CAIRN.INFO : Matières à réflexion

L’invasion de l’Ukraine par les forces russes, 24 février 2022, constitue un choc profond pour l’Allemagne. Elle a été qualifiée par le chancelier Scholz, devant le Bundestag, de « tournant historique » (Zeitenwende) et s’accompagne d’une rupture radicale de la politique russe de l’Allemagne, axée sur la philosophie du « changement par l’interdépendance commerciale » (Wandel durch Handel), donc une démocratisation de la Russie rendue possible par une interdépendance économique et commerciale avec les pays occidentaux (et en particulier l’Allemagne). Pour comprendre l’attitude de Berlin face à Moscou, on peut facilement remonter jusqu’au XVIe siècle si l’on veut démontrer le caractère si étroit des relations entre la Russie et l’Allemagne et si on veut relever à quel point la seconde a laissé des traces, au gré des siècles, en Russie au plan à la fois politique, militaire, économique, industriel et culturel bien sûr – tout comme cette dernière a profondément imprégné l’Allemagne. Des rapports marqués d’une cruauté sans précédent dans l’histoire de l’humanité (opération Barbarossa), mais aussi, au XXe siècle, de rapprochements surprenants, du soutien de l’Allemagne monarchiste à Lénine, en passant par Rapallo et bien sûr jusqu’à l’Ostpolitik.
Il en résulte une attitude à la fois complexe et complexée de l’Allemagne vis-à-vis de la Russie. Elle est complexée d’abord, car les dirigeants allemands (de Brandt à Merkel et Scholz bien sûr aussi) éprouvent une culpabilité telle vis-à-vis de Moscou (sentiment de culpabilité qui n’a d’ailleurs guère laissé de place dans le subconscient collectif allemand pour les souffrances infligées par les Nazis aux Polonais, des Biélorusses et des Ukrainiens) qu’ils ont largement ignoré (ou feint d’ignorer) le caractère à la fois révisionniste, militariste, mafieux et cleptocratique du régime poutinien – et ce alors que l’Allemagne dispose d’une expertise intellectuelle sur la Russie qui n’a pas d’équivalent dans les autres pays ouest-européens…

Français

Le SPD est fier de l’histoire de l’Ostpolitik, qui, selon lui, a ouvert la voie à la réunification allemande. Avec la ferme volonté de poursuivre cette politique à l’Est même après la fin de la Guerre froide, les responsables politique du SPD de ces 20 dernières années ont misé, dans le cadre de leurs responsabilités gouvernementales, sur un partenariat avec la Russie qui avait pour but de démocratiser la Russie par le biais du commerce bilatéral et de l’interdépendance économique et énergétique. Cette politique a été poursuivie tout au long des années 2000-2022, alors qu’il devenait évident que le président Poutine tenterait de modifier les frontières de la Russie en Europe par la force militaire. Il s’avérait aussi de plus en plus que pour Poutine et son entourage, l’Occident n’était pas un partenaire, mais un ennemi. Malgré ces tendances, dont les partenaires d’Europe centrale et orientale n’ont cessé d’avertir les Allemands et en particulier les responsables du SPD autour de Schröder, Steinmeier et Gabriel – tous originaires de Basse-Saxe – le SPD n’a pas renoncé – avec l’accord de la CDU d’Angela Merkel – à un partenaire énergétique avec la Russie qui a rendu l’Allemagne dépendante des hydrocarbures et du charbon russes. Le SPD s’est aussi opposé à l’idée de préparer militairement la Bundeswehr à un éventuel conflit avec la Russie en Europe de l’Est. À cet égard, le SPD porte une très lourde responsabilité historique.

Deutsch

Das schwere Erbe der SPD-Politik gegenüber Wladimir Putins Russland

Die SPD blickt mit Stolz auf die Geschichte der Ostpolitik zurück, die aus ihrer Sicht den Weg zur deutschen Wiedervereinigung geebnet hat. Mit em festen Willen diese Ostpolitik auch nach dem Ende des Kalten Krieges weiter zu führen, haben SPD-Politiker der letzten 20 Jahre im Rahmen ihrer Regierungsverantwortung auf eine Partnerschaft mit Russland gesetzt, die zum Ziel hatte durch bilateralen Handel und gegenseitige Verflechtung Russland zu demokratisieren. Diese Politik wurde verfolgt, obwohl sich bereits ab 2000 die Tatsache abzuzeihnen begann, dass mit Präsident Putin eine Person im Kreml herrschte, der die Grenzen Russlands mit militärischer Gewalt zu ändern versuchen würde. Und für den der Westen kein Partner, sondern ein Feindbild war. Trotz dieser Tendenzen, vor denen die ostmitteleuropäischen Partner die Deutschen und insbesondere die Akteure um Schröder, Steinmeier und Gabriel herum – allesamt aus Niedersachsen – hat sich die SPD nicht davon abhalten lassen – mit der Zustimmung der CDU von Angela Merkel – Deutschland energiepolitisch von Russland abhängig werden zu lassen und militärich die Bundeswehr nicht auf einen möglichen Konflikt mit Russland in Osteuropa vorzubereiten. Für dieses Versagen trägt die SPD eine hohe historische Schuld.

English

The cumbersome legacy of the SPD’s policy towards Vladimir Putin’s Russia

The SPD looks back with pride on the history of its Ostpolitik, which it sees as having paved the way for German reunification. With the firm will to continue this Ostpolitik after the end of the Cold War, SPD politicians of the last 20 years have, within the framework of their government responsibility, focused on a partnership with Russia, which had the goal of contributing to the democratization of Russia through bilateral trade and mutual interdependence. This policy was pursued even though, as early as 2000, the fact began to be seen that, with President Putin, there was a person in the Kremlin who would try to change Russia’s borders by military force. And for whom the West was not a partner but an enemy. In spite of these tendencies, from which the East-Central European partners were informing the Germans and in particular the SPD leaders around Schröder, Steinmeier and Gabriel – all of them by the way from the Land of Lower Saxony – the SPD did not allow itself to be deterred – with the approval of Angela Merkel’s CDU – from letting Germany become highly dependent on Russia in terms of energy policy and from not preparing the Bundeswehr militarily for a possible conflict with Russia in Eastern Europe. For this massive failure, the SPD bears a heavy historical debt.

Hans Stark
Professeur de civilisation allemande à Sorbonne Université, membre du centre de recherches Sorbonne - Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe (SIRICE, CNRS - UMR 8138), conseiller pour les relations franco-allemandes à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2023
https://doi.org/10.3917/all.243.0091
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