évolué au cours de la transition dans une population de la province de Zélande aux Pays-Bas, née entre 1810 et 1870. Ils ont trouvé une augmentation de l’héritabilité et une diminution des effets environnementaux chez les femmes qui ont débuté leur vie reproductive après le début de la transition vérifiant ainsi leur hypothèse. Comme ils l’avaient supposé, ils ont aussi constaté que plusieurs facteurs liés à la religion, à la classe sociale et au degré d’urbanisation contribuaient à définir le contexte au sein duquel pouvait opérer la baisse de l’effet des facteurs environnementaux associés au contrôle social et l’augmentation de l’expression de l’héritabilité qui en découle.
41En conclusion, il semble bien que si dans l’ensemble les résultats des études fournissent des preuves d’une transmission intergénérationnelle de la longévité et de la fécondité, la compréhension de la base génétique et des facteurs socioculturels ainsi que de la variabilité de leur influence et de leur interrelation selon les populations et les périodes est loin d’être achevée.
L’enchaînement des générations
42La généalogie constitue un outil commun à la démographie historique, à l’anthropologie biologique et à la génétique des populations. L’approche généalogique a été largement utilisée particulièrement à partir des années 1950, avec un nombre de publications qui augmente sensiblement à partir des années 1980. Sauf au Québec, où elle est privilégiée depuis longtemps, les historiens-démographes ont « redécouvert » plus tardivement que les chercheurs d’autres disciplines les possibilités d’analyse ouvertes par ce type d’approche. L’analyse des généalogies réunit aussi bien des méthodes plus quantitatives que des démarches plus qualitatives, liées à l’histoire de la famille.
43Pourtant, parmi les historiens-démographes, Louis Henry avait ouvert dès les années 1950 des perspectives pour les études généalogiques : le report sur la fiche de famille des parents de la référence des fiches de famille des enfants mariés rend possible la construction de généalogies (Henry, 1965, 125), mais cela a rarement été mis en pratique. Par ailleurs, dans un de ses premiers ouvrages, intitulé Anciennes familles genevoises et paru en 1956, Henry utilisait des généalogies pour estimer l’évolution de la fécondité et de la mortalité (Henry, 1956).
44À partir des années 70, et grâce notamment à l’outil informatique, les bases de données reposant sur des couplages intergénérationnels, parfois clairement dans une perspective généalogique, se sont multipliées. Le volume « Le fil de la vie » des Annales de Démographie Historique (1998) proposait la présentation de sept bases de données, différentes par leur volume et par leur structure, mais ayant en commun d’inscrire les perspectives longitudinales au cœur de leur problématique. Les chercheurs de très nombreux pays, en Europe, en Amérique du Nord, en Australie ou au Japon, ont maintenant construit de telles bases de données. Citons par exemple, et parmi les plus anciennes, la Utah Population Database, issue de vastes dépouillements, concernant surtout les États-Unis mais aussi certains pays européens. Cette base est exploitée aussi bien dans des perspectives de génétique médicale que de démographie historique. En Amérique du Nord toujours, rappelons les deux bases québécoises, l’une développée par le Programme de Recherche en Démographie Historique de l’Université de Montréal (RPQA : Registre de Population du Québec Ancien), l’autre pilotée par l’Université du Québec à Chicoutimi (BALSAC). Pour l’Europe, citons, parmi beaucoup d’autres, la Scanian Demographic Database (Université de Lund), la Demographic Data Base (Université d’Umeå), le Historical Sample of the Netherlands (International Institute of Social History, Amsterdam) et pour l’Australie Founders and Survivors, qui couvre la Tasmanie.
45De plus, de nombreuses bases de données de taille plus modeste mais comprenant souvent des données très riches, provenant de sources diverses et permettant d’effectuer des reconstitutions généalogiques, se sont développées au cours des dernières décennies, notamment encore une fois grâce à l’accès toujours plus grand et au potentiel démultiplié des outils informatiques. Il n’est pas possible de toutes les nommer mais on pense, entre autres, aux ensembles de données sur Aranjuez en Espagne, Casalguidi en Toscane, Alghero en Sardaigne, Anvers en Belgique et bien sûr les familles françaises du fichier TRA.
Les généalogies comme source pour la démographie historique
Quels corpus et quelles questions?
46Dès les années 1950, Thomas Hollingsworth avait mené un travail novateur sur les généalogies des Pairs britanniques, essayant d’en mesurer la nuptialité, la fécondité et la mortalité, au fil de 16 groupes de 25 classes d’âges chacun. Pour cela, il avait utilisé les informations concernant 26 317 individus identifiés comme porteurs de titres de noblesse anglais, écossais et irlandais, décédés entre 1603 et 1938. Dans un premier temps, cet auteur proposait une analyse critique de la source, dont le principal défaut est l’omission d’individus, essentiellement les enfants, avec une fréquence plus importante pour les filles et les femmes que pour les garçons et les hommes (Hollingsworth, 1961).
47Vingt ans après son travail sur la noblesse britannique, T.H. Hollingsworth s’est livré à un bilan critique de l’apport des généalogies à la démographie historique (Hollingsworth, 1976). Dans le même temps, Jacques Dupâquier qui a développé en France des rapports fructueux entre universitaires et généalogistes amateurs, a présenté les critiques réciproques de la démographie historique par les généalogistes et de la généalogie par les historiens-démographes. Si les sources sont les mêmes (pour l’essentiel l’état civil), si le couplage d’information est identique, les démarches se différencient par les problématiques et par l’échelle d’observation : la parenté dans un cas, tout individu ayant vécu en un lieu donné à une époque donnée dans l’autre cas. En outre, alors que les généalogistes se limitent souvent aux individus qui se sont reproduits, les célibataires et les enfants morts avant l’âge de la reproduction doivent être connus pour une analyse de démographie historique (Dupâquier, 1993). Olivier Zeller a tenté de pointer les conditions nécessaires à l’utilisation des généalogies en histoire sociale et de réaliser un inventaire des problématiques possibles (Zeller, 1997).
48Dans un contexte différent, les membres identifiés de la descendance d’un fondateur peuvent se prêter à une analyse démographique. Ainsi en est-il de la généalogie des empereurs chinois Qing ayant régné à partir du xviie siècle. La source a été décrite dès les années 1970 et la possibilité d’analyse à partir de celle-ci présentée dès 1978 (Liu, 1978). Dans une recherche ultérieure portant sur les 69 771 descendants connus (38 773 de sexe masculin et 30 998 de sexe féminin), sur une profondeur de douze générations, du fondateur de la dynastie ayant vécu au xviie siècle, ont été établis les taux de mortalité et l’espérance de vie de ces individus. Les comparaisons avec d’autres populations, chinoises ou occidentales, montrent que ce corpus généalogique constitue un échantillon spécifique, à analyser avec précaution, mais porteur d’informations précieuses (Lee et al., 1993).
49Il faut également bien voir que les corpus généalogiques peuvent être analysés dans des perspectives différentes, pour répondre à des questions complémentaires. Pour l’essentiel, en démographie historique, on peut parler de généalogies descendantes, de généalogies ascendantes et de généalogies rayonnantes. À partir des généalogies descendantes, on va essentiellement étudier, à partir d’un couple désigné comme « fondateur », la reproduction des lignées (nombre de descendants par génération et par lignée), de même que la dispersion géographique à partir d’un site initial ou les activités professionnelles. Le nombre de descendants peut être très variable d’un « fondateur » à un autre, certains pouvant être à la tête d’une descendance pléthorique, tandis que d’autres ont vu leur descendance s’arrêter après quelques générations.
50La généalogie ascendante vise au contraire à retrouver les ancêtres d’un individu, en général appelé « Ego ». Si on considère une généalogie individuelle, il s’agit d’une recherche des origines largement pratiquée par les généalogistes amateurs. C’est le couplage des données généalogiques portant sur un groupe d’individus qui permet de passer de l’individu à la population, pour étudier les liens d’apparentement et de consanguinité et de se pencher sur les contributions ancestrales. A priori, à une génération donnée, on s’attend à trouver le même nombre d’ancêtres pour tout « Ego », chaque individu ayant un père et une mère, à la génération précédente quatre grands-parents et ainsi de suite au fil des générations. Toutefois, en cas de mariage entre cousins plus ou moins proches, si le nombre de rangs généalogiques reste constant, le nombre d’individus différents occupant ces rangs peut être moindre. Il s’agit de l’implexe généalogique, conséquence de la pratique des mariages entre apparentés [1]. Cet implexe, faible pour la plupart des individus, peut atteindre un niveau élevé par exemple dans les régions de montagne où les mariages entre apparentés ont été plus fréquents. Les implexes les plus connus qui ont été établis concernent les familles régnantes européennes, en particulier le roi d’Espagne Alphonse XIII. Pour ce dernier, les 1 024 rangs ancestraux théoriques de sa 11e génération ascendante sont occupés par 111 individus différents seulement, soit un implexe de 89 % (Beaucarnot, 2000).
51Enfin, les généalogies rayonnantes se rapprochent de la démographie intergénérationnelle présentée ci-dessus, si ce n’est que ce ne sont pas deux mais trois générations, parfois plus, qui sont prises en considération, notamment pour observer la mobilité sociale et la mobilité géographique. En effet, Ego se trouve à la génération centrale de la généalogie rayonnante, la recherche portant simultanément sur ses ascendants et sur ses descendants.
Reproduction différentielle dans le long terme
52Parmi les pionniers de la construction des fichiers généalogiques, rappelons le travail des membres du Programme de Recherche en Démographie Historique de l’Université de Montréal qui a entrepris, dès le milieu des années 1960, la reconstitution semi-automatisée des familles. Après avoir surmonté de multiples problèmes techniques dus aux balbutiements des procédés informatiques de cette époque, cette équipe a établi une base de données provenant du dépouillement exhaustif des 700 000 actes de baptêmes, mariages et sépultures de toutes les paroisses du Québec, de 1608 à 1799. Dans cette base de données, chaque individu est relié aux autres par ses liens de filiation et de parenté. Ainsi, on peut, par exemple, mesurer que, en 1735, environ 2 % des fondateurs ayant vécu au xviie siècle avaient donné naissance chacun à plus de 500 descendants, tandis que les deux tiers en comptaient chacun moins de 100, et que 10 % n’avaient aucun descendant vivant. En 1800, les fondateurs les plus prolifiques avaient donné naissance, chacun, à plus de 7 000 descendants (Charbonneau et al., 1987).
53Pour des raisons pratiques, telles que la définition de la zone géographique observée ou l’effectif de la population, de nombreuses études généalogiques ont porté sur des vallées de montagne, avec des populations parfois considérées comme isolées : vallée de Parme (Skolnick, 1976), vallée de la Valserine dans le Jura français (Bideau et al., 1995), ou Vallouise en Briançonnais (Boetsch et Prost, 2001). Cette démarche permet par exemple de percevoir que, à toute génération, une partie des lignées descendantes s’arrête, et que le nombre d’enfants se reproduisant est limité. En ce sens, les généalogies des montagnes françaises au xviiie siècle montrent une reproduction bien moins abondante que celle des premières paroisses peuplées au Canada au xviie siècle.
54La question de la reproduction différentielle des lignées familiales est également présente dans l’enquête des 3 000 familles, notamment sous la plume de M. Durr (1992). Menée de manière préliminaire sur les familles de cinq départements du nord-est de la France, cette étude montre que sur 114 « souches », constituées d’autant de couples mariés entre 1800 et 1832, 42, soit 37 %, se sont éteintes dès la première génération. Au bout de cinq générations, ils ne restaient que 41 lignées (soit 36 %) encore présentes. Il est vrai que cette recherche ne porte que sur les lignées patronymiques, seuls les actes de naissance et de mariage correspondant aux patronymes TRA ayant été dépouillés, ce qui diminue la portée des résultats.
Mobilité sociale, mobilité géographique au fil des générations
55C’est sans doute un des terrains de recherche auquel les généalogies ont le plus contribué, à commencer par les « généalogies sociales » proposées voici une trentaine d’années par Adeline Daumard. Sous cette appellation, Daumard proposait une démarche de généalogie rayonnante. L’idée est de partir d’un groupe d’individus partageant à un instant donné une caractéristique sociale commune, et de s’interroger sur leur ascendance et sur leur descendance. Ainsi, grâce aux histoires familiales couvrant trois générations successives, parfois cinq, il est possible de voir d’où viennent les membres de ce groupe et comment il se constitue (concept de recrutement). Il est également possible de voir ce que deviennent les enfants des membres de ce groupe (concept de destinée). Daumard préconisait de ne pas se limiter aux informations provenant de l’état civil, et de croiser les sources pour étoffer la connaissance de chaque individu (Daumard, 1984).
56Dans son ouvrage de synthèse sur le Pays Bigouden, Martine Ségalen a largement utilisé l’outil généalogique, suivant certaines lignées sur une profondeur pouvant atteindre quinze générations, soit plus de quatre siècles. Elle définit elle-même son travail : « Ce livre traite du passage […] d’une société fondée exclusivement sur l’agriculture à une société qui se diversifie, joue les rapports nouveaux entre l’urbain et le rural […]. Comment la reproduction sociale s’est-elle effectuée, dans un environnement socio-économique n’évoluant que lentement jusqu’au début du xxe siècle, puis rapidement sans cesse depuis lors » (Ségalen, 1985).
57D’autres critères sont parfois pris en considération pour étudier le processus intergénérationnel de mobilité. Comme pour l’étude de deux générations successives, présentée plus haut, il s’agit par exemple de prendre en considération les effets possibles de la dimension des fratries (Van Bavel, 2006 ; Oris et Alter, 2008). Le fait de posséder un ancêtre sur place est aussi un critère qui peut se révéler discriminant (Darlu et al., 2011). Ainsi, dans le Massachussets, l’endogamie et l’âge au mariage sont étudiés de manière différentielle selon que les individus possèdent ou non un ascendant établi sur place dès le xviiie siècle (Adams et Kassakoff, 1980 ; Relethford et Jaquish, 1988).
58Par ailleurs, quelques chercheurs ont tenté d’étudier la mobilité géographique dans le cadre de la parenté : quelle rôle celle-ci joue-t-elle dans les migrations géographiques et peut-on parler de réseaux familiaux les orientant ? (Fix, 1993 ; Manderscheid et al., 1994).
59Les démarches de généalogie ascendantes sont moins nombreuses, mais peuvent apporter une contribution certaine à la compréhension de la mobilité géographique. Par exemple, pour la vallée de la Valserine (Jura français), l’ascendance locale de tous les individus nés dans cette vallée entre 1930 et 1959 a été retracée. L’analyse fait apparaître l’existence de deux groupes principaux très différenciés : d’une part ceux qui possèdent au moins un ancêtre ayant vécu sur place au moins huit générations plus tôt (plus de deux siècles), et d’autre part ceux n’ayant aucun ancêtre ayant vécu sur place au-delà de trois générations. Cela permet de concevoir la population résidant en un lieu donné en fonction de son attachement ancestral sur place. Dans la vallée de la Valserine, auparavant considérée comme un cul-de-sac avec une population géographiquement isolée, il apparaît au terme de cette étude que près de la moitié des habitants de la seconde moitié du xxe siècle sont en fait issus d’une immigration récente (Bideau et al., 1992).
Généalogies et réseaux de parenté
60Les réseaux de parenté font l’objet d’un autre texte dans le cadre de ce volume, aussi, nous nous limiterons ici aux aspects proprement démographiques, sans entrer dans les questions plus anthropologiques.
61Au cours des années 1970 et 1980, les principales avancées en la matière sont le fait des anthropologues. À ce titre, l’ouvrage d’Élisabeth Claverie et Pierre Lamaison aborde des questions et utilise des méthodes familières aux historiens-démographes. Dans le cadre monographique d’une petite commune du Gévaudan, ces deux chercheurs, après avoir dépouillé l’intégralité des actes de mariage, ont couplé les informations en provenant pour reconstituer la totalité des réseaux de parenté existant entre les familles présentes dans le village. Les questions formulées par ces deux chercheurs vont au-delà de celles habituelles aux historiens-démographes puisque le dépouillement des archives judiciaires permet ensuite d’étudier les alliances et les conflits internes au village, conflits et alliances qui se transmettent au fil des générations (Claverie et Lamaison, 1982).
62Toujours parmi les approches anthropologiques, dans les années 1980 pour sa recherche sur le Finistère sud déjà citée, Martine Ségalen reconstruit des réseaux généalogiques pouvant atteindre jusqu’à 15 générations. Elle a notamment mis en évidence l’existence de renchaînement d’alliances, en particulier parmi les petits propriétaires fonciers (Ségalen, 1985).
63Des travaux plus récents ont réuni la démarche de la monographie paroissiale et de la généalogie. Déjà en 1986, alors que le modèle monographique semblait condamné en raison des « rendements décroissants » et d’une problématique figée et vieillie, Alfred Perrenoud soutenait la réhabilitation d’une approche monographique renouvelée : « Il faut y revenir, encore, mais mieux et autrement, en y intégrant notamment la dimension généalogique » (Perrenoud, 1986, 271). Ainsi, ce chercheur s’est lancé dans la reconstitution de tous les réseaux de parenté des habitants de la vallée de Bagnes. Il a ainsi pu réfléchir à la définition de la famille, proposant l’existence de trois cercles concentriques : parenté restreinte, parenté étendue et parenté éloignée. Mais Perrenoud a également pu quantifier le volume de cette parenté, c’est à dire du réseau au sein duquel un individu peut trouver aisément du soutien dans le cours de sa vie. Le volume de cette parenté évolue au cours du xixe siècle, et au cours de la vie des individus, en fonction de l’évolution de la fécondité, de la mortalité et de la mobilité géographique (Perrenoud, 1995 ; 2007).
64Enfin, rappelons pour mémoire, car cela sera développé dans un autre texte, l’intérêt de la profondeur généalogique pour saisir les jeux d’alliance. Par exemple, avec une méthodologie renouvelée par rapport aux travaux de Claverie et Lamaison, Cyril Grange et Michael Houseman ont pu proposer récemment une analyse des pratiques matrimoniales à l’intérieur de la haute bourgeoisie juive installée à Paris, mettant en évidence l’intensité des échanges entre quelques dynasties particulièrement huppées (Grange et Houseman, 2008).
L’apport des fréquences patronymiques
65Une dernière démarche relevant de l’approche intergénérationnelle des populations concerne les historiens-démographes : il s’agit de l’analyse des fréquences patronymiques. Cette démarche a initialement été utilisée par les spécialistes de génétique des populations, et constitue, dans une certaine mesure et au prix d’une hypothèse forte, une alternative à la difficile et coûteuse reconstitution des lignées généalogiques. Considérant que le patronyme se transmet de père en fils, comme le chromosome Y qui détermine le sexe masculin, la diffusion géographique ou la modification de la fréquence des patronymes constituent un marqueur de la reproduction différentielle et de la mobilité géographique.
66Dans le cadre des monographies de démographie historique, pour lesquelles tout le travail de dépouillement et de couplage se faisait sur une base patronymique, les noms ont été peu étudiés. On ne relève que quelques monographies en proposant la fréquence (Ganiage, 1988). Très récemment, cette méthode a été utilisée dans la province de Dombes marquée par une forte mortalité et une forte mobilité géographique. Ici, l’observation des fréquences patronymiques permet bien de mettre en évidence le renouvellement des lignées familiales dans le cadre local (Brunet, 2011)
67Les patronymes peuvent également être utilisés pour approcher la mobilité différentielle, compte tenu du statut social, et notamment le fait d’être propriétaire foncier. Le couplage entre les fréquences patronymiques et la propriété foncière, connue à partir du cadastre, permet de voir que les patronymes portés par les propriétaires sont plus stables que les autres (Abelson, 1978 ; Hagaman et al., 1978 ; Darlu et al. 2011).
68Le patronyme se révèle être un bon marqueur de la mobilité géographique au fil des générations (Darlu et Ruffié, 1992 ; Degioanni et al., 1996). Par exemple, l’étude de la fréquence des noms d’origine flamande en Belgique, au cours des xixe et xxe siècles, montre l’avancée progressive de ces noms, et donc des familles qui les portent, en Wallonie (Poulain et al., 2000).
69Dans le même ordre d’idée, les fréquences patronymiques ont été utilisées pour observer la reproduction des lignées et l’occupation de l’espace au Canada français. Prenant appui sur le dépouillement pratiquement exhaustif des actes de baptêmes du Canada français du début du xviie siècle à la fin du xviiie siècle, une étude montre comment des noms, et donc des lignées familiales, se sont dispersés dans les nouveaux territoires mis en valeur ou comment, d’autres, au contraire, sont plutôt restés concentrés dans de petites régions (Darlu et al., 2011).
70À l’échelle du Canada français, le dépouillement intégral des registres paroissiaux et le couplage d’informations dans une perspective généalogique a montré le pouvoir multiplicateur des généalogies descendantes. Comme cela a été exposé plus haut, quelques « fondateurs » se trouvent être à l’origine de plusieurs milliers de descendants au bout de quelques générations seulement (Charbonneau et al., 1987). Cette très forte reproduction explique partiellement l’importante concentration patronymique actuelle de la population canadienne française, au sein de laquelle quelques noms sont portés par des effectifs considérables. Des chercheurs québécois ont souhaité renverser la perspective et rendre hommage aux fondatrices, en se demandant quels seraient les patronymes les plus fréquents si ceux-ci avaient été transmis de la mère aux enfants, et non du père à ceux-ci depuis les tout débuts de la colonie. On observe alors que les noms les plus fréquents au sein de la population canadienne française actuelle ne seraient pas du tout ceux que l’on connaît. Logiquement, ce sont les noms de quelques-unes des premières femmes d’origine française s’étant reproduites sur la terre canadienne qui seraient aujourd’hui très fréquents. Le nom de famille Tremblay actuellement le plus fréquent au Québec serait détrôné par les Langlois qui auraient une fréquence nettement plus élevée. Quant au nom Tremblay, de fait, il n’existerait tout simplement plus au sein de la population canadienne française ! La concentration patronymique plus élevée serait une conséquence directe du nombre beaucoup plus faible de fondatrices que de fondateurs et donc d’un bassin patronymique féminin moins diversifié (Tremblay et al., 2011).
La démogénétique : une interface entre les sciences sociales et biologiques
71Il sera question ici de travaux s’inscrivant au sein d’un champ de recherche qui a été désigné sous les divers vocables de démographie généalogique (Dyke et Morrill, 1980), anthropologie démographique (Bley et Boëtsch, 1999) ou démogénétique (Bouchard, 1993 ; Heyer, 1991 ; Vézina, 1996). Résolument interdisciplinaire, ce domaine de recherche constitue une interface entre les sciences biologiques et sociales préoccupées par les questions de population et s’appuie largement sur les données et les méthodes de la démographie historique. On peut le définir comme étant l’étude des rapports entre la dynamique démographique d’une population et l’évolution de son bassin génétique au fil des générations. Ainsi, les mouvements migratoires, c’est-à-dire les entrées et les sorties dans la population, se traduiront par des gains ou des pertes en terme de diversité génétique. Les variations des niveaux de fécondité ou de mortalité entre des individus ou des groupes au sein de la population entraîneront une fluctuation des fréquences géniques incluant les gènes responsables de maladies héréditaires. Les comportements en matière de nuptialité et de choix du conjoint auront aussi une influence sur la fréquence des gènes et surtout des génotypes, c’est-à-dire la combinaison de gènes dont un individu est porteur. En effet, chaque individu possède deux copies de chacun de ses gènes l’une reçue de son père, l’autre de sa mère ; on conçoit alors aisément que son génotype soit influencé par les modalités du choix du conjoint qui prévalent dans la population. C’est donc aux effets de ces phénomènes, appréhendés dans une perspective diachronique, sur la composition génétique de la population que s’intéresse la démogénétique.
72Les généalogies représentent un outil privilégié pour ce type de travaux. En effet, la généalogie d’une population contient tous les individus qui ont participé à la reproduction et les liens d’apparentement qui les unissent de la période de départ considérée en remontant jusqu’à un certain point fixé dans le passé. Sous l’angle de la génétique, elle contient donc les individus qui ont transmis leurs gènes et les chemins de transmission de ces gènes au fil des générations. L’exploitation des corpus généalogiques permet d’envisager divers types d’études visant à décrire les facteurs démohistoriques qui ont contribué à façonner la structure du patrimoine génétique d’une population ou d’un groupe donné.
73Deux types de populations revêtent un intérêt particulier pour les généticiens et les travaux démogénétiques ont été réalisés en bonne partie sur ces populations. Il s’agit des populations à effet fondateur et des populations isolées. Ces dernières se caractérisent par le fait qu’elles sont demeurées pendant une longue période – totalement ou relativement – isolées, pour des motifs le plus souvent géographiques (populations insulaires ou montagnardes) mais aussi religieux ou culturels. On pense ici à des populations vivant dans les vallées du Jura, des Alpes ou des Pyrénées ou dans des îles, un exemple extrême étant Tristan da Cunha dans l’océan Atlantique. Les populations à effet fondateur résultent quant à elles d’un processus migratoire puisqu’elles ont été formées par un groupe de migrants, généralement en nombre assez restreint, ayant quitté leur population d’origine pour s’établir sur un nouveau territoire. Citons par exemple le Québec et l’Utah ainsi que les communautés Huttérites et Amish pour l’Amérique du Nord, la Finlande et l’Islande pour l’Europe. Dans ces populations, la théorie prévoit une diminution de la diversité génétique accompagnée d’une augmentation de la consanguinité et de l’apparentement ainsi que de la fréquence de certaines maladies héréditaires. Dans tous les cas, les populations étudiées se caractérisent aussi par le fait qu’elles possèdent des données provenant des registres paroissiaux ou d’état civil d’une exhaustivité et d’une qualité permettant leur exploitation à des fins scientifiques.
74Plusieurs études démogénétiques ont été réalisées au cours des années 1970 et 1980 principalement par des spécialistes d’anthropologie biologique et de génétique des populations. Elles ont été favorisées par le développement de bases de données informatisées – dont plusieurs ont déjà été évoquées – permettant le couplage des données individuelles assisté par ordinateur et ouvrant ainsi la porte à des programmes de recherche portant sur des ensembles de microdonnées d’une taille et d’une précision précédemment inégalées. Ce contexte explique aussi pourquoi bon nombre d’études reflètent une préoccupation importante pour le choix des méthodes et le développement d’outils d’analyse (Dyke et Morrill, 1980). Deux ouvrages, dont les titres eux-mêmes sont révélateurs, permettent de saisir l’évolution des travaux durant cette période : Genealogical Demography (Dyke et Morrill, 1980) et Convergent issues in Genetics and Demography (Adams et al., 1990). Dans un chapitre d’introduction sur les liens entre la génétique, la démographie et l’information généalogique, Julian Adams écrit cette phrase toujours d’actualité : « Although much is made of the predictive nature of population sciences, a central goal of both population genetics and demography is the explanation for past events in terms of either social or genetic laws governing population change. In this respect, a common denominator of both fields is the use of pedigree and genealogical information » (Adams, 1990, 4).
75À partir des années 1990, plusieurs de ces chercheurs se sont tournés vers l’exploitation des données génétiques en raison des avancées spectaculaires (et de la baisse des coûts) des techniques de la biologie moléculaire et de séquençage de l’ADN à grande échelle. L’utilité et l’importance des études généalogiques pour la connaissance de la structure des populations demeurent cependant régulièrement soulignées par des chercheurs en génétique des populations et en épidémiologie génétique (Angius et al., 2001 ; Gulcher et al., 2001 ; Kristiansson et al., 2008 ; Larmuseau et al., 2013 ; Rudan, 2001).
76De fait, c’est surtout en France, en particulier avec les travaux sur la vallée de Valserine (Brunet et al., 2009) et au Québec que les études démogénétiques appuyées sur des données généalogiques se sont poursuivies de façon continue jusqu’à aujourd’hui. Au Québec, la majorité des travaux effectués dans cette perspective ont été menés par les chercheurs membres de l’Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP) devenu par la suite le Projet BALSAC. En effet, en 1971, l’historien Gérard Bouchard et son équipe à l’Université du Québec à Chicoutimi ont entrepris la reconstitution de la population de la région du Saguenay depuis les débuts du peuplement d’origine européenne en informatisant et en jumelant les 660 000 actes de baptêmes, mariages, sépultures conservés dans les registres paroissiaux et dans ceux de l’état civil. Ceci a conduit à la création du fichier de population BALSAC et à la réalisation de plusieurs études à caractère multidisciplinaire sur l’histoire démographique, génétique et sociale du Saguenay. Ces travaux ont permis, entre autres, la publication, en 1991, d’Histoire d’un génome, ouvrage qui représente une contribution majeure au développement des études en génétique des populations au Québec (Bouchard et De Braekeleer, 1991). Par la suite, le développement du fichier s’est concentré sur les actes de mariage – qui permettent les reconstitutions des lignées généalogiques – et s’est progressivement étendu à l’ensemble de la population du Québec pour les xixe et xxe siècles. Un important programme de recherche en génétique des populations et en démographie génétique sur les populations régionales du Québec a été mis en place (Bergeron et al., 2008 ; Bherer et al., 2011 ; Heyer et al., 1997 ; Tremblay et Vézina, 2010 ; Vézina et al., 2004).
Parenté biologique et maladies héréditaires
77Les reconstructions généalogiques permettent d’établir les liens d’apparentement biologique entre les individus. On dit que deux individus sont biologiquement apparentés lorsqu’ils partagent au moins un ancêtre dans leurs généalogies, ce qui leur confère une probabilité de porter des gènes identiques reçus de cet ancêtre commun. Cette probabilité, que l’on nomme coefficient d’apparentement, est fonction du nombre d’ancêtres communs et de la distance générationnelle qui sépare les individus de leur(s) ancêtre(s) commun(s). Lorsqu’on calcule les coefficients d’apparentement de l’ensemble des individus d’un groupe ou d’une population, on obtient le coefficient moyen de ce groupe ou de cette population. L’étude des liens d’apparentement à partir des données généalogiques permet de détecter les phénomènes de stratification génétique au sein d’une population (Helgason et al., 2005 ; Larmuseau et al., 2013) et peut ainsi faciliter l’élaboration des protocoles de recherche en épidémiologie génétique. Elle peut aussi contribuer à vérifier l’existence d’une composante familiale ou génétique pour une maladie (Bengtsson et Mineau, 2004). Cette approche a été utilisée notamment pour l’examen des causes de décès chez les personnes âgées dans l’Utah (Kerber et al., 2004) ainsi qu’en Islande pour l’étude des maladies cardiovasculaires (Eldon et al., 2001), de l’arthrite (Grant et al., 2001) et de la maladie inflammatoire de l’intestin (Reynisdottir et al., 2004). Au Québec, des travaux ont été effectués sur la maladie d’Alzheimer (Vézina et al., 1999), sur les affections bipolaires (Morissette et al., 1999) et sur l’hypertension (Pausova et al., 2002).
78La consanguinité est une forme particulière de l’apparentement puisqu’elle correspond à l’apparentement des conjoints. On établit généralement une distinction entre la consanguinité proche et la consanguinité éloignée. L’étude de la consanguinité proche porte sur les ancêtres communs dans les trois ou quatre premières générations d’ancêtres et elle nous renseigne sur les pratiques en matière de choix du conjoint dans une société, alors que la consanguinité et l’apparentement éloignés prennent en compte les ancêtres communs qui remontent à plusieurs générations et ils sont plutôt le reflet de l’histoire démographique et de ses conséquences sur la structure généalogique et génétique d’une population. Ce phénomène peut être appréhendé à partir de divers types de données : les demandes de dispenses inscrites dans les actes de mariage dans les populations catholiques, l’isonymie (fait de porter le même nom) des conjoints, les matrices migratoires à partir de lieux de résidence des conjoints déclarés dans les actes de mariage et enfin les données généalogiques (Boattini et al., 2006). Ce sont les lignées généalogiques qui permettent d’étudier les conséquences contemporaines de la consanguinité sur plusieurs générations et de voir l’effet à la fois de la consanguinité proche déterminée par les pratiques matrimoniales et de la structure de la population causée par la consanguinité éloignée (Bittles et Egerbladh, 2005).
79La consanguinité et ses conséquences génétiques ont été étudiées dans de nombreuses populations historiques en particulier des populations isolées ou à effet fondateur. La principale conséquence est une fréquence accrue de certaines maladies héréditaires. Au Québec, depuis une trentaine d’années, de nombreux chercheurs s’intéressant à l’étude de ces maladies ont utilisé les données du fichier BALSAC afin de reconstruire les arbres généalogiques des individus atteints ou porteurs des mutations responsables de ces maladies. Les travaux ont surtout porté sur les maladies ayant une fréquence élevée dans les régions de l’est québécois et plus particulièrement dans la population du Saguenay (pour une revue des travaux voir Bouchard et De Braekeleer, 1991 ; Scriver, 2001 ; Vézina, 1996). Les objectifs de ces travaux étaient, d’une part, de retracer les modalités d’introduction du gène concerné dans la population québécoise – ou dans une population régionale – et d’autre part d’identifier certains paramètres reliés à l’histoire du peuplement pouvant expliquer la diffusion et la distribution actuelles de ces mutations. Il ressort que l’effet fondateur et les phénomènes de dérive génétique et de consanguinité éloignée qu’il entraîne ont joué un rôle important. En revanche, les résultats ont aussi démontré que contrairement à ce qui est véhiculé à travers un mythe tenace, la consanguinité proche n’est pas plus fréquente au Saguenay que dans les autres régions du Québec et qu’elle ne peut absolument pas expliquer les fréquences observées de ces maladies (Vézina et al., 2004).
80En France, un programme de recherche multidisciplinaire sur la population de la vallée de la Valserine, lieu de concentration de porteurs de la maladie de Rendu-Osler, a été entrepris au milieu des années 1970. Plutôt que de dresser les généalogies ascendantes des porteurs de cette maladie, il a été décidé de procéder au dépouillement systématique des registres paroissiaux et d’état civil des cinq communes de la vallée de la fin du xviie siècle à la fin du xxe siècle, afin d’observer tous les apparentements ayant existé, au fil de cette période, et d’établir les paramètres des régimes démographiques qui se sont succédés. Les principaux chercheurs associés à ces travaux ont récemment publié une synthèse fort éclairante de leur démarche (Bideau et Brunet, 2007). Ils y mentionnent que la plupart des hypothèses de départ formulées dans les années 1970 ont été remises en cause, voire totalement réfutées. Ces hypothèses portaient sur l’origine, la fréquence et la répartition de la maladie sur le territoire français. Leur vérification a reposé entre autres sur une étude approfondie des « réseaux généalogiques et des régimes démographiques » qui a démontré l’existence d’un effet fondateur local. Les progrès récents de la biologie moléculaire ont permis d’établir que plusieurs mutations différentes étaient à l’origine de cette maladie, présente dans de nombreux pays, et que les porteurs vivant dans la région Rhône-Alpes ne relevaient pas tous de la même mutation. Par contre, ces mêmes techniques ont montré que tous les porteurs ayant un ancêtre originaire de la vallée de la Valserine relevaient d’une même mutation, et que, en outre, ces malades sont les seuls à être porteurs de cette mutation précise. Les études de biologie moléculaire confirment ainsi l’hypothèse principale d’un effet fondateur, (existence d’une mutation survenue localement, probablement entre le xive et le xvie siècle, atteignant au xxe siècle une fréquence élevée en raison des comportements démographiques au fil des générations) qui avait été émise suite à l’analyse des réseaux généalogiques (Brunet et al., 2009).
Conséquences génétiques de la reproduction différentielle
81On peut aussi appréhender l’étude de la structure généalogique à partir des ancêtres en calculant la fréquence d’apparition de ces ancêtres dans un ensemble généalogique et surtout en mesurant leur contribution génétique à un individu ou à un groupe d’individus donné. La contribution génétique prend en compte les comportements démographiques différentiels des ancêtres et fournit une mesure de leurs conséquences sur le patrimoine génétique. On peut la calculer à différentes échelles territoriales ou au sein de divers groupes définis selon une ou des caractéristiques d’intérêt.
82Lorsqu’on travaille sur une population formée à partir d’un effet fondateur récent (quelques siècles) et documenté dans les sources historiques, on peut identifier les ancêtres qui sont les immigrants-fondateurs c’est-à-dire ceux qui ont introduit leurs gènes dans la population. Le calcul de la contribution génétique de ces fondateurs correspond donc à la probabilité d’origine des gènes présents dans la population. Ainsi O’Brien et ses collègues ont comparé la contribution génétique des fondateurs dans trois populations, les Mormons de l’Utah, les Huttérites du nord des États-Unis et les habitants de Sottunga, une population insulaire de la Finlande (O’Brien et al.1994). Leur objectif était de vérifier les effets différentiels de la structure généalogique et d’autres caractéristiques telles que la monogamie et la polygamie sur la probabilité de transmission des gènes et le succès reproductif.
83Si on connaît l’origine géographique ou ethnoculturelle des fondateurs, on peut aussi calculer la contribution génétique des fondateurs d’une origine donnée. Dans le cadre d’une étude sur les origines géographiques et la contribution génétique des fondateurs à la population du Québec, des chercheurs du projet BALSAC ont montré la grande variabilité de la contribution des fondateurs : en effet, lorsque l’on ordonne les fondateurs en commençant par ceux ayant la plus forte contribution, on constate que la moitié du bassin génétique de la population contemporaine est attribuable à seulement 9 % des fondateurs. Par ailleurs, un peu plus de 80 % du bassin génétique est composé de gènes de fondateurs venus de France au xviie siècle. Ceci nous permet de constater que l’avantage pris par certains de ces fondateurs est demeuré insurmontable et que les ancêtres communs les plus fréquents se retrouvent en quasi-totalité dans ce groupe (Tremblay et al., 2008 ; Vézina et al., 2005). Une étude subséquente par Claude Bherer et ses collègues a trouvé des résultats semblables quant à la contribution des Français, mais elle montre aussi que la contribution des ancêtres d’autres origines est non négligeable et que les généalogies des Québécois d’origine canadienne-française comportaient en moyenne des ancêtres de 6,5 origines différentes, incluant au moins un ancêtre d’origine amérindienne pour la moitié d’entre eux (Bherer et al., 2011).
84Dans l’étude des maladies héréditaires, on a aussi pu identifier des fondateurs potentiellement responsables de l’introduction d’un ou de gènes délétères en comparant la contribution des ancêtres chez les individus atteints et dans un groupe témoin représentatif de la population générale. Ainsi au Québec, Anne-Marie Laberge et ses collègues ont montré qu’une immigrante, mariée à Québec en 1669, avait introduit une mutation responsable de la neuropathie optique de Leber, une maladie rare dont le gène responsable se trouve dans l’ADN mitochondrial qui est transmis de la mère à ses enfants (Laberge et al., 2005). L’étude des lieux de mariage des descendants de cette femme a permis de suivre la « migration » de la mutation vers la région montréalaise et le sud-ouest du Québec où se trouvent aujourd’hui la plupart des malades (Laberge et al., 2005).
Généalogie et histoire évolutive
85L’exploitation des données familiales et généalogiques permet également la réalisation d’études portant sur la modélisation et l’estimation de paramètres démogénétiques (Heyer et al., 1997 ; Labuda et al., 1996 ; Tremblay et Vézina, 2000) ou de certains phénomènes qui ont pu jouer de façon récurrente au cours de l’histoire évolutive des populations humaines (Moreau et al., 2011). À titre d’exemple, un de ces projets a porté sur la longueur moyenne des intervalles intergénérationnels, un paramètre fréquemment utilisé en génétique des populations humaines. S’appuyant sur les données provenant du fichier BALSAC, Marc Tremblay et Hélène Vézina (2000) ont montré que dans la plupart des travaux recensés, les intervalles moyens entre générations successives étaient nettement sous-estimés et ont proposé de nouvelles estimations. La longueur moyenne des intervalles intergénérationnels a été estimée à 30 ans avec une différence marquée entre les intervalles féminins (28 ans) et masculins (34 ans). Au-delà des résultats concernant les populations étudiées, ces travaux ont permis d’acquérir des connaissances de type fondamental. À ce titre, les bases de microdonnées historiques peuvent constituer de formidables laboratoires permettant de tester des hypothèses sur l’évolution des populations humaines.
86Finalement, les retombées des recherches généalogiques dans le domaine génétique peuvent être décrites selon trois dimensions. En recherche biomédicale, elles servent à produire une toile de fond pour l’étude des déterminants génétiques de la santé et l’identification des gènes associés aux traits complexes, car elles permettent de travailler sur des groupes de personnes atteintes dont on connaît le degré d’homogénéité en termes de liens généalogiques, rendant ainsi les groupes plus informatifs et les analyses moléculaires plus puissantes. En santé publique, elles peuvent faciliter l’intégration de la génétique dans les politiques de santé, grâce à une bonne connaissance de la composition démographique et génétique de la population. On pense par exemple à la mise en place de programmes de dépistage populationnel des porteurs de mutations associées à des maladies héréditaires qui permettent aux participants, sur une base volontaire, de connaître leur statut et de, par la suite, prendre des décisions éclairées en matière de choix reproductifs. Finalement, en recherche fondamentale, les analyses généalogiques aident à progresser dans la compréhension globale de la structure des populations humaines et des mécanismes qui l’expliquent.
Conclusion : une nouvelle frontière ? Quelques perspectives pour les approches intergénérationnelles en démographie historique
87Depuis quelques années, des initiatives d’envergure visant à entreprendre ou poursuivre le développement de bases de données longitudinales en Amérique du Nord et en Europe ont débuté. Parmi les principaux projets, on peut mentionner le European Historical Population Samples Network (EHPS-Net) (http://www.iisg.nl/hsn/news/ehps-net.php), un projet financé par la European Science Foundation visant à produire une infrastructure commune rassemblant plusieurs bases de données européennes qui permettra de dépasser les frontières des bases de données individuelles en créant une interface unifiée (Intermediate data structure) pour des études longitudinales. Au Québec, un projet en cours vise à mettre en place une infrastructure intégrée des microdonnées historiques de la population québécoise donnant ainsi accès à un vaste ensemble d’informations biographiques permettant l’étude des populations historiques sur la base des trajectoires individuelles au sein des familles, des ménages et des communautés dans une perspective multigénérationnelle (Vézina et al., 2013). Cette infrastructure repose notamment sur le jumelage de données d’état civil et de recensements. La Utah Population Database a aussi entrepris ce type de jumelage (Ken Smith, communication personnelle). Le contexte est donc favorable pour les études intergénérationnelles et il s’appuie beaucoup sur les possibilités de partage et de collaboration grandement facilitées par l’Internet. De par leur taille et leur complexité, ces ensembles de données nécessitent toutefois pour leur exploitation un appareillage méthodologique qui soulève de nombreux défis d’apprentissage et d’utilisation comme le soulignait Jan Kok en conclusion d’un article paru dans les Annales de Démographie Historique (Kok, 2007).
88Un autre défi sera l’enrichissement de ces bases informatisées avec l’intégration de données provenant d’autres sources, telles que contrats de mariage, rôles d’imposition ou registres matricules des conscrits. Cela suppose un nouveau rapprochement entre démographes et historiens du social, qui est au cœur même de l’activité de la Société de Démographie Historique.
89Les développements récents de la génétique ont aussi un impact sur la recherche intergénérationnelle. Ainsi, au cœur des préoccupations de l’épigénétique se trouve la question de savoir dans quelle mesure des conditions environnementales particulières, vécues à certaines étapes clés du développement ou de la vie des parents, voire des grands-parents (exposition à des épidémies, famine, pauvreté, etc.), peuvent avoir des influences phénotypiques chez leurs descendants (Bygren, 2013 ; Haines et Ferrie, 2011 ; Kaati et al., 2007 ; Pembrey et al., 2006). En effet, ces effets épigénétiques transgénérationnels entraînent des modifications de l’ADN qui ne touchent pas le code génétique mais peuvent néanmoins être transmises.
90On parle aussi beaucoup depuis quelques années déjà de la généalogie génétique qui connaît une grande popularité auprès des généalogistes et d’un public à la recherche de ses origines parfois lointaines (Wolinsky, 2006). Bien qu’il importe de prendre conscience des limites des données génétiques (Elliott et Brodwin, 2002), ces dernières offrent aussi des possibilités nouvelles pour la recherche démogénétique basée sur une exploitation conjointe des données généalogiques et des données génétiques (King et Jobling, 2009 ; Larmuseau et al., 2013). Deux études récentes l’une réalisée dans le sud de l’Italie (Colonna et al., 2009) et l’autre au Québec (Roy-Gagnon et al., 2011) ont comparé les structures de population telles que révélées par les données génétiques et les données généalogiques. Dans les deux cas, on constate que les deux types de données livrent des résultats concordants. Ainsi les données génétiques pourraient contribuer à approfondir nos connaissances sur certains aspects de l’histoire des populations comme les mouvements migratoires et les origines ancestrales (Johnston et Thomas, 2003 ; Vézina et al., 2012).
91Un intérêt renouvelé semble aussi se manifester concernant l’utilité et l’importance des données longitudinales et des analyses intergénérationnelles pour la recherche en génétique humaine et médicale. Ainsi au congrès de la European Social Science History Conference, qui s’est tenu à Vienne en 2014, une table ronde a été organisée par des chercheurs de la Demographic Data Base d’Umeä sur l’utilisation des bases de données longitudinales en recherche médicale et génétique.
92Il y a 20 ans, Gérard Bouchard écrivait, dans les Annales de Démographie Historique, un article intitulé « Population et génétique : une nouvelle frontière pour les sciences sociales ». Ce titre a d’ailleurs été repris, en 2004, pour un numéro de la même revue consacré à la « Biodémographie ». Il semble bien que cette frontière ne soit pas totalement conquise et qu’elle continue plutôt à ouvrir de nouvelles possibilités de recherches et de collaborations.
Notes
-
[1]
Le taux d’implexe généalogique à la génération n se calcule en rapportant le nombre d’ancêtres différents observés à cette génération n au nombre d’ancêtres théoriques à cette même génération. Ainsi un taux élevé signale la présence de nombreux ancêtres répétés, c’est à dire la réalisation de mariages entre ascendants apparentés.