1Tout n'a-t-il pas déjà été dit sur l'Anthropocène ? Au début des années 2000 émerge la thèse d'une nouvelle division des temps géologiques définie par l'empreinte de l'homme sur la planète, présentée alternativement comme une ère, une période, une époque ou un âge [1]. Rarement une hypothèse aura été diffusée si rapidement, politiquement et scientifiquement, à l’échelle internationale. Non seulement il est déjà difficile de lire tout ce qui a été publié sur le sujet dans le monde entier, mais chaque nouveau texte se condamne à être suivi immédiatement de publications qui risquent de le rendre caduc. Trois revues scientifiques entièrement dédiées au sujet ont été créées [2]. En 2014, lors du congrès annuel de l'American Anthropological Association, treize sessions ont été consacrées à l'Anthropocène [3]. En 2019, le Museum of Natural History de Washington, rattaché à la Smithsonian Institution, ouvrira une section consacrée à cette nouvelle unité géochronologique non encore reconnue officiellement à ce jour [4].
2Lors du 35e International Geological Congress, organisé par l'International Union of Geological Sciences (Iugs) à Cap Town en Afrique du Sud en 2016, la reconnaissance des thèses anthropocéniques a marqué un point important, avec le vote à une très large majorité en faveur de la formalisation de l'Anthropocène et la présentation d'une série de recommandations en ce sens à la Subcommission on Quaternary Stratigraphy, l'une des seize sous-commissions de l'International Commission on Stratigraphy relevant de l'Iugs, dont dépend la décision finale [5]. Ce groupe de travail (Anthropocene Working Group) a la particularité de comprendre certes des géologues – son président Jan Zalasiewicz, Mark Williams, Colin Waters, etc. –, mais aussi des représentants d'autres disciplines : le chimiste Paul Crutzen, l'archéologue Matt Edgeworth, le philosophe Jacques Grinevald, l'historien de l'environnement John McNeill, l'historienne des sciences Naomi Oreskes, le spécialiste du système-Terre Will Steffen [6]. Le communiqué de presse détaille les conclusions présentées auprès de l'Iugs après le vote des trente-cinq membres de la sous-commission : l'Anthropocène est une réalité stratigraphique (trente-quatre oui, une abstention) qui doit être formalisée dans l’échelle des temps géologiques (trente oui, trois non, deux abstentions) sous la forme d'une époque (20.5 oui, contre deux pour une ère, 1.5 pour une période, un pour une sous-époque, deux pour un âge, un contre, trois incertains et quatre abstentions) qui commencerait autour de 1950 (28.3 pour, contre zéro pour 7 ka, 1.3 pour 3 ka, zéro pour 1610, zéro pour 1800, 1.3 pour 1964, quatre pour la diachronie, zéro incertain, zéro abstention) [7]. Contrairement à ce qui a pu être dit un peu rapidement par certains médias, l'Anthropocène n'a donc pas encore été reconnu officiellement par les autorités géologiques mondiales, mais il a franchi la première étape d'un long processus. Il est encore nécessaire d'identifier un signal stratigraphique robuste qui marquera, dans les couches géologiques, la fin de l'Holocène ; la date de 1950 a fait l'unanimité, mais elle correspond à une dizaine de marqueurs possibles, les retombées de plutonium n'ayant obtenu que dix voix sur trente-cinq [8]. La Subcommission on Quaternary Stratigraphy devra ensuite se pencher sur ces propositions et donner éventuellement son accord.
3Les historiens n'ont pas d'instance académique internationale qui fixerait une échelle des temps historiques identiques pour toutes les sociétés humaines. Ils sont cependant concernés au premier plan par le surgissement d'une nouvelle période géologique qui ne marquerait plus une césure dix mille ans auparavant comme le fait l'Holocène, mais au milieu du xxe siècle. Cette irruption temporelle a produit de nombreux arguments métaphysiques et politiques pour abolir la distinction entre l'histoire de la Terre et l'histoire humaine, mais quelle est leur pertinence épistémologique pour la compréhension des sociétés humaines ? Peut-on transposer une période géologique en une période historique sans appauvrir la force heuristique d'une science du changement appelée par l'historicisation des dynamiques matérielles ? La réponse engage la manière d’écrire l'histoire, le choix entre différents cadres analytiques et, plus fondamentalement, un projet de connaissance, soulevant trois interrogations majeures. Quels sont les arguments avancés pour découper l'histoire autrement ? Une généalogie fine révèle que, depuis les origines du débat, ils ont fortement varié, au point que l'Anthropocene Working Group a écarté certaines hypothèses dominantes. Quel est le point commun des thèses anthropocéniques ? Les critiques et les propositions alternatives portées par les sciences humaines et sociales ont créé une scène intellectuelle très hétérogène qui a fait l'unité périodique initiale. Des voies alternatives existent-elles alors pour enrichir en physicalité les seuils de l'histoire sans reprendre le concept de période géologico-historique ? L'intégration des processus environnementaux et climatiques apparaît comme un chantier pour repenser le changement social.
Pourquoi découper l'histoire autrement ?
4L'intégration des variations physiques dans la chronologie historique n'est pas une nouveauté absolue. La notion de « Petit Âge glaciaire » procède, dans les années 1950 et 1960, de la collaboration entre l'histoire et les sciences de la nature [9]. Pour autant, les thèses anthropocéniques vont nettement plus loin : l'identification des seuils physiques détermine de nouvelles unités périodiques dont la signification historique découle des changements environnementaux et climatiques planétaires.
La détermination de nouveaux seuils
5Le terme Anthropocène a été inventé et utilisé de manière informelle par l’écologue Eugene Stoermer à partir des années 1980, mais ce n'est qu'en 2000 qu'il prend le sens qui fera sa renommée, lorsque débute la collaboration d'E. Stoermer avec le prix Nobel de chimie P. Crutzen. Ensemble, ils avancent l'idée d'un nouveau seuil mettant fin à l'Holocène, défini par l'impact géologique et écologique des êtres humains à l’échelle globale et planétaire. La fin du xviiie siècle est retenue en raison de l'augmentation de la concentration de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) dans les carottes glaciaires, ce qui coïncide avec l'invention de la machine à vapeur par James Watt en 1784 [10]. Lorsque P. Crutzen publie, seul, son célèbre article dans Nature en 2000, la césure demeure identique mais les bulles d'air emprisonnées dans la glace polaire constituent désormais le seul indice, englobant une large gamme d'impacts des hommes sur l'environnement [11]. Certains se manifestent directement dans l'atmosphère, tels l'accroissement du bétail et le rejet de CH4, la déforestation et la libération de CO2, la consommation d’énergie et la production de dioxyde de soufre (SO2) ou le rejet de monoxyde d'azote (NO) par la combustion des énergies fossiles et de la biomasse. D'autres s'exercent sur l'environnement proche, tels l'augmentation de la population, la mise en valeur des terres et l'extinction des espèces, l'exploitation de l'eau douce ou le prélèvement en poissons. Les gaz à effet de serre provoquent les pluies acides, le smog photochimique et le changement climatique.
6La communauté scientifique internationale s'est très vite emparée de ces hypothèses pour les discuter et avancer d'autres datations, en amont et en aval de la fin du xviiie siècle [12]. Le paléoclimatologue William Ruddiman situe le changement climatique anthropogénique plusieurs milliers d'années auparavant, entre 8 000 et 5 000 ans av. J.-C., arguant que l'agriculture, l’élevage et les premières villes constituent déjà une modification globale de l'environnement qui se manifeste par l’émission de gaz à effet de serre [13]. Cette thèse sur l'impact des premiers agriculteurs a donné lieu à controverse car elle relativise les responsabilités de l’ère industrielle. Cependant, l'idée que les environnements sont profondément transformés depuis très longtemps par les humains – en fait, depuis les débuts de l'Holocène – est familière aux anthropologues [14]. À l'autre extrémité de la chronologie, une série de travaux défendent une coupure située au milieu du xxe siècle, marquée par plusieurs types d'indices [15]. Le test atomique de Trinity en juillet 1945, le premier mené par l'armée américaine, entraîne l'apparition de plutonium 239 dans les couches géologiques [16]. À partir de 1950, s'y multiplient les « technofossiles » tels l'aluminium, le ciment, les pesticides, les plastiques et surtout les dérivés des énergies fossiles, ces petites billes inorganiques de carbone qui se diffusent autour du monde [17]. Filant la métaphore, l'historien et écrivain Jared Farmer a imaginé des « fossiles du futur », mettant en scène son téléphone Blackberry Curve 8300, rebaptisé Ribus rubus curvus, comme archétype de ces objets à la durée de vie limitée que trouveront les archéologues dans l'avenir [18]. D'autres chercheurs ont conservé une datation médiane, mais légèrement différente. Remettant en cause la pertinence de l'indice de la concentration de CO2 dans l'atmosphère, Simon Lewis et Mark Maslin ont avancé la césure de 1610, qui s'inscrit dans une décrue significative du taux de CO2 entre 1570 et 1620. D'un point de vue géologique, 1610 serait le marqueur le plus net d'un changement d’époque dû aux conséquences catastrophiques de l'arrivée des Européens en Amérique : cinquante millions de morts entre 1492 et 1650, soixante-cinq millions d'hectares abandonnés qui redeviennent des pièges à CO2, une forte réduction de l'usage agricole du feu [19]. Ces hypothèses concurrentes ont conduit à la proposition de subdiviser la périodisation du changement anthropogénique ; Stephen Foley parle ainsi de Paleoanthropocene pour les périodes les plus anciennes, C. Waters et ses collègues d’Early Anthropocene [20]. Ces gradients font écho aux discussions sur les modalités d'inscription de l'Anthropocène dans l’échelle des temps géologiques comme ère, période, époque ou âge [21].
L'identification d'une unité périodique
7Comment expliquer que la chronologie des impacts humains à l’échelle globale donne lieu à des théories si discordantes, à plusieurs milliers d'années près ? Les divergences portent sur l'intensité des changements mais aussi sur la dimension englobante du marqueur retenu. Dès le départ, P. Crutzen entreprend de subsumer sous un même marqueur biogéochimique l'ensemble des phénomènes écologiques et climatiques à l’œuvre dans un intervalle de temps. Résumer le changement environnemental global par la concentration de CO2 dans l'atmosphère (et secondairement de CH4) est une forme de réductionnisme qui prête à discussion. Son premier article paru en 2000 proposait d'ailleurs de tenir compte aussi des communautés biotiques des systèmes lacustres, dont E. Stoermer était spécialiste, et par conséquent de changements environnementaux non planétaires [22]. Comment la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère est-elle reliée aux dynamiques d'origine locale telles que la déforestation, l’érosion des sols, la consommation d'eau douce, l’évolution de la biodiversité ou l'appauvrissement des sols par l'usage des engrais et des pesticides ? Les liens sont complexes et, quand ils existent, sont souvent du deuxième ou du troisième degré.
8La dimension historique a surgi sous la forme d'une réponse théorique à ces difficultés, en proposant un nouveau principe unificateur. La congruence entre période géologique et période historique repose en effet sur la thèse de l'humanité comme force géophysique globale [23]. Ce rapprochement résulte de la rencontre entre trois chercheurs et leur outillage disciplinaire respectif [24]. P. Crutzen apporte son expertise sur le rôle de la chimie dans le climat et sur la biogéochimie, notamment la photochimie de l'ozone dans la stratosphère et la troposphère. W. Steffen se situe dans le champ des sciences du système-Terre, c'est-à-dire des interactions entre l’écosystème terrestre et le changement global, le cycle complet du carbone, la prise en compte des processus humains dans les modélisations du système et l'analyse de sa soutenabilité. J. McNeill est historien de l'environnement, auteur de la première histoire environnementale globale du xxe siècle [25].
9La notion de système-Terre, qui n’était pas présente dans les premiers articles consacrés à l'Anthropocène, marque un tournant pour trois raisons [26]. Tout d'abord, le critère principal de datation devient le moment où l'impact des hommes sur la Terre dépasse les forces de la nature elles-mêmes, ce qui fait glisser le raisonnement du quantitatif au qualitatif, du poids respectif des différentes forces à l'idée d'une force dominante. L'analyse est à la fois systémique et normative ; les sociétés pré-Anthropocène avaient un impact sur l'environnement parfois considérable, mais celui-ci n'atteignait jamais cette intensité globale et demeurait donc local, régional, au mieux continental. Ensuite, la théorie du système-Terre abolit la séparation ontologique entre le monde physique et les sociétés puisque l'ensemble forme un tout en interaction constante et à toutes les échelles. Le terme « changement global » recouvre ici les changements biogéophysiques et socio-économiques, sous l'espèce de l'humanité comme acteur. Enfin, l'histoire légitime la concentration de CO2 en tant qu'unique marqueur de l'Anthropocène. L'usage des énergies fossiles est présenté comme le critère historique le plus signifiant, indiquant la fin des limites énergétiques de l’économie organique et ouvrant une série de changements (démographiques, sociaux, économiques, agricoles, mais ni politiques ni culturels, selon J. McNeill) qui définissent l'unité de la période. En retour, la concentration atmosphérique de CO2 en partie par million (ppm) permet d'affiner les seuils historiques. Ainsi, le début de l'Anthropocène est désormais fixé à 1800, et non plus à la date symbolique de l'invention du moteur à vapeur. À partir de 1945, la période entre dans une deuxième phase, nommée « grande accélération ». En somme, trois dimensions fonctionnent de manière conjointe, historique, géophysique et énergétique, et dans le système, chacune est à la fois cause, événement et conséquence. Cette congruence métabolique est à l'origine du projet de quantifier les flux matériels afin de décrire et de qualifier ces trois niveaux de changement envisageant l'humanité comme force géophysique globale.
Un label mobilisateur
10Avec les sciences du système-Terre, le concept d'Anthropocène gagne en robustesse scientifique et se met à accorder un rôle central aux sociétés humaines, ouvrant un espace de mobilisation publique. Les formules de « planète sous pression » et de « limites du système-Terre » deviennent les mots d'ordre des scientifiques pour impliquer les décideurs [27]. Un nouveau sens du futur apparaît, combinant le déjà-là de la force d'inertie du système et le à venir des réponses politiques, selon trois scénarios : le business as usual, l'atténuation ou la géo-ingénierie. Le passage du changement environnemental au changement climatique correspond au contexte des années 2000, marqué par la mobilisation internationale des climatologues contre le lobbying des climatosceptiques [28]. L'Anthropocène devient alors le label de la prise de conscience des origines humaines du réchauffement, malgré l'existence de niveaux d'analyse distincts et non exclusivement climatiques, ce qui pose plusieurs difficultés théoriques et empiriques.
11La notion de système-Terre ne répond qu'imparfaitement au risque de réductionnisme d'une variété de phénomènes en une mécanique unique. Le système est en effet constitué d'un ensemble de cycles. Pour un biologiste, les cycles de l'azote et du phosphore semblent sous-estimés par rapport à ceux du climat et des gaz à effet de serre ; l'usage des terres et le transport d'espèces peuvent même faire figure de facteur d'altération supérieur au changement climatique [29]. Pour d'autres, l'Anthropocène n'aurait pas encore commencé car les cycles naturels demeurent plus puissants que les modifications introduites par les hommes [30]. Dès lors, des discordances sont apparues entre la communauté des climatologues et celle des écologues, la lutte contre le changement climatique se faisant, pour certains, au détriment de la défense de la biodiversité [31].
12Du côté des historiens, le glissement de l'Anthropocène comme période géologique à l'Anthropocène comme période historique ne va pas de soi [32]. Lorsque le processus officiel de reconnaissance a été lancé auprès de l'Iugs, la discussion est devenue plus technique que le slogan mobilisateur des premières publications, creusant les écarts d'interprétation [33]. Les géologues exigent la synchronie – l'Anthropocène doit démarrer partout au même moment – et un golden spike (un « clou d'or »), c'est-à-dire un marqueur stratigraphique datable. Or pour l'historien, la synchronie n'est pas nécessaire ; c'est même plutôt l'exception : les Lumières ne débutent pas partout en même temps et apparaissent sous des formes diverses. Ces écarts, au lieu d'apparaître comme une faiblesse théorique, sont source d'intelligibilité. J. McNeill distingue ainsi un Anthropocène géologique et climatique d'un Anthropocène historique qui commencerait en différents lieux et à différentes époques, avant 1750 pour Venise ou la ville de Mexico, bien plus tard pour les aires isolées. La planète serait donc entrée dans l'Anthropocène autour du milieu du xviiie siècle, mais pas encore tout à fait intégralement, ce qui n'a pas de sens pour un géologue. S. Lewis et M. Maslin reprochent à la thèse de la révolution néolithique de reposer sur un marqueur – la présence de pollen fossile dû à l'invention de l'agriculture – trop local et manquant de synchronicité [34]. La notion de point stratotypique semble en revanche plus facilement assimilable pour les historiens habitués, grâce aux archéologues, à prendre en compte la présence des artéfacts humains dans les dépôts. L'apparition massive et globale de nouveaux matériaux vers 1950 (le béton, le plastique. . .) est une idée stimulante qui pourrait être intégrée à la chronologie historique. Cependant, les échelles de temps géologiques exigent une persistance très longue des clous d'or, de l'ordre du million d'années, au-delà des temps historiques. Certains géologues remarquent que la principale preuve du changement climatique, la composition isotopique du dioxyde de carbone atmosphérique, ne sera pas préservée dans les couches géologiques. L'isotope radioactif du carbone, le 14C, décline en effet avec le temps et ne se trouve que dans des matériaux de moins de 50 000 ans, ce qui signifie que dans un million d'années, les couches géologiques ne comporteront plus de trace de la manière dont les hommes ont altéré le cycle du carbone avec les énergies fossiles [35].
13En outre, la dénomination Anthropocène n'est pas neutre, ce qui pose une dernière difficulté. Chez P. Crutzen, l’« âge de l'homme » désigne à la fois son impact et sa capacité à répondre à ce défi. Cette dimension prométhéenne a très vite été critiquée pour les manipulations techniques qu'elle autorise à l’échelle de la planète – la géo-ingénierie –, par exemple l'introduction de grandes quantités de soufre dans l'atmosphère [36]. Or la mobilisation des sciences humaines et sociales s'est construite précisément sur la critique de cette vision du progrès, jugée responsable de l'Anthropocène à plusieurs titres. C'est l’échec du projet de la modernité définie comme arrachement de l'homme à la nature, comme dessein politique d’émancipation par l'autoproduction du social et comme horizon de progrès matériel et humain grâce à la transformation technique de la nature et à la baisse de la mortalité [37]. On retrouve ici la réponse aux arguments classiquement opposés aux théories écologiques [38]. L'accélération écologique de l’âge industriel contribue à la crise généralisée de la modernité en montrant l'incapacité du politique à réguler celle-ci et les impasses de ce modèle économique fondé sur les énergies fossiles [39]. Métaphoriquement, la civilisation humaine serait un avion lancé sur la piste de la modernité jusqu’à s’écraser dans la catastrophe écologique [40]. Le label Anthropocène structure donc des prises de conscience et des réponses divergentes, de la géo-ingénierie à la décroissance.
14Le concept d'Anthropocène a surgi simultanément en tant qu’étendard de la prise de conscience des effets du changement climatique anthropogénique et en tant que proposition théorique dans l'espace savant. Or ces champs ne suivent ni les mêmes rythmes ni les mêmes régimes de validation. L'agenda des négociations climatiques internationales a démultiplié ces discordances en renforçant le cadrage global, apolitique et naturaliste [41]. De plus, le découpage anthropocénique du temps repose sur des opérations hétérogènes. L'Anthropocène est une discontinuité historique majeure établie sur des processus physiques de longue durée, une différence de nature fondée sur des quantités homogénéisées. De ce fait, la moindre variation du curseur des indicateurs tisse des continuités qui affaiblissent la rupture temporelle, en introduisant une pluralité de processus et de temps historiques qui minent l'unité périodique. Il n'est donc pas rare de trouver chez un même auteur des usages variables du terme Anthropocène, tour à tour événement le plus marquant de l'histoire de l'humanité et césure relative, unité périodique et diversité de phases, label opératoire et concept imparfait. J. McNeill défend ainsi des définitions et des datations différentes, qui vont de 1780 à 1945 [42] ; il considère que la Terre est, certes, entrée dans une nouvelle époque, mais que l'existence d'une nouvelle période historique est moins claire, le mot étant avant tout un outil heuristique [43]. Ces écarts entre les niveaux d'analyse ont contribué à nourrir un vif débat qui a eu rapidement pour conséquence de faire éclater la notion d'Anthropocène.
Le temps des « cènes »
15La réception des thèses anthropocéniques a été aussi soudaine que contrastée parmi les chercheurs travaillant sur la question de la nature et sur les dynamiques environnementales. Historiens de l'environnement, anthropologues de la nature, écologues culturels, sociologues du risque, philosophes de l'environnement, historiens des sciences, écocritiques ont été parmi les premiers à réagir face à une hypothèse qui n'a pas été nécessairement perçue comme entièrement recevable.
Capitalocène, Chthulucène, Plantationocène
16Deux critiques principales et complémentaires ont été formulées contre l'Anthropocène. D'une part, cette notion globale et planétaire masque les rapports de domination et les inégalités environnementales. Plutôt qu'une espèce humaine qui, par essence, ferait preuve d'une volonté de domination de la nature depuis les origines anciennes de la maîtrise du feu, l'histoire montre la responsabilité différenciée entre nations et entre classes sociales [44]. Sur le terrain, les anthropologues observent que, pour les dominés, les problèmes environnementaux sont liés avant tout aux structures de pouvoir et à l'appropriation des ressources naturelles par une poignée de privilégiés [45]. L’évolution des précipitations et des températures est un point d'entrée minoritaire et, de ce fait, la césure temporelle est justifiée par le changement climatique. D'autre part, la thèse de la fin de la question de la nature dans les sciences humaines et sociales apparaît ambiguë ; quelles sont les implications de l'abolition de l'extériorité du social justifiée par l'humanité comme force géologique faisant corps avec la planète ? Du côté des néomatérialistes, tel Timothy LeCain, il est reproché aux partisans de l'Anthropocène d'accentuer la séparation entre nature et culture en surestimant le pouvoir humain sur un monde physique jugé passif [46] ; le « Carbocène », ou âge du carbone, manifeste bien au contraire la puissance de la matérialité pour configurer les sociétés humaines et réduire la diversité de leurs possibles. Parmi les multiples trouvailles sémantiques et contre-propositions, trois périodes se distinguent en particulier [47].
17Le terme Capitalocène a été proposé par Andreas Malm et développé par Jason Moore [48]. Le concept peut se résumer sous la forme d'une triple critique de l'Anthropocène : la relation fondamentale entre la perspective écologique globale et la nature du capitalisme est éludée, alors que la nature de ce système est indissociablement organique, économique et sociale ; l'histoire globale est réduite à la combustion des énergies fossiles, alors que cette consommation énergétique s'inscrit dans des phases successives et mondiales d'appropriation d'une nature bon marché qui débutent au xvie siècle ; les approches historiques sont européano-centrées, l'analyse des émissions nationales de CO2 masquant l’échelle globale qui les rend possible. L'intérêt heuristique du Capitalocène consiste à revisiter les asymétries du système-monde sous l'angle des flux de matière et d’énergie et des échanges inégaux entre pays [49]. Dans un ouvrage consacré à l'Angleterre, A. Malm avance l'idée que la dynamique principale de la conversion aux énergies fossiles ne vient pas de choix énergétiques contingents mais des rapports de lutte entre classes sociales [50]. Ainsi, dans un contexte de forte augmentation du temps de travail et de recours à l’énergie hydraulique, le patronat reportait l'irrégularité saisonnière et annuelle des flux d'eau sur la main-d’œuvre, soumise à de fortes variations journalières du temps de travail. Après la sécheresse de 1826, l'hostilité aux moulins s'est accentuée et les organisations ouvrières ont milité pour la limitation légale du temps de travail quotidien. Constatant sa défaite inéluctable après les lois de 1847 et de 1850, le patronat a accéléré en quelques années sa conversion au charbon, assurant une énergie régulière en puisant dans un stock déconnecté des variations à court terme de la nature et profitant de l'accroissement de l'efficacité des machines. La logique du capital et des relations de propriété produit donc sa propre temporalité, remodelant la nature et engageant une nouvelle dynamique, celle de la rentabilisation des investissements réalisés dans les énergies fossiles, traduite en idéologie bourgeoise.
18Le deuxième néologisme est le Chthulucène de Donna Haraway – du nom d'une petite araignée endémique de Californie, Pimoa clue [51] –, utilisé contre l’anthropos de l'Anthropocène car le terme grec exclut les femmes et les autres espèces. À cette vieille perspective masculine et technique réactivée par P. Crutzen et E. Stoermer, D. Haraway substitue une approche interspéciste qui étudie la configuration et la nature des connexions entre les êtres vivants, symbolisées par les réseaux localisés d'une araignée ordinaire des comtés de Mendocino et de Sonoma. Capitalocène et Chthulucène se rejoignent dans le refus de considérer l'humanité comme un tout indifférencié éludant les rapports inégaux de race, de classe et de genre. De la même façon, Eileen Crist a souligné les ambiguïtés de la thèse anthropocénique de la fin de la nature, dont l'anthropocentrisme exclut et masque les voix alternatives : les collectivités humaines qui se réclament d'autres ontologies, ou l'appel aux pays pauvres à ne pas suivre le modèle de développement des pays riches conduisant à l'homogénéisation biologique et culturelle du monde, ou encore les arguments en faveur de la richesse et de la complexité des espaces sauvages non originels. Le brouillage des frontières entre le naturel et le social peut conduire à occulter l'action exercée par l'un pour l'autre et, par conséquent, les rapports de violence et de domination. C'est le reproche formulé par E. Crist contre les appels de Bruno Latour à composer un monde commun entre humains et non-humains, et contre la thèse de l'humanité comme force géologique : le répertoire du changement et de la transformation se substitue, selon elle, au vocabulaire écologiste de la destruction et de la prédation [52].
19Plus récent, le terme de Plantationocène déplace la césure en amont et condense les critiques contre la généalogie de la modernité construite par l'Anthropocène [53]. Pour D. Haraway, la réduction de la pluralité des changements environnementaux globaux aux seules émissions de CO2 fait, à tort, de l'agir humain le seul acteur du monde contemporain, éclipsant les autres espèces et recouvrant la diversité locale des peuples et de leurs cultures. L'Anthropocène est donc intrinsèquement lié à un système de comptabilité matérielle et de données mondiales qui vont dans le sens de la capitalisation de la nature, au même titre que les services écosystémiques. L'histoire des modèles globaux de simulation du climat s'inscrit dans le monde de l'après-conquête spatiale et de l'après-guerre froide, soit l'une des formes du globe promues par la modernité [54]. Pour Scott Gilbert, l'idée d'un âge de l'homme relève d'une vision sacrée et biblique de la succession des époques qui réintroduit, en termes biologiques, la grande chaîne des êtres et, en termes temporels, la destruction finale de la Terre [55]. Le Plantationocène suggère une histoire plus longue que celle des énergies fossiles, qui s'ouvre avec l'agriculture esclavagiste des plantations et la circulation des génomes inscrite dans un système d'investissements à longue distance. Cette relation abstraite entre investissement et propriété est au cœur d'une aliénation écologique et historique ; la relocalisation des plantes, des animaux et des êtres humains transforme les éléments naturels en ressources à extraire, produisant en retour une simplification des paysages. Anna Tsing distingue ce processus de remplacement de la longue période de l'Holocène, qui voit les êtres vivants migrer après des modifications écologiques majeures, chercher refuge ailleurs et contribuer ainsi à la diversité culturelle et écologique du monde [56]. Le Plantationocène se veut moins masculin et occidental que l'Anthropocène, centré sur la technique et l'industrie ; il est en somme plus attentif aux dominés et à l'expression de leurs souffrances, à la diversité du monde [57].
20En définitive, la réception la plus unanimement positive semble venir des historiens des sciences, car l'Anthropocène comme réalité historique – le changement climatique causé par les énergies fossiles – et comme projet – la gouvernance mondiale appelée par les climatologues et les négociations internationales, mais aussi par la géo-ingénierie – témoigne de la centralité des sciences et des techniques dans la constitution de la modernité, qui ouvre un nouveau chapitre de la big science après celui de la physique fondamentale de l'après-Seconde Guerre mondiale [58]. Les science studies investissent ainsi désormais la question de la nature, en évoluant d'une histoire des sciences à une histoire de la nature modifiée par les sciences [59].
Du label au forum
21L'inventivité des dérivés en « cène » – un même auteur, telle D. Haraway, peut en manier plusieurs – illustre la manière dont l'Anthropocène est devenu une scène intellectuelle où, au-delà des contradictions apparentes, la fécondité de ce déplacement continu des concepts et des positions est revendiquée [60]. Loin de constituer un mouvement ou une école, la thèse de l'humanité comme force géologique agit plutôt comme un forum où se croisent des positions différentes, voire opposées, ce que Francis Chateauraynaud nomme un « opérateur de totalisation ou de fédération de causes [61] ». Cette diversité de positions tient aux ambiguïtés de l'Anthropocène, tour à tour période géologique et période historique. Le glissement de l'un à l'autre, rarement explicité, produit des contradictions. L'approche systémique du système-Terre est une modélisation sans prémisses qui ne se déploie pas selon un axe du temps, tandis que l'approche historique étudie le devenir inscrit dans des ensembles spatio-temporels particuliers. Les débats théoriques privilégient les ontologies et, par conséquent, une catégorisation des êtres qui accorde une importance limitée à l'historicité, alors que le contenu empirique des arguments se structure autour de l'axe du temps et puise dans le passé un répertoire d'exemples. Par rapport aux débats antérieurs sur la nature, la nouveauté de l'Anthropocène réside dans la centralité de l'histoire comme réalité, sans que n'en découlent des usages clairs comme connaissance. Sur plusieurs points importants, il serait donc difficile de déceler une unité des travaux publiés.
22Prenons le cas de la démographie. Au nom des écarts colossaux dans les chiffres d’émission de CO2 et de consommation sur la planète, une partie des défenseurs de l'Anthropocène rejoignent le camp anti-Anthropocène dans le rejet de l'argument démographique, dessinant ainsi une curieuse humanité conçue telle une force géologique sans pieds ni mains [62]. En revanche, le souci du nombre des habitants de la planète est présent chez d'autres chercheurs, notamment D. Haraway à travers son slogan « make kin not babies ! [63] », ou Dipesh Chakrabarty, ce qui éclaire ses positions anthropocéniques souvent identifiées à un reniement de son parcours intellectuel subalterniste fondé sur la dimension compréhensive de l'histoire et la prise en compte des inégalités [64]. Rappelons les quatre thèses de son fameux article sur « Le climat de l'histoire » : l'origine anthropogénique du changement climatique fait s'effondrer la distinction humaniste entre histoire naturelle et histoire humaine ; l'idée de l'humanité comme force géologique induit une reformulation profonde des histoires de la modernité et de la globalisation ; l'hypothèse géologique de l'Anthropocène doit conduire à confronter les histoires globales du capital avec l'histoire de l'humanité comme espèce ; le rapprochement entre l'histoire de l'espèce humaine et l'histoire du capital atteint les limites de la compréhension historique [65]. Le contenu de ces thèses a été abondamment discuté, mais leur contexte d'origine nettement moins [66]. Depuis les années 1990, un vif débat mobilise les intellectuels et les activistes indiens autour de l'environnement et de la pauvreté : faut-il prendre en compte les émissions de CO2 par tête ou au niveau national ? La réponse modifie complètement la définition de la responsabilité historique et les engagements à prendre. Or D. Chakrabarty défend une position différente de celle d'Anil Agarwal et de Sunita Narain, attachés aux émissions par tête et à un droit historique au rattrapage fossile [67]. Les effets climatiques de la croissance démographique de l'Inde, passée de 300 millions d'habitants en 1930 à 1,2 milliard aujourd'hui, ont joué un rôle moteur dans son ralliement à l'Anthropocène. Il est même possible d'interpréter les quatre thèses de D. Chakrabarty comme une tentative de déplacer le problème politique, en évitant deux positions intenables selon lui : s'en tenir aux émissions par tête qui dénient l'impact climatique de la population indienne, se rabattre sur les émissions nationales en éludant le problème des inégalités. Considérer les émissions de l'espèce humaine permet de faire la synthèse entre les moyens techniques et le nombre des hommes. Les pauvres restent donc acteurs du processus historique dans une histoire conjointe, mais différenciée, des riches et des pauvres [68]. La défense des subalternes demeure centrale, même si elle conduit à affaiblir la notion d'histoire, puisque D. Chakrabarty ne dit pas ce que serait un concept cohérent d'histoire humaine et géologique [69].
23La difficulté à situer intellectuellement les thèses anthropocéniques se perçoit dans les relations avec la deep history (l’étude du passé humain sur 40 000 ans, englobant histoire et préhistoire) et la big history (l'histoire du passé depuis les origines de l'univers) [70]. Le pré-Anthropocène de P. Crutzen, W. Steffen et J. McNeill commence avant l'apparition de l'agriculture, au temps des chasseurs-cueilleurs, embrassant la maîtrise du feu, les évolutions de la taille du cerveau humain et la vague d'extinction de la mégafaune à la fin du Pléistocène [71]. Ces propositions suggéreraient un rapprochement avec l’« histoire profonde » d'Andrew Shyrock et de Daniel Lord Smail, qui ont invité les historiens à se tourner davantage vers les sciences de la nature et les sciences cognitives et à élargir les cadres traditionnels de la chronologie, en suscitant de vifs débats [72]. The History Manifesto de David Armitage et Jo Guldi défend aussi l'expansion temporelle des perspectives historiques, mais l'Anthropocène y joue un rôle ambigu [73] ; il se situe sur une gamme de temps qui apparaît courte par rapport à la big et à la deep history, et longue par rapport à l'histoire majoritaire [74]. C'est l'une des raisons pour lesquelles A. Shyrock, D. Smail et leurs collègues témoignent peu d'enthousiasme envers l'Anthropocène, interprété comme une forme de réductionnisme écologique et économique, une perspective anthropocentrique étroite en comparaison de la longue durée de la vie sur Terre [75]. À l'autre extrémité du spectre, et malgré ses références au théoricien de la sociobiologie Edward Wilson et à D. Smail, D. Chakrabarty affirme qu'il ne partage pas les approches de la big history et de la consilience des sciences, tout en appelant à lier l’évolution de la place d’Homo sapiens dans la chaîne alimentaire et les inégalités du capitalisme industriel [76]. Le changement climatique anthropogénique concilie, selon lui, l'histoire de la Terre et celle des sociétés industrielles grâce à la prise en compte de l'histoire de la vie sur la planète et de l’évolution humaine [77]. Il suggère donc de combiner un zoom avant pour examiner les détails des injustices entre humains avec un zoom arrière pour envisager les souffrances des autres espèces et de la planète [78]. Cette difficile conciliation n'a pas aidé à lever les ambiguïtés par rapport à la pensée d'E. Wilson et au risque de naturalisation des sciences sociales [79]. L'Anthropocène agit en fait à la manière d'un double opérateur de continuité et de discontinuité, à l'instar de toute périodisation qui sépare en se situant par rapport à ce qui précède. Ce problème se reproduit dans le découpage interne à la période [80].
24La mise en place de ce forum participe d'un nouveau chapitre de la sociologie des institutions et des champs scientifiques, marqué par un certain climat de compétition accrue et d'accélération du temps de la science [81]. Il serait utile de faire une histoire des institutions politiques et scientifiques qui ont porté l'Anthropocène, sur le modèle de l'enquête de sociologie des sciences menée par Morgan Jouvenet sur la paléo-climatologie [82]. Celle-ci commencerait à Stockholm en 1987 dans les locaux de l'International Geosphere-Biosphere Program (Igbp), où se croisent des scientifiques mobilisés après la conférence des Nations unies sur l'environnement de 1972 et la création du World Climate Research Programme en 1979 [83]. L'enquête se déplacerait à Paris, au siège de l'International Council for Science (Icsu) fondé en 1931, suivrait les liens établis lors des rencontres de l'Intergovernemental Panel on Climate Change (Ipcc) à travers le monde depuis 1988 et de l'International Human Dimensions Programme (Ihdp) créé en 1996. Une attention particulière serait accordée à l'Australie, où sont importées à partir de 2005 les idées développées en Suède par l'initiative Ihope, avant que l'Anthropocène ne gagne les États-Unis pour connaître une croissance exponentielle [84]. Cette étude serait couplée avec une sociologie du travail intellectuel qui se pencherait sur les effets d'un nouveau régime non disciplinaire d'organisation des savoirs, valorisant le financement par projets et la compétition internationale [85]. En France, les regroupements d'universités des Initiatives d'excellence (Idex), favorisés par les Investissements d'avenir à partir de 2010, en formeraient un chapitre [86]. L'Anthropocène résulte ainsi de la rencontre entre la figure d'une mobilisation académique planétaire inventée par les climatologues de l'Ipcc, d'une part, et le modèle historiographique des turns marqué par la thèse d'un tournant épistémologique et la tendance à l'autoréférentialité des champs de recherche émergents, d'autre part.
Courbes ou pas courbes ?
25L'hétérogénéité des positions fédérées par le label Anthropocène peut donner l'impression que la défense de ce nouveau découpage objectif de la chronologie historique et géologique recouvre des effets d'opportunité. En réalité, un noyau dur analytique fait l'unité entre les différentes interventions : l'organisation du temps en courbes de grandeur physique a fourni la matrice intellectuelle, graphique et politique de l'Anthropocène. Ce dispositif structure la première monographie consacrée entièrement au sujet, examiné de manière exhaustive : L’événement Anthropocène de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz [87]. Les chapitres se déplient en effet à partir de la pluralisation des courbes. Une première partie présente le motif initial des émissions mondiales de CO2, puis la deuxième met au jour la structure narrative qui informe cette courbe et légitime les sciences « géocratiques » ; le récit de l’éveil de la conscience environnementale oppose les savants aux ignorants, au bénéfice d'un motif prophétique et dépolitisé de salut de l'humanité par la science, et au profit de la techno-science et de la géo-ingénierie. Une fois ce nouveau géopouvoir démasqué, la troisième partie s'organise autour d'un contre-récit déployé en une pluralité de lignes. La courbe ascendante des asymétries et des inégalités sociales apparaît favorisée par l'occultation contemporaine de la réflexivité environnementale des sociétés du passé. Les résistances aux énergies fossiles et les luttes sociales (le « Polémocène ») deviennent visibles, en divergence avec la pensée d'un progrès technique et économique continu. L'Anthropocène est enfin découpé en segments correspondant aux phénomènes sociaux afférents et aux choix politiques effectués en termes d’énergie (le « Thermocène » et l’« Anglocène »), d'impérialisme (le « Thanatocène ») et de consommation (le « Phagocène »). Est-ce vraiment proposer une alternative à l'Anthropocène que de continuer à s'inscrire dans le dispositif qui l'a produit ? De fait, le livre se définit par ce qu'il critique, y compris lorsque la version anglaise ajoute deux chapitres – sur le « Capitalocène » et l’« Agnatocène » – qui contestent le concept d'Anthropocène [88]. La contradiction se traduit ici par un double oxymore procédant de la négation par l’événement Anthropocène des attributs de la modernité qui le déterminent. La définition normative de la modernité comme étant illimitée devient une « impuissante puissance » ; la croyance dans le pouvoir sans limite de l'agir technique lui porte un coup d'arrêt brutal [89]. La césure temporelle de l'usage des énergies fossiles discrimine les périodes historiques tout en considérant que les débats sur la fragilité de l'environnement ont déjà eu lieu dans le passé, mais qu'ils ont été oubliés [90].
26Peut-on adopter une métrique-monde fondée sur les grandeurs physiques ? Sur un plan temporel, cela se traduit par une quantification universelle et de longue durée des flux de matière (minerais, biomasse, matières brutes) pour les convertir en énergie [91]. La portée de ces courbes se réduit par les deux bouts. En amont, l'idée d'une métrique homogène n'est pas applicable à l’époque moderne où la valeur, le travail, les prix, le crédit n'obéissent pas à un équivalent général, abstrait et intrinsèque, mais sont toujours socialisés dans l'espace de l'honneur et de la réputation, des réseaux familiaux et des échanges [92]. Inscrites dans des marchés et non dans un marché, les matières ne peuvent être additionnées et converties sous la forme d'un poids, d'une quantité d’énergie ou d'un prix sans tomber dans l'anachronisme. En aval, l’étude des flux entrants et sortants de matière, à l’échelle d'un territoire ou d'un pays, ne saisit pas les mutations du capitalisme et des inégalités sociales caractérisant « l’âge de l’économie de l'enrichissement », selon Luc Boltanski et Arnaud Esquerre [93]. Au croisement du luxe, du patrimoine, du tourisme et de l'art, les objets enrichis sont précisément des objets existants dont la valeur est décuplée par un dispositif narratif fondé sur la mise en forme des dissemblances et des identités. Ces gisements de passé échappent aux radars des importations et des exportations de matière. La pertinence d'une métrique physico-énergétique se réduit donc à la forme standard et industrielle de la marchandise, c'est-à-dire plus ou moins à la période 1830-1970. Sur un plan spatial, l’étude des flux métaboliques pose des difficultés lorsqu'elle est étendue au monde considéré tel un système, ainsi que le propose Alf Hornborg dans sa théorie de l'accumulation comme processus écologique global [94]. D'une part, les transformations environnementales entre des points éloignés de la planète apparaissent unies par des connexions causales, du global au local. Or l'Anthropocène a été critiqué pour sa manière de relier tous les changements environnementaux locaux (biodiversité, sol, eau. . .) aux dynamiques planétaires et climatiques. D'autre part, la version biophysique du système-monde revient à synchroniser la planète et, dans un contexte asymétrique, à réinstaller l'Occident, voire l'Angleterre, au centre de l'histoire au nom d'un moteur fossile responsable du changement climatique [95]. Ceux qui pensent les asymétries et les conflits à partir de la diversité des lieux et des espaces, des différences et des discordances, de la multiplicité des niveaux et des discontinuités, y trouveront difficilement leur compte.
27Les contradictions à l’œuvre entre les approches anthropocéniques pourraient être interprétées comme la conséquence d'une confiance trop grande accordée à la valeur heuristique du découpage en périodes. « Découper l'histoire en tranches » n'est que l'une des modalités de l'opération historique et, ainsi que l'a rappelé Jacques Le Goff, il est possible de douter sinon de sa pertinence, du moins de sa capacité explicative [96]. Une fois les arguments connexes mis de côté, un noyau dur apparaît : le changement social est pensé à partir des courbes de CO2 et de matière ; il est global, cumulatif et inscrit dans un mouvement général de l'histoire qui conduit vers un futur négatif et en partie joué, à l'aune duquel est réinterprété le passé [97]. D'autres façons de prendre en compte les dynamiques environnementales et climatiques sont cependant possibles.
Peser et comprendre : repenser le changement social
28Comme nouvelle période historique, l'Anthropocène a été réduit à l'après-1945 avant même d'avoir été validé officiellement dans l’échelle des temps stratigraphiques. Mais comme appel à intégrer dans l’écriture de l'histoire les seuils d'appropriation de la nature et leurs effets, l'hypothèse Anthropocène marque un tournant. Les sciences sociales n'ont pas ignoré la question de la nature et de l'extériorité lorsqu'il s'est agi d’établir les fondements de l'idée même de société [98]. En revanche, les dynamiques environnementales ont été très peu prises en compte, en raison d'un rejet de la causalité déterministe et fonctionnaliste, mais aussi parce qu'elles semblaient s'inscrire dans un temps de très longue durée qui n’était pas celui des groupes humains. Émile Durkheim écrivait ainsi en 1893 :
Comme le monde physique est relativement constant, il ne peut expliquer cette suite ininterrompue de changements. Par conséquent, c'est dans le milieu social qu'il faut aller en chercher les conditions originelles. Ce sont les variations qui s'y produisent qui provoquent celles par lesquelles passent les sociétés et les individus. Voilà une règle de méthode que nous aurons l'occasion d'appliquer et de confirmer dans la suite [99].
30Étant lui-même le produit de son époque par les questions qu'il se pose, l'historien est invité, à travers la prise de conscience écologique et climatique, à reconsidérer ce qui est immanent à l'histoire, à s'ouvrir plus largement aux êtres et aux phénomènes non humains [100]. Si l'histoire environnementale a joué un rôle pionnier, cette reformulation du changement social s'adresse à tous les historiens parce qu'elle porte sur les temps sociaux, sur les échelles d'analyse et sur les liens collectifs.
Le jeu différentiel des temporalités
31L'Anthropocène a ouvert une nouvelle direction de recherche sur l'organisation objective du temps. Les travaux de sciences sociales se sont rapidement enrichis d'un nouveau vocabulaire : les boucles de rétroaction, les points de basculement (tipping points), les forçages, les grandes vagues d'extinction de la biodiversité. Cette nomenclature s'est formée à partir des années 1990, au confluent des théories du système-Terre, de la résilience, des systèmes complexes, de la gestion des écosystèmes (ecosystem stewardship), des services écosystémiques et écologiques [101]. Ces dynamiques planétaires, démultipliées par les bouclages entre les sous-systèmes, ont été utilisées pour caractériser ce qui pouvait remettre en cause les conditions de la vie humaine sur Terre. La fin des oscillations bornées entre périodes glaciaires et périodes de réchauffement, en place depuis l'Holocène, ouvre en effet la voie à une grande instabilité, qui dépasse les capacités de résilience du système-Terre et rend possible des effondrements brutaux (fonte de la calotte glaciaire du Groenland, perte de la forêt amazonienne, fin des rythmes des moussons de l'océan Indien, extinction massive des espèces) [102]. Ces hypothèses sur la possibilité d'un effondrement brusque ou d'un changement brutal de système sont venues remettre en question les approches en termes de développement durable qui mettaient l'accent sur la continuité plutôt que sur la discontinuité, engageant ainsi la critique de modèles longtemps dominants [103].
32Cependant, l'articulation entre le temps de la nature et le temps des sociétés ne peut être abordée comme l'assimilation d'un ordre à un autre. Les raisons en ont été amplement discutées lors du débat qui a tourné la page de l'organicisme en sociologie, à la fin du xixe siècle [104]. Ainsi que le soulignait Gabriel Tarde, l'usage métaphorique de la biologie est arbitraire et verbal car les humains peuvent appartenir à plusieurs sociétés qui, contrairement à un organisme et à ses composants, n'ont pas de dates de vie et de mort franchement marquées, ne se nourrissent et ne se reproduisent pas [105]. L'analogie, en particulier organique, ajoutait François Simiand, n'est pas une méthode scientifique car cette condition « existe seulement lorsqu'entre deux faits, deux rapports considérés jusque-là comme différents, est établie non pas l'analogie, mais l'identité [106] ». La figure de Gaïa – la Terre –, qui se juxtapose aujourd'hui à celle de l'Anthropocène, a témoigné de sa fécondité philosophique et artistique [107]. En revanche, sa capacité explicative et analytique est plus réduite, fondée sur l'importation des théories de James Lovelock [108]. La nécessaire connaissance des structures temporelles du monde social n'est pas annulée par la question des ontologies. Même si la distinction substantielle entre nature et société était abolie, le temps social ne cesserait pas de suivre des régimes propres, non réductibles aux évolutions de la planète et des écosystèmes. La notion d'effondrement des civilisations, portée par la multiplication des récits catastrophistes, est ainsi hautement critiquable [109]. À ces grandes généralisations fortement connotées, l'historien préfère la diversité des situations et des pratiques, l'espace concret des lieux de l'expérience, les contrastes entre les contextes et leur compréhension par les acteurs.
33Il est nécessaire également d'expliciter la distinction entre deux usages du temps, comme outil et comme objet d’étude. C'est la difficulté posée par la réutilisation des idées de B. Latour, pour qui le temps est avant tout un outil heuristique, la possibilité de faire varier les perspectives, et non un phénomène empirique à analyser. Ses écrits mettent en œuvre au moins quatre régimes temporels. Le premier relève des boucles de rétroaction de Gaïa qui abolissent la distinction entre passé et futur ; ce mouvement revient sur lui-même, établissant « une connexion nouvelle et dramatique entre des puissances d'agir inconnues jusqu'ici, et à des échelles chaque fois plus éloignées, selon un rythme chaque fois plus frénétique [110] ». Le deuxième est anhistorique, puisque le naturalisme des modernes apparaît telle une parenthèse historique qui, une fois refermée, donne à voir la cohabitation permanente des différentes ontologies, l'animisme et l'analogie survivant à travers l'art et les images, malgré le naturalisme instauré par la révolution scientifique [111]. Le troisième est un temps réinitialisable, à la manière de celui d'un système technique. L'exposition et le catalogue Reset Modernity ! proposent ainsi d’équiper l'humanité terrienne avec de nouveaux outils, comme si l'on pouvait faire l'expérience, par la pensée, d'un retour au début du xvie siècle, avant l'expansion du naturalisme occidental et la détermination des termes de la relation entre les Européens et les peuples du Nouveau Monde [112]. Le quatrième est un temps apocalyptique et prophétique, interrogé à travers la référence à Walter Benjamin et au christianisme [113]. Une sociologie du temps des Anthropocènes est nécessaire ; elle reste encore à écrire en prenant pour objet les structures temporelles du monde social [114].
34Le jeu différentiel des temporalités pourrait être un outil d'analyse opératoire. Les échanges entre les collectifs humains et non humains sont asymétriques d'un point de vue linguistique, car les uns parlent pour les autres, même si des hypothèses anthropologiques existent pour se départir d'une approche strictement anthropocentrique [115]. En revanche, la processualité des échanges instaure un temps commun, sinon égal, car il est fait de multiples décalages entre les temporalités. Même la forme la plus asymétrique de la prédation et de l'exploitation à outrance donne lieu à un retour vers les sociétés humaines, par la destruction de leurs bases matérielles et sous la forme des problèmes environnementaux. L'histoire environnementale est riche de cas d’étude sur ces aspects [116]. Par exemple, la quasi-disparition des saumons, des sardines et des thons de Californie dans les années 1970, qui s'inscrit dans la pression globale exercée sur les écosystèmes, naît de la discordance entre le régime temporel des océans et celui de l'exploitation des ressources halieutiques. Si les populations de poissons connaissent des tipping points, qui les voient s'effondrer brutalement dès les années 1930 lorsque les prises atteignent le volume total de biomasse, le calendrier des questions écologiques emprunte d'autres chemins, qui aboutissent au Federal Fishery Conservation and Management Act de 1976, lorsqu'il est déjà trop tard [117]. Ce jeu différentiel des temporalités se complexifie encore un peu plus si, au lieu de centrer l'analyse sur la capture du poisson et la surpêche, on prend en compte l'instabilité de l'environnement (le phénomène El Niño et les inondations), les technologies temporelles du marché, la modification des cours d'eau causée par la ruée vers l'or, l'exploitation du bois, la mise en culture des plateaux, le développement de l’élevage et l'activité des moulins [118]. À son tour, cette sociologie critique du temps fait varier les échelles d'analyse et ouvre de nouvelles voies à explorer.
Champs de force et échelles du monde
35L'Anthropocène a fait irruption dans les travaux historiques sous la forme d'une nouvelle généalogie de la globalisation définie par les étapes de l'industrialisation et de la consommation d’énergies fossiles, responsables des rejets de CO2 dans l'atmosphère. Les conclusions de l'Anthropocene Working Group de la Subcommission on Quaternary Stratigraphy, qui indiquent la tendance prise par la fabrique du consensus stratigraphique, remettent complètement en cause les études des historiens sur l'Anthropocène. Les années 1800 et les débuts de l'industrialisation, sur lesquels s’étaient fondées les premières hypothèses géologiques, ne sont plus des données valables, de même que les années 1610 compatibles avec le Plantationocène ou les 7 000 à 3 000 ans correspondant aux effets de l'anthropisation [119]. L'identification stricte entre la périodisation géologique et la périodisation historique aurait pour effet de rendre caduques nombre de recherches centrées sur l'agir technique et industriel. Le découplage entre les deux échelles permet en revanche aux historiens de s'abstraire d'une lecture géologique littérale et universelle, de pluraliser les seuils et de faire éclater la chronologie. Ce changement de cadrage est libérateur car il conserve la multiplicité des dynamiques tout en mettant à distance trois types de recouvrement contestables.
36La thèse de l'espèce humaine introduit un universalisme qui identifie le global au planétaire. Pour éviter ce recouvrement, D. Chakrabarty a proposé une solution sophistiquée et peu convaincante qui reviendrait à manipuler deux types de sujet : d'un côté, l’« humain-humain », c'est-à-dire les figures contradictoires de l'humain-sujet qui ne sont pas universalisables, de l'autre, le « non-humain-humain », une humanité conçue telle une force géophysique planétaire sans être pour autant un agent politique [120]. Les anthropologues Déborah Danowski et Eduardo Viveiros de Castro ont pointé les risques d'une universalisation de l'exceptionnalisme humain qui caractérise l'ontologie occidentale et institue la séparation autofondatrice entre nature et histoire, c'est-à-dire le naturalisme à l'origine de la crise environnementale [121]. Leur point de vue peut s'apparenter à une critique de la science historique comme ressource d'intelligibilité puisque seules les mythocosmologies, en particulier amérindiennes, échappent à cet exceptionnalisme en posant l'humain comme étant empiriquement antérieur au monde. La suite de leur raisonnement formule cependant trois recommandations afin de prendre en compte l'altérité et la diversité des cultures, et donc la pluralité des temps historiques. D'abord, il s'agit de préserver la multiplicité des options politiques des sociétés humaines qui sont en conflit, voire en guerre, les unes avec les autres. Ensuite, il convient d’éviter le primitivisme car les peuples subalternes s'inscrivent dans l'histoire par leur capacité à combiner leur outillage mental et technique, et par leur critique des nouveaux modernes que sont les grandes puissances émergentes (la Chine, l'Inde, le Brésil). Enfin, le changement climatique n'invalide qu'une certaine lecture de l'histoire, celle du xixe siècle moderniste conjuguant domination technique et émancipation politique. L'accélération unidirectionnelle de l'Anthropocène laisse place à une histoire plus longue et plus heurtée, marquée par une catastrophe qui a déjà eu lieu à partir de 1492 et de la conquête du Nouveau Monde.
37Si les dynamiques planétaires ne dessinent pas les parallèles entre des mondes séparés, comment se passe alors la mise en relation environnementale dont procède la globalisation ? La généalogie de l'exploitation de la nature apparaît comme une réponse, qui pose cependant des difficultés méthodologiques car il existe plusieurs manières d'articuler ce global [122]. La première hypothèse est celle d'un universalisme anthropologique qui viendrait expliquer des homologies formelles entre la diversité des cultures et des lieux mobilisés. La deuxième repose sur des contacts directs passant par des circulations et des emprunts réciproques, ce qui peut pencher soit du côté d'une histoire des circulations et des réseaux de centres de calcul, soit du côté d'une histoire interconnectée qui met en contact des mondes différents, parfois intraduisibles. La troisième voie, le polygénisme écologique, poserait qu'un certain type de contexte environnemental engendre des processus identiques de transformations sociales et culturelles. L’œuvre de l'historien britannique Richard Grove, l'un des précurseurs des approches anthropocéniques et climatiques, présente les problèmes posés par ces modèles disparates, ce qui l'a conduit à en élaborer un autre, tout aussi problématique, celui de l'inconnu environnemental, l'expérience répétable de la découverte d'une autre nature produisant un type inédit de projection du savoir occidental [123].
38La pluralisation des seuils physiques immanents à l'histoire humaine ouvre la voie à la manipulation des échelles, à la prise en compte conjointe des dynamiques planétaires globales et des micro-analyses du social. Cette perspective n’était pas celle des premières conceptions de l'Anthropocène, résolument centrées sur la Terre et sur l'espèce humaine, et qui annonçaient l'effacement du local, c'est-à-dire de la matrice de la prise de conscience environnementale [124]. Se trouvait ainsi accentuée, par l'angle climatique, une approche dominante dans les projets d'histoire globale [125]. Antonella Romano a récemment proposé d'appréhender la globalisation par le concept d’« englobement », qui ne traite pas des processus physiques mais ouvre des perspectives pour relativiser le global anthropocénique. Entendu comme un « processus hétérogène, conflictuel et discontinu », l'englobement aborde les entités géopolitiques à des échelles variées, en montrant que la globalisation a tout autant « contribué au renforcement des différences » [126]. Reste alors à inscrire les processus matériels dans cette multiplicité de dynamiques par lesquelles le monde est devenu tardivement la planète. Afin de desserrer les tensions entre la planète et le sol, il faut insérer, entre le global et le local, la multitude des échelles de l'expérience humaine : le territoire des groupes humains, les outils de description et de gouvernement des nations, les espaces de circulation et d’échange, la différenciation des blocs régionaux.
39La prise en compte des processus environnementaux révèle l'existence de « champs de force [127] » qui configurent le devenir des sociétés et considèrent l'ensemble des contraintes matérielles pesant sur l'histoire humaine, en ouvrant sur une histoire biologique et humaine faite d’échanges et de circulations, sans réduire l'environnement à un cadre géographique statique. Dans L’écriture de l'histoire, Michel de Certeau avait bien repéré l'originalité des approches d'Emmanuel Le Roy Ladurie, en particulier dans le chapitre sur la « civilisation végétale [128] », qu'il rapprochait des travaux sur la maladie, la sexualité et le corps – ceux de Michel Foucault en particulier –, à la frontière entre la nature et la culture, entre le donné et le créé, recomposant l'histoire dans ses liens avec la matière. Prenant acte du fait que les choix des sociétés humaines ne procèdent jamais des données environnementales mais d'une dimension culturelle et sociale, les champs de force proposent d'historiciser les contraintes physiques qui encadrent le changement social, libre ensuite aux collectifs humains de s'en abstraire en détruisant leur environnement. Ainsi s'ouvrirait une histoire des limites prises comme un donné et un construit car indissociables du système technique et économique permettant l'exploitation des ressources, ainsi que des représentations qui mettent en place les catégories de description de la nature et les conditions d'une prise de conscience. À partir du cas de l’Écosse, Fredrik Jonsson montre comment se construit la cornucopie, c'est-à-dire le rêve de l'abondance et d'une nature sans limite, au carrefour de l’économie politique et des mathématiques financières et des débats sur l'expansion coloniale et la conservation des sociétés locales. Cette tension ne s'est dénouée qu’à la toute fin du xviiie siècle, lorsque s'annoncent la croissance du charbon et le règne d'une cornucopie minérale, sans mettre fin pour autant à la peur de l’épuisement de la nature, qui ne s'estompe qu'après les années 1850 [129].
Les modalités de l’échange
40La critique d'une science historique fondée substantiellement sur la séparation entre l'histoire naturelle et l'histoire humaine a été généralisée à partir de la première thèse de D. Chakrabarty, appuyée sur quelques autres auteurs (Giambattista Vico, Benedetto Croce et Robin Collingwood) [130]. L'origine anthropogénique du changement climatique a, en réalité, réactivé un problème classique qui, loin d’être jugé réglé, a été souvent l'objet de débats [131]. Cette discussion est complexe, car les choix historiographiques ne sont pas motivés en premier ressort par le refus ou la volonté de considérer les processus naturels. La dissociation effectuée par Jean Bodin au xvie siècle entre l'histoire sainte, l'histoire humaine et l'histoire de la nature procède, par exemple, d'une réflexion sur le déclin de l'eschatologie politique et sur la capacité du système des États européens à maintenir la paix [132]. Plus tard, Wilhelm Dilthey s'est consacré à l'autonomisation des sciences de l'esprit par rapport aux sciences de la nature ; cette position, caractéristique de l'historicisme allemand, évacue toute version métaphysique qui distinguerait, au sein du réel, deux domaines ontologiquement distincts : il s'agit seulement pour lui d'une question de conscience et de point de vue [133]. Plus récemment, l'histoire environnementale s'est affirmée comme un enrichissement de la compréhension du changement historique, à travers l'intégration du changement environnemental dans le social [134].
41Une approche alternative porterait sur les modalités de l’échange et des circulations entre humains et non-humains, en cessant de limiter les collectifs à la seule sphère sociale, ainsi qu'y invite Philippe Descola [135]. Alors que la vision anthropocentrée et néoclassique des ressources a longtemps nié le concours de la nature à la production de richesses, Piero Bevilacqua a proposé de prendre en compte la productivité propre de la nature en la considérant comme un partenaire coopérant et actif, et donc d'aborder le social par les flux de matière et d’énergie [136]. Dans cette histoire des échanges entre la force créatrice de la nature et la force transformatrice de l'homme [137], les analyses s'organiseraient autour de la processualité, saisie à partir des lieux et des espaces où elle s'organise, articulant le micro et le macro et s’éloignant du naturalisme du cadrage géologique initial. La typologie des échanges déploierait la gamme des formes d'appropriation de la Terre, depuis la symétrie des groupes humains non naturalistes jusqu’à la prédation conçue comme un échange forcé et inégal. Comme l'illustre l'exemple de Versailles, un territoire peut ainsi être lu à travers la confrontation entre trois écologies qui interrogent de manière dissemblable le rapport des humains à la nature, selon qu'il passe par la technique, le vivant ou le patrimoine [138]. À la différence des réseaux techniques et hydrauliques dont l'extension apparaît sans limite, les pratiques du vivant à l’œuvre dans le parc de chasse permettent le surgissement d'un modèle de gouvernement de la nature, mais celui-ci reste impossible à assumer dans le contexte de l'Ancien Régime : ce Versailles organique, vivant, énergétique s’éteint avec le départ du roi et de la cour. L'histoire de l'art installe ensuite la figure minérale du roi patrimonialisé sur cette mort du palais comme lieu habité, mobilisant un modèle morphologique tiré de l'histoire naturelle. Si un cas d’étude aussi réduit donne à voir des articulations si complexes, imaginons ce que donnerait une histoire des micropartages à l’échelle globale et impériale, suivant les variations du gradient des rapports de force écologiques.
42À cette échelle micro, les approches métaboliques pourraient alors jouer leur rôle. Elles ont d'abord été élaborées pour être appliquées synchroniquement à des territoires, en particulier aux flux entrants et sortants des villes, et n'ont emprunté que tardivement la dimension diachronique des trajectoires historiques et des courbes. En remontant aux origines plus lointaines du concept chez Karl Marx, un sens plus anthropologique apparaît, celui d'un échange de matière entre les humains et la nature, sous la forme d'une interdépendance mutuelle qui peut être rompue par l'aliénation du travail. La théorie moderne des écosystèmes, à travers l'analogie avec la conversion biochimique cellulaire, a permis de conceptualiser l'accumulation de capital naturel, au détriment de la caractérisation des liens qui se constituent entre humains et non-humains à travers cet échange [139]. Or les pratiques de transformation de la nature, inscrites dans l'histoire, tissent des schèmes de relations entre ces êtres, des formes de solidarité qui configurent les liens sociaux – ainsi de la thèse d'André Georges Haudricourt sur les rapports de type « amical » caractérisant la culture kanake des plantes à tubercule, à la différence des plantes à graine et de l’élevage [140]. La pesée du monde se joue dans la confrontation entre des degrés d'appropriation de la nature, dont la potentialité varie selon les modalités de l’échange. Ce sont ces seuils qu'il faut caractériser, sans se limiter aux effets de l'industrialisation et des énergies fossiles, en revenant, avec Fernand Braudel, sur des hypothèses anciennes :
Sur d’énormes espaces, même au déclin du xviiie siècle, se retrouve une sorte de vie animalière primitive du monde : l'homme qui surgit au milieu de ces paradis y est la tragique innovation. [. . .] Ce qui s'est brisé avec le xviiie siècle, en Chine comme en Europe, c'est un ancien régime biologique, ensemble de contraintes, d'obstacles, de structures, de rapports, de jeux numériques qui jusque-là avaient été la norme [141].
44L'Anthropocène ne peut être retenu comme période historique à moins de subir une perte de complexité considérable dans la prise en compte de l'hétérogénéité et des discontinuités qui font les sociétés humaines, inscrites dans des lieux et des temps pluriels, produisant leurs contextes au lieu de s'emboîter dans un donné préexistant. En revanche, ce débat souligne la nécessité d'enrichir les seuils de l'histoire – jusqu'ici trop exclusivement humains –, d'historiciser les échanges avec la matière – trop souvent considérée comme inerte – et de rebattre la définition des collectifs – encore attachée à une figure datée de l’émancipation. Alors que de plus en plus de non-historiens accordent une centralité inédite à l'historicité du monde physique et vivant, il est plus que jamais important de révéler la robustesse des outils d'analyse de l'histoire des rapports collectifs à la nature et de ne pas laisser le passé devenir un simple réservoir d'exemples perdant en intelligibilité.
45Avec le naturalisme, même s'il n'a jamais été intégral, l'Occident a produit un outil puissant d'appropriation et de transformation de la nature, dont on connaît les conséquences historiques sur des sociétés qui avaient des rapports plus symétriques avec les êtres et les phénomènes non humains. Nourri par l'espace d'expérience et l'horizon d'attente qui font les modèles d'historicité, le concept d'histoire est apparu simultanément comme l'ambition d'un temps commun aux sociétés et à ce qui les entoure, partagé mais certainement pas unique et universel [142]. Synchroniser la planète et la recentrer sur les pays historiquement émetteurs de CO2 serait alors réducteur, en déniant la capacité de toutes les sociétés à modifier leur environnement et en écartant la nécessité de peser et de comprendre ces différentes échelles d'appropriation de la nature, en somme la diversité phénoménale du global. L'efficacité mobilisatrice du slogan unificateur se paierait en retour d'un partage entre, d'un côté, le moteur modernisateur des énergies fossiles, apanage dans le passé d'une poignée de nations, et, de l'autre, des sociétés qui feraient moins l'histoire. L'Anthropocène comme scène intellectuelle s'est construit sur la volonté de réorienter l'avenir de la planète décrite par les modèles des climatologues, de la mettre sur les rails du scénario le moins pessimiste possible. Ce projet politique mérite d’être soutenu mais, dans l'ordre du savoir, il introduit une téléologie qui sape la compréhension du devenir des sociétés, celle qui est nécessaire pour peser sur les processus transformant le climat, la biodiversité, les cycles de l'azote et du phosphore, les eaux douces, les sols et les océans.
Notes
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[1]
L’échelle des temps géologiques est divisée en unités géochronologiques qui sont, par ordre décroissant des intervalles de temps, les éons (le Phanérozoïque est l'un des quatre éons), les ères (le Phanérozoïque se subdivise en trois ères, le Cénozoïque, le Mésozoïque et le Paléozoïque), les périodes (le Cénozoïque comprend trois périodes, le Paléogène, le Néogène et le Quaternaire), les époques (la période quaternaire est découpée en deux époques, le Pléistocène et l'Holocène) et les âges (le Pléistocène comprend quatre âges, le Gélasien, le Calabrien, le Moyen et le Supérieur). L'actualisation de la charte stratigraphique mondiale est publiée sur le site de l'International Commission on Stratigraphy (http://www.stratigraphy.org/index.php/ics-chart-timescale).
-
[2]
Anthropocene, créée en septembre 2013, Elementa: Science of the Anthropocene, en décembre 2013, et The Anthropocene Review, en avril 2014.
-
[3]
Voir le programme en ligne : https://aaa.confex.com/aaa/2014/webprogram/meeting.html.
-
[4]
Richard Monastersky, « Anthropocene: The Human Age », Nature, 519, 2015, p. 144-147. En France, l'Anthropocène a fait son entrée dans les programmes scolaires en 2016 pour les classes de première et de terminale, série sciences et technologies de l'hôtellerie et de la restauration (Bulletin officiel, 11, 17 mars 2016).
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[5]
La présentation des seize sous-commissions est détaillée sur le site de l'International Commission on Stratigraphy : http://www.stratigraphy.org/index.php/ics-subcommissions.
-
[6]
Pour la composition de l'Anthropocene Working Group, voir http://quaternary.stratigraphy.org/workinggroups/anthropocene/.
-
[7]
Le communiqué de presse de l'Anthropocene Working Group figure sur le site de l'université de Leicester, institution de rattachement de Jan Zalasiewicz : http://www2.le.ac.uk/offices/press/press-releases/2016/august/media-note-anthropocene-working-group-awg. Le ka correspond à un millier d'années avant aujourd'hui.
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[8]
Voir en particulier un article citant largement les chercheurs : Damian Carrington, « The Anthropocene Epoch: Scientists Declare Dawn of Human-Influenced Age », The Guardian, 29 août 2016, https://www.theguardian.com/environment/2016/aug/29/declare-anthropocene-epoch-experts-urge-geological-congress-human-impact-earth.
-
[9]
La dimension cumulative du savoir se lit d'une édition à l'autre de La Méditerranée, car Fernand Braudel est amené à ajouter une « Note complémentaire » au chapitre sur le climat pour intégrer les travaux publiés entre 1949 et 1966 par le climatologue anglais D. J. Schove, « Discussion: Post-Glacial Climatic Change », Quaterly Journal of the Royal Meteorological Society, 75-324, 1949, p. 175-179 et 181 ; par le géographe français Pierre Pédelaborde, Le climat du Bassin parisien. Essai d'une méthode rationnelle de climatologie physique, Paris, M. T. Genin, 1957 ; par l'historien suédois Gustav Utterström, « Climatic Fluctuations and Population Problems in Early Modern History », The Scandinavian Economic History Review, 3-1, 1955, p. 3-47 ; par l'historien français Emmanuel Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, Paris, Imprimerie nationale, 1966. Voir Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949, p. 230-235 ; 2e édition, 1966, p. 249-262.
-
[10]
Paul J. Crutzen et Eugene F. Stoermer, « The ‘Anthropocene’ », Global Change Newsletter, 41, 2000, p. 17-18.
-
[11]
Paul J. Crutzen, « Geology of Mankind », Nature, 415, 2002, p. 23. Pour les carottes glaciaires, voir Jean-Robert Petitet al., « Climate and Atmospheric History of the Past 420,000 Years from the Vostok Ice Core, Antarctica », Nature, 399, 1999, p. 429-436.
-
[12]
Will Steffenet al., « The Anthropocene: Conceptual and Historical Perspectives », Philosophical Transactions of the Royal Society A, 369-1938, 2011, p. 824-867.
-
[13]
William F. Ruddiman, « The Anthropogenic Greenhouse Era Began Thousands of Years Ago », Climatic Change, 61-3, 2003, p. 261-293 ; Id., « How Did Humans First Alter Global Climate ? », Scientific American, 292-3, 2005, p. 46-53 ; Id., La charrue, la peste et le climat. Comment les premiers agriculteurs ont empêché le retour de la glaciation, trad. par A. Pietrasik, Courbevoie, Randall, [2005] 2009.
-
[14]
C'est l'acception que donne Philippe Descola au mot Anthropocène dans un entretien pour le Collège de France (https://www.youtube.com/watch?v=xCgkkkMx7Zs), avant d’évoluer vers une différence de nature entre l'anthropisation et l'Anthropocène : Philippe Descola, « Humain, trop humain », Esprit, 12, 2015, p. 8-22.
-
[15]
Jan Zalasiewiczet al., « When Did the Anthropocene Begin ? A Mid-Twentieth Century Boundary Level is Stratigraphically Optimal», Quaternary International, 383, 2015, p. 196-203.
-
[16]
Colin N. Waterset al., « Can Nuclear Weapons Fallout Mark the Beginning of the Anthropocene Epoch ? », Bulletin of the Atomic Scientists, 71-3, 2015, p. 46-57. Le radionucléide césium-137 (137Cs) et sa distribution spatiale dans l'océan Atlantique Sud permettent de documenter les niveaux globaux de radioactivité, révélant un maximum en 1963 ; voir Paulo Alves de Lima Ferreiraet al., « Using a Cesium-137 (137Cs) Sedimentary Fallout Record in the South Atlantic Ocean as a Supporting Tool for Defining the Anthropocene », Anthropocene, 14, 2016, p. 34-35.
-
[17]
Colin N. Waterset al., « The Anthropocene Is Functionally and Stratigraphically Distinct from the Holocene », Science, 351-6269, 2016, p. 206-310. Sur le plastique comme marqueur spécifique, voir Jan Zalasiewiczet al., « The Geological Cycle of Plastics and Their Use as a Stratigraphic Indicator of the Anthropocene », Anthropocene, 13, 2016, p. 4-17.
-
[18]
Voir son site : http://jaredfarmer.net/curios/extinct-device/.
-
[19]
Simon L. Lewis et Mark A. Maslin, « Defining the Anthropocene », Nature, 519, 2015, p. 171-180.
-
[20]
Stephen F. Foleyet al., « The Palaeoanthropocene: The Beginnings of Anthropogenic Environmental Change », Anthropocene, 3, 2013, p. 83-88 ; C. N. Waters, « The Anthropocene Is Functionally. . . », art. cit.
-
[21]
Ce vocabulaire n'est pas toujours manié avec toute la rigueur que supposent les intervalles géologiques ; l'Anthropocène est alternativement désigné comme ère, période ou époque, mais il est généralement considéré comme l’« âge de l'homme ».
-
[22]
P. J. Crutzen et E. F. Stoermer, « The ‘Anthropocene’ », art. cit.
-
[23]
L'expression semble avoir été utilisée pour la première fois par l'historienne des sciences Naomi Oreskes pour qualifier l'altération des processus physiques fondamentaux de la planète par le changement climatique d'origine anthropogénique : Naomi Oreskes, « The Scientific Consensus on Climate Change: How Do We Know We're Not Wrong ? », in J. F. C. DiMento et P. Doughman (dir.), Climate Change: What It Means for Us, Our Children, and Our Grandchildren, Cambridge, The Mit Press, 2007, p. 93.
-
[24]
La rencontre a été initiée lors de la 96e conférence Dahlem, « Integrated History and Future of People on Earth [Ihope] », organisée à Berlin en juin 2005 ; voir Robert Costanza, Lisa J. Graumlich et Will Steffen (dir.), Sustainability or Collapse ? An Integrated History and Future of People on Earth, Cambridge, The Mit Press, 2007.
-
[25]
John R. McNeill, Du nouveau sous le soleil. Une histoire de l'environnement mondial au xxe siècle, trad. par P. Beaugrand, Seyssel, Champ Vallon, [2001] 2010.
-
[26]
Will Steffen, Paul J. Crutzen et John R. McNeill, « The Anthropocene: Are Humans Now Overwhelming the Great Forces of Nature ? », Ambio, 36-8, 2007, p. 614-621. Pour une histoire des sciences du système-Terre, voir Sébastien Dutreuil, « Gaïa : hypothèse, programme de recherche pour le système Terre ou philosophie de la nature ? », thèse de doctorat, université Paris-1-Panthéon-Sorbonne, 2016, p. 467-629.
-
[27]
Will Steffenet al. (dir.), Global Change and the Earth System: A Planet under Pressure, Berlin, Springer, 2004 ; Johan Rockströmet al., « A Safe Operating Space for Humanity », Nature, 461, 2009, p. 472-475 ; Will Steffenet al., « Planetary Boundaries: Guiding Human Development on a Changing Planet », Science, 349-6254, 2015, p. 1286-1287.
-
[28]
Naomi Oreskes et Erik M. Conway, Les marchands de doute, ou Comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique, trad. par J. Treiner, Paris, Le Pommier, [2010] 2012.
-
[29]
Carol Boggs, « Human Niche Construction and the Anthropocene », in R. Emmett et T. Lekan (dir.), « Whose Anthropocene ? Revisiting Dipesh Chakrabarty's ‘Four Theses’ », Rcc Perspectives: Transformations in Environment and Society, 2, 2016, p. 27-30.
-
[30]
Bruce D. Smith et Melinda A. Zeder, « The Onset of the Anthropocene », Anthropocene, 4, 2013, p. 8-13.
-
[31]
C'est l'argument développé dans le domaine des politiques publiques par Guillaume Sainteny, Le climat qui cache la forêt. Comment la question climatique occulte les problèmes d'environnement, Paris, Rue de l’échiquier, 2015.
-
[32]
Ces analyses sont reprises de John R. McNeill, « Energy, Population, and Environmental Change Since 1750: Entering the Anthropocene », in J. R. McNeill et K. Pomeranz (dir.), The Cambridge World History, vol. 7.1, Production, Destruction and Connection, 1750-Present. Part I: Structures, Spaces and Boundary Making, Cambridge, Cambridge University Press, 2015, p. 51-53.
-
[33]
L'International Union of Geological Sciences et l'International Commission on Stratigraphy ont chargé, en 2008, l'Anthropocene Working Group de rédiger un rapport : Newsletter of the Anthropocene Working Group, 4, 2013, http://quaternary.stratigraphy.org/workinggroups/anthropo/anthropoceneNI4a.pdf.
-
[34]
S. L. Lewis et M. A. Maslin, « Defining the Anthropocene », art. cit., p. 174.
-
[35]
Lori A. Ziolkowski, « The Geologic Challenge of the Anthropocene », in R. Emmett et T. Lekan (dir.), « Whose Anthropocene ?. . .», op. cit., p. 35-39.
-
[36]
P. J. Crutzen, « Geology of Mankind», art. cit. Pour la critique, voir Clive Hamilton, Les apprentis sorciers du climat. Raisons et déraisons de la géo-ingénierie, trad. par C. Le Roy, Paris, Éd. du Seuil, 2013.
-
[37]
Sur la réticence des sciences sociales à renoncer à cette autogenèse de la modernité, et sur la nécessité scientifique de le faire, voir Franz Mauelshagen, « ‘Anthropozän’, Plädoyer für eine Klimageschichte des 19. und 20. Jahrhunderts », Zeithistorische Forschungen/Studies in Contemporary History, 9, 2012, p. 131-137. Sur le projet politique et la conception des droits de l'homme, voir Louis J. Korzé, « Human Rights and the Environment in the Anthropocene », The Anthropocene Review, 1-3, 2014, p. 252-275. Sur le progrès matériel et humain rapporté aux seuils métaboliques de transformation de la nature, voir Marina Fischer-Kowalski, Fridolin Krausmann et Irene Pallua, « A Sociometabolic Reading of the Anthropocene: Modes of Subsistence, Population Size and Human Impact on Earth », The Anthropocene Review, 1-1, 2014, p. 8-33.
-
[38]
Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique. L'arbre, l'animal et l'homme, Paris, Grasset, 1992 ; Marcel Gauchet, « Sous l'amour de la nature, la haine des hommes », Le Débat, 60-3, 1990, p. 247-250.
-
[39]
Timothy Mitchell, Carbon Democracy. Le pouvoir politique à l’ère du pétrole, trad. par C. Jaquet, Paris, La Découverte, [2011] 2013.
-
[40]
Cette métaphore a été proposée par Rasmus Karlsson, « Three Metaphors for Sustainability in the Anthropocene », The Anthropocene Review, 3-1, 2016, p. 23-32.
-
[41]
Stefan C. Aykut et Amy Dahan, Gouverner le climat ? Vingt ans de négociations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2014. Le cadrage serait inadapté pour quatre raisons : la fiction du tous ensemble, qui est une conception apolitique du monde ; la lecture trop environnementale de l'enjeu climatique, qui place les pollutions en fin de tuyaux ; l'illusion d'une transformation qui pourrait se faire en catimini, par exemple avec le prix du carbone, ce qui revient à dépolitiser le sujet ; l'illusion qu'un accord sur la science suffirait à définir une meilleure prise en charge du problème.
-
[42]
J. R. McNeill, « Energy, Population. . . », art. cit., p. 51-82 ; John R. McNeill et Peter Engelke, « Into the Anthropocene: People and Their Planet », in A. Iriye (dir.), Global Interdependance: The World after 1945, Cambridge, Harvard University Press, 2014, p. 365-533. Ce chapitre a été publié ensuite sous forme de livre, ce qui masque l'effet de cadrage : John R. McNeill et Peter Engelke, The Great Acceleration: An Environmental History of the Anthropocene since 1945, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 2014.
-
[43]
J. R. McNeill et P. Engelke, The Great Acceleration. . ., op. cit., p. 261.
-
[44]
Alf Hornborg et Andreas Malm, « The Geology of Mankind ? A Critique of the Anthropocene Narrative », The Anthropocene Review, 1-1, 2014, p. 62-69. Parmi les exemples d'une vision de l’anthropos antisociale, ils citent Bronislaw Szerszynski, « The End of the End of Nature: The Anthropocene and the Fate of the Human », Oxford Literary Review, 34, 2012, p. 165-184.
-
[45]
Jessica Barnes, « Rifts or Bridges ? Ruptures and Continuities in Human-Environment Interactions », in R. Emmett et T. Lekan (dir.), « Whose Anthropocene ?. . .», op. cit. ; Sayre Nathan, « The Politics of the Anthropogenic », Annual Review of Anthropology, 41, 2012, p. 57-70 ; Mike Hulme, « Reducing the Future to Climate: A Story of Climate Determinism and Reductionism », Osiris, 26, 2011, p. 245-266.
-
[46]
Timothy J. LeCain, « Against the Anthropocene: A Neo-Materialist Perspective », Hcm: International Journal for History, Culture and Modernity, 3-1, 2015, p. 1-28.
-
[47]
Il est difficile d'en faire une liste exhaustive, l'une des dernières étant le « Betacène » de l'anthropologue Cymene Howe, « Introduction: Lexicon for an Anthropocene Yet Unseen », Cultural Anthropology, 2016, https://culanth.org/fieldsights/788-introduction-lexicon-for-an-anthropocene-yet-unseen. Le « Trumpocène » a fait son apparition après l’élection de Donald Trump pour désigner l'impact climatique que pourrait avoir le renoncement des États-Unis aux efforts d'atténuation ; voir Stéphane Foucart, « L'an I du Trumpocène », Le Monde, 15 nov. 2016, p. 25.
-
[48]
Jason Moore (dir.), Anthropocene or Capitalocene ? Nature, History, and the Crisis of Capitalism, Oakland, Pm Press, 2016, p. xi. Pour les arguments contre l'Anthropocène, voir Jason Moore, « The Rise of Cheap Nature », ibid., p. 78-115, en particulier p. 81. Les conceptions de J. Moore et de A. Malm ont sensiblement divergé depuis, s'opposant dans leur définition de la nature et leur relecture de la tradition marxiste ; voir Paul Gillibert et Stéphane Haber (dir.), dossier thématique « Marxismes écologiques », Actuel Marx, 61-1, 2017, p. 7-105.
-
[49]
Alf Hornborg, « Ecological Economics, Marxism, and Technological Progress: Some Explorations of the Conceptual Foundations of Theories of Ecologically Unequal Exchange », Ecological Economics, 105, 2014, p. 11-18 ; John Bellamy Foster et Hannah Holleman, « The Theory of Unequal Ecological Exchange: A Marx-Odum Dialectic », Journal of Peasant Studies, 41-2, 2014, p. 199-233. Cette approche, qui considère que l'ensemble des sociétés humaines à la surface du globe forment un système dont les éléments sont en interaction les uns avec les autres, est distincte du système-Terre des sciences de la Terre qui aborde la planète à partir de l'imbrication de sous-systèmes géophysiques et vivants. La congruence entre système-monde et système-Terre constitue l'un des enjeux du débat sur l'Anthropocène.
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[50]
Andreas Malm, Fossil Capital: The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Londres, Verso, 2016, p. 165-194.
-
[51]
Donna J. Haraway, « Staying with the Trouble: Anthropocene, Capitalocene, Chthulucene », in J. Moore (dir.), Anthropocene or Capitalocene ?. . ., op. cit., p. 34-76 ; Id., Staying with the Trouble: Making Kin in the Chthulucene, Durham, Duke University Press, 2016.
-
[52]
Eileen Crist, « On the Poverty of Our Nomenclature », in J. Moore (dir.), Anthropocene or Capitalocene ?. . ., op. cit., p. 14-33 ; Frédéric Neyrat, La part inconstructible de la Terre. Critique du géo-constructivisme, Paris, Éd. du Seuil, 2016 ; Pierre Charbonnier, « Constructivisme et urgence environnementale », La vie des idées, 10 mai 2016, http://www.laviedesidees.fr/Constructivisme-et-urgence-environnementale.html.
-
[53]
Donna Harawayet al., « Anthropologists Are Talking: About the Anthropocene », Ethnos, 81-3, 2016, p. 535-564.
-
[54]
Sebastian V. Grevsmühl, La Terre vue d'en haut. L'invention de l'environnement global, Paris, Éd. du Seuil, 2014.
-
[55]
D. Harawayet al., « Anthropologists Are Talking. . . », art. cit., p. 540-541. Sur la dimension religieuse de l'Anthropocène, voir David Lowenthal, « Origins of Anthropocene Awareness », The Anthropocene Review, 3-1, 2016, p. 52-63.
-
[56]
Anna L. Tsing, « Feral Biologies », communication à la conférence « Anthropological Visions of Sustainable Futures », Londres, University College London, févr. 2015. Sur le rôle bénéfique de l'assemblage entre les espèces, qui est dénié par l'Anthropocène, voir Anna L. Tsing, The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalist Ruins, Princeton, Princeton University Press, 2015, p. 19-25.
-
[57]
S. Gilbert développe cet argument dans la discussion collective menée par Donna J. Haraway, « Anthropocene, Capitalocene, Plantationocene, Chthulucene: Making Kin », Environmental Humanities, 6-1, 2015, p. 159-165, ici p. 162.
-
[58]
Sur l’émergence de ces nouveaux champs de la science qui, comme pour la « mégascience » de l'après-Seconde Guerre mondiale, nécessitent des investissements lourds portés par les États ou des alliances gouvernementales internationales, voir Dominique Pestre, « Savoirs et sciences de la Renaissance à nos jours. Une lecture de longue durée », in C. Bonneuil et D. Pestre (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, t. 3, Le siècle des technosciences, depuis 1914, Paris, Éd. du Seuil, 2015, p. 461-485, ici p. 468 et 480-482.
-
[59]
Antonella Romano, « Fabriquer l'histoire des sciences modernes. Réflexions sur une discipline à l’ère de la mondialisation », Annales HSS, 70-2, 2015, p. 381-408, en particulier p. 391-395.
-
[60]
Cette position est développée par Jamie Lorimer, « The Anthropo-scene: A Guide for the Perplexed », Social Studies of Science, 47-1, 2017, p. 117-142.
-
[61]
Francis Chateauraynaudet al., « Des risques globaux à la pluralité des anthropo-scènes. Logiques d'action et jeux d’échelles dans les sociologies de l'environnement », résumé des interventions du colloque international « Comment penser l'Anthropocène ? Anthropologues, philosophes et sociologues face au changement climatique », Paris, Collège de France, 5-6 nov. 2015, http://www.fondationecolo.org/l-anthropocene/resumes, p. 22.
-
[62]
A. Hornborg et A. Malm, « The Geology of Mankind. . . », art. cit., p. 64 ; Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène. La Terre, l'histoire et nous, Paris, Éd. du Seuil, 2013, p. 42 et 115.
-
[63]
« Faites de la parenté, pas des enfants ! » ; D. Haraway, « Anthropocene, Capitalocene. . . », art. cit., p. 161.
-
[64]
Julien Vincent, « Le climat de l'histoire et l'histoire du climat. À propos des ‘quatre thèses’ de Dipesh Chakrabarty », La revue des livres, 3, 2012, p. 28-35.
-
[65]
Dipesh Chakrabarty, « The Climate of History: Four Theses », Critical Inquiry, 35-2, 2009, p. 197-222 ; « Le climat de l'histoire. Quatre thèses », trad. par C. Nordmann, La revue internationale des livres et des idées, 15, 2010, p. 22-31.
-
[66]
La première version de cet article a été publiée en 2008 en bengali dans la revue Baromas, éditée à Calcutta.
-
[67]
Anil Agarwal et Sunita Narain, Global Warming in an Unequal World: A Case of Environmental Colonialism, New Delhi, Centre for Science and Environment, 1991.
-
[68]
Cet argument est développé de manière détaillée dans Dipesh Chakrabarty, « Climate and Capital: On Conjoined Histories », Critical Inquiry, 41-1, 2014, p. 1-23, mais il est présent dès le départ. Sur l'importance de la question démographique, voir Dipesh Chakrabarty, « ‘In the Name of Politics’: Democracy and the Power of the Multitude in India », Public Culture, 19-51, 2007, p. 35-57, repris in Nathalie Karagiannis et Peter Wagner (dir.), Varieties of World-Making: Beyond Globalization, Liverpool, Liverpool University Press, 2007, p. 111-132.
-
[69]
Cette lecture de l'itinéraire intellectuel et politique de D. Chakrabarty – une stratégie voltairienne de déplacement de l'attention vers le concept d'histoire pour mieux masquer les apories des théories subalternistes à l'heure de l'Anthropocène – diffère sensiblement de celle qu'il propose lui-même (la prise de conscience, en Australie dans les années 2000, des effets du changement climatique, qui l'a éloigné de l'idéal rural et littéraire de la classe moyenne bengali éduquée), mais conduit à prendre au sérieux ses arguments sur sa fidélité à la cause des dominés et à leur capacité d'action. Cette prise en compte de l'enjeu démographique le distingue d'autres lectures environnementales du marxisme centrées sur le système de production et d'appropriation, notamment celles de J. Moore et de A. Malm ; voir Dipesh Chakrabarty, « Réécrire l'histoire depuis l'Anthropocène », Actuel Marx, 61-1, 2017, p. 95-105.
-
[70]
Pour une introduction à la première, voir David Christian, Maps of Time: An Introduction to Big History, Berkeley, University of California Press, 2011, et à la seconde, voir Daniel Lord Smail et Andrew Shyrock, « History and the ‘Pre’ », American Historical Review, 118-3, 2013, p. 709-737.
-
[71]
W. Steffen, P. J. Crutzen et J. R. McNeill, « The Anthropocene: Are Humans. . . », art. cit., p. 614-615.
-
[72]
Compte rendu de Guillaume Calafat des ouvrages de Daniel Lord Smail, On Deep History and the Brain, Berkeley, University of California Press, 2008, et de Andrew Shyrock et Daniel Lord Smail (dir.), Deep History: The Architecture of Past and Present, Berkeley, University of California Press, 2011, dans les Annales HSS, 70-2, 2015, p. 439-441 ; Rafael Mandressi, « Le temps profond et le temps perdu. Usages des neurosciences et des sciences cognitives en histoire », Revue d'histoire des sciences humaines, 25-2, 2011, p. 165-202 ; Guillaume Calafat, « Introduction. Daniel Lord Smail et la ‘neuro-histoire’ », in O. Allard, G. Calafat et N. La Valle (dir.), no hors-série « Traduire et introduire », Tracés, 14, 2014, p. 85.
-
[73]
Les Annales ont récemment consacré un dossier autour d'un article de David Armitage et de Jo Guldi qui en résume les propositions : « La longue durée en débat », Annales HSS, 70-2, 2015, p. 285-378.
-
[74]
Jo Guldi et David Armitage, The History Manifesto, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 65-66, 69-70, 84 et 86.
-
[75]
Andrew Shyrock et Daniel Lord Smail (dir.), Deep History: The Architecture of Past and Present, Berkeley, University of California Press, 2011, p. 102, 245-246, 250 et 255.
-
[76]
D. Chakrabarty, « Whose Anthropocene ?. . . », art. cit., p. 103-115 ; Edward O. Wilson, In Search of Nature, Washington, Island Press, 1996 ; Id., Consilience: The Unity of Knowledge, New York, Alfred A. Knopf, 1998 ; D. L. Smail, On Deep History and the Brain, op. cit.
-
[77]
D. Chakrabarty, « Climate and Capital. . . », art. cit., p. 1.
-
[78]
Dipesh Chakrabarty, « The Human Significance of the Anthropocene », in B. Latour et C. Leclerc (dir.), Reset Modernity !, Cambridge, The Mit Press, 2016, p. 189-199.
-
[79]
C'est l'avis de la majorité des participants au colloque organisé par l'University of South Carolina et le Rachel Carson Center, qui insistent sur ce point ; voir R. Emmett et T. Lekan (dir.), « Whose Anthropocene ?. . .», op.cit., p. 66-67, 89-90, 92-94, 107 et 111.
-
[80]
C'est le cas lorsque l'Anthropocène est divisé en Pré-Anthropocène, Anthropocène 1, Anthropocène 2 ; voir W. Steffen, P. J. Crutzen et J. R. McNeill, « The Anthropocene. . . », op. cit.
-
[81]
Grégory Quenet, « Un nouveau champ d'organisation de la recherche, les humanités environnementales », in G. Blanc, É. Demeulenaere et W. Feuerhahn (dir.), Les humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes, Paris, Publications de la Sorbonne, 2017, p. 255-270.
-
[82]
Morgan Jouvenet, « Des pôles aux laboratoires : les échelles de la coopération internationale en paléoclimatologie (1955-2015) », Revue française de sociologie, 57-3, 2016, p. 563-590.
-
[83]
Le site de l'Igbp, qui n'est plus actualisé depuis la fin du programme en 2015, offre déjà un premier aperçu de ces liens : http://www.igbp.net/about/history.4.1b8ae20512db692f2a680001291.html. Voir aussi World Social Science Report 2013: Changing Global Environments, Paris, Unesco/Issc, 2013.
-
[84]
Ihope désigne le projet d’écrire une Integrated History and Future of People on Earth. Un premier historique est proposé par Libby Robin et Will Steffen, « History for the Anthropocene », History Compass, 5-5, 2007, p. 1694-1719.
-
[85]
Pour une présentation de ce nouveau mode de production du savoir, voir Michael Gibbonset al., The New Production of Knowledge: The Dynamics of Science and Research in Contemporary Societies, Londres, Sage, 1994.
-
[86]
En France, les deux programmes de recherche spécifiquement consacrés à l'Anthropocène ont été retenus par des jurys d'Idex, interdisciplinaires mais marqués par les sciences dures : « Politiques de la Terre à l’épreuve de l'Anthropocène » de l'université Sorbonne-Paris-Cité (http://politiquesdelaterre.fr/) et « Humanités environnementales à l’épreuve de l'Anthropocène » de Paris Sciences et Lettres (https://www.univ-psl.fr/fr/main-menu-pages/4139).
-
[87]
C. Bonneuil et J.-B. Fressoz, L’événement Anthropocène. . ., op. cit.
-
[88]
Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, The Shock of the Anthropocene, trad. par D. Fernbach, Londres, Verso, [2013] 2016.
-
[89]
C. Bonneuil et J.-B. Fressoz, L’événement Anthropocène. . ., op. cit., p. 9 et 40.
-
[90]
Pour la critique de cette thèse, voir l'entretien avec Simon Schaffer, « Newton, les Sex Pistols et la pompe à air. L'histoire des sciences généralistes de Simon Schaffer (2/2) », Zilsel, 2014, http://zilsel.hypotheses.org/860/ ; Clive Hamilton et Jacques Grinevald, « Was the Anthropocene Anticipated ? », The Anthropocene Review, 2-1, 2015, p. 59-72 ; Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2015, p. 182.
-
[91]
Marina Fischer-Kowalski et Helmut Haberl (dir.), Socioecological Transitions and Global Change: Trajectories of Social Metabolism and Land Use, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2007.
-
[92]
Alain Guerreau, « Avant le marché, les marchés : en Europe, xiiie-xviiie siècle (note critique) », Annales HSS, 56-6, 2001, p. 1129-1175 ; Jean-Yves Grenier, L’économie d'Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l'incertitude, Paris, Albin Michel, 1996.
-
[93]
Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 2017, p. 21-107.
-
[94]
Alf Hornborg, « Ecosystems and World Systems: Accumulation as an Ecological Process », Journal of World-Systems Research, 4-2, 1998, p. 169-177 ; Id., « Toward a Truly Global Environmental History: A Review Article », Review: Journal of the Fernand Braudel Center, 33-4, 2010, p. 295-323.
-
[95]
Sur les changements anthropogéniques globaux et la synchronisation du monde, voir le colloque « Synchronizing the World: Historic Times, Globalized Times, Anthropogenic Times », université d'Oslo, 12-14 juin 2017, http://www.hf.uio.no/ikos/english / research / projects / synchronizing-the-world-globalization-and-multipl/events/conferences/2017/stw-conference/synchro-cfp.html.
-
[96]
Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches ?, Paris, Éd. du Seuil, 2014.
-
[97]
Cette téléologie mise à part, les analogies sont frappantes avec la figure du changement proposée par l'histoire sociale de la croissance et de l'entrée dans la modernité au cours des années 1950-1970 ; voir André Burguière, « Le changement social : brève histoire d'un concept », in B. Lepetit (dir.), Les formes de l'expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 253-272. Mais là où cette forme d'histoire sociale faisait dialoguer les courbes à travers le rapport entre structure et conjoncture, les thèses anthropocéniques procèdent par traduction et équivalence entre grandeurs physiques et sociales, ou par opportunités de substitution.
-
[98]
Sur les chemins tortueux qui ont conduit à affirmer la primauté du social sur la nature, voir Pierre Charbonnier, La fin d'un grand partage. Nature et société, de Durkheim à Descola, Paris, Cnrs Éditions, 2015.
-
[99]
Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris, Puf, [1893] 2013, p. 232.
-
[100]
Sur la distinction avec les phénomènes naturels non immanents à l'histoire, voir les arguments de Patrick Boucheron à propos de l’éruption du Kuwae en 1452 ; Patrick Boucheron, « Introduction. Les boucles du monde : contours du xve siècle », in P. Boucheron (dir.), Histoire du monde au xve siècle, Paris, Fayard, 2009, t. 1, p. 9-49, ici p. 9-25.
-
[101]
F. Stuart Chapinet al., « Ecosystem Stewardship: Sustainability Strategies for a Rapidly Changing Planet », Trends in Ecology and Evolution, 25, 2010, p. 241-249 ; Martin Claussenet al., « Simulation of an Abrupt Change in Saharan Vegetation at the End of the Mid-Holocene », Geophysical Research Letters, 24, 1999, p. 2037-2040 ; Anthony D. Barnoskyet al., « Has the Earth's Sixth Mass Extinction Already Arrived ? », Nature, 471, 2011, p. 51-57 ; Carl Folkeet al., « Resilience Thinking: Integrating Resilience, Adaptability, and Transformability », Ecology and Society, 15-4, 2010, art. 20, http://www.ecologyandsociety.org/vol15/iss4/art20/ ; Timothy M. Lentonet al., « Tipping Elements in the Earth's Climate System », Proceedings of the National Academic of Sciences, USA, 105, 2008, p. 1786-1793 ; Frederik Moberg et Carl Folke, « Ecological Services of Coral Reef Ecosystems », Ecological Economics, 29, 1999, p. 215-233 ; Johan Rockströmet al., « A Safe Operating Space For Humanity », Nature, 461, 2009, p. 472-475 ; Marten Schefferet al., « Catastrophic Shifts in Ecosystems », Nature, 413, 2001, p. 591-596.
-
[102]
Pour une vision synthétique, voir Will Steffenet al., « The Anthropocene: From Global Change to Planetary Boundary », Ambio, 40, 2011, p. 739-761.
-
[103]
Robert Costanzaet al., « Sustainability or Collapse: What Can We Learn from Integrating the History of Humans and the Rest of Nature ? », Ambio, 36, 2007, p. 522-527.
-
[104]
Pour la présentation de ce débat, voir Laurent Mucchielli, La découverte du social. Naissance de la sociologie en France, 1870-1914, Paris, La Découverte, 1998, p. 269-276.
-
[105]
Gabriel Tarde, « Le transformisme social », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 40, 1895, p. 26-40 ; Id., « L'idée de l'organisme social », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 41, 1896, p. 637-646.
-
[106]
François Simiand, « L'année sociologique française 1896 », Revue de métaphysique et de morale, 5, 1897, p. 489-519, ici p. 498.
-
[107]
Par exemple, pour introduire la Terre comme narrativité, voir la conférence de Bruno Latour, « Anthropology at the Time of the Anthropocene: A Personal View of What Is to Be Studied », Washington, American Association of Anthropologists, 2014 : « La principale contribution philosophique de l'Anthropocène est que la dimension narrative – ce que j'appelle géohistoire – n'est plus une couche ajoutée à la ‘réalité physique’ brutale mais ce dont le monde lui-même est fait » (trad. de l'auteur), http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/139-AAA-Washington.pdf.
-
[108]
Isabelle Stengers a joué un rôle central dans cette importation ; Gaïa lui sert à désigner l’événement qui fait intrusion dans l'expérience humaine et son effectivité, comme antidote au concept d'Anthropocène réifié en période : Isabelle Stengers, « Accepting the Reality of Gaia: A Fundamental Shift ? », in C. Hamilton, C. Bonneuil et F. Gemenne (dir.), The Anthropocene and the Global Environmental Crisis, Londres, Routledge, 2015, p. 134-144. Voir aussi S. Dutreuil, « Gaïa : hypothèse. . . », op. cit.
-
[109]
Pour une critique de la notion d'effondrement par des archéologues et des anthropologues, voir Patricia A. McAnany et Norman Yoffee, Questioning Collapse: Human Resilience, Ecological Vulnerability and the Aftermath of Empire, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
-
[110]
B. Latour, Face à Gaïa. . ., op. cit., p. 182.
-
[111]
Dorothea Heinz et Bruno Latour, « La prose du monde s'est-elle vraiment interrompue ? », in H. Bredekamp (dir.), Bildwelten des Wissens, vol. 9-1, Präparate, Berlin, Akademie Verlag, 2012, p. 99-102.
-
[112]
B. Latour et C. Leclercq (dir.), Reset Modernity !, op. cit. ; Id., « Procedure 7: In Search of a Diplomatic Middle Ground », ibid., p. 405-409.
-
[113]
B. Latour, Face à Gaïa. . ., op. cit., notamment p. 9-12 et 239-284 ; François Hartog, « L'apocalypse, une philosophie de l'histoire », Esprit, 6, 2014, p. 22-32.
-
[114]
Cette sociologie a été engagée par Hartmut Rosa sous l'angle de l'accélération écologique de l’âge industriel, mais sans accorder de rôle central au concept d'Anthropocène, encore trop récent : Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, trad. par. D. Renault, Paris, La Découverte, [2005] 2010 ; Hartmut Rosa et William E. Scheuerman (dir.), High-Speed Society: Social Acceleration, Power, and Modernity, University Park, Penn State University Press, 2009.
-
[115]
Eduardo Kohn, Comment pensent les forêts. Vers une anthropologie au-delà de l'humain, trad. par G. Delaplace, Bruxelles, Zones sensibles, [2013] 2017.
-
[116]
Jean-Baptiste Fressozet al., Introduction à l'histoire environnementale, Paris, La Découverte, 2014.
-
[117]
Arthur F. McEvoy, The Fisherman's Problem: Ecology and Law in the California Fisheries, 1850-1980, New York, Cambridge University Press, 1986.
-
[118]
Joseph E. Taylor III, Making Salmon: An Environmental History of the Northwest Fisheries Crisis, Seattle, University of Washington Press, 1999 ; Id., « Burning the Candle at Both Ends: Historicizing Overfishing in Oregon's Nineteenth-Century Salmon Fisheries », Environmental History, 4-1, 1999, p. 54-79.
-
[119]
« Media Note: Anthropocene Working Group (Awg) », 2016, http://www2.le.ac.uk/offices/press/press-releases/2016/august/media-note-anthropocene-working-group-awg.
-
[120]
Dipesh Chakrabarty, « Postcolonial Studies and the Challenge of Climate Change », New Literary History, 43-1, 2012, p. 1-18.
-
[121]
Déborah Danowski et Eduardo Viveiros de Castro, « L'arrêt de monde », in É. Hache (dir.), De l'univers clos au monde infini, Bellevaux, Éd. Dehors, 2014, p. 221-339.
-
[122]
Romain Bertrand, « La tentation du monde : ‘histoire globale’ et ‘récit symétrique’ », in C. Granger (dir.), À quoi pensent les historiens ? Faire de l'histoire au xxie siècle, Paris, Autrement, 2013, p. 181-196 ; Roger Chartier, « La conscience de la globalité (commentaires) », Annales HSS, 56-1, 2001, p. 119-123.
-
[123]
Richard H. Grove, Les îles du Paradis. L'invention de l’écologie aux colonies, 1660-1854, trad. par M. Lefèvre, Paris, La Découverte, [1993] 2013.
-
[124]
C'est la thèse défendue par Ursula Heise dans son analyse des recompositions entre la modernité, la globalisation et l’échelle planétaire : Ursula Heise, Sense of Place and Sense of Planet: The Environmental Imagination of the Global, New York, Oxford University Press, 2008.
-
[125]
Francesca Trivellato, « Is There a Future for Italian Microhistory in the Age of Global History ? », California Italian Studies, 2-1, 2011, p. 1-24.
-
[126]
Antonella Romano, Impressions de Chine. L'Europe et l'englobement du monde, xvie-xviie siècle, Paris, Fayard, 2016, en particulier p. 7-26.
-
[127]
L'expression provient du titre de la première partie des Paysans de Languedoc dans sa version intégrale : Emmanuel Le Roy Ladurie, Les paysans de Languedoc, Paris, Imprimerie nationale, 1966 ; Ibid., Paris, Sevpen, 1966 ; Ibid., Paris/La Haye, Mouton, 1974 ; Ibid. [nouvelle édition], Paris, Éd. de l'Ehess, 1985. Les éditions abrégées sont Ibid., Paris, Flammarion, 1969 ; Ibid., Paris, Le grand livre du mois, 2000 [22e édition].
-
[128]
Michel de Certeau, L’écriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 80-83.
-
[129]
Fredrik Albritton Jonsson, Enlightenment's Frontier: The Scottish Highlands and the Origins of Environmentalism, New Haven, Yale University Press, 2013 ; Id., « The Origins of Cornucopianism: A Preliminary Genealogy », Critical Historical Studies, 1-1, 2014, p. 151-168.
-
[130]
D. Chakrabarty, « The Climate of History. . . », art. cit., p. 201-207.
-
[131]
Cette question ouvre le livre classique de Raymond Aron, Introduction à la philosophie de l'histoire. Essai sur les limites de l'objectivité historique, Paris, Gallimard, 1948, p. 17-49.
-
[132]
Reinhart Koselleck, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, trad. par J. et M.-C. Hoock, Paris, Éd. de l'Ehess, [1979] 2016, p. 46.
-
[133]
Sylvie Mesure, « Présentation », in W. Dilthey, L’édification du monde historique dans les sciences de l'esprit, trad. par S. Mesure, Paris, Éd. du Cerf, [1910] 1988, p. 5-28, ici p. 7-12.
-
[134]
Grégory Quenet, Qu'est-ce que l'histoire environnementale ?, Seyssel, Champ Vallon, 2014.
-
[135]
Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, p. 341-385.
-
[136]
Piero Bevilacqua, Tra nature e storia, Rome, Donzelli, 1996.
-
[137]
Marco Armiero et Stefania Barca, Dell'ambiente. Une introduzione, Rome, Carocci, 2004.
-
[138]
Grégory Quenet, Versailles, une histoire naturelle, Paris, La Découverte, 2015.
-
[139]
Pour la généalogie du concept et ses recompositions vers une version biochimique et systémique, voir Marina Fischer-Kowalski, « Society's Metabolism: The Intellectual History of Material Flow Analysis, Part I: 1860-1970 », Journal of Industrial Ecology, 2-1, 1998, p. 61-78.
-
[140]
André Georges Haudricourt, « Nature et culture dans la civilisation de l'igname. L'origine des clones et des clans », L'Homme, 4-1, 1964, p. 93-104.
-
[141]
Fernand Braudel, Civilisation matérielle et capitalisme, vol. 1, Les structures du quotidien, Paris, Armand Colin, 1967, p. 51.
-
[142]
Sur la tension qui traverse le concept d'histoire depuis le xviiie siècle, entre l'idée d'un processus civilisationnel interne et celle d'une entité confrontée à d'autres espaces, voir Antoine Lilti, « ‘Et la civilisation deviendra générale’. L'Europe de Volney ou l'orientalisme à l’épreuve de la Révolution », La Révolution française, 4, 2011, http://lrf.revues.org/290, en particulier p. 3, § 5.