CAIRN.INFO : Matières à réflexion

La guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine a bouleversé l’économie allemande. Elle marque non seulement la brusque fin d’une longue coopération économique germano-russe qui avait commencé déjà en période de guerre froide, dans les années 1970, mais également une rupture dans l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne. Au-delà des conséquences immédiates difficiles à gérer, les fondements du modèle économique allemand se trouvent mis en question : déstabilisation économique liée aux menaces de pénurie énergétique ; perte de compétitivité suite à la flambée des prix énergétiques ; failles de la globalisation et leurs effets sur le système productif fortement imbriqué dans l’économie mondiale.
Cela dit, la guerre de l’Ukraine n’est que le dernier maillon d’une série d’évènements qui ont mis sous pression l’industrie allemande. Pour évaluer le défi dans toute son ampleur, il faudra élargir l’analyse. Par conséquent, cette contribution s’attachera d’abord à rappeler brièvement les traits forts du modèle économique allemand, sa performance mais aussi ses vulnérabilités qui se manifestent depuis quelques années. Dans un deuxième temps, on passera en revue les principaux événements qui ont contribué à questionner la résilience du modèle allemand : la crise du climat qui a mis à jour la nécessité d’une transformation profonde de l’industrie allemande ; les problèmes des relations économiques avec la Chine qui ont démontré la fragilité d’une approche purement mercantile face aux défis géopolitiques posés par la politique chinoise ; la crise du Covid qui a provoqué des interrogations sur la résilience du modèle allemand fortement inséré dans la mondialisation…

Français

Cette contribution analyse les conséquences économiques de la guerre d’Ukraine pour l’économie allemande et pour son système productif, avec la forte présence de l’industrie et son imbrication particulièrement étroite dans l’économie mondiale, qu’il s’agisse ses flux commerciaux, ses investissements ou ses chaînes de production. Certains problèmes du modèle économique allemand étaient déjà manifestes bien avant la guerre : un sous-investissement patent, un engagement trop hésitant dans la transformation énergétique et productive, des vulnérabilités résultant de dépendances fortes d’approvisionnement dans certains domaines clé (énergie, certaines matières premières et certains biens intermédiaires stratégiques). La guerre d’Ukraine a accentué ces problèmes et a démontré l’urgence d’accélérer la transformation du système productif allemand.
À court terme, l’économie allemande a bien digéré le choc provoqué par la guerre et a évité une crise économique et sociale grave, grâce à sa capacité d’adaptation mais aussi aux mesures d’aide du gouvernement, qui a mobilisé des ressources financières sans précédent en faveur des ménages et des entreprises. À moyen terme, les perspectives pour l’industrie allemande sont contrastées. Pour certaines branches, la menace d’une perte de compétitivité est réelle, mais il ne faut pas sous-estimer la résilience et le fort potentiel d’innovation des producteurs industriels allemands et leur capacité de rebondir. Le véritable défi de l’industrie sera celui de sa transformation verte : arriver à la neutralité climatique de sa production tout en évitant la désindustrialisation. L’épreuve sera rude ; pourtant, fort de ses nombreux atouts toujours présents, le capitalisme industriel allemand est bien armé pour affronter ce défi. Cela demandera à la fois un nouveau volontarisme politique pour accélérer et mener à bien le tournant énergétique, un pilotage stratégique de la part des pouvoirs publics et des industriels, ainsi qu’une concertation sociale étroite.

Deutsch

Der Krieg in der Ukraine: welche Folgen hat er für das deutsche Produktionssystem?

Der Beitrag behandelt die kurz- und mittelfristigen Auswirkungen des Ukraine-Krieges auf die deutsche Wirtschaft, insbesondere auf das deutsche Kapitalismusmodell mit seiner starken Industrie und seiner engen weltwirtschaftlichen Verflechtung (Handels- und Investitionsströme, Lieferketten). Einige Probleme dieses Modells waren schon in den vergangenen Jahren zutage getreten: geringe öffentliche und private Investitionen, schleppende Umstellung auf eine nachhaltige Energieversorgung, langsame Strukturanpassungen, Abhängigkeiten von bestimmten Ländern bei strategischen Grundstoffen oder Vorlieferungen und damit verbundene Störanfälligkeiten. Wurden damit schon zentrale Fragen an die Wettbewerbsfähigkeit und die Tragfähigkeit des deutschen Produktionsmodells aufgeworfen, so hat der Ukraine-Krieg diese Probleme verschärft und ihnen teilweise eine neue Dringlichkeit verliehen.
Kurzfristig hat die deutsche Wirtschaft den ökonomischen Schock relativ gut verkraften können, auch dank energischer, in ihrer Höhe bislang einmaliger Rettungspakete der Bundesregierung. So ist ein Einbruch der Wirtschaftsentwicklung ebenso vermieden worden wie eine soziale Krise und ein Ausfall der Energieversorgung. Auf längere Sicht sind die Perspektiven der Industrie je nach Branche unterschiedlich. In manchen Bereichen droht ein Verlust an Wettbewerbsfähigkeit, insgesamt aber keine De-Industrialisierung oder eine Abwanderung von Unternehmen auf breiter Front. Der entscheidende Test für das Überleben des Industriestandorts Deutschland wird seine Fähigkeit sein, eine umfassende digitale und vor allem „grüne“ Transformation zu realisieren. Dabei kann die Industrie auf ihre tradierten Stärken bauen, muss aber auch tiefgreifende Veränderungen seiner Produktionsweise vornehmen. Ferner bedarf es einer neuen, aktiveren wirtschafts-, energie- und industriepolitischen Unterstützung durch die Politik.

English

The war in Ukraine: what consequences for the German production system?

The article deals with the short- and medium-term effects of the Ukraine war on the German economy, in particular on the German model of capitalism with its strong industry and its extensive global economic integration (trade and investment flows, supply chains). The problems of this model had already become apparent in previous years: low public and private investment, sluggish transition to a sustainable energy supply, slow structural adjustments, dependencies on certain countries for strategic raw materials or upstream supplies and the associated vulnerabilities to disruptions. If this already raised key questions about the competitiveness and sustainability of the German production model, the Ukraine war has exacerbated these problems and, in some cases, given them new urgency.
In the short term, the German economy has been able to cope relatively well with the economic shock, thanks in part to energetic rescue packages from the German government, which has mobilized unprecedented amounts of financial resources. This has prevented a slump in economic development as well as a social crisis and a breakdown in energy supplies. In the longer term, the outlook for industry varies from sector to sector. In some areas there is a threat of a loss of competitiveness, but there is no threat of an overall de-industrialization or an exodus of companies. The decisive test for the German industrial capitalism will be its ability to implement a comprehensive digital and, above all, “green” transformation. To meet this challenge, industry can build on its traditional strengths, but it will also have to make far-reaching changes to its production methods. It will also require new, more active economic, energy and industrial policy support from policymakers.

Henrik Uterwedde
Politologue, chercheur associé au Deutsch-Französisches Institut à Ludwigsburg (dfi). Dernière publication : Frankreich – eine Länderkunde, éd. Barbara Budrich, Opladen, Berlin & Toronto 2022 (2e édition).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2023
https://doi.org/10.3917/all.243.0174
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