CAIRN.INFO : Matières à réflexion

L’Allemagne est-elle isolée ? C’est contre quoi le président Emmanuel Macron mettait en garde en présence de journalistes dans le bâtiment du Conseil européen à Bruxelles, où les dirigeants de l’UE se sont réunis les 20 et 21 octobre 2022 pour discuter des mesures à prendre pour faire face à la crise énergétique causée par la suspension des livraisons de gaz en provenance de Russie – une conséquence directe de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine. Lors de cette réunion, le chancelier Olaf Scholz a expliqué le « double wumms » allemand, le plan d’aide de 200 milliards d’euros financé par le crédit, avec lequel le gouvernement fédéral entend atténuer les conséquences de l’explosion des prix en Allemagne, non seulement pour les ménages, mais aussi – et surtout ? — pour les entreprises, grandes et petites. Un certain nombre de partenaires de l’UE, y compris le président Français, y voient un risque de distorsion de la concurrence sur le marché intérieur de l’UE, qui, selon la décision du Conseil, doit être exclu dans les différents programmes nationaux d’aide. Olaf Scholz n’a pas réagi à ces critiques, une réaction typique de sa part. Il ne se sentait pas du tout isolé, a-t-il répondu, faisant référence aux programmes d’aide dans plusieurs États membres, dont la France.
En janvier 2023, l’Allemagne se trouve toujours mis en question, isolée, cette fois au sein de l’alliance. Après la réunion du Groupe de contact de défense de l’Ukraine à la base aérienne américaine à Ramstein le 20 janvier, le gouvernement allemand a encore une fois décu ses amis et partenaires qui attendent de Berlin un soutien militaire plus robuste à l’Ukraine, en particulier la livraison, avec d’autres, de chars de combat « Léopard 2 » de fabrication allemande dont disposent 13 pays européens…

Français

La guerre de la Russie contre l’Ukraine ne remet pas seulement en cause le modèle économique de l’Allemagne basé sur les importations d’énergie bon marché en provenance de la Russie et la coopération économique avec celle-ci, il met également à l’ordre du jour le rôle international de l’Allemagne, à la fois dans l’UE et l’OTAN, basé sur le renoncement à une ambition géostratégique nationale dans le contexte d’un système de sécurité dont la garantie ultime est assurée par les USA. Pour Berlin, cette guerre constitue un « changement d’époque ». Un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour cinq ans est créé pour répondre aux besoins d’équipement les plus urgents de la Bundeswehr ; la dépendance énergétique de la Russie est réduite à presque zéro ; les exportations d’armes vers l’Ukraine sont lancées malgré une pratique traditionnelle de ne pas livrer d‘armes dans des zones de conflit. Le soutien de l’Allemagne à l’Ukraine en guerre est substantielle. Mais il manque une orientation stratégique. La fiabilité de l’Allemagne est mise en question par ses alliés. Le chancelier à Berlin explique peu. Pour la première fois une « stratégie nationale de sécurité » est en cours d’élaboration – elle se fait encore attendre.

Deutsch

Russlands Krieg gegen die Ukraine und die „Zeitenwende“: Deutschland auf der Suche nach strategischer Orientierung

Russlands Krieg gegen die Ukraine stellt nicht nur das Geschäftsmodell Deutschlands in Frage, das auf dem Import preiswerter Energie aus Russland und wirtschaftlicher Zusammenarbeit beruht, er setzt auch die internationale Rolle Deutschlands auf die Tagesordnung, sowohl in der EU wie in der NATO, die auf dem Verzicht eigener nationaler geostrategischer Ambitionen im Rahmen einer Sicherheitsordnung beruht, die letztendlich von den USA garantiert wird. Für Berlin stellt dieser Krieg eine „Zeitenwende“ dar. Ein Sonderfonds von 100 Milliarden Euro für fünf Jahre wurde aufgesetzt, aus dem die dringendsten Beschaffungen für die Bundeswehr finanziert werden sollen; die Energieabhängigkeit von Russland wurde auf fast Null reduziert; Waffen werden in die Ukraine exportiert ganz gegen den traditionellen Grundsatz, keine Waffen in Spannungsgebiete zu liefern. Die Unterstützung Deutschlands für die Ukraine im Krieg ist durchaus substantiell. Aber immer noch fehlt eine strategische Orientierung. Deutschlands Verlässlichkeit wird von Verbündeten in Zweifel gezogen. Der Kanzler in Berlin erklärt wenig. Zum ersten Mal wird eine „Nationale Sicherheitsstrategie“ entwickelt – aber sie läßt immer noch auf sich warten.

English

The Russian aggression in Ukraine and the turning point of history: Germany looks for strategic orientation

The Russian war against Ukraine does not only put into question Germany’s economic model, based on cheap imports of energy from Russia and economic cooperation, it also raises the question of Germany’s role in international affairs, within the EU as well as within NATO, based on its renouncement of proper geostrategic ambitions in the context of a security system which depends on the ultimate guarantees by the US. For Berlin, this war constitutes a “turning point of history”. A special fund of 100 billion Euros for five years has been created to respond to he most urgen needs of equipment for the Bundeswehr; energy dependency on Russia has been reduced to almost zero; weapons are being exported to Ukraine in spite of the traditional ruling principle of never exporting weapons to conflict regions. Germany’s support to Ukraine at war is substantial. But a strategic orientation is still lacking. Germany’s reliability is put into question by allies. The chancellor in Berlin doesn’t explain much. For the first time a “national security strategy” is being written – but it is still not adopted.

Detlef Puhl
Jusqu’en 2016, Detlef Puhl a travaillé en tant que Senior Advisor for Strategic Communication pour le Secrétaire général adjoint de l’OTAN chargé des « Nouveaux défis de sécurité », une division nouvellement créée au sein de l’état-major international de l’Alliance atlantique à Bruxelles. Auparavant, de 2008 à 2011, il a été détaché à Paris par le ministère allemand de la Défense pour servir en tant que directeur adjoint à la Délégation aux Affaires stratégiques, l’état-major de planification du ministère français de la Défense. De 2002 à 2008, il a exercé la fonction de doyen adjoint au College for International and Security Studies du George C. Marshall Center à Garmisch-Partenkirchen, une institution commune des ministères de la Défense allemand et américain pour la formation et la coopération avec des représentants d’Europe centrale et orientale et d’Eurasie. De 1998 à 2001, il a été chef d’état-major de presse et d’information et porte-parole du ministère allemand de la Défense à Berlin et à Bonn. Il avait travaillé de longues années comme journaliste, depuis 1986 comme correspondant militaire et de sécurité du Stuttgarter Zeitung à Stuttgart, puis à Bonn à partir de 1995.
Traduit de l’allemand par
Jérôme Vaillant
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2023
https://doi.org/10.3917/all.243.0008
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