CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La population québécoise contemporaine compte environ 6 millions de francophones qui sont en grande majorité des descendants des quelque 10 000 immigrants français qui se sont installés en Nouvelle-France entre la fondation de la ville de Québec en 1608 et la conquête anglaise officialisée par le traité de Paris de 1763 (Charbonneau et al., 1987). Après cette période, l’immigration française au Québec a été négligeable et les Canadiens-français installés majoritairement dans les régions situées de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent ont connu une croissance démographique rapide, soutenue principalement par un taux de fécondité élevé (Henripin et Péron, 1973).

2 Au cours du xixe siècle, la pression démographique induite par cette croissance importante a entraîné un surpeuplement et un manque de terres et conduit à l’ouverture de nouvelles régions (Bouchard et Tremblay, 1995). C’est le cas par exemple du Saguenay-Lac-Saint-Jean (SLSJ), une région située à 200 kilomètres au nord de la ville de Québec, dont le peuplement a débuté vers 1840 avec l’arrivée de pionniers provenant d’abord en majorité de la région avoisinante de Charlevoix puis subséquemment d’autres régions de la vallée laurentienne. La population est ainsi passée d’environ 5 000 habitants en 1850 à 278 000 aujourd’hui, après avoir atteint un sommet de 297 000 en 1995 (Pouyez et Lavoie, 1983 ; Duchesne, 1997).

3 En 1971, l’historien Gérard Bouchard et son équipe à l’Université du Québec à Chicoutimi ont entrepris la reconstitution de la population du SLSJ depuis ses origines en informatisant et en jumelant les 660 000 actes de baptêmes, mariages et sépultures conservés dans les registres paroissiaux et dans ceux de l’état civil. Ceci a conduit à la création du fichier de population BALSAC et à la réalisation de plusieurs études à caractère multidisciplinaire qui ont permis l’acquisition de connaissances uniques et approfondies sur l’histoire démographique et sociale du SLSJ (Bouchard et al., 1986). Au cours des années 1980, un important programme de recherche en génétique s’appuyant sur les données du fichier BALSAC a été mis en place (voir, entre autres, les travaux de Bouchard, 1984 ; Gradie et Gauvreau, 1987 ; Bouchard, 1988 ; Bouchard et al., 1988a ; Gradie et al., 1988 ; Bouchard et de Braekeleer, 1991). Ces travaux ont permis la réalisation de projets portant sur plusieurs maladies à caractère héréditaire, en collaboration avec des chercheurs du milieu biomédical – citons, par exemple, les travaux de Bouchard et al., 1988b, et ceux de Mathieu et al., 1990, sur la dystrophie myotonique, les travaux de Bouchard et al., 1984 et 1985, sur la tyrosinémie et le rachitisme vitamino-dépendant – et ont conduit à d’intéressantes découvertes concernant l’impact des comportements démographiques et des caractéristiques du peuplement sur la diffusion de ces maladies dans les populations étudiées.

4 En continuité avec ces travaux, nous avons débuté un projet de recherche portant sur la démographie génétique des populations régionales du Québec et visant à effectuer une analyse comparative de la composition et de l’évolution des bassins génétiques de l’ensemble des régions de la province à l’aide de reconstitutions généalogiques. Nos travaux ont pour but de mesurer, d’analyser et de comparer divers indices d’homogénéité ou d’hétérogénéité génétiques dans ces populations et de décrire les composantes et les modalités de la stratification du pool génique québécois suite à l’effet fondateur initial. Les premiers travaux, qui ont porté sur une analyse de 14 corpus régionaux, ont permis de vérifier qu’il existe une coupure assez nette entre les régions de l’est et de l’ouest de la province et ont fait ressortir que les différences régionales de consanguinité et d’apparentement s’accentuaient nettement entre les quatrième et huitième générations (Tremblay et al., 2001). Suite à l’enrichissement des corpus généalogiques, les recherches se poursuivent et portent maintenant sur 26 régions et sous-régions du Québec.

5 Cet élargissement du corpus à l’ensemble de l’écoumène québécois permet de comparer certaines caractéristiques démogénétiques de la population du SLSJ avec celles des autres populations régionales. En effet, comme nous l’avons vu, la majorité des travaux de démographie génétique réalisés au Québec ont porté sur la région du SLSJ. Cette situation, conjuguée à l’observation d’une fréquence accrue de certaines maladies héréditaires, a conduit certains à prétendre que le Saguenay présentait un profil génétique particulier et peu enviable qui résulterait de mariages consanguins entre apparentés proches dans un contexte de population isolée (Bouchard, 2003, 2004 ; CORAMH, 2003). Bien que les résultats de travaux antérieurs contredisent ces affirmations, ces fausses croyances perdurent encore aujourd’hui et elles ont malheureusement conduit à une certaine stigmatisation de la population du SLSJ. Dans ce contexte, l’un des objectifs spécifiques de nos analyses est de faire ressortir les liens généalogiques et génétiques qui unissent la population du SLSJ à celle des autres régions du Québec. Pour ce faire, l’apparentement biologique au sein de la population saguenayenne est analysé à l’aide des coefficients de consanguinité et de parenté. Les résultats sont par la suite comparés à ceux obtenus pour les autres régions du Québec afin de montrer ce que les analyses génétiques réalisées à partir de données généalogiques peuvent ajouter à la compréhension de l’histoire démographique du peuplement des régions du Québec et de ses conséquences sur la structure génétique des populations régionales contemporaines.

Constitution de l’échantillon et caractéristiques des généalogies

6 Le découpage du territoire québécois en 26 régions a été effectué à l’aide de critères relevant de la géographie et des caractéristiques historiques du peuplement. Ces régions sont représentées à la figure 1. La colonisation de certaines régions remonte au début du xviie siècle, alors que d’autres régions n’ont été ouvertes au peuplement qu’au début du xxe siècle. En effet, le peuplement s’est d’abord effectué dans les régions de Québec, Trois-Rivières (Mauricie) et Montréal puis peu à peu dans toute la vallée du Saint-Laurent sur les terres concédées par les seigneurs. C’est ainsi qu’en 1759, à la fin du Régime français, environ 70 000 personnes vivaient dans la vallée du Saint-Laurent et de ses principaux affluents (Charbonneau et al., 2000). Dans la dernière partie du xviiie siècle, le Québec devient une terre de refuge pour quelques milliers d’Acadiens qui s’installent en bonne partie en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine puis pour des Loyalistes américains qui vont aussi en Gaspésie ainsi qu’en Estrie. Dès le xixe siècle, l’occupation des terres le long du Saint-Laurent atteint un point de saturation et l’arrière-pays situé sur les contreforts des Laurentides au nord et des Appalaches au sud s’ouvre au défrichage et au peuplement. De nouvelles régions sont aussi occupées : ainsi, entre 1840 et 1911, plus de 30 000 immigrants s’établissent au SLSJ en provenance principalement de la région voisine de Charlevoix mais aussi d’autres régions, dont la Côte-du-Sud et le Bas-Saint-Laurent.

Fig. 1

Le Québec en 26 régions

Fig. 1

Le Québec en 26 régions

Ce découpage territorial recouvre la quasi-totalité de l’écoumène québécois.

7 Des échantillons généalogiques d’individus mariés entre 1935 et 1974 ont été formés pour chacune des 26 régions, à raison de 90 généalogies par région. Les sujets de départ des généalogies ont été sélectionnés aléatoirement dans les répertoires de mariages provenant des diverses régions étudiées ainsi que parmi les données disponibles dans le fichier balsac-retro (Jomphe et Casgrain, 1997). Un seul conjoint par mariage a été retenu pour former les échantillons. Comme le corpus généalogique a été constitué avec le but explicite d’effectuer des comparaisons entre les régions, un nombre égal de généalogies a été sélectionné dans chaque région sans égard à la variabilité de la taille des diverses populations régionales du Québec. Ceci facilite les comparaisons mais empêche de considérer la structure globale de l’échantillon comme étant représentative de la population québécoise dans son ensemble.

8 Les corpus généalogiques ne contiennent aucune paire de sujets apparentés au 1er degré et toutes les généalogies sont complètes au moins jusqu’à la 2e génération (celle des grands-parents). La reconstitution des généalogies a été effectuée en remontant, dans la mesure du possible, jusqu’aux premiers immigrants, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, jusqu’au xviie siècle. Les sources utilisées pour la constitution de ce corpus sont le fichier-réseau de population BALSAC (Bouchard, 2003b), le Registre de population du Québec ancien (Desjardins, 1998) ainsi que divers répertoires de mariages et dictionnaires généalogiques. Toutes les reconstitutions généalogiques ont été intégrées dans le fichier généalogique BALSAC-RETRO. Des procédures de vérification et de validation ont été appliquées afin d’assurer une qualité optimale des données (Jomphe et Casgrain, 1997).

9 Pour chaque région, la structure des corpus généalogiques a été analysée à l’aide d’indices de complétude et d’homogénéité. L’indice de complétude utilisé est la profondeur moyenne (P) qui correspond à la génération moyenne à laquelle les branches des généalogies d’un groupe donné s’interrompent. Elle se calcule de la façon suivante où :

equation im2
g = niveau de la génération (celle des parents des sujets étant la première),
m = niveau de génération maximal,
Ag = nombre de mentions d’ancêtres retracées à la génération de niveau g,
N = nombre de généalogies.

10 L’homogénéité des corpus généalogiques a été estimée en établissant le rapport entre le nombre total d’ancêtres identifiés (mentions) et le nombre d’ancêtres distincts correspondants. En effet, chaque ancêtre peut apparaître plus d’une fois dans les généalogies et on obtient le nombre total d’ancêtres identifiés en comptant un ancêtre à chaque fois qu’il apparaît alors que le nombre d’ancêtres distincts s’obtient en comptant chaque ancêtre une seule fois, indépendamment de son nombre d’apparitions. Le rapport entre ces deux quantités donne un aperçu de la concentration des ancêtres et donc de l’intensité des liens d’apparentement existant entre les individus de chaque corpus régional.

11 Les résultats de ces calculs sont présentés au tableau 1. Les régions ont été placées selon leur emplacement géographique en allant de l’ouest à l’est de la province. On constate que la profondeur moyenne des branches généalogiques se situe entre 9,0 et 9,9 générations pour 23 des 26 régions ce qui signifie que l’on remonte chaque branche sur une durée moyenne de 275 à 300 ans (Tremblay et Vézina, 2000). Trois régions ont une profondeur un peu plus faible soit l’Outaouais (8,2), région frontalière avec l’Ontario où ont sans doute été célébrés et enregistrés plusieurs mariages entre Québécois et Franco-Ontariens, les Îles-de-la-Madeleine (8,6) peuplées majoritairement par des Acadiens, et la Gaspésie (8,3) qui a accueilli aussi plusieurs Acadiens après la Déportation ainsi que des Loyalistes après la Guerre d’Indépendance américaine. Dans les trois cas, cette plus faible complétude généalogique s’explique donc sans doute par un accès plus difficile aux sources généalogiques.

Tab. 1

Caractéristiques de la structure des 26 corpus généalogiques régionaux

Régions Profondeur généalogique moyenne Nombre d'ancêtres
(1)
Nombre d'ancêtres distincts
(2)
(1) / (2)
Abitibi 9,6 222 608 29111 7,6
Témiscamingue 9,4 200 218 29734 6,7
Outaouais 8,2 161 242 22553 7,1
Laurentides 9,4 191 312 24126 7,9
Rive-Nord-de-Montréal 9,0 166 800 21803 7,7
Laval 9,3 177 184 24797 7,1
Lanaudière 9,3 186 744 24658 7,6
Île-de-Montréal 9,1 181 502 29676 6,1
Rive-Sud-de-Montréal 9,1 178 254 25858 6,9
Richelieu 9,2 187 258 27850 6,7
Estrie 9,2 187 434 26229 7,1
Mauricie 9,2 174 060 23013 7,6
Bois-Francs 9,5 192 550 24687 7,8
Portneuf 9,3 175 098 18224 9,6
Lévis-Lotbinière 9,5 200 930 20846 9,6
Ville de Québec 9,4 204 610 24246 8,4
Environs de Québec 9,5 201 420 23181 8,7
Côte-de-Beaupré 9,8 236 192 19122 12,4
Beauce 9,8 221 550 14197 15,6
Côte-du-Sud 9,6 210 360 17042 12,3
Charlevoix 9,7 248 310 11723 21,2
Saguenay-Lac-Saint-Jean 9,9 263 936 15520 17,0
Côte-Nord 9,3 231 424 15387 15,0
Bas-St-Laurent 9,1 183 546 15424 11,9
Gaspésie 8,3 154 040 14360 10,7
Iles-de-la-Madeleine 8,6 160 378 4698 34,1
Moyenne 9,3 196 114 21079 10,8

Caractéristiques de la structure des 26 corpus généalogiques régionaux

Source : Fichier BALSAC-RETRO

12 On retrouve aussi au tableau 1 le nombre total d’ancêtres retrouvés dans chaque corpus, le nombre d’ancêtres distincts correspondant et le rapport entre ces deux quantités. Le nombre total d’ancêtres retrouvés varie de façon assez importante passant de 154 040 en Gaspésie à 263 936 au SLSJ. On remarque l’existence d’un lien, assez prévisible cependant, entre la profondeur des généalogies dans une région et le nombre d’ancêtres retrouvés. Ce lien disparaît complètement lorsqu’on s’intéresse au nombre d’ancêtres distincts qui est plutôt caractérisé par un gradient géographique puisque le nombre d’ancêtres distincts va en diminuant d’ouest en est. Ainsi, dans presque toutes les régions situées à l’ouest de la ville de Québec, les corpus généalogiques contiennent plus de 23 000 ancêtres alors que les régions situées à l’est en contiennent moins de 20 000. Les Îles-de-la-Madeleine s’illustrent de façon particulière avec moins de 5 000 ancêtres distincts. C’est aussi cette région qui possède l’indice d’homogénéité le plus élevé avec une moyenne de 34,1 apparitions pour chaque ancêtre. On constate aussi pour cette variable une nette différence entre les régions selon leur localisation géographique avec les valeurs les plus faibles dans l’ouest de la province, la ville de Montréal possédant la plus faible de toutes, des valeurs un peu plus élevées pour la ville de Québec et les régions avoisinantes et finalement une concentration des ancêtres plus marquée dans les régions de l’est de la province. En conclusion, l’indice de complétude présenté ici permet de constater que même si elle présente une certaine variabilité, la profondeur généalogique est assez semblable entre les régions pour effectuer des mesures d’apparentement qui seront comparables. Déjà, l ;;019;indice d’homogénéité montre que des différences assez importantes au sein de la population québécoise d’ascendance française seront observées à l’échelle régionale.

Les mesures de l’apparentement biologique

Apparentement et consanguinité

13 Dans une population, deux individus sont biologiquement apparentés lorsqu’ils partagent au moins un ancêtre. Sous l’angle de la génétique, ceci signifie que ces deux personnes ont une probabilité non nulle de porter des gènes identiques reçus de cet ancêtre commun. La reconstruction et l’étude des généalogies permettent de calculer l’intensité de l’apparentement qui unit deux ou plusieurs personnes ; plus la profondeur, soit le nombre de générations, d’une généalogie est élevée, plus on est susceptible d’identifier des ancêtres communs et donc des liens d’apparentement entre des individus mais ces liens, et donc la probabilité de partager des gènes identiques, seront de plus en plus faibles. En général, lorsqu’on mesure l’apparentement sur une profondeur assez restreinte soit jusqu’à 4 ou 5 générations d’ancêtres, on parle d’apparentement proche alors que pour un nombre de générations plus élevé on parlera plutôt d’apparentement éloigné.

14 La consanguinité est, quant à elle, une forme particulière de l’apparentement qui existe dans une population puisqu’elle représente l’apparentement des conjoints. La mesure de la consanguinité d’un individu correspond donc à celle de l’apparentement de ses parents. Du point de vue de la génétique, un individu issu d’une union consanguine, c’est-à-dire d’une union où les conjoints ont au moins un ancêtre en commun, aura une probabilité non nulle de posséder pour un gène donné deux allèles identiques reçus de cet ancêtre, un par la branche paternelle et l’autre par la branche maternelle de sa généalogie. La mesure de la consanguinité revêt un intérêt particulier dans l’étude des maladies héréditaires au sein d’une population, surtout celles qui ont un mode de transmission récessif puisque dans ce cas, les enfants de parents porteurs d’une même mutation délétère ont une chance sur quatre d’être atteints de la maladie. Comme pour l’apparentement, on établit une distinction entre la consanguinité proche et la consanguinité éloignée. L’étude de la consanguinité proche renseigne sur certaines modalités de choix du conjoint dans cette société alors que la consanguinité et l’apparentement éloignés sont plutôt le reflet de l’histoire démographique et de ses conséquences sur la structure généalogique et génétique d’une population.

Le coefficient de parenté

15 L’apparentement entre les individus au sein des 26 échantillons généalogiques est mesuré à l’aide du coefficient de parenté. Dans chaque groupe, le coefficient de chaque paire de sujets (Fi,j) est calculé selon la formule suivante (Thompson, 1986) :

equation im3
où :A = tous les ancêtres communs à i et j,
P = toutes les boucles qui unissent i et j et qui passent par A,
k = nombre d’individus inclus dans la boucle P,
F(A) = coefficient de consanguinité de A.

16 Le coefficient moyen de parenté intragroupe est établi pour chaque région en faisant la moyenne des 4 005 coefficients calculés [2]. De plus, afin de bien cerner l’évolution du phénomène, ce coefficient est calculé pour chaque profondeur générationnelle à partir de la troisième (i.e. en prenant tous les ascendants jusqu’aux arrière-grands-parents) jusqu’à la profondeur maximale (en prenant tous les ancêtres identifiés dans les généalogies). Nous nous intéressons aussi aux liens d’apparentement qui unissent les individus du SLSJ à ceux des autres régions. L’intensité de ces liens peut être établie à l’aide du coefficient de parenté intergroupe qui se mesure comme le coefficient intragroupe sauf que chaque paire d’individus est constituée d’un sujet du SLSJ et d’un sujet d’une autre région pour un total de 8 100 coefficients calculés (90 sujets du SLSJ avec les 90 sujets d’une autre région) pour chacune des 25 comparaisons effectuées (SLSJ vs chacune des 25 autres régions). Du point de vue de la génétique, chaque coefficient moyen représente la probabilité qu’un allèle choisi au hasard chez un individu du groupe pour un gène donné soit identique par ascendance (i.e. reçu du même ancêtre) à un autre allèle du même gène choisi au hasard chez un autre individu du groupe (Thompson et Neel, 1997). Cette mesure constitue donc une mesure de la distance génétique entre des individus.

Le coefficient de consanguinité

17 Comme le coefficient de consanguinité d’un sujet correspond au coefficient de parenté de ses parents, chaque individu d’un groupe possède un coefficient de consanguinité qui lui est propre. Le coefficient de consanguinité de chaque sujet de l’échantillon (FS) a été calculé selon la formule suivante :

equation im4
où i et j = les père et mère d’un sujet.

18 Il y a donc un coefficient calculé pour chacun des 90 individus de chacun des 26 corpus régionaux et pour chaque région, le coefficient moyen de consanguinité est obtenu en faisant la moyenne des 90 valeurs individuelles. Comme pour l’apparentement, ce calcul est effectué pour chaque profondeur générationnelle. Enfin, les proportions de sujets consanguins et de paires de sujets apparentés sont aussi mesurées dans chaque région et pour chaque niveau de génération. Tous les calculs ont été effectués à l’aide de la bibliothèque de fonctions GENLIB développée à partir du logiciel statistique S-Plus (2001).

L’apparentement au Saguenay-Lac-St-Jean

19 On retrouve au tableau 2 les coefficients moyens de parenté et de consanguinité au SLSJ pour chaque génération ainsi que la proportion de paires d’individus apparentés et de sujets consanguins. On constate que dès la 3e génération, il existe des liens de parenté entre les individus du SLSJ mais que le coefficient observé s’explique par la présence de liens dans moins de 1 % des 4 005 paires d’individus. L’apparentement augmente constamment jusqu’à la 13e génération mais c’est entre les 6e et 10e générations qu’on observe l’essentiel de l’accroissement du coefficient moyen. En ce qui concerne la proportion des paires d’individus apparentés i.e. partageant au moins un ancêtre en commun, l’augmentation se situe plutôt entre les 4e et 8e générations pour passer de 3 à 97 %. Par la suite, l’augmentation du coefficient s’explique non pas par l’ajout d’individus apparentés mais par l’identification de liens d’apparentement entre individus déjà apparentés. À partir de la 10e génération, chaque individu de l’échantillon du SLSJ partage au moins un ancêtre avec chacun des 89 autres.

Tab. 2

Mesures de parenté et de consanguinité à chaque profondeur générationnelle au Saguenay-Lac-Saint-Jean

Apparentement Consanguinité
Génération Coefficient (x104) Proportion des paires apparentées
(%)
Coefficient (x104) Proportion d'individus consanguins
(%)
3 1,44 0,6 0,00 0,0
4 2,66 3,2 3,47 2,2
5 5,06 18,7 8,25 8,9
6 9,82 68,3 15,25 38,9
7 18,36 88,8 25,09 78,9
8 35,15 97,1 44,39 95,6
9 58,13 99,8 69,48 100,0
10 73,66 100,0 85,30 100,0
11 77,21 100,0 88,77 100,0
12 77,65 100,0 89,19 100,0
13 77,68 100,0 89,22 100,0

Mesures de parenté et de consanguinité à chaque profondeur générationnelle au Saguenay-Lac-Saint-Jean

Source : Fichier BALSAC-RETRO

20 Il faut considérer quatre générations d’ancêtres, c’est-à-dire remonter jusqu’aux arrière-arrière-grands-parents des sujets, avant d’identifier des individus consanguins ; à ce niveau, seuls deux individus sur les 90 du groupe expliquent le coefficient observé. Pour toutes les générations, les coefficients de consanguinité sont légèrement plus élevés que les coefficients de parenté mais ils évoluent globalement de la même manière avec les augmentations les plus marquées entre les 6e et 10e générations. Les proportions d’individus consanguins, un peu moins élevées que celles des paires d’individus apparentés dans les premières générations, les rattrapent par la suite et atteignent même 100 % une génération plus tôt soit à la 9e.

21 Ces résultats montrent que les coefficients de parenté et de consanguinité proches ne constituent qu’une faible partie de l’apparentement global observé dans la population du SLSJ. En effet, le coefficient de parenté à la 5e génération ne représente que 6,5 % du coefficient total et celui de consanguinité qu’un peu plus de 9 %. La composante majeure des liens d’apparentement est donc plutôt de type éloigné. En effet, tous les sujets du SLSJ partagent au moins un ancêtre et donc une certaine proportion de leurs gènes, à tout le moins de façon probabiliste. C’est aussi l’ensemble des sujets qui sont issus d’une union consanguine. Nous allons maintenant vérifier si ces observations caractérisent de façon spécifique l’échantillon des individus mariés au SLSJ ou si elles concernent d’autres régions du Québec.

Comparaisons avec les autres populations régionales du Québec

22 Les coefficients de parenté et de consanguinité ont été mesurés pour tous les sujets de toutes les régions à toutes les profondeurs générationnelles. Les résultats présentés ici ne concernent que les 5e et 13e générations car l’objectif est de comparer l’intensité de l’apparentement total dans les régions et cet apparentement total ou maximal est atteint à la 13e génération. Le poids de l’apparentement proche dans les valeurs totales est évalué à partir des coefficients obtenus en considérant les cinq premières générations d’ancêtres. Les comparaisons entre les régions sont réalisées à l’aide de méthodes statistiques qui tiennent compte de la structure particulière des données généalogiques. En ce qui concerne l’apparentement, les tests classiques ne peuvent être utilisés à cause de la dépendance entre les mesures. Les tests d’hypothèses sont donc effectués en utilisant une procédure de bootstrap (Efron et Tibshirani, 1993). Le nombre de répétitions pour évaluer le niveau de signification est fixé à 5 000 pour obtenir une précision de 1,96 racine de (p (1-p) / 5 000) 95 fois sur 100. Le coefficient de consanguinité est, quant à lui, distribué approximativement selon une normale lorsqu’une transformation logarithmique lui est appliquée et les valeurs sont indépendantes puisqu’il y a une mesure par sujet. Les comparaisons sont donc effectuées à l’aide d’un test de Student sur les coefficients transformés.

23 Les résultats des calculs de coefficients de parenté se trouvent à la figure 2. Comme au tableau 1, les régions sont placées sur l’histogramme selon un gradient ouest-est en passant d’un côté et de l’autre du fleuve Saint-Laurent. Le coefficient maximal est indiqué pour chaque région ainsi que la part expliquée par l’apparentement proche (profondeur de 5 générations). On constate au premier coup d’œil une diversité importante des coefficients avec une dizaine de régions ayant des valeurs plus élevées et toutes les autres des valeurs nettement plus faibles. Les analyses statistiques viennent confirmer cette observation puisque près de 90 % des écarts observés entre les régions sont statistiquement significatifs. Cette variabilité concerne spécifiquement l’intensité des liens d’apparentement puisque le calcul des proportions de paires d’individus apparentés dans chaque région indique que dans 18 des 26 régions tous les sujets partagent au moins un ancêtre commun avec tous les autres alors que pour les 8 autres, cette proportion se situe entre 95 et 99 %.

Fig. 2

Coefficients de parenté aux 5e et 13e générations dans les régions du Québec

Fig. 2

Coefficients de parenté aux 5e et 13e générations dans les régions du Québec

Source : Fichier BALSAC-RETRO

24 On constate aussi à la figure 2 que les coefficients les plus forts se retrouvent tous dans les régions situées dans la partie est de la province (à droite sur l’histogramme) plus précisément à l’est de la région de Québec. Parmi ces régions, celle des Îles-de-la-Madeleine se démarque nettement. Avec un coefficient de 170 pour 10 000, elle surpasse largement les deux suivantes, Charlevoix et le SLSJ, qui ont respectivement des coefficients de 102 et 78 pour 10 000. Les six autres régions de l’est québécois ont des valeurs plus basses se situant entre 20 et 42 pour 10 000. Viennent ensuite les trois régions du centre situées autour de la ville de Québec qui ont des coefficients moyens entre 12 et 17 pour 10 000. Toutes les régions situées à l’ouest de la région de Québec, avec l’unique exception de la rive nord de Montréal ont des niveaux d’apparentement nettement plus faibles avec des coefficients entre 4 et 10 pour 10 000.

25 L’étude des valeurs d’apparentement à la 5e génération illustre encore le cas particulier que constituent les Îles-de-la-Madeleine. On observe pour les régions de l’est de la province des valeurs d’apparentement proche relativement élevées mais quelques régions situées au centre et à l’ouest de la province ont aussi des coefficients de parenté plus élevés que la moyenne. Le SLSJ occupe le 8e rang parmi l’ensemble des régions pour le coefficient de parenté à la 5e génération avec une valeur plus faible que celles observées en Outaouais et sur la Rive-Nord-de-Montréal, deux régions situées dans l’ouest de la province.

26 Les résultats de la figure 2 permettent aussi de comparer les parts relatives des apparentements proche et éloigné afin de mieux saisir, en plus de son intensité, la structure de l’apparentement dans chaque région. La part de l’apparentement proche est très variable passant de 4 % en Abitibi, une région du nord-ouest québécois, à 66 % dans la région de l’Outaouais située aussi dans l’ouest de la province à la frontière avec l’Ontario. Cette région se démarque d’ailleurs nettement de toutes les autres puisque dans les 3 autres régions ayant les proportions les plus élevées, les liens d’apparentement proche expliquent à peu près le tiers de la valeur totale. Ici aucun gradient géographique n’est présent et fait intéressant, au SLSJ, 6,5 % de l’apparentement est de type rapproché ce qui place la région avant-dernière parmi les 26 étudiées.

27 La figure 3 contient les résultats obtenus dans le calcul des coefficients de consanguinité des 2 340 sujets de l’échantillon en indiquant pour chaque région la part de la consanguinité qui est de type rapproché. Comme à la figure 2, les régions sont placées sur l’histogramme d’ouest en est et on remarque immédiatement que bien que les valeurs les plus élevées se retrouvent ici aussi dans les régions de l’est de la province, les écarts relatifs entre celles-ci et celles obtenues pour les autres régions québécoises sont beaucoup moins marqués. Ainsi, pour le coefficient de parenté les valeurs passaient de 4,1 pour 10 000 dans la région de Montréal à 170,7 pour 10 000, c’est-à-dire 40 fois plus, aux Îles-de-la-Madeleine. Les coefficients de consanguinité passent quant à eux d’une valeur minimale de 31,0 pour 10 000 en Outaouais à une valeur « seulement » 7 fois plus forte de 218,7 pour 10 000 aux Îles-de-la-Madeleine. Les analyses statistiques confirment cette observation car il y a une proportion beaucoup plus faible (autour de 40 %) de différences significatives entre les régions.

Fig. 3

Coefficients de consanguinité aux 5e et 13e générations dans les régions du Québec

Fig. 3

Coefficients de consanguinité aux 5e et 13e générations dans les régions du Québec

Source : Fichier BALSAC-RETRO

28 Les valeurs de consanguinité sont aussi, dans l’ensemble, plus élevées que celles d’apparentement. À la profondeur maximale, les valeurs observées les plus faibles pour la consanguinité sont plus de 8 fois plus élevées que les plus faibles coefficients de parenté. Cette dernière constatation est encore plus frappante si on regarde les valeurs d’apparentement et de consanguinité à la 5e génération ; en effet, la consanguinité proche est nettement plus élevée que l’apparentement proche dans la majorité des régions. De plus, ces valeurs, quoique relativement variables, d’une région à l’autre, ne présentent aucune particularité dans leur distribution géographique. Les valeurs les plus élevées se retrouvent aux Îles-de-la-Madeleine, en Gaspésie et dans Charlevoix, trois régions de l’est de la province. Cependant, si on fait abstraction des régions urbaines de Montréal et Québec, les valeurs les plus faibles se situent aussi dans cette partie de la province avec le coefficient le plus bas observé au SLSJ. C’est donc dans cette dernière région qu’on retrouve le niveau le plus faible de consanguinité rapprochée pour tout le Québec et le coefficient de consanguinité du SLSJ à cette profondeur est significativement différent de celui de 14 des 25 autres régions.

29 La situation est bien différente du côté de la consanguinité globale, c’est-à-dire celle qui est mesurée jusqu’à la profondeur maximale. On constate à la figure 3 que, comme pour l’apparentement, les valeurs les plus élevées se trouvent à l’est de la région de Québec où on retrouve les sept coefficients moyens régionaux les plus élevés. Seules les régions du Bas-Saint-Laurent et de la Côte-du-Sud font exception puisque plusieurs régions du centre et de l’ouest de la province présentent des coefficients plus élevés. Comme observé précédemment pour l’apparentement, les différences de consanguinité concernent son intensité plutôt que sa présence puisque les calculs montrent que dans 23 des 26 régions plus de 95 % des sujets sont issus d’une union consanguine. Seuls l’Outaouais, l’Estrie et le Richelieu, trois régions du sud-ouest québécois font exception avec des proportions qui sont tout de même de 84, 92 et 94 % respectivement.

30 La figure 3 nous indique aussi que le SLSJ se retrouve au cinquième rang pour le coefficient de consanguinité total et il est même troisième si on considère uniquement la composante éloignée de la consanguinité. En fait, c’est plus de 90 % de la consanguinité observée dans cette région qui est de type éloigné. Pour les autres régions de l’est québécois, ces proportions sont plutôt de 60 à 80 %, dans celles situées autour de la ville de Québec et en Gaspésie, elles vont de 40 à 60 % alors que dans le centre et l’ouest de la province elles se situent entre 25 et 40 % avec une valeur minimale de 15 % pour la région de l’Outaouais.

Mesure de l’apparentement entre la population du SLSJ et les autres populations régionales du Québec

31 Pour compléter cette étude comparative de l’apparentement au SLSJ, l’apparentement intergroupe entre les sujets du SLSJ et ceux de chacune des 25 autres régions a été mesuré et les résultats ont été comparés à l’apparentement intragroupe observé parmi les sujets du SLSJ. Les résultats obtenus à la profondeur maximale, c’est-à-dire en considérant l’ensemble des ancêtres présents dans les généalogies, sont présentés à la figure 4. Les coefficients des 25 régions ont été regroupés en 4 classes selon l’intensité de leur apparentement aux sujets du SLSJ.

Fig. 4

Coefficients de parenté entre la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean et les autres populations régionales du Québec

Fig. 4

Coefficients de parenté entre la population du Saguenay-Lac-Saint-Jean et les autres populations régionales du Québec

Source : fichier BALSAC-RETRO

32 C’est avec la région de Charlevoix que les liens de parenté sont les plus importants et le coefficient intergroupe Charlevoix-SLSJ qui est de 85,4 pour 10 000, est même plus élevé que le coefficient intragroupe SLSJ (77,7 pour 10 000), ce qui indique qu’en moyenne un sujet du Saguenay est plus apparenté à un sujet de Charlevoix qu’à un autre sujet du SLSJ. Le coefficient intergroupe avec la région de la Côte-Nord est aussi relativement élevé. Pour cette région située tout près du SLSJ et peuplée assez récemment, l’importance de l’apparentement intergroupe reflète sans doute à la fois des mouvements de population entre le SLSJ et la Côte-Nord et le partage d’ancêtres communs parmi les fondateurs de Charlevoix. C’est aussi l’histoire du peuplement de Charlevoix qui pourrait expliquer l’importance de l’apparentement entre le SLSJ et la Côte-de-Beaupré car une très grande partie des pionniers du SLSJ est venue de Charlevoix et plusieurs des fondateurs de cette dernière région, peuplée à la fin du xviiie siècle, étaient quant à eux originaires de la région voisine de la Côte-de-Beaupré.

33 Dans la seconde classe de coefficients, on retrouve les régions du centre-est de la province ainsi que l’Estrie au sud du Québec et l’Abitibi au nord-ouest. Dans la classe suivante, ce sont surtout les régions du centre ainsi que la Gaspésie et le Témiscamingue. Les sujets du SLSJ sont plus faiblement apparentés avec ceux des régions de l’ouest et des Îles-de-la-Madeleine. On constate donc une tendance à la diminution de l’intensité des liens d’apparentement avec l’augmentation de la distance géographique entre le SLSJ et les diverses régions. À noter que pour 9 des 25 régions étudiées, l’apparentement intergroupe des sujets avec ceux du SLSJ est plus important que l’apparentement intragroupe, c’est-à-dire celui que l’on observe parmi les sujets d’une région. C’est le cas, entre autres, pour les villes de Québec et de Montréal ainsi que pour la Côte-Nord, l’Abitibi et le Témiscamingue. Comme le peuplement de ces deux dernières régions date d’à peine un siècle, il serait intéressant de vérifier la présence de courants migratoires privilégiés en provenance du SLSJ. Il ressort donc de ces analyses que les frontières régionales constituent un des facteurs prédictifs de l’apparentement qui existe entre deux individus mais que l’histoire du peuplement et les mouvements de population au fil des siècles ont aussi façonné la structure généalogique de la population et ont un impact sur l’intensité des liens d’apparentement qui unissent les individus autant à l’intérieur qu’entre les régions.

34 Les mesures d’apparentement et de consanguinité présentées dans cette étude indiquent qu’il existe une diversité importante entre les régions du Québec et que certaines régions se distinguent très nettement des autres. Cependant, lorsque l’on considère les généalogies à leur profondeur maximale, on observe, dans l’ensemble des régions, des liens d’apparentement entre tous les sujets ou presque. Les sujets sont aussi à peu près tous issus d’une union consanguine c’est-à-dire d’une union où les conjoints partagent des ancêtres. Les différences observées entre les régions concernent donc plutôt l’intensité des liens d’apparentement plutôt que leur existence elle-même. Concernant l’histoire du peuplement du Québec, cette mesure de l’apparentement biologique indique donc que l’effet fondateur initial a indéniablement laissé sa marque ; mais elle montre aussi que des événements subséquents tels que l’ouverture de nouvelles régions au peuplement, les migrations internes et la venue d’autres immigrants ont amené un certain degré de diversification des bassins génétiques régionaux.

35 Les résultats démontrent également que la consanguinité proche, c’est-à-dire les mariages entre apparentés proches, n’est pas plus fréquente, loin s’en faut, au SLSJ que dans les autres régions du Québec. Il est donc absolument impossible de considérer que les modalités de choix du conjoint puissent constituer une explication possible à la fréquence accrue de certaines maladies héréditaires observée dans la région. Cependant, la consanguinité éloignée compte effectivement parmi les plus élevées, ce qui indique que ce sont plutôt les caractéristiques de l’histoire du peuplement de cette région qui constituent un facteur explicatif. Les conjoints sont apparentés à cause d’un effet de structure de la population qui s’explique par l’histoire démographique et qui fait que tous les individus de la population partagent des ancêtres et donc des gènes.

36 Dans le contexte de mutations rares telles que celles qui sont responsables de maladies héréditaires récessives, la fréquence de certaines mutations augmente d’abord à cause de l’effet fondateur initial. Puis, au fil des générations, sous l’effet de l’endogamie, la consanguinité éloignée devient de plus en plus importante, entraînant un risque accru que des conjoints soient porteurs de la même mutation reçue des ancêtres fondateurs et qu’ils la transmettent à leurs enfants. Il y aura donc plus d’individus atteints de ces maladies, non pas parce que les membres de la population portent plus de gènes nocifs, mais parce qu’ils portent les mêmes gènes nocifs, ce qui permet l’expression de la maladie.

37 Cette étude de l’apparentement intergroupe confirme l’existence de liens très forts entre le SLSJ et Charlevoix ce qui indique que ces deux régions peuvent jusqu’à un certain point être considérées comme un ensemble du point de vue génétique. Il faut cependant demeurer prudent car la région de Charlevoix ne reflète sans doute qu’une des composantes du bassin génétique saguenayen. Des travaux sur la différenciation intrarégionale de ce bassin génétique sont en cours afin de mieux le caractériser. Aussi, parmi les autres régions qui ont un coefficient d’apparentement intergroupe relativement élevé avec le SLSJ, on peut penser que le partage d’allèles que dénote cet apparentement pourrait inclure certains allèles responsables des maladies héréditaires. De plus, bon nombre de régions ont des niveaux d’apparentement et surtout de consanguinité semblables à ceux du SLSJ et l’on peut donc s’attendre, du moins en théorie, à retrouver des fréquences semblables de certaines maladies héréditaires dans ces régions.

38 Enfin, il importe de garder à l’esprit que si la division régionale du territoire est pratique et même incontournable à certains égards, elle ne constitue pas le seul niveau à prendre en compte. Ainsi, dans certains cas, ce pourrait être un regroupement de régions (pensons par exemple au SLSJ et à Charlevoix) ou même l’ensemble du Québec qui seraient touchés par certaines caractéristiques de l’histoire démographique. À l’inverse, il faudrait, pour certains phénomènes, travailler à une échelle plus fine comme celle des sous-régions ou même des villages ou des localités. Par exemple, au SLSJ, l’identification de micro-effets fondateurs pourrait aider à expliquer la distribution de certaines mutations. À terme, il sera possible de documenter les multiples effets fondateurs qui ont contribué à façonner le pool génique contemporain du Québec.

39 L’histoire démographique d’une population a un effet sur sa structure génétique contemporaine. Conséquemment l’étude de cette structure, notamment à partir de données généalogiques, renseigne sur divers aspects de l’histoire tels que certaines caractéristiques du peuplement initial ou l’importance et la variabilité des migrations interrégionales dans un contexte d’occupation progressive du territoire. Ici, une mesure génétique, soit celle de la parenté biologique effectuée à l’aide de données généalogiques et des méthodes de la démographie historique reliées à l’exploitation des fichiers de population, a permis d’approfondir les connaissances et de contribuer à dissiper certains malentendus concernant l’histoire démographique de la population du Saguenay-Lac-St-Jean.

Notes

  • [1]
    Les auteurs tiennent à remercier Ève-Marie Lavoie pour son soutien à la réalisation des analyses menant aux résultats présentés ici et à la préparation des tableaux et des figures permettant leur présentation. Ils remercient aussi le Réseau de médecine génétique appliquée du Fonds de recherche en santé du Québec ainsi que les Instituts de recherche en santé du Canada pour leur soutien financier.
  • [2]
    Un coefficient de parenté est calculé pour chaque paire de sujets de l’échantillon. Dans un échantillon contenant n sujets on peut former n*(n-1)/2 paires de sujets. Chacun des 26 échantillons régionaux compte 90 sujets et 4 005 paires de sujets peuvent donc être formées. Pour obtenir le coefficient moyen de parenté au sein de chaque échantillon régional, on fait la moyenne des 4 005 coefficients calculés.
Français

RÉSUMÉ

Cette étude s'inscrit au sein d'un programme de recherche visant à effectuer une analyse démogénétique des populations régionales du Québec à l'aide de reconstitutions généalogiques. Un objectif spécifique est de mesurer l'apparentement biologique au sein de la population du Saguenay-Lac-St-Jean (SLSJ) et de le comparer à celui obtenu pour les autres régions du Québec. Des échantillons généalogiques couvrant l'ensemble du territoire québécois ont été formés en remontant jusqu'aux premiers immigrants. Les mesures d'apparentement indiquent qu'il existe une diversité importante entre les régions. Concernant l'histoire du peuplement du Québec, ces mesures confirment que l'effet fondateur initial a indéniablement laissé sa marque mais aussi que des événements démographiques subséquents ont amené un certain degré de diversification des bassins génétiques régionaux. Les résultats démontrent également que la consanguinité proche n'est pas plus fréquente au SLSJ que dans les autres régions mais que la consanguinité éloignée compte parmi les plus élevées. La fréquence accrue de certaines maladies héréditaires au SLSJ n'est donc pas due aux modalités de choix du conjoint mais plutôt aux caractéristiques de l'histoire du peuplement de cette région. Ici, une mesure génétique, soit celle de la parenté biologique, a permis d'approfondir les connaissances et de contribuer à dissiper certains malentendus concernant l'histoire démographique de la population du Saguenay-Lac-St-Jean.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • En ligne Bouchard, Gérard (1984), « Nouvelles perspectives pour les recherches génétiques : Le fichier-réseau de la population du Saguenay », Annales de démographie historique, 81-87.
  • En ligne Bouchard, Gérard (1988), « Sur la distribution spatiale des gènes délétères dans la région du Saguenay (xixe-xxe siècles) », Cahiers de géographie du Québec, 32, 22-47.
  • Bouchard, Gérard (2003a), « Les stéréotypes ont la vie dure », Le Soleil, Québec, 21 février.
  • Bouchard, Gérard (2003b), Projet BALSAC -Rapport annuel 2002-2003, Chicoutimi, Québec,
    http:// www. uqac. ca/ balsac.
  • Bouchard, Gérard (2004), « Information génétique et risque de stigmatisation collective. L’exemple du Saguenay-Lac-St-Jean », Médecine/Sciences, 20, 933-934.
  • Bouchard, Gérard, De Braekeleer, Marc, dir. (1991), Histoire d’un génome. Population et génétique dans l'est du Québec, Presses de l'Université du Québec, Sillery.
  • En ligne Bouchard, Gérard, Laberge, Claude, Scriver, Charles (1984), « Étude démographique et généalogique de deux maladies héréditaires au Saguenay », Cahiers québécois de démographie, 13(1), 117-137.
  • Bouchard, Gérard, Laberge, Claude, Scriver, Charles (1985), « La tyrosinémie héréditaire et le rachitisme vitamino-dépendant au Saguenay : Une approche génétique et démographique », L’Union médicale du Canada, 114, 633-636.
  • En ligne Bouchard, Gérard, Laberge, Claude, Scriver, Charles (1988a), « Reproduction démographique et transmission génétique dans le nord-est de la province de Québec (xviiie-xxe siècles), European Journal of Population / Revue européenne de démographie, 4, 39-67.
  • Bouchard, Gérard, Roy, Raymond, Casgrain, Bernard (1986), « De la micro à la macro-reconstitution des familles : Le système SOREP », Genus, XLII, 33-54.
  • Bouchard, Gérard, Roy, Raymond, Declos, Manon, Kouladjian, Kevork, Mathieu, Jean (1988b), « La diffusion du gène de la dystrophie myotonique au Saguenay (Québec) », Journal de génétique humaine, 36, 221-237.
  • Bouchard, Gérard, Tremblay, Marc (1995), « Le peuplement francophone au Canada : survol historique et géographique (xviie-xxe siècles) », 309-343, in Français de France et Français du Canada. Les parlers de l'Ouest de la France, du Québec et de l'Acadie, éd. par le Centre d'études linguistiques Jacques Goudet, Lyon, Université Lyon III Jean Moulin.
  • Charbonneau, Hubert, Desjardins, Bertrand, Guillemette, André, Landry, Yves, Légaré, Jacques, Nault, François (1987), Naissance d'une population. Les Français établis au Canada au xviie siècle, Travaux et documents n? 118, INED, Paris, Montréal, Presses universitaires de France/Presses de l'Université de Montréal.
  • Charbonneau, Hubert, Desjardins, Bertrand, Légaré, Jacques, Denis, Hubert (2000), “The Population of the St-Lawrence Valley, 1608-1760”, 99-142, in A Population History of North America, M.R. Haines, R.H. Steckel (eds), Cambridge, Cambridge University Press.
  • Coramh (=Corporation de recherche et d’action sur les maladies héréditaires) (2003), « CORAMH précise », Le Quotidien, Chicoutimi, 22 janvier.
  • En ligne Desjardins, Bertrand (1998), « Le Registre de la population du Québec ancien », Annales de démographie historique, 2, 215-226.
  • Duchesne, Louis (1997), La situation démographique au Québec, Québec (Canada), Les Publications du Québec.
  • En ligne Efron, B., Tibshirani R. J. (1993), An Introduction to the Bootstrap, London, Chapman & Hall.
  • En ligne Gradie, Margaret I., Gauvreau, Danielle (1987), “Migration and Hereditary Disease in the Saguenay Population of Eastern Quebec”, International Migration Review, 21, 592-608.
  • En ligne Gradie, Margaret I., Jorde, Lynn B., Bouchard, Gérard (1988), “Genetic Structure of the Saguenay, 1852-1911 : Evidence from Migration and Isonymy Matrices”, American Journal of Physical Anthropology, 77, 321-333.
  • Henripin, Jacques, Péron, Yves (1973), “The Demographic Transition of the Population of Quebec”, 213-231, in Population and social change, D.V. Glass, R. Revelle (eds), London, Edward Arnold.
  • Jomphe, Michèle, Casgrain, Bernard (1997), Base de données généalogiques RETRO : structure des données, Chicoutimi (Québec), IREP, Programme de recherches en génétique des populations, Document III-C-97.
  • En ligne Mathieu, Jean, De Braekeleer, Marc, Prévost, Claude (1990), “Genealogical Reconstruction of Myotonic Dystrophy in the Saguenay-Lac-Saint-Jean area (Québec, Canada)”, Neurology, 40, 839-842.
  • Pouyez, Christian, Lavoie, Yolande (1983), Les Saguenayens. Introduction à l’histoire des populations du Saguenay, xvie-xxesiècles, Sillery, Presses de l’Université du Québec.
  • S-PLUS 6 for Windows Users Guide (2001), Insightful Corporation, Seattle, WA
  • Thompson, Elizabeth (1986), Pedigree Analysis in Human Genetics, Baltimore, John Hopkins University Press.
  • Thompson, Elizabeth, Neel, James (1997), “Allelic Disequilibrium and Allele Frequency Distribution as a Function of Social Demographic History”, American Journal of Human Genetics, 60, 197-204.
  • En ligne Tremblay, Marc, Jomphe, Michèle, Vézina, Hélène (2001), « Comparaison de structures patronymiques et génétiques dans la population québécoise », 367-389, in Le patronyme : histoire, anthropologie, société, éd. par G. Brunet, P. Darlu, G. Zei, Paris, CNRS-Éditions.
  • En ligne Tremblay, Marc, Vézina, Hélène (2000), “New Estimates of Intergenerational Time Intervals for the Calculation of Age and Origins of Mutations”, American Journal of Human Genetics, 66, 651-658.
Hélène VÉZINA
Marc TREMBLAY
Louis HOUDE
Groupe de recherche interdisciplinaire
en démographie et épidémiologie génétique,
Université du Québec à Chicoutimi
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Belin © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...