CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1De nombreux débats concernant les enfants abandonnés, puis les enfants assistés, ont traversé le xixe siècle. Plusieurs textes législatifs majeurs marquent les étapes de cette réflexion, depuis le décret impérial de 1811 jusqu’à la loi de 1904 sur la prise en charge des enfants assistés, en passant notamment par la loi Roussel de 1874 et la loi de 1889 sur la protection des enfants maltraités et moralement abandonnés [1] (Rollet, 1990). Le siècle est marqué par la multiplication puis la disparition des tours destinés à recueillir les enfants abandonnés, par l’accueil de ceux-ci à « bureau ouvert » et par l’instauration de secours devant permettre aux « filles-mères » de conserver leurs enfants. On passe également d’un système qui vise avant tout à assurer la survie des enfants abandonnés à un système espérant protéger des enfants en danger et leur assurer une existence, « faire à l’enfant une famille, lui donner l’illusion et parfois la réalité de la vie de famille » (loi de 1904).

2L’évolution du nombre annuel d’abandons en France est maintenant bien estimée, avec un maximum dans les années 1830, puis un déclin par paliers jusqu’à la première guerre mondiale (Bardet, 1991). Les systèmes de prise en charge de cette population vulnérable ont été étudiés (voir par exemple Fuchs, 1984, ou Beauvalet, 1999), le niveau de la mortalité a été établi. Si les premiers mois et les premières années de vie de ces enfants sont bien connus, notamment en ce qui concerne le système de mise en nourrice, en revanche leur destin a été très peu étudié. Or, en dépit de la forte mortalité qui les frappe, une proportion de ces enfants, de plus en plus importante au cours du xixe siècle, atteint l’adolescence puis l’âge de la majorité. Quels sont les parcours de vie de ces enfants ? Que peut-on savoir sur les aléas qu’ils rencon-trent durant cette période charnière de l’adolescence ? Se distinguent-ils, et de quelle manière, des enfants issus des milieux populaires ? Dans quelles conditions atteignent-ils la majorité, en termes de santé, de formation professionnelle, de relations avec l’administration ?

3Le travail récent de Virginie De Luca (2002) a montré l’importance du rôle de l’inspecteur départemental des enfants abandonnés et proposé une synthèse nationale de l’activité de ces personnages ainsi que la présentation de la carrière et des prises de position de quelques inspecteurs.

4Dans le présent texte, nous tentons de répondre, à partir du cas du département de l’Ain, aux questions formulées ci-dessus. Pour ce faire, nous avons essentiellement utilisé une source spécifique : les rapports annuels présentés par l’inspecteur, chef du service des Enfants assistés devant le conseil général de l’Ain [2]. Chaque année, en effet, ce chef de service, fonctionnaire depuis la loi de 1869, doit rendre compte de l’activité de son service, énoncer les effectifs – répartis selon l’âge et la catégorie – placés sous sa responsabilité, des élé-ments d’ordre budgétaire, ainsi que toute autre question liée à son activité qu’il juge bon de présenter. Cette source a été peu exploitée sous l’angle qui nous intéresse ; or elle permet à la fois d’avoir une vision globale de la question de l’assistance aux enfants dans un département, et de prendre conscience de la position personnelle de ces inspecteurs. Les rapports sèchement administratifs et statistiques de l’inspecteur Carnat s’opposent aux rapports militants de son prédécesseur Billiotet ou à ceux, quelquefois en même temps polémiques et lyriques, de l’inspecteur Anselin. Outre l’étude de ce qui est écrit dans les rapports, ces documents permettent de lire, en creux, ce qui est tu. Ces silences, extrêmement informatifs, sont parfois décelés par le croisement avec une autre source, les dossiers individuels des enfants assistés, que nous utilisons ici de manière ponctuelle. Dans ces dossiers individuels, l’information est naturellement plus morcelée, car livrée au jour le jour et concernant un seul enfant à la fois. Mais les faits consignés dans ces dossiers sont pertinemment connus de l’inspecteur, qui a donc délibérément choisi d’en faire état ou de les passer sous silence.

5Le terrain de l’étude présente également un intérêt spécifique. Nous disposons maintenant d’éléments proposant une vision globale à l’échelle nationale (Bardet et Jeorger, 1987) ainsi que d’un important travail concernant les enfants assistés de la Seine placés dans quelques départements proches (Jablonka, 2004). En revanche, les régions rurales ont moins retenu l’attention. On dispose certes d’études ponctuelles reposant notamment sur des cas particuliers, études parfois accompagnées d’enquêtes orales (Fine-Souriac, 1983 ; Cadoret, 1993). Mais l’échelon intermédiaire, l’étude systématique des enfants assistés sur un département rural pendant les premières décennies de la Troisième République, fait encore défaut. Avec environ 345 000 habitants à la fin du xixe siècle, avec la présence de quelques petites villes dont Bourg-en-Bresse (18 000 habitants), Oyonnax (7 800 h.) et Belley (5 700 h.), l’Ain demeure alors un département avant tout rural, orienté vers une polyculture et un élevage traditionnels. Contrairement à ce que l’on observe dans le département de la Seine, les enfants assistés ne constituent pas ici une masse importante. Mais, bon an mal an, quelques centaines de nouveaux enfants sont pris en charge par le service des Enfants assistés de l’Ain. C’est le rôle des inspecteurs, tel qu’ils le définissent eux-mêmes, leur représentation des enfants assistés et celle de leurs relations avec l’administration, et plus globalement la perception des parcours et des destins des pupilles du département de l’Ain, que nous souhaitons présenter ici.

Les inspecteurs et leurs pupillles : entre confiance et conflit

6Les missions confiées à ces inspecteurs sont multiples. Il s’agit notamment de diriger un service, d’entretenir des relations avec des relais locaux (maires, instituteurs, médecins) et avec leur autorité de tutelle, de visiter les pupilles chez les nourriciers ou chez les patrons. Ces fonctionnaires ont aussi une personnalité, un parcours, des engagements et des idéaux qu’ils tentent de mettre en pratique.

Les inspecteurs et leur implication dans les débats

7Durant la période qui s’étend de la fin du Second Empire à la première guerre mondiale, huit inspecteurs se succèdent à la tête du service départemental des enfants assistés de l’Ain. C’est dire que certains ne font que de brefs passages à la tête de ce service, la longévité la plus importante étant de dix ans. Tous rendent compte annuellement de leur activité, et les rapports officiels, par leur longueur, par leur tonalité, par leur contenu, nous fournissent des éléments sur chacun de ces inspecteurs. Le contexte national (débats parlementaires, polémiques dans la presse, modifications législatives) entraîne certains dans de longs développements qui révèlent leurs positions personnelles.

8Les premiers rapports étudiés ici, de 1872 à 1878, sont signés par l’inspecteur Billiotet. Auparavant, les rapports n’étaient pas formellement signés par l’inspecteur et utilisaient parfois le discours indirect. À partir de 1872, l’inspecteur s’adresse directement au préfet. Billiotet est avant tout préoccupé par les très jeunes enfants et souligne essentiellement les carences du système de mise en nourrice (nombre insuffisant de nourrices, alimentation artificielle) ainsi que la forte mortalité infantile. À ce propos, il s’engagera dans une polémique sur les infanticides et les avortements. Soulignant à quel point ceux-ci sont rares dans le département de l’Ain, il pointera les défaillances de la prise en charge des pupilles par l’administration. En 1878, il n’hésite pas à écrire : « La moyenne des infanticides étant de 1,63, la mortalité qui se produit de ce chef ne dépasse pas 40 centièmes p. %. Par contre nous avons vu que la mortalité de l’Hospice atteignait 40 pour cent. Elle est juste cent fois plus forte […]. Les établissements dépositaires, malgré leur zèle, leur sollicitude et leurs ressources, font cent fois plus de victimes que les infanticides [3]. » L’inspecteur Billiotet se positionne en outre comme un ardent défenseur des secours temporaires apportés aux filles-mères pour les inciter à conserver leurs enfants.

9Le docteur Anselin, qui lui succède et reste en poste jusqu’en 1883, manifeste aussi une forte personnalité à travers ses rapports. Faisant suivre son nom de ses titres (Officier d’Académie, chevalier de la Légion d’Honneur), il insiste sur la qualité des liens qui doivent exister entre les pupilles et l’administration, sur la bonne moralité que doivent montrer les premiers et sur la rigueur que la seconde doit inculquer. Paternaliste, s’avouant « clérical » au sein d’un rapport, il se lance dans de grandes déclarations qui sonnent parfois comme des sermons. Ainsi en est-il de sa présentation de la cérémonie solennelle qui devrait, selon lui, marquer l’accession des pupilles à la majorité.

10Après le décès de l’inspecteur Anselin, son ancien sous-inspecteur, Saucerotte, lui succède pour deux ans. Ses rapports sont nettement plus brefs, pratiquement limités à la présentation des statistiques et au fonctionnement du service. Après lui, l’inspecteur Castaing ne fait qu’un bref passage à la tête du service. Le seul rapport qu’il présente (1886) est très succinct, ce qu’il justifie par le fait d’avoir été « appelé à rendre compte d’une gestion à laquelle je suis resté étranger [4] ».

11S’ouvre ensuite une période de dix ans marquée par la personnalité de l’inspecteur Rollet. Avec lui les rapports vont devenir beaucoup plus longs (de 40 à 50 pages) et aborder des questions plus diversifiées. Dès 1887, il crée un chapitre « Considérations générales » dans lequel il va, cette année-là, discuter des différentes catégories d’enfants assistés (loi Roussel de 1874) et reproduire des extraits de discours, prononcés par le ministre de l’Intérieur et par le Dr Monod. En 1889, Rollet reproduit sur trois pages des extraits d’un rapport sur la dépopulation de la France, présenté à l’Académie de médecine par le Dr Laigneau. C’est pour lui l’occasion de se prononcer sur la protection des enfants du premier âge, de prendre position en faveur des secours aux filles-mères et de réfuter les arguments poussant à la réouverture des tours. Mais c’est aussi l’occasion de dire son opposition à la loi de 1889 qui admet dans le service des enfants assistés les enfants « moralement abandonnés ». Dès 1889 il dénonce les problèmes à venir : « Par l’application de la loi sur les moralement abandonnés, le nombre des pupilles vicieux ou insoumis tendra à s’accroître et il serait de toute utilité que […] des écoles de réforme fussent créées pour les recevoir [5]. » Par la suite, il revient souvent sur cette question, notamment en 1895, pour opposer les enfants moralement abandonnés aux autres pupilles : « Si la docilité et la bonne conduite sont le partage de la généralité des assistés en vertu de la loi de 1811, c’est le contraire qui a lieu pour ceux qui sont hospitalisés par application de la loi du 24 juillet 1889 [6]. »

12Pendant les six années suivantes, c’est le docteur Carnat qui est à la tête du service. Avec lui les rapports ne font plus qu’une dizaine de pages et présentent presque uniquement des données statistiques. Les commentaires sont limités à quelques lignes et ne permettent en aucune manière de connaître les positions personnelles de leur auteur par rapport aux débats en cours. Jules Guillon, qui lui succède de 1903 à 1907, va produire des rapports qui vont progressivement s’étoffer, d’une vingtaine à une quarantaine de pages. Mais ses préoccupations semblent plus terre-à-terre et locales que celles de Rollet. Il développe la question de la scolarité ou de la concurrence des départements voisins pour le placement d’enfants dans le département. Son principal engagement semble avoir été à propos de la vêture des pupilles. Dès son arrivée, il propose une réforme de la fourniture des vêtures par l’administration, puis, en 1907, il consacre trois pages au problème des vêtements attribués aux pupilles mais utilisés ou conservés par les patrons.

13Enfin l’inspecteur Lardet signe son premier rapport en 1908 et est encore en poste en 1914. Avec lui, les rapports adoptent un plan rigide laissant peu de place aux digressions générales et aux commentaires lyriques. Plus que ceux de ses prédécesseurs, ses rapports sont centrés sur les questions budgétaires. Ses préoccupations semblent aller davantage vers le fonctionnement du service qui lui est confié, que vers les enfants en eux-mêmes. Le ton reste administratif même lorsqu’il évoque les pupilles en difficulté ou délinquants, et Lardet fournit pratiquement sans commentaire la liste des adolescents considérés comme délinquants et placés dans diverses institutions spécialisées.

14Au fil de ces rapports, et à travers leur tonalité et leur longueur, ce sont des personnalités et des attitudes très contrastées que l’on peut percevoir. Très différents les uns des autres, ces inspecteurs illustrent diverses facettes de leur fonction : proximité affective, rigidité morale, sécheresse administrative, attachement indéfectible aux pupilles pouvant se poursuivre après leur majorité.

Effectifs des pupilles et diversification des catégories

15Il est difficile de suivre l’évolution des effectifs des pupilles adolescents placés sous la responsabilité de l’inspecteur car les définitions et les catégories fluctuent au cours de la période étudiée. Les catégories définies par la loi de 1811 sont plusieurs fois modifiées au cours du xixe siècle, notamment par la loi de 1889 qui intègre au service des enfants assistés la catégorie des « enfants moralement abandonnés », puis par la loi de 1904 qui institue notamment la catégorie des « enfants en dépôt » et celle des « enfants en garde ». En outre, l’âge marquant le passage entre la « pre-mière catégorie » (jeunes enfants) et la « seconde catégorie » (adolescents) passe de 12 à 13 ans en 1889/1890, provoquant une baisse artificielle de l’effectif de cette « seconde catégorie ».

16Globalement, le nombre de pupilles adolescents confiés à l’inspecteur du département de l’Ain est d’environ 350 au début de la IIIe République et descend à environ 300 dans la décennie 1880. Les effectifs remontent à la fin du xixe siècle, notamment du fait de l’intégration des « enfants moralement abandonnés ». Le nombre de 400 est atteint au début du xixe siècle, puis les effectifs se stabilisent entre 350 et 400 jusqu’à la première guerre mondiale.

17Les rapports des inspecteurs rendent compte précisément des effectifs de chaque catégorie administrative. Par exemple, au 1er janvier 1893, qui correspond à une période de faible effectif, l’inspecteur Rollet compte parmi les pupilles âgés de 13 ans et plus 158 enfants « abandonnés » (79 garçons et 79 filles), 61 enfants « orphelins pauvres » (38 garçons et 23 filles) et 35 enfants « moralement abandonnés » (22 garçons et 13 filles). Parmi ces 254 enfants, on note donc une légère supériorité masculine (139 garçons pour 115 filles), ce qui est une constante dans ce service.

18La situation est plus complexe au 1er janvier 1914 du fait des réformes et du plus grand nombre de catégories. On compte alors 1 enfant « trouvé » (garçon), 225 enfants « abandonnés » (118 garçons et 107 filles), 46 « orphelins pauvres » (23 garçons et 23 filles), 26 enfants « moralement abandonnés au titre 1 » (19 garçons et 7 filles), 70 enfants « moralement abandonnés au titre 2 » (41 garçons et 29 filles), 6 enfants « en garde » en tant que « victimes de crimes ou délits » (5 garçons et 1 fille), 19 enfants « en garde » en tant que « auteurs de crimes ou délits » (17 garçons et 2 filles) et aucun enfant « en dépôt ». C’est donc sur 393 enfants (224 garçons et 169 filles) que doit alors veiller l’inspecteur Lardet.

Des enfants au travail : placements, gages et conflits

19À partir de l’âge de 12 ans, puis à partir de 13 ans à compter de 1889, les pupilles doivent être placés chez un patron. Ils cessent alors d’être à la charge entière du budget du service, et perçoivent des gages en échange de leur travail. D’abord modestes, ces gages augmentent avec l’âge jusqu’à devenir proches de ceux perçus par les autres employés de même catégorie. Le travail, essentiellement agricole, est aussi aux yeux des inspecteurs la meilleure formation possible aux valeurs qui doivent diriger la vie des pupilles : effort, obéissance, régularité, reconnaissance envers le patron et la société, sens de l’économie.

20Le premier souci des inspecteurs est donc d’assurer le placement des pupilles chez des patrons. Dans le département de l’Ain, le manque de main-d’œuvre et l’effectif modéré des pupilles adolescents rendent cette tâche plutôt facile. Selon les traditions locales, la « location » a en général lieu au 1er mars comme berger(e) pour les plus jeunes, et le 12 novembre (la Saint-Martin) pour les domestiques. En 1879 l’inspecteur Anselin rapporte que les pupilles sont recherchés et que « toujours nous avons, à l’avance, des listes de patrons qui se font inscrire en attendant qu’on puisse satisfaire à leur demande [7] ». Il note l’année suivante que la placement est plus avantageux en Bresse (région agricole plus riche), mais qu’il préfère placer ses pupilles à la montagne où le climat est plus sain. « L’empressement des cultivateurs à rechercher nos enfants et la modicité des gages offerts » permet selon Anselin d’obtenir des gages « se rapprochant le plus possible de ceux payés aux domestiques libres, tout en nous permettant d’exiger les garanties de moralité et de sécurité que nous devons rechercher [8] ».

21Ponctuellement, la situation économique locale, combinée au niveau relativement élevé atteint par les gages, peut engendrer des difficultés de placement. Tel est le cas en 1887, une des conséquences les plus néfastes aux yeux de l’inspecteur Rollet étant de nombreux séjours prolongés de pupilles inactifs à l’hospice : « Ils y contractent des habitudes de farniente qu’il est difficile de faire disparaître [9]. » Rollet dénonce le désir de certains pupilles de ne pas se faire réembaucher pour « passer encore quelques semaines dans l’oisiveté et pour se procurer derechef les douceurs d’un gîte excellent et d’une bonne nourriture [10] ». Il souligne parallèlement la responsabilité des cultivateurs de la Bresse et de la Dombes qui préfèrent voir les pupilles « hiverner » à l’hospice. Selon l’inspecteur, ce sont les pupilles les plus difficiles à placer qui restent à l’hospice. Pour ne pas les laisser oisifs, il « les a utilisés par escouades successives à des travaux de réparation aux prés et jardins de la commune de Bourg appartenant aux hospices [11] ».

22Face à de telles difficultés de placement, la stratégie des inspecteurs est en général de baisser les gages demandés. Cela se produit notamment dans les années 1893-1894, lorsque la présence de pupilles originaires d’autres départements ou placés par des institutions religieuses vient ajouter une concurrence aux enfants assistés du département de l’Ain. L’inspecteur Guillon dénonce ainsi le fait que les arrondissements de Belley, Gex et Nantua (partie orientale du département) sont « cédés aux pupilles du Rhône [12] ». En 1904, il dénombre la présence de 86 pupilles du Rhône, de 37 de la Saône-et-Loire, et d’autres provenant d’établissements divers (par exemple l’institution dirigée par l’abbé Santol de Paris, ou le patronage des enfants délaissés du Rhône dirigé par M. Rieussec). Il ajoute que ces enfants sont « probablement mal surveillés et mal payés [13] ».

23Par la suite, spécialement de 1908 à 1914, le placement des pupilles de l’Ain est qualifié dans les rapports de « facile » voire de « très facile »

24Quelques conflits opposant des pupilles à leurs patrons transparaissent dans les rapports. Par exemple, en 1882, l’inspecteur Anselin reconnaît à mots couverts l’existence de conflits et déclare renvoyer patrons et pupilles dos à dos sans chercher à dégager de responsable : « Il arrive bien de temps à autre qu’un patron mécontent veut congédier son domestique ou sa servante, ou bien qu’un serviteur veut quitter sa place et généralement pour des motifs futiles : mais comme je ne consens jamais à aucune mutation en cours d’année, sans appeler ensemble maître et valet, après quelques observations faites à l’un et à l’autre, toujours ils retournent tous deux à la ferme, réconciliés, jusqu’à la fin de l’engagement [14]. » Le même, en 1883, se plaint d’une « jeune fille enceinte, renvoyée par ses patrons et que je n’avais pu replacer, [qui] a fait un séjour de plus de cinq mois à l’hospice » [15]. Mais dans son rapport, il ne s’interroge pas sur la paternité de l’enfant. La même année, il admoneste des pupilles placées comme servantes, et dénonce la promiscuité « qui est la règle, à la campagne, entre serviteurs et servantes ; elle est pire que celle, proverbiale, des fabriques. Les fautes y sont fatales et trop facilement explicables [16] ». L’inspecteur Guillon évoque en 1908 l’attraction exercée par les villes, pourtant modestes, du département : « Les filles surtout, attirées vers les cités dans l’espoir d’un gain plus élevé et aussi par des tendances propres à leur sexe, déserteraient volontiers la campagne où elles ont été cependant élevées et dont elles possèdent les mœurs et les coutumes [17]. » Sa préférence, bien entendu, va vers les placements dans des activités agricoles, plus propres à engendrer de saines habitudes.

25D’autres conflits apparaissent lorsque les inspecteurs font état d’adolescents, surtout des garçons, ayant quitté leur travail et ayant rompu les liens avec l’administration. Il ne peut s’agir que d’enfants difficiles ou « vicieux », aucune autre explication n’étant cherchée.

26Les inspecteurs veillent de près au paiement des gages par les patrons, qu’il s’agisse de la petite somme dont le pupille peut disposer à titre d’argent de poche ou des sommes versées sur le livret d’épargne du pupille. En 1880 par exemple, l’inspecteur Anselin rapporte un cas précis : « Un autre me disait qu’un de ses anciens patrons avait prêté à un voisin ou ami son argent, dont on lui avait donné une reconnaissance [18]. » Après avoir consacré beaucoup de temps à une opération de régularisation des comptes avec les patrons des pupilles, l’inspecteur déclare que « par le règlement de trop nombreux comptes arriérés, et la réalisation de créances irrégulières et véreuses, je suis parvenu à doubler, et au-delà, le capital pupillaire déposé à la Caisse d’épargne [19] ».

27Quelques années plus tard, l’inspecteur Saucerotte constate que l’avoir des pupilles devenant majeurs est au moins de l’ordre de 400 à 500 francs. « Autrefois les économies ne commençaient pas avant l’âge de 18 ans. Aujourd’hui je n’ai à peu près plus d’enfants de 13 ans, non encore titulaires d’un livret. Je tiens la main avec un soin jaloux à ce qu’aucun enfant ne passe une année sans placer une somme, si faible qu’elle puisse être [20]. » Pour l’inspecteur Castaing, pourtant peu expansif dans son rapport (1886), le montant des économies accumulées par le pupille permet de définir celui-ci, le goût de l’effort et de l’épargne étant considéré comme une vertu majeure.

Activité professionnelle ou scolarité

28Le passage sur les bancs de l’école, assez systématiquement contrôlé par les inspecteurs à la fin du xixe siècle, s’interrompt au plus tard avec l’entrée des pupilles dans la « seconde catégorie » et l’adolescence. Encore leur assiduité aux cours est-elle souvent réduite par les exigences des parents nourriciers qui trouvent toujours à les employer aux travaux des champs, de l’atelier ou du ménage. Dès le treizième anniversaire, sur toute la période étudiée, le placement des garçons se réalise essentiellement dans des exploitations agricoles où ils travaillent d’abord comme bergers puis comme ouvriers agricoles. Pour les filles, la domesticité est la principale activité, majoritairement dans des fermes, plus rarement dans des maisons bourgeoises. En 1879, l’inspecteur Anselin note que « à part quelques jeunes filles mises en service dans des maisons bourgeoises, les placements en ville constituent tout à fait une exception [21] ».

29Satisfaits de réussir à placer leurs pupilles en échange de gages qu’ils estiment corrects, les inspecteurs n’envisagent guère d’autres issues pour leurs protégés. L’enrôlement dans l’armée pour les garçons ou le mariage pour les jeunes filles constituent des issues positives rares.

30Seuls les enfants infirmes ou inaptes au travail ne font pas l’objet de ces placements systématiques chez des patrons. Selon Anselin, « les plus faibles seulement et quelques enfants un peu infirmes et incapables de prêter leur concours aux travaux de la campagne sont placés en apprentissage de métiers [22] ». De ce fait, les activités professionnelles des pupilles infirmes semblent un peu plus diversifiées. En 1887, l’inspecteur Rollet rapporte que « nous avons trois apprentis-tailleurs dont deux ont atteint leur majorité ; deux cordonniers, l’un est actuellement majeur et frappé d’aliénation mentale ; un apprenti-charron, un maréchal-ferrant et un jardinier. Un pupille manchot, possesseur de son certificat d’études primaires, a été nommé à un emploi de facteur rural, grâce à votre bienveillante recommandation [23] ». Ce dernier, amputé à l’âge de 5 ans du bras droit à la suite d’une brûlure profonde, « a de l’intelligence, d’excellentes dispositions, et […] il est arrivé en quelques mois à écrire convenablement avec la main gauche [24] ». On compte une autre exception notable, en 1905, avec un garçon âgé de 15 ans, admis après concours à l’école agricole de Fontaines-sur-Saône (Saône-et-Loire) [25].

Des enfants difficiles ou des enfants en difficulté ?

31Si les circonstances, familiales et sociales, qui ont entraîné l’admission de ces enfants dans le service peuvent se résumer à quelques modèles seulement, ces enfants constituent en fait un groupe hétérogène. L’âge à l’admission, la qualité des relations avec les parents nourriciers puis avec les « patrons », le comportement de ceux-ci avec l’enfant, son attitude face à ces autorités, son caractère ou son état de santé sont autant de caractéristiques, parmi d’au-tres, qui induisent des parcours somme toute assez diversifiés.

Des enfants de santé fragile ou des enfants mal traités

32Population particulièrement vulnérable, les enfants assistés présentent-ils des problèmes de santé plus fréquents et plus graves que les autres enfants des milieux populaires ? L’étude des dossiers individuels de 500 enfants assistés du département de la Haute-Savoie durant la seconde moitié du xixe siècle avait révélé une fréquence étonnante de handicaps moteurs et sensoriels, sans que l’on ait pu déterminer s’il s’agissait d’une cause ou d’une conséquence de l’abandon (Brunet et al., 2002). Les circonstances de l’exposition peuvent être à l’origine de certaines maladies chroniques (Jablonka, 2004, 540).

Des problèmes de santé et des soins coûteux

33Au fil des rapports, les inspecteurs rappellent volontiers le soin, l’attention et le dévouement qu’ils portent à la cause des pupilles malades. En 1882, l’inspecteur Anselin souligne la gratuité des soins dont les pupilles bénéficient : « Quant aux élèves en tutelle je les engage toujours, en cas de toute affection quelque peu sérieuse, à venir réclamer à l’Hôtel-Dieu, des soins qui leur sont donnés gratuitement, au lieu de dépenser leurs gages en frais de visites et de médicaments dans leur commune, où ils peuvent d’ailleurs manquer de soins suffisants [26]. » Même discours, trente ans plus tard, lorsque l’inspecteur Lardet revient sur la vigilance et les soins attentifs des patrons et de l’administration. Dès qu’une maladie se déclare, l’un ou l’autre demande l’avis du médecin local puis décide de l’entrée à l’hôpital avec convalescence si nécessaire : « Nous ménageons pour l’avenir la santé et les forces de nos enfants », déclare-t-il satisfait [27].

34Lors de son premier rapport, en 1887, Rollet prend le temps de dresser un tableau des maladies et infirmités qu’il a constatées : « C’est ainsi que nous avons à l’hospice de la Charité, deux filles et deux garçons boiteux ou atteints d’infirmités aux jambes. » L’un deux entre d’ailleurs à l’hôpital en 1888 pour y subir une amputation. « Un troisième pupille a subi l’ablation d’un œil et un autre est atteint d’amaurose profonde ; tous deux sont menacés de cécité [28]. »

35L’hospice reste ainsi un endroit privilégié au sein duquel les pupilles peuvent trouver refuge en cas de maladie ou d’infirmité. Bien que les inspecteurs tentent d’en réduire l’effectif, pour des raisons de coût notamment, un certain nombre de pupilles font ainsi des séjours plus ou moins prolongés. En 1880, l’inspecteur Anselin signale la présence dans les murs de six filles, âgées de 15 à 19 ans, « infirmes ou peut-être incurables [29] ». Il arrive même que des majeurs restent dans les lieux en raison de leur état de santé : « Plusieurs, souvent adultes déjà, infirmes, malingres ou souffreteux, y demeurent en permanence, leur état de santé ne permettant pas de les éloigner. On les utilise à des travaux sédentaires, proportionnés à leurs forces… [à leur majorité] ils continuent leur séjour dans nos salles, au milieu de nos pupilles [30]. »

36Les inspecteurs montrent volontiers dans leurs rapports qu’ils savent rester vigilants face aux abus éventuels et toujours coûteux pour l’administration. Sont alternativement dénoncés quelques pupilles « vicieux » qui profitent indûment du confort offert par l’hospice. Anselin revient régulièrement sur ces abus. En 1881, par exemple, il déclare veiller à ce que les séjours des pupilles à l’hospice soient aussi limités que possible et qu’ils soient contraints à travailler ; « les grandes filles sont occupées à travaux de couture pour l’entretien du linge de maison, ou layettes, les garçons aux travaux de la maison [31]. »

37Mais sont aussi dénoncés des patrons peu scrupuleux qui préfèrent ramener à l’hospice, de leur propre initiative, un pupille souffrant. Ainsi, en 1882, l’inspecteur Anselin souligne le non-respect du règlement par certains patrons : « À ce propos je dois exprimer le regret de voir souvent des patrons conduire leurs serviteurs à l’Hôtel-Dieu, et malheureusement aussi, leurs servantes à la Maternité sans que l’Inspection en ait été informée [32]. » En 1885, Saucerotte est plus précis et souligne les aspects financiers du problème : « Les patrons de nos pupilles placés à gages, sachant qu’ils auront à faire l’avance des frais médicaux, ne se font pas scrupule de nous ramener immédiatement un domestique malade, même sans gravité exceptionnelle, du moment où les soins du médecin paraissent nécessaires [33]. » L’inspecteur en profite pour suggérer d’étendre la gratuité des soins médicaux de 12 à 21 ans.

Maladies chroniques et handicaps

38Les enfants porteurs de handicaps lourds ne peuvent être placés chez des patrons et font l’objet de traitements spéciaux, incluant une surveillance accrue et, si nécessaire, le placement en institutions spécialisées. Étant donné la rareté des établissements spécialisés, les pupilles sont parfois envoyés dans des institutions éloignées. Ainsi une pupille âgée de 18 ans atteinte d’épilepsie est-elle placée en 1904 à l’orphelinat de la Trappe dans la Drôme, et une autre, aveugle, placée en 1890 dans un établissement spécial à Nancy. En 1895, l’inspecteur Rollet annonce le placement d’un pupille sourd-muet à l’Institution nationale de Corinthe près de Chambéry. En dépit de son handicap, il y apprend le métier de charron [34].

39L’Institution des sourds-muets et des aveugles du Rhône, située dans la banlieue de Lyon, à Villeurbanne, reçoit plus régulièrement des pupilles de l’Ain. En 1910 sont envoyés Pierre, âgé de 11 ans, et Anna Prudence, âgée de 8 ans. Leurs sorties respectives sont prévues en 1915 et 1917, c’est-à-dire à l’âge de 15 ou 16 ans. Rares sont les possibilités de réinsertion dans le circuit normal et notamment de placement chez un patron. Seul y parvient R., né en 1894, placé en institution depuis 1904 et sorti en 1911 à l’âge de 17 ans. L’inspecteur se réjouit de pouvoir annoncer que « nous avons soumis, suivant son désir, ce pupille à un placement familial qui semble réussir [35] ». La souffrance morale liée à l’infirmité physique est parfois manifeste et parvient à émouvoir l’inspecteur. En 1910, Auguste, né en 1884 et aveugle, présente une « nervosité exagérée et tient des propos qui font craindre un dérangement cérébral [36] ».

40Les aliénés posent un problème encore plus vif au service, et la seule solution retenue est celle de l’enfermement. En 1890, trois jeunes filles sont internées à l’institution de La Madeleine, à Bourg, pour « démence confirmée ». Elles s’y trouvent encore en 1891, et cette année-là, deux garçons sont internés à l’asile Saint-Georges dans la même ville. Avec peu d’espoir de voir la situation se retourner. On suit ainsi de rapport en rapport le parcours d’Étienne, né en 1892 et interné pour la première fois en 1910. En 1913, il se trouve toujours à l’asile mais est radié des contrôles car devenu majeur. Il y a ici une sortie administrative du système, mais bien entendu une poursuite de l’internement au-delà de la majorité du jeune homme.

Accidents

41Peu d’accidents sont consignés dans ces rapports. Étant donné leur nature officielle et forcément synthétique, il est probable que seuls les plus graves soient mentionnés. Par exemple on apprend, en 1883, qu’ « une jeune fille de 19 ans, retenue à l’Hôtel-Dieu depuis plus d’un an pour une entorse ancienne vient d’y subir l’amputation de la jambe droite au-dessous du genou et se trouve dans des conditions satisfaisantes [37] ».

42Les accidents mentionnés sont en relation avec la nature, généralement agricole, des tâches confiées aux pupilles de l’Assistance. En1888, est signalé le décès d’un garçon qui a été renversé par un attelage qui s’était emballé et a été écrasé par une herse tirée par celui-ci [38]. En 1903, un garçon âgé de 18 ans, employé comme domestique de ferme, est victime d’une ruade de la part d’un poulain qu’il menait à l’abreuvoir. Il a « la mâchoire complètement démise et toutes les dents cassées » et doit être envoyé à Lyon « pour lui faire poser un râtelier [39] ». L’inspecteur, qui pense que la responsabilité du patron est engagée, a confié l’affaire à un avoué et menace de poursuivre le patron en justice si celui-ci ne reconnaissait pas ses torts.

Décès d’adolescents

43Outre les accidents mortels, tel celui dû, sans plus de précision, à un « accident du travail » signalé dans le rapport de 1911, les décès sont rares parmi les pupilles adolescents. On retrouve ici le catalogue des maladies présentes dans la population française et particulièrement dans les milieux les plus modestes : fièvre typhoïde, tuberculose, phtisie, bronco-preumonie, syphilis congénitale, phlegmon iliaque, méningite tuberculeuse…, maladies qui enlèvent un pupille par an en moyenne.

44Plus rares, et aussi peut-être plus difficiles à identifier et à reconnaître publiquement, sont les morts violentes. En 1909, un garçon âgé de 20 ans se suicide par pendaison et l’inspecteur évoque alors « l’état de neurasthénie profonde du sujet » [40], sans donner plus de précision sur son placement ou ses symptômes antérieurs. En 1908, un décès par « asphyxie par submersion » reste inexpliqué : noyade accidentelle ou suicide, rien n’est dit sur les circonstances ni sur l’identité du pupille dont un tableau récapitulatif nous apprend qu’il avait entre 18 et 21 ans. Le décès de « cause inconnue » signalé en 1911 est tout aussi mystérieux et n’est pas expressément commenté dans le rapport de l’inspecteur Lardet.

Violences subies

45Sans doute serait-il pertinent d’ajouter un développement concernant les violences subies par les pupilles et ayant pu avoir des répercussions sur leur état de santé physique ou morale. Malheureusement les rapports des inspecteurs sont pratiquement muets sur ce point.

46En 1894, l’inspecteur Rollet s’engage dans une polémique à propos des violences que les pupilles subiraient dans les familles où ils sont placés. Il déclare avoir procédé à une enquête générale auprès de tous les maires des communes de placement, enquête qui « réduit à néant, en ce qui concerne le département de l’Ain, les critiques injustes de M. Ledrain [41] ». Rollet souligne au contraire que le pupille « reçoit [de son patron]… toutes les marques de sollicitude, de compassion, d’affection même auxquelles lui donne droit sa situation d’orphelin et de déshérité [42] ». Quelques lignes plus tard, il reconnaît toutefois, à mots couverts, quelques situations moins édifiantes : « Il est arrivé quelquefois qu’un nourricier impatient, irritable, mécontenté par le pupille qui aura commis quelques fautes graves, se sera livré, à son égard, à une correction manuelle que je réprouve [43]. » En d’autres termes, ne reçoivent quelques coups que les pupilles qui l’ont mérité ! Poursuivant, Rollet affirme ne pas tolérer que de tels faits se renouvellent, retirer le pupille, admonester le patron et ne pas lui confier de nouveau pupille.

47C’est à travers des aspects matériels que ces documents laissent percevoir que les rapports entre patrons et pupilles peuvent être conflictuels et aller jusqu’aux coups et à des violences diverses. Ainsi, en 1907, l’inspecteur Lardet évoque les vols dont sont victimes les pupilles, et du même fait, l’administration. Quelques patrons gardent pour eux et leurs propres enfants les vêtements appartenant aux pupilles, alors que le prix, facturé à l’administration, en est déjà surestimé par les patrons qui les achètent eux-mêmes [44].

48Ce sont d’autres sources, que nous n’exploitons pas systématiquement dans ce travail, tels que les dossiers individuels des pupilles, qui permettent d’approcher ces violences qui peuvent aller jusqu’au viol. Dans ces documents, les cas de maltraitance signalés sont de diverses natures : coups, privations (vêture, soins médicaux, instruction), sévices divers (exposition au froid, travaux disproportionnés), viol. En témoignent quelques cas rencontrés dans les dossiers étudiés, tel celui de Marie Louise qui écrit à son inspecteur : « Mon patron m’a contraint à avoir avec lui des rapports sexuels à diverses reprises et j’ai dû céder, contrainte par la force d’abord puis ensuite par intimidation ; une scène s’en est suivie à la suite de laquelle je suis partie [45]. » Pour ces cas graves, l’affaire peut même être portée en justice comme c’est le cas pour la jeune Philiberte, 20 ans, qui accuse son employeur d’avoir abusé d’elle. Ce dernier, veuf, lui aurait déclaré qu’il l’avait prise pour se servir d’elle et qu’elle pouvait « bien se laisser faire [46] ». Encore ces sources restent-elles peut-être muettes sur de nombreux cas, car il est sans doute délicat ou difficile pour un enfant de dénoncer le comportement du patron dont il dépend (Jablonka, 2004, 921). Selon les inspecteurs, toute plainte est étudiée avec sérieux et donne lieu à une enquête lancée à leur initiative, le plus souvent auprès du maire de la commune de placement. Ce dernier doit alors visiter l’enfant dans sa famille pour constater si la plainte s’avère réelle et si des violences sont effectivement infligées à l’enfant. Cependant si l’affaire s’avère réelle, bien souvent l’inspecteur se contente de changer l’enfant de placement sans qu’aucune réprimande ne soit faite au patron. Toujours est-il que ces faits ne transparaissent pas dans les rapports de l’inspecteur remis au conseil général.

Enfants « vicieux », enfants violents, enfants rebelles

49Chaque rapport est l’occasion pour les inspecteurs de souligner le bon comportement d’ensemble des pupilles, mais aussi de signaler les problèmes particuliers que posent quelques uns d’entre eux. Par exemple, en 1894, l’inspecteur Rollet prend vivement la défense des pupilles et du système d’assistance dans son ensemble : « Il est inexact qu’un pupille de l’Assistance publique soit un être à part, déclassé, rebuté, insulté et traité de bâtard au foyer de ses nourriciers […]. La situation d’un enfant assisté doit inspirer une sorte de respect, de sympathie affectueuse, susceptibles d’atténuer ses torts dans une large mesure [47]. »

50Mais le même Rollet n’hésite pas à condamner avec virulence les enfants dits « moralement abandonnés » lorsque ceux-ci viennent grossir les rangs des pupilles. Ainsi, en 1890, il en dresse un portrait sans espoir et sans appel : « Leur condition de vie antérieure, leur abandon moral et réel, rend beaucoup de ces enfants inaptes à supporter le placement familial à la campagne et les travaux agricoles auxquels ils n’ont pas été façonnés et qu’ils ont en aversion. Nés de pères ou de mères nomades en général, ils préfèrent la vie nomade, oisive et mouvementée à tous les avantages qui leur seraient faits chez des cultivateurs. S’ils consentent à y rester momentanément, ils ne tardent pas à s’enfuir vivant au jour le jour de mendicité ou de ressources inavouables [48]. » Rollet revient sur la question quelques années plus tard, soulignant l’effet pervers, pour tous les pupilles, de l’intégration des enfants « moralement abandonnés » dans le service : « Comme conséquence, les patrons hésitent à demander des pupilles de crainte d’obtenir un indocile et l’exemple est souverainement pernicieux pour les autres [49]. »

Les cas de mauvaise conduite, les relations avec les patrons et les solutions

51Les premiers problèmes présentés par les inspecteurs lors de ces rapports relèvent du travail des pupilles et de leurs relations avec leurs patrons. Justement, c’est par un travail sain et assidu que les pupilles devaient acquérir leurs qualités morales et physiques et trouver une sorte de rédemption. Ainsi l’inspecteur Rollet dénonce le comportement d’un jeune homme qu’il renonce à amender : « L’un d’entre eux se déclarait inapte à aucun travail et avait élu domicile à l’hospice où j’étais forcé de le garder pour éviter d’en faire un vagabond. Lassé de son insoumission, du mauvais exemple qu’il donnait et du désordre qu’il provoquait, j’ai dû vous proposer sa radiation des contrôles et son expulsion [50]. »

52Certains pupilles trouvent dans la fuite une solution au conflit qui les oppose au patron ou à l’inspecteur. Repris, ces fugueurs peuvent provisoirement être recueillis à l’hospice. Ainsi en est-il en 1880 pour une jeune fille, âgée de 20 ans, et admise provisoirement à l’hospice par l’inspecteur Anselin : « Je ne parviens pas à la mettre en service, et je m’occupe de la faire entrer, jusqu’à sa majorité, dans un de ces ouvroirs qui (le plus souvent sous le nom du Bon Pasteur) sont dits maisons de refuge et de préservation [51]. »

53Quelques menus larcins valent également à leurs auteurs d’être mentionnés dans les rapports des inspecteurs. Par exemple, en 1880, Anselin cite le cas d’un garçon âgé de 14 ans qui écope d’une amende pour « maraudage dans un jardin », celui d’un jeune homme de 19 ans fautif « d’ivresse et de tapage », ou celui d’une jeune fille de 21 ans convaincue de « détournement de quelques linges » [52]. Cette dernière sera reprise par son patron après quatre jours de prison. L’année suivante, un « rouleur » âgé de 19 ans, emprisonné dix jours à Nantua car accusé de vol par son patron, est relaxé faute de preuves, mais disparaît aussitôt [53]

54Parfois l’enfermement des pupilles difficiles donne, du moins dans l’esprit de l’inspecteur, de bons résultats. Mais tel n’est pas toujours le cas, et ce premier enfermement peut marquer le début d’une spirale répressive. Ainsi, en 1886, Rollet cite le cas de deux jeunes filles qui « par suite de leurs mauvais penchants et de leur insubordination […] avaient été placées à l’établissement du Bon Pasteur à Dôle. L’une s’est évadée sans qu’il ait été possible de retrouver sa trace. Toutes deux ont atteint leur majorité dans le courant de l’année [54] ». Nouveau constat mitigé en 1889 à propos de trois jeunes filles également internées au Bon Pasteur à Dôle : « L’une s’est amendée dans cette maison, quant aux deux autres elles n’ont pu y être gardées par suite du désordre qu’elles provoquaient. L’une d’elles est une érotomane hystérique […], la seconde est provisoirement placée à la campagne, mais je ne puis espérer une amélioration. Une de ses sœurs qui a les mêmes tendances s’est enfuie récemment de chez plusieurs patrons et j’ai perdu sa trace [55]. » Fuite ou comportement d’opposition, l’enfermement ne résout pas tous les problèmes. En 1896 l’inspecteur Rollet évoque « une pupille de 14 ans, profondément viciée, [qui] attend un placement dans un asile. Aucun patron ne peut la garder et il serait imprudent de faire de nouveaux essais [56] ».

55Pour les pupilles qui refusent le placement chez un patron ou qui fuguent, la solution préconisée est alors effectivement celle de l’enfermement. Pour les jeunes filles, il s’agira plutôt d’un « ouvroir », et l’établissement du Bon Pasteur de Dôle est le plus souvent cité. S’y adjoignent ponctuellement d’autres établissements à caractère religieux, tel que « La Solitude » de Lyon, établissement auquel l’inspecteur Lardet a recours en 1911.

56Pour les jeunes hommes ce sera plutôt une « école d’apprentissage et de préservation ». En 1890, Rollet réclame l’ouverture d’un établissement local pour interner les pupilles « vicieux et insoumis » qui par faveur sont acceptés dans les congrégations religieuses (filles) et à Brignais (garçons). Il pense que les enfants « moralement abandonnés » qui « sont d’un caractère moins malléable » [57] fourniraient l’essentiel de la clientèle de ces établissements. Par exemple, en 1894, l’inspecteur fait admettre un « paresseux fugitif » dans un établissement dirigé par la Société lyonnaise de sauvetage de l’enfance. Au début du xxe siècle, l’inspecteur Guillon adresse à la « Société de protection pour l’enfance abandonnée ou coupable de Paris » un garçon âgé de 17 ans [58], puis l’année suivante un garçon de 16 ans qui y reste 6 mois et revient comme apprenti-maréchal. Opération réussie donc, et l’inspecteur peut se féliciter : « Il marche mieux maintenant et sa conduite n’a donné lieu à aucune remarque défavorable depuis cette époque [59]. »

Le recours aux écoles professionnelles

57Un mode d’enfermement offre, de fait, une possibilité de formation professionnelle aux pupilles qui y sont placés. Il s’agit des « écoles professionnelles » qui sont en même temps lieu d’apprentissage et lieu de réclusion. Le régime disciplinaire y est sévère, mais la possibilité d’apprendre un métier est tout de même présente. Les fuites, proportionnellement assez nombreuses, signalent le caractère répressif de ces placements.

58Pour les pupilles du département de l’Ain, la plus fréquemment sollicitée est l’École de Sacuny-Brignais, dans la banlieue lyonnaise. En 1890, l’inspecteur Rollet y place trois pupilles qu’il avait « dû faire rechercher à diverses reprises par la gendarmerie […], dont l’humeur vagabonde et la paresse sont insurmontables. Ils sont actuellement à l’école d’apprentissage de Brignais, dont l’un deux vient de s’évader récemment » [60]. L’année suivante, ce sont cinq garçons qui sont internés à Brignais, « tous s’en sont évadés une ou plusieurs fois [61] ». On re-trouve le même phénomène d’internement suivi d’évasion peu avant la première guerre mondiale. En 1911, l’inspecteur Lardet signale l’internement à Brignais de trois garçons, dont un âgé de 15 ans qui n’a pu être retrouvé [62].

59Les inspecteurs du département de l’Ain ont aussi recours à l’école professionnelle agricole de Salaise (Isère). Lardet, qui y a placé en 1906, pour « insoumission et vagabondage », un garçon alors âgé de 11 ans, rend compte en ces termes de son comportement en 1911 : « Santé bonne, conduite médiocre, travail passable, est toujours excessivement malpropre, tentative infructueuse d’évasion en octobre [63]. »

60Quant aux jeunes filles, elles sont parfois placées dans la région. Rollet rapporte en 1890 le cas d’une jeune fille qui « vient de s’enfuir de la fabrique de soieries de La Cluse où je l’avais placée en apprentissage » [64]. Mais d’autres sont placées bien plus loin, notamment à l’École de La Faye (Haute-Vienne). Dans cet établissement, elles restent dans un univers agricole. Par exemple Victorine, née en 1895, y est placée en juillet 1912 et en sort en décembre 1913 pour être confiée à un cultivateur de la commune voisine de Saint-Yrieix [65]. En 1913 sont admises J.-Marie Louise, née en 1900, et A.-Marie Louise, née en 1898. Elles y sont encore en 1914 [66].

Délinquance et maisons de correction

61Les rapports évoquent également des cas plus graves, pour lesquels des solutions encore plus sévères sont préconisées. Lorsque des pupilles ont été estimés responsables de délits plus importants, l’enfermement, plus ou moins long, va avoir lieu en « maison de correction », voire en « colonie pénitentiaire ».

62L’inspecteur dénonce parfois très vivement les pupilles dont il réprouve le comportement, et le contexte familial peut être à ses yeux une circonstance aggravante. Ainsi en 1882 Anselin rapporte un cas, à ses yeux, désespéré : « J’ai été obligé de faire poursuivre en police correctionnelle deux frères, vauriens de la pire espèce, de 10 ans et 12 ans, fils de prisonniers, recueillis depuis deux ans et arrivés entre nos mains avec le germe bien développé déjà de tous les vices. Menaçants et dangereux, il importait de préserver du mal que déjà ils avaient l’intention bien accusée de lui faire [….]. Tous deux ont été condamnés à être enfermés pendant huit années dans une maison de correction [67]. »

63C’est plus souvent pour des garçons que pour des filles que ces solutions draconiennes sont prises. Il existe peu d’établissements spécialisés à proximité de Bourg-en-Bresse. En 1887 deux garçons sont internés « pour immo-ralité » à la maison de correction d’Oullins, dans la banlieue lyonnaise, mais deux autres s’en sont évadés peu auparavant [68].

64La maison de Mettray, dans l’Indre-et-Loire, est fréquemment sollicitée pour les enfants considérés comme endurcis et rebelles au travail, « les pires parmi les mauvais » selon un ancien directeur de l’Assistance publique [69]. En 1891, l’ins-pecteur y fait interner en vertu d’une ordonnance judiciaire un pupille évadé de Brignais [70]. Peu après, il déplore les limites de ces placements : « La maison paternelle de Mettray ne suffit pas non plus. Les garçons seuls y sont reçus, en vertu d’ordonnances judiciaires et pour des délais qui ne peuvent excéder un ou six mois [71]. »

65On recourt également à « L’École du Luc », dans le Gard, celle-ci ayant une réputation particulièrement dure qui l’identifie plutôt à une colonie pénitentiaire qu’à un établissement scolaire [72]. En 1912 y entrent P.-Jean Louis, âgé de 12 ans, et A. Antonin, âgé de 18 ans : « Les dernières notes fournies par le directeur sur ces deux pupilles, foncièrement vicieux, sont mauvaises comme conduite et comme travail. À maintenir [73]. » Il y sont toujours présents en 1914, avec une conduite toujours « aussi mauvaise » [74].

66Les séjours en « maison de correction » sont d’ailleurs parfois bien longs. En 1904, l’inspecteur Guillon signale l’exemple de deux garçons condamnés pour vol, internés en maison de correction : l’un âgé de 15 ans doit y rester jusqu’à ses 18 ans, mais l’autre, âgé de 13 ans est condamné à y rester jusqu’à ses 20 ans [75]. D’autres les y rejoignent en 1910, comme Antonin, âgé de 14 ans, condamné pour vol et interné pour 4 ans et demi ou Jean-Marie, âgé de 16 ans qui devra y rester jusqu’à l’âge de 19 ans [76]. Joanny, âgé de 15 ans, et Clovis, âgé de 14 ans, condamnés respectivement par les tribunaux de Belley et de Trévoux, les rejoignent en 1913 [77].

67Pour les filles, les possibilités d’internement semblent plus limitées. L’ouvroir de Dôle refuse les pupilles les plus difficiles. En 1892, « deux filles d’abord internées à Dôle internées à Méplier près de Blanzy d’où elles se sont enfuies [78] ». L’inspecteur Rollet déplore cette situation en 1894 : « Quant aux filles, nous n’avons pour elles aucun refuge, si ce n’est certains établissements dits “Bons Pasteurs” où nous ne sommes pas sûrs de pouvoir les maintenir. Celui de Dôle m’a fait retirer, il y a deux ans, une pupille insoumise et hystérique [79]. » L’inspecteur développe ce point, demandant la création d’écoles « de réforme et d’apprentissage », de régime sévère, susceptibles d’accueillir et d’amender les jeunes filles.

68Une décennie plus tard, son successeur Guillon s’interroge encore sur ce point. Il évoque le cas de deux filles placées au Refuge du Puy (Haute-Loire), mais selon lui, « quant à nos jeunes filles de moralité plus que douteuse, il y aurait intérêt à les envoyer à l’avenir à la colonie laïque du Luc (Gard) dirigée par l’honorable M. Métérié, inspecteur honoraire de l’Assistance publique » [80].

69À la fin du xixe siècle, les lieux de placements sont assez diversifiés et permettent, en principe, d’apporter une réponse adaptée à chaque situation. Par exemple l’inspecteur Rollet énumère en 1895 les lieux dans lesquels sont alors placés les pupilles du département de l’Ain [81]. Les distances parcourues à l’occasion de ces placements sont parfois importantes : 1) deux garçons à l’école d’apprentissage de Brignais (Rhône), auxquels on pourrait ajouter deux autres qui s’en sont évadés récemment ; 2) un garçon interné à l’asile de Jommelières (Dordogne) par mesure de correction paternelle après être passé par l’établissement de Mettray (Indre-et-Loire) ; 3) deux garçons internés à la maison de correction d’Aniane (Hérault) à la suite de condamnations pour vol ; 4) un garçon interné à l’école de réforme de Frasnes-le-Château (Haute-Saône) par décision du tribunal de Bourg pour effraction et outrage à la pudeur.

70Pour les cas les plus graves, ce sont les travaux forcés. Anselin cite en 1879 le cas d’une « jeune fille, sur le point d’atteindre sa majorité, condamnée à cinq ans de travaux forcés pour incendie » [82]. En 1894, A… Georges, fugitif de Brignais, est « condamné par les Assises de l’Ain, après sa majorité, à cinq ans de travaux forcés pour assassinat [83] ».

71L’enfermement est-il gage de succès ? Pour Rollet, c’est une nécessité face aux pupilles les plus « vicieux » : « ce sont là des incorrigibles que le système claustral peut seul amener à résipiscence » [84], écrit-il dans son rapport de 1891. Il donne de nouveau dans son rapport, deux ans plus tard, un exemple précis, tout en doutant de la bonne issue d’une telle mesure : « Quelques-uns d’entre eux sont déjà gangrenés à ce point qu’ils constituent un danger pour les autres pupilles. Comme un exemple, entre plusieurs, je citerai celui du jeune B… Antoine qui vient d’être condamné à l’internement dans une maison de correction jusqu’à sa majorité. Je doute qu’il s’y amende [85]. »

Un cas particulier d’immoralité ? Les grossesses naturelles

72Dans les années 1880, les inspecteurs font état des grossesses que mènent les pupilles mineures. Bon an, mal an, leur nombre varie de 2 à 5. Ainsi en 1881, trois filles, âgées de 20, 19 et 18 ans sont enceintes, et l’inspecteur Anselin y voit une conséquence, désolante mais inévitable, de « la promiscuité [qui] est grande à la campagne entre charretiers et servantes [86] ». L’année suivante, il revient sur la question, présentant plutôt les pupilles concernées comme des victimes : « J’ai dû en 1882 faire entrer à la maternité trois filles de 19 et 20 ans, servantes de ferme, qui n’avaient pas su résister à d’entreprenants séducteurs, et dont les enfants ont été admis à la Charité. Deux de leurs camarades y ont été admises depuis le mois de janvier, âgées de 17 et 18 ans, et une troisième va y entrer prochainement aussi au moment d’atteindre sa majorité [87]. » En 1883, les nombre des grossesses atteignant le nombre de huit, l’inspecteur prend la défense des patrons et de son service, reportant cette progression sur une évolution globale de la société rurale : « Ces situations regrettables ne sauraient être attribuées à un manque de surveillance des patrons ou de sollicitude de la part de l’inspection […]. Nous sommes en face d’un regrettable relâchement des mœurs dans l’ensemble de la population et non point d’une immoralité plus grande de nos enfants qui vivent dans ce milieu [88]. » Toujours est-il que rien n’est dit sur les circonstances précises de la conception ni sur l’identité des pères. Le destin de ces enfants est tout tracé, et ils sont systématiquement abandonnés aux soins du service dès que l’accouchement a eu lieu. Les jeunes femmes vivant de telles grossesses sont en général âgées de 18 à 20 ans et n’en connaissent qu’une durant leur appartenance au service. On note deux exceptions en 1886 : une pupille est enceinte à l’âge de 15 ans seulement et une autre connaît alors sa seconde grossesse. Signalons également que les inspecteurs n’établissent aucun lien entre la rubrique « grossesses » et la rubrique « mariages », ce qui laisse penser que les pupilles enceintes ne font pas partie de celles qui se marient, que ce soit avant ou après la naissance de l’enfant naturel.

73Par la suite, les inspecteurs ne rendent plus compte des grossesses de pupilles mineures. Il est difficile de penser qu’il s’agisse d’une négligence de leur part ou de la disparition de ces grossesses. Peut-être préfèrent-ils passer ces faits sous silence en raison de leur nombre croissant et de l’augmentation des naissances naturelles dans l’ensemble de la population.

Sortir du système : en route vers quel avenir ?

74Si l’atteinte de la majorité est le cas dominant, différentes circonstances peuvent entraîner la sortie des pupilles adolescents de la tutelle de l’inspecteur du service des enfants assistés. Par exemple, en 1884, l’inspecteur comptabilise la sortie de 36 pupilles. La plupart d’entre eux, 25, quittent le service car ayant atteint la majorité légale. Le mariage (4 filles mineures) et l’engagement dans l’armée (2 garçons) permettent également une émancipation et l’arrêt précoce de la tutelle administrative. En outre deux pupilles sont rendus à leur famille (1 garçon et 1 fille), tandis qu’un autre pupille est « rapatrié », c’est-à-dire transféré dans un autre département. Enfin, il faut également tenir compte du décès de deux garçons. Le décompte est plus complexe en 1913 en raison du plus grand nombre de catégories d’enfants, mais les circonstances sont les mêmes. On compte cette année 50 pupilles devenus majeurs (33 garçons et 17 filles), 6 filles mineures mariées, 1 garçon décédé et 4 mineurs rendus à leur famille (2 garçons et 2 filles).

L’inspecteur Anselin : paternalisme et volonté de sacraliser et de maintenir les liens

75L’inspecteur Anselin, qui reconnaît lui-même que sa position est celle d’un « clérical » [89], milite ardemment en faveur du renforcement des liens, symboliques et concrets, entre le pupille devenant majeur et l’administration, et à travers elle la Nation. Pour son rapport de 1879, le premier qu’il présente devant le conseil général de l’Ain, il rédige un long texte dans lequel il propose la mise en place d’une cérémonie qui, selon lui, devrait marquer l’accès du pupille à la majorité, celui-ci ne devant pas être un simple acte administratif. « Un beau matin, l’Inspection inscrit au registre de tutelle : un tel a atteint sa majorité ce jour. Elle passe un trait de plume sur le nom […] et puis tout est fini. L’abandonné du premier jour qui, ce jour-là, se trouve abandonné de nouveau, comme il l’était au lendemain de sa naissance, ne sait même pas qu’une dernière fois on vient de s’occuper de lui. […]. L’administration le laisse disparaître comme un fugitif, ou comme s’il était mort [90]. » Anselin, qui n’a pas obtenu satisfaction, revient sur ce point quelques années plus tard, parlant d’un « deuxième abandon [91] », cette fois-ci de la part de l’administration.

76Face à cette séparation, qui lui semble brutale et en rupture avec les relations « bienveillantes », voire « affectueuses », nouées entre l’inspecteur et le pupille, l’inspecteur Anselin propose la mise en place d’une véritable cérémonie. « J’estime que l’élève émancipé devrait être appelé par l’inspecteur à la maison dépositaire […] afin qu’il puisse lui dire que s’il reste honnête, il y sera toujours bien accueilli […], il sera toujours sûr d’y trouver l’appui moral dont il sera demeuré digne. Et ceci devrait être entendu des jeunes camarades du majeur émancipé qui se trouveraient présents à l’hospice [92]. » Anselin imagine prodiguer ses derniers conseils et donner « une sorte d’investiture du titre de citoyen libre […] appelé désormais à jouir de tous ses droits, à la condition de remplir tous ses devoirs ». Pour lui les intérêts d’une telle cérémonie seraient multiples : par le rappel des bienfaits dont il a bénéficié, le pupille aurait « des sentiments de reconnaissance et de dévouement envers son pays », les plus jeunes pupilles témoins de la cérémonie en seraient également édifiés. L’inspecteur y trouverait également la satisfaction de voir son action éducative reconnue et, accessoirement, il pourrait obtenir officiellement récépissé du livret de Caisse d’épargne remis au pupille « pour prévenir toute réclamation ultérieure [93] ». Une telle cérémonie serait appelée à être renouvelée de nombreuses fois dans l’année, chaque fois qu’un pupille atteindrait sa majorité ou serait émancipé et qu’il y aurait reddition du compte de tutelle, imprimant ainsi un souvenir fort dans la mémoire des pupilles.

77N’ayant pas obtenu l’accord du conseil général et les moyens nécessaires pour organiser une telle cérémonie, Anselin prend, en 1882, l’initiative de réunir les pupilles à l’occasion de leur première communion, « dans une réunion que j’ai désiré [sic] imposante et touchante, en présence de tout le personnel de la maison et des fonctionnaires de l’Inspection accompagnés de leur famille [94] ». L’inspecteur offre à cette occasion des récompenses aux plus méritants, et à tous, « déshérités, victimes d’un sort injuste », une collation et « des conseils et des encouragements ». Dans ce même rapport, Anselin propose la mise en place de mesures visant à maintenir les relations avec les pupilles majeurs et émancipés : primes, dots, assistance dans le cadre de sociétés philanthropiques « afin de les aider à se caser, s’installer, se marier, secondés par de sages conseils et de sérieux appuis suppléant à l’absence de la famille [95] ». Allant au bout de sa logique paternaliste, Anselin cite le cas d’un « de mes gentils garçons » [96] qui va terminer son apprentissage de cordonnier, mais en ayant épuisé ses économies pour payer son maître. Il en va de même, dit-il, pour une pupille qui, elle, a suivi une formation de sage-femme. L’inspecteur réaffirme en outre solennellement dans son rapport qu’il se tient à la disposition des anciens pupilles et « reçoit les majeurs le dimanche pour les conseiller [97] ».

78Paternalisme encore en 1886, de la part de l’inspecteur Castaing, pourtant habituellement moins expansif, lorsqu’il évoque la remise du livret d’épargne aux pupilles : « Lorsque parvenus à la majorité ils reçoivent de nos mains le livret d’épargne qui représente leur pécule dont la libre disposition leur appartient désormais, un simple coup d’œil sur le chiffre total nous permet de déterminer exactement la valeur du sujet. De leur côté, pénétrés de la sollicitude paternelle de l’Inspection à leur égard, ils viennent à nous pleins de confiance, oublieux des réprimandes que leur ont attiré quelques écarts, et nous tiennent au courant des plus minimes circonstances de leur vie, sachant bien que tous nos efforts tendent à rendre leur situation plus douce et à assurer leur avenir [98]. »

Remise de pupilles mineures à la famille et recherche de famille pour les majeurs

79Le nombre d’enfants adolescents rendus à leur famille est faible, nettement plus que celui des enfants rendus âgés de moins de 12 ans. Dans la décennie 1880-1889, les effectifs varient entre 1 et 5 par année. Au début du xxe siècle, les effectifs sont plus élevés, variant de 15 à 30, mais ces nombres pourraient être trompeurs, puisque les enfants concernés ne sont plus les mêmes. En effet, à partir de la loi de 1889, ils incluent les enfants « moralement abandonnés », susceptibles d’être rendus à leur famille qui est bien identifiée, alors qu’auparavant il s’agissait essentiellement d’enfants abandonnés dès la naissance.

80Un inspecteur, Anselin, semble avoir été particulièrement soucieux de favoriser le maintien des liens entre parents biologiques et enfants abandonnés. Il explique ainsi, en 1882, comment il s’y prend pour essayer de mettre les uns et les autres en rapport lorsque les circonstances sont favorables : « Je suis incessamment préoccupé du soin à rechercher tous les renseignements pouvant me permettre de retrouver leur famille. Presque tous, d’ailleurs, dès l’âge de 20 ans, viennent me demander si je ne pourrais pas leur faire connaître leur mère. Alors qu’ils comprennent que la tutelle administrative va bientôt leur faire défaut ils éprouvent le besoin de ne pas vivre seuls au monde, et le désir de se connaître un parent quelconque s’éveille en eux, puissant et soucieux […]. Quand, par suite des renseignements obtenus, j’estime qu’il n’y a aucun inconvénient à révéler à l’enfant la résidence de sa mère, je la lui fais connaître. Mais si, depuis sa naissance, une famille s’est, d’autre part, régulièrement constituée, je lui déclare n’avoir rien pu découvrir ou ne pouvoir lui rien dire de ce que j’ai appris. Depuis un an, j’ai fait de nombreuses recherches de ce genre, et j’ai eu la satisfaction de faire connaître à plusieurs, soit leur mère, soit des aïeux, des oncles ou des tantes, qui, généralement, accueillent bien ceux qui leur sont attachés par les liens du sang ; une grande jeune fille ou un beau jeune homme de 20 ou 21 ans, inspirent toujours facilement un grand intérêt à des gens apprenant qu’ils ne leur sont pas étrangers [99]. » Malheureusement, Anselin ne fournit aucun nombre concernant les retrouvailles familiales qu’il aurait ainsi favorisées. L’inspecteur de la Seine a la même préoccupation au début du xixe siècle. S’il oppose systématiquement une fin de non-recevoir aux demandes des pupilles pour retrou-ver les parents biologiques en vertu de la loi de 1904, il réalise de fait une enquête et tranche en fonction des circonstances sociales et économiques (Jablonka, 2004, 898).

Des transitions difficiles : les pupilles qui disparaissent

81Certains pupilles, essentiellement des garçons, sont perdus de vue à l’adolescence par l’inspecteur. En 1879, Anselin constate que « certains se placent, se déplacent, arrêtent, de gré à gré, le montant de leurs gages [100] ». Par ce comportement, ils perdent, selon lui, leurs économies et le bénéfice de la protection de l’inspecteur. Celui-ci ignore ainsi leur résidence « qu’il devient impossible de faire connaître quand il doivent être signalés au recrutement pour le tirage au sort, puisqu’ils ont échappé à toute surveillance [101] ».

82Dans de telles circonstances, le livret d’épargne devient alors, pour l’inspecteur, un moyen de pression sur les adolescents rebelles, et notamment les fugitifs devenus majeurs qu’il fait rechercher parfois en vain. En 1882, l’inspecteur évoque un fugitif : « Il n’en est qu’un seul dont la résidence me soit inconnue, et qui a échappé aux recherches de la gendarmerie du département, parce que je le crois sur la frontière du Jura, où déjà plus jeune il était allé s’engager de son chef : c’est un rouleur sans stabilité ; il doit tirer au sort l’année prochaine et me reviendra bien avant sa majorité car j’ai en main son livret de Caisse d’épargne assez chargé [102]. » Même attitude de la part de l’inspecteur Saucerotte quelques années plus tard : « À cette époque la plupart des jeunes garçons disparaissaient dès l’âge de17 à 18 ans, se plaçaient eux-mêmes en toute liberté, dissipaient tous leurs gages et se faisaient exploiter par des patrons peu scrupuleux. Les registres sont muets sur les derniers placements ; il n’y avait plus de contrôle [103]. »

L’engagement des pupilles dans l’armée : une satisfaction pour les inspecteurs

83Naturellement, comme tous les garçons du pays, les enfants assistés doivent se présenter à l’âge de 20 ans devant le conseil de révision afin de satisfaire aux obligations militaires. Ils se présentent à ce rendez-vous dans des dispositions très différentes les uns des autres, ce qui témoigne de la diversité des situations et des comportements. Les uns, probablement un peu plus fréquemment que dans la population générale, sont dans un état de santé qui justifie leur ajournement ou leur réforme (Jablonka, 2004, 564). D’autres sont propres au service, tandis que certains devancent l’appel et que d’autres sont en fuite et ne se présentent pas. On peut prendre comme illustration la situation consignée dans le rapport de 1883 : « Le nombre de pupilles devant satisfaire à la loi de recrutement, classe 1883, était de 17. 1 disparu depuis 1873 n’a pu être inscrit. 1 s’est engagé au 2e régiment de zouaves, en 1882, sortant de la colonie pénitentiaire d’Oullins. 1 a devancé l’appel. 3 ont été réformés. 1 a été ajourné pour faiblesse. En somme, 12 conscrits propres au service [104]. »

84Devancer l’appel est une solution qui n’est choisie que par peu de pupilles, en dépit de la possibilité d’échapper à la vie de domestique agricole que cela constitue et de l’existence d’une prime d’engagement (Jablonka, 2004, 566). Par contre, ceux qui optent pour ce choix sont souvent dans des situations délicates et l’engagement constitue une issue à une adolescence difficile. Cette solution a généralement l’agrément de l’inspecteur qui y voit une occasion de nouveau départ dans la vie pour ses pupilles. Par exemple, en 1883, l’inspecteur Anselin évoque « un assez mauvais sujet de 19 ans, chassé de partout, que je menaçais de faire enfermer dans une maison de correction, [qui] m’a demandé l’autorisation de s’engager. J’y ai consenti, et de ce fait il est devenu majeur [105] ». De même en 1891, un pupille « moralement abandonné », engagé volontaire dans l’artillerie de marine, indiscipliné jusqu’alors, est devenu un excellent sujet. L’inspecteur Rollet souligne : « J’ai eu le plaisir de le revoir à Bourg, conduisant un détachement de son régiment à la Réunion [106]. » En 1894, ce même pupille est de retour pour cause de maladie, mais il se réengage au plus vite. L’inspecteur note dans son rapport : « J’ai eu le plaisir de le recevoir, et je vous remercie, Monsieur le Préfet, pour l’accueil bienveillant et les secours que vous avez bien voulu lui accorder [107]. » Une longue correspondance a d’ailleurs été échangée entre l’inspecteur et ce pupille tout au long de ses campagnes militaires [108].

85Des situations identiques se retrou-vent au début du xixe siècle. En 1904, l’inspecteur Guillon souligne le cas de deux pupilles dont le comportement durant l’adolescence ne lui avait pas donné satisfaction. L’un, âgé de 20 ans, s’était enfui de chez son patron et lorsqu’il a finalement été retrouvé, il « a consenti à contracter un engagement volontaire de 4 ans [109] ». La juxtaposition des termes « consenti » et « volontaire » peut laisser envisager qu’il y a eu débat voire conflit. Le second, également âgé de 20 ans, « a volé son patron et l’avait menacé de mort. Afin de lui éviter des poursuites correctionnelles, je l’ai fait engager le 2 novembre dernier. Depuis son entrée au régiment il s’est complètement amendé [110] ». Dans de telles situations, l’engagement dans l’armée constitue, aux yeux des inspecteurs du moins, une issue positive pour des adolescents en difficulté.

Le mariages de pupilles mineures : un gage d’insertion sociale réussie ?

86Le mariage d’un pupille mineur entraîne de fait son émancipation et la cessation de la tutelle de l’administration. Comme au sein de la population française en général, les mariages de mineurs sont rares et sont surtout le fait de jeunes filles [111]. Les garçons mineurs se mariant constituent en fait des cas exceptionnels et, dans le département de l’Ain, on n’en compte guère plus d’un par décennie.

87Le pupille mineur qui souhaite se marier doit en informer l’inspecteur. Celui-ci, qui se substitue concrètement aux parents, va se livrer à une enquête visant à évaluer la situation matérielle et « morale » du ou de la fiancé(e), et proposer l’acceptation ou le refus de ce projet. En « bon père de famille », l’inspecteur souhaite pour ses protégés des conjoints qui ne soient pas trop éloignés de leur propre condition sociale et avec lesquels la différence d’âge ne soit pas trop importante. Ainsi, les mariages trop déséquilibrés sont-ils redoutés et rejetés par l’inspecteur qui emploie parfois des moyens autoritaires. En 1880, l’inspecteur Anselin souligne dans son rapport « la nécessité où je me suis trouvé de conserver internées pendant quelques temps, à l’hospice, plusieurs grandes jeunes filles ayant noué des intrigues, auxquelles j’ai dû vouloir mettre fin : l’une d’elles espérait épouser le fils d’un notaire. Après un séjour pendant lequel je les ai vues souvent et souvent sermonnées, je les ai placées au loin et les crois à l’abri du danger [112] ». À partir de 1904, en vertu de l’article 12 de la loi du 27 juin de cette même année, l’inspecteur est entouré d’un conseil de famille qui réunit quelques notables.

88Les pupilles mineures accédant au mariage sont peu nombreuses. Dans la décennie 1880, leur effectif annuel varie entre 2 et 4. Dans la première décennie du xxe siècle, il oscille entre 2 et 9, signalant une légère augmentation du phénomène. Les refus de la part de l’administration sont rares. L’inspecteur Guillon rapporte le cas exceptionnel d’une pupille, âgée de 17 ans et demi, qui renonce d’elle-même à un mariage qui avait été agréé par son conseil de famille, sans que la raison de ce revirement nous soit connue [113].

89Lors de leur mariage, ces pupilles reçoivent leur livret d’épargne qui constitue en quelque sorte une « dot », et en tout cas un apport à l’installation du nouveau ménage. Cet apport est consigné dans le contrat de mariage qui, à cette époque, précède systématiquement le mariage des pupilles. En 1911, l’inspecteur Lardet note que ce contrat « garantit l’avoir de la pupille, constitué par un livret de Caisse d’épargne parfois fort important [114] ». Quelques pupilles de l’Assistance peuvent en outre bénéficier à l’occasion de leur mariage de dons destinés à récompenser les plus « méritantes ». Ainsi, une des cinq pupilles de l’Ain, se mariant en 1905, reçoit une somme de 500 francs provenant du « legs Giffard » accordée par le ministre de l’Intérieur. L’événement se reproduit en 1912 pour une autre pupille. En 1911, en vertu de la loi de 1904, la commission départementale attribue une dot de 300 francs « à deux pupilles qui, par la conduite, le travail, l’esprit d’ordre et d’économie, pouvaient être données en exemple [115] ». Événement rare, qui vient reconnaître un parcours devant mener à une bonne intégration sociale de la pupille.

Conclusion

90C’est ainsi que les inspecteurs qui se sont succédé à la tête du service des Enfants assistés du département de l’Ain ont rendu compte de leur activité et du comportement des pupilles dont ils avaient la charge. Leurs discours se superposent souvent, se distinguent parfois, par exemple lorsque la rigidité de l’un fait écho au paternalisme lyrique de l’autre, mais leurs discours ne s’entrechoquent pas. Notables de province, loin de la capitale et de ses débats enflammés, ils ne sont cependant pas coupés des enjeux et des polémiques dont ils donnent parfois un reflet dans leurs rapports. Mais, en charge d’une question sociale importante et très concrète au quotidien, ils se veulent responsables, au service à la fois de l’État et des pupilles. L’esprit des lois et l’action concrète des inspecteurs ont permis d’améliorer, durant cette période 1871-1914, les conditions d’accueil des pupilles. Mais leurs conditions de vie restent dures, et l’incompréhension entre eux et les inspecteurs fréquente. Sans doute la distance sociale et culturelle entre les uns et les autres est-elle très importante.

91Dans ce département rural, les pupilles adolescents assurent par leur travail la relève des bras qui font défaut dans le monde agricole. Leurs parcours divergent parfois durant l’adolescence, oscillant entre docilité et rébellion, entre violence subie et violence exercée, les deux pouvant d’ailleurs se succéder. Quel avenir attend ces enfants dans le département de l’Ain ? L’engagement dans l’armée pour quelques garçons, le mariage précoce pour quelques filles mineures, ne doivent pas cacher que c’est un avenir marqué par la pauvreté, souvent avec le statut de domestique ou de journalier, qui leur est réservé. Par un autre travail, nous avons pu observer que les pupilles qui accèdent au mariage dans les villages du Bugey (département de l’Ain), dans la petite ville de Bourg-en-Bresse ou à Lyon, appartiennent, ainsi que leurs conjoints, aux milieux les plus défavorisés (Brunet et al., 2006). Quant à ceux qui ne se marient pas, comme le redoutait l’inspecteur Anselin, ils disparaissent sans laisser de traces autres que dans les archives judiciaires lorsque leur adolescence difficile est suivie d’actes de délinquance.

92Le département de l’Ain n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, et chaque département, en fonction de son contexte démographique ou social (besoin de main-d’œuvre agricole ou artisanale, niveau de natalité et de mortalité …), a pu connaître des situations un peu différentes en ce qui concerne la prise en charge et le destin des enfants abandonnés. Aussi, sommes-nous incités à éviter de globaliser et de considérer que tous les enfants confiés aux inspecteurs ont connu un destin similaire [116]. Les relations avec l’inspecteur et la personnalité de celui-ci, les rapports avec l’employeur et sa famille, le caractère des enfants eux-mêmes, le contexte local, ont pu autoriser des trajectoires individuelles diversifiées. Nous espérons que la prolongation de ce travail, et notamment la reconstitution des itinéraires individuels de quelques centaines d’enfants assistés du département de l’Ain tout au long de leur vie, permettra de cerner plus précisément cette réalité.

Notes

  • [1]
    Venant quelques années après la création du corps (fonction publique nationale) des inspecteurs des Enfants assistés, la loi Roussel de 1874 précisait la définition des enfants placés sous la protection de l’État et les obligations de celui-ci, notamment sur le plan financier. Elle a aussi permis d’unifier les pratiques, en particulier en ce qui concerne les obligations des familles nourricières. La loi de « protection des enfants maltraités et moralement abandonnés » de 1889 rendait possible, par décision de justice, la déchéance de l’autorité paternelle et le placement de l’enfant ayant besoin d’être protégé au sein du service des Enfants assistés.
  • [2]
    Les rapports annuels présentés devant le conseil général de l’Ain forment une collection de volumes (non cotés) conservés dans la série N des Archives départementales de l’Ain. Manuscrits pour les plus anciens, ces volumes sont imprimés depuis 1840. Nous tenons à remercier Mme Beaume, directrice des Archives départementales, pour nous avoir grandement facilité l’accès à ces documents.
  • [3]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1878, p. vi-vii.
  • [4]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1886, p. 176.
  • [5]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1889, p. 383.
  • [6]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1895, p. 264.
  • [7]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1879, p. xv.
  • [8]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1883, p. 245.
  • [9]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1887, p. 249.
  • [10]
    Idem.
  • [11]
    Idem.
  • [12]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1903, p. 483.
  • [13]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1904, p. 26.
  • [14]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882,p. xxii-xxiii.
  • [15]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1883, p. 301.
  • [16]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1883, p. 307.
  • [17]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1908, p. 452.
  • [18]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1880, p. xxvii.
  • [19]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1880, p. xxv.
  • [20]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1885, p. 224.
  • [21]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1879, p. xv.
  • [22]
    Idem.
  • [23]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1887, p. 249.
  • [24]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1886, p. 188.
  • [25]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1905, p. 377.
  • [26]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxiv.
  • [27]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1911, p. 525.
  • [28]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1887, p. 248. L’amaurose est une perte complète de la vue, en général due à une lésion de la rétine ou du nerf optique. Cette cécité peut être transitoire ou définitive (www. vulgaris-medical/ encyclopedie/ amaurose).
  • [29]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1880, p. xv.
  • [30]
    Idem.
  • [31]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1881, p.xix.
  • [32]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p.xxv.
  • [33]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1885, p. 213.
  • [34]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1895, p. 266.
  • [35]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1911, p. 527.
  • [36]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1910, p. 372-373.
  • [37]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1883, p. 303.
  • [38]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1888, p. 283.
  • [39]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1903, p. 480.
  • [40]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1909, p. 506.
  • [41]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1894, p. 292.
  • [42]
    Idem.
  • [43]
    Idem.
  • [44]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1907, p. 260.
  • [45]
    AD O1, série X, Dossier individuel de Marie-Louise X…
  • [46]
    AD 01, série X, Dossier individuel de Marie-Louise X… Sur ce thème, on peut consulter (Sohn, 1998).
  • [47]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1894, p. 292.
  • [48]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1890, p. 302.
  • [49]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1895, p. 265.
  • [50]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1889, p. 383.
  • [51]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1880, p. xvi.
  • [52]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1880, p. xxi.
  • [53]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1881, p. xxviii.
  • [54]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1886, p. 188.
  • [55]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1889, p. 383.
  • [56]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1896, p. 306.
  • [57]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1890, p. 290.
  • [58]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1905, p. 376.
  • [59]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1906, p. 333.
  • [60]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1890, p. 302.
  • [61]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1891, p. cclxxix.
  • [62]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1911, p. 527.
  • [63]
    Idem.
  • [64]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1890, p. 302. La Cluse est un village situé à proximité de Nantua, dans le Bugey (partie Est du département de l’Ain).
  • [65]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1913, p. 521.
  • [66]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1914, p. 314.
  • [67]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxiii.
  • [68]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1887, p. 248.
  • [69]
    Cité in (Guillon, 2002, 139).
  • [70]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1891, p. cclxxix.
  • [71]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1894, p. 295.
  • [72]
    Voir une description, peut-être excessive, dans (Rouanet, 1992, 239-274).
  • [73]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1912, p. 488.
  • [74]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1914, p. 315.
  • [75]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1804, p. 21.
  • [76]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1910, p. 374.
  • [77]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1913, p. 522.
  • [78]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1892.
  • [79]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1894, p. 295.
  • [80]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1906, p. 478.
  • [81]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1895, p. 266.
  • [82]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1879, p. xvi.
  • [83]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1894, p. 295.
  • [84]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1891, p. cclxxix.
  • [85]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1893, p. 294.
  • [86]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1881, p. xxix.
  • [87]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxiii.
  • [88]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1883, p. 307.
  • [89]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxix.
  • [90]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1879, p. xxv.
  • [91]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxix.
  • [92]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1879, p. xxvi.
  • [93]
    Idem.
  • [94]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxviii.
  • [95]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxviii.
  • [96]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxx.
  • [97]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1881, p. xxviii
  • [98]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1886, p. 180.
  • [99]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxxi.
  • [100]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1879, p. xix.
  • [101]
    Idem.
  • [102]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1882, p. xxii.
  • [103]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1886, p. 226.
  • [104]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1883, p. 308.
  • [105]
    Idem.
  • [106]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1891, p. cclxxix.
  • [107]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1894, p. 296.
  • [108]
    AD 01, série X, Dossier individuel de Georges M….
  • [109]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1904, p. 20.
  • [110]
    Idem.
  • [111]
    Depuis la loi du 20 septembre 1792, la majorité légale est fixée à 21 ans pour les filles comme pour les garçons. En revanche, le Code civil de 1804 fixe la majorité matrimoniale à 21 ans pour les filles mais à 25 ans pour les garçons, ceux-ci ayant besoin du consentement paternel jusqu’à cet âge. Les enfants assistés font exception à cette règle. En effet, les pupilles qui ont atteint l’âge de 21 ans sont dispensés, d’après l’article 160 du Code civil, de demander le consentement de l’administration et agissent donc de leur seule autorité.
  • [112]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1880, p. xxxi.
  • [113]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1906, p. 335.
  • [114]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1911, p. 528.
  • [115]
    AD 01, Série N, Rapport de l’inspecteur des Enfants assistés, année 1911, p. 529.
  • [116]
    Au terme de son étude sur les enfants assistés du département de la Seine, I. Jablonka souligne que, en dépit des efforts de la Troisième République, l’action de l’Assistance publique n’a pas permis d’affranchir les pupilles de leurs servitudes ancestrales, les cas d’ascension sociale restant rares, voire exceptionnels. L’auteur conclut ainsi à l’échec de la volonté républicaine (Jablonka, 2006, 297).
Français

Résumé

Ce travail repose sur l’analyse des rapports remis annuellement par les inspecteurs du service des Enfants assistés au conseil général du département de l’Ain. Par les thèmes mis en avant, par la longueur des développements, ces documents nous éclairent sur les préoccupations des inspecteurs, sur les relations qu’ils entretiennent avec les pupilles et sur la perception qu’ils ont de ceux-ci. Les inspecteurs nous livrent ainsi, de manière synthétique et filtrée, une vision qui nous permet d’appréhender les parcours des pupilles adolescents et de percevoir des réalités quotidiennes largement partagées (scolarité, activité, économies), mais aussi des comportements contrastés (violences, subies ou exercées, problèmes de santé, grossesse naturelle ou mariage précoce).

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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/06/2008
https://doi.org/10.3917/adh.114.0099
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