Introduction
1Quoi de plus ordinaire pour un enfant, dans les siècles passés, que de perdre l’un ou l’autre de ses parents ? Selon les régions, les milieux sociaux et le contexte économique et climatique, la proportion d’enfants orphelins a pu varier [1]. De nombreux adultes mariés ont été confrontés au décès précoce de leur conjoint, ce qui signifiait la rupture de l’union. La question du veuvage et du remariage a largement été étudiée, et il a été montré que les veufs se remariaient en proportion plus importante que les veuves, et souvent plus rapidement (Minvielle, 2010, 56-62). Des travaux ont abordé la question de la présence d’enfants orphelins pour expliquer la rapidité du remariage de certains hommes ou la difficulté de certaines veuves à trouver un nouveau conjoint (Oris et Ochiai, 2002, 69-72). Le décès d’un adulte père ou mère d’enfants mineurs conduit ces derniers au statut d’orphelin. Dans les villes, des institutions spécialisées pouvaient prendre en charge certains de ces orphelins, souvent avec des règles d’admission strictes et limitatives (Robin-Romero, 2007). Dans les bourgs et les villages, seule la famille pouvait se mobiliser pour prendre en charge les orphelins, et sous l’Ancien Régime le « droit écrit » ou les coutumes locales organisaient ce temps fort de la vie des familles. Ces pratiques variaient d’une province à l’autre, et parfois à l’intérieur d’une province selon le milieu social ou le cadre de vie de la famille. Le Code civil, voulu par l’Empereur Napoléon 1er pour unifier les pratiques locales et fixer de manière précise les pratiques juridiques familiales, a modifié les règles, et, dans une certaine mesure, les pratiques [2]. Les Assemblées de parents, voisins et amis qui existaient au xviiie siècle ont été remplacées par des Conseils de famille : qu’est-ce qui différencie les unes des autres, quelle est la portée de cette innovation ? On peut se demander en quoi précisément les règles ont été modifiées, et en quoi elles nous informent sur les relations à l’intérieur du couple et sur la mobilisation familiale. La famille est-elle plus ou moins impliquée dans la prise en charge des orphelins qu’auparavant ? En outre, dans les décennies qui suivent sa promulgation, le Code civil est-il réellement appliqué ou rencontre-t-il des résistances de la part des familles ? Les événements se déroulent-ils de la même manière selon que c’est la femme ou l’homme qui décède, ou quelles sont les différences ? Comment les tuteurs sont-ils désignés et cette fonction est-elle perçue comme une responsabilité lourde à éviter ou comme un statut recherché ?
2L’observation porte sur la Province de Dombes, située à quelques dizaines de kilomètres au nord de la ville de Lyon, qui ne comptait qu’une soixantaine de paroisses. Ce qui donnait son identité à cette province était la présence de nombreux étangs, dont certains étaient particulièrement insalubres et contribuaient à la forte mortalité qui y régnait. Si la mortalité des enfants était forte, avec une proportion de survivants au dixième anniversaire inférieure à 50?%, encore au début du xixe siècle [3], celle des adultes était également très élevée. L’importante mobilité géographique gène la mesure de la mortalité des adultes, mais un indicateur suffit à en montrer les effets sur le risque des enfants de devenir orphelins : parmi les couples mariés entre 1750 et 1789 et ayant vécu sur place, pratiquement un sur trois (31?%) est rompu avant le cinquième anniversaire du mariage. La durée de vie médiane de ces couples est de 10,1?ans, la durée moyenne de 11,4 ans [4]. La situation s’améliore légèrement, mais lentement, avec l’élévation du niveau de vie et de l’hygiène ainsi qu’avec l’assèchement des étangs les plus insalubres, dont le « Grand étang » qui était situé aux portes mêmes du bourg de Saint-Trivier. De ce fait, la durée de vie des couples augmente : parmi ceux mariés au cours de la période 1800-1829 et ayant vécu sur place, « seulement » un sur quatre (26,1?%) est rompu avant le cinquième anniversaire du mariage. La durée de vie médiane des couples est de 11,5 ans, la durée moyenne de 14,5 ans. En conséquence de cette fragilité des unions, dans leur grande majorité, les enfants issus des couples vivant à Saint-Trivier devenaient orphelins. Par exemple, au dixième anniversaire, près de 31?% des enfants avaient déjà perdu leur père, près de 25?% avaient déjà perdu leur mère, et près de 10?% avaient déjà perdu leurs deux parents [5].
3La vie des familles ayant vécu à Saint-Trivier et dans les environs a été observée à travers deux sources principales. D’une part, les registres paroissiaux et d’état civil des cinq paroisses de la châtellenie de Saint-Trivier dépouillés systématiquement sur la période 1720-1869, ont servi de base à la reconstitution des familles [6]. D’autre part, les archives de la Justice ont également été exploitées, et tous les actes concernant les orphelins ont été dépouillés. Pour la période 1750-1789, ce sont les archives de la curialité de la châtellenie de Saint-Trivier qui contiennent les délibérations des Assemblées de parents et amis pour désigner des tuteurs ou des curateurs aux enfants mineurs, ainsi que des baux « à nourrir et entretenir » les mineurs et différents documents et actes concernant la vie et les intérêts matériels des orphelins [7]. Pour le début du xixe siècle, les archives de la Justice de paix, contenant notamment les procès-verbaux de délibération des Conseils de famille, sont conservées dans la série U [8]. Il existe un Juge de paix par canton, et le canton de Saint-Trivier dépassant les limites géographiques de l’ancienne châtellenie. Les informations provenant des différentes sources ont été rapprochées de manière à cerner au plus près le déroulement de la vie des familles et le contexte familial lors de l’ouverture de la tutelle et dans les années suivantes.
L’ouverture d’une tutelle : pourquoi et comment ?
4La pratique de la tutelle est en plein essor à partir du xvie siècle, aussi bien en pays de droit écrit qu’en pays coutumier. La Dombes était un pays de « droit écrit », et, sous l’Ancien Régime, ce sont des « Assemblées de parents, voisins et amis » qui étaient réunies sous l’égide du juge de la Baronnie de Saint-Trivier. À partir de 1805, c’est le Code civil qui s’applique comme sur la totalité du territoire national. Que change le Code civil quant à la procédure de tutelle ? Pour comprendre cela, il faut examiner quand et dans quelles circonstances familiales ces réunions sont organisées. Avant d’apporter des éléments de réponse, il faut préciser que, sous l’Ancien Régime, la rédaction de certains actes est trop imprécise pour permettre de connaître le contexte familial exact [9]. Si le décès du père est systématiquement précisé, il est quelquefois délicat de savoir si la mère est encore vivante ou bien est décédée, et dans ce cas, si son décès est récent ou non. Retrouver plusieurs Assemblées concernant une même famille a permis de lever certaines incertitudes, de même que le rapprochement entre ces actes de tutelle et les fiches de famille compilant toutes les informations provenant de l’état civil.
Contexte familial lors de la réunion des Assemblées des parents amis et voisins et lors des Conseils de famille, Saint-Trivier, xviiie-xixe siècles

Contexte familial lors de la réunion des Assemblées des parents amis et voisins et lors des Conseils de famille, Saint-Trivier, xviiie-xixe siècles
5Sous l’Ancien Régime, aucune tutelle n’est ouverte alors que le père est encore en vie. La Dombes est un pays de « droit écrit », et l’usage veut que, alors que des enfants ont perdu leur mère, la justice n’intervienne pas dans la vie des familles. Le père dispose en quelque sorte d’une « tutelle légitime », qui ne necessite pas l’intervention de la justice [10]. Celui-ci a ainsi une grande liberté de décision quant à l’éducation de ses enfants, même si, probablement, les parents membres de la lignée maternelle sont vigilants au respect des intérêts matériels de cette branche. Plus de 86?% des tutelles concernent ainsi des enfants dont le père vient de décéder et dont, la plupart du temps, la mère est encore en vie. Il arrive également que des Assemblées de parents et amis soient réunies suite au décès de la mère. Mais dans ce cas, systématiquement, le père était décédé auparavant, et la réunion de cette Assemblée a pour objectif de désigner un nouveau tuteur, en remplacement de la mère qui vient de décéder. En aucun cas, le décès de la mère ne provoque la réunion d’une Assemblée si le père est encore en vie.
6En rupture avec la pratique ancienne dominante, le Code civil instaure un certain équilibre entre les sexes. Il prévoit (art. 390) qu’un Conseil de famille doit être réuni après le décès d’un des parents quel que soit le sexe de celui-ci [11]. On s’attendrait donc à un relatif équilibre entre le nombre de tutelles ouvertes après le décès de la mère et le nombre de celles ouvertes après le décès du père. En effet, parmi les mariages formés entre 1800 et 1829, 47,6?% sont rompus par le décès du père et 52,4?% par celui de la mère (Brunet, 2011a, 139). Or, on constate, dans les faits, une survivance des pratiques de l’Ancien Régime. Au cours de la période 1810-1824, ce sont encore 72?% des tutelles qui sont ouvertes suite au décès du père. Ce sont seulement 18?% des procédures de tutelle qui font suite au décès de la mère alors que le père est encore vivant. Si de telles pratiques auraient été compréhensibles dans les premières années d’application des nouvelles règles, leur survivance vingt ans plus tard signale des réticences fortes dans les mentalités face à cette égalité de traitement entre les parents des deux sexes. On ne perçoit d’ailleurs aucune évolution au cours de la période 1810-1824, et les tutelles ouvertes suite au décès de la mère ne deviennent pas proportionnellement plus nombreuses au cours de cette période [12].
7Le délai séparant le décès du père des orphelins, et quelquefois de la mère, et la réunion de l’Assemblée est en général bref. L’imprécision de certains actes de tutelles d’Ancien Régime ne permet pas de dresser une statistique précise, car le juge utilise souvent des formules telles que « décédé depuis peu ». Comme sous l’Ancien Régime, l’organisation d’un Conseil de famille peut être à l’initiative du parent survivant, d’un autre membre de la parenté ou du juge (art. 406 [13]). Au début du xixe siècle, en règle générale, la réunion du Conseil de famille suit de peu le décès du père ou de la mère : 63?% sont organisés dans les quinze premiers jours et 15?% dans les quinze jours suivants. Les exceptions à cette règle sont plus nombreuses lorsque c’est la mère qui est décédée. Il semble que certains hommes considèrent qu’ils n’ont pas besoin d’organiser un conseil de famille et sont capables de veiller par eux-mêmes aux intérêts de leurs enfants, comme cela était le cas avant la Révolution. Ainsi, Joseph Berthaud laisse passer sept ans après le décès de son épouse avant de réunir le Conseil qui le confirme comme tuteur et dote ses deux enfants, alors âgés de 12 et 11 ans, d’un subrogé tuteur [14]. Noël Juvanon, qui s’est remarié entre temps, laisse passer six ans après le décès de son épouse. Encore sa démarche est-elle probablement liée à sa situation matérielle qui s’est dégradée entre temps. Il expose que depuis le décès de sa première épouse, « il est survenu des dérangements dans ses affaires, sa propriété se trouvant grevée de différents dits hypothécaires [sic] montant à environ deux mille francs » [15].
8Il est plus rare qu’une femme laisse passer autant de temps avant de réunir un Conseil de famille. Catherine Combes, veuve de Joseph Chauny, fait exception, mais sans doute cela est-il dû à des circonstances particulières. Lorsqu’elle réunit le conseil de famille, elle se déclare enceinte de huit mois, son mari étant mort précisément huit mois plus tôt. Peut-être ne se savait-elle pas enceinte lors du décès de son époux puisque la grossesse devait être très récente, auquel cas, sans descendance, elle n’avait pas à demander la réunion d’un Conseil de famille. Ce conseil de famille a donc pour objet de désigner qui veillera sur l’enfant à naître, probablement conçu juste avant le décès du père. De tels délais et la convocation tardive du conseil de famille n’ont probablement été possibles qu’en raison de l’absence de toute famille du père décédé [16].
9Le déroulement des Conseils de famille du xixe siècle n’est guère différent de celui des Assemblées de parents et amis de l’Ancien Régime. Les uns comme les autres sont la plupart du temps convoqués à l’initiative de l’ascendant direct survivant, à défaut par un autre membre de la parenté ou, plus rarement, par un ami de la famille. Elles ont presque toutes lieu au domicile du juge (art. 416). Le procès verbal est rédigé par son greffier, contresigné par le juge et par les membres des Assemblées et Conseils qui savent signer. La forme de ces procès verbaux est très stéréotypée, surtout au xixe siècle. Sous l’Ancien Régime, il arrive plus fréquemment que des détails sur le déroulement des séances soient consignés, tels que le nombre de voix obtenus par différentes personnes susceptibles de devenir tuteur.
10Sous l’Ancien Régime, il est d’usage général que la mère conserve la tutelle de ses enfants après le décès de son mari. À l’occasion de son éventuel remariage, son nouvel époux devient protuteur des enfants. Dans la pratique, ce remariage de la veuve ne semble pas poser de problème et, sur l’ensemble de la période 1750-1789, aucun acte ne signale l’existence de difficulté ou de conflit lié à une telle situation. Le Code civil, par l’article 390 déjà cité, stipule également que le parent survivant devient de plein droit tuteur. Se pose toutefois la question du remariage de la veuve, encadré par les articles 395 et 396 [17]. Cette disposition est à l’origine de situations qui permettent, en dépit de la forme stéréotypée des documents, de percevoir l’existence de conflits familiaux. Il en est ainsi des Conseils convoqués à l’initiative de parents de la branche paternelle, lorsque la femme veuve s’est remariée sans demander l’autorisation du conseil de famille. Au cours de la période 1810-1824, ce sont une vingtaine de femmes du canton de Saint-Trivier qui sont dans cette situation et se trouvent déchues de leur fonction de tutrice. Par exemple, Marie Felix, qui s’était remariée avec Louis Gailleton, perd la tutelle de sa fille Marie, qui est dévolue à un frère de son premier époux. Bien que présente avec son nouvel époux, Marie Felix n’a pas le droit de prendre part au vote [18]. Dans le même ordre d’idée, Claudine Thomassin, veuve de Jean Gravier, n’est pas élue tutrice de ses enfants : le conseil de famille considère que « n’ayant fait aucune demande soit pour déclarer si elle acceptait la tutelle, soit pour leur faire nommer un subrogé tuteur, cette négligence nuit à leur intérêt » [19]
La famille mobilisée… les voisins aussi : composition des Assemblées et des Conseils
11L’essor du nombre de procédures de tutelles, au cours des xviie et xviiie siècles, signale l’intervention plus fréquente de la justice dans la vie des familles, tendant à établir l’adage selon lequel « toutes tutelles sont datives », c’est-à-dire conférée par un juge. Cependant, cette pratique concerne essentiellement la moitié Nord de la France, et certains auteurs estiment au contraire que le développement de la pratique des tutelles en pays de droit écrit a au contraire renforcé le rôle de la famille (Corley, 2009). En effet, le juge ne fait qu’officialiser le choix des membres des Assemblées, et la famille, ou à défaut les voisins et amis, décident du choix du tuteur. Si d’aventure le tuteur se révélait indélicat ou insolvable, la responsabilité en reviendrait aux membres de l’Assemblée et non au juge (Lefebvre-Teillard, 1996, 425). Ainsi, la famille au sens large de parentèle, est appelée à intervenir dans la vie des couples rompus par la mort, à travers la protection à apporter aux orphelins [20].
12À Saint-Trivier, sous l’Ancien Régime, le nombre de personnes participant aux Assemblées de parents et amis est assez variable. Par contre, au début du xixe siècle, une norme, imposée par le Code civil, émerge nettement [21].
Nombre de personnes présentes aux Assemblées de parents et amis (1750-1789) et aux Conseils de famille (1810-1824), Saint-Trivier

Nombre de personnes présentes aux Assemblées de parents et amis (1750-1789) et aux Conseils de famille (1810-1824), Saint-Trivier
13La variabilité est importante sous l’Ancien Régime puisque quelques Assemblées peuvent ne compter que 5 membres, et quelques autres jusqu’à 12 membres. Cependant, la norme dominante est celle d’Assemblées comportant 7?membres (plus des deux tiers). Près de neuf assemblées sur dix comptent six, sept ou huit participants. Le nombre moyen de membres s’établit à 7,1 [22].
14Pour l’Ancien Régime, la présence de nombreux membres à certaines Assemblées s’explique par le fait qu’elles doivent statuer en série sur la désignation de tuteurs pour des enfants issus de mariages successifs d’un défunt. Trois branches familiales, voire plus, sont alors concernées : celle de l’homme qui vient de décéder, celle de la première épouse et celle de la seconde épouse. Que deux délibérations soient ainsi enchaînées est fréquent, mais il est par contre rare que trois votes se succèdent ainsi. Tel est pourtant le cas des trois Assemblées réunies pour désigner des tuteurs aux enfants mineurs nés de trois mariages successifs de Benoît Prost : Benoît et Marguerite, enfants de Marguerite Ramiron, Jeanne, âgée de 14 ans et fille de Sébastienne Goiffon, et Marie, âgée de deux ans et fille de Marceline Jugnet. Ce sont bien trois actes différents qui sont dressés par le juge de la Baronnie, mais ce sont les mêmes personnes qui composent les trois Assemblées en question. L’Assemblée compte onze membres, effectif hors norme, mais il réunit, outre des parents de la dernière épouse, des parents du défunt et plusieurs voisins et amis. Ce sont les mêmes personnes qui vont ainsi délibérer sur les orphelins nés des trois lits de Benoît Prost, et aucun parent des orphelins issus des deux premiers lits n’est présent [23].
15À partir de la mise en place du Code civil, la composition des Conseils de famille est généralement établie à six membres (95,3?% des cas) [24]. Les rares cas d’élargissement à un septième membre concernent des Conseils qui intègrent des frères majeurs ou des beaux-frères majeurs des orphelins, qui ne comptent ni dans la lignée maternelle ni dans la lignée paternelle [25]. À l’inverse, un seul Conseil ne réunit que cinq membres, la mère qui avait été convoquée ne s’étant pas présentée [26].
Relations de parenté entre les membres des Assemblées de parents et amis (1750-1789) et des Conseils de famille (1810-1824) et les orphelins, Saint-Trivier

Relations de parenté entre les membres des Assemblées de parents et amis (1750-1789) et des Conseils de famille (1810-1824) et les orphelins, Saint-Trivier
16Sous l’Ancien Régime, les Assemblées n’étant jamais convoquées alors que le père est encore en vie, par définition, aucun père ne prend part à de telles réunions. Les mères, quant à elles, peuvent être présentes mais elles n’ont pas le droit de prendre part au vote. De ce fait, les plus proches parents par le sang pouvant voter sont les aïeux paternels, dont la présence est rare en raison de la faible espérance de vie qui prévaut dans cette région [27]. La présence de frères majeurs des orphelins est également marginale. Oncles et cousins sont, à parts pratiquement égales, les membres de la parenté les plus fréquemment mobilisés pour prendre part à ces Assemblées [28]. Mais surtout, ce qui frappe est la présence massive des « parents, voisins et amis ». Ils sont de fait majoritaires au sein des Assemblées, et il n’est pas exceptionnel qu’aucun parent ne soit présent [29]. Par exemple, ce sont sept habitants du bourg de Saint-Trivier, quatre artisans et trois laboureurs, qui sont convoqués, à titre d’amis, pour composer l’Assemblée chargée de désigner un tuteur à Claude Couturier, âgé de trois ans, dont le père vient de décéder [30]. Pour la tutelle de Louis Maréchal, aucun parent n’est présent et le seul membre de l’Assemblée ayant une relation familiale avec lui est son beau-père [31]. L’Assemblée convoquée par le juge de la Baronnie pour veiller aux intérêts des trois enfants du couple Bourdon – Carron ne comporte aucun parent, mais sept amis et voisins [32]. Le père décédé, ainsi que son épouse présente à la délibération, ne sont pas originaires de la Dombes et ont probablement perdu contact avec leurs familles. La mère est désignée comme tutrice. Un compte tutélaire enregistré seize ans plus tard nous apprend que cette femme a quitté Saint-Trivier, vivant avec son nouvel époux en Bresse. Quant à l’enfant le plus jeune, alors âgé de 28 ans, il est cuisinier à Lyon.
17Trois explications peuvent être avancées pour éclairer l’absence de parents : soit aucun d’entre eux ne vit à proximité, soit ils ne sont pas contactés par le juge et les autres parents, soit ils ne souhaitent pas participer à ces Assemblées. Les trois explications ne sont pas exclusives les unes des autres et se complètent probablement. La mortalité est telle dans cette région que le nombre de parents vivants doit être faible. La mobilité géographique, qui évite la dépopulation de la région, fait que de nombreux grangers, métayers, locataires ou journaliers, qui constituent l’essentiel de la population, sont souvent originaires de régions voisines telles que la Bresse et le Beaujolais. L’existence et le lieu de résidence précis de ces parents ne sont pas toujours connus des voisins et du juge, et ils ne peuvent donc pas toujours être contactés. En outre, l’éloignement géographique et les liens relationnels distendus peuvent expliquer leur faible motivation pour participer à ces Assemblées. Par son régime démographique Saint-Trivier se différencie des villages au sein desquels tout le monde est « un peu cousin » (Jolas et al., 1990 ; Perrenoud, 2007). Différents auteurs, dont Neveux (1995) et Gourdon (2003b), évoquent le fait que les membres de la parenté disposent d’une certaine marge de manœuvre pour se mobiliser, ou non, dans une telle situation. Gourdon évoque une « stratégie » pour « rendre compte de cette mobilisation variable de la parenté » (p. 18). De son côté Sylvie Perrier (1995, 128) souligne que les parents disponibles ne sont pas les mêmes, selon que le couple est rompu précocement ou plus tardivement. La génération des grands-parents peut être présente aux côtés d’un tout jeune orphelin, mais avoir disparu pour une tutelle survenant plus tardivement. Dans le cas de Saint-Trivier, il semble bien que c’est avant tout l’absence de parents à proximité qui explique cette forte présence des amis et voisins [33].
18Sous l’Ancien Régime toujours, il n’est pas rare qu’une lignée soit plus représentée que l’autre. Ainsi, l’Assemblée réunie pour désigner un tuteur à Benoîte Chevalon, âgée de 15 ans et ayant perdu ses deux parents, comporte un oncle paternel, mais cinq parents maternels et un ami du père défunt [34].
19Pour équilibrer le poids d’une branche familiale, le juge convoque parfois un nombre équivalent de voisins et amis, réputés défendre les intérêts de la branche qui fait défaut. Tel est le cas lors de l’Assemblée réunie pour veiller aux intérêts de Claude Decoté. Cinq parents du père étant présents, face à un seul parent du côté maternel, le juge a convoqué cinq hommes présentés explicitement comme « voisins et amis de la mère » [35]. Il en résulte une Assemblée dont l’effectif dépasse nettement la norme. [36]
20Par contraste avec ce qui vient d’être observé pour l’Ancien Régime, les Conseils de famille apparaissent comme mobilisant mieux la participation de la parenté. La première évolution concerne la participation des parents survivants. Le père survivant est présent dans 18?% des Conseils, et la mère survivante en fait légalement partie dans 58?% des cas [37]. Ensemble, ils représentent plus de 11?% des membres des Conseils. Ils sont secondés par les oncles (35?%) et les cousins (24?%). En valeurs proportionnelles, la participation des grands-pères et des frères majeurs semble augmenter par rapport à l’Ancien Régime, mais cela vient en fait de la réduction très forte des membres des Conseils qui ne sont pas apparentés aux orphelins. En valeurs absolues, leur présence reste aussi rare.
21La diminution de la présence de non parents constitue une évolution importante, puisque la part des membres non apparentés aux orphelins passe de 53,1?% à 15,5?% [38]. La parenté est donc plus mobilisée au début du xixe siècle que dans la seconde moitié du xviiie siècle. Plusieurs facteurs peuvent contribuer à ce phénomène. Peut-être le nombre de parents vivants est-il en légère augmentation du fait d’une relative baisse de la mortalité. Peut-être ces parents sont-ils plus facilement identifiés et sensibilisés, sachant que le juge de paix a autorité pour convoquer tout parent résidant à moins de 20 myriamètres (art. 412 à 414) [39]. Enfin, le fait que le nombre de participants soit réduit à six évite probablement parfois de faire appel à des personnes supplémentaires qui ne seraient pas apparentées à l’orphelin.
22L’équilibre entre la branche paternelle et la branche maternelle au sein des Conseils de famille est exigé par le Code civil (art. 407), et il est, sauf exceptions, respecté sous la vigilance et la responsabilité du juge de paix. Ce n’est que dans de rares cas où une branche familiale est totalement inconnue (migration) ou inexistante (mortalité) que la représentation est déséquilibrée. Citons par exemple le Conseil réuni pour la tutelle des enfants issus du mariage d’Antoine Dupuis, décédé, et de Catherine Desroches. Le conseil est composé de cinq représentants de la branche maternelle, dont la mère, et d’un voisin. Dans cette configuration familiale spécifique, le tuteur et le subrogé tuteur appartiennent à la même branche familiale [40] alors que le Code civil prévoit qu’ils ne doivent pas appartenir à la même lignée (art. 423) [41].
23Il est intéressant d’étudier de plus près la présence de « voisins et amis » au sein des Assemblées et des Conseils, afin de percevoir la densité de l’environnement familial des orphelins.
Nombre de non parents dans les Assemblées de parents, voisins et amis (1750-1789) et dans les Conseils de famille (1810-1824), Saint-Trivier

Nombre de non parents dans les Assemblées de parents, voisins et amis (1750-1789) et dans les Conseils de famille (1810-1824), Saint-Trivier
24Sous l’Ancien Régime, il est rare (15,4?%) qu’une Assemblée ne fasse pas appel à au moins un « ami ou voisin ». Dans la grande majorité des cas, il est ainsi impossible au juge de la Baronnie d’identifier et de réunir le nombre de parents souhaité, sept en général, pour composer une Assemblée. Tous les cas de figure se rencontrent, et les Assemblées comportent soit seulement quelques voisins et amis en complément de membres de la parenté, soit uniquement les premiers, comme cela a été évoqué plus haut.
25Signalons que parmi ces « voisins et amis », les actes rédigés par le juge de la Baronnie mentionnent quelquefois explicitement la présence des parrains des orphelins [42]. Ainsi, l’Assemblée qui doit veiller sur les trois jeunes enfants de Jean-Louis Martin et Benoîte Basset, tous deux décédés, comporte huit membres, dont quatre sont identifiés comme parents des orphelins. À côté d’eux, on trouve trois hommes qui sont explicitement désignés comme étant parrains de chacun des trois enfants. Par contre, le document n’indique pas s’ils sont par ailleurs apparentés à ceux-ci, comme cela était assez souvent le cas [43]. De telles mentions concernant la présence de parrains restent toutefois exceptionnelles.
26Certains notables font partie, en tant qu’ami ou voisin, de nombreuses Assemblées de l’Ancien Régime. Il en va ainsi de membres de la famille Cointy, qui sont propriétaires de la plus importante boutique du bourg. Dans les années 1770, Benoît âgé d’une cinquantaine d’années, son fils Antoine et son neveu Claude, sont fréquemment convoqués. De manière générale, le juge de la Baronnie semble plus fréquemment convoquer des artisans.
27La part des « non parents » se réduit nettement au début du xixe siècle, et la moitié des Conseils (50,8?%) n’en comporte aucun, alors que cela était le cas de 15?% seulement des Assemblées de parents et amis de l’Ancien Régime. C’est surtout les cas d’absence ou de très faible présence de la parenté dont le nombre diminue. Seulement 6,5?% des Conseils comptent au moins quatre « non parents », alors que cela était le cas de plus de la moitié (53,9?%) des Assemblées. Ainsi, au xixe siècle, les non parents apparaissent comme un complément minoritaire des membres de la parenté, alors qu’auparavant ils dominaient légèrement. Si la plupart du temps, au début du xixe siècle, on ne fait appel qu’à un ou deux amis ou voisins dans ces conseils de famille, il arrive encore que ceux-ci puissent être majoritaires : il se trouve ainsi dix-neuf conseils de famille comportant quatre amis ou voisins, huit en comportant cinq, et même huit en comportant six. Dans ces derniers cas, il s’agit de couples arrivés récemment dans la Dombes et n’ayant pas de famille à proximité. On peut citer l’exemple des orphelins issus du mariage de Claude Goyon, décédé depuis trois mois lorsque le conseil se réunit, et d’Antoinette Ferraud. En l’absence de toute parenté connue de l’un et de l’autre, ce sont six habitants du canton qui sont convoqués par le juge pour siéger dans ce conseil [44].
28Une situation particulière doit retenir notre attention : l’absentéisme, autrement dit l’absence de parents qui sont convoqués mais ne se présentent pas devant le juge. Même si ce comportement est marginal, il est révélateur d’une faible motivation, voire d’un refus, de la part de certains membres de la parenté, d’entourer l’orphelin.
29Sous l’Ancien Régime, s’il arrive que des personnes convoquées par le juge de la Baronnie ne se présentent pas, cela est rare et ne concerne en général qu’une personne par Assemblée. Exceptionnellement, deux membres peuvent ne pas se présenter, ce qui peut empêcher le bon déroulement de la délibération. Tel est le cas pour désigner un tuteur aux enfants de Benoît Allaguette, décédé depuis quelques jours. Si cinq parents convoqués se présentent bien, deux autres, dont un parent du défunt qui habite à Ambérieux, c’est-à-dire à une dizaine de kilomètres, font défaut [45]. Une seconde Assemblée est donc convoquée une dizaine de jours plus tard, et les deux mêmes personnes sont de nouveau absentes. Les cinq parents présents étant d’accord sur le tuteur, le juge décide de valider le vote [46].
30Le Code civil est explicite sur ce point et les absents encourent une sanction immédiate [47]. Les personnes convoquées par le juge de paix pour former le Conseil de famille ont obligation d’être présentes, surtout s’ils sont membres de la parenté. Un mauvais état de santé peut être considéré comme une excuse valable. Par contre, faute d’excuse, l‘absent peut être condamné à une amende. Le Conseil organisé pour veiller aux intérêts d’Anne Bachelard, orpheline âgée de deux ans, réunit ces deux situations : Jean Bachelard, résidant à une dizaine de kilomètres et alité, est excusé, tandis que Jean Raffanel, résidant également à une dizaine de kilomètres mais ne fournissant pas d’excuse, fait l’objet d’une condamnation [48].
Désignation des tuteurs : volontaires et réfractaires
31Sous l’Ancien Régime, lorsque la mère survit, elle est presque systématiquement désignée comme tutrice de ses enfants (122 fois sur 138) [49]. Il est cependant nécessaire que ce rôle de tutrice lui soit officiellement confié par l’Assemblée des parents, amis et voisins.
32Cependant, une mère ne peut être désignée tutrice si elle est elle-même mineure. Elle peut d’ailleurs éventuellement être pourvue d’un curateur. Ainsi, Claudine Rousset devient veuve à l’âge de vingt ans, alors qu’elle a un enfant âgé de sept mois et commence juste une seconde grossesse. C’est son père, aïeul des enfants, qui est désigné comme tuteur [50]. Louise Borrasson, qui est majeure, devient bien tutrice de son fils âgé de dix mois, mais elle est elle-même pourvue d’un curateur au ventre pour veiller sur les intérêts de l’enfant dont elle est enceinte [51].
33Au début du xixe siècle également, le parent survivant, qui peut alors être le père ou la mère, est pratiquement toujours désigné comme tuteur des orphelins, ainsi que cela est prévu par l’article 390 du Code Civil déjà cité. Les exceptions sont rares et correspondent à un refus de la part de la mère. Par exemple, Marie Genillon, veuve de François Rognard et mère de quatre enfants âgés de 18, 16, 11 et 8 ans, refuse la tutelle de ceux-ci « en raison de son âge, de ses infirmités et des embarras que pourrait lui occasionner cette tutelle » [52]. Une autre mère, Marie Jambion veuve de Claude Berger, refuse la tutelle de ses deux filles sans fournir de motifs [53].
34Une mère qui souhaite se remarier tout en conservant la tutelle de ses enfants doit faire entériner cette décision par le conseil de famille. En général, cette demande est acceptée par les membres du conseil. Ainsi, lorsque Marie Pasquier veuve de Claude Picard demande l’autorisation de se remarier, les parents exposent que « par l’attachement qu’elle porte à ses enfants, l’on ne présume pas qu’elle passe à de secondes noces dans l’intention de nuire à ses intérêts et que Benoît Borasson [le second mari] présente suffisamment de solvabilité pour répondre de sa gestion » [54].
Les tuteurs désignés par les Assemblées de parents et amis (1750-1789) et les Conseils de famille (1810-1824), lorsque ce n’est pas le parent survivant ou lorsque les deux parents sont décédés, Saint-Trivier

Les tuteurs désignés par les Assemblées de parents et amis (1750-1789) et les Conseils de famille (1810-1824), lorsque ce n’est pas le parent survivant ou lorsque les deux parents sont décédés, Saint-Trivier
35En la matière, le Code civil n’entraîne pas de modification majeure des pratiques. Que ce soit sous l’Ancien Régime ou au début du xixe siècle, les parents les plus sollicités pour devenir tuteurs des orphelins sont les oncles et les cousins. Ce sont de proches parents, qui appartiennent en général à la même génération que les pères et mères disparus. Pour le début du xixe siècle, il est possible d’établir que l’âge moyen de ces oncles et de 42,2 ans, et celui de ces cousins de 40,6 ans. Ce sont ensuite des frères majeurs et des beaux-frères, qui appartiennent à la même génération que les orphelins (âge moyen de 30 ans au début du xixe siècle) qui sont désignés comme tuteurs.
36Par contre, la génération antérieure, celle des grands-pères et des grands-oncles, est peu représentée parmi les tuteurs [55]. Ces aïeux sont toutefois assez souvent élus comme tuteurs, lorsqu’ils sont encore en vie et prennent part aux Assemblées.
37Selon le Code civil (art. 402) [56] cette charge leur revient de droit si les deux parents des orphelins sont décédés. Cependant, certains refusent en raison de leur état de santé (art. 433) [57]. Au début du xixe siècle, parmi la centaine d’aïeux présents dans les conseils de famille étudiés, seuls trois prennent effectivement la tutelle. Ainsi, la plupart refusent cette charge, et, parmi beaucoup d’autres, on peut citer M. Genton, aïeul maternel des orphelins Favry qui est âgé de 74 ans et se déclare « chargé d’infirmités » et « hors d’état de pouvoir se charger de la tutelle » [58]. Claude Chanel, quant à lui, aïeul maternel de Claude Jacquet, orphelin âgé de 10 ans, ne se présente pas à la convocation du juge car il est « impotent et alité » [59].
38La différence principale entre les deux périodes concerne de nouveau la participation des « voisins et amis ». Majoritaires dans les Assemblées d’Ancien Régime, ils fournissent 18,1?% des tuteurs, généralement lorsqu’il n’y a aucun parent vivant connu [60]. Ainsi, l’Assemblée réunie pour désigner un tuteur aux enfants mineurs issus du couple Meyziat-Maty ne comporte que des voisins et amis des défunts. Ces sept hommes se mettent d’accord pour désigner un absent comme tuteur, sous le motif qu’il est « le plus voisin du domicile où est décédée la mère des mineurs » [61]. Autre exemple : lorsqu’il accepte la tutelle des enfants mineurs de Jean Perier et Benoîte Raffin, tous deux décédés, un voisin explique que « il ne reste ni parent ni allié du défunt, qu’il ne connaissait aucun parent, mais qu’il voulait bien se charger de ses enfants et des effets provenant de la succession » [62].
39Par contre, au début du xixe siècle, leur rôle décline nettement. Moins présents dans les Conseils de famille, c’est en de rares occasions qu’ils sont désignés comme tuteurs. Cela est encore le cas lorsqu’il n’y a aucun parent connu, comme pour les trois enfants Perraud, âgés de 18, 16 et 15 ans [63]. Mais, exceptionnellement, cela arrive également alors qu’il existe des parents. Ainsi, le conseil réuni pour la tutelle de Claude Lacombe, qui comporte son aïeul maternel et un oncle maternel aux côtés de quatre non parents, désigne l’un de ces derniers comme tuteur, et un autre comme subrogé tuteur [64]. Dans une telle situation, quels peuvent être les liens entre ces parents et l’enfant orphelin ?
40Enfin, il arrive, dans de rares cas, qu’un défunt ait exprimé sa préférence pour une personne afin qu’elle devienne tuteur de ses enfants. Tel est le cas de Louis Chamarande qui, dans son testament nuncupatif, reçu le 11 décembre 1788, avait souhaité qu’Antoine Cointy, greffier local de la Baronnie et membre de la plus riche famille marchande de Saint-Trivier, soit désigné comme tuteur de sa fille Marie. L’Assemblée convoquée par le juge, composée de huit amis et voisins du défunt, confirme ce choix [65].
41En cela, le Code civil ne marque pas de rupture avec cette possibilité (art. 391 et 392). Ainsi, Pierre Chaland avait désigné par testament un ami, Pierre Chapollard, pour devenir tuteur de son fils Claude, âgé de 17 ans. Le conseil de famille approuve cette décision [66].
Échapper à la charge de tuteur
42La fonction de tuteur d’enfants orphelins est-elle une charge facilement acceptée, voire souhaitée, ou est-elle au contraire une contrainte que certains proches cherchent à éviter ? Les procès-verbaux des Assemblées de parents et amis contiennent des informations intéressantes pour se faire une idée sur cette question. Un premier cas de figure est celui d’hommes désignés comme tuteurs alors qu’ils ne sont pas présents à l’Assemblée Parmi les actes étudiés, sous l’Ancien Régime, cela se produit 17 fois. Parfois, cet homme avait été convoqué à l’Assemblée mais ne s’était pas présenté. Tel est le cas de François Juvanon, cousin des deux filles du couple Casin-Bricot. Le père étant décédé depuis sept ans, et la mère venant de décéder, François Juvanon est convoqué pour participer à l’Assemblée. Il ne se présente pas, sans avoir fourni d’excuse, et est désigné par l’Assemblée comme tuteur pour les deux orphelines, charge qu’il acceptera ultérieurement [67]. Mais parfois, le tuteur désigné alors qu’il participe à l’Assemblée, refuse d’accepter cette fonction. Par exemple, Jean Poncet est bien présent à l’Assemblée qui doit désigner un tuteur aux mineurs issus du couple Mazuy-Jardinier. Mais il refuse cette charge et argumente ainsi : « ses instants lui sont trop précieux pour pourvoir à sa famille les besoins essentiels et indispensables et par conséquent ne lui permettent pas de s’occuper de la gestion d’une tutelle, surtout comme celle des mineurs Mazuy qui ne présente que des embarras entendu le trop grand nombre d’enfants et le peu de ressources que présente la succession » [68]. Une nouvelle Assemblée est donc convoquée quelques mois plus tard, à l’initiative d’un cousin éloigné qui a pu être identifié entre temps. Cette nouvelle Assemblée désigne un voisin des orphelins, Jean Poncet, pour occuper cette fonction, mais lui aussi refuse [69].
43Le juge doit parfois faire pression pour qu’une personne accepte cette charge de tuteur. Ainsi, Gaspard Charrin avait été désigné tuteur de son petit cousin âgé de huit ans, orphelin de père et de mère, par une Assemblée dont il ne faisait pas partie. Cet homme appartient pourtant au monde de la Justice, étant présenté comme greffier de la Sénéchaussée et siège présidial de Lyon. Devant son refus, le juge de la Baronnie de Saint-Trivier doit le contraindre « par les voyes de droit » à accepter cette charge [70]. Autre exemple : il faut plusieurs jugements successifs pour que Claude Ansoud accepte la tutelle des trois enfants mineurs de Benoît Mallet, décédé en 1775, et Benoîte Fort, alors vivante. Une première Assemblée qui comporte trois parents et quatre amis et voisins, et à laquelle il ne participe pas, est réunie [71]. Cette Assemblée l’ayant désigné comme tuteur, Claude Ansoud fait part au juge de la Baronnie de son refus, qu’il réitère plusieurs fois. C’est après plusieurs jugements, et après avoir de nouveau été désigné tuteur par une autre Assemblée, qu’il finit par accepter cette charge [72]. De même, Antoine Guichard, qui avait été désigné comme tuteur de Françoise Cyre, alors qu’il était absent de l’Assemblée à laquelle il avait pourtant été convoqué, refuse d’assurer cette charge. Devant son refus, le juge lui adresse une assignation à accepter cette charge, « à défaut de quoi il sera contraint par corps » [73].
44Autre situation qui signale la difficulté de la tâche et la faible attraction qu’elle exerce sur certains : le refus de la part des membres d’une Assemblée de désigner un tuteur. Tel est le cas de l’Assemblée réunie pour désigner un tuteur à Marguerite Naudin dont les deux parents sont décédés. Aucune famille n’étant connue, le juge a réuni sept voisins ou amis, lesquels « ont refusé de délibérer […] sur le choix de l’un d’eux pour tuteur de l’enfant mineur en alléguant que ce dernier avoit en Forez des parents ». Le juge était effectivement parvenu à contacter un oncle, mais celui-ci avait fait part par courrier de son refus, se déclarant trop âgé pour accepter la charge. Les membres de l’Assemblée proposent alors de désigner quelqu’un qui n’est pas parmi eux comme tuteur, ce que le juge refuse. Finalement, c’est un voisin, cordonnier, qui est désigné [74]. Mais celui-ci décède peu de temps après, et le juge doit réunir une nouvelle Assemblée, toujours constituée uniquement de voisins et amis. Les délibérations sont moins conflictuelles, et un autre cordonnier est désigné comme tuteur, charge qu’il accepte sans contrainte apparente [75].
45Ainsi, sous l’Ancien Régime, si dans la plupart des cas les tuteurs désignés acceptent cette fonction, notamment lorsqu’ils sont proches parents des orphelins, il arrive que certains hommes tentent d’y échapper, voire la refusent fermement. Cela se produit surtout lorsque le tuteur désigné par l’Assemblée n’en faisait pas partie et lorsqu’il n’est pas apparenté aux orphelins [76]. Le nombre élevé de mineurs, la modicité ou la complexité de la succession semblent également jouer un rôle dans certains de ces refus.
46Pour le début du xixe siècle, le Code civil prévoit explicitement qu’une personne non apparentée puisse refuser la tutelle si un membre de la famille de l’orphelin habite à proximité (art. 432) [77]. Pour les parents, le Code civil prévoit un certain nombre de dérogations et de recours (art. 427 à 441) : être militaire, être âgé de soixante-cinq ans et plus, avoir une infirmité grave, avoir cinq enfants ou plus, être déjà chargé de deux tutelles. En l’absence d’un des motifs précis cités ci-dessus, le tuteur désigné doit s’exécuter, qu’il ait ou non été présent au Conseil qui l’a désigné.
47Ainsi, les procès-verbaux du début du xixe siècle ne mentionnent aucun refus d’accepter cette charge, soit que cette situation ne se présente pas, soit que le cas ait été résolu avant la rédaction de l’acte. On trouve par contre quelques cas de renoncement à poursuivre cette fonction après quelques temps d’exercice.
48La jeunesse et le manque d’expérience sont des raisons pour se dessaisir d’une tutelle acceptée sans réflexion ou sous contrainte. Ainsi, un jeune homme nommé quinze jours plus tôt tuteur de sa sœur demande à être déchargé de cette responsabilité. Il déclare que « ne s’étant pas persuadé des devoirs qu’un tuteur a à remplir, de la capacité qui lui est nécessaire et de la responsabilité à laquelle il est tenu il a accepté cette tutelle ; qu’aujourd’hui il reconnaît que l’état dans lequel il est [domestique] et son inexpérience en affaires le mettent dans l’impossibilité de la régir » [78]. La tutelle apparaît ainsi comme une charge astreignante qui doit être confiée à une personne suffisamment expérimentée.
49D’autres raisons peuvent être invoquées pour renoncer à une tutelle après quelques mois d’exercice, mais les cas sont rares. On peut citer celui de Claude Masson, résidant à quelques dizaines de kilomètres, près de Villefranche-sur-Saône, qui renonce à la tutelle de Claudine, âgée de 13 ans, qu’il exerce depuis un an et demi. Pour cela, il explique que « l’éloignement et le peu de connaissances dans les affaires et les douleurs l’empêchent de vaquer même à ses affaires » [79].
50Il arrive également que des mères, désignées comme tutrices par une première Assemblée ou un premier Conseil, y renoncent et convoquent une nouvelle réunion. Cela se produit parfois rapidement, comme pour Claudine Genillon, désignée le 28 juillet 1758, qui demande six semaines plus tard à être déchargée. Elle explique qu’elle avait accepté la fonction « sans connaissance de cause et pour le devoir de sa charge elle fit procéder à l’inventaire du mobilier et au bail judiciaire des immeubles […] ; mais ayant depuis reconnu que cette charge lui était trop onéreuse, elle a pris le partie de s’en dégager ». Ainsi, une nouvelle Assemblée est réunie quelques semaines plus tard, laquelle désigne en remplacement un cousin maternel [80]. Cela est parfois plus tardif, comme pour Antoinette Rognard qui avait été désignée comme tutrice de ses trois enfants par une Assemblée réunie le 11 janvier 1772. Un an et demi plus tard, elle exprime son incapacité à poursuivre cette fonction qui lui semble trop lourde. Une nouvelle Assemblée désigne alors un de ses frères, oncle maternel des enfants comme tuteur [81].
51La situation se retrouve au début du xixe siècle, mais une seule fois parmi les 576 actes de cette période étudiés. Il s’agit de Catherine Guillerat, veuve de Jean Cinier, qui évoque de manière imprécise des problèmes pour gérer correctement les intérêts de ses enfants [82].
52Certains refus d’accepter la tutelle peuvent en fait accompagner l’existence de conflits au sein des familles. Par exemple, une première Assemblée avait été réunie pour veiller sur les intérêts des deux enfants mineurs de Philibert Sinardet et Claudine Fauchy. L’Assemblée, qui comportait neuf parents des orphelins, s’était partagée, cinq voix allant à un cousin paternel, Jean Juvanon, et quatre voix à un oncle paternel. Etienne Fauchy. C’est Jean Juvanon qui avait alors été désigné par le juge de la Baronnie, mais il avait fait état de son refus [83]. Une seconde Assemblée est convoquée d’office par le juge quelques semaines plus tard. Fait exceptionnel, elle comprend onze membres, mais Jean Juvanon n’en fait pas partie. Certains membres font état de leur approbation du comportement de Jean Juvanon, tandis que d’autres le désapprouvent. Toujours est-il que c’est Etienne Fauchy qui est nommé tuteur par cette Assemblée [84]. Mais suite au décès de ce dernier, le juge doit réunir une troisième Assemblée quelques mois plus tard, le 20 novembre 1789. Le conflit persiste puisque les sept voix se partagent entre un cousin paternel (3 voix), un cousin maternel (2 voix) et un oncle maternel (2 voix). Le juge désigne le cousin paternel comme nouveau tuteur des orphelins, alors âgés de 16 et 14 ans [85].
Conclusion
53Au terme de cette étude, deux conclusions, de natures différentes, s’imposent : l’une concerne plus l’histoire des familles et le régime démographique de la Dombes, et l’autre concerne davantage l’histoire des pratiques juridiques.
54On peut dire que les Assemblées de parents et amis, comme les Conseils de famille, sont des sources qui mettent en lumière l’isolement de certains couples, sous les effets combinés de la forte mortalité des adultes et de la mobilité géographique qui s’en suit. Saint-Trivier est un modeste bourg d’un millier d’habitants, et les quatre paroisses qui l’entourent et constituent la Baronnie sont entièrement rurales. Or, pour la grande majorité des Assemblées, le juge doit faire appel à des voisins et amis, ceux-ci étant même majoritaires au sein des Assemblées. Parmi les études précédentes, une telle situation n’avait été décrite que dans des villes, comme Paris ou Bordeaux, et expliquée par l’importance de l’immigration urbaine. Dans cette châtellenie dombiste, une proportion importante des couples, dont les membres sont souvent originaires de provinces voisines (Bresse, Beaujolais) semble ne posséder que de rares parents à proximité, voire aucun. Dans un tel contexte, les relations de proximité, voisinage et amitié, semblent suppléer l’absence ou la faiblesse des relations familiales. Cet isolement semble toutefois décroître dans les premières décennies du xixe siècle, les voisins et amis jouant, quantitativement du moins, un rôle moins important que celui de la famille au sein des Conseils. Notons que, à l’échelle de la Dombes, cela va justement de pair avec une baisse de la mortalité et de la mobilité géographique.
55Par ailleurs, cette étude permet de percevoir les modifications induites par le Code civil. Fort d’une centaine d’articles, le Titre X du Code civil règle de manière précise et uniforme sur le territoire national le déroulement de la procédure de tutelle. Par cela, les différences existant entre les anciennes coutumes vont progressivement régresser. Une évolution majeure concerne le nombre de participants aux Conseils de famille, presque uniformément de six, alors que les Assemblées d’Ancien Régime comptaient parfois jusqu’à douze membres. Le Code civil tente également de faire évoluer les mentalités et les comportements en demandant qu’une tutelle soit ouverte dès le décès du père ou de la mère d’un enfant mineur. Cela vient s’inscrire en contradiction avec la pratique d’Ancien Régime qui voulait qu’une Assemblée soit réunie uniquement si le père du mineur était décédé. L’étude des Conseils de famille de la période 1810-1824 montre que cette nouvelle règle peine à s’imposer : même si le déséquilibre se réduit un peu, les Conseils sont toujours plus fréquents après le décès d’un homme qu’après le décès d’une femme. À cette exception près, la pratique de la tutelle et de la subrogé-tutelle à Saint-Trivier au début du xixe siècle respecte les exigences du nouveau Code civil [86].
Note
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[1]
Par exemple, Bourdelais (1997) estime que, au xviiie siècle, environ 13?% des enfants avaient perdu leurs deux parents avant leur 20e anniversaire (222-225).
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[2]
Lors de la création de la justice de paix, ce sont environ 70?000 justices seigneuriales qui sont remplacées par environ 7?000 juges cantonaux. Les Constituants souhaitent remplacer des justices décriées pour leurs abus par une justice simple, gratuite et équitable (Petit, 2003, 10). Le juge de paix est parfois défini comme étant un « régulateur social du quotidien » (ibid., 11). Les archives de la justice de paix ont rarement été exploitées dans une perspective d’histoire sociale. Sur ce point, soulignons l’intérêt de l’étude de Coquard et Coquard-Durand (2003).
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[3]
Parmi les enfants nés à Saint-Trivier et issus des mariages formés entre 1800 et 1819, le q0 est de 290 p.1000, le 4q1 de 250 p.1000 et le 5q5 de 140 p.1000. Le nombre de survivants au 10° anniversaire est de 458 p.1000 (Brunet, 2011b, 3).
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[4]
La durée de vie moyenne des unions devait être de l’ordre de 25 ans au xviiie siècle (Minvielle, 2010, 56).
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[5]
Enfants issus de couples formés entre 1800 et 1829 et ayant vécu à Saint-Trivier (Brunet, 2011b, p.4).
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[6]
Archives municipales de Saint-Trivier sur Moignans, registres non cotés. La reconstitution des familles a été réalisée selon le modèle préconisé par Michel Fleury et Louis Henry (1956). La base de données comporte environ 8?700 baptêmes et naissances, 2?700 mariages et 9?800 sépultures et décès.
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[7]
Archives départementales de l’Ain, liasses 47B74 (1746-1751) à 47B84 (1786-1790). Ont également été consultées les liasses 47B87 et 47B88 qui regroupent 18 comptes de tutelle de 1766 à 1789. Tous les actes de tutelle, au nombre de 289 ont été dépouillés, ainsi que les 23 actes d’émancipation et curatelle, Parmi les documents spécifiques riches d’informations sur la vie des familles, soulignons l’intérêt des « requêtes et ordonnances », par exemple celle rédigée à la demande d’une veuve qui précise avoir élevé depuis 3 ans sa fille « sans avoir rien reçu ni exigé » de l’héritage de son époux défunt. Cette femme demande en conséquence la réunion d’une Assemblée pour financer l’éducation de sa fille (47B76).
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[8]
Archives départementales de l’Ain, liasses 4U3330 à 4U3347. Ce sont 576 actes de tutelle et subrogé tutelle, ainsi que 190 actes d’émancipation et curatelle qui ont été dépouillés. Ajoutons que les archives de la période révolutionnaire et impériale, non dépouillées pour ce travail, sont conservées dans la série L, liasses 20L429 (1791) à 20L435 (an VI).
-
[9]
Sur une brève période, 1773-1776, la rédaction des actes est très imprécise du fait du juge en place. Globalement, sur la période 1750-1789, c’est environ 7?% des actes qui décrivent de manière trop imprécise le contexte familial. Certains cas ont pu être précisés grâce au rapprochement avec les fiches issues de la reconstitution des familles.
-
[10]
Il en va de même en Bourgogne, région dans laquelle seul le père survivant peut avoir la garde des mineurs sans passer par un acte en justice. On utilise les termes de « garde fructaire » ou de « tutelle naturelle » (Lefebvre-Teillard, 1996, 422). Cette règle est variable selon les régions, mais selon J.-P. Bardet il en va ainsi dans la plupart des régions du Royaume ; c’est la règle en pays de droit écrit, mais elle s’applique également dans certaines provinces coutumières comme la Normandie (Bardet, 1993, 8). À Paris, la justice intervient également après le décès de la mère (Gourdon, 2003b, 22). A contrario, à Amiens, le père est encore vivant lors de l’ouverture de 52.7?% des tutelles (cité par S. Minvielle, 176).
-
[11]
C’est le Titre X du Code civil qui traite « De la minorité, de la tutelle et de l’émancipation. Une centaine d’articles (de l’art. 389 à l’art. 489) précisent les dispositions. Art. 390 : « Après la dissolution du mariage arrivée par la mort naturelle ou civile de l’un des époux, la tutelle des enfants mineurs et non émancipés appartient de plein droit au survivant des père et mère ».
-
[12]
Dans le nord-est du département de l’Ain, au cours de la décennie 1850-1859, on observe encore que certains pères omettent de faire réunir un conseil de famille après le décès de leur épouse (Bideau et Brunet, 2002, 354).
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[13]
Code civil, Art. 406 : « Ce conseil sera convoqué soit sur la réquisition et à la diligence des parents du mineur, de ses créanciers ou d’autres parties intéressées, soit même d’office et à la poursuite du juge de paix du domicile du mineur ».
-
[14]
Acte du 12 mars 1810.
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[15]
Acte du 17 novembre 1821.
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[16]
Acte du 8 mars 1814.
-
[17]
Code civil, Art. 395 : « Si la mère tutrice veut se remarier, elle devra, avant l’acte de mariage, convoquer le conseil de famille, qui décidera si la tutelle doit lui être conservée. A défaut de cette convocation, elle perdra la tutelle de plein droit ; et son nouveau mari sera solidairement responsable de toutes les suites de la tutelle qu’elle aura indûment conservée ». Le droit de la mère à devenir tutrice de ses enfants mineurs lors du décès du père a fait l’objet des débats entre les juristes en charge de la rédaction de ces articles du Code civil, notamment entre Tronchet qui y était favorable et Cambacéres qui s’y opposait (Lefebvre-Teillard, 1996, 427).
-
[18]
Acte du 26 février 1810.
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[19]
Acte du 26 juin 1818.
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[20]
Dans une revue bibliographique récente, des auteurs soulignent le poids souvent écrasant des règles de la parenté sur les destins des individus (Lorenzetti et Neven, 2000).
-
[21]
L’appellation Conseil de famille apparaît en 1793, en remplacement de celui d’Assemblée de parents et amis. Il est prévu que seuls des parents et amis puissent en faire partie, le juge ne devant plus faire appel à de simples voisins. Selon Cambacérès, les rapports de voisinage ont perdu de leur force (Lefebvre-Teillard, 1996, 429).
-
[22]
Ce nombre moyen est de 7,36 à Villiers-le-Bel (Gourdon, 2003a), de 7,99 à Paris et de 10,8 à Vernon (Gourdon, 2003b, .22). La règle appliquée à Lyon veut que 12 personnes soient présentes, ce qui est le cas entre 1741 et 1755. Par la suite, ce nombre descend à un peu plus de 9 (Garden, 1979, 177-178). À Dijon, à partir d’un échantillon spécifique, et sur une période longue (1580-1780), les Assemblées comptent en général de 6 à 8 personnes (Corley, 2009, 195). Dans la noblesse et la haute société dijonnaise, le nombre de participants peut dépasser 20 (Corley, 2004, 356)
-
[23]
Actes du 17 mars 1765.
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[24]
Code civil, Art. 406 : « Le conseil de famille sera composé, non compris le juge de paix, de six parents ou alliés, pris tant dans la commune où la tutelle est ouverte que dans la distance de deux myriamètres, moitié du côté paternel, moitié du côté maternel, et en suivant l’ordre de proximité dans chaque ligne ».
-
[25]
Code civil, Art. 408 : « Les frères germains du mineur et les maris des sœurs germaines sont seuls exceptés de la limitation du nombre posé à l’article précédent ».
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[26]
Le juge note que cette femme a des problèmes de santé. Elle sera effectivement « interdite » quelques semaines plus tard.
-
[27]
Les grands-parents et les grands-oncles représentent 10,9?% des membres des Assemblées à Villiers-le-Bel (Gourdon, 2003, a, 352), contre seulement 3?% à Saint-Trivier.
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[28]
C. Corley rappelle que, en cas de décès de l’orphelin, les oncles peuvent devenir héritiers et sont, à ce titre, particulièrement présents dans les Assemblées. Il explique a contrario l’absence des beaux-pères des orphelins par le fait qu’ils ne sont pas concernés par l’héritage et n’ont plus aucun rôle légal à jouer (Corley, 2009, 195).
-
[29]
À Villiers-le-Bel, en région parisienne, les non parents représentent 10,5?% des membres des Assemblées (Gourdon, 2003a, 352). Dans la région de Vernon, en Normandie, les non parents ne représentent qu’une « part très marginale des conseillers » (Gourdon, 2003b, 23). En fait, une aussi forte participation de non parents se retrouve dans les grandes villes, comme Bordeaux ou Paris, mais dans un contexte démographique et social bien différent de celui de la Dombes (Minvielle, 2010, 179). À Dijon, les amis représentent 34?% des membres des Assemblées pour les familles de laboureurs, mais seulement 2?% pour les familles nobles et 10?% pour les familles de la bourgeoisie (Corley, 2009, 195)
-
[30]
Acte du 27 septembre 1785.
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[31]
Acte du 5 décembre 1753.
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[32]
Acte du 10 février 1758.
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[33]
Observant une participation importante des amis dans des Assemblées réunies à Dijon, Corley estime que cette source nous informe sur un monde largement inconnu, celui du réseau de parents et d’amis qui peuvent avoir autorité sur les enfants orphelins (Corley, 1995, 195). Dans le cas de la Dombes, il n’est pas sûr que les voisins ainsi réunis aient effectivement entretenu des liens d’amitié avec les parents décédés et leurs enfants orphelins. Il semble que souvent ces voisins sont simplement convoqués par le juge, sans qu’ils aient eu de relation particulière avec la famille. Rappelons qu’il n’existe pour l’heure aucune définition précise et admise par tous les chercheurs de la notion de réseau familial (Gourdon, 2003b, 15).
-
[34]
Acte du 24 juillet 1776.
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[35]
À Dijon, il semble que la participation de la branche maternelle soit plus importante que celle de la branche paternelle. L’auteur estime que les femmes sont reliées à leur propre famille autant qu’à leur époux (Corley, 2009, 184-194). Cela ne semble pas être le cas à Saint-Trivier, peut-être en raison des effets combinés de la mortalité et de la mobilité géographique.
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[36]
Les actes de tutelle du début du xixe siècle ont suscité moins d’études que ceux de l’Ancien Régime. À cette époque, à Turin, des parents sont présents dans 88,5?% des Conseils de famille, et un quart de ceux-ci compte même 6 parents. Dans 11?% des Conseils on ne trouve que des voisins et amis, mais cela concerne essentiellement les milieux les plus pauvres de la ville (Parola, 1995, 46-47).
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[37]
Sous de l’Ancien Régime, la composition des Assemblées est uniquement masculine Il ne se trouve que quelques femmes présentes pour suppléer l’absence de leur époux malade. Les mères sont fréquemment mentionnées comme présentes mais ne participent pas aux délibérations et aux votes. Le Code civil introduit une nouveauté dans la mesure où la mère fait partie de plein droit du Conseil de famille et participent presque toujours aux délibérations.
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[38]
Code civil, Art. 409 : « Lorsque les parents ou alliés de l’une ou de l’autre ligne se trouveront en nombre insuffisant sur les lieux, ou dans un la distance désignée par l’article 407, le juge de paix appellera, soit des parents ou alliés domiciliés à de plus grandes distances, soit dans la commune même, des citoyens connus pour avoir eu des relations habituelles d’amitié avec le père ou la mère du mineur ».
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[39]
Code civil, Art. 412 : « Les parents, alliés ou amis ainsi convoqués, seront tenus de se rendre en personne, ou de se faire représenter par un mandataire spécial ». Art. 413 : « Tout parent, allié, ou ami, convoqué, et qui, sans excuse légitime, ne comparaîtra point, encourra une amende qui ne pourra excéder cinquante francs, et sera prononcée sans appel par le juge de paix ».
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[40]
Acte du 23 décembre 1813.
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[41]
Code civil, Art. 423 : « En aucun cas le tuteur ne votera pour la nomination du subrogé tuteur, lequel sera pris, hors le cas des frères germains, dans celle des deux lignes à laquelle le tuteur n’appartiendra point ». Soulignons que la charge de subrogé-tuteur apparaît progressivement au cours du xviiie siècle et remplace celle de curateur qui existait dans certaines régions (Lefebvre-Teillard, 1996, 426). À Saint-Trivier on ne trouve que de rares mentions de curateurs.
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[42]
Il est possible que des parrains des orphelins soient également présents dans des Conseils de famille du xixe siècle, mais ils ne sont pas identifiés en tant que tels par le juge de paix.
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[43]
Acte du 12 février 1779.
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[44]
Acte du 26 mars 1810.
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[45]
Acte du 10 novembre 1783
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[46]
Acte du 19 novembre 1783.
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[47]
Code civil, Art. 413 : « Tout parent, allié, ou ami, convoqué, et qui, sans excuse légitime, ne comparaîtra point encourra une amende qui ne pourra excéder cinquante francs, et sera prononcée sans appel par le juge de paix.
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[48]
Acte du 31 janvier 1812
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[49]
À Dijon, c’est le cas pour 94?% des délibérations (Corley, 2009, 198).
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[50]
Acte du 23 mai 1777.
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[51]
Acte du 16 mai 1768.
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[52]
Acte du 2 mars 1820. Parmi les cas identiques, acte n°207 du 10 octobre 1812 et acte n°95 du 9 mai 1824.
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[53]
Acte du 24 mars 1816. Art. 394 : « La mère n’est point tenue d’accepter la tutelle ; néanmoins, et en cas qu’elle la refuse, elle devra en remplir les devoirs jusqu’à ce qu’elle ait fait nommer un tuteur ».
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[54]
Acte du 24 avril 1816.
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[55]
Dans la région de Vernon, à la fin de l’Ancien Régime, 42,5?% des grands-parents étaient encore en vie lorsqu’un enfant atteignait son 5° anniversaire, 30,7?% au 10e anniversaire et encore 19,5?% au 15e anniversaire (Gourdon, 1999, 80). Mais les conditions de mortalité bien plus dures dans la Dombes entraînent une très faible présence des grands-pères dans les actes de tutelle.
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[56]
Code civil, Art. 402 : « Lorsqu’il n’a pas été choisi au mineur un tuteur par le dernier mourant de ses pères et mères, la tutelle appartient de droit à son aïeul paternel ; à défaut de celui-ci à son aïeul maternel ».
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[57]
Code civil, Art. 433 : « Tout individu âgé de soixante-cinq ans accomplis, peut refuser d’être tuteur. Celui qui aura été nommé avant cet âge, pourra, à soixante-dix ans, se faire décharger de la tutelle ».
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[58]
Acte du 5 avril 1813.
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[59]
Acte du 9 mai 1824.
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[60]
La proportion est de l’ordre de 0, 25?% à Vernon, et de 4?% à Paris (Gourdon, 2003b, 24). À Château-la-Vallière, à la fin de l’Ancien Régime, alors que les non parents représentent 25,7?% des membres, il est exceptionnel qu’ils soient choisis comme tuteurs (2,2?%) ; cité par Minvielle (2010, 179).
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[61]
Acte du 15 janvier 1775.
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[62]
Acte du 14 juillet 1759. À Saint-Trivier, plusieurs actes montrent que, sous l’Ancien Régime, une tutelle est ouverte même lorsque le montant du patrimoine est très faible. Cela diffère de ce qui a été établi pour Chalons par S.?Perrier (1998).
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[63]
Acte du 26 mars 1810.
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[64]
Acte du 16 décembre 1811.
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[65]
Acte du 28 avril 1789. La tutelle testamentaire est admise par le droit écrit, à côté de la tutelle légitime (parent survivant) et de la tutelle dative, fixée par le juge.
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[66]
Acte du 14 avril 1815.
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[67]
Acte du 20 novembre 1787.
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[68]
Acte du 8 novembre 1788. Soulignons que cette Assemblée est entièrement composée de voisins et amis, aucun parent n’ayant pu être identifié.
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[69]
Acte du 31 mars 1789.
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[70]
Acte du 4 avril 1763.
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[71]
Acte du 3 janvier 1776.
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[72]
Acte du 13 mars 1777.
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[73]
Acte du 6 février 1764.
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[74]
Acte du 9 août 1763.
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[75]
Acte du 11 décembre 1764.
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[76]
Dans la région de l’Oisans également, le manque d’empressement de certains membres de la parenté envers les orphelins a été signalé, notamment lorsque l’héritage de l’orphelin est négligeable (Fontaine, 1990).
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[77]
Code civil, Art. 432 : « Tout citoyen non parent ni allié ne peut être forcé d’accepter la tutelle, que dans le cas où il n’existerait pas, dans la distance de quatre myriamètres, des parents ou alliés en état de gérer la tutelle ».
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[78]
Acte du 30 mars 1818.
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[79]
Acte n°136 du 26 octobre 1822.
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[80]
Acte du 6 septembre 1758.
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[81]
Signalons que l’aïeul maternel, présent à cette seconde Assemblée, refuse de voter, sans que la raison de ce geste soit précisée. Peut-être cela révèle-t-il un conflit interne à la famille. Acte du 7 juillet 1773.
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[82]
Acte du 6 septembre 1811.
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[83]
Acte du 20 mars 1789.
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[84]
Acte du 11 avril 1789.
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[85]
Acte du 20 novembre 1789.
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[86]
Selon l’avocat et homme politique républicain Jules Favre, tel n’a pas été le cas partout en France. Selon lui, au début de la IIIe République, dans le ressort du tribunal de Grenoble les deux tiers des tuteurs ne seraient pas assistés de subrogés-tuteurs. Près de la moitié des délibérations de tutelles seraient irrégulières dans la région de Rouen et dans celle d’Amiens (cité par Lefebvre-Teillard, 1996, 431).