CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Les sanctions économiques décidées par l’Union européenne à la suite du déclenchement par la Russie de son offensive en Ukraine, ont conduit au cours de l’année 2022, à une interruption d’abord partielle, puis presque totale des livraisons d’énergie russe à destination de la plupart des pays européens. L’Allemagne qui, au cours des trente années précédentes, s’était rendue de plus en plus dépendante de la Russie pour son approvisionnement énergétique, est incontestablement l’un des pays les plus touchés. Ce conflit qui risque de s’inscrire dans la durée, remet donc en cause presque complètement un certain nombre des choix de politique énergétique effectués au cours des trois décennies précédentes. Lors de son discours devant le Bundestag, trois jours après l’attaque russe sur l’Ukraine, le chancelier Olaf Scholz a d’ailleurs employé à cinq reprises le terme de « Zeitenwende », autrement dit de tournant historique, pour qualifier la situation nouvelle créée par ce conflit. Cette situation est d’autant plus problématique que les alternatives aux importations d’hydrocarbures en provenance de Russie paraissent à court terme, insuffisantes pour faire face aux besoins de la quatrième économie mondiale, dotée d’une industrie puissante qui absorbe plus de 40 % de la consommation finale de gaz et d’électricité du pays. À plus long terme, la politique de transition énergétique reposant sur le développement massif des énergies renouvelables, avec un objectif de décarbonation de l’économie à l’horizon 2050, est présentée par le gouvernement de coalition en place depuis septembre 2021, comme la solution à cette dépendance énergétique pour l’heure insurmontable…

Français

L’interruption partielle, puis totale des importations d’hydrocarbures en provenance de Russie, consécutive à la guerre en Ukraine, a de lourdes conséquences pour l’Allemagne, l’un des pays européens les plus dépendants de ces importations. Si depuis 2000, le fort développement des énergies renouvelables a permis de compenser le déclin du nucléaire et du charbon, il n’a pas entrainé de baisse de la consommation des hydrocarbures, dont le pays est toujours aussi dépendant qu’au début des années 1990. La mise en place différée des embargos et la clémence des températures en 2022 ont limité leurs effets sur l’approvisionnement énergétique de l’Allemagne, dont les importations de pétrole, de gaz et de charbon en provenance de Russie ont relativement peu diminué. Par contre, leur coût a fortement augmenté et dans les prochaines années il sera difficile de remplacer les volumes de gaz fournis par la Russie, car ni la Norvège, ni les États-Unis ne sont en mesure de les compenser. À plus long terme, le gouvernement allemand veut développer d’énormes capacités d’énergies renouvelables pour produire de l’électricité et de l’hydrogène afin de se passer des énergies fossiles ; ce qui semble peu réaliste.

Deutsch

Deutschlands Energie- und Klimapolitik angesichts des Stopps der Kohlenwasserstoffimporte aus Russland: das Ende der großen Illusion?

Die teilweise, dann vollständige Unterbrechung der Kohlenwasserstoffimporte aus Russland nach dem Krieg in der Ukraine hat schwerwiegende Folgen für Deutschland, eines der am stärksten von diesen Importen abhängigen europäischen Länder. Der starke Ausbau der Erneuerbaren Energien seit 2000 hat zwar den Rückgang von Atomkraft und Kohle kompensieren können, aber nicht zu einem Rückgang des Verbrauchs von Kohlenwasserstoffen geführt, von denen das Land noch immer so abhängig ist wie am Anfang der 1990er Jahre. Die verzögerte Umsetzung von Embargos und die milden Temperaturen im Jahr 2022 haben ihre Auswirkungen auf die Energieversorgung Deutschlands begrenzt, deren Importe von Öl, Gas und Kohle aus Russland relativ wenig zurückgegangen sind. Andererseits sind ihre Kosten stark gestiegen, und in den kommenden Jahren wird es schwierig sein, die von Russland gelieferten Gasmengen zu ersetzen, da weder Norwegen noch die Vereinigten Staaten in der Lage sind, sie zu kompensieren. Längerfristig will die Bundesregierung enorme erneuerbare Energiekapazitäten zur Strom- und Wasserstoffproduktion aufbauen, um auf fossile Brennstoffe zu verzichten; was unrealistisch erscheint.

English

Germany’s energy and climate policy in the face of the cessation of hydrocarbon imports from Russia: the end of the great illusion?

The partial, then total interruption of hydrocarbon imports from Russia, following the war in Ukraine, has serious consequences for Germany, one of the European countries most dependent on these imports. If since 2000, the strong development of renewable energies has made it possible to compensate for the decline of nuclear and coal, it has not led to a drop in the consumption of hydrocarbons, on which the country is still as dependent as in the early 1990s. The delayed implementation of embargoes and mild temperatures in 2022 have limited their effects on Germany’s energy supply, whose imports of oil, gas and coal from Russia have fallen relatively little. On the other hand, their cost has increased sharply and in the coming years it will be difficult to replace the volumes of gas supplied by Russia, because neither Norway nor the United States are able to compensate for them. In the longer term, the German government wants to develop enormous renewable energy capacities to produce electricity and hydrogen in order to do without fossil fuels; which seems unrealistic.

Michel Deshaies
Professeur de géographie à l’université de Lorraine.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 16/03/2023
https://doi.org/10.3917/all.243.0157
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